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Dossier : 2003-1476(EI)

ENTRE :

9098-5326 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

CHRISTIAN ROY, DANIEL VACHON, DANY LESSARD, DANY ROY,

FRÉDÉRIC ROY, GASTON ROY, JEAN-CLAUDE PERREAULT,

YVAN GRONDIN, ÉRIC SHINK, JEAN-NOËL LESSARD,

PAUL-ÉMILE BISSON, DONALD CHAMPAGNE, MAURICE CHOUINARD,

FRÉDÉRIC COUTURE, STÉPHANE DOSTIE, GILLES FONTAINE,

intervenants.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 6 janvier 2004 à Sherbrooke (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

Comparutions :

Représentants de l'appelante :

Mélanie Shink

Richard Shink

Avocat de l'intimé :

Me Yannick Landry

Pour les intervenants :

Les intervenants eux-mêmes

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JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée pour tenir compte du fait que les montants représentant les taxes (TPS et TVQ) perçues par certains travailleurs sont exclus de leur rémunération assurable de ceux-ci aux fins du calcul de la cotisation de l'employeur, et ce, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal (Québec), ce 1er jour de juin 2004.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


Référence : 2004CCI228

Date : 20040601

Dossier : 2003-1476(EI)

ENTRE :

9098-5326 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

CHRISTIAN ROY, DANIEL VACHON, DANY LESSARD, DANY ROY,

FRÉDÉRIC ROY, GASTON ROY, JEAN-CLAUDE PERREAULT,

YVAN GRONDIN, ÉRIC SHINK, JEAN-NOËL LESSARD,

PAUL-ÉMILE BISSON, DONALD CHAMPAGNE, MAURICE CHOUINARD,

FRÉDÉRIC COUTURE, STÉPHANE DOSTIE, GILLES FONTAINE,

intervenants.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bédard

[1]      La question en litige est relativement simple. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) est d'avis que les travailleurs sont des employés de l'appelante alors que cette dernière soutient qu'ils sont des travailleurs autonomes. Les travailleurs ont comparu à titre d'intervenants dans cette cause.

[2]      Les années en litige sont 2000, 2001 et 2002. Le 22 mai 2002, le ministre a établi à l'égard de l'appelante les cotisations ouvrières et patronales pour des cotisations d'assurance-emploi impayées relativement à 42 travailleurs différents, ainsi que pour les pénalités et les intérêts connexes.

[3]      À la suite d'une demande de l'appelante, le ministre a modifié les cotisations tel qu'il appert de sa lettre du 20 janvier 2003. Les cotisations ont été réduites en excluant de la rémunération assurable tous les frais remboursés par l'appelante aux 41 travailleurs, tels que l'allocation pour repas, les frais d'essence, les frais d'hébergement et les autres frais remboursés; la cotisation relative à Robert Dubreuil pour l'année 2000 a été annulée au motif qu'il n'avait pas travaillé pour l'appelante.

[4]      Les cotisations ont été ainsi réduites, pour l'année 2000, à un total de 27,61 $ pour 2 travailleurs, pour l'année 2001, à un total de 9 426,93 $ pour 41 travailleurs, et pour l'année 2002, à un total de 1 878,62 $ pour 10 travailleurs.

[5]      Les faits sur lesquels l'intimé s'est appuyé pour rendre sa décision sont décrits au paragraphe 7 de la Réponse à l'avis d'appel et sont les suivants :

a)          l'appelante a été constituée en société le 1er décembre 2000;

b)          l'appelante faisait affaires sous la raison sociale « T.S. Consultants » ;

c)          l'appelante exploitait une entreprise d'installation et de montage d'étagères dans des gros entrepôts de clients situés au Québec, en Ontario et aux États-Unis;

d)          l'appelante avait une banque de noms de travailleurs et contactait le dimanche, le nombre de travailleurs nécessaire pour accomplir les contrats de la semaine;

e)          les travailleurs étaient embauchés par l'appelante comme monteurs;

f)           les travailleurs pouvaient refuser un contrat et rester sur la liste d'appel de l'appelante;

g)          les clients étaient les clients de l'appelante;

h)          le travailleur qui acceptait un contrat ne pouvait pas se faire remplacer par quelqu'un d'autre, seul l'appelante embauchait les travailleurs;

i)           les tâches des travailleurs consistaient à installer et à démonter des étagères (95 % du temps) et à décharger des camions (5 % du temps);

j)           les travailleurs oeuvraient chez les clients de l'appelante;

k)          les travailleurs oeuvraient en équipe de deux à cause de la lourdeur des étagères;

l)           l'appelante fournissait le transport aux travailleurs dans ses véhicules pour se rendre chez les clients éloignés;

m)         un actionnaire de l'appelante ou un travailleur d'expérience donnait des directives aux travailleurs afin de respecter les plans et devis du client;

n)          les travailleurs respectaient un horaire de travail établi par l'appelante du lundi au vendredi soit environ de 40 à 42 heures par semaine;

o)          la rémunération des travailleurs variait entre 12,50 $ et 14,50 $ de l'heure;

p)          à chaque semaine, les travailleurs facturaient l'appelante selon un tarif horaire pour le nombre d'heures réellement travaillées ainsi que pour les frais encourus remboursables;

q)          les travailleurs recevaient leur rémunération de l'appelante par chèque à chaque semaine;

r)           l'appelante remboursait les travailleurs de leurs frais de repas, d'hébergement et d'essence;

s)          les travailleurs fournissaient leur boîte à outils comportant des petits outils, comme une petite masse, un marteau et un clef à cliquet;

t)           l'appelante ou les clients de l'appelante fournissait les gros outils aux travailleurs;

u)          les travailleurs n'avaient aucun risque de pertes financières ou de gains financiers;

v)          les tâches des travailleurs étaient intégrées aux activités de l'appelante.

[6]      Il est à noter que l'appelante a admis tous les faits énoncés au paragraphe 7 de la Réponse, à l'exception de ceux énoncés aux paragraphes h), n), u) et v).

Analyse

Le droit

[7]      Il convient de souligner que la relation contractuelle entre l'appelante et les travailleurs doit nécessairement être interprétée conformément aux lois de la province de Québec.

[8]      Dans le Code civil du Québec, des chapitres distincts portent respectivement sur le « contrat de travail » (articles 2085 à 2097) et sur le « contrat d'entreprise et de service » (articles 2098 à 2129).

[9]      L'article 2085 porte que le contrat de travail :

[...] est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

[10]     L'article 2098 porte que le contrat d'entreprise :

[...] est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

[11]     L'article 2099 suit, rédigé dans les termes suivants :

L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[12]     On peutdire que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d'un contrat de travail est l'absence, dans le premier cas, d'un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l'employeur de diriger et de contrôler l'employé. En effet, le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale a apporté la précision suivante dans l'affaire Gallant c. M.R.N.[1] :

[...] Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions. [Je souligne.]

Il faut donc d'abord essayer de déterminer s'il y avait ou non un lien de subordination entre l'appelante et les travailleurs.

[13]     Dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale s'est étendu sur le critère du contrôle et a reconnu que le droit de préciser la façon dont le travail doit être effectué et de donner des directives à l'employé au sujet de la façon d'accomplir le travail est un élément fondamental de l'exercice du contrôle sur le travail de l'employé. Dans l'affaire Vulcain Alarme Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 749, le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale a également affirmé que le fondement du contrôle est le fait de donner des directives au sujet de la façon dont le travail de l'employé doit être effectué. En l'espèce, il faut donc, à la lumière de la preuve, déterminer si l'appelante donnait ou pouvait donner des directives aux travailleurs au sujet de la façon dont ils devaient accomplir leur travail. Ceci dit, il ne faut pas confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser. En effet, rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences.

[14]     Toutefois, lorsque la preuve ne nous permet pas de discerner clairement s'il existe ou non un lien de subordination, je suis d'avis qu'il faut alors examiner la relation contractuelle à la lumière des autres facteurs énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wiebe Door, précitée, et repris par la Cour suprême dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, c'est-à-dire l'intégration, la propriété des instruments de travail nécessaires à l'exécution du travail, les chances de profit et les risques de perte. Ces facteurs peuvent indiquer l'existence d'un contrat de service.

[15]     L'examen des faits à la lumière de ces critères nous permettra habituellement de confirmer l'existence ou de constater l'absence d'un lien de subordination; autrement dit, en cas de doute, il faut avoir une approche plus globale.

[16]     Enfin, j'ajouterais qu'il peut être très utile de rechercher l'intention des parties lors de la formation du contrat, surtout lorsque la question est serrée, c'est-à-dire lorsque les facteurs pertinents indiquent à la fois les deux conclusions possibles. Je crois que la manière dont les parties ont vu leur entente doit alors l'emporter, sauf si elles se sont trompées sur la véritable nature de leur relation. Certes, la Cour ne tiendra pas compte de la stipulation des parties quant à la nature de leur relation contractuelle si elle doit en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise. Cependant, en l'absence d'une preuve non équivoque ou contraire, la Cour doit certainement prendre en compte l'intention déclarée des parties.

Lien de subordination

[17]     Est-ce que les travailleurs effectuaient leur travail sous la direction ou le contrôle de l'appelante? Est-ce que cette dernière donnait ou pouvait donner des ordres aux travailleurs?

[18]     Il convient encore de rappeler que la relation contractuelle entre l'appelante et les travailleurs doit nécessairement être interprétée conformément aux lois de la province de Québec. Il ressort des articles 2085, 2098 et 2099 du Code civil du Québec que, ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d'un contrat de travail, est l'absence, dans le premier cas, d'un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l'employeur de diriger et de contrôler l'employé. En d'autres termes, est-ce que l'appelante donnait ou pouvait donner des directives aux travailleurs au sujet de la façon dont ils devaient accomplir leur travail? Ceci dit, il ne faut pas confondre le contrôle du résultat avec le contrôle de l'exécution des travaux par l'ouvrier chargé de les réaliser.

[19]     Dans la présente affaire, l'appelante a admis lors de l'audience que l'affirmation du ministre au paragraphe 7 de la Réponse à l'avis d'appel, selon laquelle un actionnaire de l'appelante ou un travailleur d'expérience donnait des directives aux travailleurs afin de respecter les plans et devis des clients, était exacte.

[20]     Madame Mélanie Shink, représentante de l'appelante, et les intervenants qui ont témoigné, à l'exception de monsieur Bisson, ont témoigné dans le même sens. Il ressort aussi du témoignage de monsieur Croteau, qui travaillait à la Division des appels de l'Agence des douanes et du revenu du Canada et qui avait procédé à l'enquête dans la présente affaire, ainsi que de son rapport déposé sous la cote I-2, qu'Alain Tardif, un important actionnaire de l'appelante, ou Yvan Grondin, un travailleur d'expérience, dirigeait les équipes de travailleurs. Le client de l'appelante remettait les plans et devis à ces deux personnes qui donnaient les directives aux travailleurs pour que ses plans et devis soient respectés et que l'on réponde à ses exigences.

[21]     La preuve a donc démontré clairement qu'il y avait, entre les travailleurs et l'appelante, un lien de subordination qui est l'essence même d'un contrat de travail. Le fait que la preuve a aussi révélé qu'un travailleur ne pouvait pas se faire remplacer par quelqu'un d'autre ne fait que confirmer, à mon avis, que les travailleurs étaient des employés de l'appelante.

Propriété des outils, chances de profit et risques de perte

[22]     Nous examinerons maintenant les relations contractuelles entre les parties à la lumière des critères développés dans l'affaire Wiebe Door, précitée, tels la propriété des outils, les chances de profit et les risques de perte. Tel que mentionné précédemment, ces critères peuvent indiquer l'existence d'un contrat d'entreprise.

i)         Les travailleurs fournissaient leur propre boîte à outils, qui comprenait de petits outils comme une petite masse, un marteau et une clef à cliquet, dont la valeur était inférieure à 100 $. Les clients de l'appelante fournissaient les gros outils, tels un chariot élévateur, l'appelante, pour sa part, transportait les travailleurs dans ses véhicules lorsque les clients étaient éloignés.

ii)        La rémunération des travailleurs variait entre 12,50 $ et 14,50 $ l'heure. À chaque semaine, les travailleurs facturaient l'appelante selon le tarif horaire convenu pour le nombre d'heures pendant lesquelles ils avaient réellement travaillé ainsi que pour les frais remboursables engagés. Les travailleurs recevaient leur rémunération de l'appelante par chèque à chaque semaine et cette dernière remboursait les travailleurs de leurs frais de repas, d'hébergement et d'essence. La preuve a révélé très clairement que les travailleurs n'avaient pas de risque de subir des pertes ou de chance de réaliser un profit.

[23]     Bien qu'il ne faut pas prêter beaucoup de poids à ces deux facteurs, compte tenu de la nature des services rendus, des besoins auxquels il fallait répondre et du peu d'instruments de travail utilisés, je ne peux m'empêcher de conclure par contre qu'ils n'indiquent pas l'existence d'un contrat d'entreprise.

Intention des parties

[24]     Comme je l'ai mentionné précédemment, la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l'emporter, à moins qu'elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur entente. Certes, l'appelante et les intervenants qui sont venus témoigner ont fait valoir que leurs relations contractuelles étaient de la nature d'un contrat d'entreprise. Toutefois, la preuve soumise dans la présente affaire m'amène à conclure que les parties se sont trompées sur la véritable nature de leurs relations.

[25]     Pour ces motifs, je conclus que les emplois étaient assurables durant les années en litige. Toutefois, le ministre ayant admis que son interprétation de la Loi et de son Règlement, selon laquelle les taxes perçues (TPS et TVQ) par certains travailleurs devaient être incluses dans leur rémunération assurable aux fins du calcul de la cotisation de l'employeur, était erronée, je conclus donc que lesdits montants sont exclus de leur rémunération assurable.

Signé à Montréal (Québec), ce 1er jour de juin 2004.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :

2004CCI228

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1476(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

9098-5326 Québec Inc. et M.R.N. et Christian Roy, Daniel Vachon, Dany Lessard, Dany Roy, Frédéric Roy, Gaston Roy, Jean-Claude Perreault, Yvan Grondin, Éric Shink, Jean-Noël Lessard, Paul-Émile Bisson, Donald Champagne, Maurice Chouinard, Frédéric Couture, Stéphane Dostie, Gilles Fontaine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 6 janvier 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Paul Bédard

DATE DU JUGEMENT :

Le 1er juin 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Mélanie Shink et Richard Shink (représentants)

Pour l'intimé :

Me Yannick Landry

Pour les intervenants :

Les intervenants eux-mêmes

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

Pour les intervenants :

Nom :

Étude :



[1] [1986] A.C.F. no 330 (Q.L.)

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