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Dossier : 2001-1236(IT)G

ENTRE :

MAYA FORESTALES S.A.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus les 10 et 11 février 2004 à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Pierre R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me François Daigle

Avocate de l'intimée :

Me Marie Bélanger

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JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996, 1997 et 1998 sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l'appelante a droit à la déduction des commissions, égales à 12,5 % du montant des ventes au Canada, aux fins du calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour chacune des années en litige, le tout avec dépens en faveur de l'intimée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de janvier 2005.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Référence : 2005CCI66

Date : 20050119

Dossier : 2001-1236(IT)G

ENTRE :

MAYA FORESTALES S.A.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge P. R. Dussault

[1]      Il s'agit d'appels de cotisations établies le 5 mai 2000 en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1994 à 1998 de l'appelante.

[2]      L'appelante est une société par actions constituée au Costa Rica.

[3]      Les cotisations ont été établies en tenant pour acquis que l'appelante était une personne non-résidente, qu'elle avait exploité une entreprise au Canada au cours des années en litige et qu'elle était de ce fait assujettie à l'impôt sur son revenu imposable gagné au Canada, et ce, par l'application du paragraphe 2(3), du sous-alinéa 115(1)a)(ii) et de l'alinéa 253b) de la Loi. Les cotisations ont été établies en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi et comprennent une pénalité pour production tardive, l'appelante n'ayant jamais produit de déclaration de revenu au Canada.

[4]      Au cours des années en litige, l'appelante a proposé à des Canadiens un investissement dans une plantation de tecks dont elle était la propriétaire enregistrée au Costa Rica (pièces A-6, I-5, I-6, I-9 et I-10). Plus de 80 investisseurs canadiens ont ainsi acquis un lot ou une partie de lot dans la plantation de tecks que l'appelante possédait au Costa Rica et ont signé avec l'appelante un contrat pour l'aménagement de ce lot ou cette partie de lot afin d'y planter et faire pousser des arbres de teck dans le but, plus tard, de les couper et de commercialiser le bois.

[5]      À titre d'exemple, en contrepartie d'une somme de 10 000 $ l'appelante proposait à l'investisseur l'acquisition d'un lot ou d'une partie de lot et des droits de plantation de 100 arbres de teck sur ce lot pour une somme de 100 $, soit 1 % du montant de l'investissement. Par un contrat distinct, l'appelante se faisait donner un mandat pour procéder à des travaux d'aménagement du lot et y planter les arbres en contrepartie d'une somme de 9 900 $, soit 99 % du montant de l'investissement. Le droit de chaque acheteur ou investisseur était simplement enregistré auprès du notaire de l'appelante au Costa Rica, un certain Me Rodolfo Loria.

[6]      Dans les contrats signés jusqu'au début de 1997 à tout le moins, l'appelante offrait à l'investisseur de lui racheter son lot, lui garantissant le prix de rachat. Ainsi, au terme d'une période de huit ans l'investisseur pouvait, dans un délai de 180 jours, exercer une option de céder son lot à l'appelante. Celle-ci garantissait le rachat du lot pour une somme égale à 70 % du total du prix d'achat et des frais d'aménagement, soit 7 000 $ dans l'exemple choisi. À cet effet, elle déposait en fidéicommis auprès d'un courtier en valeurs mobilières, Lévesque Beaubien Geoffrion de Montréal, une partie de la somme reçue de l'investisseur, de façon à générer la somme requise pour effectuer le rachat au terme de la période de huit ans.

[7]      Si, à l'expiration d'une période de huit ans, l'investisseur désirait que l'appelante procède à la coupe et à la vente du bois, celle-ci conservait une somme équivalente à 40 % du prix de vente net du bois à titre de frais de coupe et de commercialisation.

[8]      Dans les contrats signés à compter de 1997, on indique que des frais additionnels d'entretien et d'ingénierie forestière de 2 % par année, à payer en devises américaines, étaient demandés par l'appelante à l'investisseur et étaient inclus dans les 40 % de frais de coupe et de commercialisation conservés par l'appelante. Il n'y a pas d'indication du montant utilisé pour calculer ces frais additionnels de 2 % par année payables en devises américaines, mais il semble bien qu'ils étaient calculés en fonction du montant de l'investissement initial.

[9]      Les frais d'aménagement de 99 % payables au moment de la signature des contrats ainsi que les frais additionnels de 2 % par année étaient annoncés comme étant entièrement déductibles par l'investisseur dans le calcul de son revenu aux fins fiscales.

[10]     Tous les contrats soumis en preuve ont été signés par monsieur Michel Maheux, qui y est désigné comme mandataire de l'appelante. La preuve révèle également que deux sociétés constituées au Canada, soit Hexalog Ltée et Maya Inc., ont fait la promotion de l'investissement dans la plantation de tecks de l'appelante au Costa Rica.

[11]     Dans le but d'obtenir des informations sur le produit vendu aux investisseurs et de déterminer le statut fiscal de l'appelante, madame Madeleine Lapointe, agente de l'évitement fiscal au ministère du Revenu national et monsieur Jean-Michel Richard, vérificateur technique pour les non-résidents au même ministère, ont d'abord rencontré monsieur Pierre Roberge, président de Maya Inc. et représentant de l'appelante, Maya Forestales S.A.

[12]     Cette première rencontre a eu lieu le 6 octobre 1997 au 71, rue St-Alphonse Ouest à Thetford Mines (Québec), le siège social de Maya Inc., et monsieur Roberge a fourni un certain nombre d'explications sur ses intérêts dans l'appelante, sur les activités de celle-ci au Costa Rica et sur le rôle de Maya Inc. dans la promotion et la vente de l'investissement proposé dans la plantation de tecks de l'appelante au Costa Rica, puisque Maya Inc. avait un mandat écrit pour représenter l'appelante au Canada (pièce A-1, 1re partie). À la demande de monsieur Roberge, monsieur Michel Maheux s'est joint aux autres personnes dans l'après-midi et il s'est présenté comme étant le fondé de pouvoir de l'appelante (pièce A-1, 2e partie). Il a fourni des explications supplémentaires sur la constitution de l'appelante, sur ses activités au Costa Rica, sur les contrats proposés aux investisseurs canadiens et sur le rôle de différentes personnes, dont lui-même et monsieur Roberge, relativement aux activités de l'appelante.

[13]     Le compte rendu de la rencontre signé par madame Lapointe et monsieur Richard fait notamment état de ce que tous les contrats avec les investisseurs canadiens étaient signés au Canada et qu'ils étaient ensuite acheminés au Costa Rica. Lors de son témoignage, monsieur Maheux a affirmé qu'il avait plutôt apporté les contrats au Costa Rica pour les signer là-bas, ce qui est manifestement contraire à ce qui est indiqué dans les contrats eux-mêmes. Lors de son témoignage, monsieur Maheux a aussi affirmé qu'il s'était complètement départi de ses intérêts financiers dans l'appelante vers 1994 et 1995, ce qui n'a jamais été évoqué lors de la rencontre du 6 octobre 1997, tout au contraire. En tout état de cause, il s'est présenté comme étant le fondé de pouvoir de l'appelante. Monsieur Maheux a d'ailleurs signé lui-même, le 13 novembre 1995, comme « délégué de pouvoir » de l'appelante, une résolution pour le dépôt de valeurs mobilières auprès du courtier Lévesque Beaubien Geoffrion dans le but de garantir le rachat par l'appelante des lots acquis par les investisseurs (pièces I-7 et I-8). Dans l'avis d'appel « amendé » , il y a d'ailleurs une admission que monsieur Maheux est le représentant de l'appelante. De plus, comme je l'ai déjà mentionné plus haut, tous les contrats soumis en preuve ont été signés par lui comme mandataire de l'appelante.

[14]     Au terme de cette première rencontre, madame Lapointe a dressé une liste des livres et registres, des pièces justificatives et des autres documents dont elle estimait avoir besoin pour la poursuite de sa vérification.

[15]     Le 10 décembre 1997, madame Lapointe, accompagnée cette fois par monsieur Jean-Guy Dupont, également agent de l'évitement fiscal, a rencontré à nouveau monsieur Pierre Roberge. À cette occasion, monsieur Roberge a fourni des informations additionnelles concernant certaines caractéristiques des contrats signés entre l'appelante et les investisseurs et a accepté de remettre les livres et registres de Maya Inc. ainsi que des pièces justificatives. Toutefois, il semble bien qu'il n'était pas en possession de certains des documents demandés lors de la rencontre du 6 octobre 1997. De plus, il a informé madame Lapointe et monsieur Dupont qu'il ne pouvait leur remettre les livres et registres de l'appelante puisque Me Rodolfo Loria s'y opposait. Lors de cette rencontre, monsieur Roberge a aussi présenté certains arguments visant à démontrer que l'investissement proposé dans la plantation de tecks de l'appelante ne constituait pas un abri fiscal, puisque les représentants du ministère du Revenu national avaient, dès la rencontre du 6 octobre 1997, exprimé l'opinion qu'il s'agissait bien d'un abri fiscal.

[16]     Le 17 décembre 1997, Maya Inc. déposait à la Cour du Québec (chambre civile) une requête pour jugement déclaratoire dans le but de faire déclarer que les lots situés au Costa Rica achetés par des entrepreneurs québécois ne constituaient pas un abri fiscal au sens de l'article 1079.1 de la Loi sur les impôts du Québec (pièce A-4, 1re partie).

[17]     Maya Inc. a également formulé une requête devant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada dans le but de faire déclarer que les lots situés au Costa Rica, dont elle faisait la promotion, achetés par des entrepreneurs québécois ne constituaient pas un abri fiscal au sens de l'article 237.1 de la Loi. Le 29 juillet 1998, le juge Rouleau rendait une ordonnance déclinant compétence, puisqu'il estimait qu'il revenait à la Cour canadienne de l'impôt de se prononcer sur cette question (pièce A-3).

[18]     Le 24 mars 1998, n'ayant pas reçu les documents demandés concernant l'appelante, madame Lapointe faisait parvenir à celle-ci au Costa Rica, ainsi qu'à monsieur Michel Maheux à titre de fondé de pouvoir de l'appelante, une demande de produire des livres, registres, documents et pièces justificatives de l'appelante en vertu de l'article 231.6 de la Loi (pièce I-1). Cette demande a été contestée par monsieur Maheux par voie de requête en Cour supérieure du Québec (chambre civile) le 19 juin 1998 (pièce A-4, 2e partie).

[19]     Le 8 mars 1999, le juge Jules Allard de la Cour supérieure du Québec rendait jugement sur la requête en contestation de la demande faite en vertu de l'article 231.6 de la Loi mais restreignait la portée de la demande en la limitant aux documents nécessaires pour vérifier les déductions réclamées par les investisseurs canadiens, dont les contrats, des preuves de paiement et un document établissant le coût des services et des biens vendus à des contribuables canadiens (pièce A-5).

[20]     Le 7 juillet 1999, monsieur Jean-Michel Richard adressait à l'appelante au Costa Rica, à l'appelante aux soins de Maya Inc. à l'attention de monsieur Pierre Roberge, ainsi qu'à monsieur Michel Maheux, une demande de produire une déclaration de revenu pour les années 1994 à 1998. La demande faisait suite à une vérification des faits qui portait à conclure que l'appelante était une personne non-résidente ayant exploité une entreprise au Canada au cours des années en litige et qu'elle était ainsi assujettie à l'impôt sur son revenu imposable gagné au Canada en vertu des paragraphes 2(3) et 115(1) de la Loi (pièce A-8).

[21]     À la suite de cette demande, monsieur Maheux aurait fait parvenir une communication par télécopieur à monsieur Richard le 30 août 1999. Ce document n'a pas été soumis en preuve. Toutefois, monsieur Richard y a répondu par une lettre datée du 30 septembre 1999 dans laquelle il expose les faits sur lesquels il s'était fondé pour conclure que l'appelante avait exploité une entreprise au Canada et se réfère de façon expresse à la présomption édictée à l'alinéa 253b) de la Loi.

[22]     Lors de son témoignage, monsieur Jean-Michel Richard a fait état d'une vérification additionnelle effectuée auprès du courtier Lévesque Beaubien Geoffrion en août 1999. Cette vérification a permis d'obtenir certains documents signés par monsieur Michel Maheux au nom de l'appelante, y compris la résolution signée par lui le 13 novembre 1995 à titre de « délégué de pouvoir » et dont il a déjà été question (pièces I-6, I-7 et I-8).

[23]     Pour sa part, madame Lapointe a fait référence dans son témoignage à d'autres éléments découverts au cours de sa vérification et qui indiquaient que l'appelante avait une activité économique au Canada, soit, notamment, le fait qu'elle était inscrite dans le bottin téléphonique et avait au Canada une adresse et un numéro de téléphone qui étaient ceux de Maya Inc. (pièces I-2 et I-3).

[24]     Il ressort clairement du témoignage de madame Lapointe et de celui de monsieur Richard que les autorités ont réussi à obtenir un certain nombre d'informations et de documents demandés. Toutefois, il est tout aussi clair qu'après les différentes contestations et différents jugements, et les différentes rencontres et discussions, plusieurs documents jugés essentiels, dont les déclarations de revenu de l'appelante, n'ont jamais été produits.

[25]     C'est sur la foi des calculs de madame Lapointe concernant les ventes de l'appelante au Canada, calculs établis d'après les informations obtenues concernant les dépôts bancaires de Maya Inc., d'après celles obtenues des investisseurs eux-mêmes et d'après celles fournies par le ministère du Revenu du Québec, que monsieur Jean-Michel Richard a autorisé l'établissement des cotisations à l'égard de l'appelante pour les années en litige (pièce I-4).

[26]     Les déclarations de revenu de l'appelante n'ayant toujours pas été reçues, c'est à la fin de décembre 1999 que monsieur Jean-Michel Richard a fait la recommandation d'établir les cotisations.

[27]     Les cotisations ont finalement été établies le 5 mai 2000, l'appelante n'ayant toujours pas produit les déclarations demandées (pièces I-11 à I-16). Les cotisations ont été établies d'après les ventes brutes de l'appelante, puisque celle-ci, n'ayant jamais produit de déclaration, n'avait évidemment réclamé aucune déduction.

[28]     Toutefois, lors de l'audience, l'intimée a reconnu que des commissions égales à 12,5 % du montant total des ventes ont été versées par l'appelante à différentes sociétés et individus et qu'elle a donc droit à une déduction égale au montant de ces commissions aux fins du calcul de son revenu pour les années en litige.

[29]     L'avocat de l'appelante soutient que les cotisations doivent être annulées. Le premier motif soulevé est que les activités de l'appelante n'ont aucun caractère canadien puisque les contrats entre l'appelante et chaque investisseur se rapportent d'une part à la vente d'un bien situé au Costa Rica et d'autre part à un mandat pour des services qui sont entièrement exécutés au Costa Rica, de sorte que l'appelante n'aurait aucun revenu imposable gagné au Canada. Dans l'hypothèse où la Cour estimerait que l'appelante serait assujettie à l'impôt au Canada, soutient l'avocat de l'appelante, son revenu brut gagné au Canada devrait être égal aux commissions versées et ainsi son revenu gagné au Canada serait égal à zéro.

[30]     L'avocat de l'appelante prétend aussi que les cotisations établies à l'égard de l'appelante constituent une double imposition puisque les personnes ayant reçu les commissions ont déjà été imposées sur ces sommes.

[31]     Enfin, dans l'avis d'appel « amendé » , l'avocat de l'appelante soutient également que les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 sont prescrites, que les cotisations n'ont pas été établies dans un délai raisonnable et qu'ainsi il appartient à l'intimée de démontrer le bien-fondé des cotisations pour les années d'imposition 1994 et 1995, l'appelante « n'ayant pas fait preuve d'incurie » . Je dois admettre avoir ici certaines difficultés à comprendre ces prétentions quant à la prescription et au renversement du fardeau de la preuve. Quoi qu'il en soit, j'en traiterai après avoir abordé la question fondamentale, soit celle de savoir si l'appelante était assujettie à l'impôt sur le revenu au Canada et, dans l'affirmative, à l'égard de quelle somme.

Analyse

[32]     L'alinéa 2(3)b) de la Loi énonce qu'une personne non-résidente est assujettie à l'impôt sur le revenu au Canada pour une année d'imposition si elle a exploité une entreprise au Canada à un moment donné de l'année. L'impôt est payable sur son revenu imposable gagné au Canada déterminé conformément à la section D de la partie I de la Loi. Le sous-alinéa 115(1)a)(ii) de cette section D établit que ce revenu imposable gagné au Canada est celui qui serait déterminé en application de l'article 3 de la Loi si la personne non-résidente n'avait pas de revenu autre que les revenus tirés d'une entreprise exploitée par elle au Canada. De plus, lorsqu'une entreprise est exploitée à la fois au Canada et à l'étranger, l'alinéa 4(1)b) exige une répartition raisonnable du revenu, puisque seul le revenu imposable gagné au Canada doit être déterminé en vertu du sous-alinéa 115(1)a)(ii) de la Loi.

[33]     Par ailleurs, l'alinéa 253b) de la Loi établit la présomption irréfragable suivante :

ARTICLE 253 :          Extension du sens de « exploiter une entreprise »

Pour l'application de la présente loi, la personne - personne non-résidente ou fiducie à laquelle la partie XII.2 s'applique - qui exerce les activités ou effectue les dispositions suivantes au cours d'une année d'imposition est réputée, en ce qui concerne ces activités ou dispositions, exploiter une entreprise au Canada au cours de l'année :

a)          [...]

b)          elle sollicite des commandes ou offre en vente quoi que ce soit au Canada par l'entremise d'un mandataire ou préposé, que le contrat ou l'opération ait dû être parachevé au Canada ou à l'étranger ou en partie au Canada et en partie à l'étranger;

c)          [...]

[34]     Cette disposition mérite quelques observations générales. D'abord, il est assez évident que l'intention du législateur en édictant une pareille présomption était d'assujettir les personnes non-résidentes à l'impôt canadien, pour autant qu'un minimum d'activités commerciales s'exerce à l'intérieur des frontières canadiennes. Il est tout aussi évident que les transactions visées peuvent comporter des éléments ou des aspects internationaux. Il est aussi à noter qu'il n'est pas important qu'une transaction commerciale soit juridiquement complétée en sol canadien. De plus, il n'y a aucune exigence que l'objet de la sollicitation d'une commande ou de l'offre de vente ait un lien quelconque avec le territoire canadien. En effet, les mots « au Canada » qualifient l'activité de solliciter une commande ou d'offrir quoi que ce soit en vente et non l'objet de ces activités, puisque la présomption établit que ce sont ces activités elles-mêmes qui constituent l'exploitation d'une entreprise. Quant au mot « commandes » , ou « orders » dans la version anglaise, les dictionnaires courants lui donnent, dans l'usage commercial, le sens de demandes de marchandises ou de services. Par ailleurs, il faut reconnaître que l'utilisation en français de la locution pronominale indéfinie « quoi que ce soit » , dont l'équivalent dans la version anglaise est « anything » , ne comporte aucune restriction quant à ce qui peut faire l'objet d'une offre de vente, qu'il s'agisse d'un bien tangible ou intangible, meuble ou immeuble[1].

[35]     En effet, dans Le Grand Robert de la langue française, 2e édition, 1985, tome VII, à la page 974, on décrit les termes « quoi que ce soit » comme une « locution exprimant l'indétermination au plus haut degré » . Par ailleurs, dans The Oxford English Dictionary, 2e édition, 1989, volume 1, aux pages 539 et 540, « anything » est défini comme suit : « 1. [...] A combination of ANY and THING, in the widest sense of the latter, with all the varieties of sense belonging to ANY. [...] 2. [...] Thing of any kind. »

[36]     L'objet de l'article 253 est manifestement d'étendre la juridiction fiscale canadienne aux personnes non-résidentes en fonction de certaines de leurs activités en territoire canadien. Dans ce contexte, le choix, à l'alinéa 253b), de termes aussi larges quant à leur portée et aussi imprécis que « quoi que ce soit » en français et « anything » en anglais n'indique certainement pas une volonté du législateur de restreindre ce qui peut faire l'objet des activités visées, au contraire. Dans cette perspective, je ne vois pas en vertu de quel principe je serais autorisé à restreindre la portée de cette disposition.

[37]     Dans le cas présent, il ne fait pas de doute que l'appelante, par l'entremise d'un mandataire, a offert en vente au Canada des lots ou des parties de lot dans sa plantation au Costa Rica et qu'elle a aussi sollicité des commandes de services relativement à ces lots ou parties de lot, le tout se traduisant d'une part par une vente et d'autre part par un contrat de mandat pour procéder à l'aménagement du lot vendu et par un autre contrat de mandat pour faire plus tard la coupe des arbres et la commercialisation du bois. Bien que chaque aspect soit constaté par un contrat distinct, force est de reconnaître, et cela est d'ailleurs conforme à la brochure publicitaire (pièce I-5), que cet ensemble indissociable, ce package deal, avait pour but de vendre une entreprise d'exploitation forestière à un investisseur; l'appelante se faisait donner le mandat d'accomplir pour cet investisseur toutes les tâches nécessaires, tout en lui promettant de généreuses déductions fiscales, sans compter la garantie de rachat du lot qui était donnée, et ce, jusqu'au début de 1997 à tout le moins. C'est cette forme particulière d'investissement comprenant biens et services que l'appelante offrait en réalité aux investisseurs au Canada et c'est pour cette forme d'investissement que chacun d'eux payait, dès la signature du contrat, une somme globale pour le tout (pièce I-4, détail des ventes). Il est important de souligner également que c'est en fonction de l'acceptation par l'investisseur de cette proposition ou offre globale combinant la vente d'un terrain (1 %) et le paiement à l'avance des frais d'aménagement (99 %) que des commissions totalisant 12,5 % ont été versées à différentes personnes ou sociétés agissant comme mandataires de l'appelante.

[38]     À mon avis, l'alinéa 253b) de la Loi est applicable à ces offres globales faites par l'appelante aux investisseurs canadiens, offres qui, une fois acceptées, ont donné lieu aux contrats mentionnés, signés d'ailleurs au Canada, bien que ce fait ne soit pas vraiment important, par chaque investisseur et par monsieur Michel Maheux à titre de mandataire de l'appelante.

[39]     On sait que les cotisations ont été établies en fonction des ventes brutes de l'appelante au Canada et qu'à l'audience l'intimée a reconnu que les commissions versées, égales à 12,5 % de ces ventes, doivent être admises en déduction aux fins d'établir le revenu imposable de l'appelante gagné au Canada selon le sous-alinéa 115(1)a)(ii) de la Loi.

[40]     Lors de la présentation de ses arguments à l'encontre des cotisations, l'avocat de l'appelante s'est référé au Bulletin d'interprétation IT-420R3 -Non-résidents - Revenu gagné au Canada, en date du 30 mars 1992. Ce bulletin traite notamment, au paragraphe 10, de la répartition raisonnable du revenu et des dépenses déductibles qui doit être faite, lorsqu'un non-résident exploite une entreprise à la fois au Canada et à l'étranger, de façon à déterminer son revenu imposable gagné au Canada aux fins du sous-alinéa 115(1)a)(ii) de la Loi.

[41]     L'avocat de l'appelante s'est aussi référé au Bulletin d'interprétation IT-270R2 - Crédit pour impôt étranger, en date du 11 février 1991. Le paragraphe 26 de ce bulletin traite plus particulièrement de la question de la détermination de la source territoriale du revenu. On y déclare que, pour déterminer l'endroit où une entreprise ou partie d'une entreprise est exploitée, il faut prendre en considération tous les facteurs pertinents, mais qu'en règle générale il s'agit de l'endroit où se déroulent essentiellement les opérations. On y expose ensuite les facteurs sur lesquels le ministère s'appuie pour déterminer le lieu d'exploitation d'un type particulier d'entreprise. On indique ainsi que, s'il s'agit de la mise en valeur et de la vente de biens immeubles, on tient compte de l'endroit où les biens sont situés, et s'il s'agit de services, on tient compte de l'endroit où les services sont exécutés.

[42]     Ma première remarque est que ces énoncés, qui s'appuient sur les règles de droit commun généralement acceptées, doivent être compris en fonction du contexte dans lequel ils ont été faits et qu'ils ne peuvent en aucun cas avoir préséance sur une disposition législative comportant une présomption irréfragable lorsque l'existence des conditions nécessaires à son application a été constatée.

[43]     D'ailleurs, l'alinéa 253b) écarte également une autre règle de droit commun, qui accorde une importance au lieu de la conclusion des contrats (voir Grainger and Son v. Gough (Surveyor of Taxes) (1896), 3 T.C. 462 (H.L.)). On y précise en effet que la présomption est applicable aux activités visées « que le contrat ou l'opération ait dû être parachevé au Canada ou à l'étranger ou en partie au Canada et en partie à l'étranger » .

[44]     Comme je l'ai dit plus haut, l'alinéa 253b) de la Loi me paraît manifestement applicable aux activités de l'appelante au Canada. Il ne s'agit toutefois pas là d'une négation de ses activités commerciales à l'étranger et plus particulièrement au Costa Rica, d'où elle tire vraisemblablement une autre partie de son revenu. La question qui se pose alors est celle de la répartition raisonnable du revenu et des déductions qui pourraient être applicables, aux fins d'établir son revenu imposable gagné au Canada en vertu du sous-alinéa 115(1)a)(ii) de la Loi. Or, l'appelante a toujours refusé de produire des déclarations de revenu au Canada pour les années en litige et les cotisations ont été établies compte tenu de ses ventes brutes seulement, et ce, à partir, d'ailleurs, d'informations obtenues chez des tiers. Sous réserve de l'admission de l'intimée que 12,5 % du montant total des ventes ont été payés en commissions et qu'il s'agit là d'une déduction dont l'appelante peut se prévaloir, celle-ci n'a apporté aucune preuve de quelque nature que ce soit permettant d'établir autrement le revenu imposable gagné au Canada grâce aux activités visées par la présomption de l'alinéa 253b) de la Loi. Il est impossible pour les autorités fiscales d'établir une répartition raisonnable du revenu lorsque le contribuable lui-même se refuse à fournir les informations nécessaires et il est impossible pour ces mêmes autorités d'accorder des déductions que le contribuable n'a jamais réclamées puisqu'il a refusé de produire les déclarations exigées.

[45]     Si l'avocat de l'appelante reproche aux autorités de n'avoir fait aucune ventilation des revenus et des dépenses de l'appelante, force est de reconnaître que celle-ci n'en a proposé aucune ni apporté quelque preuve que ce soit à cet égard. Il peut être utile de rappeler simplement le principe selon lequel il revient d'abord au contribuable de démolir les présomptions utilisées par le ministre pour fonder sa cotisation; voir notamment Johnston v. M.N.R., [1948] R.C.S. 486, [1948] C.T.C. 195, 3 DTC 1182 et Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, aux paragraphes 91 à 98. L'affirmation de l'avocat de l'appelante que le revenu de celle-ci gagné au Canada, à supposer qu'elle soit assujettie à l'impôt au Canada, serait simplement égal aux commissions versées, donc nul, demeure simplement ce qu'elle est, une affirmation et non la preuve de quoi que ce soit.

[46]     Cela m'amène à traiter de la question de la prescription en ce qui concerne les années 1994, 1995 et 1996 et de celle du renversement du fardeau de la preuve à l'égard des années 1994 et 1995, soulevées par l'avocat de l'appelant et auxquelles j'ai fait allusion précédemment.

[47]     D'abord, les cotisations établies pour toutes les années en litige sont des cotisations initiales établies en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi, l'appelante n'ayant produit aucune déclaration de revenu pour ces années. Or, la Loi ne fixe aucun délai pour établir une telle cotisation initiale, qui peut donc être établie en tout temps, contrairement à une nouvelle cotisation ou à une cotisation supplémentaire, qui ne peut généralement être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation définie au paragraphe 152(3.1) de la Loi que dans les circonstances énoncées au paragraphe 152(4) de la Loi. De plus, ce n'est qu'à l'égard d'une nouvelle cotisation établie après la période normale de nouvelle cotisation que le ministre a la charge initiale d'établir les faits lui permettant de procéder à une cotisation après cette période.

[48]     Reste à traiter de la question de la diligence dans l'établissement des cotisations. Les faits relatés ci-dessus démontrent les difficultés rencontrées par les autorités fiscales, dès la première rencontre du 6 octobre 1997 avec monsieur Pierre Roberge puis avec monsieur Michel Maheux, en tentant d'obtenir les documents demandés afin de pouvoir vérifier la situation de l'appelante et celle des investisseurs. J'ai fait état des différentes demandes faites par les autorités et des contestations par Maya Inc. ainsi que par monsieur Michel Maheux tant devant la Cour du Québec et la Cour supérieure du Québec que devant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada. De plus, comme je l'ai mentionné à plusieurs reprises, l'appelante n'a pas produit de déclaration de revenu pour les années en litige, même après avoir été formellement requise de le faire. Toutes les contestations ont créé des retards dont la responsabilité ne peut être imputée aux autorités fiscales, qui cherchaient à obtenir tous les documents nécessaires à une vérification complète des activités de l'appelante liées à sa sollicitation de canadiens pour investir dans sa plantation de tecks au Costa Rica. Ce n'est qu'une fois les recours épuisés et alors que l'expiration du délai ultime donné à l'appelante pour produire ses déclarations de revenu approchait, soit à la fin de décembre 1999, que monsieur Jean-Michel Richard a finalement recommandé que les cotisations soient établies. L'appelante ayant elle-même, jusque-là, toujours omis de produire ses déclarations, elle est fort malvenue d'invoquer le manque de diligence des autorités. Les cotisations, il est vrai, n'ont été établies que le 5 mai 2000 et le laps de temps entre la date de la recommandation de monsieur Jean-Michel Richard et la date des cotisations n'a pas été expliqué. À supposer même que l'on puisse reprocher ce retard aux autorités, il est clairement établi que le manque de diligence ne peut constituer un motif valable pour annuler les cotisations (voir notamment The Queen v. Ginsberg, [1996] 3 C.T.C. 63, 96 DTC 6372 (C.A.F.), [1996] A.C.F. no 777 (Q.L.), Carter v. The Queen, [2001] 4 C.T.C. 79, 2001 DTC 5560 (C.A.F.), [2001] A.C.F. no 1435 (Q.L.) et Lassonde c. La Reine, 2003 DTC 1289 (C.C.I.), [2003] A.C.I. no 560 (Q.L.). Cela est d'autant plus vrai que les cotisations ont été établies non pas en vertu du paragraphe 152(1) de la Loi à la suite de l'examen de déclarations produites, mais bien en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi en l'absence d'une déclaration pour chacune des années en litige.

[49]     Compte tenu de ce qui précède, les appels des cotisations établies pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996, 1997 et 1998 de l'appelante sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l'appelante a droit à la déduction des commissions, égales à 12,5 % du montant des ventes au Canada, aux fins du calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour chacune des années en litige.

[50]     Le tout avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de janvier 2005.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


RÉFÉRENCE :

2005CCI66

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-1236(IT)G

INTITULÉ DE CAUSE :

Maya Forestales S.A. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

les 10 et 11 février 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge P. R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :

le 19 janvier 2005

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me François Daigle

Avocate de l'intimée :

Me Marie Bélanger

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Ville :

Me François Daigle

Bélanger, Sauvé

Trois-Rivières (Québec)

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]    Dans un article intitulé « Rethinking Canada's Source Rules in the Age of Electronic Commerce: Part 1 » (1999), 47Revue fiscale canadienne 1077 » , l'auteur Jinyan Li affirme à la page 1096 : « The word "anything" is very broad and includes both tangible and intangible property, as well as services » . Par ailleurs, il fait remarquer que l'alinéa 253b) est très large quant à sa portée et quelquefois ambigu et il pose la question de savoir si cet alinéa s'applique aux biens immeubles. Enfin, il exprime à la page 1097, à la note infrapaginale 71, l'opinion qu'il ne devrait pas s'appliquer aux biens immeubles situés à l'étranger, et ce, suivant la règle de droit commun voulant que l'exploitation d'une entreprise concernant des biens immeubles se fasse au lieu où sont situés les immeubles. Signalons que l'alinéa 139(7)b), le prédécesseur de l'alinéa 253b), a été appliqué lorsqu'une personne non-résidente avait offert un bien immeuble en vente au Canada par l'entremise d'un agent ou mandataire dans les affaires Thea Corporation v. M.N.R., 67 DTC 175 (C.A.I.) et Neuberger v. M.N.R., 69 DTC 127 (C.A.I.). Dans la décision Masri c. M.R.N., [1973] C.F. 848, 73 DTC 5367 (C.F. 1re instance), on a reconnu que l'alinéa 139(7)b) était d'une portée suffisamment large pour s'appliquer aux biens immeubles. Toutefois, dans l'affaire Abed v. M.N.R., 78 DTC 6007 (C.F. 1re instance) [1977] A.C.F. no 1107 (Q.L.), reliée à l'affaire Masri (précitée), le juge Walsh affirmait ce qui suit : « The argument raised before me is that Section 139(7)(a) refers to "that thing" and 139(7)(b) uses the word "anything", and taken in the context of subparagraph (a) I find it difficult to conclude that vacant land can be considered as a "thing", so that in my view Section 139(7) has no application » . Toutefois, il fut décidé que l'appelant était imposable au Canada en vertu du prédécesseur de l'alinéa 2(3)b) de la Loi,puisqu'il y avait exploité une entreprise. La Cour d'appel fédérale a confirmé ce fondement de la décision : Abed Estate v. The Queen, 82 DTC 6099, [1982] A.C.F. no 107 (Q.L.). Dans l'affaire Sudden Valley, Inc. c. La Reine, [1976] 2 C.F. 462, 76 DTC 6178 (C.F. 1re instance), il était question de l'application de l'alinéa 253b) aux activités de publicité de l'appelante au Canada concernant des terrains situés dans l'État de Washington aux États-Unis. La cour a conclu que la preuve démontrait que l'appelante n'avait fait qu'inciter des résidents de la région de Vancouver à visiter Sudden Valley, sans plus. Ainsi, le juge Addy concluait : « [...] it is abundantly clear that no offer was obtained and no attempt was made to obtain any in Canada and it is equally clear that nothing was offered for sale in Canada either through an agent or otherwise » . Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale, dont le jugement est publié à 76 DTC 6448, [1977] 1 C.F. 617. Pour un commentaire plus détaillé sur ces décisions voir : Constantine A. Kyres, « Exploiter une entreprise au Canada » (1995), 43 Revue fiscale canadienne 1672.

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