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Dossier : 2003-3136(EI)

ENTRE :

SERGE GRONDIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 25 octobre 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge suppléant S.J. Savoie

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Gilbert Nadon

Avocate de l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 13e jour de décembre 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence : 2004CCI771   

Date : 20041213

Dossier : 2003-3136(EI)

ENTRE :

SERGE GRONDIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie,

[1]      Cet appel a été entendu à Montréal (Québec) le 25 octobre 2004.

[2]      Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelant lorsqu'au service de l'Ère du Titane Inc., le payeur, durant la période du 14 juillet 2001 au 29 novembre 2002, la période en litige, au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[3]      Dans sa lettre du 7 mai 2003, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) informa l'appelant de sa décision selon laquelle celui-ci n'occupait pas un emploi assurable parce que celui-ci ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services; il n'y avait donc pas de relation employé-employeur entre l'appelant et le payeur.

[4]      En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes :

a)          le payeur a été constitué en société le 28 avril 1999; (admis)

b)          le payeur exploitait une joaillerie spécialisée dans la fabrication de bijoux en titane; (admis)

c)          le payeur embauchait une quinzaine d'employés; (admis)

d)          en 2001, pour augmenter la superficie de son commerce, le payeur a acheté une ancienne usine et a entrepris des travaux de restauration; (admis)

e)          le payeur a embauché des sous-contractants pour la réalisation des travaux de restauration; (admis avec explications)

f)           l'appelant avait 17 ans d'expérience comme peintre en bâtiments; (admis)

g)          l'appelant a été embauché comme sous-contractant; (nié)

h)          l'appelant a fait des travaux de démolition, de peinture et d'aménagement pour le payeur; (admis avec explications)

i)           le payeur n'avait aucun contrôle sur l'horaire de l'appelant; (admis)

j)           l'appelant décidait des journées et des heures où il voulait travailler; (nié)

k)          les heures travaillées par l'appelant n'étaient pas consignées par le payeur; (nié)

l)           l'appelant avait fixé son taux horaire à 16 $; (admis avec explications)

m)         le payeur payait l'appelant selon les honoraires que ce dernier lui réclamait; (admis avec explications)

n)          l'appelant était payé par chèque; (admis)

o)          l'appelant fournissait ses petits outils tels que rouleaux, pinceaux; (admis)

p)          le payeur fournissait la peinture; (admis avec explications)

q)          l'appelant devait travailler jusqu'à la fin des travaux de restauration mais le payeur a mis fin à son entente avec l'appelant car le rendement de l'appelant ne rencontrait pas les exigences du payeur; (admis)

r)           le 23 avril 2003, l'appelant déclarait à un représentant de l'intimé qu'il ne fait pas de déclarations de revenus depuis plusieurs années; (admis avec explications)

s)          le 23 avril 2003, l'appelant déclarait à un représentant de l'intimé qu'il recevait des prestations d'aide sociale pendant qu'il travaillait pour le payeur. (à parfaire)

[5]      Ainsi l'appelant a admis les alinéas a) à d), f), i), n), o) et q), il a nié les alinéas g), j) et k), et il a admis avec explications les alinéas e), h), l), m), p) et r).

[6]      Selon la preuve, le payeur a acheté un immeuble dans le but d'augmenter la superficie de son commerce. À cette fin il s'est porté acquéreur d'une vieille usine désaffectée dans le but d'en faire la restauration. Il a embauché une équipe dont faisait partie l'appelant pour effectuer les travaux de restauration. Cette équipe avait David Richard comme contremaître. Il était travailleur autonome; Alexandre Bouchard était salarié. L'appelant a été payé au taux horaire de 8 $. Il a accepté cette rémunération en dépit du fait qu'il avait exigé un taux horaire de 20 $. Il admet toutefois avoir effectué du travail au noir pour le payeur. Les autres employés étaient payés en argent comptant. Les ouvriers, selon la preuve, auraient travaillé six mois pour faire cette restauration.

[7]      Les ouvriers ont fait des travaux de démolition, ont nettoyé l'immeuble, l'ont agrandi pour le rendre fonctionnel, puis ils l'ont peint et aménagé. Il a été établi que cette équipe a complètement aménagé l'immeuble sauf pour le travail spécialisé.

[8]      Dans son témoignage, l'appelant a révélé que le payeur avait convenu de le rémunérer au taux horaire de 16 $. Puisqu'il vivait alors de prestations d'assistance sociale, il a accepté ce salaire. Selon son témoignage, il travaillait 40, 50 et même jusqu'à 76 heures par semaine et il inscrivait ses heures sur la porte de la cafétéria, sinon il n'était pas payé. Pour financer son projet, le payeur avait négocié quelques prêts dont l'un avec la Banque nationale pour le montant de 175 000 $ et un autre de 675 000 $ avec une autre institution.

[9]      L'appelant a déclaré qu'il ne possédait aucune carte de compétence mais qu'il était un « grand travaillant » . Il a affirmé qu'il était supervisé par le contremaître David Richard qui était toujours sur les lieux. David Richard dirigeait le chantier; il s'y était même aménagé un logement. Quant à Philippe Payette, le propriétaire du payeur, il était rarement sur le chantier. Cependant, il y apportait des matériaux et des outils et y laissait ses directives. Il a été établi que les travaux sur le chantier étaient fixés selon des échéanciers précis et prioritaires de façon à pouvoir bénéficier des avances des institutions prêteuses. Le projet du payeur était fréquemment aux prises avec des manques à gagner importants.

[10]     Il a été établi que le payeur a réduit le salaire de l'appelant à 8 $ l'heure pour les derniers deux à trois mois de la période en litige. L'appelant a expliqué que le payeur a pris avantage de lui parce qu'il était alcoolique. Après avoir réduit son salaire à 8 $ l'heure, il a promis à l'appelant de lui verser un salaire de 15 $ l'heure s'il se présentait au travail à l'heure la semaine suivante.

[11]     Vers la fin de la période en litige, le payeur ne payait que très peu de salaire à l'appelant ou rien du tout. Souvent l'appelant était payé en argent comptant. Il a promis à l'appelant de lui régler son salaire avec l'avance du 175 000 $ en provenance de la Banque Nationale mais il ne l'a pas fait. Plus tard, il lui a promis de le payer à même l'avance sur le prêt de 675 000 $, mais pour l'obtenir, le payeur devait démontrer que les travaux étaient complétés à 75 pourcent, ce qui s'est produit, mais l'appelant n'a toujours pas reçu sa rémunération. Par surcroît, le payeur l'a congédié et l'a envoyé au Centre Dollard Cormier, un lieu de traitement pour alcooliques.

[12]     Il a été démontré que l'appelant a déposé une plainte contre le payeur devant la Commission des normes du travail pour le motif que le payeur ne l'avait pas payé pour ses heures supplémentaires, son préavis et sa paie de vacances. L'appelant a affirmé que la Commission lui avait donné raison et avait ordonné au payeur de lui verser la somme de « 2 416,84 $ moins les retenues légales ... » . Selon l'appelant il n'a encore rien reçu du payeur. Cependant, l'appelant a été incapable de documenter la décision de la Commission. Il a expliqué que pendant que sa plainte était devant la Commission et pendant la période qui a suivi, il était en cure de désintoxication, puis emprisonné à Bordeau. Il a conclu en disant que pendant une période de 9 mois, qui se terminait le 12 août 2004, il a été incapable de s'occuper de ses affaires.

[13]     Cette Cour a accordé à l'appelant un délai de 10 jours pour fournir la documentation concernant sa plainte à la Commission des normes du travail et son procureur l'a fournie à la Cour.

[14]     Au cours de l'audience, l'appelant a produit 4 chèques de paie qu'il a reçus du payeur (pièce I-2). Ceux-ci démontrent que pour la période concernée, c'est-à-dire du 6 septembre au 4 octobre 2002, il travaillait, en moyenne 58,25 heures par semaine, au taux horaire moyen de 7,94 $ l'heure.

[15]     Il faut reconnaître que ces données servent à corroborer le témoignage de l'appelant sur cet aspect particulier.

[16]     Il a été établi que l'appelant ne possédait comme seuls outils qu'un pinceau et deux truelles. Tous les autres outils utilisés par l'appelant étaient fournis par le payeur qui en faisait soit l'achat ou la location.

[17]     La question qui se pose est de savoir si la décision du Ministre, au terme de cette audience, est conforme à la Loi, à la doctrine et la jurisprudence en matière d'assurabilité de l'emploi de l'appelant.

[18]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi pour déterminer que l'emploi de l'appelant n'était pas assurable. L'alinéa 5(1)a) se lit comme suit :

Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[19]     Selon l'arrêt bien connu Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (CAF), la jurisprudence a établi une série de critères servant d'outils dans la détermination d'un litige comme celui sous étude, c'est-à-dire :

1.        Le degré de contrôle sur le travail du travailleur;

2.        La propriété des instruments de travail;

3.        Les chances de bénéfice ou les risques de perte;

4.        L'intégration du travail de l'employé dans l'entreprise du payeur.

[20]     Le juge Décary de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.F. no. 1337, parlant de ces critères, s'exprimait en ces termes :

Les critères énoncés par cette Cour dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. [...], à savoir d'une part le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte et d'autre part l'intégration, ne sont pas les recettes d'une formule magique.    Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles.    Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail (art. 2085 du Code civil du Québec) ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service (art. 2098 dudit Code).    En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt.    Les parties doivent s'effacer devant le tout.

[21]     Il convient donc d'examiner la preuve, en l'espèce, à la lumière des critères établis ci-haut.

[22]     Les faits, en l'espèce, analysés sous les critères de la propriété des instruments de travail ainsi que celui des chances de bénéfice ou les risques de perte, ne posent aucune difficulté et supportent la conclusion que l'appelant exerçait un emploi assurable. À ce sujet, la preuve produite par l'appelant n'a pas été contredite par le Ministre.

Contrôle

[23]     Pour ce qui concerne le critère du contrôle, il convient d'en reconnaître l'application déterminée par les tribunaux, en particulier celle statuée par le juge Marceau dans l'arrêt Caron c. M.R.N., [1987] A.C.F. no. 270 :

...

Quant à la question de savoir s'il y avait eu effectivement louage de service, le juge ne conteste pas la réalité de la relation contractuelle mais se demande uniquement si cette relation contractuelle avait donné naissance à un contrat de louage de services ou à un contrat d'entreprise et sa conclusion à l'effet que l'employeur n'avait pas eu sur le travail de l'employé le contrôle caractéristique du contrat de louage de service se retrouve dans le paragraphe que voici :

En ce qui concerne le contrôle du travail de l'appelant par l'employeur, Roberto Caron, la preuve nous fournit des éléments que nous devons analyser en fonction de ce contrôle, car ce contrôle est exercé par le bénéficiaire des services sur le travail de celui qui les fournit en décelant le lien de subordination caractéristique du contrat de travail. Cependant, le degré de contrôle varie selon les circonstances et la nature du travail à exécuter. Or, le travail de l'appelant est de bûcher du bois, ce qui demande, évidemment, de l'expérience, laquelle l'appelant possédait. Par contre, l'employeur, Roberto Caron, qui est chauffeur de camion, a admis qu'il n'avait aucune expérience dans le domaine de bûcher du bois ainsi que sa mère. Et pour contrôler le travail de l'appelant, l'employeur n'étant pas expérimenté non plus que sa mère, ne pouvait en aucune manière exercer un contrôle quelconque, ni sa mère. Même s'il allait sur les chantiers le samedi voir le travail et que sa mère voyait les voyages de bois faits par l'appelant, cela ne démontrait pas le contrôle voulu sur le travail de l'appelant. En nous pouvons dire qu'il y avait absence totale de contrôle par l'employeur, Roberto Caron, et sa mère; d'ailleurs, l'employeur affirmait qu'il laissait l'appelant libre de faire son travail, se contentant simplement d'une vérification à la fin du travail le samedi pour voir si ce dernier était fait ou non.

A mon avis, le juge s'est référé pour interpréter la situation à une notion de contrôle qui dépasse en étendue celle requise en droit pour fonder une relation de commettant à préposé. S'il fallait accepter une telle notion, il ne pourrait jamais se créer un contrat de louage de service entre un employeur non-expérimenté dans l'exécution d'un travail à accomplir et un employé pour qui l'exécution d'un tel travail est le métier...

[24]     Il faudrait ajouter qu'il existe une jurisprudence abondante qui définit le contrôle du payeur par le pouvoir de contrôle sur le travailleur plutôt que le contrôle « de facto » .

[25]     Le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale a reconnu ce principe dans l'arrêt Ranjit Darbhanga c. M.R.N., [1995] A.C.F. no. 470 en statuant ce qui suit :

La décision de la Cour canadienne de l'impôt concluant que l'intéressée n'occupait pas un emploi assurable semble reposer sur la présomption que son employeur présumé n'était pas en mesure, en raison de sa maladie, de surveiller le travail de la requérante lorsqu'elle était à son emploi et qu'il en résulte nécessairement que ce travail avait été effectué en vertu d'un contrat d'entreprise plutôt que d'un contrat de louage de services. Cette conclusion est erronée. Un contrat peut constituer un contrat de louage de services même si l'employeur ne surveille pas le travail de l'employé, pourvu qu'il en ait effectivement le droit. Tel était évidemment le cas en l'espèce.

[26]     Le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale s'est également penché sur la notion de contrôle dans la détermination du contrat de louage de services. Dans l'arrêt Raymond-Guy Gallant c. M.R.N., [1986] A.C.F. No 330 il se prononçait en ces termes :

... Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions...

[27]     Il est vrai que le payeur n'était pas souvent sur le chantier, mais il le visitait de temps à autres, selon la preuve, pour y apporter des matériaux et des outils ainsi que pour donner ses directives, selon les priorités du projet. Par ailleurs, il y avait un contremaître sur le chantier en tout temps. Il y couchait même. C'est lui qui supervisait le travail de l'appelant. Cette preuve n'a pas été contredite. Examinés sous ce critère, les faits supportent la position prise par l'appelant.

L'intégration du travail de l'employé dans l'entreprise du payeur

[28]     L'avocate du Ministre a fait valoir que le travail de l'appelant ne s'inscrivait pas du tout dans le cadre de l'entreprise du payeur puisque celui-ci est bijoutier.

[29]     Il faut quand même noter que le Ministre a reconnu cette activité du payeur quand il précise ce qui suit dans sa Réponse à l'avis d'appel à l'alinéa 6 d) :

en 2001, pour augmenter la superficie de son commerce, le payeur a acheté une ancienne usine et a entrepris des travaux de restauration.

[30]     Le projet de restauration du payeur, il faut le reconnaître, était directement lié à son entreprise principale dont il voulait assurer l'expansion.

[31]     Dans l'exercice qui consiste à analyser le travail de l'appelant sous le critère de l'organisation ou de l'intégration, il est opportun de rapporter l'interprétation de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries, [2001] 2 R.C.S. 983, où le juge Major, en citant abondamment le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe Door Services c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, s'exprimait en ces termes :

   Le juge MacGuigan reconnaît qu'en dépit de ces critiques le critère d'organisation peut être utile (à la p. 563) :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright [dans l'arrêt Montreal] a posé la question « À qui appartient l'entreprise[?] » [Je souligne.]

Selon le juge MacGuigan, c'est le juge Cooke qui a fait la meilleure synthèse du problème dans la décision Market Investigations, Ltd. c. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), p.737-738 (suivie par le Conseil privé dans l'arrêt Lee Ting Sang c. Chung Chi-Keung, [1990] 2 A.C. 374, lord Griffiths, p. 382) :

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne travaillant à son compte? » Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel...

[32]     Dans l'exercice auquel se prête cette Cour, il est utile de retenir les conseils du juge Major dans l'arrêt Sagaz, précité, qui a statué ce qui suit :

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

[33]     Ainsi, comme le suggère le juge Major dans l'arrêt Sagaz, précité, cette Cour s'est posée la question centrale qui consiste à savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. À la question posée, cette Cour doit répondre que les faits ont clairement établit que l'appelant n'a pas oeuvré comme une personne travaillant à son compte.

[34]     L'appelant avait le fardeau de prouver, selon la prépondérance de la preuve, que les faits retenus par le Ministre étaient faux. À mon avis, il s'est acquitté de ce fardeau puisque l'examen de la preuve, à la lumière des critères établis par la jurisprudence et énoncés ci-haut, justifie l'intervention de cette Cour.

[35]     Selon la preuve, l'appelant a travaillé pour le payeur pendant une période de 20 semaines à raison de 58,25 heures par semaine, en moyenne au taux de 7,94 $ l'heure. Donc, la rémunération assurable de l'appelant, selon le Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations est établie selon le paragraphe 2(2) et se chiffre au montant de 9 250 $.

[36]     La prépondérance de la preuve a établi que l'appelant occupait un emploi assurable au sens de la Loi pendant la période en litige.

[37]     En conséquence, l'appel est accueilli et la décision rendue par le Ministre est annulée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 13e jour de décembre 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :

2004CCI771

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-3136(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Serge Grondin c. M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 25 octobre 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge suppléant S.J. Savoie

DATE DU JUGEMENT :

le 13 décembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Gilbert Nadon

Pour l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Gilbert Nadon

Étude :

Ouellet, Nadon, Barabé, Cyr, De Merchant, Bernstein, Cousineau, Heap, Palardy, Gagnon, Tremblay

Montréal (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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