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Dossier : 2003-2292(IT)I

ENTRE :

LORI DALISAY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Edmonton (Alberta), le 16 décembre 2003.

Devant : L'honorable Gerald J. Rip

Comparutions :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :

Mme Roxanne Baldwin, étudiante en droit

Me Margaret Irving (conférence téléphonique)

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est admis avec dépens, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que Mme Dalisay a le droit de reporter prospectivement les frais de déménagement qu'elle a engagés en 2000.


Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 2004.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mars 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI126

Date : 20040206

Dossier : 2003-2292(IT)I

ENTRE :

LORI DALISAY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip

[1]      Il s'agit ici de savoir si Mme Lori Dalisay a le droit de déduire des frais de déménagement dans le calcul de son revenu pour l'année 2001.

[2]      Avant le mois de juillet 2000, Mme Dalisay et son mari habitaient et travaillaient à St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador). À ce moment-là, Mme Dalisay a obtenu un emploi à Regina (Saskatchewan) auprès de Praxair Canada Inc. ( « Praxair » ), une société exerçant ses activités dans diverses régions du pays. Mme Dalisay a dit que, chez Praxair, les personnes qui occupaient un emploi comme le sien avaient l'avantage de la [TRADUCTION] « mobilité » . Au mois de juillet 2002, Mme Dalisay a quitté St. John's pour s'installer à Regina afin de travailler dans l'installation de Praxair, à Regina.

[3]      À Regina, Mme Dalisay et son mari ont loué un appartement au mois parce que Mme Dalisay avait [TRADUCTION] « l'impression [qu'ils] ne ser[aient] pas longtemps à cet endroit » . Les meubles de la famille ont été expédiés à Regina. Dans l'intervalle, le mari de Mme Dalisay a cherché un emploi à Regina, mais il n'a rien trouvé. Mme Dalisay et son mari ont décidé de quitter Regina. Praxair a coopéré en mutant Mme Dalisay à Edmonton (Alberta) et, au mois d'octobre 2000, Mme Dalisay a déménagé à Edmonton.

[4]      Mme Dalisay est restée sept semaines à Regina. Ses frais de déménagement admissibles jusqu'à Regina s'élevaient à 14 930 $; à Regina, elle a gagné 4 462 $ chez Praxair. Selon le ministre du Revenu national (le « ministre » ), les frais de déménagement admissibles, de Regina à Edmonton, s'élevaient à 2 253 $. À Edmonton, Mme Dalisay a gagné 3 356 $ pendant l'année 2000.

[5]      L'un des faits que le ministre a supposé exact en établissant la cotisation était que Mme Dalisay [TRADUCTION] « n'avait pas gagné de revenu pendant l'année d'imposition 2001 au nouveau lieu de travail no 1 [à Regina] ou au nouveau lieu de travail no 2 [à Edmonton] » . À l'instruction, Mme Dalisay a reconnu que c'était vrai. Toutefois, lors d'une conférence téléphonique ultérieure tenue avec Mme Dalisay et l'avocate de l'intimée, Me Margaret Irving, Mme Dalisay a déclaré qu'en fait, elle ne travaillait pas pour Praxair en 2001, mais qu'à compter du mois de février 2001, elle avait travaillé pour un autre employeur à Edmonton[1].

[6]      Le ministre a permis à Mme Dalisay de déduire comme suit un montant de 6 715 $ pour 2000 :

Emplacement

Montant de la dépense engagée

Montant admis

Motif

Regina

14 930 $

4 462 $

Limité au revenu gagné à Regina

Edmonton

2 253 $

2 253 $

Frais engagés dans le cadre du déménagement de Regina à Edmonton*

[7]      Mme Dalisay affirme que son déménagement de St. John's à Regina et ensuite à Edmonton ne constituait qu'un seul déménagement. Elle n'habitait pas [TRADUCTION] « en permanence » à Regina et son séjour a été [TRADUCTION] « bref » .

« Réinstallation admissible »

[8]      Selon la position prise par le ministre, il y avait deux « réinstallations admissibles » : l'une de St. John's à Regina et l'autre de Regina à Edmonton. Le montant des frais de déménagement que Mme Dalisay peut déduire est limité au moindre du revenu gagné dans un lieu de travail ou du montant des frais de déménagement, c'est-à-dire que les frais de déménagement de St. John's à Regina ne peuvent pas dépasser le revenu d'emploi chez Praxair à Regina, et que le montant que Mme Dalisay peut déduire à l'égard de son déménagement de Regina à Edmonton est limité aux frais de déménagement qu'elle a engagés pour s'installer dans cette ville : sous-alinéa 62(1)c)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Mme Dalisay ne peut pas reporter prospectivement ses frais de déménagement entre St. John's et Regina afin de tirer parti du revenu d'emploi gagné chez Praxair à Edmonton.

[9]      Selon le ministre, le lieu de travail de Mme Dalisay était le lieu où elle travaillait réellement pour Praxair, c'est-à-dire que son premier « nouveau lieu de travail » était situé à l'installation de Praxair à Regina et que son second « nouveau lieu de travail » était situé à l'installation de Praxair à Edmonton. L'alinéa 62(1)b) permet en fait au contribuable de reporter prospectivement et de déduire les frais de déménagement dans l'année qui suit le déménagement, mais seulement si le contribuable a gagné un revenu au « nouveau lieu de travail » où il occupait son emploi par suite du déménagement.

[10]     Le paragraphe 62(1) de la Loi prévoit qu'un contribuable :

[...] peut déduire dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition les sommes qu'il a payées au titre des frais de déménagement relativement à une réinstallation admissible dans la mesure où, à la fois :

a)          [...]

b)          elles n'étaient pas déductibles par l'effet du présent article dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition précédente;

c)          leur total ne dépasse pas le montant applicable suivant :

(i)          dans le cas visé au sous-alinéa a)(i) de la définition de « réinstallation admissible » au paragraphe 248(1), le revenu du contribuable pour l'année tiré de son emploi au nouveau lieu de travail ou de l'exploitation de l'entreprise au nouveau lieu de travail, selon le cas.

[11]     L'expression « réinstallation admissible » , telle qu'elle est définie au paragraphe 248(1), s'entend de la réinstallation d'un contribuable aux conditions suivantes :

a)          elle est effectuée afin de permettre au contribuable :

(i)          soit d'exploiter une entreprise ou d'occuper un emploi à un endroit au Canada (appelé « nouveau lieu de travail » à l'article 62 et au présent paragraphe),

[...]

b)          la résidence que le contribuable habitait ordinairement avant la réinstallation (appelée « ancienne résidence » à l'article 62 et au présent paragraphe) et celle qu'il habitait ordinairement après la réinstallation (appelée « nouvelle résidence » à l'article 62 et au présent paragraphe) sont toutes deux situées au Canada;

c)          la distance entre l'ancienne résidence et le nouveau lieu de travail est supérieure d'au moins 40 kilomètres à la distance entre la nouvelle résidence et le nouveau lieu de travail.

Toutefois [...]

[12]     L'une des questions dont je suis saisi est de savoir si Mme Dalisay « habitait ordinairement » à Regina au sens de l'alinéa b) de la définition de l'expression « réinstallation admissible » figurant au paragraphe 248(1) de la Loi. Il se pose également une autre question, à savoir quel est « le nouveau lieu de travail » , selon le sens attribué à cette expression au paragraphe 248(1) tel qu'il s'applique au sous-alinéa 62c)(i) de la Loi.

[13]     Eu égard aux faits qui m'ont été soumis, je conclus qu'il est fort probable que Mme Dalisay et son mari ne se soient jamais installés à Regina. Mme Dalisay avait des doutes au sujet de Regina, et ce, depuis le tout début. Son mari et elle ont donc loué un appartement au mois en se rendant compte, comme je le suppose, qu'ils quitteraient peut-être bientôt Regina. Le mari de Mme Dalisay n'ayant pas pu trouver rapidement d'emploi à Regina, les doutes de Mme Dalisay ont été confirmés et Mme Dalisay a décidé de déménager. L'appelante n'a jamais habité « ordinairement » à Regina. Elle n'avait pas de routine établie à Regina et cela ne faisait pas partie de son mode de vie ordinaire[2]. Mme Dalisay et son mari cherchaient un endroit où ils habiteraient « ordinairement » et cet endroit n'était pas Regina. La ville de Regina n'était qu'une « étape » temporaire tant que Mme Dalisay n'habiterait pas « ordinairement » ailleurs, à savoir à Edmonton[3]. La réinstallation admissible se rapportait au déménagement de St. John's à Edmonton.

« Le nouveau lieu de travail »

[14]     Le second problème qui se pose est de savoir ce que l'on entend par « nouveau lieu de travail » . L'expression « nouveau lieu de travail » se rapporte à une réinstallation du contribuable qui permet à celui-ci d'exploiter une entreprise ou d'occuper un emploi à un endroit au Canada : paragraphe 248(1). Comme il en a ci-dessus été fait mention, le ministre est d'avis que l'expression « nouveau lieu de travail » s'entend du lieu de l'entreprise elle-même, du lieu véritable, de l'immeuble ou de l'emplacement où le contribuable exploite son entreprise ou occupe son emploi. L'avocate de l'intimée se fonde sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Giannakopoulos v. M.N.R.[4].

[15]     La Cour d'appel fédérale a examiné la définition de l'expression « nouveau lieu de travail » figurant au paragraphe 62(1) de la Loi, telle que cette disposition s'appliquait avant 1998, afin de déterminer si la distance entre « l'ancienne résidence et le nouveau lieu de travail, supérieure d'au moins 40 kilomètres à la distance entre la nouvelle résidence et le nouveau lieu de travail » doit être mesurée en ligne droite ou suivant la route normale la plus courte.

[16]     Je ne crois pas que l'arrêt Giannakopoulos soit utile pour trancher l'appel ici en cause. Dans l'arrêt Giannakopoulos, la Cour cherchait à mesurer la distance entre des points précis, à savoir une ancienne résidence, un nouveau lieu de travail et une nouvelle résidence.

[17]     L'expression « nouveau lieu de travail » ne doit pas être interprétée strictement. Les mots « exploiter une entreprise ou occuper un emploi à un endroit au Canada » ont un sens fort général. Ces mots permettent une interprétation souple en fonction des faits. Ainsi, si l'expression « nouveau lieu de travail » dans le contexte des faits de la présente espèce, ne se rapporte qu'au lieu d'affaires réel, le contribuable qui déménage en vue d'être en mesure d'exploiter une entreprise ou d'occuper un emploi à un endroit au Canada doit continuer à travailler au lieu d'affaires lui-même tant que le revenu d'emploi gagné à cet endroit n'est pas égal aux frais de déménagement. Autrement, le contribuable ne disposera pas d'un revenu suffisant pour déduire tous ses frais de déménagement. Ainsi, si l'employeur fait faillite ou si le contribuable est congédié ou est contraint à démissionner, ou encore s'il change d'emploi ou lance une entreprise et travaille par la suite dans un lieu de travail différent dans cette municipalité, dans cette ville ou dans ce village, le contribuable ne sera pas autorisé, en admettant que la Couronne ait raison, à déduire les frais de déménagement du revenu qu'il a tiré du nouvel emploi ou de la nouvelle entreprise. Le contribuable serait obligé de continuer à travailler pour son employeur initial tant que le revenu gagné chez cet employeur ne serait pas égal aux frais de déménagement.

[18]     Le législateur n'a pas pu avoir une telle intention. La législation fiscale n'a pas pour objet de contraindre la personne qui déménage de St. John's à Edmonton et qui est immédiatement embauchée par l'employeur « A » à demeurer au service de A afin d'obtenir une déduction fiscale. Dans la mesure où cette personne continue à travailler à Edmonton à titre d'employée ou dans le cadre de son entreprise, les frais de déménagement qu'elle engage pour se rendre à Edmonton afin d'y travailler devraient être déductibles du revenu tiré de l'emploi ou de l'entreprise.

[19]     Les mots « lieu de travail » et l'expression « nouveau lieu de travail » sont souples et dépendent du contexte dans lequel ils sont employés. Lorsque l'on se rapproche, sur une carte, pour trouver l'emplacement d'une adresse, on voit d'abord la province, puis la ville, puis le district, puis la rue, et enfin l'adresse. De même, la personne qui travaille à Edmonton peut informer une personne de son lieu de travail selon l'endroit d'où vient cette dernière. Si cette personne vient de l'étranger, la personne qui travaille à Edmonton peut décrire son lieu de travail comme étant situé au Canada ou en Alberta. Dans le cas d'une personne venant du Nouveau-Brunswick, elle peut dire que son lieu de travail est situé en Alberta ou à Edmonton; dans le cas d'une personne venant de l'Alberta, elle peut décrire son lieu de travail comme étant situé à Edmonton ou dans un secteur d'Edmonton; mais si la personne vient d'Edmonton, elle peut dire que son lieu de travail est situé dans un secteur précis de la ville ou indiquer l'immeuble ou l'emplacement précis. Dans tous les cas, la personne décrit son « lieu de travail » . Par conséquent, dans l'arrêt Giannakopoulos, où il fallait mesurer une distance, l'expression devait avoir un sens restreint. Cependant, eu égard aux faits qui m'ont été soumis, il faut ici donner à ces termes une interprétation large. Lorsque le lieu d'emploi d'une personne change d'une ville à une autre, les villes en cause se rapportent à des lieux de travail différents et lorsque le lieu d'emploi d'une personne change d'un quartier à l'autre, les quartiers en cause indiquent les différents lieux de travail. Mme Dalisay s'est réinstallée à Edmonton afin d'être en mesure d'occuper un emploi à un endroit au Canada, c'est-à-dire à Edmonton, au sens de l'article 62 et du paragraphe 248(1) de la Loi. En l'espèce, lorsque le lieu de l'emploi de Mme Dalisay a changé de St. John's à Edmonton, le nouveau lieu de travail était situé à Edmonton.

[20]     À l'instruction, Mme Dalisay a admis l'hypothèse de fait du ministre selon laquelle elle [TRADUCTION] « n'avait pas gagné de revenu pendant l'année d'imposition 2001 » à son lieu de travail, que ce soit à Regina ou à Edmonton, mais lors de la conférence téléphonique, elle a déclaré qu'en 2001, elle travaillait en fait à Edmonton et qu'elle a gagné un revenu d'emploi cette année-là. L'alinéa 62(1)b) lui permettrait de reporter prospectivement ses frais de déménagement de l'année 2000 à l'année 2001, mais uniquement si elle gagnait un revenu d'emploi ou d'entreprise à Edmonton pendant l'année 2001 et uniquement jusqu'à concurrence du revenu gagné. De toute évidence, Mme Dalisay occupait un emploi en 2001 pendant qu'elle était à Edmonton, mais pas chez Praxair. Elle a néanmoins le droit de reporter prospectivement ses frais de déménagement de l'année 2000 à l'année 2001. Comme je l'ai conclu, son « nouveau lieu de travail » en 2000 et en 2001 était situé à Edmonton.

[21]     L'appel est admis avec dépens, le cas échéant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 2004.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mars 2005.

Jacques Deschênes, traducteur



[1]           En préparant ces motifs, je me suis demandé pourquoi Mme Dalisay interjetait appel contre la cotisation relative à l'année 2001, puisque, à l'instruction, elle avait affirmé ne pas avoir gagné de revenu d'emploi en 2001. J'ai donc organisé une conférence téléphonique afin de clarifier la question de l'emploi en 2001 et de demander à l'intimée son avis au sujet du sens des mots « lieu de travail » figurant au sous-alinéa 62(1)c)(i) de la Loi.

*           Je ne dispose d'aucun élément de preuve au sujet du revenu gagné par Mme Dalisay à Edmonton en l'an 2000.

[2]           Voir Thomson v. M.N.R., 2 DTC 812 (C.S.C.), juge Estey, à la page 813, et juge Rand, à la page 815.

[3]           Ringham v. R., 2000 CarswellNat 648, 2000 DTC 2060 (C.C.I.).

[4]           95 DTC 5477, [1995] 2 C.T.C. 316.

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