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Dossier : 2002-1295(EI)

ENTRE :

HENRI ST-ONGE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

_______________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Edmond St-Onge (2002-1296(EI)) le 20 mai 2004, à New Carlisle (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Guy Cavanagh

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté, et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Dossier : 2002-1296(EI)

ENTRE :

EDMOND ST-ONGE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

_______________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Henri St-Onge

(2002-1295(EI)) le 20 mai 2004, à New Carlisle (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Guy Cavanagh

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté, et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2004CCI399

Date : 20040716

Dossier : 2002-1295(EI)

ENTRE :

HENRI ST-ONGE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET ENTRE :

Dossier : 2002-1296(EI)

EDMOND ST-ONGE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit de deux appels de déterminations datées du 7 mars 2002 relatives à l'assurabilité du travail des appelants pour le compte et au bénéfice de la société « 9091-3005 Québec Inc. » au cours des périodes du 10 juillet au 3 novembre 2000 et du 23 juillet au 26 octobre 2001 dans le cas de Henri St-Onge et du 10 juillet au 3 novembre 2000 ainsi que du 30 juillet au 2 novembre 2001 dans le cas de Edmond St-Onge.

[2]      Les parties se sont entendues pour procéder sur preuve commune. Les parties ont également convenu que la seule question à laquelle devait répondre le tribunal était celle de savoir si les appelants avaient, au cours des périodes en litige, contrôlé plus de 40 % des actions comportant droit de vote du payeur selon l'alinéa 5(2)b) de la Loi sur l'assurance-emploi ( « Loi » ).

[3]      L'alinéa 5(2)b) de la Loi se lit comme suit :

(2)b)     l'emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale.

[4]      En rendant sa décision, le ministre du Revenu national s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes :

Henri St-Onge - 2002-1295(EI) :

a)          Le payeur, constitué en société le 17 mai 2000, exploite une entreprise forestière.

b)          Le payeur exploite son entreprise du printemps à l'automne et obtient ses contrats de coupe de bois de la compagnie « Les Productions J.A.S. Inc. » .

c)          Au moment de l'incorporation, les actionnaires et administrateurs du payeur étaient :

L'appelant avec 35 % des actions votantes.

Edmond St-Onge avec 35 % des actions votantes.

Daniel St-Onge avec 15 % des actions votantes.

Patrick St-Onge avec 15 % des actions votantes.

*L'appelant et Edmond St-Onge sont frères.

d)          En date du 8 juin 2000, les administrateurs et actionnaires Daniel et Patrick St-Onge démissionnent et transfèrent prétendument leurs actions à M. Jean-Charles Leblanc, ami de Henri et Edmond St-Onge.

e)          En date du 8 juin 2000, le registre des actionnaires et administrateurs du payeur se lisait comme suit :

L'appelant, président avec 35 % des actions votantes.

Edmond St-Onge, vice-président, avec 35 % des actions votantes.

Jean-Charles Leblanc, administrateur avec 30 % des actions votantes.

f)           L'appelant et Edmond ont investi environ 20,000 $ chacun en machinerie et terres à bois dans l'entreprise du payeur alors que M. Leblanc n'a rien investi.

g)          L'appelant et son frère ont payé 35 $ par action pour les actions de catégorie « A votante » (35 actions chacun) alors que M. Leblanc n'a rien payé pour obtenir ses prétendues actions du payeur.

h)          L'appelant et son frère étaient les seuls à cautionner la marge de crédit de 10 000 $ du payeur.

i)           L'appelant et son frère étaient les seuls à posséder une procuration bancaire leur permettant de signer au nom du payeur.

j)           L'appelant et son frère étaient les seuls employés du payeur; M. Leblanc travaillait à plein temps comme concierge à la Polyvalente de Carleton.

k)          En 2000 et 2001, M. Leblanc n'a participé à aucune réunion d'actionnaires du payeur.

l)           Durant les périodes en litige, M. Leblanc a servi de prête-nom pour l'appelant et son frère qui étaient les 2 seuls actionnaires du payeur.

Edmond St-Onge - 2002-1296(EI):

a)          Le payeur, constitué en société le 17 mai 2000, exploite une entreprise forestière.

b)          Le payeur exploite son entreprise du printemps à l'automne et obtient ses contrats de coupe de bois de la compagnie « Les Productions J.A.S. Inc. » .

c)          Au moment de l'incorporation, les actionnaires et administrateurs du payeur étaient :

L'appelant avec 35 % des actions votantes.

Henri St-Onge avec 35 % des actions votantes.

Daniel St-Onge avec 15 % des actions votantes.

Patrick St-Onge avec 15 % des actions votantes.

*L'appelant et Henri St-Onge sont frères.

d)          En date du 8 juin 2000, les administrateurs et actionnaires Daniel et Patrick St-Onge démissionnent et transfèrent prétendument leurs actions à M. Jean-Charles Leblanc, ami de Henri et Edmond St-Onge.

e)          En date du 8 juin 2000, le registre des actionnaires et administrateurs du payeur se lisait comme suit :

Henri St-Onge, président avec 35 % des actions votantes.

L'appelant, vice-président, avec 35 % des actions votantes.

Jean-Charles Leblanc, administrateur, avec 30 % des actions votantes.

f)           L'appelant et Henri ont investi environ 20 000 $ chacun en machinerie et terres à bois dans l'entreprise du payeur alors que M. Leblanc n'a rien investi.

g)          L'appelant et son frère ont payé 35 $ pour les actions de catégorie « A » votantes (35 actions chacun) alors que M. Leblanc n'a rien payé pour obtenir ses prétendues actions du payeur.

h)          L'appelant et son frère étaient les seuls à cautionner la marge de crédit de 10 000 $ du payeur.

i)           L'appelant et son frère étaient les seuls à posséder une procuration bancaire leur permettant de signer au nom du payeur.

j)           L'appelant et son frère étaient les seuls employés du payeur; M. Leblanc travaillait à plein temps comme concierge à la Polyvalente de Carleton.

k)          En 2000 et 2001, M. Leblanc n'a participé à aucune réunion d'actionnaires du payeur.

l)           Durant les périodes en litige, M. Leblanc a servi de prête-nom pour l'appelant et son frère qui étaient les 2 seuls actionnaires du payeur.

[5]     Chacun des appelants a admis les alinéas a), b), c), d), e), h), i) et j) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel le concernant.

[6]     Pour s'acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombait, les appelants n'ont pas témoigné ni fait entendre de témoins, mais se sont bornés essentiellement à déposer un cahier de pièces regroupant les documents suivants (pièce A-1) :

·         Certificat de constitution de la société 9091-3005 Québec Inc.;

·         Formulaire de renseignements sommaires concernant la société 9091-3005 Québec Inc. en date du 17 mai 2000;

·         Avis relatif à l'adresse du siège social;

·         Démission de l'administrateur Patrick St-Onge

et démission de l'administrateur Daniel St-Onge

·         Transfert d'actions de Patrick St-Onge et Daniel St-Onge à Jean-Charles Leblanc en date du 8 juin 2000;

·         Transfert d'actifs et émission d'actions en faveur des appelants Henri St-Onge et Edmond St-Onge;

·         Contrat notarié relatif au transfert d'actifs;

·         Résolutions du conseil d'administration de 9091-3005 Québec Inc. relatif à l'achat d'une camionnette en date du 10 mai 2001;

·         Registre des administrateurs;

·         Registre des actionnaires;

·         Registre des transferts d'actions;

·         Certificats d'actions de la société 9091-3005 Québec Inc.;

·         Formulaire: État des informations sur une personne morale, informations générales.

[7]      Les appelants ont affirmé qu'il s'agissait là d'une preuve documentaire irréfutable établissant que le capital-actions de la compagnie employeuse était bel et bien réparti de la manière suivante pendant les deux périodes en litige :

Nom

Actionnaire

Henri St-Onge

35 %

Edmond St-Onge

35 %

Jean-Charles Leblanc

30 %

[8]      De son côté, l'intimé a fait témoigner Jean-Charles Leblanc, ainsi que messieurs Alain Landry et Jean Vézina, ces deux derniers ayant pris part à l'enquête de laquelle ont résulté les déterminations à l'origine des appels.

[9]      Monsieur Jean-Charles Leblanc, concierge à la Polyvalente de Carleton, a expliqué avoir rencontré les appelants, lesquels sont devenus ses meilleurs amis et ses compagnons de chasse, il y a une quinzaine d'années.

[10]     Jean-Charles Leblanc n'avait manifestement aucun désir de devenir actionnaire. Il a accepté de le devenir pour plaire à ses amis. Il a indiqué que l'appelant Edmond St-Onge l'avait pressenti aux fins de savoir s'il était intéressé à devenir actionnaire de la société 9091-3005 Québec Inc.

[11]     Monsieur Leblanc a affirmé avoir déboursé 30 $ pour l'achat des actions; il a aussi mentionné ne pas avoir de temps à consacrer aux affaires de la compagnie, ce qui l'intéresse étant plutôt l'avenir, c'est-à-dire sa future retraite.

[12]     Très peu loquace, monsieur Leblanc était manifestement mal à l'aise vis-à-vis des questions dont l'objectif était de faire ressortir l'intérêt qu'il pouvait avoir pour la compagnie, son degré de participation, mais aussi seulement ses connaissances élémentaires des affaires de la compagnie, dont il avait pourtant, suivant les registres, 30 % du capital-actions. Son témoignage a essentiellement mis en lumière qu'il n'était pas informé sur les affaires de la compagnie et ne s'y intéressait pas.

[13]     Les témoins Landry et Vézina ont, quant à eux, fait état du résultat de leur enquête effectuée au moyen de diverses rencontres et conversations téléphoniques.

[14]     L'intimé ayant produit au soutien de ses prétentions les rapports d'enquête communément appelés CPT110 (sous la cote I-2), je crois utile de reproduire un extrait de l'un de ces deux rapports et plus précisément la rubrique (v) relative aux faits - dossier Henri St-Onge (2002-1295(EI)) :

Les faits suivants sont tirés de la déclaration statutaire de l'appelant, Henri St-Onge en présence de l'enquêteur du CRHC de New-Richmond, Lucien Gignac, en date du 30 novembre 2001. (Onglet A)

Henri St-Onge a admis tous les faits ci-dessous indiqués lors de notre entretien téléphonique du 19 février 2002, sauf les corrections (en caractère [sic] gras) aux faits #1 et 4.

1.                   Au printemps 2001 (2000) nous avons formé une cie « 9091-3005 Québec inc. » Nous sommes trois (3) actionnaires de celle-ci, soit moi-même, mon frère Edmond St-Onge, Charles Leblanc de Maria.

2.                   Moi et mon frère avons 35 % des parts chacun et Charles Leblanc 30 %.

3.                   Le bureau de la compagnie est chez mon frère, Edmond à sa résidence privée à St-Alphonse.

4.                   Nous avons investi environ 20 000 $ chacun (Edmond et moi) en machinerie et terres à bois et cela fait partie de la compagnie.

5.                   Nous travaillons pour « Les Productions J.A.S. inc. » ; nous faisons la coupe de bois et sortons celui-ci avec des machines.

6.                   Les Productions J.A.S. inc. paie les salaires à la compagnie et celle-ci nous paie un salaire de 750 $ brut par semaine.

7.                   Les Productions J.A.S. inc. reçoivent de Terres et Forêts à Caplan les terres à couper et nous nous sommes fait embaucher par cette compagnie

8.                   Nous sommes seulement moi et mon frère Edmond qui reçoivent l'assurance-emploi, Charles Leblanc travaille à la Polyvalente de Carleton comme concierge. Il a seulement investi dans la compagnie.

9.                   Les surplus d'argent demeurent dans la compagnie (dividendes). Nous n'avons pas de contrat à long terme, seulement à court terme.

Les faits additionnels suivants ont été obtenus par l'appelant, Henri St-Onge lors de notre entretien téléphonique du 19 février 2002.

10.               L'appelant travaillait depuis plusieurs années à titre de salarié pour la compagnie Les Productions J.A.S. inc. L'actionnaire Adelbert Bernard l'avait informé que ça coûtait trop cher de CSST et autres frais. L'appelant devait s'incorporer pour continuer à travailler pour lui, c'est ce qu'il fît [sic] en s'incorporant.

11.               Jean-Charles Leblanc était devenu le troisième actionnaire parce que, selon le notaire, la loi disait que moins de 40 % des parts, l'appelant avait droit à son chômage.

12.               Le rôle de Jean-Charles Leblanc était d'être le 3ième actionnaire seulement. C'était seulement ça que ça prenait pour avoir du chômage. Il avait seulement investi 30 $ pour ses 30 actions.

13.               L'appelant travaillait soit comme bûcheron ou opérateur de machinerie forestière (Timberjack) et c'était fait en alternance avec son frère, Edmond, également actionnaire, afin de changer la routine.

14.               L'horaire de travail de l'appelant était décidé en commun accord avec l'autre actionnaire, Edmond St-Onge. C'était normalement du lundi au jeudi, de 6 h à 16 h et, le vendredi jusque vers midi ou plus, dépendant des réparations à la machine ou de décider de bûcher encore un peu pour totaliser 45 à 50 heures de travail par semaine.

15.               Le salaire de l'appelant était de 750 $ brut par semaine, soit ce qui se payait pour un travail semblable en forêt.

16.               L'appelant était toujours seul en forêt avec son frère Edmond, et ils travaillaient ensemble. Il y avait aussi Adelbert Bernard de Les Productions J.A.S. qui venait souvent en forêt constater visuellement les travaux et il pouvait dire, par exemple, où aller bûcher et constater ce qui avait été fait.

17.               Il n'y avait que les deux actionnaires Edmond et Henri St-Onge qui possédaient une procuration bancaire et qui recevaient un salaire du payeur. Il était payé par chèque. Edmond St-Onge possédait le chéquier du payeur.

18.               En plus de leurs actions payées 35 $ chacun [sic], Henri et Edmond St-Onge avaient investi dans la compagnie leur terre à bois « environ 9 500 $ » , un Timberjack ancien « 16 000 $ » et un nouveau « 40 000 $ » .

19.               C'étaient les deux actionnaires Henri et Edmond St-Onge qui endossaient la marge de crédit du payeur au montant de 10 000 $.

20.               Tout le matériel et l'équipement forestier comme, par exemple, la débusqueuse, les scies mécaniques et la camionnette appartiennent au payeur. Le tout est entreposé chez Edmond St-Onge lorsqu'il n'y a pas de travail.

21.               La mise à pied survient lorsque le payeur n'obtient plus de contrat de Les Productions J.A.S. inc.

22.               Le payeur opère normalement du printemps à l'automne et ça dépend des contrats obtenus par Les Productions J.A.S. inc.

23.               L'appelant voyait régulièrement les états financiers du payeur. Les actionnaires s'appellent une fois par année pour tenir l'assemblée annuelle. Le troisième actionnaire, Jean-Charles Leblanc, n'était pas souvent consulté, car ce n'était pas nécessaire. L'appelant et Edmond St-Onge travaillaient toujours ensemble et décidaient ensemble lorsqu'il y avait des problèmes.

Les faits suivants ont été obtenus de l'actionnaire, Edmond St-Onge, frère de l'appelant, Henri St-Onge, lors de notre entretien téléphonique du 19 février 2002.

Edmond St-Onge a réitéré tous les faits de l'appelant ci-haut mentionné.

Les faits suivants ont été obtenus de l'actionnaire, Jean-Charles Leblanc, lors de notre entretien téléphonique du 7 février 2002.

24.               Jean-Charles Leblanc n'a aucune idée des périodes d'emploi de l'appelant durant les années 2000 et 2001. De plus, il n'a aucun lien de parenté avec l'appelant.

25.               L'appelant était opérateur de machinerie lourde en forêt, soit un Timberjack.

26.               Jean-Charles Leblanc n'a aucune idée de l'horaire de travail de l'appelant, mentionnant que c'était de la noirceur du matin jusqu'à celle du soir. C'étaient les actionnaires Henri et Edmond St-Onge qui déterminaient leur horaire de travail, car c'étaient eux qui y travaillaient.

27.               L'appelant travaillait 10 heures par jour de 50 à 60 heures par semaine, du lundi au samedi selon le cas.

28.               Le salaire brut de l'appelant était entre 700 $ et 800 $ brut environ par semaine selon ce qui se paie pour du bois coupé en forêt.

29.               C'étaient Henri et Edmond qui signaient le chèque de paie de l'appelant et non Jean-Charles Leblanc. Il n'a jamais signé aucun chèque.

30.               Le matériel utilisé par l'appelant était le Timberjack et la camionnette qui appartenaient à la compagnie. Il y avait aussi dans la compagnie des scies mécaniques, une débroussailleuse; ça valait environ 50 000 $. Jean-Charles Leblanc ne savait pas si l'essence de la camionnette était remboursée.

31.               L'appelant avait investi de l'argent dans la compagnie. Jean-Charles Leblanc ne savait pas si l'appelant avait garanti personnellement des emprunts ou une marge de crédit de 10 000 $.

32.               Jean-Charles Leblanc ne savait pas si la période d'emploi correspondait aux revenus mensuels les plus élevés de la compagnie.

33.               Jean-Charles Leblanc était concierge à la Polyvalente de Carleton et il travaillait en soirée. Il ne faisait que ça dans la vie.

34.               Henri et Edmond St-Onge travaillaient toujours ensemble en forêt et c'était le donneur d'ouvrage Adelbert Bernard qui supervisait leur travail en forêt en se rendant en forêt.

35.               Jean-Charles Leblanc pense que l'appelant possédait une procuration bancaire; il pouvait signer les chèques de la compagnie.

36.               Le payeur exploitait une entreprise d'opération forestière qui était de nature saisonnière, soit normalement de juin à novembre selon les contrats obtenus.

37.               Il y avait 3 employés dans la compagnie dont seulement 2 étaient salariés, soit Edmond et Henri St-Onge. Jean-Charles Leblanc ne travaillait pas physiquement pour le payeur, il n'était qu'actionnaire seulement.

38.               Jean-Charles Leblanc n'avait aucune idée du chiffre d'affaires brut du payeur, il ne se tenait pas bien au courant des affaires du payeur. Il pensait qu'elle n'était pas à perte sans plus. Il ne savait aucunement la date d'incorporation du payeur.

39.               Jean-Charles Leblanc ne connaissait aucunement la date de fin d'exercice financier du payeur. Il n'avait jamais vu les états financiers du payeur. Il ne connaissait aucunement le nom du comptable du payeur et ne connaissait pas son mandat.

40.               Jean-Charles Leblanc ne savait aucunement qui était président, vice-président et secrétaire du payeur. Il pensait que Edmond et Henri St-Onge possédaient 45 % des actions et lui-même 10 %. Il ne savait pas la catégorie d'action qu'il possédait, ni celles qui avaient été émises et ni le nombre.

41.               Jean-Charles Leblanc n'a aucune idée de la mise de fonds des trois actionnaires. Il n'avait investi aucune somme d'argent pour acquérir ses actions. Elles lui avaient été données par Edmond et Henri et ça figurait comme ça dans les livres de la compagnie.

42.               Jean-Charles Leblanc avait fait une avance de 1 100 $ à Edmond St-Onge pour ses besoins personnels mais aucunement à la compagnie. Il ne savait pas si les deux autres actionnaires avaient fait des avances à la compagnie.

43.               Il n'y avait eu aucune assemblée des actionnaires. De plus, s'il y avait une décision importante à prendre en cours de travail ou autrement, c'étaient seulement Edmond et Henri St-Onge qui la prenaient. C'étaient seulement eux qui travaillaient.

44.               C'étaient uniquement Edmond et Henri St-Onge qui transigeaient avec la Caisse Populaire de St-Edmond. Jean-Charles Leblanc pensait que c'était Henri St-Onge qui avait le chéquier du payeur ou le comptable. Il n'était pas sûr à 100 %. Il ne savait pas combien de signature [sic] que ça prenait pour un chèque du payeur. Quant à lui, il n'avait pas le droit de signer.

45.               Jean-Charles Leblanc ne savait pas si le payeur avait des dettes. Il ne savait pas s'il y avait eu des dividendes de verser [sic] par la compagnie ou s'il y avait eu des gros achats en 2000 et 2001.

46.               C'étaient Edmond et Henri St-Onge qui entretenaient l'équipement de la compagnie. Le client du payeur était Adelbert Bernard qui possédait un moulin à scie, des droits de coupe et qui donnait à contrat le bois à couper à la compagnie. C'étaient eux Edmond et Henri St-Onge qui négociaient les contrats de coupe de bois.

47.               La raison pour laquelle Jean-Charles Leblanc était devenu actionnaire avec Edmond et Henri St-Onge, c'était parce qu'ils étaient ses meilleurs amis. Ils lui avaient proposé de devenir associé sans trop de risque en cas de faillite. Il n'avait mis aucune somme d'argent dans la compagnie et il n'y avait que ces deux-là qui en avaient mis.

48.               En réalité, il pouvait dire qu'il leur avait servi de prête-nom afin qu'ils puissent se partir une compagnie pour avoir des contrats de coupe de bois. Donc, c'était seulement pour les aider qu'il avait fait cela sans aucun risque financier. De plus, ça prenait 3 associés pour que la compagnie fonctionne.

[15]     Bien que le témoignage de monsieur Leblanc ait été très succinct et n'ait pas porté sur tous les aspects et éléments rapportés par les enquêteurs au dossier, le tribunal a pu constater une évidente cohérence entre leurs différents témoignages.

[16]     La question qui se pose est de savoir s'il suffit de constituer une compagnie et d'attribuer les actions de manière à ce que d'éventuels travailleurs actionnaires ne détiennent pas plus de 40 % pour que l'on puisse conclure que leur travail au bénéfice de la compagnie a été accompli en vertu d'un contrat de louage de services et est en conséquence assurable. S'agit-il essentiellement d'une question mathématique, la seule exigence étant la cohérence au niveau du livre des procès-verbaux et des divers registres?

[17]     Un actionnaire détenant 30 % du capital-actions d'une compagnie peut-il se désintéresser complètement des affaires de la compagnie ou agir comme s'il n'était pas actionnaire, donnant ainsi tacitement le contrôle de ses actions à un autre actionnaire ou à d'autres actionnaires, et cela, sans aucune incidence sur la question de l'assurabilité du travail exécuté par les autres actionnaires?

[18]     La constitution d'une personne morale peut-elle à elle seule rendre assurable un travail qui ne le serait pas autrement?

[19]     Pour qu'un travail soit assurable, il existe une condition essentielle et fondamentale: il doit exister un lien de subordination qui découle de la présence d'un pouvoir d'exercer un contrôle sur le travail. Il n'est pas nécessaire que ce pouvoir de contrôle soit utilisé ou appliqué, mais il doit réellement exister.

[20]     L'exigence selon laquelle une personne qui est actionnaire ne peut pas détenir plus de 40 % des actions d'une société si elle veut prétendre avoir exécuté un travail assurable au sein de l'entreprise dont elle est actionnaire découle très certainement de la notion incontournable du pouvoir de contrôle.

[21]     Le législateur a prévu une formule de partage du capital-actions de manière à ce qu'une seule personne ne puisse pas elle-même contrôler ses propres faits et gestes dans le cadre de son travail non pas en tant qu'actionnaire mais en tant que travailleur; en d'autres termes, le législateur a prévu un partage des actions qui est de nature à assurer la présence et l'existence d'un pouvoir de contrôle.

[22]     Il ne suffit donc pas de constituer une compagnie en attribuant moins de 40 % des actions avec droit de vote à chacun des travailleurs actionnaires pour qu'il y ait automatiquement détermination que leur travail est assurable.

[23]     Pour respecter la lettre et l'esprit de l'alinéa 5(2)b) de la Loi, il faut déterminer qui a le contrôle des actions avec droit de vote de la compagnie.

[24]     Il s'agit là d'une question mixte de droit et de fait. Aux termes de la jurisprudence, le contrôle administratif ou opérationnel de la compagnie n'est pas pertinent relativement à cette question.

[25]     Dans un premier temps, il faut déterminer qui est titulaire des actions. Ensuite, il faut voir s'il existe des entraves qui empêchent le titulaire d'exercer librement et de façon autonome son droit de vote. S'il n'existe pas d'obstacles, l'analyse se termine là.

[26]     En l'espèce, il n'y a pas d'équivoque quant aux titulaires des actions. Existait-il des entraves qui empêchaient monsieur Leblanc d'exercer librement et de façon autonome son droit de vote? Monsieur Jean-Charles Leblanc, a-t-il renoncé aux droits que lui conféraient les actions qu'il détenait aux termes des documents de la compagnie, ou les a-t-il cédés? En premier lieu, il n'était tout simplement pas au fait de ses droits. Ceux-ci ne le préoccupaient aucunement. Il avait consenti à ce que son nom soit utilisé, mais n'était pas en mesure de comprendre, de savoir quels étaient les droits et obligations qui en découlaient.

[27]     Il faisait confiance à ses amis et ne voulait pas les décevoir puisque cela semblait important pour ces derniers et que c'était sans conséquences pour lui-même. Ses amis, les appelants, messieurs Henri et Edmond St-Onge avaient indéniablement un ascendant tel sur monsieur Leblanc qu'il n'est pas exagéré de conclure que celui-ci avait à l'avance renoncé à l'exercice de son droit de vote.

[28]     Jean-Charles Leblanc était essentiellement actionnaire de complaisance pour permettre aux frères St-Onge de présenter une structure juridique telle qu'ils pourraient espérer voir leur travail jugé assurable alors qu'il ne l'aurait pas pu autrement.

[29]     Il s'agissait d'un montage dont l'objectif ultime était de rendre assurable un type de travail ayant fait l'objet de plusieurs décisions de la Cour fédérale établissant qu'il ne l'est pas. Je fais notamment référence à la décision Charbonneau c. Canada (M.R.N.), [1996] A.C.F. no 1337 (Q.L.), où l'honorable juge Décary de la Cour d'appel fédérale affirmait :

4           Par ailleurs, s'il est certain que l'appréciation de la nature juridique de relations contractuelles soit affaire d'espèce, il n'en reste pas moins qu'à espèces sensiblement semblables en fait devraient correspondre en droit des jugements sensiblement semblables. Aussi, lorsque cette Cour s'est déjà prononcée sur la nature d'un certain type de contrat, point n'est besoin par la suite de refaire l'exercice dans son entier: à moins que n'apparaissent dans les faits des différences vraiment significatives, le Ministre, puis la Cour canadienne de l'impôt ne devraient pas s'écarter de la solution retenue par cette Cour.

[...]

10         La surveillance des travaux aux deux jours et le mesurage du volume aux quinze jours ne créent pas en l'espèce de lien de subordination et sont tout à fait compatibles avec les exigences d'un contrat d'entreprise. Rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

11         Il en va de même des normes imposées en matière d'heures et de jours de travail, de jours fériés, de mode d'opération et de sécurité. Les normes sont communes à tous les travailleurs en forêt publique dont les activités sont « encadrées » par le ministère des Ressources naturelles. Elles s'appliquent peu importe que le travailleur soit un simple employé ou un entrepreneur.

[...]

[30]     Monsieur Leblanc n'a strictement rien investi dans la compagnie alors que les deux appelants y ont investi un montant considérable, soit 52 000 $, ce qui d'ailleurs a fait l'objet d'admissions.

[31]     Non seulement monsieur Leblanc n'a rien investi, mais il n'apportait à la société strictement rien qui soit de nature à compenser ou à justifier l'absence de mise de fonds. Détenir des droits de vote sous-entend la capacité de les exercer. Pour ce faire, il est essentiel que le titre de propriété relatif aux actions puisse conférer un minimum d'autorité.

[32]     En l'espèce, monsieur Leblanc n'avait rien déboursé; il ne connaissait manifestement rien des exigences quant aux activités économiques; pour ce qui est de se prévaloir des droits inhérents aux actions libellées à son nom, cela ne l'intéressait pas; il n'y avait rien qui l'incitait à le faire et il n'en avait pas la volonté. Ce qui l'intéressait, c'était essentiellement de ne pas déplaire à ses amis les frères St-Onge.

[33]     Les faits indiqués aux alinéas h), i) et j) de chaque Réponse à l'avis d'appel, reproduits précédemment, soulèvent très certainement des interrogations sérieuses quant au véritable statut de monsieur Leblanc. Dans les faits, il n'y a aucun doute que la compagnie était gérée, administrée et dirigée totalement et entièrement par les seuls appelants. Il ne s'agissait pas essentiellement d'un contrôle administratif et opérationnel; monsieur Leblanc n'exerçait dans les faits aucun droit de quelque nature que ce soit.

[34]     L'avocat des appelants, qui était d'ailleurs procureur inscrit au dossier dans l'affaire Sexton c. M.R.N., [1991] A.C.F. No 417 (Q.L.), a beaucoup insisté sur la pertinence de cette décision. Il s'est notamment appuyé sur l'extrait suivant :

    Celui qui a le contrôle administratif ou opérationnel d'une corporation ne contrôle pas nécessairement les actions de celle-ci; en fait, il arrive souvent, dans le monde moderne des affaires, que ceux qui sont chargés de la gérance d'une corporation détiennent peu ou pas du tout de ses actions.

[35]     Il s'agit là, certes, d'un élément fort important, mais il est tout aussi important de tenir compte du paragraphe précédent où l'honorable juge Hugessen affirme :

      La détermination du contrôle des actions donnant droit de vote dans une corporation est une question mixte de droit et de fait. Dans un premier temps, il faut déterminer qui est titulaire des actions; ensuite il faut voir s'il existe des circonstances entravant le titulaire dans l'exercice libre et autonome de son droit de vote et, le cas échéant, qui peut légalement exercer ce droit à la place du titulaire.

Le juge Hugessen poursuit plus loin comme suit :

                  Dans la présente espèce, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que les requérants, qui détenaient chacun dix-sept pour cent des actions votantes de la corporation, contrôlaient réellement cette dernière. Cette conclusion, si juste soit-elle, n'est aucunement déterminante quant au contrôle du droit de vote dans les trente-trois pour cent des actions détenues par chacun des enfants des requérants. En fait, comme le juge a lui-même déclaré, Michel et Charlène Sexton « étaient propriétaires et détenaient le pouvoir de jure de contrôler la nouvelle compagnie » et rien dans la preuve ne permettait de conclure qu'ils s'étaient jamais dépouillés de leur droit de vote dans les actions qui leur appartenaient ou avaient entravé de quelque façon que ce soit le libre exercice de ce droit.

[Je souligne.]

[36]     Si le législateur avait voulu atteindre par une disposition essentiellement mathématique le but visé, il n'aurait pas fait référence à la notion de contrôle.

[37]     L'alinéa 5(2)b) de la Loi fait en sorte que ne soient pas pénalisés des travailleurs effectuant du travail pour le compte et dans le cadre d'une petite entreprise dans laquelle ils détiennent des intérêts de par leur statut d'actionnaires.

[38]     C'est là un objectif évident de la disposition. Je ne crois cependant pas que cela donne un moyen de contourner ou d'éviter les autres exigences posées par la Loi sur l'assurance-emploirelativement à la notion de contrôle.

[39]     Dans l'état actuel du droit en matière d'assurabilité, le législateur assujettit l'assurabilité de tout travail à la présence d'un pouvoir de contrôle, y compris dans les dossiers où le travail est exécuté par les actionnaires de l'entreprise qui les engage.

[40]     En l'espèce, la structure juridique théorique respecte les dispositions de la Loi, de manière à créer une présomption que le travail exécuté par les appelants était assurable. Par contre, dans les faits, il est tout aussi évident que la participation de monsieur Leblanc à titre d'actionnaire était une participation de complaisance.

[41]     Non seulement ce dernier n'assumait aucunement la responsabilité découlant de sa qualité d'actionnaire, il est manifeste que sa décision de devenir actionnaire tenait essentiellement à son désir de plaire à ses amis, les appelants. Ces derniers avaient un ascendant tel sur monsieur Leblanc qu'il n'est pas du tout exagéré de conclure que, dans les faits, les appelants exploitaient une entreprise qu'ils dirigeaient et contrôlaient comme s'ils étaient les deux seuls actionnaires.

[42]     Dans les faits, les appelants exploitaient une entreprise conjointe; ils étaient les seuls maîtres à bord. Le genre de travail qu'ils exécutaient avait fait l'objet de plusieurs décisions à l'effet qu'il s'agissait d'un travail non assurable.

[43]     Ils ont donc constitué une société; ils y ont roulé les actifs importants dont ils étaient propriétaires. Pour prétendre d'exécuter un travail assurable, ils se devaient de diluer ou de répartir le capital-actions émis de manière à ne pas avoir 40 % des actions. Ils ont décidé d'y associer leur ami Jean-Charles Leblanc sachant qu'il n'oserait pas refuser de les accommoder et cela, sans être incommodant.

[44]     Ainsi, la structure mise en place constituait un trompe-l'oeil pour maquiller ce qui, dans les faits était essentiellement l'entreprise des appelants.

[45]     L'appel est donc rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2004CCI399

NosDES DOSSIERS DE LA COUR :

2002-1295(EI); 2002-1296(EI)

INTITULÉ DES CAUSES :

Henri St-Onge et Edmond St-Onge

et le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :

New Carlisle (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE

le 20 mai 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 16 juillet 2004

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :

Me Guy Cavanagh

Avocate de l'intimé:

Me Marie-Claude Landry

AVOCAT INSCRIT AUX DOSSIERS :

Pour les appelants :

Nom :

Étude :

Ville :

Me Guy Cavanagh

Cavanagh & Almeida

New Richmond (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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