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Référence : 2004CCI773

Date : 20041124

Dossier : 2002-2256(IT)G

ENTRE :

DIANE DU-PERRÉ,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]      L'appelante en appelle d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) par laquelle on lui réclame un montant de 32 866 $. L'article 160 se lit comme suit :

ARTICLE 160: Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance.

(1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent :

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[2]      Par cette cotisation en date du 16 août 2001, le Ministre tient l'appelante solidairement responsable, avec son conjoint Louis Leclair, du paiement du montant d'impôt (incluant pénalités et intérêts) dû par ce dernier, lors d'un transfert d'actions de la société 173832 Canada Inc. ( « société » ) et d'un « dû à l'actionnaire » , fait le 28 décembre 1996 au bénéfice de l'appelante (voir cotisation du 16 avril 2001, pièce I-1, onglet 24).

[3]      Par ailleurs, dans la Réponse à l'avis d'appel ( « Réponse » ), l'intimée relate les faits tenus pour acquis pour cotiser l'appelante et fait référence non pas à un seul transfert le 28 décembre 1996, mais à des transferts, se situant entre le 28 décembre 1996 et le 6 juin 1997. Ces faits se retrouvent au paragraphe 3 de la Réponse et se lisent comme suit :

a)     Louis Leclair (le « Conjoint » ) est marié à l'appelante depuis septembre 1993; (admis)

b)    entre le 28 décembre 1996 et le 6 juin 1997, le Conjoint a transféré ses actions de la société 173832 Canada Inc. à l'appelante; (admis)

c)     entre le 28 décembre 1996 et le 6 juin 1997, le Conjoint a transféré son compte à recevoir de la société 173832 Canada Inc. à l'appelante;

d)    les biens transférés énumérés aux paragraphes 3b) et 3c) ci-dessus (les « Biens » ) avaient une juste valeur marchande 65 000,00 $;

e)     le Conjoint a reçu 100,00 $ de l'appelante comme contrepartie en échange des Biens; (admis)

f)     au 16 août 2001, la dette du Conjoint envers le Ministre pour les années d'imposition 1995 et 1996 était de 32 866,72 $; et

g)     l'appelante et le Conjoint sont solidairement responsables du paiement de l'impôt du Conjoint pour les années d'imposition 1995 et 1996.

[4]      Il est admis par les parties que l'appelante et son conjoint, détenaient 100 actions chacun de la société (pour un total de 200 actions) depuis le 1er décembre 1994. Le 28 décembre 1996, Louis Leclair a transféré 80 actions de la société à l'appelante en contrepartie d'une somme de 80 $. Le 6 juin 1997, il lui a transféré le reliquat de ses actions, soit 20 actions, en contrepartie d'une somme de 20 $.

[5]      Les parties ne contestent pas non plus que les 80 actions transférées le 28 décembre 1996 avaient une valeur de 8 044 $ et que les 20 actions transférées le 6 juin 1997 avaient une valeur de 3 190 $.

[6]      Les parties n'ont pas fait d'argument non plus sur le montant d'impôt dû par Louis Leclair, au moment des transferts d'actions, soit un montant de 32 866 $, et je comprends donc de ce silence que ce montant n'est pas contesté.

[7]      Ce que conteste l'appelante est de deux ordres. Dans un premier temps, elle considère que puisque la cotisation établie à son nom ne fait référence qu'au transfert du 28 décembre 1996, l'avantage reçu lors du transfert d'actions le 6 juin 1997, ne peut être invoqué postérieurement à la date de la cotisation. Je répondrai ainsi tout de suite à cet argument.

[8]      D'une part, même si le Ministre avait considéré seulement le transfert du 28 décembre 1996 au moment de la cotisation, l'avantage reçu de l'appelante à cette date était, selon le rapport d'expert produit par l'intimée, de 51 145 $ [(8 044 $ + 43 181 $) - 80 $], donc largement supérieur au montant de 32 866 $ dû par Louis Leclair à cette date, ce qui permettait de cotiser l'appelante aux termes de l'article 160 de la Loi.

[9]      D'autre part, le Ministre est libre de soulever tout argument pour soutenir sa cotisation dans la mesure où il n'y a pas de préjudice causé à l'appelante par l'effet de surprise relié à de nouvelles allégations du Ministre (voir Loewen v. R., 2004 CarswellNat 960, 2004 F.C.A. 146, 2004 DTC 6321).

[10]     Ici, la preuve révèle que toute la vérification précédant l'établissement de la cotisation, a porté sur les deux transferts d'actions. C'est même la vérificatrice de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ) qui a aidé l'appelante et Louis Leclair à mettre à jour la documentation requise lors de ses deux transferts d'actions. L'intimée a par ailleurs invoqué dans la Réponse, le transfert d'actions et d'un « dû à l'actionnaire » au profit de l'appelante aux deux dates précitées. Finalement, l'expert retenu par l'appelante a évalué les actions à ces deux dates. On ne peut donc pas parler d'un effet de surprise relié à de nouvelles allégations du Ministre.

[11]     Je ne retiens donc pas le premier argument de l'appelante que l'intimée ne puisse invoquer l'avantage reçu par l'appelante lors du transfert du 6 juin 1997 pour justifier l'établissement de la cotisation.

[12]     L'argument principal de l'appelante porte sur le fait que même si son conjoint lui a transféré toutes ses actions, il ne lui a jamais transféré le compte « dû à l'actionnaire » qui apparaît au bilan de la société, d'une valeur de 47 979 $ au 28 décembre 1996 et au 7 juin 1997. Elle dit d'une part, que ce compte ne devrait tout simplement pas exister. Elle explique que le compte a été créé par le comptable pour tenir compte de l'apport des biens personnels du couple (matériel de bureau, matériel roulant). Elle soutient, étant donné que le Ministre lui a ajouté un avantage imposable pour l'utilisation personnelle de ces biens, que le Ministre considère que ces biens n'appartiennent pas à la société. En conséquence, elle croit qu'il n'existait pas de « dû à l'actionnaire » au moment du transfert d'actions, et qu'aucune telle inscription n'aurait dû apparaître au bilan.

[13]     Son comptable, monsieur Raymond Robillard, dit qu'il a inscrit la valeur des biens personnels transférés à la société par le couple au compte « dû à l'actionnaire » , et qu'il a tenu pour acquis que ce compte était dû à l'appelante et son conjoint, pour moitié chacun.

[14]     Louis Leclair de son côté confirme l'existence du compte « dû à l'actionnaire » , et ajoute que la somme due par la société n'était payable qu'à lui et qu'il n'a jamais transféré ce compte à l'appelante.

[15]     Monsieur Robert Prévost, l'un des vérificateurs de l'ADRC qui a travaillé dans ce dossier, a dit qu'il avait demandé des justifications sur ce poste. L'appelante et son conjoint ont demandé à monsieur Robillard de le rencontrer. Ce dernier aurait justifié le compte « dû à l'actionnaire » par le document déposé sous la pièce I-4, et intitulé « Analyse de la provenance des avances » .

[16]     Ce document indique l'existence d'un prêt de 50 000 $ et d'une marge de crédit de 20 000 $. Selon un relevé de compte de la Banque nationale du Canada ( « BNC » ) au nom de Les constructions Leclair, entreprise appartenant à Louis Leclair uniquement, le prêt de 50 000 $ aurait été crédité à ce compte le 2 mai 1995 (pièce I-5). On voit également dans un autre relevé de compte de la BNC au nom de la même entreprise Les constructions Leclair, une marge de crédit utilisée à concurrence de 18 000 $ au 29 février 1996 (pièce I-6).

[17]     Dans « l'Analyse de la provenance des avances » (pièce I-4), on y indique également un transfert d'immobilisations (mobilier et matériel roulant). À la lumière de ce document, monsieur Prévost a accepté l'existence du compte « dû à l'actionnaire » qui s'élevait en 1995 à 70 148 $ et à 57 997 $ en 1996 (voir bilan joint à la déclaration de revenu de la société de 1996, pièce I-1, onglet 15). Il est à noter que suite à des ajustements apportés par monsieur Prévost (pièce A-1), le compte « dû à l'actionnaire » a été réduit à 47 979 $ au 31 décembre 1996. Ce chiffre a été repris par l'expert de l'appelante dans l'évaluation des actions au 31 décembre 1996.

[18]     Après vérification, le Ministre a considéré que les avances à la société provenaient principalement de Louis Leclair puisque c'est lui personnellement qui avait emprunté les sommes investies. Par ailleurs, suite à la vente des actions au profit de l'appelante, le compte « dû à l'actionnaire » est demeuré au bilan de la société, et ce, même si Louis Leclair n'était plus actionnaire de la société depuis le 6 juin 1997. Ce compte a d'ailleurs subi des fluctuations jusqu'en 2003, année où ce compte a été réduit à néant. Le Ministre a dès lors considéré qu'en transférant ses actions, Louis Leclair avait également transféré le compte « dû à l'actionnaire » à l'appelante.

[19]     Ceci a été confirmé par des documents préparés par une vérificatrice de l'ADRC, sur la foi de renseignements donnés par monsieur Leclair, et signés par l'appelante et monsieur Leclair. Dans ces documents, que l'on retrouve à la pièce I-1, onglets 13 et 18, Louis Leclair reconnaît avoir cédé ses actions à l'appelante et que ce transfert inclut le transfert du compte « dû à l'actionnaire » au prorata des actions vendues. Monsieur Prévost dit que ces documents (pièce I-1, onglets 13 et 18) ont été préparés pour donner suite à un document envoyé par monsieur Leclair à la vérificatrice de l'ADRC, établissant la concordance du compte « dû à l'actionnaire » avec la répartition des actions (pièce I-1, onglet 23). Monsieur Leclair et l'appelante ont reconnu que les montants apparaissant dans ce dernier document avait été repris des états financiers de la société. Par ailleurs, est joint à ce document, une reconnaissance par Louis Leclair qu'il fait don de tous ses intérêts dans la société à l'appelante en considération de sa participation quasi-unilatérale au développement de cette entreprise. Ceci incluait, disait-il, toutes valeurs monétaires qui pourraient s'y retrouver (pièce I-1, onglet 23, page 2).

[20]     L'appelante et monsieur Leclair disent maintenant qu'ils n'ont pas compris la signification des documents qu'ils ont signés à la demande de la vérificatrice de l'ADRC. Ils disent qu'elle leur avait dit de signer dans le seul but de fermer le dossier et qu'il n'y aurait pas de conséquences fiscales.

[21]     Il est vrai que cette vérificatrice n'était pas présente à l'audience pour éclairer la cour sur le rôle qu'elle a joué dans la conclusion de ce dossier.

[22]     Je note toutefois que Louis Leclair a une maîtrise en gestion de projets et est un diplômé universitaire en économie. La nature même de l'entreprise exploitée par la société est d'offrir des services de comptabilité, finances, fiscalité, gestion d'entreprise et ce, depuis 1992 environ. Je note également que Louis Leclair a fait faillite en avril 1999 et qu'il a pris soin de ne pas déclarer dans son bilan de faillite qu'il détenait une créance de la société. Or, il dit aujourd'hui n'avoir jamais cédé cette créance à sa conjointe. Il explique cette omission dans son bilan de faillite par le fait que, dans son esprit, cette créance et même les actions de la société ne valaient rien. Ironiquement, ceci est contredit par le rapport d'expert qu'il a lui-même commandé et qui donne une valeur de 11 234 $ (8 044 $ + 3 190 $) aux 100 actions de la société qu'il a transférées à l'appelante et qui reconnaît la valeur intrinsèque du compte « dû à l'actionnaire » de 47 979 $ à la date du transfert des actions.

[23]     Par ailleurs, il ressort de la preuve qu'il n'y avait aucune tenue de livres adéquate. Monsieur Prévost a dit que la vérification avait été particulièrement longue à cause de la confusion qui régnait entre les comptes personnels de monsieur Leclair, de son entreprise personnelle Les constructions Leclair et de la société qui exploitait l'entreprise Les consultants Leclair. Monsieur Leclair, lui-même, a dit qu'il n'avait pas de compte de banque personnel et qu'il passait par les comptes de ses entreprises.

[24]     À mon avis, monsieur Leclair savait parfaitement ce qu'il faisait lorsqu'il a signé le document indiquant qu'il transférait non seulement ses actions, mais également son « dû à l'actionnaire » à l'appelante. On ne m'a pas convaincue non plus que monsieur Leclair croyait que le compte « dû à l'actionnaire » n'avait aucune valeur pour lui lorsqu'il a signé son bilan de faillite. La meilleure preuve de ceci est que ce compte non seulement n'a pas été radié du bilan de la société, mais a plutôt été liquidé par la suite au fil des années, ce qui n'aurait pu être fait s'il n'avait pas été transféré à l'appelante, puisqu'il aurait constitué un actif dans le bilan de faillite. Tout ceci contredit également la version de l'appelante que ce compte n'existait pas et qu'il n'aurait pas dû apparaître au bilan au moment des transferts d'actions.

[25]     Je considère donc que la preuve est nettement suffisante pour conclure que Louis Leclair a délibérément transféré ses actions et le compte « dû à l'actionnaire » à l'appelante, sa conjointe.

[26]     Quant à savoir si ce compte était dû autant à l'appelante qu'à monsieur Leclair avant le transfert des actions, les contradictions entre les témoignages de monsieur Robillard, de l'appelante et de monsieur Leclair, ainsi que la preuve documentaire soumise par l'intimée, ne me permettent pas de conclure que l'appelante était en partie créancière de ce compte avant le transfert d'actions.

[27]     En effet, la preuve documentaire tend plutôt à démontrer de façon prépondérante, que c'est monsieur Leclair qui a emprunté personnellement et qui a investi ensuite les produits de cet emprunt dans la société. Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée, que sans document démontrant le quantum précis de ce qui aurait pu être investi par l'appelante personnellement, et compte tenu des contradictions relevées plus haut dans les témoignages, il est difficile de conclure que celle-ci a, dans les faits, avancé quoique que ce soit à la société.

[28]     Je considère donc que Louis Leclair a transféré la totalité du compte « dû à l'actionnaire » à l'appelante entre le 28 décembre 1996 et le 6 juin 1997. Puisque la portion de la juste valeur marchande des biens transférés qui excède la valeur de la contrepartie donnée par l'appelante au moment du transfert des actions et du compte « dû à l'actionnaire » , excède le montant d'impôt dû par monsieur Leclair au même moment, l'appelante est donc solidairement responsable avec ce dernier de la dette d'impôt due par monsieur Leclair au moment du transfert, aux termes de l'article 160 de la Loi.

[29]     La cotisation établie à l'encontre de l'appelante est donc confirmée.

[30]     L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de novembre 2004.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :

2004CCI773

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-2256(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Diane Du-Perré c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 25 octobre 2004

DATE DU JUGEMENT :

le 26 octobre 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Lucie Lamarre

le 24 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :

Me Annie Hallée

Pour l'intimé(e) :

Me Gatien Fournier

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant(e) :

Nom :

Me Annie Hallée

Étude :

Dufour Isabelle Leduc Bouthilette Lapointe Beaulieu

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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