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Dossier : 2003-3326(GST)I

ENTRE :

JEAN-YVES COUILLARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Cécile Beauchemin (2003-3328(GST)I le 14 juillet 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Denis Émond

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise dont l'avis porte le numéro 03401279 et est daté du 31 janvier 2003, pour la période du 1er octobre 1998 au 30 juin 2002, est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Dossier : 2003-3328(GST)I

ENTRE :

CÉCILE BEAUCHEMIN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Jean-Yves Couillard (2003-3326(GST)I le 14 juillet 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Jean-Yves Couillard

Avocat de l'intimée :

Me Denis Émond

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise dont l'avis porte le numéro 03401280 et est daté du 7 février 2003, pour la période du 1er octobre 1998 au 30 juin 2002, est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Référence : 2004CCI805

Date : 20041209

Dossiers : 2003-3326(GST)I

2003-3228(GST)I

ENTRE :

JEAN-YVES COUILLARD,

CÉCILE BEAUCHEMIN,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Ces appels ont été entendus sur preuve commune. Les cotisations se rapportent à la période du 1er octobre 1998 au 2 juin 2002. Le litige concerne la réclamation des crédits de taxe sur intrants ( « CTI » ) à l'égard de la remise en état et de l'exploitation d'une cabane à sucre. Les appelants soutiennent que cette exploitation fait partie de leur entreprise agricole. Le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a soustrait cette exploitation des activités agricoles des appelants. Le Ministre soutient que les appelants n'exercent pas à cet égard une activité commerciale.

[2]      Monsieur Jean-Yves Couillard est un agriculteur. Il relate que l'existence de la cabane à sucre remonte à l'époque de son arrière-grand-père. Il explique qu'il a été président de l'Union des Producteurs Agricoles ( « UPA » ) de St-Hyacinthe pendant huit ans, soit de 1977 à 1985. Ensuite, pendant 11 ans, il a été le vice-président général de l'UPA de 1983 à 1994. Pendant ces années, il n'a pu s'occuper de l'exploitation de la cabane à sucre. Par la suite, il a voulu remettre en état l'érablière et la cabane à sucre. Il a commencé en 1996, mais c'est surtout en 1999 qu'il y a travaillé. En 1998, il y a eu la tempête de verglas qui a endommagé non seulement les arbres mais aussi la cabane et les dépendances. Il y a beaucoup de travail pour nettoyer le sous-bois et mettre en valeur les érables. C'est en 2002, la première année qu'il a pu entailler les arbres. Il a entaillé 550 érables. L'année dernière, il a entaillé 800 érables.

[3]      L'appelant est agriculteur depuis l'âge de 16 ans. Il en a maintenant 72. Il dit qu'il serait bien malheureux qu'on enlève du statut de produits agricoles les produits acéricoles. Il fait savoir qu'au niveau de l'UPA, il y a une fédération de producteurs acéricoles. Que ce soit du temps de son arrière grand-père, son grand-père ou son père, le printemps a toujours commencé avec le travail à l'érablière.

[4]      Selon l'appelant, son érablière serait considérée comme une petite érablière. Il produit comme pièce A-1 une confirmation de police d'assurance de couverture agricole sur la cabane à sucre, sur l'équipement de la cabane à sucre et sur la responsabilité civile générale agricole.

[5]      L'avocat de l'intimée produit comme pièce I-2, les états financiers de l'entreprise des deux appelants. À la page 15 de ces états financiers, il montre que la vente des produits comme le maïs et le soja, en 2002, ont recueilli respectivement des sommes de 136 215 $ et 100 817 $, et les récoltes en 2001, 290 502 $, alors que les produits acéricoles, en 2002, 1 127 $ et en 2001 rien.

[6]      Madame Danielle Fleury, vérificatrice, a fait la vérification chez les appelants. Elle relate que lorsqu'elle a fait la visite de la cabane à sucre, elle a constaté que la bouilloire à sirop d'érable était installée dans un petit local adjacent à ce qu'elle appelle un chalet. Ce chalet comprend un foyer, un salon, une cuisine, une salle de bain et une chambre au deuxième étage. Elle a considéré qu'il s'agissait d'un bien à usage personnel et que les dépenses étaient de la même nature. Quand elle a regardé les états financiers de 1998 à 2001, il n'y avait aucun revenu de sirop d'érable paraissant aux états financiers.

[7]      Monsieur Couillard a dit que le petit local contenant la bouilloire était en fait de 24 pieds par 30 pieds et donc de bonne dimension. Il a dit qu'en effet, il ne s'agissait pas d'une cabane ouverte au public mais conçue pour la fabrication du sirop d'érable. En ce qui concerne le local adjacent, monsieur Couillard a dit qu'il ne s'agissait pas d'un chalet mais d'une aire de repos pour ceux qui vaquent au soin de la collecte de l'eau d'érable et de la fabrication du sirop d'érable.

[8]      L'avis d'opposition et l'avis d'appel relatent les mêmes raisons pour l'obtention de ce crédit que celles exprimées à l'audience.

[9]      Dans ses observations écrites en date du 30 juillet 2004, l'avocat de l'intimée s'exprime ainsi :

PREMIÈRE QUESTION

Les produits de l'érable sont-ils une fourniture détaxée au sens de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985) c. E-15 (ci-après « LTA » )?

En réponse à cette question, nous joignons, à la présente argumentation, un tableau qui a été compilé par Mme Germaine Banville, du ministère du Revenu du Québec. On remarque, en étudiant ce tableau, que les produits de l'érable sont une fourniture détaxée, à l'exception de la crème à l'érable et de la tire d'érable.

SECONDE QUESTION

Quel est le montant de CTI réclamé par l'appelant?

Pour la période visée, soit du 1er janvier 1999 au 30 juin 2002, le montant total de CTI réclamé par l'appelant est de 2 433,59 $.

ARGUMENTATION

- Vérification

Puisqu'il s'agit d'une fourniture détaxée, l'appelant a droit à son CTI. Par contre, tel qu'il appert du document produit sous la cote R-1 (page 2 de 4), la vérificatrice a refusé le CTI sur la base du paragraphe 170(2) LTA puisque « [...] l'utilisation des biens ou des services, compte tenu de leur qualité, de leur nature ou de leur coût, n'est pas raisonnable dans les circonstances, eu égard à la nature des activité commerciales. »

- Opposition

En opposition, le ministère du Revenu du Québec, pour et au nom de l'intimée, a maintenu la cotisation en s'appuyant sur la définition d' « activités commerciales » édictée à l'article 123 de la Loi et sur l'arrêt Stewart c. la Reine, [2002] 2 R.C.S. 645 par. 50, 54 et 55 (copie ci-jointe). Le Ministre a conclu que l'appelant n'exerçait pas cette activité de manière commerciale, mais plutôt de manière récréative.

PREUVE

Nous sommes d'avis que la preuve a démontré que l'appelant exerce l'activité concernant la cabane à sucre de manière récréative.

La façon de voir ce dossier par l'appelant est à l'effet que, puisqu'il s'agit d'une fourniture agricole, donc fourniture détaxée, il a droit au CTI peu importe la nature de l'activité. Cette approche fait fi du paragraphe 170(2) de la Loi. Selon nous, la preuve a démontré que l'activité concernant l'érablière n'est pas exploitée de façon commerciale et que la vérificatrice était fondée d'appliquer le paragraphe 170(2) LTA.

Analyse et conclusion

[10]     Le paragraphe 170(2) de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) se lit ainsi :

170(2) Autre restriction - Le calcul du crédit de taxe sur les intrants d'un inscrit n'inclut pas de montant au titre de la taxe payable par celui-ci relativement à un bien ou un service qu'il a acquis, importé ou transféré dans une province participante, sauf dans la mesure où :

a)          d'une part, la consommation ou l'utilisation du bien ou du service, compte tenu de leur qualité, nature ou coût, est raisonnable dans les circonstances, eu égard à la nature des activités commerciales de l'inscrit;

b)          d'autre part, le montant est calculé sur la contrepartie du bien ou du service ou sur la valeur du bien qui est raisonnable dans les circonstances.

[11]     La définition « activité commerciale » , à l'article 123 de la Loi se lit ainsi :

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a)          l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

b)          les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l'exception de quelque projet ou affaire qu'entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l'affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

c)          la réalisation de fournitures, sauf des fournitures exonérées, d'immeubles appartenant à la personne, y compris les actes qu'elle accomplit dans le cadre ou à l'occasion des fournitures.

[12]     Les paragraphes 50, 54 et 55 de l'arrêt de la Cour Suprême du Canada dans l'affaire Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645 se lisent ainsi :

50         Il est manifeste que, pour que l'art. 9 s'applique, le contribuable doit d'abord déterminer s'il a une source de revenu constituée soit d'une entreprise, soit d'un bien.    Comme nous l'avons vu, une activité commerciale qui ne constitue pas véritablement une entreprise peut néanmoins être une source de revenu constituée d'un bien. De même, il est clair que certaines démarches de contribuables ne sont ni des entreprises, ni des sources de revenu constituées d'un bien, mais sont uniquement des activités personnelles. On peut recourir à la méthode à deux volets suivante pour trancher la question de l'existence d'une source :

(i)          L'activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s'agit-il d'une démarche personnelle?

(ii)         S'il ne s'agit pas d'une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?

Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s'il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d'entreprise ou de bien.

...

54         Il y a également lieu de souligner que la détermination de l'existence d'une source de revenu n'est pas un processus purement subjectif. Outre le fait que, pour qu'une activité soit qualifiée de commerciale par nature, le contribuable doit avoir l'intention subjective de réaliser un profit, il faut aussi, tel que mentionné dans l'arrêt Moldowan, que cette détermination se fasse en fonction de divers facteurs objectifs. Ainsi, sous une forme plus élaborée, le premier volet du critère susmentionné peut être reformulé ainsi : « Le contribuable a-t-il l'intention d'exercer une activité en vue de réaliser un profit et existe-t-il des éléments de preuve étayant cette intention? » Cela oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l'activité et que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d'homme d'affaires sérieux.

55         Les facteurs objectifs énumérés par le juge Dickson dans Moldowan, précité, p. 486, étaient (1) l'état des profits et pertes pour les années antérieures, (2) la formation du contribuable, (3) la voie sur laquelle il entend s'engager, et (4) la capacité de l'entreprise de réaliser un profit. Comme nous le concluons plus loin, il n'est pas nécessaire pour les besoins du présent pourvoi d'ajouter d'autres facteurs à cette liste; nous nous abstenons donc de le faire. Nous tenons cependant à réitérer la mise en garde du juge Dickson selon laquelle cette liste ne se veut pas exhaustive et les facteurs diffèrent selon la nature et l'importance de l'entreprise. Nous tenons également à souligner que, même si l'expectative raisonnable de profit constitue un facteur à prendre en considération à ce stade, elle n'est ni le seul facteur, ni un facteur déterminant. Il faut déterminer globalement si le contribuable exerce l'activité d'une manière commerciale. Cette détermination ne devrait toutefois pas servir à évaluer après coup le sens des affaires du contribuable. C'est la nature commerciale de son activité qui doit être évaluée, et non son sens des affaires.

[13]     Selon cette décision, il faut d'abord déterminer si l'entreprise en cause est une démarche personnelle du contribuable. Si elle ne l'est pas, le critère de l'attente raisonnable est mis de côté pour les fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cependant, dans la Loi, la définition d'activité commerciale requiert spécifiquement que l'entreprise d'un particulier soit exploitée avec une attente raisonnable de profit. Selon la jurisprudence, (voir Janitsch v. R., [2004] G.T.C. 326; Mann v.R., 2003 DTC 1172; et Nadoryk v. R., 2003 DTC 5744 (CAF)) la décision Stewart (précitée) ne s'applique pas, du moins en totalité, à la Loi, vu la différence dans les textes législatifs.

[14]     Le Ministre ne met pas en doute ou en jeu le caractère d'activité commerciale de l'entreprise agricole des appelants. Le débat a porté sur le caractère personnel ou d'affaires de l'activité relative à la cabane à sucre. S'agit-il d'une activité personnelle des appelants? S'il s'agit d'une activité personnelle, le Ministre est d'avis qu'elle doit être retranchée des activités agricoles des appelants.

[15]     Il me faut donc analyser la preuve présentée. J'ai trouvé l'appelant un témoin crédible et les faits narrés plausibles. L'appelant a expliqué que ce qui avait été considéré comme un chalet personnel par la vérificatrice ne l'était pas, qu'il était utilisé par les personnes qui s'occupaient de la cueillette de l'eau d'érable et de la fabrication des produits acéricoles. Il a aussi expliqué que l'activité acéricole constituait la première activité agricole après la saison hivernale. Il faut aussi se rappeler que l'appelant a relaté qu'il avait mis beaucoup d'effort dans la remise en état de l'érablière elle-même. Il est vrai que le produit de la vente des produits était peu élevé, mais il faut voir cette exploitation dans son contexte historique et dans son contexte de remise en état tant pour les bâtiments, l'équipement, que pour les arbres.

[16]     Je suis d'avis que la preuve a révélé que l'exploitation de l'érablière n'était pas une entreprise de nature personnelle des appelants mais une entreprise faisant partie de leur exploitation agricole.

[17]     L'appel est en conséquence accordé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :

2004CCI805

Nos DES DOSSIERS

DE LA COUR :

2003-3326(GST)I

2003-3228(GST)I

INTITULÉS DES CAUSES :

Jean-Yves Couillard et La Reine

Cécile Beauchemin et La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

14 juillet 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 9 décembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :

Jean-Yves Couillard

Pour l'intimée :

Me Denis Émond

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour les appelants :

Nom :

Étude :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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