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Dossiers : 2004‑3281(CPP)

2004‑3282(EI)

ENTRE :

DOUGLAS R. GARLAND,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus à Calgary (Alberta), le 11 février 2005.

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimé :

Me Scott McDougall

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels interjetés conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi et à l’article 28 du Régime de pensions du Canada sont accueillis; la décision rendue par le ministre du Revenu national à la suite de l’appel porté devant lui en application de l’article 91 de la Loi ainsi que la décision que le ministre a rendue à la suite de la demande qui lui avait été présentée en application de l’article 27.1 du Régime sont annulées compte tenu du fait que l’appelant exerçait chez Can Test Ltd. un emploi assurable ou un emploi ouvrant droit à pension pendant la période allant du 16 octobre 1996 au 17 octobre 1997 au sens des alinéas 5(1)a) de la Loi et 6(1)a) du Régime.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2005.

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de mars 2006.

 

Sara Tasset


 

 

 

Référence : 2005CCI176

Date : 20050303

Dossiers : 2004‑3281(CPP)

2004‑3282(EI)

 

ENTRE :

DOUGLAS R. GARLAND,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a décidé que M. Douglas Garland n’était pas un employé chez Can Test Ltd. (« Can Test ») en vertu d’un contrat de louage de services pendant la période allant du 16 octobre 1996 au 17 octobre 1997. Le ministre n’a pas donné de précisions dans la réponse qu’il a donnée à M. Garland, mais à l’instruction, il était clair que le ministre estimait que, parce que M. Garland avait obtenu un emploi chez Can Test sous un nom d’emprunt et à l’aide d’un numéro d’assurance sociale (le « NAS ») qu’il avait illégalement obtenu sous ce nom, le contrat était nul ab initio. M. Garland a travaillé chez Can Test pendant quatre ans sous le nom de Matthew Kemper Hartley. Il maintient qu’il travaillait en vertu d’un contrat de louage de services valide. Je suis d’accord avec lui.

 

[2]     M. Garland est âgé d’environ 45 ans. Il est atteint d’un trouble déficitaire de l’attention. Il était clairement agité pendant toute la durée de l’instruction mais il était également apparent qu’il était intelligent. M. Garland a étudié la médecine en Alberta pendant un an jusqu’à ce qu’il ait une dépression. Le fait qu’il a causé ce qu’il a appelé un accident terrible parce qu’il s’était endormi au volant semble également l’avoir traumatisé.

 

[3]     M. Garland fabriquait ses propres amphétamines. La chose a d’une façon ou d’une autre attiré l’attention de la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). En 1992, des agents de la GRC ont fait une descente à la ferme des parents de M. Garland. M. Garland a été accusé d’une infraction, croit‑il, à la Loi sur les aliments et drogues. Il a été mis en liberté sous caution. Il a reconnu avoir pris, à ce moment‑là, des décisions plutôt irréfléchies. Il a quitté l’Alberta pour s’installer à Vancouver. Il a pris le nom d’un homme qui était décédé, Matthew Hartley. Au mois de mai 1993, il a demandé un NAS sous ce nom d’emprunt. Il avait son propre NAS à son propre nom depuis 1980. Il a également présenté une demande en vue d’obtenir un permis de conduire sous le nom de Matthew Hartley. De fait, M. Garland s’est livré à toutes ses activités à Vancouver sous le nom de Matthew Hartley.

 

[4]     M. Garland a répondu à une offre d’emploi qui avait été publiée dans un journal de Vancouver; et sa candidature a été retenue pour un emploi chez Can Test. Il a présenté sa candidature sous sa nouvelle identité, en affirmant être titulaire d’un baccalauréat en sciences. Il a expliqué à la Cour qu’il estimait que l’année qu’il avait passée à la faculté de médecine lui permettait de faire cette assertion. M. Garland était coordinateur, au sein du service des substances organiques à l’état de trace de la société; il testait des pesticides, des herbicides et des composés organiques. Il est devenu superviseur responsable d’au moins 30 employés, mais il a constaté qu’il ne pouvait pas faire face à la situation, et il a eu une autre dépression à la fin de l’année 1997. Il a été congédié au mois d’octobre 1997. Il a envisagé d’engager des poursuites fondées sur le congédiement injustifié. Il a obtenu des prestations d’assurance‑emploi sous le nom de Matthew Hartley.

 

[5]     Après avoir été congédié, M. Garland a suivi des cours sur la façon de chercher un emploi après avoir subi une dépression. Il a trouvé du travail à temps partiel à l’Institut de technologie de la Colombie‑Britannique. La GRC a finalement trouvé M. Garland, qui a été arrêté au mois de mai 1999. M. Garland a présenté un plaidoyer de culpabilité à l’égard de toutes les infractions en matière de drogue et de toutes les infractions concernant l’identité qu’il avait prise. Il a purgé une peine d’emprisonnement.

 

[6]     Développement des ressources humaines Canada (« DRHC ») a demandé qu’une décision soit rendue au sujet de l’emploi que M. Garland exerçait chez Can Test. Au mois de décembre 2003, le Bureau des services fiscaux de l’île de Vancouver a décidé que M. Garland n’exerçait pas un emploi assurable. M. Garland en a appelé au ministre, qui a décidé que M. Garland n’était pas employé chez Can Test en vertu d’un contrat de louage de services. M. Garland a exprimé sa préoccupation au sujet du fait que, dans aucune des communications, il n’était clairement expliqué pourquoi son travail n’était pas considéré comme étant régi par un contrat de louage de services. De plus, il n’a jamais discuté des raisons de la position prise par le gouvernement avec qui que ce soit, au ministère de la Justice, si ce n’est le fait qu’il a reçu des copies de décisions du ministère de la Justice. Il est bien regrettable qu’il en soit ainsi.

 

[7]     Il s’agit de savoir si le travail que M. Garland effectuait chez Can Test était régi par un contrat de louage de services valide. Il est certain que M. Garland a travaillé comme employé de Can Test pendant environ quatre ans. Il est également certain qu’il n’y avait rien d’illégal au sujet de la substance, de l’objet ou des modalités du contrat. Il s’agit de savoir si le fait que M. Garland a conclu le contrat sous un nom d’emprunt et à l’aide d’un NAS obtenu en violation des dispositions de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »)[1] rend le contrat nul ab initio pour l’application du paragraphe 5(1) de la Loi, qui est en partie rédigé comme suit :

 

5(1)      Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

           a)          l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière; [...]

 

[8]     L’intimé n’a pas pu trouver de décisions portant exactement sur ce point, mais il m’a référé à plusieurs décisions concernant des immigrants qui travaillaient sans détenir de permis de travail. Selon moi, l’arrêt Still c. M.R.N.[2] de la Cour d’appel fédérale est particulièrement utile. Le juge Robertson a minutieusement examiné le droit applicable lorsqu’un contrat est illégal et il s’est éloigné de ce qu’il a qualifié l’approche classique pour adopter une approche davantage axée sur les principes :

 

43        La deuxième raison de rejeter le modèle classique réside dans le fait que ce modèle ne tient pas compte de la réalité que, de nos jours, une conclusion d’illégalité est fonction non seulement de l’objet de l’interdiction, mais aussi de la réparation demandée et des conséquences de la conclusion qu’un contrat n’est pas susceptible d’exécution. Il importe de rappeler que les règles de droit en matière d’illégalité sont apparues à la faveur d’une vive controverse entre des parties à un contrat censément illégal. En l’espèce, il n’existe pas de controverse semblable entre les parties contractantes, et les conséquences que comporte le prononcé d’un jugement déclaratoire portant que le contrat de louage de services est illégal sont trop vastes. [...] Le fait qu’un si grand nombre de lois rattachent le droit ou l’admissibilité à des prestations à l’existence d’un contrat de louage de services est une raison suffisante pour qu’un tribunal refuse l’invitation de déclarer automatiquement qu’un contrat de travail est nul en raison de son illégalité, et plus encore si le jugement déclaratoire est fondé sur les principes de la théorie classique de l’illégalité.

 

[...]

 

46        [...] Comme la théorie de l’illégalité n’émane pas du législateur, mais du pouvoir judiciaire, c’est aux juges d’aujourd’hui qu’il appartient de faire en sorte que ses principes soient compatibles avec les valeurs contemporaines. [...]

 

[9]     La première question à trancher est de savoir si, de fait, le contrat est illégal, selon la common law ou le droit législatif. Puis, même s’il est conclu que le contrat est illégal, il faut examiner l’objet de la législation en matière d’assurance‑emploi et les circonstances particulières de chaque cas pour décider si l’illégalité rend le contrat nul ab initio.

 

[10]    Le contrat est‑il illégal? Premièrement, au point de vue de la common law, un contrat est‑il illégal s’il est conclu sous une fausse identité? La réponse dépend de la question de savoir si l’erreur touche les attributs de la personne en cause ou l’identité même de cette personne. Dans l’arrêt Lake v. Simmons[3], le vicomte Holdane a dit ce qui suit :

 

[traduction] Les juristes ont énoncé, correctement selon moi, le critère à appliquer au sujet de la question de savoir si l’erreur commise au sujet de la personne concernée est telle qu’elle porte un coup fatal à l’existence du contrat, ou au sujet de la question de savoir s’il existe une intention de conclure un contrat avec une personne de facto, ce qui constitue un contrat qui peut être fondé sur une fausse déclaration, de sorte que ce contrat est annulable, sans toutefois être nul [...] Pothier (Traité des obligations, section 19) énonce comme suit le principe suivant, dans un passage que le juge Fry a adopté dans la décision Smith v. Wheatcroft [(1878) 9 ch. D. 223, page 230].

 

            L’erreur sur la personne avec qui je contracte détruit‑elle pareillement le consentement et annule‑t‑elle la convention? Je pense qu’on doit décider cette question par une distinction. Toutes les fois que la considération de la personne avec qui je veux contracter entre pour quelque chose dans le contrat que je veux faire, l’erreur sur la personne détruit mon consentement, et rend par conséquent la convention nulle. [...] Au contraire lorsque la considération de la personne avec qui je croyais contracter n’est entrée pour rien dans le contrat, et que le contrat est un contrat que j’aurais également voulu faire avec quelque personne que ce fût, comme avec celui avec qui j’ai cru contracter, le contrat doit être valable.

 

[11]    La question est en fait la suivante : l’identité exacte de M. Garland avait‑elle de l’importance? Non, elle n’en avait pas. Le contrat ici en cause n’est pas assimilable, par exemple, à un contrat en vertu duquel l’Alberta chercherait à obtenir les services de Pavarotti pour les fêtes du centième anniversaire de la province, et où un artiste inconnu affirmant être Pavarotti se présenterait. Can Test avait simplement besoin de quelqu’un pour travailler dans le laboratoire – la société ne cherchait pas à obtenir les services d’une personne particulière : ce n’est pas l’identité de M. Garland qui a amené Can Test à embaucher celui‑ci. Lorsque l’erreur porte sur les attributs plutôt que sur l’identité et que le contrat est conclu à la suite d’une fausse déclaration ou même d’une fraude, ce contrat est annulable. Il n’est pas nul ab initio. En outre, il serait annulable au gré de Can Test, et non du gouvernement du Canada. Cela n’excuse pas M. Garland d’avoir fait une fausse déclaration; M. Garland serait encore responsable envers Can Test dans tout recours fondé sur la fraude susceptible d’être exercé en common law. Compte tenu des principes de common law, je conclus qu’il existait un contrat de louage de services valide pendant les quatre années où M. Garland a travaillé pour Can Test.

 

[12]    Le contrat était‑il illégal à cause d’un manquement à une exigence législative? Comme il en a ci‑dessus été fait mention, les alinéas 141(1)a) et b) énoncent deux interdictions :

 

(i)     il est interdit à toute personne qui a un NAS de faire sciemment une demande en vue d’obtenir de nouveau un NAS; et

(ii)    il est interdit à toute personne de produire un NAS dans l’intention de tromper une autre personne.

 

Toute infraction à l’une ou l’autre de ces dispositions constitue une infraction qui peut, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, donner lieu à une amende ou à une peine d’emprisonnement. Ces dispositions rendent‑elles expressément ou implicitement un contrat de travail illégal parce qu’il est fondé sur un NAS illégalement obtenu? Certainement pas expressément. Les dispositions ne sont pas ainsi libellées : « Aucun contrat ne peut être conclu à l’aide d’un NAS en violation des alinéas 141(1)a) ou b). » La violation des alinéas 141(1)a) ou b) donne lieu à une amende ou à une peine d’emprisonnement. La disposition ne prévoit rien au sujet de l’effet que ce manquement a sur un contrat de travail. De fait, à l’alinéa 141(1)a), il n’est pas fait mention d’un contrat conclu avec un tiers; il est tout simplement illégal de demander un second NAS.

 

[13]    Toutefois, l’alinéa 141(1)b) traite de la possibilité réelle qu’un employé trompe son employeur. Cela donne‑t‑il donc à entendre que si l’employé trompe ainsi l’employeur en violation de l’alinéa 141(1)b), le contrat en résultant est illégal? L’interdiction ne vise pas à empêcher M. Garland de travailler. Elle ne peut pas non plus viser à empêcher un autre Canadien d’obtenir un emploi, et encore moins le défunt, Matthew Hartley. M. Garland, en sa qualité de citoyen canadien, pouvait travailler et a de fait travaillé. Aucune disposition de la législation ne prévoyait qu’il était illégal pour lui de le faire. Cependant, M. Garland ne pouvait pas léser ou tromper l’employeur, de façon que celui‑ci croie qu’il était quelqu’un d’autre par suite de l’utilisation d’un faux NAS. On revient au point de départ, à savoir les principes de common law, pour conclure que le fait de tromper l’employeur rendrait uniquement le contrat annulable. Par conséquent, l’interdiction prévue à l’alinéa 141(1)b) a le cas échéant pour effet de rendre le contrat annulable, sans toutefois le rendre illégal.

 

[14]    Au cas où je me tromperais au sujet de l’effet des interdictions énoncées dans la Loi sur l’assurance‑emploi sur le contrat lui‑même, et au cas où le contrat serait illégal, j’examinerai l’approche raisonnée que le juge Robertson a adoptée dans l’arrêt Still. Je conclus qu’un contrat illégal n’est pas toujours nul ab initio. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a dit dans l’arrêt Still :

 

56        Compte tenu des objectifs de la Loi sur l’assurance‑chômage, du fait que la requérante est une immigrante légale et du fait qu’elle a agi de bonne foi, je ne suis pas disposé à conclure qu’elle n’a pas le droit d’obtenir des prestations d’assurance‑chômage en raison d’une illégalité. Je reconnais que l’objet de l’interdiction est impérieux, mais, dans les circonstances de l’espèce, la peine infligée est disproportionnée à l’infraction. Permettre à la requérante de réclamer des prestations d’assurance‑chômage n’inciterait pas des personnes à venir au Canada et à y travailler illégalement. [...]

 

57        Il est évident que certains aimeraient mieux que le modèle classique de la théorie de l’illégalité s’applique en l’espèce. Il faut reconnaître que cette approche favorise la certitude sur le plan juridique et facilite l’administration, du moins pour la Commission de l’assurance‑chômage. Cependant, une approche uniforme, bien que pratique, comporte un risque de rigidité excessive. Il existe des cas, et la présente affaire en est un, où la certitude doit faire place à la souplesse, comme lord Mansfield en conviendrait sûrement. [...]

 

[15]    Dans l’arrêt plus récent Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp.[4], de la Cour suprême du Canada, la majorité avait ceci à dire au sujet de la doctrine de l’illégalité :

 

40        En conséquence, la solution appropriée consiste à reconnaître aux juges de première instance un pouvoir discrétionnaire aussi large que possible en matière de réparations. Le spectre des réparations à la disposition des tribunaux va de l’annulation ab initio des contrats contrevenant à l’art. 347 dans les cas les plus inacceptables et les plus abusifs, au regard des critères énoncés dans l’arrêt Thomson, précité, jusqu’à l’application de la divisibilité fictive. Pour situer un contrat donné sur ce spectre, il faut se reporter aux facteurs dégagés par le juge Blair dans l’arrêt Thomson et les analyser soigneusement. Même si, dans cette affaire, le juge Blair s’interrogeait sur l’opportunité de retrancher l’obligation de payer l’intérêt illégal sans supprimer celle de rembourser le capital, les mêmes facteurs sont néanmoins utiles pour décider si le taux d’intérêt illégal doit être réduit à un taux permis par la loi.

 

On a fait état devant moi de circonstances qui m’éloignent, le long du spectre des réparations possibles, comme en fait mention la Cour suprême du Canada, de la conclusion selon laquelle le contrat est nul ab initio. Premièrement, il y a la législation elle‑même. M. Garland a mal agi, mais la législation en matière d’assurance‑emploi prévoit expressément les conséquences d’un tel méfait. Et, même si, à l’instruction, on n’a pas indiqué en détail la mesure dans laquelle des pénalités peuvent être infligées à M. Garland telles qu’elles se rapportent expressément à la législation en matière d’assurance‑emploi, M. Garland a clairement été emprisonné après avoir présenté un plaidoyer de culpabilité à l’égard d’infractions liées à la fausse identité. Le refus d’accorder des prestations ne constitue pas une sanction pécuniaire additionnelle qui devrait lui être imposée. Cela semble tout à fait disproportionné à l’infraction, pour laquelle M. Garland a déjà payé le prix.

 

[16]    Deuxièmement, je ne considère pas les actions de M. Garland comme inacceptables et abusives, dans la mesure où elles se rapportent au contrat de travail lui‑même. Je tiens compte de l’état de santé de M. Garland. Le trouble déficitaire de l’attention a contribué à lui donner des idées embrouillées. Il s’est fondé sur le faux NAS en vue d’échapper à la GRC. Comme il l’a reconnu, ce n’était pas une bonne idée. Cependant, en ce qui concerne l’emploi que M. Garland exerçait chez Can Test, l’employeur a obtenu ce qu’il cherchait à obtenir, à savoir quelqu’un qui pouvait accomplir le travail, et qui l’a fait pendant une période de quatre ans, quatre années pendant lesquelles l’employeur et l’employé ont versé des cotisations au régime d’assurance‑emploi.

 

[17]    Dans l’arrêt Transport North American Express Inc.[5], la Cour suprême du Canada, en parlant de la question de la divisibilité d’une partie illégale d’un contrat, a ajouté ce qui suit :

 

42        Comme je l’ai expliqué précédemment, le juge Blair a énuméré, dans l’arrêt Thomson, quatre facteurs pertinents pour décider si aucune considération d’ordre public n’empêche le tribunal d’ordonner l’exécution partielle d’une convention par ailleurs illégale, au lieu de déclarer celle‑ci nulle ab initio en raison de l’illégalité du contrat :

 

1.         la question de savoir si l’application de la divisibilité compromettrait l’objectif ou la politique générale visé par l’art. 347;

2.         la question de savoir si les parties ont conclu la convention dans un but illégal ou dans une intention malveillante;

3.         le pouvoir de négociation relatif des parties et leur conduite au cours des négociations;

4.         la possibilité que le débiteur tire un profit injustifié de la solution choisie.

 

Si j’applique ces facteurs à l’affaire dont je suis ici saisi, je tire les conclusions suivantes :

 

           (i)     l’objet de l’article 141 de la Loi sur l’assurance‑emploi n’est pas compromis du fait qu’il est conclu que le contrat est annulable, plutôt que nul ab initio;

 

           (ii)     M. Garland a pris le nom d’emprunt afin d’éviter d’être trouvé, mais il n’a pas conclu le contrat de travail dans une intention malveillante; il avait simplement besoin de trouver un travail pour lequel il avait les compétences voulues;

 

           (iii)    la fausse identité n’a eu aucune incidence sur le pouvoir de négociation de Can Test et de M. Garland;

 

           (iv)    il ne s’agit pas ici d’une affaire de profit injustifié. M. Garland aurait pu travailler sous son nom réel. L’utilisation d’un nom d’emprunt ne lui permettait pas d’obtenir de Can Test une rémunération additionnelle.

 

[18]     M. Garland a contrevenu à la législation en matière d’assurance‑emploi, et ce, à son détriment. Il a également travaillé pendant quatre ans à faire ce qu’il était censé faire, et ses responsabilités professionnelles ont de fait augmenté. Cet homme troublé ne devrait pas être empêché, en raison de l’illégalité du contrat, de recevoir des prestations d’un régime auquel son employeur et lui ont versé des cotisations. Je reconnais la considération d’ordre public sur laquelle l’approche classique est fondée en ce qui concerne le principe de l’illégalité du contrat, à savoir qu’aucun tribunal ne devrait aider celui qui fonde sa cause sur un acte illégal. Toutefois, la doctrine moderne permet au juge qui préside l’instruction d’exercer son pouvoir discrétionnaire en soupesant l’intérêt public par opposition à l’intérêt du particulier. En l’espèce, j’exerce ce pouvoir discrétionnaire en faveur de M. Garland en concluant que le contrat de travail qu’il a conclu avec Can Test n’était pas nul ab initio, mais qu’il était annulable, et partant qu’il s’agissait d’un contrat de louage de services légitime.

 

[19]     Les appels sont accueillis et les décisions sont annulées compte tenu du fait que M. Garland exerçait un emploi en vertu d’un contrat de louage de services valide du 16 octobre 1996 au 17 octobre 1997.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2005.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de mars 2006.

 

Sara Tasset


 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI176

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2004‑3281(CPP), 2004‑3282(EI)

 

INTITULÉ :

Douglas R. Garland et

Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 mars 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocat de l’intimé :

Me Scott McDougall

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

s/o

 

Cabinet :

s/o

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           141(1)  Il est interdit à toute personne :

a)         de faire sciemment, si elle a déjà un numéro d’assurance sociale, une demande en vue d’obtenir de nouveau un numéro d’assurance sociale en donnant des renseignements identiques ou non à ceux d’après lesquels un numéro d’assurance sociale lui a déjà été attribué;

b)         de produire, de prêter ou d’utiliser de quelque façon, dans l’intention de léser ou tromper une autre personne, un numéro ou une carte d’assurance sociale;

 

[2]           [1998] 1 C.F. 549.

[3]           [1927] A.C. 481, page 501.

[4]           [2004] 1 R.C.S. 249.

[5]           Précité.

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