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Dossier : 2000-4673(IT)G

ENTRE :

LES PRODUITS POUR TOITURES FRANSYL LTÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu les 13 et 14 septembre 2004, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Serge Fournier

Avocate de l'intimée :

Me Anne Poirier

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JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition se terminant le 31 mai 1995 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Edmunston, Nouveau Brunswick, ce 31e jour de mars 2005.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2005CCI122

Date : 20050331

Dossier : 2000-4673(IT)G

ENTRE :

LES PRODUITS POUR TOITURES FRANSYL LTÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      Il s'agit d'un appel d'une nouvelle cotisation établie le 17 mai 1999 pour l'année d'imposition se terminant le 31 mai 1995. L'appelante a renoncé à invoquer la prescription de la période normale de nouvelle cotisation, qui s'est produite le 10 novembre 1998. Les Produits pour Toitures Fransyl ltée (ci-après « Fransyl » ) a réclamé des dépenses de loyer de 1 865 726 $ pour l'année d'imposition en litige. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé ce montant et a fixé la dépense à 545 525 $ au motif que le montant réclamé n'était pas raisonnable dans les circonstances au sens de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2]      Les dépenses de loyer réclamées par Fransyl et qui sont en litige visent trois immeubles situés au 671 à 698, rue Leveillé, à Terrebonne ( « rue Leveillé » ), au 8650, rue Le Creusot, à Ville St-Léonard ( « Le Creusot » ) et au 3015, rue Francis-Hugues, à Laval ( « Francis-Hugues » ). Les immeubles de la rue Leveillé et de Le Creusot, aux fins des années d'imposition 1994, 1995 et 1996, appartenaient à la société 2859-2699 Québec inc. (ci-après « 2699 » ), et l'immeuble Francis-Hugues, durant les mêmes années, appartenaient à la société 2859-2996 Québec inc. (ci-après « 2996 » ). Il est admis que l'appelante et les sociétés 2699 et 2996 sont des sociétés liées au sens de la Loi.

[3]      Il est également admis par Fransyl que les dépenses de loyer qu'elle a réclamées durant l'année précédant celle en litige, durant l'année en litige et durant l'année subséquente à celle en litige se chiffrent à 669 000 $, à 1 865 726 $ et à 609 000 $ respectivement. Le litige porte donc sur cette hausse des loyers en 1995.

[4]      Fransyl a vu le jour en 1982. Ses activités à l'époque étaient la vente de matériaux pour toitures et de produits d'isolation. Elle a installé ses opérations au 8610, rue Le Creusot. En septembre 1983, J.C.M. et associés (ci-après « J.C.M. » ), une société en nom collectif dont les associés sont les frères Jean Claude, Léo Guy, Jocelyn et Régis Morrissette, s'est portée acquéresse du 8650, rue Le Creusot, et Fransyl loue cet immeuble depuis lors. Jean-Claude Morrissette est président et directeur général de Fransyl depuis le début. Ses frères et lui ont été actionnaires jusqu'en 1992. Il a été le seul à témoigner pour l'appelante. Selon lui, le nouvel emplacement était stratégique en raison de sa proximité à leur ancien établissement et au boulevard Métropolitain dans l'Est de la ville de Montréal. Fransyl a connu une expansion assez importante au fil des années de sorte qu'à partir de 1992, ses activités étaient divisées à l'interne en six catégories et des ventes brutes étaient attribuées à chaque catégorie.

Le Creusot

[5]      Le Creusot est un immeuble de 15 000 pieds carrés avec une cour extérieure d'environ 10 000 à 15 000 pieds carrés. Jusqu'en 1985, c'était le seul établissement commercial de Fransyl. L'immeuble a connu des modifications au cours des années. Selon Jean-Claude Morrissette, il est le « centre moteur » des activités de Fransyl. Toute la vente et le marketing se fait à partir de Le Creusot. Il y a beaucoup de locaux à bureaux pour les vendeurs et il y a aujourd'hui près de 35 employés qui y travaillent. La cour extérieure sert d'entrepôt; on y trouve des stocks assez importants. Les clients peuvent venir y chercher leurs commandes.

[6]      Le bail pour cette propriété a été signé le 4 mai 1983. Il est d'une durée de trois ans. Le loyer est de 151 200 $ pour la durée (soit 50 400 $ par année), plus une prime de loyer annuelle égale de 1 % des ventes brutes de Fransyl, plus les taxes foncières. Même si le bail ne comprend pas de clause de renouvellement, il fut renouvelé le 1er mai 1986 pour une durée d'un an, et ainsi de suite jusqu'en avril 1995. Le 4 juin 1987, une modification fut apportée pour que le loyer passe à 153 000 $ pour trois ans (même s'il s'agit d'un renouvellement d'un an), plus 1 % des ventes de matériaux pour toitures seulement, plus les taxes foncières. À partir du 1er juillet 1991, les renouvellements sont signés par 2699, qui est devenue propriétaire de cet immeuble en 1991. Le renouvellement pour la période du 1er mai 1993 au 30 avril 1994 prévoit le même loyer, mais la prime de 1 % est calculée selon les ventes des divisions 1 et 4 de Fransyl. Lors du renouvellement par la période du 1er mai 1994 au 30 avril 1995, le pourcentage des ventes brutes des divisions 1 et 4 grimpe à 7 % et à 6 % respectivement.

[7]      Un rapport d'expert déposé par l'intimée établit la juste valeur marchande locative de cet immeuble à 50 875 $. Ce résultat a été obtenu en utilisant la technique de la parité comme méthode d'évaluation. Les baux retenus aux fins de comparaison utilisent un loyer hypernet fixe par pied carré, net net net, c'est-à-dire que le locataire assume l'ensemble des frais d'exploitation. Les baux dans les secteurs industriels ont des termes variant de 3 à 10 ans.

Rue Leveillé

[8]      En 1986, J.C.M. se porte acquéresse de l'immeuble de la rue Leveillé. Il s'agit d'un immeuble d'environ 60 000 pieds carrés sur un grand terrain. Les quatre frères achètent de l'équipement servant à la fabrication de polystyrène expansé. Il s'agit d'un investissement important nécessitant un édifice à l'épreuve d'explosions, doté d'une bonne ventilation et ayant une source d'énergie de qualité supérieure. Toutes ces installations ont été terminées en juillet 1986. Aux fins commerciales, le produit fabriqué est appelé Izolon. Selon M. Morrissette, c'était l'usine la plus performante, la plus informatisée et la plus mécanisée en Amérique du Nord; son taux d'efficacité dépassait de 25 % à 30 % celui des autres usines.

[9]      Toutes ces installations ont également entraîné des coûts additionnels afin de satisfaire les exigences des assureurs. Il a fallu doubler le nombre de gicleurs et installer des pompes à eau afin d'assurer un débit suffisant en cas de sinistre. Une garantie d'assurance temporaire est venue s'ajouter au coût. Aucune pièce justificative n'a été déposée en preuve mais selon le témoin Morrissette, le tout aurait coûté entre 300 000 et 400 000 dollars.

[10]     En 1987, J.C.M. a doublé la grandeur de l'immeuble dans le but d'entreposer d'avance le produit Izolon et les autres matériaux de toiture et les isolants. Cela permettait à Fransyl d'entreposer et d'acheter des stocks à meilleur prix durant les périodes mortes. En 1988, J.C.M. a construit un autre immeuble de 20 000 pieds carrés au sud de Leveillé, soit le 655, rue Leveillé, qui est utilisé par la division IPM pour fabriquer de l'isolant pente modulaire, un système de drains fabriqué par Fransyl. Durant les années 1993, 1994 et 1995, il a fallu faire installer une entrée électrique par Hydro-Québec et, il a fallu en 1998 augmenter les chaudières pour satisfaire les besoins en énergie de Fransyl. En 1993 et 1994, Fransyl utilisait 700 000 pieds carrés de terrain à la rue Leveillé. Selon M. Morrissette, en 1994, il y avait sur le terrain un inventaire d'une valeur de 7 à 8 millions de dollars, 50 à 75 camions, des remorques, des grues et une quantité énorme de bardeaux d'asphalte, de fibre de bois et autres.

[11]     Selon l'expert de l'intimée, il s'agit d'un terrain de 286 094 pieds carrés sur lequel on retrouve un immeuble de 124 000 pieds carrés. La valeur marchande locative d'un tel immeuble s'élève à 3,25 $ hypernet le pied carré, ce qui donne un loyer de 403 130 $. Le parc industriel où se trouve l'immeuble est près des principales autoroutes. Il est intéressant de noter, le 22 janvier 1998, l'enregistrement d'un nouveau bail conclu par Fransyl et la société « Réjeanjo » , le nouveau propriétaire de Leveillé et une société liée à Fransyl. Le loyer de base annuel est de 299 400 $, sans prime selon les ventes de Fransyl.

[12]     Le premier bail pour Leveillé a été signé par J.C.M. et Fransyl le 3 août 1987, pour une durée de 5 ans au prix de 29 000 $ par mois, plus les taxes foncières applicables à l'immeuble, sous réserve d'une augmentation annuelle égale au taux d'inflation selon Statistique Canada. Le bail ne comprend pas de clause de renouvellement et indique que Fransyl est responsable de payer ses charges d'exploitations telles que l'électricité, le chauffage, les assurances et autres. Le paiement du loyer doit se faire mensuellement et un rajustement est prévu à la fin de chaque année, en août. Une clause stipule que le bail est subordonné à l'hypothèque, de sorte qu'un nouveau propriétaire doit respecter le bail. Le 21 septembre 1990, les mêmes parties ont signé un addendum qui prévoit le même loyer mensuel fixe plus les taxes foncières et, à compter du 1er    septembre 1990, l'ajout d'une prime annuelle égale à 1 % des ventes brutes de Fransyl, division des ventes d'Izolon, soit la division 2. Le bail fut renouvelé en août 1992 pour une année additionnelle aux mêmes conditions, sauf que le nouveau propriétaire est maintenant 2699. Un deuxième renouvellement en août 1993 indique un loyer mensuel de 29 000 $ pour le 671 Leveillé et de 9 000 $ pour le 669 Leveillé, plus une prime d'au plus 5 % des ventes de la division 2. Au renouvellement suivant, soit celui visant l'année en litige, le loyer mensuel des deux immeubles reste le même, sauf que la prime d'au plus 12 % des ventes de la division 2 de Fransyl.

Francis-Hugues

[13]     L'immeuble Francis-Hugues appartient jusqu'en 1991, à une société en nom collectif dont les associés sont les frères Léo Guy, Jocelyn et Régis Morrissette. Selon M. Morrissette, c'est un immeuble d'environ 8 000 pieds carrés qui sert à entreposer l'excès de stocks, surtout les achats faits durant l'hiver. Aucun bail n'a été produit pour cette location, sauf qu'on reconnaît qu'un pourcentage des ventes était payé comme prime en plus du loyer de base.

[14]     L'expert de l'intimée le décrit comme étant un immeuble de 10 170 pieds carrés sur un terrain de 41 839 pieds carrés et qui sert d'atelier de réparation mécanique et de bureaux. Il évalue sa valeur marchande locative à 40 680 $ par année sur une base hypernette. Il n'y a aucun historique des conditions de location conclues par les parties. La société 2996 en est devenue propriétaire en 1991.

[15]     Fransyl a connu, depuis son début, une augmentation assez considérable de son chiffre d'affaires. De plus, au cours des années, elle a ouvert des bureaux à Québec, à Ottawa et au Nouveau-Brunswick. Elle a ajouté à ses activités la vente d'équipement et d'outils et la fabrication de caisses à fleurs. Elle a atteint en 2003 des ventes annuelles de plus de 40 millions de dollars.

[16]     La situation financière des frères Morrissette n'a toutefois pas connu la même ascension. En plus d'investir dans l'immobilier, ils ont décidé de faire de la diversification dans d'autres domaines. C'est ainsi que durant les années 1988, 1989 et 1990, ils ont investi de l'argent et ont garanti personnellement et par le biais de Fransyl le financement de plusieurs projets. Selon M. Morrissette, il s'agit d'investissements importants, de l'ordre de plusieurs millions de dollars. En 1988, ils ont construit le « Complexe du Parc » à St-Félicien, au lac St-Jean, et en 1989, l'Hôtel du Jardin au même endroit. Durant la même année, ils investissaient dans le Motel du Canada, près de Drummondville (Québec). Sans préciser le montant des mises de fonds des frères Morrissette et le pourcentage du financement par rapport au coût des projets, qu'il me suffise de dire que les trois projets, selon M. Morrissette, dépassaient 16 millions de dollars.

[17]     En 1990, selon M. Morrissette, les problèmes ont commencé. Les taux d'intérêt élevés, les coûts supplémentaires de l'un des projets, une grève des employés et des difficultés d'exploitation ont tous contribué à rendre difficile, sinon impossible, la rentabilité de ces projets. Fransyl a donc été informée en avril 1991 que les crédits que lui accordait son institution financière n'allaient pas être renouvelés. La banque a toutefois accepté de reporter au 31 octobre 1991 la mise à exécution de ce refus. La marge de crédit a finalement été réduite de moitié au début 1992, mais renégociée par la suite.

[18]     Devant toutes ces difficultés financières, les frères Morrissette ont acheté les intérêts d'un dénommé Roger Ménard et ont par la suite procédé à une réorganisation assez importante de la société. La présentation de cette réorganisation par le vérificateur de l'intimée et qui apparaît à l'onglet 6 de la pièce I-1 n'est pas contestée par Fransyl. Jean Claude Morrissette tient à préciser que cette réorganisation n'a pas été planifiée en vue de permettre à lui et à ses frères de faire faillite, contrairement aux prétentions du vérificateur.

[19]     Les frères Morrissette étaient donc les actionnaires de Fransyl à parts égales et étaient également actionnaires d'une société appelée Placement Promega inc. ( « Promega » ). Le témoin Jean Claude Morrissette détient 91 % des actions de cette dernière société et ses frères Léo Guy, Régis et Jocelyn ont chacun 3 %. Ils ont donc constitué une société canadienne à dénomination numérique, soit 2713306 Canada inc. ( « 2713306 » ), dont les actions étaient détenues à 80 % par Jean Claude Morrissette et à 6,66 % par chacun des trois autres frères. La société 2713306 est par la suite devenue propriétaire à 100 % des actions de Fransyl et de Promega.

[20]     Le 5 juin 1991, de nouvelles actions de la 2713306 ont été émises à parts égales à quatre nouveaux actionnaires non liés aux frères Morrissette, soit quatre employés de Fransyl, et leurs actions ont été annulées la même journée.

[21]     Le 18 juin 1991, les frères Leo Guy, Jocelyn et Régis Morrissette ont constitué les sociétés 2996 et 2699 et en sont devenus les actionnaires. Le 25 juin 1991, les titres de propriété de Le Creusot et de Leveillé sont transférés à 2699 par J.C.M. et Francis-Hughes est transféré à 2996 par les trois frères propriétaires. Sont transférés également à ces deux sociétés des titres de créance. La contrepartie est constituée de billets remboursables à vue et de 1 000 actions de catégorie A de chacune des sociétés. Le 26 juin 1991, les actions des frères Morrissette dans les sociétés 2996 et 2699 sont transférées à 2713306 en contrepartie d'actions de catégorie A et G. À cette même date, 4 000 actions de catégorie A sont émises aux quatre nouveaux actionnaires de 2713306 et les 4 000 actions de catégorie A détenues par les frères Morrissette sont annulées.

[22]     Le résultat final de cette réorganisation a été que les quatre actionnaires à parts égales de 2713306 sont les quatre employés de Fransyl et que 2713306 détient 100 % des actions de Fransyl, de Promega, de 2996 et de 2699.

[23]     Selon le vérificateur de l'intimée, M. Clément Perron, 2996 a déclaré des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise ( « P.D.T.P.E. » ) de 557 477 $ et de 297 956 $ pour ses années d'imposition 1993 et 1994 respectivement. La société 2699 en a fait de même pour des montants de 212 560 $ et 984 787 $ respectivement pour les deux mêmes années. En 1995, 2996 a déduit toutes les P.D.T.P.E. subies en 1993 et 1994 de ses revenus de location payés par Fransyl, et 2699 a fait de même.

[24]     M. Morrissette témoigne que, de 1991 à 1995, ses efforts visaient à sauver Fransyl des difficultés financières qu'elle éprouvait et de retarder la mise à exécution de saisies en raison de ses engagements financiers et des cautions qu'elle avait données. M. Morrissette dit avoir réussi à calmer les institutions financières en proposant à celles-ci de majorer le loyer que payait Fransyl. De cette façon, 2699 et 2996 n'avaient pas à changer d'institution financière; ils payaient les retards et tenaient leurs promesses. Fransyl n'avait pas à risquer un déménagement. Selon M. Morrissette, Fransyl ne pouvait pas se permettre de quitter les lieux qu'elle occupait. Selon lui, il était impossible de déménager car il en aurait coûté 1 000 000 $ au minimum, et peut-être plus. C'est ainsi que les loyers ont été renégociés à la hausse de sorte que la prime payable selon les ventes de Fransyl dans les divisions concernées soit plus élevée, selon les détails décrits ci-dessus. Toujours selon M. Morrissette, cette augmentation du loyer a permis à 2699 et à 2966 de respecter les ententes avec les institutions financières.

[25]     Les états financiers de Fransyl pour l'exercice terminé le 31 mai 1995, qui ont été déposés en preuve, font état du fait qu'à la fin de l'exercice en question, le loyer dû par Fransyl n'avait pas encore été payé. En effet, dans le passif à court terme, on peut lire à la note 8 que le loyer à payer à des sociétés liées est de 1 775 467 $.

[26]     Clément Perron est le vérificateur de l'intimée. Sa vérification de l'appelante fait suite à celle qu'il avait entreprise pour les sociétés 2699 et 2996, principalement en rapport aux P.D.T.P.E. subies en 1993 et 1994 et « épongées » en totalité en 1995. Il a constaté que les revenus locatifs de 1995 ont permis aux deux sociétés de déduire les P.D.T.P.E. Après avoir examiné les procès-verbaux de Fransyl et des deux sociétés à dénomination numérique, il a reconstitué la réorganisation sociale telle que décrite ci-dessus. La réorganisation était devenue nécessaire, selon une conversation avec le comptable de Fransyl, pour mettre à l'abri les immeubles et les placements et non pas pour avoir droit aux P.D.T.P.E. Selon le comptable, il fallait aussi sauver Fransyl.

[27]     Monsieur Perron a donc tenté de réconcilier les baux avec le loyer payé pour les années 1994, 1995 et 1996, et seule l'année 1995 n'était pas réconciliable. C'est alors qu'il a demandé à un expert d'évaluer la juste valeur marchande locative des trois immeubles pour l'année 1995. Cette expertise a établi la juste valeur marchande locative des trois immeubles à 545 525 $ au total. Il a donc conclu que la dépense réclamée n'était pas raisonnable dans les circonstances. Il a reconnu en contre-interrogatoire que son ministère a refusé les P.D.T.P.E. réclamées par 2699 et 2996, de sorte qu'elles n'ont pu être « épongées » .

[28]     La question en litige est donc celle de déterminer si le loyer payé par Fransyl au cours de l'année d'imposition 1995 à 2699 et à 2996, deux sociétés liées, constitue une dépense raisonnable dans les circonstances.

[29]     La position soumise par l'avocat de Fransyl repose sur le fait qu'en l'espèce, la seule décision d'affaires juste et raisonnable que pouvait prendre Fransyl dans les circonstances était de payer un loyer additionnel de façon à éviter que d'importantes dépenses de déménagement n'aient à être engagées, en raison des situations financières de Fransyl, de 2699 et de 2996 et afin d'éviter par le fait même de mettre en péril l'ensemble des activités de Fransyl. Ce sont effectivement les circonstances qui sont propres à un dossier qu'il faut analyser pour déterminer une juste valeur marchande locative dans le contexte d'une opération entre personnes liées. L'appelant cite les arrêts Gabco Limited c. M.R.N., 68 DTC 5210, et Denis Morneau c. La Reine, 98 DTC 2199 à l'appui de ses prétentions. Il soutient qu'un homme d'affaires raisonnable placé dans les mêmes circonstances que Fransyl aurait accepté d'assumer les mêmes loyers et qu'une telle décision aurait constitué une décision sage et justifiée dans les circonstances. À la lumière des faits en l'espèce, il soutient que ces dépenses étaient non seulement raisonnables, mais qu'elles étaient aussi nécessaires.

[30]     De son côté, l'avocate de l'intimée soutient qu'il n'existe dans cette instance aucune circonstance particulière pouvant justifier d'augmenter du triple le loyer en 1995 par rapport à l'année précédente et à l'année suivante. Elle soutient que les évaluations de l'expert démontrent que la valeur raisonnable et objective de location pour l'année 1995 est celle fixée par l'expert, soit 545 525 $, et que les explications avancées par Fransyl sont insuffisantes. Cette augmentation a été réalisée dans le but d'éponger les P.D.T.P.E. subies en 1993 et 1994 et de permettre aux frères Morrissette d'éviter la perte des immeubles et des placements qu'aurait entraîné une faillite. Elle appuie ses prétentions sur les arrêts Mohammad c. Canada, [1998] 1 C.F. 165, et Global Communications Ltd. c. Canada, [1999] A.C.F. no 966, deux décisions de la Cour d'appel fédérale.

[31]     La jurisprudence sur laquelle reposent les arguments des avocats et qui constitue un point de départ relativement à l'article 67 de la Loi est souvent reprise par les tribunaux. La juge Sharlow de la Cour d'appel fédérale a récemment fait référence à ces arrêts dans Petro-Canada c. Canada, 2004 DTC 6329, 2004 CAF 158, no A-2-03, 23 avril 2004. Je reproduis ici les paragraphes 62 à 64 :

[62] La décision de principe sur le prédécesseur de l'article 67 est l'arrêt Gabco Limited c. Ministre du Revenu national, [1968] 2 R.C.É. 511, [1968] C.T.C. 313, 68 D.T.C. 5210 (C. Éch.). Dans cette affaire, le juge Cattanach avait exposé le critère suivant pour l'application de cette disposition :

[TRADUCTION] Il ne s'agit pas pour le ministre ou pour la Cour de substituer son jugement à ce qui constitue une somme raisonnable à payer, mais il s'agit plutôt pour le ministre ou la Cour d'arriver à la conclusion qu'aucun homme d'affaires raisonnable ne se serait engagé à payer une telle somme en n'ayant à l'esprit que les considérations commerciales de l'appelante.

[63] L'article 67 a été étudié par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mohammad c. Canada (C.A.), [1998] 1 C.F. 165, [1997] 3 C.T.C. 321, 97 D.T.C. 5503. Il s'agissait de la déductibilité d'intérêts payés par une personne sur un emprunt qui avait servi à financer la totalité du prix d'achat d'un bien locatif. S'exprimant pour la Cour, le juge Robertson avait écrit, au paragraphe 28 :

[28] Quand on évalue le caractère raisonnable d'une dépense, on mesure ce caractère raisonnable en termes de grandeur ou de quantum. Bien qu'une telle décision puisse faire intervenir un élément d'appréciation subjective de la part du juge des faits, il faut toujours rechercher un élément objectif. Quand on traite des dépenses d'intérêt, la tâche peut être objectivée assez facilement. Par exemple, le ministre aurait pu contester le montant des intérêts payés sur le prêt de 25 000 $, si le contribuable avait accepté de payer des intérêts excédant les taux du marché. Le caractère raisonnable des frais d'intérêt peut donc être mesuré objectivement, c'est-à-dire par rapport aux taux du marché. [...]

[64] Comme la valeur, le caractère raisonnable est une question de fait. En l'espèce, c'est un fait sur lequel le juge n'a tiré aucune conclusion. Sans doute est-il vrai, comme on l'a vu dans l'affaire Mohammad, que le fait de payer la juste valeur marchande de quelque chose est à première vue raisonnable, mais il m'est impossible de me ranger à l'avis de la Couronne pour qui il en découle que le fait de payer davantage que la juste valeur marchande est nécessairement déraisonnable. Il peut y avoir des cas où la décision de payer quelque chose davantage que sa juste valeur marchande est une décision raisonnable. Compte tenu du critère exposé dans l'arrêt Gabco, je ne suis pas persuadé que la présente affaire se prête à l'application de l'article 67.

[32]     L'article 67 de la Loi est formulé comme suit :

67. Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

[33]     Selon l'affaire Gabco, précitée, les considérations d'affaires doivent être celles de Fransyl. Est-ce qu'une personne d'affaires raisonnable aurait engagé de telles dépenses n'ayant en tête que ses préoccupations d'affaires? Cela laisse entendre que même si l'augmentation du loyer était favorable à 2699 et à 2996 dans le sens que cela leur a permis d' « éponger » leur P.D.T.P.E., il ne s'agit pas d'une considération pertinente dans la détermination du point en litige.

[34]     Cela étant dit, il est possible, en suivant les directives du juge Robertson dans l'arrêt Mohammad, d'examiner le caractère raisonnable de la dépense en examinant les éléments objectifs fournis par la preuve. Même si la norme, dans l'application de l'article 67, n'est pas la juste valeur marchande, le fait qu'un contribuable accepte de payer un loyer supérieur à la juste valeur marchande locative peut être suffisant pour permettre au ministre de contester le caractère raisonnable d'une dépense.

[35]     La preuve d'expert établissant la juste valeur marchande locative en l'espèce est suffisante pour établir une norme objective mesurable. On ne peut non plus faire abstraction du loyer payé durant l'année précédant et durant l'année suivant celle en litige, de même que le loyer payé en 1998 pour Leveillé, qui était de 299 400 $. L'ensemble de cette preuve établit donc de façon claire ce qui semble être une norme raisonnable ou un barème permettant d'évaluer le caractère raisonnable d'un loyer, sauf que le seul fait de payer un taux supérieur à cette norme ne fait pas en sorte que ce taux soit nécessairement déraisonnable. (Voir l'arrêt Petro-Canada, précité).

[36]     Cet état de choses nous amène donc à analyser les circonstances particulières de l'espèce pouvant justifier le paiement d'une prime au-delà de la norme ou de la juste valeur marchande locative. Cela ressemble en quelque sorte au concept d'acheteurs spéciaux ou d'acheteurs particuliers que l'on retrouve dans certaines décisions dont l'affaire Denis Morneau c. La Reine, 98 DTC 2199, et les principes qui en découlent. Dans cette affaire, on a reconnu le concept de l'acheteur spécial dans la détermination de la juste valeur marchande, de sorte qu'il existe des circonstances particulières pouvant modifier cette valeur. Le juge Dussault énonçait ce qui suit au paragraphe 43 :

Puisque dans notre droit le concept de valeur marchande suppose un marché ouvert et non restreint, il est également faux de prétendre que l'on peut refuser de tenir compte de la valeur qu'aurait un bien pour un acheteur potentiel qui désire l'utiliser à des fins différentes sous prétexte qu'il est le seul à vouloir l'utiliser à ses fins, qu'il n'y a pas de concurrence sur le marché à cet égard et que cette valeur est ainsi purement subjective. C'est là ignorer une partie de la réalité avec la conséquence que l'exercice d'évaluation devient hautement théorique, sans relation avec les circonstances précises du cas sous étude et donc très contestable.

[37]     Même si l'article 67 de la Loi ne fait pas référence à la notion de juste valeur marchande, les principes permettent la modification de la juste valeur marchande, et sa justification peut être pertinente pour savoir si une dépense est raisonnable. Dans l'affaire Morneau, l'appelante avait démontré qu'elle avait analysé toutes les options qui s'offraient à elle avant de procéder à l'achat de la résidence de M. Morneau et que ce choix s'avérait le meilleur, de sorte que le prix payé, même s'il était élevé, constituait la juste valeur marchande.

[38]     Est-ce que Fransyl, en l'espèce, a réussi à démontrer que le fait de payer un loyer presque trois fois plus élevé que la norme était le seul choix possible à la suite d'une estimation des gains et des pertes liées aux autres choix qui auraient pu être ouverts à l'époque?

[39]     Il est vrai que Fransyl a investi des sommes considérables en améliorations locatives à son immeuble de la rue Leveillé pour s'y installer. L'immeuble a dû être transformé pour le rendre à l'épreuve d'explosions, pour lui assurer une ventilation adéquate, pour doubler le nombre de gicleurs et pour installer des pompes à eau et une entrée électrique qui répondent à ses besoins. Il est donc évident que déménager toutes ces installations aurait entraîné des dépenses, tout comme l'interruption des affaires durant un tel déménagement. Fransyl n'a pas évalué ou fait évaluer de façon précise le coût qu'aurait pu présenter un tel scénario. M. Morrissette s'est contenté de dire qu'il en aurait coûté un million de dollars au minimum, pour ensuite modifier son témoignage en disant qu'il faudrait plus d'un million de dollars pour s'installer. Cette évaluation est approximative et se perd en conjectures. Il est donc difficile d'y accorder une valeur précise permettant de comparer de façon éclairée les coûts de ce scénario (c'est-à-dire le déménagement) au loyer payé en 1995.

[40]     Les frais liés à un déménagement est le seul scénario que Fransyl semble avoir considéré avant de décider d'offrir à ses créanciers et à ceux de 2699 et de 2996 une augmentation du loyer. Même si la nature exacte des obligations financières de Fransyl, de 2699 et de 2996 envers leurs créanciers n'a pas été établie de façon précise par la preuve, il est raisonnable de croire qu'une aide financière apportée par Fransyl aurait pu se faire sous une forme autre que celle en l'espèce, par exemple, un prêt à 2699 et à 2996 par Fransyl, ou l'achat des lieux par Fransyl avec l'accord des créanciers.

[41]     Il est évident qu'au moment où la décision a été prise d'augmenter le loyer, Fransyl n'avait considéré aucun autre scénario que celui d'un déménagement et qu'elle n'a donc pas comparé ou analysé les coûts liés à chacun de ces scénarios possibles. Un tel exercice aurait sans doute pu justifier la décision d'augmenter le loyer. Il aurait aussi pu démontrer le caractère raisonnable d'une telle dépense, si elle était le seul choix possible à la suite d'une estimation des gains et des pertes liés à chacun des choix ouverts à l'époque. À mon avis, l'appelante n'a pas réussi à démontrer qu'il n'existait aucun autre choix commercial raisonnable que de payer un loyer plus élevé que la norme.

[42]     La preuve touchant le fait que Fransyl faisait face à un déménagement probable n'est pas convaincante, ni celle voulant que les institutions financières et les créanciers hypothécaires étaient sur le point de saisir et de prendre possession des lieux. Les menaces des créanciers, en particulier la Banque Nationale, remontent à l'automne de 1991 et au début de 1992. Selon M. Morrissette, les menaces se seraient perpétuées jusqu'en 1995, lorsque les créanciers auraient accepté l'arrangement proposé, notamment l'augmentation du loyer. À l'exception de la correspondance entre Fransyl et la Banque Nationale en 1991 et 1992 qui fut déposée en preuve, aucune correspondance, aucun document, aucun avis de vente, aucun bref de saisie ou aucune menace de prise de possession des lieux n'a été déposé en preuve pour confirmer le témoignage de M. Morrissette et l'urgence et le danger de la situation.

[43]     La preuve ne précise pas non plus le moment où les arrangements avec les créanciers de Fransyl, de 2699 et de 2996 ont été conclus. Cela aurait précisé le moment où l'augmentation du loyer est entrée en vigueur. Chose certaine, selon les états financiers au 31 mai 1995, le loyer dû par Fransyl n'était pas encore payé, puisqu'il est décrit comme un loyer de 1 775 467 $ à payer à des sociétés liées. Selon les baux, le loyer est payable mensuellement avec rajustement à la fin de l'année.

[44]     Il devient donc très difficile d'accepter comme étant véridiques le besoin et la nécessité pour l'appelante d'avoir recours à une mesure extraordinaire afin d'éviter un déménagement éminent, sans compter que le bail de Leveillé stipule qu'il est sujet et subordonné à toute hypothèque ou à tout acte de fiducie et qu'en cas de vente de l'immeuble, le nouveau propriétaire devra respecter les conditions du bail.

[45]     Il faut se rappeler que les difficultés financières n'étaient pas limitées à 2699 et à 2996. Fransyl aussi se trouvait en difficulté financière. Devant cet état de choses, il faut se demander si une personne d'affaires raisonnable aurait accepté de payer un loyer trois fois plus élevé qu'il a l'habitude de payer; si oui, il aurait sûrement pris en considération toutes les autres possibilités avant de décider.

[46]     Je ne suis donc pas convaincu que les circonstances de l'espèce auraient conduit une personne d'affaires raisonnable à payer un loyer supérieur à la norme ou à la juste valeur marchande locative établie en l'espèce. L'appelante n'a donc pas réussi à me démontrer, par la prépondérance des probabilités, que la dépense de loyer réclamée pour l'année en litige est raisonnable dans les circonstances. L'appel est donc rejeté avec dépens.

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunwick), ce 31e jour de mars 2005.

« François Angers »

Juge Angers



RÉFÉRENCE :

2005CCI122

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2000-4673(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Les Produits pour Toitures Fransyl Ltée et sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

les 13 et 14 septembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

l'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :

le 31 mars 2005

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Serge Fournier

Pour l'intimé :

Me Anne Poirier

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Me Serge Fournier

Étude :

Brouillette Charpentier Fortin

Avocats Notaires

Montréal (Québec)

Pour l'intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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