Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2004-3244(EI)

ENTRE :

2972-2899 QUÉBEC INC. (MÉGANTIC MAZDA),

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

SERGE ROSA,

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 17 janvier 2005 à Sherbrooke (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocate de l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

Représentant de l'intervenant :

Alain Savoie

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli au motif que le travail exécuté par monsieur Serge Rosa, pendant de la période en question, est exclu des emplois assurables, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d'avril 2005.

Juge Bédard


Référence : 2005CCI85

Date : 20050407

Dossier : 2004-3244(EI)

ENTRE :

2972-2899 QUÉBEC INC. (MÉGANTIC MAZDA),

appelante,

Et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Et

SERGE ROSA,

intervenant.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bédard

[1]      Il s'agit d'un appel d'une détermination en vertu de laquelle le travail effectué par monsieur Serge Rosa du 1er janvier 2002 au 17 juillet 2003 pour le compte de 2972-2899 Québec Inc. (Mégantic Mazda), l'appelante, satisfait aux exigences d'un contrat de louage de services, et cela, malgré le lien de dépendance qui existait entre les parties.

[2]      Pour expliquer sa détermination, l'intimé s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

5.          Le ministre a déterminé que le travailleur exerçait un emploi auprès de l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services, en s'appuyant sur les présomptions de faits suivantes :

a)          l'appelante a été constituée en société le 4 mars 1993;

b)          l'appelante exploitait un concessionnaire automobile de marque Mazda;

c)          le conseil d'administration de l'appelante est composé de M. Normand Rosa (président), de madame Rollande Lessard Rosa (secrétaire) et du travailleur (vice-président);

d)          le travailleur occupait aussi le poste de directeur général de l'entreprise;

e)          les fonctions du travailleur consistaient à gérer toutes les activités quotidiennes de l'entreprise;

f)           au cours de la période en litige, l'appelante comptait 12 employés;

g)          les heures d'ouverture de l'appelante sont de 9 h à 21 h du lundi au vendredi et quelques fins de semaine par année dans le cadre de promotions particulières;

h)          le chiffre d'affaires de l'appelante se situait entre 6 et 8 millions de dollars par année au cours des années 2002 et 2003;

i)           la rémunération du travailleur s'élevait à 690 $ par semaine au cours de l'année 2002 et à 720 $ par semaine au cours de l'année 2003;

j)           le travailleur a aussi reçu un boni de 3 400 $ en 2002 et de 3 150 $ en 2003;

k)          dans le cadre de son travail, le travailleur utilisait l'équipement de bureau, le système informatique et une automobile fournis par l'appelante;

l)           le travailleur bénéficiait de la même assurance-groupe que les autres employés de l'appelante;

m)         les heures travaillées par le travailleur n'étaient pas comptabilisées mais s'élevaient à environ 50 heures par semaine;

n)          le travailleur n'avait aucun risque financier à encourir dans l'exercice de ses fonctions;

o)          les tâches du travailleur étaient intégrées aux activités de l'appelante.

6.          Le travailleur et l'appelante sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu car :

a)          Les trois actionnaires de l'appelante sont M. Normand Rosa avec 94,6 % des actions de l'appelante, le travailleur avec 4,5 % des actions de l'appelante et Mme Rollande Rosa avec 0,9 % des actions de l'appelante;

b)          M. Normand Rosa est le père du travailleur;

c)          Mme Rollande Rosa est la mère du travailleur;

d)          le travailleur fait partie d'un groupe lié qui contrôle l'appelante.

7.          Le ministre a déterminé aussi que le travailleur et l'appelante étaient réputées ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de cet emploi car il a été convaincu qu'il était raisonnable de conclure que le travailleur et l'appelante auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

a)          La rémunération du travailleur y compris les bonis et les avantages sociaux sont similaires à ce qu'aurait reçus un employé non lié compte tenu des responsabilités et de la performance du travailleur;

b)          les heures de travail du travailleur étaient régulières et non exagérées;

c)          le travailleur n'a cautionné personnellement aucun emprunt de l'appelante;

d)          les services rendus par le travailleur répondaient aux besoins de l'entreprise de l'appelante.

[3]      L'appelante a admis tous les faits énoncés aux paragraphes 5, 6 et 7 de la Réponse à l'avis d'appel à l'exception des faits énoncés aux alinéas 5g), 5n), 7a) et 7b) qu'elle a niés et des faits énoncés aux alinéas 5c), 5j) dont elle n'a pas tenu compte.

[4]      Il convient de souligner que le représentant de l'appelante a admis au début de l'audition que monsieur Serge Rosa exerçait un emploi auprès de l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services.

[5]      Il convient de rappeler que l'intimé a statué que cet emploi était assurable puisqu'il n'était pas visé par l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). En effet, monsieur Serge Rosa et l'appelante furent réputés en vertu de l'alinéa 5(3)b) de la Loi ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de cet emploi, l'intimé ayant été convaincu qu'il était raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, qu'ils auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[6]      La Cour d'appel fédérale a défini à plusieurs reprises le rôle confié par la Loi à un juge de la Cour canadienne de l'impôt. Ce rôle ne permet pas à un juge de substituer sa discrétion à celle du ministre du Revenu national (le « ministre » ), mais il emporte l'obligation de « vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, [...] décider si la conclusion dont le ministre était convaincu paraît toujours raisonnable. » [1]

[7]      En d'autres termes, avant de décider si la conclusion dont le ministre était convaincu me paraît toujours raisonnable, je dois, à la lumière de la preuve dont je dispose, vérifier si les allégations du ministre s'avèrent, malgré tout, bien fondées en tout ou en partie, compte tenu des facteurs mentionnés à l'alinéa 5(3)b) de la Loi. Il y a donc lieu de se demander si monsieur Serge Rosa et l'appelante auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[8]      L'appelante avait le fardeau de démontrer que le ministre n'avait pas exercé sa discrétion selon les principes applicables en la matière, c'est-à-dire de démontrer qu'il n'a pas examiné tous les faits pertinents ou qu'il n'a pas tenu compte de faits qui étaient pertinents. En ciblant des aspects vraiment importants de la preuve, l'appelante a cherché à démontrer que le lien de dépendance qu'elle avait avec monsieur Serge Rosa avait été déterminant en ce qui concerne la conclusion du contrat de travail en cause. Monsieur Serge Rosa et son père, monsieur Normand Rosa, le principal actionnaire de l'appelante, ont témoigné pour cette dernière. Leur témoignage était clair et m'est apparu très crédible. Je suis d'avis que leur témoignage a démontré très clairement que monsieur Serge Rosa avait joui pendant toute la période en cause de la majorité des droits et privilèges normalement réservés aux propriétaires d'une entreprise. À cet égard, la preuve a révélé ceci :

          i)         Monsieur Serge Rosa déterminait lui-même la durée et la date de ses vacances, durée et date qui ne dépendaient que de ses besoins personnels et des opportunités de voyage qui se présentaient à lui. Il avait bénéficié de l'équivalent de six et quatre semaines de congés payés en 2003 et 2004 respectivement.

          ii)        Les heures de travail de monsieur Serge Rosa n'étaient ni contrôlées, ni même comptabilisées.

          iii)       Monsieur Serge Rosa pouvait faire varier ses heures de travail à sa guise. Il pouvait s'absenter à tout moment et planifier son travail en fonction de ses préoccupations familiales et personnelles, et ce, indépendamment des besoins de l'appelante parce qu'il lui était loisible pendant ses absences de confier la bonne marche de l'entreprise à des employés de confiance. Somme toute, il déterminait lui-même son horaire de travail et ses tâches.

          iv)       Le travail de Serge Rosa n'était pas supervisé par qui que ce soit. Ses comptes de dépenses n'étaient pas vérifiés par qui que ce soit. En fait, monsieur Serge Rosa était l'âme dirigeante de l'appelante puisque son père était à la retraite. Le père ne prenait plus de décisions dans l'entreprise. Il s'informait verbalement à l'occasion auprès de son fils de la rentabilité de l'appelante. Monsieur Serge Rosa pouvait signer seul les chèques de l'appelante et, dans les faits, il avait été le seul signataire des chèques de l'appelante pendant la période en cause.

          v)        Le père n'aurait jamais accordé à une personne non liée les mêmes responsabilités et la même liberté d'action. D'ailleurs, si monsieur Serge Rosa avait quitté son emploi, le père aurait vendu l'entreprise de l'appelante.

vi)       Monsieur Serge Rosa avait prêté une somme de 15 000 $ en 2004 pour renflouer l'encaisse de l'appelante. Le père de monsieur Serge Rosa n'avait appris ce fait que très récemment. Il convient de souligner que l'avocate de l'intimé avait mis en doute, lors de sa plaidoirie, la crédibilité de monsieur Serge Rosa à cet égard, considérant que ce dernier n'avait pas déclaré ce fait à monsieur Martin Croteau, agent des appels, et qu'il n'avait déposé lors de l'audition aucune preuve documentaire pour appuyer son témoignage à cet égard. L'avocate de l'intimé a même souligné que, si ce fait avait été porté plus tôt à la connaissance de l'intimé, le présent litige n'aurait peut-être pas été porté devant la Cour. Le représentant de l'appelante, en réaction aux propos de l'avocate de l'intimé, m'a demandé de suspendre l'audition pendant environ une heure, le temps que l'appelante lui fasse parvenir la preuve documentaire pertinente pour appuyer le témoignage de monsieur Serge Rosa à cet égard, ce à quoi l'avocate de l'intimé s'est opposée puisqu'elle considérait que la preuve de l'appelante était alors close. Je tiens à souligner que je n'ai pas accédé à la demande du représentant de l'appelante puisque le témoignage de monsieur Serge Rosa et de son père m'avait convaincu que le fils avait bel et bien prêté à l'appelante une telle somme. L'offre du représentant de l'appelante de produire une telle preuve n'a fait que renforcer ma conviction à l'effet que monsieur Serge Rosa avait prêté une telle somme à l'appelante.

[9]      Qu'en est-il de la rémunération de monsieur Serge Rosa? L'intimé a allégué, dans la Réponse à l'avis d'appel, que la rémunération de monsieur Serge Rosa, y compris les bonis et les avantages sociaux, est similaire à ce qu'aurait reçu un employé non lié compte tenu des responsabilités et du rendement de ce dernier. Il me semble que l'intimé peut difficilement conclure ainsi à moins de se fonder sur des informations sur les salaires et les conditions d'emploi comparables au sein de la même industrie ou d'une industrie connexe. En l'espèce, l'intimé n'avait pas de telles informations. Tout au plus, l'intimé a examiné le salaire du père et l'a comparé à celui du fils et a conclu que la rémunération de monsieur Serge Rosa était raisonnable en comparaison de celle de son père. Comment l'intimé pouvait-il établir une telle comparaison étant donné que les responsabilités et les tâches du fils étaient totalement différentes de celles du père? Le père, il ne faut pas l'oublier, était à la retraite. Il convient de rappeler que monsieur Serge Rosa déterminait lui-même son salaire et qu'il décidait lui-même de la fréquence et de l'importance des bonis qu'il s'octroyait. Ces bonis étaient déterminés en fonction des besoins financiers de monsieur Serge Rosa et non pas nécessairement en fonction de son rendement. Est-ce qu'un employé non lié aurait joui en l'espèce de tels privilèges qui sont normalement réservés aux propriétaires d'une entreprise?

[10]     En l'espèce, la détermination qu'un tiers aurait pu bénéficier d'un contrat de travail à peu près semblable n'était pas justifiée par les faits. Conclure que monsieur Serge Rosa et l'appelante auraient convenu entre eux d'un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance est tout simplement déraisonnable et sans fondement. La prépondérance de la preuve est à l'effet que les conditions de travail de monsieur Serge Rosa, dans leur ensemble, étaient beaucoup plus comparables à celles d'un propriétaire d'entreprise qu'à celles d'un employé.

[11]     Le travail de monsieur Serge Rosa étant assujetti aux dispositions de l'alinéa 5(2)i) de la Loi, il doit être exclu des emplois assurables et l'appel doit être accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d'avril 2005.

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :

2005CCI85

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-3244(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

2972-2899 Québec Inc. (Mégantic Mazda) et M.R.N. et Serge Rosa

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 17 janvier 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Paul Bédard

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 avril 2005

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocate de l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

Représentant de l'intervenant :

Alain Savoie

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

Pour l'intervenant :

Nom :

Étude :



[1]           Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 (Q.L.) paragraphe 4.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.