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Dossier : 2001-3891(IT)G

ENTRE :

RONALD D. SANDNES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Calgary (Alberta), le 8 janvier 2004.

Devant : L'honorable Campbell J. Miller, juge

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me James W. Dunphy

Avocate de l'intimée :

Me Margaret McCabe

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel d'une cotisation fiscale établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour le motif que la disposition des actions de Canoro effectuée par M. Sandnes en 1997 était imputable au capital. Les dépens sont adjugés à l'appelant.


Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mars 2004.

                  « Campbell J. Miller »                

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'avril 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI244

Date : 20040325

Dossier : 2001-3891(IT)G

ENTRE :

RONALD D. SANDNES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

[1]      En 1997, M. Ronald Sandnes a conclu un certain nombre d'opérations se rapportant à des actions de Canoro Resources Ltd. ( « Canoro » ). L'intimée maintient que, par suite de sa conduite et de sa connaissance spéciale de Canoro, M. Sandnes était un commerçant en valeurs mobilières et qu'il n'avait donc pas droit au traitement applicable aux gains en capital et ne pouvait pas exercer un choix selon lequel les titres de Canoro étaient réputés être des immobilisations conformément au paragraphe 39(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Selon la position prise par M. Sandnes, les circonstances ne permettent pas de conclure qu'il était un commerçant, ni même qu'il était engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial, mais permettent uniquement de conclure que le placement qu'il avait effectué dans Canoro était simplement cela, un placement imputable au capital. M. Sandnes a produit sa déclaration de revenu pour l'année 1997 sur cette base. En ce qui concerne le spectre allant de l'investisseur au commerçant, il n'existe pas, selon moi, d'indices suffisants montrant que M. Sandnes exploitait une entreprise, de sorte qu'il était un commerçant. Il s'agit plutôt de savoir si M. Sandnes était un investisseur ou une personne disposée à prendre des risques; tout bien pesé, compte tenu de la façon dont M. Sandnes a traité les actions de Canoro, je conclus qu'il était simplement un investisseur.

Les faits

[2]      M. Sandnes a acquis une salle de quilles à Trail (Colombie-Britannique) en 1974; il exploite depuis lors cette entreprise. Dans les années 1990, M. Sandnes a aidé un ami en Alberta à l'égard de l'administration du bureau d'une société minière appelée Yellowjack. Il a également commencé à participer aux activités d'une société connue sous le nom de Golden Mammoth. Ces sociétés ont procédé à une fusion en 1996 et ont formé Canoro. M. Sandnes est devenu administrateur de Canoro et a continué à aider à temps partiel à l'administration du bureau et aux relations avec les actionnaires. Il faisait la navette entre la Colombie-Britannique et l'Alberta, étant donné qu'il continuait également à exploiter la salle de quilles.

[3]      Pendant l'été 1996, M. Sandnes a acquis environ 208 000 actions ordinaires de Canoro au moyen d'un placement privé. Dans le cadre de cette opération, il a également reçu des bons de souscription d'actions lui permettant d'acquérir des actions ordinaires additionnelles, lesquels devaient être exercés au plus tard le 4 juin 1997. Il a déclaré qu'à ce moment-là, il voulait investir à long terme dans l'industrie pétrolière et gazière, dans une société qui, espérait-il, serait rentable. En 1997, M. Sandnes a exercé les droits qu'il possédait en vertu des bons de souscription et il a acquis 109 459 actions ordinaires additionnelles au prix de trente-sept cents l'action. Les actions étaient alors négociées à un prix légèrement supérieur à un dollar l'action. M. Sandnes a vendu certaines actions de Canoro en vue de financer l'exercice des bons de souscription. Le seul autre achat important d'actions de Canoro en 1997 a eu lieu lorsque M. Sandnes a exercé une option d'achat d'actions accordée aux employés en vue d'acquérir 25 000 actions ordinaires de Canoro.

[4]      En 1997, M. Sandnes a conclu de nombreuses ventes d'actions de Canoro qu'il possédait. Au cours de l'année précédente, il s'était également servi des actions de Canoro comme moyen de satisfaire à ses besoins financiers. En 1996, il a conclu environ 16 ventes d'actions de Canoro et en 1997, environ 23 ventes d'actions. L'intimée a soutenu qu'il y avait un nombre encore plus élevé de dispositions réelles, à cause de la faible liquidité des actions. Ainsi, au mois de mai 1997, M. Sandnes a voulu vendre 5 500 actions de Canoro, mais il a été obligé de les vendre en trois segments de 2 200, de 3 000 et de 300 actions. Je considère qu'il s'agit là d'une seule opération de vente conclue par M. Sandnes.

[5]      Sur les 23 opérations de vente conclues en 1997, certaines visaient à permettre le financement de l'exercice des bons de souscription, certaines visaient à permettre le financement des besoins continus à l'égard de la salle de quilles, certaines avaient été conclues à des fins personnelles et certaines visaient à permettre le remboursement de sommes dues à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ). M. Sandnes a fait savoir qu'il informait toujours le président de Canoro lorsqu'il vendait ses actions. M. Sandnes a quitté Canoro en 2001 pour travailler à plein temps à sa salle de quilles, à Trail (Colombie-Britannique). En 2002, M. Sandnes a disposé de la plupart des actions qu'il possédait dans Canoro.

Analyse

[6]      L'intimée soutient que M. Sandnes était un commerçant à l'égard des titres de Canoro. S'il était un commerçant, il ne pouvait pas exercer un choix en vue de bénéficier du traitement à titre de capital au moment de la disposition des actions comme le prévoit le paragraphe 39(5) de la Loi, qui est ainsi libellé :

39(5)     Le choix prévu au paragraphe (4) ne s'applique pas à la disposition d'un titre canadien effectuée par un contribuable, sauf une société de placement à capital variable ou une fiducie de fonds commun de placement, qui, au moment de la disposition, est :

a)          un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières; [...]

[7]      L'intimée reconnaît que s'il n'était pas un commerçant et s'il était simplement engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial, M. Sandnes aurait pu se prévaloir du choix prévu au paragraphe 39(4), mais qu'il est maintenant trop tard pour le faire. Le paragraphe 39(4) est rédigé comme suit :

39(4)     Sauf dans les cas prévus au paragraphe (5), lorsqu'un contribuable dispose d'un titre canadien au cours d'une année d'imposition et qu'il exerce un choix, selon le formulaire prescrit, dans sa déclaration de revenu produite pour l'année en vertu de la présente partie :

a)          chacun des titres canadiens qu'il possède au cours de l'année ou de toute année d'imposition ultérieure est réputé avoir été une immobilisation qu'il possédait au cours de ces années;

b)          chaque disposition par le contribuable d'un tel titre canadien est réputée être une disposition par lui d'une immobilisation.

[8]      M. Sandnes soutient que le paragraphe 39(4) et, par conséquent le paragraphe 39(5), n'entrent même pas en ligne de compte, étant donné que les actions de Canoro se rapportaient à un placement qui était clairement imputable au capital.

[9]      M. Sandnes était-il un commerçant? Dans l'arrêt The Queen v. Vancouver Art Metal Works Limited[1], la Cour d'appel fédérale a confirmé que le commerçant ou courtier est « celui qui fait le commerce des marchandises, qui achète et vend ou dont l'entreprise est le commerce » . La cour a ajouté ce qui suit[2] :

Je ne doute aucunement que le contribuable dont la profession ou l'entreprise consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières est un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières au sens de l'alinéa 39(5)a) de la Loi. Comme l'a dit le juge Cattanach dans l'arrêt Palmer, MA c. La Reine, « [o]n reconnaît qu'une personne qui accomplit de manière habituelle des actes susceptibles d'engendrer des bénéfices s'est engagée dans un commerce ou une entreprise » . La question de savoir si une série d'actes équivaut à l'exploitation d'un commerce ou d'une entreprise constitue toutefois une question de fait. Chaque cas sera jugé selon les faits qui lui sont propres. Il est évident que les facteurs tels que la fréquence des opérations, le temps pendant lequel les valeurs ont été conservées, (pour réaliser un bénéfice rapide ou pour en faire un placement à long terme, par exemple), l'intention d'acheter pour revendre à profit, la nature et la quantité des valeurs mobilières détenues ou qui font l'objet de l'opération, le temps consacré à l'activité en question, sont tous des facteurs pertinents et qui aident à déterminer si une personne exerce un commerce ou une entreprise de courtage.

[...]

En guise de conclusion, le contribuable ne perd pas nécessairement le droit de faire un choix prévu au paragraphe 39(4) lorsqu'il achète et vend des valeurs mobilières pour son propre compte. Il perd cependant ce droit de choisir lorsqu'il devient un commerçant ou un courtier, c'est-à-dire lorsqu'il se livre professionnellement au commerce des valeurs mobilières ou lorsque ses activités sont assimilables à l'exploitation d'une entreprise et qu'elles ne peuvent plus être qualifiées d'opérations de placement ou de simples risques ou affaires de caractère commercial.

[10]     L'intimée fait également valoir que, dans la décision Kane v. The Queen[3], le juge Noël a établi le facteur qui distingue un commerçant d'une personne disposée à prendre des risques; voici ce que le juge a dit[4] :

Je crois qu'en déterminant si la personne qui fait le commerce de valeurs mobilières sans être inscrite ou autorisée peut se prévaloir du choix en question, il faut ici aussi se demander si l'auteur des opérations en question possède une connaissance particulière ou spéciale du marché sur lequel il négocie. Dans la mesure où c'est le cas, cette personne se distingue des personnes disposées à prendre des risques qui [TRADUCTION] « jouent à la bourse » régulièrement ou sporadiquement en se fondant sur des conseils ou des renseignements facilement disponibles en matière de placements. Telle semble la ligne directrice qui doit délimiter l'étendue du choix prévu au paragraphe 39(4) de la Loi et la restriction visée à l'alinéa 39(5)a).

En l'espèce, le demandeur avait une connaissance spéciale du marché sur lequel les actions d'Orell étaient négociées. Il était l'un des administrateurs de la corporation, son président, et un initié étant donné les valeurs mobilières qu'il détenait, ainsi qu'un promoteur au sens où ce mot est défini dans la Securities Act de la Colombie-Britannique. Cependant, fait encore plus important, il prenait directement part aux entreprises minières d'Orell et aidait à organiser les offres de financement public. Cela étant, il était en mesure de prévoir quelle serait la réaction du marché aux activités continues d'Orell. Tel est le contexte dans lequel le demandeur achetait et vendait les actions d'Orell. Ses activités boursières portaient non seulement les marques habituelles qui caractérisent les activités des preneurs habituels de risques, mais elles étaient aussi effectuées par rapport à la connaissance spéciale que le demandeur avait du marché sur lequel les actions d'Orell étaient négociées et elles étaient fondées sur cette connaissance. À mon avis, il s'agit d'activités d'un commerçant ou d'un courtier en valeurs mobilières au sens où ces mots sont employés au paragraphe 39(5) de la Loi.

[11]     Par conséquent, pour conclure que M. Sandnes est un commerçant, il faut conclure que sa conduite à l'égard des actions de Canoro montrait qu'il exploitait une entreprise s'occupant de l'achat et de la vente de titres à l'égard desquels il avait une connaissance particulière ou spéciale. La conduite doit être examinée compte tenu de l'intention de M. Sandnes, de la fréquence des opérations, du temps pendant lequel les titres ont été conservés, de la nature des titres et de leur quantité, du temps consacré à l'activité et de la connaissance particulière que M. Sandnes possédait.

L'intention

[12]     M. Sandnes a déclaré avoir eu l'intention de conserver les actions de Canoro en tant que placement à long terme. De fait, sur un peu plus de 300 000 actions de Canoro détenues en 1997, il a continué à en posséder 230 000 après 1997, et il a finalement disposé de la plupart de ses actions en 2002. Toutefois, il était également clair qu'en 1996 et en 1997, il utilisait les actions de Canoro qu'il possédait en tant que compte bancaire. Lorsqu'il avait besoin d'argent, pour quelque raison que ce soit, il comptait sur les actions de Canoro. Il a adopté cette façon de procéder peu de temps après avoir acquis l'ensemble des actions en 1996. Son intention à ce moment-là, c'est-à-dire au moment de l'acquisition des actions en 1996, était double : en premier lieu, réaliser à long terme un gain et, en second lieu, bénéficier d'une source de financement accessible immédiat (son « objectif bancaire » ). Un commerçant n'a qu'un objectif, réaliser un bénéfice par suite d'un projet commercial. Même si je considérais l'objectif bancaire de M. Sandnes comme étant assimilable à l'objectif d'un commerçant, à savoir tirer profit de reventes rapides, le fait que M. Sandnes avait également un objectif de placement à long terme entraîne son exclusion de la catégorie des commerçants à cet égard. Dans le cas de M. Sandnes, il est difficile de conclure qu'un objectif était prédominant et qu'il l'emporte de quelque façon sur l'autre. Le comportement de M. Sandnes permet de conclure que les deux objectifs avaient autant d'importance l'un que l'autre. Cela est important étant donné que je ne crois pas qu'un commerçant puisse nier faire partie de la catégorie des commerçants en se fondant sur l'intention vague, clairement secondaire, d'effectuer un placement à long terme. Cependant, tel n'est pas ici le cas. L'existence d'une intention à l'égard d'un « capital » , égale à l'intention de réaliser un bénéfice ou plus importante que cette intention, suffit pour qu'il soit possible de faire une distinction entre l'investisseur ou la personne disposée à prendre des risques d'une part et le commerçant d'autre part.

[13]     Cette conclusion était fondée sur le fait que l'objectif bancaire de M. Sandnes était le même que l'intention de réaliser un bénéfice. Toutefois, il y a un élément qui distingue encore plus M. Sandnes du commerçant. Le commerçant tente de maximiser son bénéfice le plus tôt possible. La chose comporterait probablement une étude minutieuse du marché, de façon que les achats et les ventes soient conclus au meilleur moment. Rien ne montre que M. Sandnes ait régulièrement prêté attention à la façon dont se comportait le capital-actions de Canoro avant de conclure ses nombreuses opérations de vente. Les ventes conclues par M. Sandnes étaient entièrement dictées par des besoins financiers. Si la salle de quilles avait besoin d'un nouveau véhicule, M. Sandnes cherchait à vendre des actions; si l'ADRC exigeait un paiement, il cherchait à vendre des actions; et s'il avait besoin d'argent pour exercer les bons de souscription, il cherchait à vendre des actions. Ce n'est pas le portrait d'un commerçant que le profit pousse à agir; il s'agit plutôt du portrait d'une personne que le besoin pousse à agir et qui se fait rembourser les sommes investies.

[14]     L'intimée s'est fondée sur les remarques que le juge Lemieux a faites dans la décision Arcorp Investments Ltd. v. The Queen[5] à l'appui de l'idée selon laquelle le besoin d'argent ne fait pas nécessairement disparaître l'intention de réaliser rapidement un profit. Voici ce que le juge Lemieux a dit[6] :

[22]       Les explications de M. Hodgkinson ne me persuadent pas que l'objectif prédominant des opérations d'Arcorp en 1984 et 1985 n'était pas de réaliser des bénéfices au moyen des opérations sur les titres plutôt que de voir dans ces titres des placements à long terme qui produiraient des intérêts et des dividendes. À vrai dire, son besoin désespéré d'argent explique pourquoi Arcorp, dont il était l'âme dirigeante, avait recours à des opérations fréquentes d'achat et de vente de titres pour réaliser des bénéfices, donc en vue d'obtenir un revenu. En outre, le témoignage de M. Hodgkinson n'explique pas pourquoi, durant ces années, Arcorp effectuait souvent des achats de titres et ne se contentait pas de liquider des titres pour répondre aux besoins d'argent de son unique actionnaire.

[15]     Toutefois, il est possible de faire une distinction à l'égard de la décision Arcorp. La société Arcorp était une société de gestion de placements; telle était sa véritable entreprise. Son seul actionnaire était un courtier en valeurs mobilières rémunéré à commission. La cour a examiné les opérations conclues à l'égard des titres d'Arcorp en vue de déterminer si elles portaient la marque ou avaient les caractéristiques d'un commerce ordinaire de valeurs mobilières. Elle a conclu qu'au cours d'une seule année, tous les actifs d'Arcorp étaient des titres négociables. La société a acheté et vendu environ 1,6 millions d'actions dans 32 sociétés exploitant des ressources et a conclu plus de 460 opérations. Elle détenait brièvement les titres. Dans ces conditions, il est compréhensible que l'allégation selon laquelle les titres étaient vendus afin de satisfaire à des besoins financiers ne transformait pas l'intention claire de se livrer à un commerce en une intention différente. Dans le cas de M. Sandnes, il n'y a pas eu changement d'intention. M. Sandnes cherchait simplement à se faire rembourser les sommes qu'il avait investies dans Canoro au fur et à mesure que ses besoins l'exigeaient, en espérant conserver à long terme l'ensemble des actions.

[16]     L'intimée a également invoqué la décision McGroarty v. The Queen[7] dans le même contexte. Cependant, encore une fois, il s'agissait du cas d'une personne dont les antécédents correspondaient à ceux d'un commerçant s'occupant de valeurs mobilières, effectuant des achats financés, dans une large mesure par des emprunts et dont les opérations étaient importantes. M. Sandnes n'appartient tout simplement pas à cette catégorie.

[17]     Je conclus que l'intention n'est pas un facteur qui marque M. Sandnes à titre de commerçant.

La fréquence des opérations

[18]     En 1997, il n'y a eu que deux achats importants; l'un se rapportait à environ 109 000 actions de Canoro lors de l'exercice des bons de souscription; l'autre se rapportait à l'exercice d'une option d'achat de 25 000 actions accordée aux employés. L'intimée allègue que cela montre dans une certaine mesure l'existence d'un « commerce » . Je ne vois pas les choses de la même façon. L'exercice d'une option d'achat d'actions ne démontre aucunement l'existence d'une entreprise qu'une personne exploite à titre de commerçant et n'entre tout simplement pas en ligne de compte dans cette décision. L'option est uniquement exercée dans le cas d'un employé et non d'un commerçant.

[19]     L'intimée s'est fondée sur l'exercice des bons de souscription, à un moment où les actions de la société étaient négociées à un prix qui correspondait au triple du prix d'exercice des bons de souscription, afin d'établir que M. Sandnes voulait tirer parti du marché dans le cadre d'un projet visant à lui permettre de réaliser un bénéfice. Elle met ainsi l'accent sur cette opération en tant qu'un genre de commerce isolé, ce qui n'est pas justifié. Les bons de souscription faisaient partie des actions acquises par M. Sandnes, en 1996, au moyen d'un placement privé. Il ne s'agissait pas d'une acquisition distincte en tant que telle. Qui n'exercerait pas un bon de souscription en pareilles circonstances? Il ne s'agissait pas d'une question de connaissances spéciales. Les bons de souscription devaient être exercés au plus tard le 4 juin 1997. M. Sandnes les a exercés à la fin du mois de mai 1997. Il aurait été fort insensé de ne pas le faire. Par conséquent, en déterminant jusqu'à quel point les opérations étaient fréquentes, je ne me fonde aucunement sur ces deux achats pour établir l'existence d'un commerce.

[20]     Quant à l'année 1997, il reste environ 23 ventes d'actions de Canoro. Le commerçant, par définition, est celui qui s'occupe d'achat et de vente. En 1997 du moins, M. Sandnes ne s'occupait effectivement que de vente. L'achat, comme il en a été fait mention, se rapporte principalement à la seule acquisition importante qui a été effectuée en 1996 en tant que placement privé. Ce placement privé n'était pas une opération isolée, mais il s'agissait de la principale acquisition d'actions de Canoro. Il semble y avoir eu quelques acquisitions mineures d'actions des sociétés remplacées et deux achats, en 1996, d'environ 30 000 actions dans chaque cas. Quant aux ventes, en 1997, d'environ 117 000 actions de Canoro, environ 60 000 actions ont été vendues en vue de permettre à M. Sandnes d'obtenir suffisamment d'argent pour exercer ses bons de souscription et l'option d'acquérir 134 000 actions additionnelles. M. Sandnes s'est effectivement fait rembourser une partie des sommes investies, de façon à procéder à ce placement. Le nombre d'actions détenues par M. Sandnes en 1997 est passé d'environ 220 000 actions à 232 000 actions.

[21]     Il reste un certain nombre de ventes d'actions conclues en 1997 en vue de satisfaire à d'autres besoins financiers de M. Sandnes. L'intimée soutient que cette vingtaine de ventes sont si fréquentes qu'elles indiquent l'existence d'un commerce. Je ne suis pas d'accord. Eu égard aux circonstances, ce nombre de ventes pourrait indiquer l'existence d'un projet comportant un risque, qu'on ne peut pas assimiler à un placement à long terme, mais la fréquence des ventes en soi, sans aucune autre marque de l'existence d'un commerce, ne démontre pas d'une façon déterminante l'existence d'un commerce.

Durée de possession des actions

[22]     La majorité des actions que M. Sandnes possédait dans Canoro ont été détenues pendant un certain nombre d'années plutôt que pendant un certain nombre de mois. À compter de l'acquisition du placement privé en 1996, un grand nombre d'actions ont toutefois été vendues sur une base continue au cours des deux ou trois années qui ont suivi. Le fait que les actions ont été détenues à court terme indique à première vue l'existence d'un commerce; toutefois, cela est selon moi davantage assimilable à un projet comportant un risque de caractère commercial ou au cas d'une personne qui se fait simplement rembourser les sommes investies.

Nature des titres et quantité de titres

[23]     Les titres qui étaient possédés étaient tous des titres de Canoro, la société pour laquelle M. Sandnes travaillait à temps partiel. M. Sandnes possédait moins de 5 p. 100 des actions émises de la société. Aucun principe ne donne à entendre qu'une personne ne peut pas être un commerçant s'occupant des titres d'une seule société, mais s'il s'agit de titres à faible liquidité, une telle idée a pour effet d'étendre considérablement la notion d' « exploitation d'une entreprise » . Encore une fois, cela indique davantage l'existence d'un projet comportant un risque - quelque chose qui ressemble à un commerce ou simplement un placement.

Le temps consacré

[24]     M. Sandnes consacrait son temps à l'exploitation d'une salle de quilles en Colombie-Britannique; il prenait uniquement un ou deux mois de congé pendant l'été. Il consacrait également son temps à aider dans le bureau de Canoro et à s'occuper des relations avec les actionnaires. Il consacrait peu de temps à la vente d'actions, à part les appels qu'il faisait à son courtier et à part le fait qu'il conseillait le président de la société. M. Sandnes n'avait pas d'expérience ou de formation sur les marchés financiers et, de toute évidence, il ne passait pas de temps à étudier le marché pour savoir à quel moment il convenait de conclure une vente. Le temps consacré à l'activité ne permet pas de conclure que M. Sandnes agissait à titre de commerçant ou même qu'il était engagé dans un projet comportant un risque.

Connaissances spéciales

[25]     M. Sandnes travaillait de fait à temps partiel chez Canoro, mais cela ne lui donnait pas pour autant une connaissance spéciale de la société, une connaissance telle qu'il pouvait prévoir la réaction du marché. Or, cette connaissance était un élément fondamental des remarques que le juge Noël a faites dans la décision Kane. Dans cette affaire-là, l'appelant était directement en cause en sa qualité de président responsable de l'entreprise minière de la société; de plus, il organisait les offres de financement public. Rien ne montre que les connaissances minimes que M. Sandnes possédait peut-être au sujet de l'entreprise aient de quelque façon contribué à son succès sur le marché financier, et encore moins à l'exercice d'une influence sur ce marché. M. Sandnes était un employé qui obtenait des actions au moyen d'options d'achat d'actions; au cours des premiers mois qui ont suivi la fusion, il a investi de l'argent au moyen d'un placement privé. Je ne puis constater l'existence d'une connaissance spéciale qui permettrait de classer M. Sandnes dans la catégorie des commerçants.

[26]     Il est important de s'éloigner de l'appréciation individuelle de chacun des facteurs susmentionnés et d'examiner la conduite de M. Sandnes dans son ensemble. La conduite de M. Sandnes était celle d'un employé à temps partiel qui acquiert des actions dans une nouvelle société publique à des fins de placement et comme source de financement. Même s'il s'est souvent fait rembourser une partie des sommes investies, M. Sandnes n'exploitait pas pour autant une entreprise s'occupant de l'achat et de la vente de titres. Au départ, M. Sandnes envisageait d'utiliser en partie les sommes qu'il avait investies dans Canoro à des fins de financement. Cela ne constitue pas un commerce en tant que tel, mais les nombreuses ventes qui ont été conclues pourraient être assimilées à des projets comportant un risque; toutefois, les projets comportant un risque de caractère commercial exigent un plus grand nombre d'achats et de ventes que ce que j'observe ici.

[27]     En l'espèce, le résultat qui convient est le suivant : la disposition des actions effectuée par M. Sandnes en 1997 ne devrait pas être imputée au revenu. L'analyse à laquelle j'ai procédé fait pencher la balance du côté de la conclusion selon laquelle la disposition est imputable au capital plutôt que du côté de la conclusion voulant qu'il existe un projet comportant un risque de caractère commercial. Les activités de M. Sandnes m'ont généralement donné l'impression qu'il s'agit d'un investisseur qui se fait régulièrement rembourser les sommes investies plutôt que d'une personne qui prend un risque de caractère commercial.

[28]     J'aimerais enfin faire des remarques au sujet des observations que les parties ont présentées par écrit après l'instruction. Initialement, après avoir procédé à l'analyse, j'ai conclu qu'il s'agissait d'un cas limite, non entre un commerçant et une personne disposée à prendre des risques, car je suis convaincu que M. Sandnes n'était pas un commerçant, mais entre un revenu tiré d'un projet comportant un risque de caractère commercial et un gain en capital provenant de la disposition des titres, soit une immobilisation. Il n'existait aucun doute au sujet des conséquences si je concluais que les dispositions étaient imputables au capital, mais à l'instruction les parties n'ont pas débattu à fond les conséquences si je concluais à l'existence d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Je ne voulais pas régler l'appel de M. Sandnes sans apprécier et soupeser pleinement les conséquences pratiques d'une conclusion voulant qu'il y ait projet comportant un risque. J'ai donc demandé aux avocats de soumettre des observations écrites au sujet de l'effet d'un jugement dans lequel il serait conclu que M. Sandnes était engagé dans un projet comportant un risque. Plus précisément, les parties devaient aborder une question pratique, à savoir si M. Sandnes pouvait produire une déclaration modifiée contenant le choix approprié. Cela a ouvert la porte à des opinions contradictoires, notamment pour ce qui est de la question de savoir s'il existe une doctrine de « l'erreur de bonne foi » sur laquelle M. Sandnes peut se fonder pour présenter un choix tardif. Dans l'arrêt Nassau Walnut Investments Inc. v. R.[8], le juge Robertson a dit que la doctrine de l'erreur de bonne foi est en gestation. La présente cour a-t-elle compétence pour ordonner à l'intimée d'accepter une déclaration modifiée, qui n'a pas encore été produite? La présente cour peut-elle présumer qu'un choix a été exercé, même s'il ne l'a pas été sur formulaire prescrit? Le contribuable a-t-il même le droit de produire une déclaration modifiée? (À cet égard, voir les remarques que le juge Archambault a faites dans la décision Lussier c. La Reine[9].) Les arguments des avocats montraient clairement que la conclusion selon laquelle il existait un projet comportant un risque de caractère commercial entraînerait l'absence d'entente au sujet des conséquences qui devraient découler d'une telle décision et ne ferait que susciter de l'incertitude et une myriade de questions complexes de droit, de compétence et d'équité. Puisque j'ai conclu que les dispositions effectuées par M. Sandnes ne doivent pas être assujetties à l'impôt au titre du revenu, et puisqu'une conclusion voulant qu'il y ait projet comportant un risque créerait de l'incertitude sur ce point, j'ai conclu que la balance doit pencher du côté de la disposition imputable au capital.

[29]     L'appel est admis et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour le motif que la disposition des actions de Canoro effectuée par M. Sandnes en 1997 était imputable au capital. Les dépens sont adjugés à l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mars 2004.

                  « Campbell J. Miller »                

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'avril 2005.

Jacques Deschênes, traducteur



[1]           93 DTC 5116.

[2]           Précité, aux pages 5119 et 5120.

[3]           94 DTC 6671.

[4]           Précité, aux pages 6674 et 6675.

[5]           2000 DTC 6690.

[6]           Précité, à la page 6694.

[7]           94 DTC 6276.

[8]           97 DTC 5051.

[9]           [2000] A.C.I. no 789.

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