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Dossier : 2001-2051(IT)G

ENTRE :

WILLIAM HAMMILL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 10 et 11 février 2004 à Kitchener (Ontario)

 

Par le juge Theodore E. Margeson

 

COMPARUTIONS

 

Avocat de l’appelant :

Me George G. Voisin

 

Avocats de l’intimée :

Me Roger Leclaire

Me Michael Ezri

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

            Les appels interjetés à l’encontre des avis de cotisation établis en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des années d’imposition 1994, 1995 et 1996 sont rejetés.

 

L’intimée pourra faire taxer ses dépens dans la présente action.

 

            Signé à New Glasgow (Nouvelle-Écosse), le 13 septembre 2004.

 

 

« T. E. Margeson »

Juge Margeson

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de  mars 2005.

 

Jacques Deschênes, traducteur


 

 

 

 

 

 

 

Référence : 2004CCI595

Dossier : 2001-2051(IT)G

ENTRE :

WILLIAM HAMMILL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Juge Margeson

 

[1]        Lorsqu’il a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant pour les années d’imposition 1994, 1995 et 1996, le ministre a modifié le revenu de l’appelant et refusé la déduction des montants suivants :

 

1994

frais d’intérêts réputés

4 210 $

1995

frais d’intérêts réputés

27 978 $

1996

dépenses

1 716 222 $

1996

frais d’intérêts

139 578 $

 

Les montants refusés totalisaient 4 210 $ en 1994, 27 978 $ en 1995 et 1 855 800 $ en 1996.

 

[2]        Le ministre a soutenu que les dépenses de 4 210 $ et 27 978 $ déduites à titre de frais d’intérêts réputés pour les années d’imposition 1994 et 1995, respectivement, ont été refusées à juste titre puisqu’elles n’ont pas été effectuées ou engagées principalement en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien; la dépense de 1 855 800 $ déduite au titre de pertes d’entreprise pour l’année d’imposition 1996 a été refusée à juste titre, car elle n’a pas été effectuée ou engagée principalement en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien; les dépenses de 4 210 $, 27 978 $ et 1 855 800 $ déduites à l’égard des années d’imposition 1994, 1995 et 1996, respectivement, n’étaient pas raisonnables dans les circonstances. Le ministre s’est appuyé principalement sur les dispositions de l’alinéa 18(1)a) et de l’article 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).


Preuve

 

[3]        Au début du procès, les pièces A-1 et R-1 ont été admises sur consentement, sans restriction, sauf que le rapport de George Arnold n’a pas été utilisé. Les parties ont convenu par ailleurs de permettre que soient présentés en preuve le rapport de Gary F. Parker au sujet des principes comptables généralement reconnus (les « PCGR ») et le rapport du policier Tim Laurence. Les parties ont présenté un [TRADUCTION] Énoncé des aveux et exposé conjoint des faits, document qui se lit comme suit :

 

1)                  L’appelant est un lieutenant-colonel à la retraite de la Force de réserve des Forces canadiennes. Il a été commandant de régiment de 1977 à 1980 puis de 1983 à 1986.

 

2)                  L’appelant est copropriétaire d’une entreprise de fabrication de vêtements florissante installée à Guelph, en Ontario, qui compte 200 employés et réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 12 millions de dollars. Il supervise 26 vendeurs répartis dans 15 bureaux de vente et effectue des ventes lui-même; l’entreprise possède environ 4 500 clients.

 

3)                  En 1987, l’appelant a commencé à acheter des pierres précieuses, à des fins de revente, auprès de York Union, une entreprise de la région de Toronto. Le premier contact s’est fait par sollicitation téléphonique. Avant de procéder aux achats, l’appelant a visité York Union et, tout au long de leur relation d’affaires, s’est rendu dans les bureaux de l’entreprise à maintes occasions. York Union a mis fin à ses activités en 1990. Bill Hawkins, qui était la personne-ressource de l’appelant chez York Union, est allé travailler chez H&H Rarities, également située dans la région de Toronto. L’appelant a continué d’acheter des pierres précieuses de H&H Rarities jusqu’en juillet 1992 dans le but de les revendre à profit. Déjà, en 1992, il avait fait l’acquisition de pierres précieuses lui ayant coûté 272 789 $. En 1994, ses stocks étaient passés à 529 926 $.

 

4)                  En 1993, lorsque l’appelant a décidé que le moment était venu de vendre ses pierres précieuses, il a demandé conseil à Bill Hawkins, chez H&H Rarities, entreprise avec qui il avait conclu des transactions satisfaisantes pendant plusieurs années. Un homme, Peter Manning, de Premier Group Investments (« Premier »), a téléphoné à M. Hammill pour l’aviser que H&H Rarities lui avait demandé de communiquer avec lui. Premier a offert son aide à l’appelant. Ce dernier a communiqué avec Harold Schnap, président de Premier, et il a communiqué régulièrement au cours des années suivantes, en personne ou au téléphone, avec des représentants de Premier, notamment Harold Schnap, Andrew Martin et Peter Manning. L’appelant a vérifié les déclarations qu’on lui faisait auprès d’autres représentants de Premier, auprès d’une autre entreprise évoluant dans le secteur des pierres précieuses, International Gem Consultant, et d’autres investisseurs du domaine.

 

5)                  Andrew Martin était la principale personne-ressource de M. Hammill chez Premier. Il a présenté à l’appelant une offre provenant d’un acheteur installé outre-mer qui se traduirait par un profit très important. M. Hammill a alors appris que, pour conclure la transaction, il devait verser d’avance des frais substantiels à Premier ou selon ses directives. Ces frais ont été désignés tour à tour [TRADUCTION] « garantie de bonne exécution », « assurance », « frais d’expédition », « commission de vente » et « frais d’administration ».

 

6)                  La vente n’a pas eu lieu. Andrew Martin avait une explication et une nouvelle offre. C’est quatre autres fois que l’appelant a reçu une offre, qu’il a été obligé de payer des frais d’avance et que la transaction a échoué. À une occasion, des tierces parties ont prétendu avoir enregistré des privilèges sur les stocks de pierres précieuses de M. Hammill. Celui-ci a déboursé de l’argent pour obtenir la mainlevée de ces privilèges.

 

7)                  Les cinq offres possédaient les caractéristiques suivantes :

 

a)         elles laissaient entrevoir de très gros profits pour l’appelant;

b)         des frais devaient être versés d’avance;

c)         elles étaient le résultat d’une fraude de la part d’Andrew Martin et de ses complices;

d)         aucune ne s’est jamais conclue par une vente.

 

8)                  Entre 1993 et 1996, l’appelant a effectué une quarantaine de paiements relatifs à cinq offres. Il a versé à Premier ou selon ses directives un total de 1 651 766 $.

 

9)                  L’appelant croyait que les sommes versées à Premier ou selon ses directives visaient à faciliter la vente des pierres précieuses à profit.

 

10)              Voici un résumé des résultats économiques auxquels les ententes auraient donné lieu si elles n’avaient pas été frauduleuses et si une des transactions s’était conclue par une vente :


 


Numéro de l’offre

Prix de vente

[converti en $CAN]

Coût des stocks

Sommes versées par l’appelant à Premier, aux titulaires de privilèges ou selon les directives de Premier

[en $CAN]

Profit brut,

après déduction des sommes versées à Premier,

aux titulaires de privilèges ou selon les directives de Premier

1

  2 218 800 $

    292 788 $

     360 540 $

  1 565 472 $

2

  1 190 414

    292 788

     139 410

       758 216

3

  3 401 560

    529 926

     457 914

    2 413 720

4

  7 879 032

    529 926

     479 438

    6 872 668

5

  6 412 900

    529 926

     214 464

    5 668 510

Total

  1 651 766 $

 

 

11)              En 1996, l’appelant s’est rendu compte que Premier Investments avait commis une série de fraudes à son endroit et a consulté la GRC. Il a aidé les policiers dans leur enquête. La GRC a effectué une descente dans les bureaux de Premier et arrêté le représentant que l’appelant connaissait sous le nom de « Andrew Martin ». Ce dernier a été identifié comme étant un certain Michael Davis-Bingham, alias Barry Davis; il a été accusé de vol de plus de 5 000 $ puis remis en liberté sur cautionnement. Il s’est enfui, et un mandat d’amener a été délivré contre lui. L’entreprise Premier a disparu, tout comme les autres représentants.

 

12)              Andrew Martin avait en sa possession les pierres précieuses de M. Hammill en 1996. Lors de son arrestation et de sa fuite subséquente, les pierres précieuses en question ont aussi disparu. L’intimée a accepté la déduction d’une perte d’entreprise découlant du vol des pierres précieuses de l’appelant.

 

13)              L’intimée a refusé la déduction des frais payés d’avance à Premier ou selon ses directives.

 

14)              En conséquence de ce refus, l’intimée a aussi refusé la déduction des frais d’intérêts relativement aux années d’imposition 1994, 1995 et 1996.

 

15)              Advenant que notre Cour autorise la déduction des paiements versés à Premier ou selon ses directives, ces montants seront appliqués à l’année d’imposition 1996.

 

16)              L’appelant exploitait une entreprise qui était un projet comportant un risque de caractère commercial.

 

17)              Les paiements ont été faits à Premier ou selon ses directives au moyen de traites bancaires, de virements télégraphiques et d’espèces. Tous les montants ont été vérifiés par la GRC.

 

18)              En règle générale, Premier n’a fourni aucun reçu, aucune facture ni aucun autre document commercial étayant les versements effectués par l’appelant.

 

19)              Voici les quelques cas où il y avait des pièces justificatives. Les numéros d’onglets et de pages renvoient à la liste de documents de l’appelant :

 


Onglet

Document

Description

 

6

Convention d’achat et de vente

Prix d’achat présumé de 1 720 000 $US et commentaire : [traduction] « Une garantie de bonne exécution de 10 % devra être versée en guise de cautionnement relatif à la livraison des biens ».

14

Titus Private

Holdings Inc.

[TRADUCTION]

« 1. Le reste des fonds totalisant 17 000 $US doit être versé en totalité avant la date de clôture qui a été fixée au 3 septembre 1994.

2. Tous les frais, y compris les frais de montage et de garde de la banque ainsi que les frais de décaissement, doivent être répartis également, de sorte que la quote-part des frais de M. Hammill totalise 6 700 $ et la vôtre, 3 000 $ (tous les montants sont libellés en dollars canadiens). »

17

Reçu signé par Andrew Martin pour 25 000 $CAN en espèces

[TRADUCTION] « Reçu le 27 avril 94 de WHH pour certification + transp. + ass. + frais d’adm. 

[signé] Andrew Martin »

22

Titus Private Holdings

[TRADUCTION] « Nous avons été avisés par nos partenaires chez D & S Enterprises Incorporated de respecter les mêmes modalités de garde jusqu’à ce que l’affaire soit réglée. Le problème découle de rapports obtenus de P.G.L.I. et de G.L.S. indiquant que les biens portant les numéros 1 à 5 sont grevés de charges qui totalisent 45 000 $, que les privilèges sont détenus par plus d’une partie... »

23

Omega Speciality Investment Banking

[TRADUCTION] « Tous les privilèges ont été levés sauf ceux dont vous avez été avisés, ces privilèges et le SO3 qui a été enregistré à New York totalisaient 248 000 $CAN »

36

G'Ral Management Limited

[TRADUCTION] « Les autres frais nécessaires sont conformes à ce que nous avons discuté, soit un montant équivalant à 0,25 % du total qui doit être transféré. Je dois préciser qu’il s’agit là de VOTRE RESPONSABILITÉ à vous seul et qu’elle n’incombe à personne d’autre. »

43

Convention d’entiercement

[TRADUCTION] « Les frais payables au(x) mandataire(s), selon le cas, se chiffrent à cinq cent soixante-neuf mille dollars américains (569 000 $US), somme qui sera remise au dépositaire qui s’occupera de la répartition... »

51

 

p. 2

Convention d’entiercement

[TRADUCTION] « Le vendeur versera des frais au(x) mandataire(s), selon le cas, pour avoir facilité la transaction envisagée dans la convention d’achat et de vente intervenue entre le vendeur et l’acheteur.

 

Les frais payables au(x) mandataire(s), selon le cas, se chiffrent à six cent quatre-vingt-quinze mille dollars américains (695 000 $US), somme qui sera remise au dépositaire pour répartition entre le(s) mandataire(s) conformément aux instructions écrites du vendeur à la clôture de la transaction envisagée dans la convention d’achat et de vente. »

58

Reçu signé par Andrew Martin pour

6 205 $US

[TRADUCTION] « Andrew Martin a reçu de William Hammill la somme de 6 205 $US en espèces. »

 

 [signé] Andrew Martin »

 

[4]        À l’audience, William Homer Hammill a raconté qu’il travaillait dans le secteur de la fabrication. Il avait servi dans la Force de réserve des Forces canadiennes, où il avait atteint le grade de lieutenant-colonel à sa retraite en 1986. Il travaillait pour J.P. Hammill and Sons Ltd., fabricant de vêtements et d’uniformes. Il était un des associés principaux de l’entreprise, qui compte 200 employés. Le chiffre d’affaires atteint quelque 12 ou 13 millions de dollars par année. L’entreprise possède environ 4 000 clients, 26 vendeurs et 15 différents bureaux, notamment à Dartmouth (Nouvelle-Écosse), à Nanaimo (Colombie-Britannique) et à Houston, au Texas. Elle reçoit aussi des commandes par téléphone.

 

[5]        En 1987, M. Hammill s’est intéressé à l’achat de pierres précieuses par suite d’un appel téléphonique reçu d’un vendeur de Toronto. Cette activité commerciale lui a semblé intéressante, de sorte qu’il s’est rendu dans les bureaux de York Union, à Toronto, où il s’est entretenu avec un dénommé Peter Walker, puis, plus tard, avec un certain Bill Hawkins. Il a acheté des pierres précieuses de ces deux hommes.

[6]        Il avait l’intention de se constituer des stocks de pierres précieuses qu’il vendrait ensuite. Les pierres étaient emballées en petites quantités et étaient accompagnées d’un certificat d’authenticité. M. Hammill les gardait à son bureau et chez lui. Elles ne pouvaient être portées comme bijoux.

 

[7]        Peter Walker a quitté York Union, et c’est Bill Hawkins qui l’a remplacé. York Union a mis fin à ses activités et Bill Hawkins est allé travailler pour H&H Rarities. L’appelant lui a rendu visite à son bureau à quelques occasions et lui a acheté des pierres précieuses plusieurs fois. Il n’a pas assuré ses pierres précieuses, parce que ça coûtait très cher et qu’il croyait que les pierres étaient en sécurité. Il a financé les achats sur son fonds de roulement. À l’été 1993, il a décidé de s’atteler sérieusement à la vente de ses pierres précieuses. Il en a discuté avec Bill Hawkins. M. Hammill a ensuite reçu un coup de téléphone de Peter Manning lui annonçant qu’il travaillerait avec lui. M. Manning savait que l’appelant possédait des stocks intéressants. L’appelant a appris qu’un certain Harold Schnap était président de Premier Group Investments.

 

[8]        L’appelant a conclu cinq transactions avec Andrew Martin.

 

[9]        L’appelant s’est reporté à une convention d’achat et de vente[1] et a déclaré qu’il l’avait signée. Le document porte le nom de « Martin & Douglas Holdings and Fiduciary Service » et est signé par Harold P. Schnap, qui y était nommé en tant que président des services internationaux. L’appelant l’a signé également. La convention visait 54 pierres précieuses, soit la totalité des stocks de l’appelant. Le prix d’achat indiqué était de 1 720 000 $US, et l’appelant était censé tirer un profit de la vente. Il devait fournir une garantie de bonne exécution en plus. Andrew Martin lui a expliqué qu’il s’agissait d’un document garantissant à l’acheteur que le vendeur lui fournirait des certificats et qu’il ferait tout son possible pour conclure la vente.

 

[10]      M. Hammill a reçu une lettre[2] qui était supposément imprimée sur le papier à en-tête de Rupertson, Fitzgerald, Barrister and Solicitors, même si elle ne comportait aucune adresse de retour. Cette lettre était adressée à Martin & Douglas Inc., de Toronto, et à M. Schnap, avec copie conforme à l’appelant. Ce dernier a considéré cette lettre comme une confirmation que les fonds étaient détenus en fiducie jusqu’à la vente. Il n’a pas pensé que l’absence d’adresse de retour sur le supposé papier à en-tête d’un cabinet d’avocats était importante. Selon lui, c’était courant dans son domaine. La lettre mentionnait une garantie de bonne exécution dont se prévalait un client du cabinet, Yin Xin Holdings. Le texte de la lettre à ce sujet était très confus, et il est impossible d’en déterminer le sens.

 

[11]      Andrew Martin a informé l’appelant qu’il y aurait d’autres frais à payer.

 

[12]      Une liste de paiements a été établie pour l’année 1993[3]. Cette liste montrait essentiellement les montants en dollars américains versés par l’appelant du 17 septembre au 15 novembre 1993, soit un total de 323 407,40 $, et précisait le nom des différentes entités à qui les fonds avaient été envoyés. Il s’agissait entre autres de Martin & Douglas, de Premier Group Financial, de Chris Wells et d’Andrew Martin. Une liste de paiements semblable visait l’année 1994 et montrait que l’appelant a versé un total de 501 128,27 $US à diverses entités, dont Pat Cox et John Skinner; Roche and Company; Premier Group Financial; Andrew Martin; Innity Music Promotions et Regal International Holdings.

 

[13]      De même, en 1995, l’appelant a versé en tout 478 542,95 $ à diverses entités, notamment Regal International Holdings, Andrew Martin, Coventry Resource Management et la société ontarienne no 1140191.

 

[14]      En 1996, selon la liste de paiements, l’appelant aurait versé un total de 157 311,68 $ à Solomon Investment Group. Les versements totaux entre 1993 et 1996 s’élèvent à 1 460 390,20 $US. L’appelant n’avait aucun reçu pour ces montants, mais il a déclaré que, quand il en a demandé à Andrew Martin, ce dernier lui aurait dit de venir au bureau, ce que M. Hammill n’a jamais fait. Tous les paiements visaient à faciliter la vente des pierres précieuses, mais il n’y a jamais eu de vente. Andrew Martin a indiqué que les parties à la transaction n’avaient pu réunir la somme nécessaire, mais qu’il essaierait de vendre les pierres précieuses ultérieurement.

 

[15]      L’appelant s’est plaint à M. Schnap de cet échec et a été renvoyé à un dénommé Robert Salaam, chez Royce Management, à New York; il a parlé à ce dernier environ 12 fois. M. Hammill a ensuite pris des informations sur Royce Management auprès d’Harold Schnap, d’Andrew Martin et de Patrick Cox, lequel travaillait pour International Gems, entreprise indépendante de Premier et de MM. Martin et Schnap. Patrick Cox lui a fait savoir qu’il s’était déjà rendu dans les bureaux de Royce Management. L’appelant n’y est pas allé.

 

[16]      Après avoir discuté avec Andrew Martin et les autres personnes, M. Hammill a envoyé 175 280,93 $US[4] à Roche and Company le 16 février 1994. Cette avance devait servir à acheter trois émeraudes supplémentaires pour rendre le portefeuille « plus facile à vendre ». Il a reçu les trois émeraudes en question, ce qui lui a donné confiance qu’une vente serait finalement conclue.

 

[17]      Andrew Martin a présenté une nouvelle offre[5]. Cette offre émanait d’une entreprise différente, Tokumara Securities & Assets Ltd., dont le papier à en-tête, fait notable, ne comportait pas d’adresse de retour. Certaines parties de la lettre étaient laissées en blanc et, de manière générale, le texte était incohérent et incompréhensible. L’appelant a discuté de cette offre avec Andrew Martin. La vente en question visait certaines des pierres précieuses que l’appelant venait d’acheter. M. Hammill a versé 78 000 $US à cet égard à Premier Group Financial le 25 mars 1994 et a précisé que ces frais représentaient une garantie de bonne exécution et des frais de service concernant cette vente. Il n’avait aucune autre explication pour ces dépenses.

 

[18]      Le montant de 10 500 $US payable à Premier Group Financial le 12 avril 1994 et les 18 200 $US envoyés à Premier Group Financial le 15 avril 1994 constituaient des frais payés d’avance à l’intention du groupe appelé Tokumara relativement à cette vente. M. Hammill ne possédait aucun document au sujet de ces dépenses.

 

[19]      Le 27 avril 1994, l’appelant a envoyé à Andrew Martin 18 050,54 $US en espèces. Il lui a remis ce montant pour faire certifier certaines pierres précieuses. Il a pu fournir un reçu[6] pour 25 000 $CAN, soit l’équivalent de 18 050 $US, supposément signé par Andrew Martin. L’appelant semble avoir écrit sur le document que le montant englobait les frais de certification, de transport, d’assurance et d’administration. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait obtenu un reçu pour ce montant, il a indiqué qu’il avait rencontré Andrew Martin à Toronto dans une voiture; il a remis l’argent à Andrew Martin et lui a demandé de signer le reçu. Normalement, il envoyait des traites bancaires. Plus tard, il a conclu que cette vente ne s’était pas concrétisée et a manifesté son mécontentement à Andrew Martin parce que la transaction n’avait pas abouti.

 

[20]      Il s’est ensuite reporté à un document[7] portant l’en-tête « Titus Private Holdings Inc. ». Encore une fois, ce papier à en-tête ne comportait aucune adresse de retour. Le document était adressé à M. Andrew Martin et concernait M. William Hammill. L’appelant a considéré qu’il s’agissait d’une offre d’achat de la part de Titus Private Holdings Inc. Il a dû verser 22 337,55 $US, soit l’équivalent de 30 937,50 $ en monnaie canadienne. Comme ce paiement était une condition obligatoire à la conclusion de la vente, l’appelant a versé ce qui était demandé.

 

[21]      Le libellé du document est tout à fait incompréhensible, mais M. Hammill a versé l’argent quand même. Ces fonds étaient destinés à Innity Music Promotions. On lui a expliqué que cette dernière était en mesure d’accélérer grandement la cueillette des pierres précieuses. M. Hammill a précisé que son objectif, à ce moment-là, était de vendre sa collection de pierres précieuses.

 

[22]      Un problème sérieux a alors surgi au sujet de la transaction avec Titus. M. Hammill a reçu une lettre d’une entité appelée « Omega Speciality Investment Banking »[8]. Il n’y avait pas d’adresse de retour non plus sur le document. Cette lettre informait l’appelant que des privilèges avaient été enregistrés sur ses pierres précieuses et que, pour pouvoir conclure la transaction, il devait verser la somme de 66 074 07 $ afin d’obtenir la mainlevée des privilèges en question. La lettre provenait supposément du bureau de Sharon Thurgood-Whyte. L’appelant a déclaré qu’il avait confirmé la teneur de la lettre auprès de cette personne. La lettre mentionnait également l’entreprise Royce Management, de New York, et M. Robert Salaam. Elle donnait plusieurs autres noms et titres; deux noms de famille étaient identiques. L’appelant ne connaissait pas ces personnes et ne savait même pas si elles existaient vraiment. Toutefois, il a conclu qu’il devait prendre des mesures à l’égard des privilèges.

 

[23]      Il est impossible de comprendre cette lettre étant donné que les pierres précieuses étaient libres de toute charge quand elles ont été livrées à Andrew Martin, et on n’a jamais expliqué pourquoi ces privilèges existaient alors.

 

[24]      L’appelant a discuté de cette lettre avec Patrick Cox et John Skinner, chez International Gems. Il avait sollicité les conseils de Patrick Cox auparavant. Il a appris alors le sens de certaines abréviations indiquées dans la lettre. Il s’agissait apparemment d’agences ou d’offices qui avaient compétence pour entendre tout litige à propos des charges grevant les pierres précieuses. Rien dans cette lettre n’indiquait ce que voulaient dire ces termes ou quelle était leur force juridique. L’appelant a appelé cette lettre un [TRADUCTION] « rapport d’étape ». D’après lui, c’est parce que la vente précédente n’avait pas été menée à bien qu’une entité quelconque a eu le droit d’enregistrer un privilège sur les pierres précieuses. Les titulaires des privilèges prétendaient avoir subi des dommages, de sorte qu’ils avaient enregistré un privilège sur les biens de l’appelant. Sur la foi de cette information, M. Hammill a versé 66 074 07 $ sans recevoir d’autres explications.

 

[25]      Appelé à examiner une série de paiements faits à Regal International Holdings[9], M. Hammill a confirmé avoir versé l’argent. Ces montants avaient fait l’objet de discussions avec Andrew Martin, qui avait dit à l’appelant qu’il s’agissait de paiements anticipés destinés à conclure une vente. Aucune autre explication n’a été donnée.

 

[26]      À un moment donné, l’appelant a conclu que la vente à Titus ne se concrétiserait jamais. Il était très déçu et en a discuté avec Andrew Martin, mentionnant aussi le fait qu’ils avaient tenté de conclure une vente à deux reprises mais que les deux transactions avaient échoué. Andrew Martin a présenté cinq offres entre l’été 1993 et le 1er août 1996. L’appelant a effectué 40 paiements à son intention ou à l’intention de Premier par suite de ces offres. Afin d’obtenir les fonds nécessaires, M. Hammill a vendu son chalet et ses biens locatifs, a hypothéqué sa maison et encaissé ses REER. Tout ça pour pouvoir vendre sa collection de pierres précieuses.

 

[27]      M. Hammill a rencontré Andrew Martin à 30 reprises et lui a téléphoné des centaines de fois. Lorsqu’on lui a demandé comment il pouvait croire que ces offres étaient réelles, l’appelant a raconté que M. Martin était très persuasif. M. Hammill n’a communiqué qu’avec le dernier acheteur, M. Patrick Lee Chin. Il a confirmé certaines communications en 1987 avec York Union, Peter Walker et Bill Hawkins; en 1990, avec H&H Rarities (Bill Hawkins et Jim Spurling); à l’été de 1993, avec Premier – Peter Manning, Harold Schnap, Andrew Martin et Christopher Wells; avec International Gems (John Skinner et Patrick Cox); avec Royce Management, de New York (Robert Salaam); avec Omega – Sharon Thurgood-Whyte, David McKnight et Patrick Lee Chin.

 

[28]      L’appelant s’est finalement rendu compte qu’Andrew Martin était un escroc et s’est donc présenté à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui a participé à l’appréhension de M. Martin. Il s’est reporté à la lettre de Titus Private Holdings Inc.[10] qui était adressée à lui-même et à Andrew Martin le 4 octobre 1994 et indiquait que les biens numérotés 1 à 5 étaient grevés de charges totalisant 45 000 $. Pourtant, le document d’Omega[11] faisait supposément état de privilèges sur les pierres précieuses qui se chiffraient à 248 000 $CAN. Encore une fois, cette lettre n’est rien de plus que du charabia. Le papier à en-tête ne comportait aucune adresse de retour.

 

[29]      M. Hammill a déclaré que le paiement effectué le 6 décembre 1994 à l’intention de Regal International Holdings, soit 109 008,71 $, faisait partie des sommes versées pour la mainlevée des privilèges. Il a ensuite mentionné une prétendue convention d’achat et de vente[12] avec « g'ral Management Limited », de New York. Ce document avait supposément trait à une convention de vente de 4,2 millions de dollars avec Transpacific Enterprises Incorporated. Lorsqu’on lui a demandé quel était le rôle de « g'ral », il a répondu qu’il s’agissait supposément de dépositaires légaux, comme l’indique la [TRADUCTION] « convention d’entiercement »[13] (où le nom de l’entité est G'RALD MANAGEMENT). Ce document a été signé par William Hammill et Transpacific Enterprises Incorporated, qui précisait être une société coréenne.

 

[30]      L’appelant a affirmé avoir fait d’autres paiements par suite de cette entente. Il aurait versé à Regal un total de 70 077,04 $US dans le cadre de cette transaction.

 

[31]      On a montré à M. Hammill la convention d’entiercement[14] intervenue entre lui et Transpacific Enterprises Incorporated ainsi que Smith and Goldblume en qualité de « dépositaire ». Cette convention visait une transaction d’achat et de vente de 4 695 000 $US et prévoyait des frais de dépôt de 695 000 $US, somme qui devait être remise au dépositaire. Le 12 octobre 1995, l’appelant a remis 11 830,12 $US en espèces à Andrew Martin. Le 10 novembre 1995, il a envoyé un chèque de 30 000 $US à Coventry Resource Management conformément à l’obligation de verser 695 000 $ et, le 15 novembre 1995, il a envoyé 7 045,12 $ à la société ontarienne no 1140191 dans le même but. Il a encore une fois confirmé avoir réalisé 40 transactions sur une période de trois ans afin de conclure la vente de ses pierres précieuses.

 

[32]      En contre-interrogatoire, l’appelant a déclaré n’avoir jamais payé le montant complet de 695 000 $US demandé. Il avait alors décidé d’abandonner le commerce de pierres précieuses.

 

[33]      On lui a mentionné le paiement de 11 832,12 $ fait à Andrew Martin le 12 octobre 1995 en lui demandant quelle était l’utilisation prévue de cet argent. Selon lui, il visait à faciliter la conclusion de la vente de 4 695 000 $US à Transpacific Enterprises Incorporated. Dans ce cas aussi, le paiement de 30 000 $ fait le 10 novembre 1995 et le paiement de 37 045,12 $ fait le 15 novembre 1995 étaient destinés à conclure la vente. Smith and Goldblume étaient encore les dépositaires et devaient recevoir les fonds.

 

[34]      L’avocat a renvoyé l’appelant au paiement de 11 832,12 $[15] versé le 12 octobre 1995 à Andrew Martin et lui a demandé comment cet argent était censé se retrouver entre les mains du dépositaire et être utilisé pour les besoins de l’appelant. Ce dernier a répondu qu’on lui avait expliqué que l’argent serait versé au dépositaire par Andrew Martin. Quand on lui a demandé comment les 30 000 $US versés le 10 novembre 1995 à Coventry Resource Management se retrouveraient entre les mains de Smith and Goldblume afin de conclure la transaction, il a raconté que, selon les dires d’Andrew Martin, l’argent servirait à exécuter la convention.

 

[35]      Il a confirmé le paiement de 37 045,12 $ à la société ontarienne no 1140191. Quand on lui a demandé s’il n’était pas étrange à son avis de constater que, durant une période aussi courte, une importante somme d’argent était versée à différentes entreprises, il a répondu qu’il ne trouvait rien d’étrange là-dedans.

 

[36]      M. Hammill a raconté qu’il avait parlé à Transpacific entre quatre et six fois, qu’il avait communiqué avec Patrick Lee Chin et qu’il avait aussi travaillé avec Andrew Martin. Il a mentionné le paiement de 6 205 $ fait à Andrew Martin le 21 décembre 1995, et on lui a demandé quelle était l’utilisation prévue de cet argent. Il a répondu que les fonds serviraient à conclure la transaction au plus tard à la fin de l’année et qu’Andrew Martin lui avait dit qu’il s’occuperait de mener la vente à bien au plus tard à cette date si l’appelant pouvait fournir 6 205 $. Il en a également discuté avec Patrick Lee Chin et a eu une discussion avec Smith and Goldblume. Cette entité était un joueur peu important dans le stratagème. M. Hammill ne se savait pas où s’était déroulée cette discussion. Il a déclaré ensuite qu’il parlait avec Andrew Martin. On lui a demandé quelles garanties il avait reçues que le dépositaire était d’accord pour que cet argent se retrouve entre les mains d’Andrew Martin et l’appelant a répondu qu’il faisait confiance à ce dernier. Tout se déroulait suivant ses conseils à lui seul.

 

[37]      On lui a demandé pourquoi il s’était lancé dans l’achat et la vente de pierres précieuses. Il a expliqué qu’il n’y avait jamais pensé avant de recevoir un appel de York Union. Il ne pouvait pas savoir à ce moment-là qu’il serait victime d’une « bande de voleurs », même s’il le savait maintenant. Il pouvait affirmer que les gens d’International Gems n’étaient pas de bons amis de Premier. Il n’y avait aucun lien entre les deux. Toutes les autres entités étaient reliées. Patrick Cox, chez International, était indépendant de Premier. Tout comme Skinner. Quand on lui a demandé pourquoi il faisait confiance à Skinner et à Cox, il a répondu qu’il avait de bons rapports avec eux, comme avec ses propres vendeurs.

 

[38]      Il a avoué ne pas avoir fait l’appel téléphonique initial. Il a décidé d’examiner ce qu’on lui offrait. À Toronto, il a visité les bureaux de York Union et acheté une pierre précieuse dès sa premier visite. Il avait reçu plein de renseignements chez York Union sur marché des pierres précieuses lors de sa visite. Il a pris des notes précises au fur et à mesure des transactions avant de se présenter à la GRC. Il a inscrit les dates d’achat des pierres précieuses. Il a versé l’argent. Il a reçu la pochette de pierres précieuses accompagnée de certificats d’authenticité. Ces certificats décrivaient le poids, la taille, la pureté, le nombre de carats et la couleur. La valeur des pierres précieuses n’y figurait pas. Il y avait une facture pour certaines des pierres, mais pas toutes.

 

[39]      Il espérait réaliser un profit d’au moins 15 à 24 % sur la vente de ses stocks sur une période de plusieurs années, selon le marché. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi un tiers achèterait ses stocks, il a répondu que cette personne voudrait sans doute accroître son portefeuille pour le vendre ensuite. Ce serait là la principale raison. Certains lui ont dit que des acheteurs surgissaient par hasard. Le but principal était de trouver une entreprise comme Transpacific pour conclure la vente des pierres précieuses.

 

[40]      L’appelant a fait ses premiers achats en 1987, puis a poursuivi en 1988 et en 1989. Entre 1987 et 1990, il n’a rien vendu. Il n’a jamais rien acheté par l’entremise de Premier ou d’Andrew Martin et n’a eu recours à eux que pour la vente. Ses achats se sont effectués surtout par le truchement de Bill Hawkins. Entre 1987 et 1993, il a acheté des pierres précieuses pour constituer ses stocks.

 

[41]      On a montré à l’appelant ses déclarations de revenu pour les années 1994, 1995 et 1996. Il a confirmé que c’était ses déclarations de revenu pour ces années-là. Dans sa déclaration de 1996, il a informé pour la première fois Revenu Canada qu’il s’occupait de l’achat et de la vente de pierre précieuses sous le nom de WHH Gem Ventures. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas déduit la totalité des dépenses plus tôt, M. Hammill a répondu qu’il essayait de compléter ses stocks puis de vendre les pierres précieuses et qu’il aurait alors déclaré ses dépenses toutes en même temps. Il était extrêmement occupé. En 1996, il a déclaré avoir tiré de la vente de ses pierres précieuses un montant de 157 900 $. Il a refusé d’admettre qu’il ne voulait pas déclarer son profit.

 

[42]      Il a fait enquête au sujet de Rupertson, Fitzgerald, d’Andrew Martin et de Harold Schnap. Il ne s’inquiétait pas de l’absence d’adresse de retour sur le papier à en-tête[16], ce qui n’avait pas d’importance, selon lui. Il a fait affaire pour la première fois avec Premier Group Investments le 28 août 1993[17]. Il ne savait pas ce que voulaient dire les lettres « ICC » dans le document, mais il a précisé qu’Andrew Martin les lui avait expliquées. Comme nous l’avons précisé plus haut, ce document est confus et incompréhensible.

 

[43]     M. Hammill n’était pas en mesure de dire si les signatures de Peter Manning sur deux documents distincts étaient différentes[18]. Elles l’étaient peut-être. Le prix de vente mentionné dans la convention d’achat et de vente conclue avec Martin & Douglas[19] a été modifié parce qu’ils estimaient qu’un prix plus élevé était justifié. L’argent versé au titre de la garantie de bonne exécution devait être remboursé si la vente était conclue. M. Hammill n’a pas récupéré cet argent parce que d’autres transactions étaient en cours et qu’il préférait laisser l’argent là.

 

[44]      L’appelant avaient les pierres précieuses en sa possession le 17 janvier 1994. Concernant la transaction avec Tokumara Securities & Assets Ltd.[20], on a souligné que le nom « Global Titles » apparaissait dans le haut de la page mais qu’il n’avait jamais été mentionné auparavant. L’appelant ne trouvait pas ça bizarre, et ce fait ne lui a pas mis la puce à l’oreille. Aucune adresse ni aucun numéro de téléphone n’étaient précisés pour Tokumara Securities & Assets Ltd. Il ne s’en est pas inquiété. Il pouvait appeler Andrew Martin. Il n’était pas étrange à ses yeux non plus qu’Andrew Martin signe le document en tant que témoin et partie et, même si son nom à lui n’y figurait pas, il y avait donné son accord oralement.

 

[45] L’appelant a reconnu avoir versé 78 000 $US à Premier Group Investments[21]. On lui a demandé pourquoi ce paiement était nécessaire alors qu’il avait déjà investi 360 000 $ de son propre argent dans la transaction qui avait échoué. Il a expliqué qu’ils essayaient de conclure la vente. Le prix, 852 000 $, était élevé. Le coût qu’il avait dû assumer atteignait 292 000 $. Il a également versé 13 026,05 $US[22] et 10 500 $US à Premier Group Investments. Il était prêt à accepter 852 000 $ comme prix de vente, ce qui lui procurerait un profit raisonnable. Encore une fois, on lui a demandé pourquoi il était prêt à payer encore plus d’argent alors qu’il avait déjà investi 360 000 $ dans la vente; il a répondu qu’il aurait même vendu au prix coûtant à ce moment-là.

 

[46]      Aux yeux de l’appelant, il n’était pas étrange que le papier à en-tête de Titus Private Holdings Inc.[23] ne renferme aucune adresse. Il aurait répondu à Andrew Martin. Ça ne le dérangeait pas. Il recevait des offres semblables tous les jours.

 

[47]      M. Hammill a admis qu’il avait versé 30 937,50 $ à Innity Productions[24]. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi Andrew Martin avait besoin de plus d’argent, il a expliqué qu’ils avaient reçu une offre de 2 456 000 $ de Titus, qui serait l’acheteur.

 

[48]      On a montré à l’appelant le document provenant de Titus Private Holdings Inc. qui avait été adressé à lui-même et à Andrew Martin[25], plus particulièrement la partie du document qui mentionnait une partie détenant un intérêt de 50 000 $. M. Hammill n’a pu préciser de qui il s’agissait. On lui a demandé à qui il avait payé les 30 937,50 $[26] et, selon lui, comme c’était une offre d’achat, il avait versé l’argent et accepté l’entente oralement avec Andrew Martin, même si ce dernier était une des parties identifiées dans le document. Il a versé l’argent à Innity Music Promotions. On lui a demandé comment cet argent ferait progresser les choses à son avantage, et il a répondu qu’Andrew Martin lui avait dit qu’il serait à Toronto et qu’il lui serait plus facile de cueillir l’argent s’ils procédaient de cette façon. On lui a demandé également où l’argent était censé aboutir et, d’après M. Hammill, Andrew Martin veillait à ses intérêts. L’argent est allé à Innity Music Promotions. Tout a été discuté par téléphone et aucun document ne vient étayer la transaction.

 

[49]      Il a payé 25 000 $CAN ou 18 050,54 $US[27] pour faire certifier ses stocks. Entre trois et six pierres précieuses n’étaient pas accompagnées d’un certificat. Andrew Martin s’était proposé pour les faire certifier, ce qui semblait raisonnable à M. Hammill. Il s’agissait de pierres précieuses que Bill Hawkins était supposé lui donner, ce qu’il n’avait pas fait. L’appelant n’a jamais vu les trois nouveaux certificats. Il n’a jamais demandé à Andrew Martin s’il les avait reçus. Il avait présumé que c’était le cas.

 

[50]      L’appelant ne savait pas pourquoi ses pierres précieuses étaient grevées de charges totalisant 45 000 $[28]. On lui a rappelé qu’il n’était pas titulaire de ces privilèges. Il a demandé à Andrew Martin qui avait enregistré les privilèges en question. Andrew Martin lui aurait répondu qu’il soupçonnait que c’était Royce Management et qu’il allait vérifier.

 

[51]      On a montré à l’appelant le document[29] que lui avait adressé Omega Speciality Investment Banking et on lui a demandé quel rôle jouait cette entité dans les transactions. Il a répondu qu’Omega avait communiqué avec lui pour discuter des privilèges et des frais. Andrew Martin a défendu ses intérêts lors de l’audience, qui s’est déroulée à New York, d’après ses informations. Il n’y avait pas d’adresse ni de numéro de téléphone pour Omega. Cette omission ne l’avait pas frappé. Il n’a pas remarqué qu’il y avait deux personnes dont le nom de famille était Whyte et qu’il y avait aussi une Bianca Thurgood en plus d’une personne nommée Thurgood-Whyte. Ces dédoublements ne l’ont fait sursauter d’aucune manière.

 

[52]      M. Hammill a payé 66 074, 07 $ pour obtenir la mainlevée des privilèges. On lui a fait remarquer que différentes personnes étaient entrées en communication avec lui, que les lettres étaient très étranges et qu’il aurait vraiment dû s’inquiéter à propos de ces personnes qui évoluaient dans l’industrie des pierres précieuses. En outre, on lui a mentionné qu’il manquait des documents attestant les paiements, entre autres des factures. Il ne semblait pas préoccupé par cette omission.

 

[53]      M. Hammill ne s’était jamais rendu au bureau d’Andrew Martin. Il a reçu une lettre d’Omega le 14 octobre 1994[30]. Il a prétendu avoir compris le document et ne pas avoir été troublé par son contenu. Il a soutenu qu’il s’agissait du même genre de transaction qu’il concluait pour son entreprise. On lui a demandé où se trouvaient les pierres précieuses, et il a répondu que c’était Andrew Martin qui les avait en sa possession. Il a expliqué qu’il avait demandé à les ravoir mais qu’Andrew Martin avait répondu qu’une transaction était en cours et qu’il pourrait y avoir un problème de douane.

 

[54]      Le montant de 34 860 $US du 24 janvier 1995 et les 40 000 $ du 30 janvier 1995 ont été envoyés à Regal International Holdings[31]. Il s’agissait de frais d’administration. Regal était un partenaire de Titus. Rien dans les autres documents ne portent à croire que Regal International était le mandataire ou l’intermédiaire de l’appelant, mais ce dernier a affirmé que la discussion à ce sujet se serait déroulée par téléphone. Il pensait que Regal et Omega étaient des sociétés sœurs.

 

[55]      On a montré d’autres documents[32] à M. Hammill attestant des paiements faits à Regal. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait versé ces montants, il a expliqué qu’il était déterminé à conclure la vente de ses pierres précieuses. Tout semblait très raisonnable à ses yeux à ce moment-là. Titus était censé être l’acheteur, même si les paiements étaient destinés à Regal. Il a refusé d’admettre qu’il aurait dû savoir, compte tenu de l’importance des sommes versées, que quelque chose n’allait pas. Il était satisfait de l’entente.

 

[56]      À propos de la convention d’achat et de vente conclue avec Transpacific Enterprises Incorporated[33], l’appelant a déclaré qu’il avait eu l’information d’Andrew Martin. Les renseignements qui figurent dans le bas du document sont écrits de sa main. Il a admis avoir versé 66 074 07 $US à Regal concernant les privilèges[34]. Par la suite, il s’est rendu compte que l’entente avec Titus n’aboutirait pas.

 

[57]      On lui a mentionné les paiements versés par suite de la lettre qu’il avait reçue de Titus Private Holdings Inc.[35], totalisant 30 937,50 $CAN ou 22 337,55 $US. Il avait demandé le remboursement des montants en question. C’est ce qu’il a fait tout le temps. Il n’a rien reçu. Il n’avait aucun document appuyant sa position, car tout se faisait oralement. Aucune somme ne lui a jamais été remboursée.

 

[58]      À l’époque, l’appelant avait décidé de faire tout le nécessaire pour vendre à tout prix ses pierres précieuses. On lui a souligné qu’il avait déjà englouti plus d’argent que ce que ses stocks valaient. Il a répondu qu’il ferait probablement la même chose aujourd’hui, qu’il agirait de la même façon qu’alors et que c’était d’ailleurs comme ça qu’il menait sa propre entreprise.

 

[59]      On lui a mentionné le montant de 40 046,58 $US qu’il a remis à Regal[36]. Il a répondu que cet argent avait été envoyé à Regal même s’il essayait de conclure une vente avec Titus. Il s’agissait de frais d’administration. Il ne savait pas pourquoi. Il a déclaré qu’il s’agissait peut-être de frais d’intermédiaire nécessaires pour conclure la vente. Les 34 900 $US remis à Regal International Holdings le 24 janvier 1995 constituaient aussi des frais d’administration. La somme de 20 625,99 $ avait été envoyée à Regal le 9 février 1995 sur les conseils d’Andrew Martin. L’appelant avait confiance. La somme de 22 060,74 $US acheminée à Regal International Holdings le 9 février 1995 visait le même but que les fonds envoyés le 5 avril 1995, soit 83 646,28 $US[37].

 

[60]      La lettre provenant de « g'ral » Management Limited », datée du 17 avril 1995[38], représente la première communication avec cette entité. Elle portait sur la convention d’achat de 4 200 000 $US conclue avec Transpacific. « g'ral » affirmait qu’une part de 0,25 % du prix d’achat total était la responsabilité de l’appelant. Celui-ci n’en a pas tenu compte. La lettre invoquait la [TRADUCTION] « situation fiscale ». Il ne savait pas ce que ça voulait dire. Des montants de 3 000 $ et de 4 000 $[39] ont été envoyés à « g'ral » ainsi qu’une autre somme de 4 714,93 $US. Les 20 026,06 $US remis à Regal International[40] étaient destinés à conclure la vente avec Transpacific. Il en était de même des 38 046,16 $US envoyés à Regal International[41]

 

[61]      On a montré certains bordereaux de dépôt[42] à l’appelant, et il a affirmé qu’il s’agissait de dépôts relatifs à la vente de certaines de ses pierres précieuses. Ces documents montraient un profit brut de 25 % par rapport au prix coûtant.

 

[62]      On a demandé à M. Hammill d’expliquer la nature de la convention d’entiercement où G'RALD MANAGEMENT figure en qualité de dépositaire[43]. Il a expliqué qu’il s’agissait d’une offre d’achat présentée par Transpacific Enterprises Incorporated. Le prix d’achat devait se chiffrer à 5 695 000 $. On a souligné qu’il n’était pas précisé si ce montant était libellé en dollars canadiens ou américains, mais la commission qui y était indiquée, soit 569 000 $, était donnée en dollars américains. Selon M. Hammill, c’était un paiement anticipé, et il avait considéré que la demande était raisonnable.

 

[63]      C’est la convention d’achat de biens intervenue entre Transpacific Enterprises Incorporated et William Hammill, datée du 14 septembre 1995[44], qui était mentionnée dans la convention d’entiercement[45]. Le paragraphe 3 de la convention d’entiercement précise que les articles 6 ou 14 de la convention d’achat et de vente s’appliquaient pour ce qui était de la résiliation de la transaction, mais l’article 14 traite des déclarations et des garanties, non pas de la résiliation. Lorsqu’on lui a demandé s’il manquait quoi que ce soit, M. Hammill a répondu qu’il signait fréquemment ce genre de conventions. Il ne les lisait probablement pas dans les détails. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le paragraphe 4 mentionnait une banque des Îles Turks et Caicos au lieu d’une banque américaine ou canadienne, il a répondu qu’il était possible d’obtenir plus d’argent à cause des intérêts.

 

[64]      On a souligné que, dans la convention d’achat de biens[46], le nom a été changé pour Transpacific Enterprises Incorporated et que quelque chose avait été rayé. L’appelant a raconté qu’Andrew Martin avait envoyé ce document le 14 septembre 1995, et c’est tout ce qu’il en savait. On lui a montré que le prix d’achat était passé de 5 695 000 $ dans la convention d’entiercement à 4 695 000 $ dans la convention d’achat et de vente. D’après lui, c’était une erreur, et la convention d’achat et de vente avait été modifiée pour la corriger. On lui a fait remarquer que le paragraphe 3 manquait. Il n’avait aucun commentaire à cet égard.

 

[65]      L’alinéa 11(k) de la convention d’achat de biens[47] mentionnait que la Chambre de commerce internationale était l’organe compétent pour trancher les différends relatifs à la convention, mais l’appelant ne savait pas ce que les lettres signifiaient. À son avis, la clause d’arbitrage ne lui avait pas sauté aux yeux à ce moment-là, même s’il lui a été signalé qu’elle contredisait le paragraphe 11. M. Hammill a précisé que cette clause ne l’intéressait pas et qu’il n’avait pas consulté d’avocat. Il ne savait pas ce que représentaient les lettres N.A.H.A.B., P.G.L.I. et G.L.S. à l’alinéa 12(c) de la convention.

 

[66]      On lui a demandé pourquoi les parties se seraient assujetties aux lois du Texas et pourquoi ces lois étaient applicables à ces transactions ainsi qu’aux conventions; encore une fois, il a répondu que ce n’était pas une préoccupation pour lui. Les montants[48] représentaient des frais d’administration versés d’avance à Regal. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le document[49] faisait référence à Smith and Goldblume, de New York, plutôt qu’à G'RALD, et quel était le rôle de Smith and Goldblume dans l’affaire, l’appelant a répondu que ce n’était pas inusité qu’il y ait plus d’un mandataire. Tous collaboraient pour conclure la vente, d’après lui. Rien d’autre dans la convention ne lui paraissait bizarre. Cela n’était pas important pour lui. Il y avait tout simplement un nouveau dépositaire.

 

[67]      M. Hammill ne semble pas s’être demandé pourquoi le prix d’achat avait été réduit de 1 000 000 $, parce qu’il était prêt à tout faire alors pour vendre ses pierres précieuses. On lui a souligné qu’une nouvelle banque des Îles Turks et Caicos était mentionnée dans la convention. Ce n’était pas la même banque que dans la convention d’entiercement. Il a tout d’abord affirmé que la banque choisie serait celle qui verserait le plus d’intérêts, puis il a précisé s’être un peu inquiété et posé des questions là-dessus.

 

[68]      À propos du paragraphe 14 de la convention d’entiercement[50] et du fait que les lois du Texas régissaient cette convention, M. Hammill a déclaré que ces questions n’étaient pas importantes à ses yeux. Il n’était pas important pour lui que la convention n’ait pas été signée par aucune des parties. Elle devait entrer en vigueur le 29 septembre 1995. Le prix d’achat a été modifié de 1 000 000 $ après discussion.

 

[69]      On a mentionné que la convention d’achat de biens[51] de 4 695 000 $US avait été signée par les parties et par des témoins; on a demandé à M. Hammill pourquoi il ne se fondait pas sur ce document plutôt que sur la convention d’achat de biens non signée[52]. Il y avait eu selon lui une entente orale visant l’annulation du premier document. Il avait accepté le nouveau prix et voulait conclure une vente.

 

[70]      On a mentionné à l’appelant une demande envoyée par Jerald Bettman, de Sutton Mercantile Group[53], visant un autre paiement de 12 000 $US, et il avoué qu’il ne savait pas qui était ce groupe; il n’en a donc pas tenu compte. Il a donné ensuite 16 210 $CAN[54] en espèces à Andrew Martin afin de conclure la vente à Transpacific. On lui a demandé pourquoi il avait versé ce montant et il a répondu qu’il avait accepté de le faire à ce moment-là.

 

[71]      On lui a montré une lettre de Pegasus Private Portfolio Management[55], qui semblait indiquer qu’Andrew Martin devait agir seulement en tant que consultant et coordonnateur entre Pegasus et les vendeurs, qu’il devait suivre strictement leurs instructions et qu’il n’était pas autorisé à agir concernant d’autres aspects de la transaction. M. Hammill n’a pas semblé troublé par ces restrictions et croyait qu’elles visaient uniquement à épargner de l’argent. Il n’avait aucune inquiétude au sujet de Pegasus. La lettre n’a eu aucun effet sur lui ou sur ses discussions avec Andrew Martin.

 

[72]      Il a envoyé 30 000 $US à Coventry Resources and Management le 10 novembre 1995, conformément à la lettre. La somme de 37 045,12 $US a été envoyée à l’entreprise à numéro ontarienne suivant les instructions d’Andrew Martin. Elle a été remise à « 1140191 Ontario Limited ». À son avis, il s’agissait d’une avance sur les frais nécessaires à la conclusion de la transaction avec Transpacific.

 

[73]      Lorsqu’on a renvoyé M. Hammill à l’onglet 58, soit le paiement de 6 200 $US à Andrew Martin le 21 décembre 1995, il a raconté qu’il essayait de conclure la vente avant la fin de l’année. Andrew Martin lui avait dit qu’ils avaient comptabilisé ce montant et qu’il devait être versé. L’appelant ne savait pas à quoi cet argent devait servir.

 

[74]      Le 18 mars 1996, il a envoyé 22 000 $US à Solomon Investments Group[56] à titre de frais d’administration visant à faire avancer la vente à Transpacific. L’appelant précise qu’il l’a fait parce qu’il tentait encore de conclure cette vente. Il croyait que c’était pour cette raison que l’argent était nécessaire. Il n’a pas demandé de remboursement à Regal. Il ne s’attendait pas à se voir rembourser ses avances, malgré qu’on lui ait dit le contraire. Il ne le croyait pas. Il a demandé le remboursement des avances, et Andrew Martin lui a répondu que les fonds seraient gardés pour des ventes futures. L’appelant avait des évaluations de ses pierres précieuses émanant de John Skinner, de Bill Hawkins et d’entreprises indépendantes. Bill Hawkins lui avait vendu la plupart de ses pierres.

 

[75]      Le 12 avril 1996, il a envoyé 15 000 $ à Solomon Investment Group parce qu’il considérait que la transaction avec Transpacific était toujours valide. Le montant équivalant à 8 124,94 $US a été remis à Solomon Investment Group le 12 avril 1996. Il s’agissait d’une tentative de conclure la vente. Dans ce même but, M. Hammill a envoyé 26 130 $US à Solomon le 11 juin 1996; 3 000 $CAN le 11 juin 1996; 4 868 $US le 17 juin 1996 et 32 000 $US le 2 juillet 1996. Toutes ces traites bancaires étaient libellées à l’ordre d’Andrew Martin.

 

[76]      L’appelant a envoyé l’argent à Andrew Martin parce qu’il commençait à vraiment désespérer. C’était tout juste avant qu’il porte plainte à la GRC. Il avait dit à Andrew Martin qu’il voulait ravoir ses pierres précieuses. Andrew Martin lui a répondu qu’il demanderait à David McKnight, d’Omega, de travailler là-dessus. On lui réclamait 32 000 $. Aucune autre explication n’a été donnée pour justifier ce paiement.

 

[77]      M. Hammill a envoyé une somme de 12 680 $US le 8 juillet 1996 dans ce même but, soit ravoir ses pierres précieuses. Les 42 450 $US versés ont été le dernier paiement fait à Solomon pour obtenir le retour des pierres. C’était le 1er août 1996.

 

[78]      Aucune valeur n’est précisée sur les certificats d’évaluation préparés par Jewels of Canada. L’appelant avait commandé d’autres évaluations, ce qui lui a donné une idée de la valeur de ses pierres précieuses. En mai 1992, il aurait versé une commission de 10 % à H&H Rarities pour vendre ses pierres au cours des cinq années suivantes, pour un total de 350 000 $US. Il n’a pas laissé ses pierres précieuses à cette entreprise, qui ne lui demandait rien en retour de ce service.

 

[79]      L’appelant a admis que la différence de prix entre les offres 2 et 3 était de loin supérieure à la hausse du coût de ses stocks, mais il n’en avait pas été surpris. On lui a fait valoir que les offres majorées n’étaient pas réalistes. Il a répondu qu’il voyait ce qui était en train de se passer. On lui a souligné qu’il se faisait escroquer, mais il n’était pas d’accord. La dernière offre représentait une bonification de 100 %, mais il devait tenir compte de ses coûts, de sorte que son profit atteindrait environ 300 %. Lorsqu'on lui a demandé quand il avait pensé qu’il aurait été raisonnable pour lui de mettre fin à ses tentatives de vente, il a répondu quand il a décidé de tout arrêter.

 

Témoignage de Tim Laurence

 

[80]      Tim Laurence a été qualifié à titre d’expert. Il est policier à la Section des délits commerciaux de la GRC. Il a décrit l’escroquerie typique dans le domaine des pierres précieuses, où la victime, comme l’appelant en l’espèce, fait l’achat de pierres précieuses en vue de les revendre à profit. La victime est convaincue par l’auteur de l’escroquerie que plusieurs conditions doivent être satisfaites avant que les pierres puissent être vendues. D’après ces conditions, la victime est invariablement tenue de lui verser de l’argent pour conclure la vente. Habituellement, le fraudeur rédige des documents fictifs. Souvent, plusieurs noms différents sont mentionnés, mais souvent aussi, il s’agit des mêmes personnes.

 

[81]      Au début de 1997, M. Laurence a pris en charge le dossier de M. Hammill. Son bureau a informé l’appelant qu’il y avait fraude et que, si le principal auteur de la fraude (M. Martin) lui téléphonait, il devait communiquer avec la GRC sur-le-champ. En 1998, M. Hammill a effectivement reçu un coup de téléphone et a communiqué avec la GRC, qui lui a demandé d’obtenir des renseignements sur M. Martin. À la mi-janvier, ce dernier est revenu dans la région de Toronto. La GRC a été avisée d’une adresse sur O'Connor Drive et a pu y appréhender Andrew Martin.

 

[82]      Andrew Martin a été arrêté et accusé de fraude de plus de 5 000 $ puis libéré sur cautionnement. Il s’est présenté aux autorités pendant trois mois; après deux semaines d’absence, un mandat d’amener a été lancé contre lui. Il a disparu en août. Il a décrit la pièce A-4 comme un [TRADUCTION] « rapport » et la pièce A-5 comme un [TRADUCTION] « relevé d’appels ». Ces deux documents ont été admis en preuve sur consentement.

 

[83]      Le policier a précisé que les bureaux où l’escroquerie se déroulait à Toronto étaient inscrits sous le nom de « Summit International ». Ils comportaient plusieurs numéros de téléphone. La pièce A-6, admise en preuve sur consentement, était ce qu’on appelle un [TRADUCTION] aide-mémoire. M. Laurence a précisé que les policiers avaient découvert dans les bureaux des dossiers sur l’appelant et entre 55 et 60 autres dossiers. Ils ont interrogé deux autres victimes.

 

[84]      La pièce A-7 est un tableau qui illustre le déroulement de l’escroquerie. Andrew Martin se trouvait au cœur de l’opération. La GRC n’a jamais pu identifier qui que ce soit d’autre. La pièce A-8 constitue le [TRADUCTION] « script » ou la [TRADUCTION] « liste des contre-arguments ». Ce document a été admis sur consentement. Les fraudeurs ont utilisé le nom de plus d’une entreprise pour se protéger. L’appelant n’était pas le seul pris dans ce piège. Un grand nombre de fraudes étaient en cours et n’ont pu toutes donner lieu à des accusations.

 

[85]      En contre-interrogatoire, l’agent Laurence a déclaré que le marché des pierres précieuses existait dans le seul et unique but d’escroquer d’innocentes victimes. Il n’existe en effet aucun véritable marché de revente pour les pierres précieuses. Peter Manning était un des auteurs de la fraude.

 

[86]      On a mentionné au témoin le terme « SO-3 » employé dans la correspondance reçue par l’appelant au sujet des supposés privilèges enregistrés sur les pierres précieuses, et il a expliqué qu’il s’agissait probablement de la cotation d’une pierre précieuse. Souvent, les prétendus privilèges sont supérieurs au prix d’achat des pierres. Ce sont toujours des valeurs gonflées.

 

[87]      Il n’est pas rare qu’un grand nombre de stratagèmes de ce genre se déroulent dans le monde de nos jours, selon les gens d’affaires. Il existe certains organismes avec qui une personne innocente peut communiquer pour savoir si une opération est légitime ou frauduleuse. Le rendement offert est normalement très élevé.

 

[88]      En réponse à une question de la Cour, M. Laurence a précisé que, d’après ses informations, la seule personne dont l’implication était certaine était Andrew Martin. Il a pu y avoir également un dénommé Hawkins et un certain Harold Schnap.

 

[89]      Gary Frederic Parker est comptable agréé. Il a expliqué qu’il avait déjà témoigné en cour sur les aspects juricomptables et la valeur d’entreprises. Il a été qualifié à titre d’expert et a pu donner son opinion d’expert sur les PCGR et d’autres questions de comptabilité.

 

[90]      Les PCGR sont des principes que les experts-comptables appliquent lorsqu’ils dressent des états financiers, notamment pour le rapprochement des pièces comptables, la présentation adéquate des dépenses et des éléments de passif, la quantification et l’évaluation de l’actif. En l’espèce, il a formulé une opinion à la lumière des PCGR relativement aux dépenses que voulait déduire l’appelant. À son avis, M. Hammill a acheté les pierres précieuses dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial. Il devait garder des stocks de pierres précieuses jusqu’à ce qu’ils soient vendus ou, comme ce fut le cas ici, volés. Il fallait notamment déclarer les dépenses et le coût de ses stocks; M. Hammill ne pouvait déduire de perte jusqu’à la disposition des stocks. La valeur des paiements n’était pas contestée, ce que la GRC confirmait. M. Hammill a affirmé dans son témoignage qu’il tentait de vendre ses pierres précieuses. Selon les PCGR, il était tenu de comptabiliser les dépenses aux fins de la vérification.

 

[91]      En contre-interrogatoire, le témoin a expliqué que ses opinions s’appuyaient sur les faits qui lui ont été décrits par l’avocat de l’appelant. Elles n’étaient pas le résultat d’une vérification indépendante. Il y a des différences entre les PCGR et les dispositions fiscales. Lorsqu’il y a conflit, c’est la Loi qui prévaut. Cependant, la Loi suit étroitement les PCGR. Lorsqu’on lui a demandé si le manuel décrivant les PCGR contenait une section traitant du [TRADUCTION] « caractère raisonnable », il a répondu qu’il pensait que c’était le cas et a tenté de trouver la section en question. Toutefois, il a répondu finalement que l’expression [TRADUCTION] « caractère raisonnable » n’apparaissait pas dans la section appropriée du manuel.

 

[92]      L’intimée a convoqué comme témoin M. David Anthony Graffi, qui travaillait pour l’ADRC depuis 15 ans et était agent d’appels depuis 10 mois. Il avait exercé auparavant les fonctions de vérificateur. M. Graffi est titulaire d’un baccalauréat ès arts et possède le titre de comptable en management accrédité. Il avait exercé en pratique privée pendant un certain temps. Il avait également suivi des cours internes de l’ADRC. Il a pris connaissance des faits en l’espèce au cours d’une vérification touchant J.P. Hammill and Sons Limited. Le formulaire T1 de l’appelant avait été réexaminé en raison d’une déclaration de pertes en 1996. Il s’agissait d’un examen secondaire. M. Graffi a permis la radiation des stocks de pierres précieuses aux fins de l’impôt sur le revenu. Il était d’accord pour dire que c’était un projet comportant un risque de caractère commercial et que la perte sur les stocks était déductible.

 

[93]      La déduction des dépenses a toutefois été refusée. L’appelant n’a pas fait preuve de diligence raisonnable à l’égard de cette prétendue opération commerciale, de sorte que les dépenses n’étaient pas raisonnables dans les circonstances, comme l’exige l’article 67 de la Loi. Il y a eu un manque de diligence raisonnable. L’appelant n’a contracté aucune assurance sur les pierres précieuses. Il semblait avoir fait affaire avec un négociant réputé lorsqu’il a acheté les pierres précieuses et le témoin ne pouvait pas comprendre pourquoi l’appelant n’avait pas pris d’assurance. S’il l’avait fait, les pierres précieuses auraient été évaluées et l’appelant aurait disposé d’une évaluation raisonnable de leur valeur. M. Graffi a concédé que le coût n’était pas un facteur pertinent en l’espèce sauf dans la mesure où, s’il y avait eu une évaluation valide, l’appelant aurait pu déterminer que les offres d’achat reçues n’étaient pas raisonnables. Un homme d’affaires prudent aurait fait faire des évaluations.

 

[94]      En outre, l’appelant n’a effectué aucune enquête raisonnable au sujet des personnes avec qui il faisait affaire. Il n’y avait pas d’adresses de retour sur les documents. Les contrats qu’il a supposément conclus étaient de pures fabrications et ambigus. Aucun comptable et aucun avocat n’ont été consultés. L’appelant a payé d’avance des frais totalisant des centaines de milliers de dollars. Des paiements ont été faits continuellement. M. Hammill ne s’est pas informé, comme il aurait été raisonnable de le faire, de l’usage prévu des fonds. On les appelait des « frais d’administration », mais on n’avait pas précisé ce que ces termes voulaient dire. Il n’était pas raisonnable que l’appelant verse les montants qu’il a versés parce qu’il a déboursé plus que ce qu’on lui demandait. Les paiements qu’il a dû faire et qu’il a faits ne correspondaient à aucune demande raisonnable et valide. L’appelant ne s’est pas intéressé à l’utilisation prévue de cet argent. Il a perdu tout sens des affaires.

 

[95]      En contre-interrogatoire, on a montré à M. Graffi la pièce A-10, soit ses notes, admise en preuve sur consentement. On lui a confié le dossier pour qu’il passe les pertes en revue et détermine si elles étaient déductibles d’impôt. Aucun document n’étayait les paiements anticipés. En outre, ce ne sont pas seulement les justificatifs qui sont mis en doute, mais aussi le caractère raisonnable des paiements.

 

[96]      La pièce A-11 a été admise en preuve sur consentement. Ce sont les notes de M. Graffi. Il tentait d’obtenir le plus de renseignements possibles pour pouvoir prendre une décision raisonnable dans cette affaire. À son avis, tant et aussi longtemps que le contribuable pouvait vérifier les paiements et qu’il pensait qu’ils étaient liés à une opération commerciale, il avait le droit de déduire la perte de ses stocks en vertu de l’alinéa 18(1)a). M. Graffi a consulté le bulletin d’interprétation fiscale 459 et savait qu’il y avait eu fraude dans ce dossier. Après avoir consulté le bulletin d’interprétation fiscale 185R, il a accepté la perte des stocks en fonction de l’inventaire qui a été fourni. Il n’a signalé aucune des entreprises nommées dans ce dossier au bureau de la GRC à North York.

 

[97]      M. Graffi a identifié la pièce A‑12, ses notes datées du 9 avril 1998. On lui a montré le paragraphe 10 de l’exposé conjoint des faits, et il a précisé qu’il aurait mis en doute le paiement de 360 540 $ fait par l’appelant à Premier, relativement aux privilèges présumés, en se fondant sur l’alinéa 18(1)a) et l’article 67 de la Loi. Aucun détail n’avait été donné sur le but de ce paiement. Il aurait souligné cette omission et aurait déterminé s’il pouvait rattacher le paiement au revenu avant de conclure que la déduction était possible ou non.

 

Argumentation au nom de l’appelant

 

[98]      Dans les plaidoiries, l’avocat de l’appelant a fait valoir que l’absence d’un marché de revente pour les pierres précieuses ne changeait rien à la situation. S’il y a vol, l’article 67 ne peut s’appliquer. À son avis, les dépenses étaient déductibles indépendamment de l’utilisation prévue de l’argent et peu importe que l’appelant n’ait eu qu’une idée générale de la raison pour laquelle elles avaient été engagées ou peu importe que ces dépenses aient été des frais d’administration. L’appelant a aussi présenté les observations écrites suivantes:

 

            [TRADUCTION]

1)         Les faits non contestés ont été décrits dans l’énoncé des aveux et exposé conjoint des faits déposé au début du procès.

 

2)         M. Hammill est un lieutenant-colonel à la retraite des Forces canadiennes deux fois décoré.

 

3)         Il est associé avec son frère dans une entreprise de fabrication florissante qui compte 200 employés et 15 bureaux de vente dans tout le Canada et qui réalise un chiffre d’affaires annuel atteignant entre 12 et 13 millions de dollars.

 

4)         En 1987, M. Hammill a commencé à acheter des pierres précieuses dans le but de les revendre.

 

5)         L’intimée concède que, en raison de ses activités, M. Hammill exploitait une entreprise au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette admission figure au paragraphe 16 de l’énoncé des aveux et exposé conjoint des faits.

 

6)         Ces pierres précieuses ne comportaient aucun élément de personnel. M. Hammill a expliqué dans son témoignage qu’elles étaient emballées et entreposées en lieu sûr. Son épouse n’était pas au courant de leur existence et les pierres ne pouvaient être portées.

 

7)         M. Hammill a fait souvent affaire avec un certain Peter Walker, chez  York Union, de qui il a acheté un grand nombre de pierres précieuses. Lorsque Peter Walker a quitté York Union, M. Hammill a traité avec Bill Hawkins.

 

8)         Lorsque Bill Hawkins a quitté York Union pour travailler chez H&H Rarities, l’appelant l’a suivi et a acheté des pierres précieuses de M. Hawkins chez H&H Rarities.

 

9)         En 1993, M. Hammill a déterminé que ses stocks étaient suffisamment importants pour qu’il puisse passer à la vente. Il a demandé conseil à Bill Hawkins.

 

10)       Un homme qui s’est identifié comme Peter Manning, de Premier Investment Group (« Premier »), est entré en communication avec M. Hammill. Peter Manning a précisé qu’il avait été recommandé à M. Hammill par Bill Hawkins.

 

11)       Les services de Premier ont été offerts à M. Hammill pour la vente de ses pierres précieuses. D’autres personnes chez Premier lui ont été présentées, dont Harold Schnap et Andrew Martin.

 

12)       L’agent de la GRC, M. Laurence, a expliqué le processus. Selon lui, le nom de M. Hammill aurait été vendu à Premier. L’appel téléphonique initial dans ce genre d’escroquerie est fait par une personne qu’on appelle un [TRADUCTION] « préposé à la présélection ». Si la victime se montre intéressée, le préposé la confie à une autre personne.

 

13)       Nous savons maintenant que Premier et les gens qui y étaient rattachés étaient d’habiles escrocs.

 

14)       Entre le moment où il a rencontré les gens de Premier et le jour où il a appelé la GRC, M. Hammill avait versé à Premier ou selon ses directives un total de 1 651 766 $. Ce fait a été concédé par l’intimée.

 

15)       M. Hammill a principalement traité avec Andrew Martin. Au besoin, ce dernier a fait intervenir d’autres joueurs : Peter Manning ou Harold Schnap, de Premier, Robert Salaam, de Royce Management, une femme identifiée comme étant Sharon Thurgood Whyte, d’Omega Speciality Banking, Patrick Lee Chen, de Transpacific, et des tiers.

 

16)       Ces personnes n’étaient pas de simples noms sur une télécopie. M. Hammill a parlé avec ces gens et avec des tiers.

 

17)       L’agent Laurence de la GRC a mentionné qu’il y avait quatre personnes dans les bureaux en plus d’Andrew Martin lors de la descente. Toutes ont été arrêtées, mais des accusations ont été portées seulement contre la personne connue sous le nom d’Andrew Martin. L’importance exacte de l’effectif ne sera jamais connue.

 

18)       M. Hammill a rencontré Andrew Martin en personne à 31 reprises et a eu des centaines de discussions au téléphone avec lui. Il lui faisait confiance.

 

19)       Malheureusement, cette confiance n’était vraiment pas justifiée.

 

20)       Andrew Martin a présenté des offres d’achat portant sur les pierres précieuses de M. Hammill. Les offres représentaient de gros montants et s’assortissaient toujours de frais à payer d’avance. À une occasion, M. Hammill a dû payer pour faire lever les privilèges enregistrés sur ses pierres précieuses. Nous savons maintenant que ces privilèges étaient fictifs et faisaient partie de l’arnaque d’Andrew Martin.

 

21)       Certains des documents semaient la confusion. Par exemple, la transaction Yin Xin a obligé M. Hammill à verser une garantie de bonne exécution de 10 %, soit 172 000 $US. Qu’a fait M. Hammill? Il a effectué 5 paiements totalisant 323 407 $US. Trois des paiements ont été versés à Premier Group, un, à Andrew Martin, un autre, à Martin & Douglas et un dernier, à une personne nommée Chris Wells. Pourquoi l’appelant a-t-il versé plus d’argent? Parce qu’Andrew Martin lui avait dit que les montants excédentaires devaient couvrir les commissions et les frais d’administration prépayés. Pourquoi l’appelant a-t-il donné l’argent aux diverses parties? Parce qu’Andrew Martin lui avait dit de le faire.

 

22)       Le document de Titus Private Holdings est un autre exemple. Imprimé sur du papier à en-tête de Titus, il mentionne certaines parties, soit Pietro Romanoff, D&S Enterprises Inc. et Andrew Martin. Deux paiements devaient être faits par M. Hammill selon ce document, pour un total de 30 937 $. On y mentionne une tierce partie non identifiée titulaire d’un intérêt de 50 000 $ censée continuer à détenir cet intérêt et [TRADUCTION] « acceptée aux fins du versement dans le cadre de la présente transaction ». Ces termes sont nébuleux, et M. Hammill n’était pas capable de les expliquer. Il a versé le l’argent, mais pour ajouter un autre nom, Andrew Martin lui a demandé de transférer l’argent au compte d’Innity Music Promotions. Pourquoi Innity? Parce qu’Andrew Martin se trouverait à proximité des bureaux d’Innity Music Promotions et qu’il lui serait plus facile de passer prendre l’argent.

 

23)       L’auteur des lettres d’Omega concernant les privilèges semble être Sharon Thurgood Whyte. Le papier à en-tête mentionne une dénommée Sharon Thompson Whyte et une certaine Bianca Thurgood. La personne qui a rédigé la lettre a mélangé les noms, et M. Hammill n’a pas relevé l’erreur.

 

24)       Des documents ne comportaient pas d’adresse de retour ni de numéro de téléphone. M. Hammill a expliqué que, s’il voulait parler avec quelqu’un, Andrew Martin prenait les arrangements nécessaires. Tout se faisait par l’entremise d’Andrew Martin.

 

25)       Le témoignage de M. Hammill au sujet des privilèges nous apprend que ceux-ci avaient supposément été enregistrés contre les pierres précieuses par Robert Salaam, de Royce Management. L’appelant a appris l’existence des privilèges par une lettre provenant d’une personne appelée Sharon Thurgood Whyte. Il a parlé à cette personne et à Andrew Martin. Il n’avait aucun moyen de savoir que Sharon Thurgood Whyte faisait partie de l’arnaque montée par Premier. Il avait déjà parlé avec Rober Salaam lorsqu’il a acheté des émeraudes par son entremise et croyait qu’il existait réellement.

 

26)       Pour vérifier l’existence des privilèges, M. Hammill a discuté avec Patrick Cox, chez International Gems, une autre entreprise évoluant dans le négoce des pierres précieuses. Non seulement Patrick Cox a-t-il confirmé que les privilèges étaient plausibles, mais il a précisé qu’il était déjà allé dans les bureaux de Royce Management, à New York, et qu’il s’agissait d’un établissement commercial en bonne et due forme.

 

27)       Dans chaque cas, M. Hammill était convaincu de la légitimité des offres d’achat et a payé les montants spécifiés par Andrew Martin et en suivant ses directives. M. Hammill a affirmé que chacun des paiements visait la vente de ses pierres précieuses à profit.

 

28)       Objectivement, en rétrospective, nous savons qu’aucun paiement fait à Andrew Martin ou selon ses directives n’a permis à M. Hammill d’atteindre son objectif, soit la vente de ses pierres précieuses.

 

29)       Nous savons maintenant à quel point Andrew Matin a été convaincant. M. Hammill était tellement persuadé de l’imminence des ventes que, pour financer les frais à payer d’avance, il a vendu le chalet familial, son voilier et ses biens de placement. Il a hypothéqué ses biens immobiliers et encaissé ses REER.

 

30)       À un moment donné, Andrew Martin et ses complices ont proposé à M. Hammill d’acheter d’autres pierres précieuses pour rendre la transaction encore plus attrayante. M. Hammill a payé 175 000 $US de plus et les nouvelles pierres précieuses ont été acheminées par FedEx. La crédibilité d’Andrew Martin en a été rehaussée. Si Andrew Martin était un escroc, pourquoi les pierres précieuses auraient-elles été livrées?

 

31)       Lorsque M. Hammill s’est rendu compte qu’il était victime d’une fraude, il a porté plainte à la GRC. L’agent Tim Laurence a fait enquête et arrêté Andrew Martin, aussi connu sous les noms de Michael Davis-Bingham, Barry Davis et Allan Martin.

 

32)       L’agent Laurence a présenté ses observations sur les bureaux. Tout était très bien organisé. Il y avait des lignes téléphoniques dans le bureau portant des indicatifs régionaux de Chicago et de New York. Si une victime composait un numéro à New York dans l’indicatif régional 212, un téléphone sonnait dans les bureaux de Premier.

 

33)       L’agent Laurence a interrogé deux autres victimes d’Andrew Martin. Il a précisé qu’il y en avait une cinquantaine d’autres identifiées dans les dossiers de Premier, mais il ne les a pas interrogées. En réponse à une question de la Cour, il a précisé que la Couronne demande à la GRC de ne pas utiliser des ressources sans raison pour interroger des victimes supplémentaires lorsque le dossier est assez solide avec quelques victimes.

 

34)       Les pertes subies par les deux autres victimes interrogées, le docteur Richard Weinstein, du Nouveau-Mexique, et un certain M. Dale Evoy, de Terrace Bay, en Ontario, ont totalisé respectivement 500 000 $US et 800 000 $US. Le docteur Weinstein était podiatre et M. Evoy était développeur pour une société de câblodiffusion.

 

35)       L’agent Laurence a donné un aperçu de ce genre d’arnaque : il a apporté à l’audience diverses pièces à conviction présentées contre Michael Davis Gingham, alias Andrew Martin. Une de ces pièces était un organigramme complexe montrant les relations entre les diverses entreprises. Il s’agissait clairement d’une fraude bien organisée.

 

36)       L’agent Laurence a présenté des relevés d’appel découverts durant la descente. Il a expliqué qu’il s’agissait de listes portant les noms et numéros de téléphone de victimes possibles achetées de tierces personnes.

 

37)       Il a également fourni des [TRADUCTION] listes de contre-arguments, c'est-à-dire des réponses prédéterminées et savamment étudiées aux questions de gens réticents à donner suite à une sollicitation par téléphone.

 

38)       Lorsqu’on l’a interrogé sur les factures et documents frauduleux, l’agent Laurence a donné des exemples. Ainsi, il a récemment travaillé sur un cas où des escrocs ont imité des factures de publicité dans les Pages jaunes. Le logo des Pages jaunes avait été inversé. Les fraudeurs ont envoyé ces fausses factures aux utilisateurs des Pages jaunes, et elles ont souvent été réglées.

 

39)       L’arnaque perpétrée contre M. Hammill et d’autres victimes est ce qu’on appelle une fraude impliquant des frais payés d’avance.

 

40)       Une carotte est tendue à la victime. Tout ce que celle-ci doit faire, c’est de payer des frais d’avance. L’agent Laurence a expliqué la version de cette fraude fondée sur des emprunts préapprouvés. Il a expliqué qu’une entreprise ayant besoin d’un financement non conventionnel est approchée avec une offre de prêt. Pour obtenir l’argent, l’emprunteur doit simplement verser d’avance des frais substantiels. Les frais sont payés, mais il n’y a pas de prêt.

 

41)       L’agent Laurence a travaillé sur plusieurs escroqueries impliquant des pierres précieuses. À son avis, il n’y a réellement aucun marché de revente pour les pierres précieuses. Les achats initiaux de M. Hammill auprès de York Union ont pu être l’étape initiale de la fraude. Dans ce genre de fraude, la victime n’a aucun endroit pour vendre ses pierres précieuses. Elle devient dépendante du fraudeur et, en même temps, ce dernier lui fait miroiter la possibilité de réaliser de gros profits si elle persévère.

 

Critère de l’objet visé par la dépense aux fins de l’alinéa 18(1)a)

 

42)       Pour qu’une dépense soit déductible, l’alinéa 18(1)a) impose les restrictions suivantes :

 

Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les dépenses ne sont pas déductibles, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien.

 

43)       Si le critère régissant la déductibilité d’une dépense était de nature objective, M. Hammill aurait de la difficulté à déduire certains paiements. Nous pourrions examiner certains des documents nébuleux. Nous pourrions remettre en question l’incohérence des paiements. Nous pourrions hocher la tête pendant son témoignage et nous demander comment un lieutenant-colonel décoré et un homme d’affaires accompli a pu se faire avoir dans cette arnaque.

 

44)       Cependant, peu importe la piètre opinion qu’on peut avoir des décisions prises par M. Hammill de verser la totalité ou une partie de la somme de 1 651 766 $ en suivant les instructions d’Andrew Martin, notre opinion n’est pas pertinente, car le critère énoncé à l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas de nature objective. Il s’agit en fait d’un critère subjectif, et nous n’avons pas été témoins de la force de conviction d’Andrew Martin.

 

45)       Dans l’affaire Tonn c. Canada, mentionnée à l’onglet 8 du [TRADUCTION] cahier de la jurisprudence et de la doctrine, le juge Linden, de la Cour d’appel fédérale, a statué que la norme énoncée à l’alinéa 18(1)a) était un critère subjectif et non pas objectif.

 

Pour être déductible conformément à l’alinéa 18(1)a), une dépense doit avoir été engagée dans le but de produire un bénéfice. En d’autres termes, la dépense doit avoir été engagée dans un contexte commercial lié au processus de production de revenus. Je souligne à cet égard que cette intention, à strictement parler, est subjective. La disposition n’exige pas expressément que l’intention soit raisonnable sur le plan objectif.

 

46)       Cette décision confirme que c’est l’opinion subjective de M. Hammill qui entre en ligne de compte. Pas l’opinion de l’Agence des douanes et du revenu du Canada.

 

47)       À moins que la Loi ne soit modifiée, l’arrêt Tonn est déterminant sur ce point.

 

48)       Pour amorcer l’analyse, il faut donc se demander quel était le but subjectif de M. Hammill quand il a versé de l’argent à Andrew Martin ou selon ses instructions.

 

49)       Le témoignage de M. Hammill n’est pas contredit. Il a affirmé à maintes reprises qu’il avait eu foi en Andrew Martin et qu’il croyait que les paiements faciliteraient la vente à profit de ses pierres précieuses.

 

50)       Et à quel genre de profit s’attendait M. Hammill? L’appelant et l’intimée, par l’entremise de leurs avocats, ont signé un exposé conjoint des faits. Au paragraphe 10, il a été concédé que si la première entente avait été réelle, M. Hammill aurait engagé une dépense de 360 540 $ pour obtenir un profit brut de 1 565 472 $. Si la deuxième entente avait été réelle, M. Hammill aurait dépensé 139 410 $ de plus pour un profit de 758 216 $. Selon la dernière entente, M. Hammill aurait dépensé encore 214 464 $ pour un profit de 5 668 510 $.

 

51)       Même si nous savons maintenant que les ententes étaient frauduleuses, nous ne sommes pas dans la situation subjective de M. Hammill.

 

52)       M. Gary Parker, comptable agréé spécialisé en juricomptabilité et associé d’un cabinet d’experts-comptables d’envergure nationale, est venu témoigner. Il a également rédigé un rapport, où il a fait état de ce qui suit à la page 2 :

 

[TRADUCTION]

À mon avis, les paiements effectués dans le cours des affaires relativement au paiement anticipé de frais et de commissions sont déductibles à la lumière des principes comptables généralement reconnus (PCGR). Selon le Manuel de l’Institut canadien des comptables agréés, les charges qui sont rattachées à des activités génératrices de produits par un lien de cause à effet sont normalement rapprochées des produits au cours de l’exercice où ces derniers sont constatés.

 

53)       M. Parker a affirmé que les paiements effectués par M. Hammill, selon les PCGR, constituaient des dépenses déductibles.

 

54)       La norme minimale permettant au ministre de contester la déductibilité d’une dépense en se fondant sur l’alinéa 18(1)a) est très difficile à satisfaire.

 

55)       Le juge Linden, dans l’arrêt Tonn, poursuivait comme suit, paragraphe 43, page 108 :

 

Cependant, le respect des objets de la Loi exige-t-il que les déductions de pertes provenant d'entreprises exploitées de bonne foi soient refusées pour la simple raison que le contribuable a fait preuve de mauvais jugement? Je ne le crois pas. Si l'examen de la bonne foi du contribuable est nettement justifié dans certains cas, le régime fiscal ne devrait pas décourager ou pénaliser les contribuables qui ont pris des décisions honnêtes, mais erronées. Le régime d'imposition n'est pas fondé sur l'examen du sens des affaires de façon à accorder les déductions aux contribuables perspicaces et à les refuser à ceux qui ont manqué de jugement. L'imposition repose plutôt sur la situation économique du contribuable telle qu'elle est, et non telle qu'elle devrait être, sous réserve des commentaires figurant plus loin.

 

56)       J’ai souligné le commentaire du juge Linden au sujet des contribuables ayant manqué de jugement. Même si la Cour conclut ici que M. Hammill a pris certaines décisions sans faire preuve de jugement aucun, le juge Linden a indiqué dans ses remarques incidentes que ce fait n’est pas pertinent dans l’acceptation ou le refus de déductions.

 

57)       Nous soutenons que, d’après le critère énoncé par le juge Linden dans l’arrêt Tonn, les paiements effectués par M. Hammill étaient déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)a).

 

Pertes découlant d’un vol ou d’un détournement de fonds

 

58)       Un autre argument, non moins persuasif, de l’appelant se fonde sur la théorie suivant laquelle les pertes d’entreprise découlant d’un vol ou d’un détournement de fonds sont déductibles.

 

59)       L’affaire Parkland Operations Ltd. c. Canada a été entendue par le juge Jerome de la Cour fédérale. La décision figure à l’onglet 1 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine de l’appelant.

 

60)       Dans l’arrêt Parkland Operations, deux dirigeants de l’entreprise contribuable avaient détourné 563 396 $ appartenant à celle-ci. Les dirigeants croyaient que deux personnes devaient signer les chèques de l’entreprise, alors qu’une signature suffisait. Le vol a été découvert, et on a fait intervenir la GRC. Il n’y avait pas suffisamment de preuves pour obtenir la condamnation des deux hommes pour la totalité du montant détourné, mais ils ont quand même été déclarés coupables d’un vol d’environ 200 000 $.

 

61)       L’avocat de l’entreprise contribuable dans Parkland Operations a fait valoir ce qui suit, au paragraphe 16 de la page 6 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine :

 

En ce qui a trait à Parkland, il convient de noter que les fonds détournés provenaient des fonds de fonctionnement de la société, parce qu'ils avaient été retirés de sa ligne de crédit qui était garantie par ses comptes-clients. Ce fait permet de qualifier l'opération comme tenant de la nature d'un revenu.

 

62)       Le juge Jerome, au paragraphe 18 de la page 6 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, a éprouvé peu de difficultés à conclure que les sommes détournées étaient déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)a) :

 

Je suis convaincu qu'en l'espèce la dépense a été engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de lui faire produire un revenu, et que cette dépense a été engagée en conformité avec les principes relatifs à la pratique commerciale reconnue. Je conclus que les fonds en cause ont été retirés frauduleusement de la ligne de crédit de la société, ce qui, comme le prétend la demanderesse, qualifie l'opération comme tenant de la nature d'un revenu. Je ne puis accepter la prétention de la défenderesse portant que l'argent au moment du vol ne faisait pas partie des activités lucratives normales de la société. Les fonds en cause provenaient des fonds de fonctionnement de la société, qui constituent effectivement une partie des activités lucratives normales de la société.

 

63)       J’aimerais attirer l’attention de la Cour sur un autre arrêt, figurant à l’onglet 2 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, rendu par le juge Rip de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Cassidy's Limited. c. M.R.N.

 

64)       Un vice-président de Cassidy, M. Rochefort, a réglé ses dettes avec l’argent de l’entreprise. Sur une période de quatre ans, il a ainsi détourné un total de 454 264 $.

 

65)       Le juge Rip a déterminé, comme l’indique le paragraphe 28 de la page 16 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, que les montants volés auraient été déductibles selon les principes comptables généralement reconnus.

 

À mon avis, les sommes en cause auraient été déduites du revenu pour l’année afin d’établir le bénéfice annuel conformément aux PCGR.

 

66)       Le juge Rip a ensuite cité une décision rendue par le président Thorson, de la Cour de l’échiquier du Canada, dans l’affaire Royal Trust v. MNR, décision reprise par la juge Wilson, en y souscrivant, dans l’arrêt Mattabi Mines c. Ontario, paragraphe 29, page 16 :

 

La restriction essentielle apportée à l'exception prévue à l'al. 12(1)a) est que le contribuable doit avoir fait la dépense ou le débours « en vue » de tirer un revenu « de l'entreprise » ou de lui faire produire un revenu. C'est le but de la dépense ou du débours qui est important et ce but doit être de tirer un revenu « de l'entreprise » à laquelle le contribuable se consacre ou de lui faire produire un revenu. Si ces conditions sont remplies, le fait qu'il puisse n'en résulter aucun revenu n'empêche pas la déduction du débours ou de la dépense. Ainsi, dans une affaire relevant de la Loi de l'impôt sur le revenu, si le contribuable effectue un débours ou engage une dépense en conformité avec les principes applicables aux opérations commerciales ou la pratique commerciale reconnue, et ce, dans le but de tirer un revenu de son entreprise ou de lui faire produire un revenu, son montant est déductible aux fins de l'impôt sur le revenu.

 

67)       Le juge Rip a donc accueilli l’appel et statué que les pertes découlant du détournement de fonds étaient déductibles.

 

68)       Une décision plus récente de la Cour, que Me Leclaire connaît bien puisqu’il était un des avocats dans ce dossier, a été rendue par le juge O'Connor le 15 octobre 2002 dans l’affaire Agnew v. The Queen, qu’on retrouve à l’onglet 3 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine.

 

69)       Dans l’arrêt Agnew, une société en commandite avait été mise sur pied dans le but de fournir des avantages fiscaux aux investisseurs tout en offrant ce qui, aux yeux de la Cour, constituait essentiellement un plan d’affaires valable.

 

70)       La société en commandite était dirigée par un commandité qui s’est servi d’une somme d’environ 1 000 000 $ appartenant à la société pour régler ses dépenses personnelles. Le juge O'Connor a conclu que les malversations du commandité avaient entraîné la faillite de la société.

 

71)       Dans cette affaire, on a soutenu que les pertes n’étaient pas déductibles parce que les commanditaires n’avaient aucune attente raisonnable de profit.

 

72)       Me Leclaire a présenté de nombreuses observations, qui débutent au paragraphe 69 de la page 46 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine et se terminent au paragraphe 122 de la page 54. Je n’ai pu trouver aucune observation de Me Leclaire portant que le vol attribuable à un détournement de fonds n’était pas déductible. Il n’y a pas mentionné non plus que la déduction des pertes devrait être refusée parce que les dépenses personnelles de 1 000 000 $ étaient déraisonnables selon l’article 67. On peut se demander pourquoi cette question, qui est le principal point en litige ici, n’était pas digne de mention dans l’affaire Agnew.

 

73)       L’Agence des douanes et du revenu du Canada a pour principe de permettre la déduction des pertes découlant d’un vol ou d’un détournement de fonds :

 

74)       Le bulletin d’interprétation IT‑185R, onglet 4, page 57 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, dispose ce qui suit :

 

2. Les pertes qui résultent de vols, de vols qualifiés ou de vols à l’étalage commis par des étrangers sont un risque inhérent à la plupart des entreprises. Ainsi, les pertes de capital de roulement résultant d’un vol, d’un vol qualifié ou d’un vol à l’étalage commis dans des circonstances où il est raisonnable de considérer les pertes comme inhérentes aux activités génératrices de revenus de l’entreprise sont généralement déductibles dans le calcul du revenu d’entreprise.

 

75)       Mon collègue peut essayer d’établir une distinction entre le vol par détournement de fonds, ce qui était le cas dans les affaires Parkland, Cassidy et Agnew, et le vol découlant d’une fraude, comme en l’espèce. Cependant, que le vol soit attribuable à la fraude ou au détournement de fonds, nous soutenons qu’il demeure que c’est un vol et qu’il n’y a aucune raison pour qu’un contribuable innocent comme M. Hammill soit traité différemment des contribuables innocents dans les affaires Parkland, Cassidy et Agnew.

 

76)       Si je me sers de l’exemple donné par l’agent Laurence, disons qu’une entreprise règle une facture frauduleuse concernant une publicité dans les Pages jaunes, la déduction devrait-elle être refusée parce qu’il s’agit d’un vol commis par fraude et non pas d’un vol pur et simple?

 

77)       Permettez-moi de réitérer qu’il n’y a aucune raison de croire que la Loi de l’impôt sur le revenu offre un allègement aux entreprises victimes de vol mais pas aux entreprises victimes de fraude.

 

78)       Si la Loi de l’impôt sur le revenu permet la déduction de pertes découlant d’un vol, est-ce que la Cour canadienne de l’impôt ou l’Agence des douanes et du revenu du Canada devraient procéder à une enquête semblable à celle dont fait l’objet M. Hammill pour savoir si le vol était raisonnable ou non? Dans l’arrêt Parkland, était-il raisonnable de permettre la signature de chèques sans restrictions par une seule personne? Dans l’arrêt Cassidy, était-il raisonnable qu’un dirigeant de confiance continue de détourner des fonds pendant quatre ans sans que personne ne s’en aperçoive?

 

79)       Peut-être que l’Agence des douanes et du revenu du Canada devrait refuser la déduction de pertes découlant du vol à l’étalage si, après coup, elle se rend compte que le propriétaire du magasin n’a pas pris des précautions adéquate pour prévenir les vols?

 

80)       Ou peut-être que l’Agence des douanes et du revenu du Canada devrait s’assurer qu’un entrepôt qui a été la cible d’un vol était muni de systèmes adéquats de verrouillage et de sécurité, puis refuser la déduction des pertes si le vérificateur constate que les précautions n’étaient pas raisonnables?

 

81)       Dans l’affaire Agnew, le commandité n’avait apparemment même pas pris la peine de dissimuler son vol. Est-ce que l’Agence des douanes et du revenu du Canada a entrepris une enquête pour déterminer si la société en commandite avait pris des mesures raisonnables pour empêcher le détournement de fonds?

 

82)       Nous affirmons que les arrêts Parkland, Cassidy et Agnew suffisent en soi à convaincre la Cour d’accueillir le présent appel et de renvoyer l’affaire au ministre en précisant que les montants payés par M. Hammill sont déductibles.

Application de l’article 67

 

83)       Selon Me Leclaire, la présente affaire peut être tranchée contre l’appelant en raison de l’article 67.

 

84)       Dans son témoignage, M. Graffi a indiqué que les décisions commerciales prises par M. Hammill étaient à ce point insensées qu’elles n’étaient pas raisonnables. Le témoignage de M. Hammill lui-même montre clairement qu’il a pris des décisions d’affaires discutables. M. Hammill a tellement fait confiance à un escroc qu’il a suivi ses directives et versé en tout la somme de 1 651 766 $. Andrew Martin s’est même enfui avec les pierres précieuses.

 

85)       Ce qui est difficile avec ce raisonnement, c’est de savoir où tracer la limite. Lorsque M. Hammill a effectué son premier paiement en suivant les directives d’Andrew Martin, aurait-il dû savoir que celui-ci était un escroc? Et quand il a versé le deuxième montant?

 

86)       Lorsque M. Hammill a payé pour faire lever les privilèges, il a discuté de ces privilèges avec Patrick Cox, qui travaillait pour une autre entreprise. Tout semblait légitime. La Cour devrait-elle refuser la déductibilité de ces paiements aussi?

 

87)       L’article 67 de la Loi limite des dépenses par ailleurs déductibles aux montants qui sont raisonnables :

 

67. Restriction générale relative aux dépenses – Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

 

88)       Dans l’arrêt Cassidy, précité, l’avocat du contribuable appelant avait fait valoir que l’article 67, qui énonce une restriction générale relative aux dépenses déraisonnables, ne s’appliquait pas. La Cour a souscrit à cette observation. Au paragraphe 33, page 18 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, le juge Rip s’exprime comme suit :

 

Le procureur de l’appelante a soutenu que les montants déduits étaient raisonnables compte tenu des circonstances et donc non proscrits par l’article 67 de la Loi. L’intimé n’a pas contesté le fait que les sommes n’étaient pas raisonnables, cette question n’est donc pas à régler. Toutefois, si des sommes volées sont déductibles dans le calcul du revenu, on pourrait normalement être porté à croire que les montants détournés constitueraient des déductions raisonnables en l’espèce.

 

89)       Si le juge Rip a raison, alors l’article 67 ne s’applique pas en cas de vol. S’il a tort, alors comment l’article 67 doit-il être appliqué?

 

90)       Dans l’affaire Mohammad c. Canada 97 D.T.C. 5503, [1997] 3 C.T.C. 321, [1998] 1 C.F. 165, le juge Robertson a statué, au nom de la Cour d’appel fédérale, que l’article 67 doit être appliqué objectivement quant à l’ordre de grandeur des pertes :

 

Quand on évalue le caractère raisonnable d'une dépense, on mesure ce caractère raisonnable en termes de grandeur ou de quantum. Bien qu'une telle décision puisse faire intervenir un élément d'appréciation suggestive de la part du juge des faits, il faut toujours rechercher un élément objectif. Quand on traite des dépenses d'intérêts, la tâche peut être objectivée assez facilement. Par exemple, le ministre aurait pu contester le montant des intérêts payés sur le prêt de 25 000 $, si le contribuable avait accepté de payer des intérêts excédant les taux du marché. Le caractère raisonnable des frais d'intérêts peut donc être mesuré objectivement, c'est-à-dire par rapport aux taux du marché. De même, le ministre pourrait s'opposer à un contribuable qui cherche à déduire les trois quarts des intérêts payés sur un prêt hypothécaire grevant un duplex dans lequel le contribuable occupe l'une des deux unités identiques. Ici encore, le caractère raisonnable des frais d'intérêts réclamés peut se mesurer objectivement en faisant référence à la superficie (en supposant, bien entendu, que la valeur locative d'un mètre carré est égale dans les deux parties).

 

91)       Dans la présente affaire, si l’on veut appliquer l’arrêt Mohammad, nous soutenons qu’on pourrait comparer l’ordre de grandeur des dépenses par rapport aux revenus prévus. Rappelons que les paiements de M. Hammill étaient peu élevés comparativement aux profits escomptés et qu’ils se sont étalés sur une période de trois ans.

 

92)       Dans l’arrêt Tonn, le juge Linden s’est reporté à l’article 67 et donné un exemple d’application de cette disposition, dans une affaire où celle-ci a permis de limiter de très grosses dépenses engagées dans le cadre de l’entreprise de thérapie par l’humour du contribuable; ce dernier avait un chiffre d’affaires annuel de 85 $ mais cherchait à faire déduire près de 7 000 $ de dépenses.

 

93)       Finalement, le juge Linden a cité, en y souscrivant, une décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt, au paragraphe 62, page 113 :

 

Dans l'arrêt Bélec (E.) c. Canada, le juge Bowman a repris cette critique en ces termes :

 

Il faut souligner que ces pertes ont été subies dans un contexte complètement commercial. Il n'y avait aucun élément de personnel ni dans son achat ni dans son utilisation de l'immeuble. L'appelant est un homme de commerce expérimenté. Il a pris sa décision de bonne foi sur son meilleur jugement commercial et sur les faits qui lui étaient disponibles à cette époque. Il n'appartient pas au ministre (ou à cette cour) de substituer, avec le bénéfice de sa sagesse d'après coup, son jugement commercial pour celui du contribuable. Il ne faut pas se poser la question « En sachant ce que je sais maintenant, est-ce que je me serais embarqué dans cette entreprise? » La réponse est sans aucun doute « non », parce que la question ne se soulève que lorsqu'il y a des pertes.

 

94)       Dans l’arrêt Gabco Ltd. v. MNR, onglet 7 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, rendu par le juge Cattanach de la Cour de l’échiquier, le point en litige concernait le caractère raisonnable d’un employé passablement jeune et inexpérimenté qui était un actionnaire important de l’entreprise. L’appelante a produit des preuves indiquant que les montants étaient raisonnables. La Loi de l’impôt sur le revenu en vigueur à l’époque renfermait le paragraphe 12(2), qui ressemblait à l’article 67. La Cour a statué comme suit, au paragraphe 52, page 93 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine :

 

[TRADUCTION]

Il s'agit non pas que le ministre ou notre cour substitue son jugement à celui du contribuable lorsqu'il s'agit de déterminer ce qu'est un paiement raisonnable, mais plutôt que le ministre ou la Cour arrive à la conclusion qu'aucun homme d'affaires raisonnable ne se serait engagé par contrat à verser une telle somme en n'ayant à l'esprit que les intérêts commerciaux de l'appelante.

 

95)       L’agent Tim Laurence de la GRC a témoigné à cet égard. Il a découvert dans les dossiers de Premier qu’il y avait beaucoup d’autres victimes, dont deux personnes qu’il a interviewées et qui avaient payé 500 000 $US et 800 000 $US. Puisque d’autres hommes d’affaires ont payé des montants semblables, nous estimons que le ministre ne peut établir qu’aucun homme ni aucune femme d’affaire n’aurait versé de telles sommes.

 

96)       M. Hammill a payé parce qu’il s’attendait à des profits considérables. Nous soutenons qu’on ne peut conclure qu’il est déraisonnable de verser de l’argent alors qu’on est sur le point de conclure une vente très profitable.

 

97)       Dans King c. Canada, onglet 10 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, la Cour canadienne de l’impôt a dû examiner les dépenses importantes engagées par le contribuable pour participer à des concours hippiques. Le contribuable avait fait valoir que les concours hippiques lui permettaient de rencontrer des clients potentiels. Au paragraphe 120, page 170 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, on peut lire les commentaires suivants de la Cour :

 

La Cour accepte l'argument de l'avocat des appelants selon lequel il revient au contribuable, puisqu'il s'agit d'une question d'appréciation commerciale, de déterminer quelles dépenses d'entreprise étaient raisonnables, à l'intérieur de certaines restrictions comme l'a mentionné l'affaire Tonn, précitée, et d'autres, en particulier lorsque les dépenses ont réussi à générer un revenu d'entreprise comme en l'espèce. Il semblerait que rien dans les faits en l'espèce n'amènerait la Cour à conclure que les dépenses engagées étaient si flagrantes qu'elle aurait dû reconsidérer les actions du contribuable.

 

98)       Récemment, dans l’arrêt Stewart c. Canada (onglet 9), les juges Iacobucci et Bastarache, de la Cour suprême du Canada, ont souligné l’injustice qui serait créée si le ministre disposait de vastes pouvoirs d’évaluer après coup les décisions prises par d’honnêtes contribuables. Même si cette décision s’articulait autour du critère de l’attente raisonnable de profit, l’analyse reste appropriée dans l’évaluation du caractère raisonnable.

 

99)       Au paragraphe 44, page 141, la Cour s’est exprimée ainsi :

 

Même si la base de calcul du profit était évidente, on ne sait toujours pas au juste combien de profit escompté serait nécessaire, dans quel délai, et si le montant du profit escompté devrait varier selon les risques que comporte l'entreprise [...] Il se peut, par exemple, qu'une entreprise à risque élevé subisse des pertes importantes dont la déduction pourra être refusée à la suite d'une analyse de l'expectative raisonnable de profit; il est toutefois très improbable que, dans le cas où une telle entreprise devient rentable, le ministre s'abstiendra d'établir une cotisation pour le motif qu'il n'y avait pas d'expectative raisonnable de profit et donc pas d'entreprise.

 

100)     La Cour suprême a ensuite cité le juge Bowman, au paragraphe 45, qui s’exprimait comme suit dans l’arrêt Nichol, page 142 :

 

L'imprécision du critère de l'ERP favorise une application rétrospective qui, comme l'a souligné le juge Bowman dans la décision Nichol, précitée, par. 18, cause de l'incertitude et de l'injustice :

 

[Le contribuable] a fait ce qui peut, rétrospectivement, être considéré comme une erreur de jugement, mais il s'agissait d'une question d'appréciation commerciale et cette appréciation n'était manifestement pas déraisonnable au point d'autoriser cette Cour ou le ministre du Revenu national à y substituer leur propre appréciation ou à pénaliser le contribuable pour avoir pris une décision que moi-même ou le ministre, forts de la clairvoyance qu'un gérant d'estrade possède toujours, ne prendrions peut-être pas aujourd'hui . . .

 

Documentation insuffisante

 

101)     Le dernier argument de l’intimée semble être fondé sur l’insuffisance de documentation relative aux paiements faits par M. Hammill.

 

102)     Le ministre a concédé qu’il acceptait la valeur des paiements et le fait qu’ils aient été effectivement versés par M. Hammill au vendeur ou selon ses directives, et ces paiements ont été vérifiés par la GRC.

 

103)     M. Graffi a effectué certaines enquêtes durant sa vérification. Il a demandé à la Direction des décisions à Ottawa si des reçus étaient nécessaires. On lui a répondu que la preuve de paiement était suffisante. D’après les notes prises par M. Graffi sur cette discussion :

 

[TRADUCTION]

Il [George Techana, de la Direction des décisions] a expliqué qu’à la condition que le contribuable puisse montrer qu’il a déboursé l’argent et qu’il croyait que le montant était raisonnable, il n’est pas nécessaire d’avoir une preuve matérielle sous forme de justificatifs de dépenses.

 

104)     Nous souscrivons à l’opinion reçue par M. Graffi de la Direction des décisions à Ottawa.

 

105)     M. Hammill a raconté qu’il avait tenu un relevé fidèle de ses achats et paiements. On lui avait dit qu’il pouvait passer prendre les documents aux bureaux de Premier, à Toronto. Considérant que les reçus ou tout autre justificatif émanant d’Andrew Martin auraient fait partie de la fraude, nous soutenons que la présence ou l’absence de ces reçus n’est pas pertinente. De nos jours, à l’ère des ordinateurs et des scanneurs, il est facile de confectionner des faux reçus.

 

106)     La Cour a déjà accepté une documentation imparfaite.

 

107)     Dans l’affaire Allen c. Canada, onglet 11, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 130, page 194 :

 

La Cour accepte le fait que l'on ait eu des difficultés à déterminer, au dollar près, quelles sommes avaient transité par les comptes des appelants pour être versées dans les comptes de la société, puis retirées des comptes de la société, mais, en définitive, elle est convaincue selon la prépondérance des probabilités que les sommes en cause provenaient bel et bien des ressources personnelles des appelants et ont été, par les divers moyens mentionnés en preuve, versées dans les comptes de la société à responsabilité limitée, puis dépensées aux fins de la société, et que le montant de 306 094 $ est demeuré impayé lorsque la société a fermé boutique.

 

108)     Et dans une autre décision de la Cour, Drozdzik c. Canada, onglet 12 du cahier de la jurisprudence et de la doctrine, l’avocat du ministre a adopté une position presque identique à celle qu’il défend en l’espèce. La Cour avait résumé ainsi cette position au paragraphe 260, page 240 :

 

[L]’intimée soutient, non pas qu’il n’y avait pas d’entreprise, mais plutôt qu’il n’avait pas été prouvé que les dépenses déclarées avaient été engagées dans le but de tirer un revenu de cette entreprise. Il n’a pas été démontré que ces dépenses avaient été engagées, car les documents et les autres éléments de preuve présentés à la Cour ne permettaient pas à cette dernière de parvenir à une conclusion sur la question de savoir à quoi servaient les dépenses, pourquoi elles avaient été engagées, si elles avaient bien trait à l’entreprise de pêche lors des années à l’égard desquelles elles ont été déclarées ou si elles étaient raisonnables ou non.

 

109)     La Cour établit ensuite les critères qui guideront sa décision dans l’affaire Drozdzik au paragraphe 263, page 241 :

 

La crédibilité des témoins revêt une importance capitale ici. En bout de ligne, la Cour doit être convaincue que l’appelant a réfuté un nombre suffisant des hypothèses du ministre pour pouvoir conclure qu’il s’est acquitté du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités et que les dépenses sont déductibles.

 

110)     Elle décrit alors les lacunes des preuves documentaires, qui s’apparentent à celles qu’on relève en l’espèce. À partir du paragraphe 269, page 242, la Cour déclarait ce qui suit :

 

Dans un monde idéal, l’appelant serait capable de le faire sans problème en tenant des livres de comptes immaculés et en conservant non seulement les factures des dépenses déclarées mais aussi des éléments de preuve permettant de démontrer de façon satisfaisante que lesdites dépenses ont bien été engagées.

 

Dans la présente affaire, la preuve de l’appelant est bien loin d’atteindre une telle perfection, car ce dernier semblait souvent ne pas avoir les reçus et les factures indiquant de façon précise à quoi se rapportaient les dépenses, en plus de se fier bien souvent à des factures plutôt qu’à des reçus. Il a déduit des dépenses prétendues alors que, à première vue, il aurait semblé que ce n’était pas à lui qu’il incombait de payer ces dépenses. Compte tenu des lacunes de sa preuve documentaire, l’appelant devait s’en remettre à son propre témoignage oral, au témoignage oral d’autres témoins et à des documents de moindre importance pour faire valoir sa position.

 

111)     La Cour a accordé le bénéfice du doute au contribuable au paragraphe 272, page 242 :

 

La Cour conclut que, concernant les documents qui n’ont pas été produits, l’appelant a fourni des raisons suffisantes pour expliquer cette absence. Dans certains cas, il a jugé que les documents n’étaient pas nécessaires; dans d’autres cas, il n’avait aucun moyen de se les procurer.

 

112)     L’appelant demande que son appel soit accueilli avec dépens et que l’affaire soit renvoyée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation, compte tenu du fait que la Cour a conclu que l’appelant avait droit aux pertes d’entreprise dont il s’est prévalu, et que des corrections soient apportées au regard des frais d’intérêt déduits.


Argumentation au nom de l’intimée

 

[99]      L’avocat de l’intimée s’est reporté au paragraphe 15 des observations de l’appelant et énuméré les différentes personnes et sociétés avec qui M. Hammill avait supposément fait affaire. Cette liste regroupe des personnes et sociétés très variées. C’est Andrew Martin qui a fait intervenir les autres joueurs : Peter Manning ou Harold Schnap, de Premier; Robert Salaam, de Royce Management; une femme identifiée comme étant Sharon Thurgood-Whyte, d’Omega Specialty Banking; Patrick Lee Chin, de Transpacific, et ainsi de suite. Derrière ces personnes et sociétés, toute cette affaire nageait vraiment dans l’irréalité et n’était qu’une escroquerie.

 

[100]    Il s’est reporté au paragraphe 68 des observations écrites de l’appelant, mentionnant l’arrêt Agnew v. R., 2002 DTC 2155, et a rappelé que cette décision se fondait exclusivement sur le paragraphe 18(1) et non pas sur le caractère raisonnable. Il a cité Khaira v. Canada, [2004] T.C.J. No. 63. Dans cette affaire, le juge Mogan a affirmé que l’appelant avait essayé « d’acheter le pont de Brooklyn » et que la société en commandite était une fraude.

 

[101]    En réponse aux mentions faites par l’avocat de l’appelant dans les paragraphes 78 et 79 de ses observations écrites, l’avocat de l’intimée a fait valoir que l’article 67 représente une façon pour le gouvernement de dire qu’il n’est pas une société d’assurance : à un moment donné, la réalité objective doit remplacer l’intention subjective. C’est ce que fait l’article 67. Avec cet article, le caractère raisonnable entre en jeu.

 

[102]    Il s’est aussi reporté au paragraphe 91 des observations écrites de l’appelant, où il est indiqué que, dans la présente affaire, il faut comparer l’ampleur des dépenses aux revenus prévus, que les paiements faits par M. Hammill étaient peu élevés comparativement aux profits escomptés et qu’ils se sont étalés sur une période de trois ans. Mais l’avocat a soutenu que le coût des stocks doit être pris en considération par rapport au profit déclaré et que le profit escompté doit être raisonnable.

 

[103]    Il a réfuté le paragraphe 103 des observations écrites de l’appelant, où ce dernier mentionne la conversation de M. Graffi avec la Direction des décisions à Ottawa (on lui aurait alors dit que la preuve d’une dépense n’était pas nécessaire à la condition que le contribuable puisse montrer qu’il avait déboursé l’argent et qu’il croyait que le montant en jeu était raisonnable; il n’était pas non plus nécessaire qu’il y ait une preuve matérielle sous forme de justificatifs de dépenses), et a souligné que cette information avait trait à un dossier portant sur un crédit d’impôt et en rien semblable à la présente affaire.

 

[104]    L’absence d’un marché de revente était un facteur important. La preuve en a été faite en l’espèce. L’information était disponible aussi en 1987. Ce fait dénote le manque de diligence raisonnable de la part de l’appelant et influe sur tout ce qui s’ensuit (y compris le coût des achats et les dépenses).

 

[105]    L’évaluation du caractère raisonnable est une question de fait. La question qui doit être posée est la suivante : « Que ferait un homme ou une femme d’affaires raisonnable dans les circonstances? » Citant les arrêts Gabco Ltd. v. M.N.R., 68 DTC 5210 et Tonn c. Canada., 96 DTC 6001, il a affirmé que l’attente raisonnable de profit et le caractère raisonnable sont deux concepts distincts. Le ministre n’a qu’à invoquer l’article 67. L’avocat s’est reporté à l’arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645 et souligné que la présente affaire ne concerne pas la source de revenu : il n’y est question que du « caractère raisonnable ».

 

[106]    Il a cité l’affaire King c. Canada, [2000] A.C.I. no 580, où la Cour a statué que les dépenses dont la déduction était demandée n’étaient pas si flagrantes qu’elles devaient être refusées. Dans la présente affaire, elles l’étaient. Il a invoqué cette décision pour appuyer sa thèse suivant laquelle le caractère raisonnable et la source de profit ou le fait qu’il y ait ou non une entreprise sont des questions distinctes.

 

[107]    La question du caractère raisonnable ne touche pas seulement l’ampleur du profit. Il y a plus d’un facteur. L’article 67 doit être appliqué avec le plus d’objectivité possible. La Cour devrait prendre en considération le fait que l’investissement était négligeable par rapport au profit déraisonnable prévu.

 

[108]    En l’espèce, l’appelant n’a reçu aucun conseil sur lequel il aurait pu s’appuyer pour agir comme il l’a fait. Aucune preuve ne permet de savoir à quoi les dépenses étaient destinées, ce qui aurait pu indiquer à l’appelant si elles étaient effectivement raisonnables ou non dans les circonstances. Lorsque M. Hammill a continué à faire des paiements dans le cadre de la quatrième transaction, il a complètement écarté toutes les transactions précédentes.

 

[109]    L’avocat de l’intimée était prêt à admettre que les premiers paiements, jusqu’à concurrence de 360 540 $, pouvaient être justifiés, mais pas les suivants. À ce moment-là, l’appelant avait plus d’indices à sa disposition et aurait dû y prêter attention. M. Hammill a complètement fait fi des contradictions qu’on retrouvait dans les présumés contrats. Il lui était impossible de savoir ce qui se passait.

 

[110]    Le contenu de la pièce A-1, onglet 4, n’était que du charabia et nécessitait des explications. Le paragraphe 3 du document figurant à l’onglet 14 était un signal d’alarme; l’appelant aurait dû demander ce qu’il signifiait. La pièce A-1, onglet 23, aurait dû aussi lui mettre la puce à l’oreille. Il n’y a eu aucune consultation tout au long du processus.

 

[111]    Le document qui figure à l’onglet 36 n’a absolument aucun sens et le document qui figure à l’onglet 55 est incohérent et erroné. L’appelant n’avait obtenu absolument aucun résultat jusqu’alors. Il n’a rien fait à ce sujet. Il n’a fait preuve d’aucune diligence raisonnable. Il n’avait obtenu aucun résultat, mais en fin de compte, on lui a demandé encore 30 000 $US.

 

[112]    Il n’y avait aucune adresse de retour et aucun numéro de téléphone ou de télécopieur sur le document. C’était tous des signaux d’alarme. Il n’y avait aucune assurance, aucun évaluateur ni aucune évaluation réelle. Il n’y a jamais eu de remboursement d’argent. Un homme d’affaires prudent aurait demandé à être remboursé.

 

[113]    Plusieurs contrats ont été signés, mais ils ont été remplacés peu après par de nouveaux contrats comportant des montants différents. C’était un autre signal d’alarme. Lorsque l’appelant a demandé d’être remboursé, ses demandes ont toutes été ignorées. M. Hammill n’a pas usé de son sens des affaires dans tout ce stratagème. L’appel devrait être rejeté avec dépens.

Analyse et décision

 

[114]    La Cour est convaincue que l’appelant a été victime d’une vaste fraude du début à la fin. Elle est convaincue que cette fraude a débuté quand on a informé l’appelant des profits qu’il pourrait réaliser dans l’achat et la vente de pierres précieuses, et elle s’est poursuivie au fur et à mesure des prétendus efforts faits par les escrocs pour vendre les pierres. La Cour n’est pas convaincue que les preuves corroborent le chiffre de 529 926 $ dont ont convenu les parties quant à la valeur des pierres précieuses, parce que les indices de cette valeur dont témoignent les certificats produits en preuve par l’appelant ainsi que le témoignage de ce dernier ne suffisent pas à établir que ce chiffre représente la juste valeur marchande. Ces certificats, dans la mesure où il est possible de s’y fier, ne décrivaient pas adéquatement les pierres précieuses, ni leur qualité, leur poids, leurs caractéristiques ou leurs imperfections. 

 

[115]    Cependant, le ministre a permis à l’appelant de déduire la perte de ses stocks qu’il a réclamée et, par conséquent, l’évaluation n’est pas pertinente sauf pour indiquer que la fraude, selon toute vraisemblance, s’étendait au montant versé pour l’achat des pierres précieuses.

 

[116]    Afin que des dépenses soient déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, le contribuable doit démontrer qu’il a engagé ou effectué les dépenses « en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien » .

 

[117]    D’après le deuxième critère, l’appelant doit établir que « cette dépense était raisonnable dans les circonstances ». Ce critère est énoncé à l’article 67 de la Loi.

 

[118]    Fait très important en ce qui concerne le premier point, il n’existe, selon les éléments de preuve et en particulier le témoignage de M. Lawrence, aucun marché pour la revente des pierres précieuses. Cela signifie qu’il était impossible pour l’appelant de disposer de ses pierres de toute façon. Seuls les négociants peuvent vendre des pierres précieuses sur le marché. Dans ces circonstances, il est difficile de voir comment l’appelant aurait pu tirer un revenu « d’une entreprise ou d’un bien », au sens de 18(1)a) de la Loi. En outre, il est admis que l’appelant a été victime d’une fraude depuis le début jusqu’à la fin, de sorte qu’il ne pouvait y avoir d’entreprise.

 

[119]    L’appelant prétend que le critère énoncé à l’alinéa 18(1)a) est de nature subjective. Notre analyse des gestes ou des décisions de M. Hammill n’aurait ainsi aucune importance, tant et aussi longtemps que M. Hammill croyait qu’il exploitait une entreprise.

 

[120]    En réponse à une question posée par la Cour, l’avocat de l’appelant a soutenu qu’il n’était pas important de déterminer si les gestes de l’appelant avaient été raisonnables ou négligents lorsqu’il a effectué les dépenses en question tant et aussi longtemps qu’il croyait être en mesure de vendre ses diamants. Toute dépense qu’il aurait engagée serait déductible en vertu de l’alinéa 18(1)a). L’affaire Tonn c. Canada, précitée, appuie cet argument à son avis.

 

[121]    Cependant, d’après l’extrait de cet arrêt qui est cité, « la dépense doit avoir été engagée dans un contexte commercial lié au processus de production de revenus ». Autrement dit, il doit y avoir une entreprise, il doit y avoir un contexte commercial productif de revenus, il doit y avoir des indices dénotant l’existence d’une entreprise et il doit y avoir une possibilité de gagner un revenu,  sinon la dépense n’est pas déductible.

 

[122]    De toute manière, l’avocat de l’appelant était convaincu que les exigences énoncées dans l’affaire Tonn, précitée, étaient satisfaites et que la Cour ne devrait pas substituer sa propre notion de ce qui constitue un sens des affaires à celle du contribuable.

 

[123]    En l’espèce, aucune structure commerciale n’existait; il n’y avait aucune possibilité de revente; il n’y avait aucun contexte commercial et les dépenses qui avaient été présumément liées à une vente possible étaient le résultat d’une fraude depuis le début parce qu’il n’y avait aucun moyen de vendre les pierres de la façon dont l’envisageait l’appelant. Il serait raisonnable de conclure que, si l’appelant avait fait des efforts en ce sens, il aurait été en mesure de le découvrir avant même de se lancer d’une manière quelconque dans l’achat de pierres précieuses. Il n’a pas pris ses précautions à cet égard. Il est devenu une victime consentante dès le début, se fiant seulement à sa conviction, qu’il n’a pas tenté de confirmer,  qu’il pourrait tirer un profit substantiel de la vente des pierres précieuses et accordant foi implicitement aux mensonges d’Andrew Martin.

 

[124]    L’avocat de l’appelant a soutenu que ce que la Cour doit évaluer, c’est le but visé subjectivement par M. Hammill quand il a effectué les paiements à Andrew Martin ou selon ses directives. À cet égard, il a déclaré que les éléments de preuve n’avaient pas été réfutés. M. Hammill était convaincu que les paiements qu’il avait faits faciliteraient la vente des ses pierres précieuses et qu’il en tirerait profit.

 

[125]    Ces observations touchent l’intention avouée de l’appelant de gagner un profit, mais elles ne permettent pas de déterminer si cette intention avouée était quoi que ce soit d’autre que des « vœux pieux ». Selon la première entente, il pouvait s’attendre à un profit de 1 565 472 $, après avoir dépensé 360 540 $; après la deuxième entente, il prévoyait un profit de 758 216 $, après avoir dépensé encore 139 410 $, et d’après l’entente finale, il envisageait un profit de 5 668 510 $, après avoir dépensé encore 214 464 $[57].

 

[126]    La Cour est convaincue que les attentes étaient déraisonnables. M. Hammill a affirmé dans son propre témoignage que ses prévisions de profits au début étaient plutôt inférieures à ces montants. Par conséquent, même à ce moment-là, il aurait dû avoir la puce à l’oreille, et un homme d’affaires raisonnable aurait eu des raisons sérieuses de se demander si un tel profit pouvait être prévisible ou s’il y avait lieu de faire enquête avant de poursuivre.

 

[127]    Gary Parker, juricomptable, a fait savoir qu’à son avis les paiements avaient été faits dans le cours des activités de l’entreprise, qu’ils étaient liés au paiement anticipé de frais et de commissions et qu’ils étaient déductibles conformément aux PCGR. Toutefois, on doit conclure que ces affirmations supposent l’existence d’activités génératrices de revenus dans le cadre d’une relation de cause à effet, puis que les dépenses sont normalement rapprochées aux revenus pendant la période comptable où ces revenus sont comptabilisés. Ce principe n’aide aucunement l’appelant, puisque l’ensemble de la transaction était une fraude dès le début. Il ne pouvait y avoir aucune activité génératrice de revenu.

 

[128]    L’avocat de l’appelant a soutenu que, selon le témoignage de M. Parker, les paiements faits par M. Hammill étaient des dépenses déductibles en vertu des PCGR. La Cour ne croit pas que ce témoin se soit exprimé ainsi, mais même s’il l’avait fait, la Cour ne serait pas liée par cet énoncé. Nous devons décider si, dans une situation donnée, les dépenses sont déductibles ou non. Si le traitement des dépenses était conforme aux PCGR, ce fait peut aider la Cour à parvenir à sa décision, mais il n’est pas déterminant. L’essentiel du témoignage de M. Parker peut seulement nous apprendre que l’appelant a déduit les dépenses conformément aux PCGR.

 

[129]    Comme l’a fait valoir l’avocat de l’appelant en se reportant l’affaire Tonn, précitée, la Cour ne devrait pas refuser la déduction de pertes provenant d’une entreprise exploitée de bonne foi pour la simple raison que le contribuable a fait preuve d’un mauvais jugement, lorsque ces dépenses seraient par ailleurs des dépenses commerciales valables. Encore une fois, cela présuppose l’existence d’une activité commerciale réelle. En l’espèce, il n’y avait aucune activité de ce genre.

 

[130]    L’avocat de l’appelant a cité divers arrêts où les pertes découlant du vol ou du détournement de fonds ont été considérées comme des déductions valides. Toutefois, la Cour est convaincue que ces décisions sont différentes de la présente affaire et qu’elles peuvent donc être distinguées du présent appel. Dans l’affaire Parkland Operations Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.F. 299, la Cour a conclu que les dépenses en question faisaient partie des activités lucratives normales de la société. Les fonds en cause provenaient des fonds de fonctionnement de la société, qui constituent effectivement une partie des activités lucratives normales de la société. Dans cette affaire, il ne faisait aucun doute qu’une entreprise était exploitée. Les fonds avaient été obtenus dans le cours normal des affaires. Ici, toute la question consiste à décider si les dépenses ont été faites dans le cours normal des activités de l’entreprise et y étaient liées.

 

[131]    Dans l’arrêt Cassidy's Ltd. c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2043, le juge Rip a statué que les montants volés par un dirigeant qui s’était arrangé pour que l’entreprise règle ses dettes personnelles étaient déductibles conformément aux PCGR dans le calcul du bénéfice de l’exercice. Encore une fois, la situation était différente de celle qui nous occupe ici, parce qu’il ne faisait aucun doute qu’il y avait une entreprise en activité. Les fonds qui avaient fait l’objet du vol avaient, il ne faisait aucun doute non plus, été obtenus dans le cours normal des affaires ou du commerce.

 

[132]    Dans l’affaire Agnew v. The Queen, précitée, le juge O'Connor a accepté des déductions totalisant un million de dollars lorsque les fonds de la société en commandite ont été utilisés par les commandités pour régler des dépenses personnelles. Encore une fois, il s’agissait de fonds que la société avait obtenus dans le cours normal des affaires. Il ne faisait aucun doute que les fonds détournés étaient liés à l’exploitation d’une entreprise en bonne et due forme. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[133]    L’avocat de l’appelant s’est reporté au bulletin d’interprétation IT-185R, qui fait état de la position du Ministre, soit que les pertes qui résultent de vols, de vols qualifiés ou de vols à l’étalage commis par des étrangers sont un risque inhérent à la plupart des entreprises et sont déductibles lorsqu’elles sont raisonnablement liées aux activités génératrices de revenus de l’entreprise. Ce sont tous des cas où il n’y a aucun doute quant à la relation entre les fonds qui ont été détournés et l’exploitation d’une entreprise en bonne et due forme.

 

[134]    L’argument soulevé par l’avocat de l’appelant, soit que nous acceptons une déduction par suite d’une malversation découlant d’un vol mais que, en l’espèce, nous refusons une déduction découlant d’une malversation commise au moyen d’une fraude, n’est pas valide. Cette comparaison n’est pas appropriée.

 

[135]    Le facteur déterminant n’est pas tant que le vol découle d’une fraude ou d’une malversation, mais bien que les dépenses soient liées au fait de tirer un revenu d’une entreprise. Dans tous les cas mentionnés ci-dessus, cet aspect n’était pas problématique. En l’espèce, malheureusement, il l’est.

 

[136]    L’avocat de l’appelant a concédé que, d’après le témoignage de son client lui-même, il est clair que les décisions commerciales de M. Hammill étaient douteuses. Il a fait confiance à un escroc, à un point tel qu’il a versé selon ses directives un total de 1 651 766 $ en vue de conclure la vente de ses pierres précieuses et qu’Andrew Martin s’est enfui avec les pierres. La difficulté avec cette approche, selon l’avocat de l’appelant, consiste à savoir où tracer la limite. Est-ce lorsque M. Hammill a fait son premier paiement à Andrew Martin? Lors du deuxième paiement? Du troisième? Il a versé de l’argent pour lever des supposés privilèges. À ses yeux, ces privilèges étaient légitimes. Est-ce que ces paiements à cet égard devraient être refusés?

 

[137]    La Cour rejette l’argument de l’avocat, suivant lequel l’affaire Cassidy, précitée, permet de conclure que, en cas de détournement de fonds, la restriction générale visant les dépenses déraisonnables qui est énoncée à l’article 67 ne s’applique pas. En réalité, le juge Rip a précisé que l’intimé n’avait pas soulevé ce point, mais que l’avocat de l’appelante dans cette affaire avait effectivement soutenu que les montants étaient raisonnables dans les circonstances et ne pouvaient donc être refusés en vertu de l’article 67 de la Loi.

 

[138]    Nous ne voyons aucune raison de conclure que l’article 67 ne s’applique pas dans les cas de détournement de fonds ni non plus pourquoi cet article ne devrait pas viser la présente affaire. Nous pouvons envisager la situation où, lorsqu’il y a détournement de fonds, les actions du contribuable pourraient être considérées déraisonnables en vertu de l’article 67. Prenons le cas où le contribuable continue de chercher à récupérer le montant détourné en sachant que tous les indices raisonnables montrent que ce montant ne peut être recouvré. On ne pourrait conclure par la suite que les dépenses engagées par le contribuable afin de récupérer ce qui semblait raisonnablement irrécouvrable seraient tout de même déductibles.

 

[139]    L’avocat s’est reporté à l’arrêt Mohammad c. Canada, 1997 DTC 5503, au sujet du caractère raisonnable d’une dépense. À la lumière de cette décision, la Cour conclut que le critère est à la fois objectif et subjectif. En l’espèce, le caractère raisonnable de la dépense peut être quantifié objectivement à la lumière du profit déraisonnable escompté par rapport au coût d’achat des pierres précieuses. Une personne raisonnable n’aurait pu s’attendre à un profit d’une telle ampleur sans se douter que quelque chose clochait.

 

[140]    Dans la présente affaire, l’avocat de l’appelant a déclaré qu’on pouvait comparer l’ampleur des dépenses aux revenus prévus puis conclure que les paiements faits par M. Hammill étaient peu élevés comparativement au profit escompté et qu’ils se sont étalés sur une période de trois ans. Toutefois, cet argument ne tient pas compte du caractère raisonnable des profits prévus. Le fait qu’aucun homme d’affaires raisonnable n’aurait pu s’attendre à un profit aussi considérable sans avoir des raisons concrètes d’y croire, par exemple sa connaissance du marché, l’offre et la demande à l’égard des pierres précieuses ou sa connaissance des motifs justifiant des profits aussi élevés. Dans cette affaire, comme on l’a vu, M. Hammill a déclaré qu’il n’envisageait pas une marge de profit aussi énorme.

 

[141]    L’avocat s’est reporté à la décision rendue dans l’affaire Bélec c. Canada, [1994] A.C.I. no 595, où le juge Bowman s’est demandé s’il y avait lieu pour la Cour de substituer son jugement commercial à celui du contribuable, soutenant que la situation ne pouvait être évaluée « avec le bénéfice de sa sagesse d’après coup ». Dans cette affaire également, le juge Bowman a conclu que toutes les pertes ont été subies dans un contexte exclusivement commercial, mais c’était erroné. Ce n’est pas la situation ici.

 

[142]    L’avocat s’est reporté à l’affaire Gabco Ltd. c. M.N.R., précitée, qui citait, en y souscrivant, une décision où le juge Cattanach, de la Cour de l’échiquier, a conclu qu’il ne s’agit pas pour le ministre ou la Cour de substituer son jugement quant à ce qui constituait un montant raisonnable, mais plutôt que le ministre ou la Cour parviennent à la conclusion qu’aucun homme d’affaires raisonnable ne se serait engagé à verser un tel montant.

 

[143]    L’avocat de l’appelant a déclaré, à la lumière de cette décision, qu’étant donné que les preuves avaient montré que d’autres hommes d’affaires avaient versé des montants semblables à l’appelant, le Ministre ne pouvait établir qu’aucun homme ou aucune femme d’affaires raisonnable n’aurait versé ces montants. La réponse est simple : les deux autres hommes d’affaires n’avaient pas été plus raisonnables dans leurs actions que l’appelant.

 

[144]    Selon l’avocat de l’appelant, cette façon d’agir était raisonnable puisque M. Hammill a versé l’argent en prévision de profits énormes, et on ne peut remettre en question les gestes qu’il a posés lorsqu’il a fait ces paiements alors qu’il était sur le point de conclure une vente très profitable. Cependant, par cette affirmation, l’avocat fait fi des éléments de preuve montrant que les paiements ont été effectués sans que l’appelant sache vraiment pourquoi. La seule information qu’il avait, c’est qu’ils étaient nécessaires pour régler des frais administratifs. Cette raison a été répétée à maintes reprises et, pourtant, les montants ont été versés dans les mêmes circonstances que des paiements antérieurs qui n’avaient donné lieu à aucune vente.

 

[145]    Dans l’affaire King c. Canada, précitée, notre Cour a accepté la déduction de dépenses qui avaient été mises en doute par le ministre parce qu’aucun élément de preuve ne permettait de croire que les dépenses engagées étaient si flagrantes que la Cour aurait dû reconsidérer les actions du contribuable. On ne peut parvenir à la même conclusion d’après les faits en l’espèce. La Cour est convaincue que les dépenses engagées ici étaient si flagrantes qu’elles étaient manifestement déraisonnables.

 

[146]    L’avocat s’est reporté à l’affaire Brian J. Stewart v. The Queen, 2002 DTC 6969 en ce qui concerne le critère de l’attente raisonnable de profit et a fait valoir que cette analyse touchait l’application de ce critère en l’espèce. Nous ne croyons pas que cette analyse soit particulièrement utile ici.

 

[147]    Dans l’arrêt Nichol c. Canada, [1993] A.C.I. no 541, la Cour s’est prononcée comme suit : « [Le contribuable] a fait ce qui peut, rétrospectivement, être considéré comme une erreur de jugement, mais il s’agissait d’une question d’appréciation commerciale et cette appréciation n’était manifestement pas déraisonnable au point d’autoriser cette Cour ou le ministre du Revenu national à y substituer leur propre appréciation ou à pénaliser le contribuable pour avoir pris une décision que moi-même ou le ministre, forts de la clairvoyance qu’un gérant d’estrade possède toujours, ne prendrions peut-être pas aujourd’hui ».

 

[148]    Dans la présente affaire, les décisions prises par l’appelant n’étaient pas de nature à être considérées comme des erreurs de jugement, mais elles étaient si manifestement déraisonnables que la Cour peut les rejeter compte tenu de l’ensemble des circonstances dans lesquelles ces paiements ont été faits.

 

[149]    Étant donné la position prise par le ministre au procès et les éléments de preuve fournis par la GRC, pour ce qui est de prouver les dépenses engagées, il n’est pas important que l’appelant n’ait pas eu de reçus complets, puisque dans les circonstances un faux reçu ne vaudrait pas mieux qu’aucun reçu du tout. Toutefois, l’absence de reçus relatifs à des paiements aussi considérables et comportant assez de renseignements pour décrire l’utilisation prévue de l’argent versé indique encore une fois que M. Hammill n’agissait pas en homme d’affaires prudent.

 

[150]    L’arrêt Drozdzik c. Canada, [2003] 2 C.T.C. 2183 a été mentionné. Encore une fois, il s’agit d’une affaire portant sur l’existence de reçus satisfaisants. Elle ne concernait pas l’existence d’une entreprise en bonne et due forme, mais un des principaux points en litige consistait à déterminer si l’appelant disposait de reçus suffisants et adéquats pour corroborer ses déductions. Toutes les déductions qui ont été acceptées étaient liées aux activités de l’entreprise. Certains éléments de preuve ont confirmé au moins une partie des paiements, et la Cour a conclu que c’était satisfaisant dans les circonstances, particulièrement du fait qu’elle avait une grande estime pour le témoignage de l’appelant.

 

[151]    La Cour accepte l’argument de l’avocat de l’intimée, lorsqu’il s’est reporté au paragraphe 15 des observations écrites de l’appelant et affirmé qu’il semblait après coup y avoir un air d’irréalité dans cette affaire et que l’appelant aurait dû se douter que tout était une arnaque.

 

[152]    Il s’est reporté à l’affaire Khaira v. R., précitée, décision rendue par le juge Mogan, où les faits n’étaient pas complètement différents de ceux qui nous occupent ici. Dans Khaira, la Cour a décidé que l’appelant avait « acheté le pont de Brooklyn » et a refusé les déductions. La Cour a convenu que l’article 67 doit être interprété de façon autonome et signifie que des dépenses seront déductibles si, dans l’ensemble des circonstances, elles sont raisonnables, peu importe la souplesse avec laquelle on interprète les dispositions de l’alinéa 18(1)a) ou avec laquelle la Cour examine la question de savoir si les dépenses ont été faites dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Même s’il s’agit d’un critère subjectif, on doit limiter les circonstances où un contribuable peut se contenter de dire qu’il croyait qu’il exploitait une entreprise, qu’il croyait que la dépense était raisonnable et qu’il a engagé cette dépense dans l’intention de tirer un revenu de l’entreprise en question.

 

[153]    L’intimée peut à juste titre affirmer qu’à un certain moment donné la réalité objective doit remplacer l’intention subjective et que l’article 67 offre au législateur le moyen de dire que le gouvernement ne sera pas une société d’assurance.

 

[154]    L’avocat de l’intimée a soutenu, et nous avons déjà fait savoir que ce fait était important, qu’il n’y avait aucun marché pour la revente de pierres précieuses. Même si l’appelant voulait vendre ses pierres précieuses, il n’aurait pas pu le faire. C’est ce qu’indiquent les éléments de preuve. Cette information existait en 1987, mais l’appelant n’a pris aucune mesure pour déterminer s’il existait un tel marché. Cette omission dénote un manque de diligence raisonnable de sa part. Cette absence de diligence raisonnable a persisté tout au long de cette affaire.

 

[155]    La Cour est convaincue que l’appelant n’a pas vraiment tenté de déterminer la fiabilité des gens avec qui il traitait ainsi que la légitimité des diverses sociétés. Au début, il s’était engagé dans ce qui semblait être une transaction très simple, où il agissait comme vendeur et où Andrew Martin était son mandataire aux fins de la vente des pierres précieuses. Par la suite, un très grand nombre d’entreprises et de personnes tout à fait inconnues ont surgi, et l’appelant n’a pas réellement cherché à vérifier même si ces entreprises existaient.

 

[156]    Un simple coup d’œil sur les documents envoyés à l’appelant aurait pu montrer que quelque chose clochait. Il n’y avait aucune adresse de retour sur les enveloppes, aucun numéro de téléphone n’était donné, certains noms qui figuraient sur le papier à en-tête étaient répétés et semblaient être simplement l’inversion du nom de famille d’une autre personne nommée sur le papier à en-tête.

 

[157]    Bien que M. Hammill ait supposément parlé avec plusieurs personnes différentes lorsqu’il a téléphoné aux bureaux de New York, il ne savait rien à leur sujet et n’a fait aucune enquête pour savoir de qui il s’agissait; il n’a pas demandé non plus la preuve de leur identité ou de celle de l’entité qu’elles représentaient.

 

[158]    L’avocat de l’appelant a concédé dans son argumentation que le libellé des lettres et des ententes était surprenant. M. Hammill a affirmé qu’il savait ce que ces documents signifiaient, mais il était évident, d’après les questions que la Cour lui a posées, qu’il ne les comprenait pas, et il est certain que la Cour ne comprend pas ce que bon nombre des phrases voulaient dire.

 

[159]    L’avocat de l’appelant a mentionné ce fait au paragraphe 22 de son argumentation, où il souligne que l’appelant avait été tenu d’effectuer deux paiements totalisant 30 937 $ à Titus Private Holdings en vertu d’un document imprimé sur du papier à en-tête de Titus. Ce document mentionnait aussi une tierce partie non identifiée détenant un intérêt de 50 000 $ qui continuerait à détenir cet intérêt et était [TRADUCTION] « acceptée aux fins du versement » dans cette transaction. Il s’agit d’un vrai charabia qu’on retrouve si souvent dans ces documents. La Cour ne croit pas M. Hammill lorsqu’il déclare avoir compris ces énoncés, car ils ne veulent rien dire.

 

[160]    Il ne fait aucun doute qu’à ce moment-là, et même bien avant, un homme d’affaires raisonnable aurait été sur ses gardes et se serait douté que quelque chose clochait réellement. M. Hammill n’a rien fait, et il a continué de faire des paiements déraisonnables à des gens qu’il connaissait très peu et dans des circonstances très suspectes.

 

[161]    M. Hammill a dû envoyer des fonds aux Îles Turks et Caicos, non pas à une banque mais à deux banques différentes. Il a expliqué à la Cour qu’il s’était posé des questions à ce sujet, mais il n’a manifestement rien fait. Dans diverses correspondances, de nouvelles sociétés, de nouvelles personnes et de nouvelles entités étaient nommées, puis des initiales différentes, qui ne voulaient rien dire pour l’appelant, étaient apparues; M. Hammill n’a rien fait d’autre que de s’informer très vaguement à leur sujet.

 

[162]    À un endroit, l’entente précisait que ce sont les lois du Texas qui régissent tout litige en découlant, mais le Texas n’a rien à voir du tout avec cette transaction, qui semblait se dérouler principalement à New York.

 

[163]    Quant aux privilèges qui avaient supposément été enregistrés à l’égard des pierres précieuses, la Cour estime que les actions de l’appelant étaient des plus déraisonnables, puisqu’il a payé d’importantes sommes d’argent pour lever ces privilèges alors qu’il savait qu’au moment où il avait remis ses pierres à Andrew Martin, elles n’étaient grevées d’aucune charge quelle qu’elle soit. Il a également remis les pierres précieuses à Andrew Martin dans des circonstances très exceptionnelles, c'est-à-dire en pleine rue, à Toronto. Cette situation aurait dû lui causer des inquiétudes, mais il n’a rien fait au sujet des privilèges, sauf s’informer tout à fait sommairement pour savoir si les privilèges étaient valides; en bout de ligne, il voulait tellement vendre ses pierres précieuses qu’il aurait payé à peu près n’importe quoi pour faire en sorte que les transactions se concluent. C’est ce qu’il a dit textuellement au tribunal. Ce n’était pas là le comportement d’un homme d’affaires raisonnable.

 

[164]    La Cour n’est pas convaincue que M. Hammill a agi raisonnablement à propos de ces privilèges en parlant tout simplement à Patrick Cox, qui travaillait pour une autre société du secteur des pierres précieuses. M. Cox lui a confirmé que l’histoire était plausible, lui a déclaré qu’il s’était rendu aux bureaux de Royce Management, à New York, et qu’il s’agissait d’un établissement commercial en bonne et due forme. Cette déclaration n’aurait pas dû être satisfaisante et n’aurait pas dû justifier l’envoi de vastes sommes aux auteurs de cette fraude dans le but de lever les supposés privilèges auprès des supposées autorités de New York sans qu’il y ait de vérification approfondie quant à l'existence de ces organismes et à leurs pouvoirs.

 

[165]    Même lorsqu’il est devenu évident que ces ventes ne se concluraient pas, l’appelant n’a pris aucune mesure raisonnable pour exiger le remboursement de ses dépôts et le retour de ses pierres précieuses ainsi que pour s’enquérir de ce qui se passait; il s’est contenté de continuer à verser de l'argent. Il voulait tellement conclure une vente et était à ce point impressionné par l’ampleur des profits qu’il croyait être sur le point de réaliser qu’il aurait fait n’importe quoi pour conclure la vente, comme il l’a indiqué à la Cour. Il était satisfait de demander simplement à Andrew Martin quelles sommes étaient nécessaires pour que les ventes soient menées à bien. Il ne lui semblait pas important de savoir à quoi les paiements étaient destinés.

 

[166]    Un homme d’affaires raisonnable n’aurait pas envoyé ces paiements comme il l’a fait sans vérifier rigoureusement que les sommes étaient vraiment nécessaires et sans obtenir d’explications quant à leur utilisation future.

 

[167]    En outre, tout homme d’affaires raisonnable aurait exigé que son dépôt lui soit remboursé après chaque vente n’ayant pas abouti. Un homme d’affaires raisonnable aurait insisté pour que les pierres précieuses lui soient retournées lorsque la première vente n’a pas été conclue.

 

[168]    Dans le document intitulé [TRADUCTION] Accord d’achat de biens, intervenu entre M. William Hammill et Transpacific Enterprises Incorporated, il semble qu’un nom ait été rayé et que le nom de Transpacific Enterprises Incorpated ait été inséré. C’était là un autre signal d’alarme.

 

[169]    L’avocat de l’intimée semblait indiquer qu’il a pu y avoir une justification pour les paiements totalisant 360 540 $, compte tenu du coût des stocks à ce moment-là, soit 292 788 $, et du prix de vente de 2 218 800 $ figurant à la première entente. Toutefois, les paiements qui ont suivi étaient, selon lui, déraisonnables.

 

[170]    Cette observation nous crée des difficultés, car la Cour aurait à conclure qu’il y avait des motifs raisonnables justifiant les gestes de l’appelant jusqu’à ce moment‑là. Aucun des avocats n’a tenté de montrer qu’une mesure quelconque prise par l’appelant aurait pu être considérée raisonnable à cette étape, et la Cour est convaincue que l’appelant a agi fondamentalement de la même manière tout au long de cette histoire.

 

[171]    L’information qu’avait l’appelant, et qui aurait pu justifier les sommes demandées, au sujet des paiements, des personnes ou des diverses entités juridiques mêlées à cette affaire a très peu évolué. Les transactions sont devenues de plus en plus complexes au fur et à mesure que de nouvelles entités et personnes étaient impliquées. L’appelant n’a reçu aucune information quelle qu’elle soit qui aurait pu raisonnablement lui donner la certitude qu’il avait raison d’agir comme il l'a fait. Il est impossible pour la Cour de conclure que les actions prises à l’égard d’une dépense étaient raisonnables et celles qui ont été prises à l’égard d’une autre ne l’étaient pas. Nous sommes convaincus que l’appelant a agi fondamentalement de la même manière tout au long de cette histoire.

 

[172]    Il y a eu beaucoup de signaux d’alarme qui auraient dû montrer à l'appelant que les choses ne tournaient pas rond. Une partie du charabia qui figurait dans certaines ententes est reproduite aux onglets 4, 14, 23, 36 et 55.

 

[173]    Il s’agissait tous de signaux d’alarme qui auraient dû retentir avec force dans l’esprit de tout homme d’affaires raisonnable et lu faire savoir que quelque chose clochait certainement. L’appelant a écarté les contradictions qu’on retrouvait dans l’information qui lui avait été présentée et a refusé d’obtenir de plus amples renseignements d’Andrew Martin afin qu’il lui explique les documents présentés. Le libellé des documents fait en sorte qu’il était impossible pour l’appelant de savoir ce qui se passait.

 

[174]    Il a concédé dans son témoignage que le papier à en-tête ne comportait aucune adresse de retour, qu’il n’y avait aucun numéro de téléphone ni numéro de télécopieur et qu’il n’a souscrit aucune assurance sur les pierres précieuses. Aucune évaluation adéquate n'a été effectuée, et il n’a pas insisté pour se faire rembourser les dépôts versés, malgré l’échec des transactions. Il n’a pas non plus demandé le remboursement des frais qu’il avait payés d’avance, ce que tout homme d’affaires raisonnable aurait fait une fois que la transaction n’avait pu se conclure.

 

[175]    Plusieurs contrats signés par l’appelant et les supposés acheteurs ont été remplacés peu de temps après par de nouvelles ententes où figuraient des montants différents. Il s’agissait aussi d’un signal d’alarme clair qui aurait pu amener un homme d'affaires raisonnable à agir tout à fait différemment de l'appelant. Diverses clauses des ententes prévoyaient le remboursement des fonds si les ventes ne se concluaient pas, mais elles ont toutes été laissées de côté.

 

[176]    L’avocat de l'intimé a fait valoir que l’appelant a omis de faire preuve d’un sens aigu des affaires dans ces transactions. Il a donc omis d’agir comme l’aurait fait un homme d'affaires raisonnable avant d’engager les dépenses.

 

[177]    Dans la présente affaire, en raison de la fraude dont a été victime l'appelant et des vastes sommes d’argent en jeu, la Cour éprouve une grande sympathie pour la position de M. Hammill. Toutefois, elle éprouve également une grande sympathie envers les contribuables du Canada qui auraient à porter le fardeau de ces pertes si l’appel était accueilli.

 

[178]    L’appelant a déjà pu déduire les stocks perdus, ce qui devrait être une consolation pour lui. La Cour n’a pas la compétence voulue pour rendre une décision sur ces montants à ce moment‑ci, sauf pour déclarer qu’il se peut très bien que cette perte ne soit pas déductible non plus.

 

[179]    En bout de ligne, la Cour est convaincue que les dépenses en cause ici ne peuvent être déduites parce qu’elles sont exclues par les dispositions de l’alinéa 18(1)a) et de l’article 67 de la Loi. La Cour conclut que ces dépenses n’ont pas été effectuées ou engagées par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien et elle est convaincue que ces dépenses n’étaient pas raisonnables dans les circonstances.

 

[180]    L’intimée pourra faire taxer ses dépens dans la présente action.

 

 

            Signé à New Glasgow (Nouvelle-Écosse), le 13 septembre 2004.

 

 

« T. E. Margeson »

Juge Margeson

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de  mars 2005.

 

 

 

Jacques Deschênes, traducteur


 

RÉFÉRENCE :

2004CCI595

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-2051(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

William Hammill c. La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Kitchener (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 10 et 11 février 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable Theodore E. Margeson

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 septembre 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me George G. Voisin

 

Avocats de l’intimée :

Me Roger Leclaire

Me Michael Ezri

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

George G. Voisin

 

Cabinet :

Voisin, Lubczuk

 

Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           Pièce A-1, onglet 6.

[2]           Pièce A-1, onglet 3.

[3]           Pièce A-1, onglet 1.

[4]           Pièce A-1, onglet 1.

[5]           Pièce A-1, onglet 10.

[6]           Pièce A-1, onglet 17.

[7]           Pièce A-1, onglet 14.

[8]           Pièce A-1, onglet 20.

[9]           Pièce A-1, onglet 1.

[10]          Pièce A-1, onglet 22.

[11]          Pièce A-1, onglet 23.

[12]          Pièce A-1, onglet 36.

[13]          Pièce A-1, onglet 43.

[14]          Pièce A-1, onglet 51.

[15]          Pièce A-1, onglet 1.

[16]          Pièce A-1, onglet 3.

[17]          Pièce A-1, onglet 4.

[18]          Pièce A-1, onglets 2 et 4.

[19]          Pièce A-1, onglet 6.

[20]          Pièce A-1, onglet 10.

[21]          Pièce A-1, onglet 12.

[22]          Pièce A-1, onglet 13.

[23]          Pièce A-1, onglet 14.

[24]          Pièce A-1, onglet 16.

[25]          Pièce A-1, onglet 14.

[26]          Pièce A-1, onglet 16.

[27]          Pièce A-1, onglet 17.

[28]          Pièce A-1, onglet 22.

[29]          Pièce A-1, onglet 20.

[30]          Pièce A-1, onglet 23.

[31]          Pièce A-1, onglet 27.

[32]          Pièce A-1, onglets 28 - 31.

[33]          Pièce A-1, onglet 32.

[34]          Pièce A-1, onglet 24.

[35]          Pièce A-1, onglet 14.

[36]          Pièce A-1, onglet 28.

[37]          Pièce A-1, onglets 34 et 35.

[38]          Pièce A-1, onglet 36.

[39]          Pièce A-1, onglet 38.

[40]          Pièce A-1, onglet 39.

[41]          Pièce A-1, onglet 40.

[42]          Pièce A-1, onglet 42.

[43]          Pièce A-1, onglet 43.

[44]          Pièce A-1, onglet 46.

[45]          Pièce A-1, onglet 43.

[46]          Pièce A-1, onglet 46.

[47]          Pièce A-1, onglet 46.

[48]          Pièce A-1, onglets 47 et 48.

[49]          Pièce A-1, onglet 50.

[50]          Pièce A-1, onglet 43.

[51]          Pièce A-1, onglet 52.

[52]          Pièce A-1, onglet 46.

[53]          Pièce A-1, onglet 53.

[54]          Pièce A-1, onglet 54.

[55]          Pièce A-1, onglet 55.

[56]          Pièce A-1, onglet 59.

[57]          Voir le tableau qui figure au paragraphe 10 de l’énoncé des aveux et exposé conjoint des faits.

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