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Dossier : 2003-3033(GST)I

ENTRE :

BUON HO LIM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 19 octobre 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Bruno Bernier

Avocat de l'intimée :

Me Benoît Denis

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise dont l'avis porte le numéro 03110466 et est daté du 8 novembre 2002, pour la période du 1er avril 2000 au 30 septembre 2000, est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre, 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Référence : 2004CCI802

Date : 20041208

Dossier : 2003-3033(GST)I

ENTRE :

BUON HO LIM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Il s'agit d'un appel par voie de la procédure informelle d'une cotisation portant le numéro 03110466, en date du 8 novembre 2002, au montant de 19 551,81 $, pour la période du 1er avril 2000 au 30 septembre 2000.

[2]      L'appelant prétend qu'il n'avait pas la capacité de fournir les services qui sont l'objet de deux factures aux montants respectifs de 100 000 $ et 125 000 $ et donc qu'il n'y avait pas de fourniture taxable. L'intimée considère que l'appelant, en émettant ces deux factures, a pris la qualité de fournisseur de fournitures taxables. Le montant des factures fait qu'il n'était pas un petit fournisseur et aurait dû percevoir la taxe.

[3]      La première facture est en date du 2 juin 2000 et l'autre, du 8 août 2000. Ces factures ont été produites comme pièces A-7 et A-8. Elles se lisent comme suit :

(Pièce A-7)

BUON HO LIM

8820, 10 E AVENUE

MONTRÉAL, QUÉBEC

H1Z 3C2

LE 2 JUIN 2000

2866-0272 QUÉBEC INC.

15, RUE GAMBLE EST, LOCAL #204

ROUYN-NORANDA, QUÉBEC

J9X 3B6

A L'ATTENTION DE MONSIEUR GILLES FISET, PRÉSIDENT

HONORAIRES DE CONSULTATION ET DE RECHERCHE POUR TROUVER DU FINANCEMENT CONCERNANT DIVERS FUTURS PROJETS D'INVESTISSEMENTS SELON DISCUSSIONS

99 500.00 $

ALLOCATION POUR AUTOMOBILE

65.00 $

PER DIEM POUR LUNCH AVEC COURTIERS ET INVESTISSEURS POTENTIELS

425.00 $

DIVERS DÉBOURSÉS (PAPETERIE, TIMBRES, ETC.)

                10.00 $

TOTAL

100 000.00 $

P.S.       Ces honoraires seront payables au moyen de la remise d'un total de quatre cent milles (400 000) actions de Exploration Loubel inc. appartenant à la compagnie 2866-0272 Québec inc., au courant des prochaines semaines.

FACTURE #020600

    (initiales)                                 

BUON HO LIN

     (signature)                             

2866-0272 QUÉBEC INC.

par : Gilles Fiset, président


(Pièce A-8)

BUON HO LIM

8820, 10 E AVENUE

MONTRÉAL, QUÉBEC

H1Z 3C2

LE 8 AOÛT 2000

2866-0272 QUÉBEC INC.

15, RUE GAMBLE EST, LOCAL #204

ROUYN-NORANDA, QUÉBEC

J9X 3B6

A L'ATTENTION DE MONSIEUR GILLES FISET, PRÉSIDENT

HONORAIRES DE CONSULTATION ET DE RECHERCHE POUR TROUVER DU FINANCEMENT CONCERNANT DIVERS FUTURS PROJETS D'INVESTISSEMENTS SELON DISCUSSIONS

124 325.00 $

ALLOCATION POUR AUTOMOBILE

85.00 $

PER DIEM POUR LUNCH AVEC COURTIERS ET INVESTISSEURS POTENTIELS

575.00 $

DIVERS DÉBOURSÉS (PAPETERIE, TIMBRES, ETC.)

                15.00 $

TOTAL

125 000.00 $

P.S.       Ces honoraires seront payables au moyen de la remise d'un total de cent milles (100 000) actions de Exploration Tom inc. appartenant à la compagnie 2866-0272 Québec inc., au courant des prochaines semaines.

FACTURE #080800

    (initiales)                                 

     (signature)                      

BUON HO LIN

2866-0272 QUÉBEC INC.

par : Gilles Fiset, président

[4]      Lors de son témoignage, l'appelant a admis que c'était bien ses initiales qui paraissent à la pièce A-7. Il n'a pas reconnu celles de la pièce A-8. Il a également admis avoir reçu les actions mentionnées à la pièce A-7 mais il a ajouté qu'il n'en était pas le véritable propriétaire. Il dit n'avoir jamais rencontré monsieur Fiset.

[5]      Il explique ainsi à son avocat les circonstances de la signature d'au moins une des factures :

Q.         O.K. Puis, vous n'avez pas rendu ces services-là?

R.          Non.

Q.         O.K. On voit en bas sur les ... sur les ... qui vous a approché finalement? Comment ça a fonctionné? Pourquoi votre signature apparaît sur une facture au moins? Comment ... pouvez-vous décrire à la Cour comment ça s'est passé?

R.          Ce qui se passe, Madame la Juge, c'était comme un ami, il s'appelle Jacky, il m'a proposé comme quoi il a un « deal » pour moi, comment dire ... comment je vais dire ça, il s'agit juste de signer une facture et vous aller avoir un petit peu d'argent comme quoi ... et puis j'ai jamais eu, il n'y a jamais eu rien qui se passe.

Q.         Et, comment cette facture-là est arrivée devant vous?

R.          Puis, j'ai reçu par lui, Madame la Juge, puis ils l'ont faxée, et moi tout ce que j'ai fait c'est juste signer. Et, je l'ai signée, c'est tout.

Q.         O.K. Est-ce qu'on vous a remis une copie de cette facture-là?

R.          Non.

Q.         Est-ce que vous avez vu l'original de ça?

R.          Non.

Q.         O.K. Avez-vous reçu quelque chose en retour de ça ou suite à ce document-là?

R.          Non.

Q.         O.K. En bas, c'est indiqué, si vous voyez bien dans les ... PS, là, est-ce que vous voyez la note?

R.          Oui.

Q.         O.K. On dit que les honoraires vont être payables, est-ce que vous avez reçu des actions?

R.          Oui, j'ai reçu des actions, Madame la Juge, j'ai reçu des actions, je suis juste le nom dans les actions mais je suis pas le vrai propriétaire de ces actions-là.

Q.         O.K.

R.          Et, je remets tout ça, tout, à mes amis. Lui, il s'appelle Tri Min et lui il s'appelle Hui. Oui, j'ai tout remis ça. J'ai été chercher ... j'étais venu (inaudible) rempli comme quoi ça, il faut que je le remette à ces personnes-là. Et, j'ai toujours remis.

Q.         Finalement, à la fin du processus, est-ce que vous avez reçu de l'argent?

R.          Non.

Q.         Pas d'argent.

R.          Non.

[6]      L'appelant a relaté qu'il avait terminé son secondaire IV. Il lui a manqué trois crédits pour compléter le secondaire V. Il a présentement comme occupation le pressage de vêtements.

[7]      La pièce A-3 est un État des informations sur une entreprise individuelle, en provenance du Registraire des entreprises. Il montre que le 14 février 2000, il y a eu une immatriculation au nom de l'appelant et qu'à sa demande, il y a eu radiation le 29 mars 2000. L'activité économique concernait un restaurant situé à Rouyn-Noranda.

[8]      L'appelant a expliqué qu'un ami lui aurait demandé de prendre un restaurant qu'il avait à Rouyn-Noranda. Il a tenté l'expérience pendant deux ou trois mois. Quand il s'est rendu compte que ce n'était pas pour lui, il a demandé la radiation de son enregistrement à titre d'entreprise.

[9]      La vérificatrice de Revenu Québec a rencontré l'appelant le 16 septembre 2002. Son rapport a été produit comme pièce A-9. La vérificatrice relate que l'appelant n'a pas nié le fait qu'il ait travaillé sur le sujet des actions d'entreprises et qu'il aurait été payé par des actions. Cependant, il lui a mentionné ne pas se rappeler avoir émis les factures qui lui étaient présentées et lui a suggéré que les signatures aient pu avoir été copiées. Lors de cette rencontre, les signatures de l'appelant sur les deux factures ont été analysées en rapport avec celles paraissant sur son permis de conduire et autres pièces d'identité. La vérificatrice les a trouvées identiques.

[10]     Les numéros d'immatriculation déjà accordés à l'appelant ont été réactivés. Il ne s'agissait pas d'un petit fournisseur, puisque les fournitures effectuées dépassaient largement le seuil du 30 000 $. L'appelant a été cotisé pour taxe non déclarée relativement aux deux factures ayant comme objet des services de consultation.

[11]     Les factures de l'appelant ont été facturées par 2866-0272 Québec Inc. à Exploration Loubel Inc. et Exploration Tom Inc. Ces factures de 2866-0272 Québec Inc. ajoutaient les taxes au montant total. Les sociétés Exploration Tom Inc. et Exploration Loubel Inc. ont demandé un crédit de taxe sur les intrants.

Plaidoiries

[12]     L'avocat de l'appelant fait valoir que l'appelant n'a pas effectué une fourniture taxable car une fourniture taxable est une fourniture effectuée dans le cadre d'une activité commerciale. Il soumet que l'appelant n'a pas rendu les services décrits aux factures sans admettre qu'il ait participé à un stratagème frauduleux. Il soumet aussi que l'appelant n'exerce pas une activité commerciale.

[13]     L'avocat de l'intimée fait valoir qu'il n'y a pas de preuve qu'il s'agit de factures fictives. Le ministre du Revenu national était donc en droit de les prendre selon ce qu'elles exprimaient à leur face même. Il appartenait à l'appelant de démontrer que les services n'avaient pas été rendus à 2866-0272 Québec Inc. et qu'il n'y avait pas eu d'activité commerciale.

Analyse et conclusion

[14]     Les versions de l'appelant ont changé plusieurs fois. Lors de la rencontre avec la vérificatrice, l'appelant affirmait que ses initiales avaient été imitées. Il ne se souvenait pas d'avoir émis des factures bien qu'il se soit souvenu d'avoir travaillé à certains projets d'investissement. Dans l'avis d'opposition, on indiquait que les factures en question avaient été préparées à l'insu du contribuable. Lors de l'audience, l'appelant a admis que c'était ses initiales sur une des factures et non sur l'autre alors que les initiales paraissent en tout point semblables sur les deux factures.

[15]     Il me faut conclure que c'est l'appelant qui a apposé ses initiales sur les factures, qu'il les a apposées librement et non sous la menace.

[16]     L'article 2863 du Code civil du Québec se lit ainsi :

Les parties à un acte juridique constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve. - CCCB 1234

[17]     Cette disposition a été interprétée à plusieurs occasions par cette Cour dans des litiges ayant trait à l'impôt sur le revenu. Je me réfère notamment à une décision du juge Garon dans Transport Touchette Inc. c. Canada, [1999] A.C.I. no 550 (Q.L.), à une décision du juge Dussault dans Tanguay c. Canada, [1997] A.C.I. no 16 (Q.L.), et à une décision de la juge Lamarre dans Dubois c. Canada, [2003] A.C.I. no 80 (Q.L.).

[18]     De cette dernière décision je cite le paragraphe 33 :

Ainsi, si en règle générale, les parties à un acte juridique au Québec ne peuvent avoir recours à la preuve testimoniale pour contredire ou changer les termes de l'écrit qui le constate, il semble qu'elles pourraient y avoir recours face aux tiers au moins en matière fiscale, ou de toute façon lorsqu'il y a un commencement de preuve. Ce commencement de preuve peut résulter d'un aveu émanant de la partie adverse au contrat écrit ou de son mandataire, ou de la présentation d'un élément matériel, lorsque tel moyen rend vraisemblable l'inexactitude des énonciations de l'écrit. (Voir Ducharme, Léo, Précis de la preuve, précité, page 270, paragraphe 915 et page 331, paragraphe 1109.) Ainsi si l'aveu de la partie adverse ou la présentation d'un élément matériel rendent vraisemblable l'inexactitude des énonciations de l'écrit, il s'agit là d'un commencement de preuve donnant ouverture à la preuve testimoniale pour tenter de le démontrer.

[19]     Ces décisions concernaient la Loi de l'impôt sur le revenu. La même interprétation serait-elle donnée dans le contexte de la présente loi? Je n'ai pas à trancher cet aspect, car, dans les circonstances de la présente affaire, il n'y a pas eu d'aveu de la partie co-contractante et il n'y a pas eu de présentation d'un élément matériel. Il n'y a eu que le témoignage de l'appelant. Cela ne peut suffire. En fait cela ne peut même pas être pris en considération surtout quand on considère la nature des motifs invoqués pour contredire l'écrit, nature qui relève de la turpitude de l'appelant.

[20]     Le principe voulant que nul ne doive être entendu en invoquant sa propre turpitude est un des fondements juridiques des fins de non-recevoir.

[21]     Le juge Beetz, dans l'arrêt Banque du Canada c. Soucisse, [1981] 2 S.C.R. 339 (Q.L.), à la page 362 du recueil, indique clairement que lorsqu'un individu invoque sa propre turpitude à l'encontre de quelconques conséquences juridiques, il ne peut en tirer un avantage :

70         L'un des fondements juridiques possibles d'une fin de non-recevoir est le comportement fautif de la partie contre qui la fin de non-recevoir est invoquée. Le juge Mignault y fait allusion dans le passage cité plus haut de Grace and Company c. Perras (précité) lorsqu'il réfère aux art. 1053 et suivants du Code civil. C'est ce qu'enseigne Lemerle à la p. 144 de son traité où il écrit :

On n'est pas recevable à se plaindre ni à se prévaloir de son propre fait, de sa négligence, de son imprudence, de son impuissance, à plus forte raison de sa faute, au préjudice d'autrui. Proposition fondée sur ce que [...] on ne doit pas tirer avantage d'une faute que l'on a commise:    il est juste, au contraire, de réparer le tort qu'on a fait.

[22]     De même, la juge Louise Mailhot, de la Cour d'appel du Québec, appliqua la maxime nemo auditur turpitudinem suam allegans dans la décision Fecteau c. Gareau, [2003] J.Q. no 39 (Q.L.), au paragraphe 49 :

49         À mon avis, la maxime nemo auditur turpitudinem suam allegans constitue une interdiction générale visant toute personne qui s'appuie sur sa propre turpitude et un des fondements d'une fin de non-recevoir. Ainsi, la fin de non-recevoir peut dans un cas approprié être invoquée pour empêcher une partie de faire valoir un argument qui autrement constituerait une justification pour son enrichissement.

[23]     En conclusion, une personne qui se représente par écrit comme ayant accompli une fourniture qui a des effets à l'égard de la Loi, ne peut pas quand elle est taxée à l'égard de cette fourniture, invoquer sa propre turpitude pour contredire cet écrit et s'épargner les conséquences attachées à l'acte apparemment posé.

[24]     L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :

2004CCI802

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-3033(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Buon Ho Lim et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 19 octobre 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 8 décembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Bruno Bernier

Pour l'intimée :

Me Benoit Denis

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Bruno Bernier

Étude :

Ravinsky, Ryan

Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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