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Dossier : 2003-1908(EI)

2003-1909(CPP)

ENTRE :

HELEN PAGE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

Kevin Campbell, Wende Campbell et Helen Page, associés,

faisant affaire sous le nom de Campbell, Campbell & Page,

intervenante.

[traduction française officielle]

____________________________________________________________________

Appels entendus les 19 et 27 février 2004 à Toronto (Ontario).

 

Devant l’honorable juge en chef adjoint D.G.H. Bowman

 

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Ian A. Johncox

Avocate de l’intimée :

Me Nimanthika Kaneira

Représentant de l’intervenante :

M. Kevin Campbell

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

Les appels sont accueillis et les décisions statuant que, pendant la période en question, l’appelante n’exerçait pas un emploi ouvrant droit à pension pour l’application du Régime de pension du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi sont modifiées de manière à mentionner qu’au cours de la période allant du 29 avril 2001 au 30 avril 2002, l’appelante, Helen Page, exerçait un emploi ouvrant droit à pension aux termes d’un contrat de louage de services avec le cabinet Campbell, Campbell & Page et qu’elle n’était pas une associée de ce cabinet.

 


Signé à Toronto (Ontario), le 12 mars 2004.

 

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef adjoint Bowman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juin 2008

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


 

 

 

Référence : 2004CCI211

Date : 20040312

Dossier : 2003-1908(EI)

2003-1909(CPP)

ENTRE :

HELEN PAGE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

Kevin Campbell, Wende Campbell et Helen Page, associés,

faisant affaire sous le nom de Campbell, Campbell & Page,

intervenante.

 

[traduction française officielle]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Bowman

 

[1]     Ces appels sont interejetés à l’encontre de décisions rendues par le ministre du Revenu national selon lesquelles l’appelante n’avait pas exercé un emploi assurable au cours de la période allant du 29 avril 2001 au 30 avril 2002 pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pension du Canada. L’appelante soutient qu’au cours de la période en question, elle était une employée d’un cabinet comptable qui faisait affaire sous le nom de Campbell, Campbell & Page, lequel, malgré le fait que le nom de l’appelante apparaissait dans le nom du cabinet, appartenait à parts égales aux membres du couple formé de M. Kevin Campbell et de Mme Wende Campbell.

 

[2]     Les avis d’appel sont des documents détaillés et, puisque j’envisage de tirer comme conclusion de fait que toutes les allégations sauf une ont été établies, il  convient de reproduire les allégations de fait de l’appelante. Les allégations sont les mêmes dans l’appel relatif à l’assurance-emploi et dans l’appel relatif au Régime de pension du Canada :

 

[traduction]

 

c) Les faits

 

(i)       L’appelante a été employée par M. Kevin Campbell, faisant affaire sous le nom de Campbell, Campbell & Page, au cours de la période en question.

 

(ii)      Le cabinet Campbell, Campbell & Page tel était son nom à l’époque faisait affaire comme fournisseur de services de tenues de livres, de comptabilité et de préparation de déclarations de revenus pour ses clients.

 

(iii)     L’entreprise connue sous le nom de « Campbell, Campbell & Page » n’a jamais été une société en nom collectif enregistrée en vertu de la Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, c. P.5, ni un nom commercial enregistré en vertu de la Loi sur les noms commerciaux, L.R.O. 1990, c. B.17.

 

(iv)        L’appelante n’a jamais conclu de contrat de société avec M. Campbell et elle était simplement une employée de M. Kevin Campbell et de son épouse, Mme Wende Campbell (aujourd’hui décédée).

 

(v)      L’appelante a été employée par M. Kevin Campbell (ci‑après « M. Campbell ») pour exécuter les tâches exigées à temps plein dans un bureau aménagé par M. Cambell chez lui; elle était rémunérée chaque semaine selon un taux horaire.

 

(vi)     L’appelante relevait directement de M. Campbell, qui approuvait toutes les décisions relatives à l’exécution des tâches de l’appelante.

 

(vii)    M. Campbell se portait garant envers les clients du travail réalisé par l’appelante.

 

(viii)    L’appelante était tenue de fournir à M. Campbell des feuilles de temps exposant les heures travaillées qui constituaient le fondement de sa rémunération.

 

(ix)     L’appelante n’était tenue de fournir aucun des équipements ou fournitures de bureau nécessaires à la réalisation de son travail. Cependant, elle disposait de ressources similaires à son domicile et elle pouvait travailler chez elle en-dehors des heures de bureau ou dans d’autres circonstances, si nécessaire.

 

(x)         Toutes les fournitures et tout le matiérel de bureau, y compris l’essence, le stationnement, les déplacements et les dépenses connexes étaient fournis par M. Campbell ou, si l’appelante les payait, M. Campbell les lui remboursait.

 

(xi)        L’appelante ne partageait pas les profits réalisés par M. Campbell mis à part sa rémunération qui dépendait des profits de l’entreprise ou variait selon ceux-ci.

 

(xii)        De même, l’appelante n’avait aucune chance de profit et n’assumait pas les risques de pertes encourues par M. Campbell.

 

(xiii)       L’appelante n’était pas signataire autorisée relativement à aucun compte bancaire ou autre compte détenu par M. Campbell, et elle n’avait aucun pouvoir de lier le cabinet relativement à la signature d’aucun acte, contrat ou titre négociable.

 

(xiv)       M. Campell déterminait les heures de travail de l’appelante, mais il faisait preuve de souplesse à cet égard pour l’appelante.

 

(xv)       M. Campbell déterminait le taux de rémunération de l’appelante.

 

(xvi)       Toute formation requise était fournie à l’appelante par M. Campbell.

 

(xvii)      Tous les frais reliés à des créances irrécouvrables étaient assumés par M. Campbell.

 

(xviii)     L’appelante était employée dans le cadre de l’entreprise exploitée par M. Campbell et son travail faisait partie intégrante de cette entreprise. Après son congédiement, elle a été remplacée par une personne qui assume apparemment les fonctions qu’exécutait auparavant l’appelante.

 

[3]     Le seul énoncé dont il a été admis qu’il était inexact figure au sous‑paragraphe (xiii), où il est dit que l’appelante n’avait pas de pouvoir de signature relativement aux comptes bancaires que détenait M. Campbell. En fait, elle avait le pouvoir de signer des chèques de paie.

 

[4]     Les décisions du ministre sont fondées sur l’hypothèse selon laquelle l’appelante était une associée de M. Kevin Campbell et de Mme Wende Campbell. Les hypothèses avancées sont les suivantes :

 

[traduction]

 

9.      Pour rendre sa décision, l’intimée s’est appuyée sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a)       La payeuse est une entreprise qui fournit des services de tenue de livres et de comptabilité ainsi que des services fiscaux à ses clients (les « clients »);

 

b)       À toute époque pertinente, la payeuse a fonctionné dans les faits comme une société en nom collectif (la « société »);

 

c)       La société a commencé en avril 1998;

 

d)       L’appelante était une des associées de la société;

 

e)       L’appelante a exécuté différentes tâches pour les clients de la payeuse (les « clients »), notamment de la tenue de livres, de la comptabilité, des services fiscaux, des conseils en matière de travail et d’autres tâches connexes;

 

f)        L’appelante a exécuté ses fonctions soit chez la payeuse, soit chez les clients ou chez elle;

 

g)       À titre de rémunération, l’appelante touchait 34,00 $ de l’heure plus 1 % des montants facturés aux clients plus 1,5 % des comptes clients perçus;

 

h)       L’appelante n’a pas reçu de paie de vacances ni bénéficié de vacances payées de la part de la payeuse;

 

i)        La payeuse n’offrait aucun régime d’avantages sociaux à l’appelante;

 

j)        L’appelante était une signataire autorisée relativement au compte bancaire de la payeuse;

 

k)       L’appelante a participé à des décisions de gestion pour la payeuse;

 

l)        Pour les années 2000 et 2001, l’appelante a déclaré des revenus d’un travail indépendant dans ses déclarations de revenus;

 

m)      À toute époque pertinente, l’appelante a fourni des services à d’autres mis à part les clients de la payeuse;

 

n)       Pour les années 2000 et 2001, l’appelante n’a déclaré aucun revenu d’emploi dans ses déclarations de revenus;

 

o)       Pour les années 2000 et 2001, la payeuse a considéré l’appelante comme une travailleuse indépendante, la payeuse n’a déduit aucune prime d’assurance-emploi de la rémunération de l’appelante et la payeuse n’a pas non plus émis de T4 à l’appelante.

 

[5]     M. Kevin Campbell est intervenu à l’appel en son nom propre ainsi qu’au nom de Campbell, Campbell & Page au soutien de la décision du ministre. Je ne reproduirai pas le long avis d’intervention. M. Campbell soutient qu’en avril 1998, l’appelante est devenue une associée du cabinet de tenue de livres et de comptabilité Campbell, Campbell & Page et que, de 1998 au 30 avril 2002, elle a été une associée du cabinet.

 

[6]     La question en litige est celle de savoir si Mme Page était une employée, une associée ou une entrepreneure indépendante. L’appelante dit qu’elle était une employée de la société de M. et Mme Campbell. L’intimée a fondé sa décision sur l’hypothèse qu’elle était une associée du cabinet Campbell, Campbell & Page, mais elle soutient, à titre subsidiaire, que l’appelante était une entrepreneure indépendante, et l’intervenant dit qu’elle était une associée.

 

[7]     Les éléments de preuve sont contradictoires et incompatibles à certains égards. Ils soulèvent de nombreuses questions de crédibilité. On peut soutenir que certains faits tendent à démontrer que l’appelante était une associée, d’autres, qu’elle était une entrepreneure indépendante, et d’autres, qu’elle avait un lien d’emploi. Il n’y a aucun facteur prédominant. Il s’agit simplement d’examiner la multitude d’éléments de preuve contradictoires, d’en extraire ceux qui semblent dignes d’acceptation selon la prépondérance des probabilités, de les assembler et de décider laquelle des trois situations de travail alléguées s’accorde le mieux avec la preuve prise dans son ensemble, en gardant à l’esprit que les critères traditionnels ne sont pas exhaustifs et que le poids relatif à accorder aux différents facteurs dépendra des circonstances particulières de l’affaire.

 

[8]     L’association entre Mme Page ainsi que M. et Mme Campbell a commencé en novembre 1989, lorsque Mme Page a déménagé de Toronto à Oshawa. Elle a commencé à travailler au bureau d’Oshawa de Chaplin & Burd, comptables agréés. Ce bureau était géré par M. et Mme Campbell. M. Campbell n’était pas un comptable agréé et n’était pas un associé. Il était décrit comme un directeur.

 

[9]     Mme Page travaillait pour Chaplin & Burd et releveait de M. Kevin Campbell ou de M. Mark Burd. Elle était rémunérée selon un taux horaire. Les cotisations au Régime de pension du Canada et à l’assurance-emploi ainsi que l’impôt sur le revenu étaient déduits à la source.

 

[10]   En 1994, l’appelante a demandé une augmentation. M. Campbell a dit qu’il lui accorderait une augmentation mais seulement si elle acceptait de travailler comme « entrepreneure indépendante », ce qui signifiait au plan pratique qu’il n’y aurait pas de prélèvements à la source d’impôt sur le revenu, ni de cotisations à l’assurance-emploi et au Régime de pension du Canada. Mme Page a dit qu’elle ne comprenait pas la distinction entre une employée et une entrepreneure indépendante. Je la crois. Elle n’est pas la seule dans cette situation.

 

[11]   Mis à part cela, il n’y a eu aucun changement dans la relation. On lui payait son stationnement, comme auparavant, et elle était rémunérée selon un taux horaire plus élevé.

 

[12]   En 1998, Chaplin & Burd a voulu fermer son bureau d’Oshawa, et le cabinet et les Campbell ont donc mis un terme à leurs rapports. Ils ont entrepris des négociations avec un autre cabinet, Laing, McHardy & Rohr, qui a accepté d’engager Kevin et Wende Campbell. L’appelante et la réceptionniste, Mme Dianne Doucette, de l’ancien cabinet, se sont jointes à Laing, McHardy & Rohr. La relation a été brève, et les Campbell, l’appelante et la réceptionniste ont quitté Laing, McHardy & Rohr. Un litige s’est ensuivi.

 

[13]   Les Campbell ont créé un nouveau cabinet, sous le nom de Campbell, Campbell & Page, et Helen Page a été engagée comme technicienne en comptabilité. La relation entre les Campbell et l’appelante a duré jusqu’en 2002. C’est cette relation qui fait l’objet des présents appels.

 

[14]   J’examinerai en premier lieu l’allégation selon laquelle l’appelante était une associée. Malgré certains facteurs qui tendent à première vue à étayer cette allégation, l’appelante n’était certainement pas une associée des Campbell.

 

[15]   Il y a, bien sûr, le fait que son nom figurait dans le nom du cabinet Campbell, Campbell & Page. Un dépliant de Campbell, Champbell & Page la décrit comme une « associée » (« partner »). Elle a signé une convention bancaire d’entreprise conclue avec la banque Toronto-Dominion dans laquelle elle et les Campbell ont déclaré qu’ils faisaient affaire en tant que société. Ils ont conclu une convention de marchand Visa avec la banque Toronto-Dominion dans laquelle l’appelante et les Campbell se décrivent comme des associés.

 

[16]   En se présentant ainsi en public comme une associée, il serait difficile pour l’appelante de nier qu’elle était une associée vis-à-vis d’un particulier ou de la banque qui se serait fiée à cette présentation des faits à son détriment. Cependant, le fait que l’appelante soit précluse vis-à-vis de certaines personnes et dans certaines circonstances ne l’empêche pas de nier qu’elle est une associée vis-à-vis du ministre du Revenu national, qui n’allègue pas la préclusion, et qui, en tout état de cause, n’aurait aucun motif d’invoquer cette théorie. L’existence objective d’une société ne dépend pas de l’application d’une règle de preuve ou de droit qui empêcherait l’appelante d’invoquer la réalité des faits vis-à-vis de personnes qui ne sont pas admises à invoquer la théorie de la préclusion.

 

[17]   Mis à part le fait que les Campbell ont présenté Mme Page au public comme une associée, il n’y a aucun élément de preuve démontrant que l’appelante était une associée. En fait, les éléments de preuve démontrent le contraire.

 

[18]   Dans un affidavit signé le 1er mars 1999, M. Kevin Campbell, l’intervenant, qui a été appelé comme témoin par l’intimée, a déclaré :

 

 

 

[traduction]

 

Helen S. Page n’est pas une associée des défendeurs. Son nom apparait sur le papier à en-tête et les cartes professionnelles uniquement pour promouvoir son association avec nous.

 

Helen S. Page est une technicienne en comptabilité à son propre compte qui fournit en son propre nom des services aux défendeurs et à d’autres clients.

 

Helen S. Page est payée hebdomadairement sur présentation d’une feuille de temps au taux de 30 $ par heure facturable et de 28 $ par heure administrative.

 

Helen S. Page ne participe d’aucune manière aux politiques de facturation et de recouvrement des défendeurs et elle n’y a jamais participé.

 

L’affidavit a été produit dans une action dans laquelle Laing, McHardy & Rohr étaient les demandeurs, alors que M. Kevin Campbell et Mme Wende Campbell étaient les défendeurs.

 

[19]   Helen Page a produit un affidavit dans la même action :

 

[traduction]

 

[…]

 

4.  Je ne suis pas une associée des défendeurs. Mon nom figure sur le papier à en-tête et les cartes professionnelles uniquement pour promouvoir mon association avec les défendeurs afin de mettre à l’aise les clients, dont certains font affaire avec moi depuis 11 ans et avec les défendeurs depuis 16 ans.

 

5.  Je continue de travailler comme technicienne en comptabilité à mon compte offrant mes services aux défendeurs, et je continue d’être rémunérée exclusivement en fonction des heures travaillées. Je n’ai aucune influence sur les politiques des défendeurs en matière de facturation, de recouvrement ou de prestation des services. Figure à l’annexe B ci-jointe de mon affidavit une copie du sommaire de mes feuilles de temps ainsi que de mon historique de facturation et de recouvrement depuis que j’ai commencé à fournir des services aux défendeurs le 20 avril 1998.

 

Dans les deux affidavits, elle est décrite comme une [traduction] « technicienne en comptabilité à son propre compte ». La façon dont les gens décrivent leurs rapports n’est pas déterminante et le contre-interrogatoire de M. Campbell sur son affidavit par Me Johncox démontre bien qu’il est inopportun d’accorder beaucoup de poids aux termes employés par les parties.

 

[traduction]

 

Q.     M. Campbell, vous venez de dire que cet affidavit se rapporte à – vous dites que Helen Page n’est pas une associée de Campbell & Campbell dans le contexte du litige entre Campbell & Campbell et Laing, McHardy & Rohr, n’est-ce pas?

 

R.     C’est exact.

 

Q.     Mais la deuxième phrase du premier paragraphe dit : « Son nom apparait sur le papier à en-tête […] ».

 

R.     Ouais.

 

Q.     Ce qui indique qu’on parle de 1999 lorsque –

 

R.     C’est exact.

 

Q.     Campbell, Campbell & Page est la société que vous représentez et vous dites qu’elle n’est pas une associée. Vous ne dites pas qu’elle n’était pas une associée avant 1998. Vous dites qu’elle n’est pas une associée.

 

R.     C’est exact.

 

Q.     Alors dans cet affidavit, vous déclarez sous serment qu’elle était une entrepreneure indépendante?

 

R.     Mm-hm. Exact.

 

Q.     Et est-ce que vous disiez la vérité?

 

R.     Je dis la vérité selon ce que je croyais à ce moment-là.

 

Q.     Vous croyiez qu’elle était une entrepreneure indépendante de Campbell, Campbell & Page à ce moment-là?

 

R.     Je croyais qu’elle n’avait rien à voir avec le litige nous opposant à Laing, McHardy & Rohr.

 

Q.     Ce n’est pas ce que ça dit.

 

R.     Et bien – je l’ai signé. Alors je devais le croire.

 

Q.     Et vous dites que cela n’est pas incompatible avec la position – avec le témoignage que vous avez livré aujourd’hui?

 

R.     Je dis que j’ai signé l’affidavit.

 

Q.     Vous avez déclaré sous serment qu’il était véridique?

 

R.     Ce document a été rédigé par votre cabinet, n’est-ce pas?

 

Q.     Oui, c’est exact. Vous avez déclaré sous serment qu’il était véridique?

 

R.     Oui.

 

Q.     Est-ce vous déclarez maintenant sous serment qu’il est véridique?

 

R.     Je ne le déclare pas sous serment maintenant. Je l’ai déclaré sous serment à l’époque.

 

Q.     Je vous demande est-ce qu’il est véridique maintenant?

 

R.     Je ne crois pas qu’il soit véridique maintenant, non.

 

Q.     Quelles parties ne croyez-vous pas être véridiques?

 

R.     Je dirais seulement les paragraphes 1 et 2; je ne déclarerais pas cela sous serment aujourd’hui.

 

Q.     Quand avez-vous changé d’avis?

 

R.     À l’instant.

 

M. JOHNCOX : Merci, Monsieur le juge.

 

Pour des motifs qui devraient clairement ressortir du passage qui précède, le témoignage de ce témoin n’est pas digne de foi. Dans tous les cas où son témoignage diffère de celui de Mme Page, je préfère celui de Mme Page.

 

[20]   Il y a d’autres éléments de preuve qui sont incompatibles avec la possibilité que l’appelante soit une associée des Campbell :

 

a)            Dans le grand livre général de la société, Helen Page apparaît comme une entrepreneure indépendante. Sa rémunération était déduite du calcul des revenus ou pertes de la société, qui étaient répartis en parts égales entre M. et Mme Campbell.

b)           Il n’y avait aucun contrat de société écrit ni aucun enregistrement de société en nom collectif.

c)            Les déclarations de revenus de M. et Mme Campbell mentionnent comme nom de leur entreprise Campbell & Campbell et mentionnent pour chacun un taux de participation de 50 p. 100 dans l’entreprise. M. Campbell a dit qu’en réalité, il y avait un partage à trois entre lui-même, son épouse et Mme Page. Je n’admets pas du tout cette description ex post facto. Il est évident que M. Campbell n’a jamais traité Mme Page comme une associée. Sa rémunération était déduite du calcul du revenu de la société Campbell & Campbell, qui était réparti moitié-moitié entre les deux parties. J’aborderai plus loin la question de savoir si Mme Page travaillait aux termes d’un contrat de louage de services ou d’un contrat d’entreprise.

d)           Mme Page n’a jamais eu accès aux documents financiers ou aux états financiers de la société.

e)            Mme Page n’a jamais partagé les profits ou les pertes de la société en tant qu’associée.

 

[21]   Cette situation a prévalu en 1998, 1999 et 2000. En 2001, Mme Campbell est décédée et le revenu a été réparti entre M. Campbell et son épouse dans une proportion de 69 p. 100 et de 31 p. 100.

 

[22]   Dans sa déclaration de revenus pour 2002, M. Campbell a désigné l’entreprise sous le nom de Campbell & Associates et s’est attribué 100 % des profits. Mme Page n’a pas été consultée au sujet de ce changement et n’en a pas non plus été avisée. L’on aurait pu penser que s’il s’agissait d’une société et qu’elle était dissoute, ou que son nom changeait ou que 100 % des profits des associés étaient réattribués à un associé, cet associé l’aurait peut-être au moins mentionné à l’autre associée.

 

[23]   M. Campbell a affirmé que le 6 mai 2002, la relation avec Mme Page avait pris fin quand celle‑ci avait démissionné, qu’elle avait déchiré son offre d’emploi du 7 février 2002 et qu’elle l’avait jetée sur son bureau. Je ne pense pas que les choses se soient passées ainsi du tout. Le 17 janvier 2002, Mme Page a écrit à M. Campbell en proposant un salaire annuel de 60 000 $ et différentes autres conditions. Il lui a répondu le 7 février et a proposé des conditions différentes. Elle était choquée qu’il ait congédié sommairement le commis à la comptabilité et elle a emporté des dossiers avec elle. Elle est revenue quelques jours plus tard, mais elle a refusé de quitter avant d’être payée. Je tiens pour avéré que c’est M. Kevin Campbell qui a mis un terme à la relation en congédiant l’appelante. On ne congédie pas une associée.

 

[24]   Ce qui précède suffit à démontrer que l’hypothèse de la société a été réfutée. Peu importe ce qu’a pu être la relation entre Mme Page et les Campbell, il ne s’agissait certainement pas d’une société. L’avocate de l’intimée a soutenu que la pièce R-6, une lettre du 9 mai 2001, établissait une société. J’exposerai plus loin les dispositions de cette lettre, mais pour l’instant, il suffit de dire que je n’y vois rien qui tende à démontrer l’existence d’une société.

 

[25]   La lettre revêt une certaine importance pour cerner les rapports entre les parties au cours de la période allant d’avril 2001 à avril 2002, soit la période en cause. Il ressort de la preuve que les parties ont agi essentiellement en conformité avec la lettre. Celle-ci est donc d’une certaine utilité pour trancher la question subsistante qui consiste à déterminer si Mme Page était une employée ou une entrepreneure indépendante.

 

[26]   Avant de traiter de la lettre, j’aimerais cependant formuler quelques observations. Nous connaissons tous le critère à quatre volets énoncé par le juge MacGuigan dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 – propriété des outils, contrôle, chance de profit et risque de perte.

 

[27]   Il y a aussi le critère de l’ « organisation » ou de l’ « intégration ». Parmi la multitude de cas qui se sont présentés devant la présente Cour ou devant la Cour d’appel fédérale, dans la mesure où le critère de l’intégration est un tant soit peu compréhensible, je ne l’ai pas encore vu appliqué comme un facteur déterminant ni même jouer un rôle utile. Il faut faire attention de ne pas appliquer mécaniquement les autres facteurs. Il se peut bien qu’un employé qualifié d’expérience, en particulier un professionnel, ne soit assujetti à aucun contrôle de la part de son employeur et qu’il fournisse ses propres outils, et il se peut bien qu’il touche une incitation financière qui déterminera combien il gagnera. L’existence de ces facteurs n’empêchera pas quelqu’un d’être un employé si le tableau d’ensemble qui se dégage est celui d’un emploi.

 

[28]   La jurisprudence a été analysée par le juge Bonner dans 1280659 Ontario Inc. c. M.R.N., 2004 CCI 138. Il a appliqué les critères à l’affaire dont il était saisi et il est intéressant de noter le poids qu’il a accordé aux différents facteurs; à cet égard, il est utile de citer les motifs de son jugement. Bien que les faits soient évidemment différents de ceux de la présente espèce, la démarche s’impose. Aux paragraphes 17 à 23, il a dit :

 

      L'arrêt de principe sur la différence qui existe entre un contrat d'entreprise et un contrat de louage de services (d'emploi) est 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59. Le juge Major, qui a rendu cet arrêt au nom de la Cour, a examiné le critère du contrôle, le critère comprenant quatre éléments[2] et le critère de l'intégration. Il a indiqué que la question clé - à qui appartient l'entreprise? - est énoncée dans l'arrêt Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All. E.R. 732. Il a écrit aux paragraphes 47 et 48 :

 

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

 

      Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

      Il ne semble faire aucun doute, si l'on applique les critères, que M. Klein était un employé de l'appelante. Il a été embauché par l'appelante pour travailler pour elle à un taux horaire de rémunération aux moments et dans les magasins désignés par M. Bohbot. Le droit de contrôler la façon dont le travail devait être fait existait clairement.

 

      La propriété des outils de travail ne revêt pas une grande importance en l'espèce. Les outils dont M. Klein avait besoin pour faire le travail étaient peu nombreux et rudimentaires, et j'en déduis qu'ils avaient peu de valeur. L'entente conclue avec l'appelante exigeait que M. Klein paie une petite somme d'argent lorsque les outils lui étaient fournis. Cette somme a finalement été considérée comme un dépôt de garantie. Elle a en fait été remboursée lorsque M. Klein a été congédié. L'entente ne ressemble que vaguement au cas où une tâche est exécutée en vertu d'un contrat d'entreprise, lequel exige habituellement que l'entrepreneur fasse tout ce qui est nécessaire pour réaliser le travail en se servant de ses propres forces, outils, ingéniosité et compétences en gestion. M. Klein utilisait apparemment sa voiture dans le cadre de son travail, mais il recevait une allocation pour couvrir cette dépense. Il s'est procuré un téléavertisseur qu'il utilisait dans le cadre de son travail. Ce fait est moins favorable à l'appelante qu'il n'y paraît lorsqu'on se rappelle que M. Bohbot a exigé que M. Klein ait un téléavertisseur afin de pouvoir exercer un contrôle sur lui dans l'exécution de son travail.

 

      Sa relation avec l'appelante n'entraînait pas de risque financier pour M. Klein. Ce dernier se trouvait dans la même situation à cet égard que tout travailleur rémunéré à l'heure. Il ne pouvait tout simplement pas se servir de compétences en matière de gestion pour maximiser ses revenus et réduire ses coûts.

 

      M. Klein ne pouvait pas non plus se faire remplacer ou embaucher un assistant.

 

      Dans l'arrêt Alexander v. M.N.R., 70 DTC 6006, le président Jackett a écrit à la page 6011 :

 

[TRADUCTION] [...] D'une part, un contrat de louage de services est un contrat en vertu duquel une partie - le préposé ou l'employé - convient, pour une période de temps déterminée ou non, de travailler à temps plein ou à temps partiel pour l'autre partie - le commettant ou l'employeur. D'autre part, un contrat d'entreprise est un contrat en vertu duquel l'une des parties s'engage à exécuter un travail précis pour l'autre partie. Le contrat de louage de services ne stipule généralement pas l'exécution d'une somme de travail précise, mais prévoit habituellement que le préposé mettra ses services à la disposition du commettant pendant une certaine période. Le contrat d'entreprise prévoit généralement l'exécution d'une tâche ou d'un travail précis et n'exige habituellement pas que l'entrepreneur agisse personnellement.

 

      Les activités effectuées par M. Klein relativement à Agents Are Us n'impliquent pas l'exécution d'une tâche ou d'un ensemble de tâches précis comme ce serait le cas s'il était un entrepreneur indépendant. En fait, M. Klein a convenu de mettre ses services à la disposition de l'appelante en échange d'une rémunération à un taux horaire. Il importe de souligner que la façon dont les parties décrivent la nature de leur relation contractuelle n'est pas nécessairement déterminante.

 

 

[29]   La lettre du 9 mai 2001, de M. Campbell à Mme Page, comporte les passages importants qui suivent :

 

[traduction]

 

VOTRE SITUATION ACTUELLE

 

À l’heure actuelle, vous êtes rémunérée à un taux de base de 28 $ de l’heure pour le temps non facturable et à un taux de base de 32 $ de l’heure pour le temps facturable avec une prime de 2 $ de l’heure en février, mars et avril. En outre, vous touchez une commission de 15 % sur le travail facturé que vous amenez au cabinet, votre essence est payée et un téléphone cellulaire vous est fourni. Vous effectuez des retraits sur ces gains au taux de 27 $ de l’heure, tandis que nous payons Revenu Canada pour votre compte et mettons en banque tout surplus ou comblons tout déficit.

 

HISTORIQUE DES HEURES ET DE LA RÉMUNÉRATION

 

En 1999, vous avez effectué 1161,9 heures facturables et 96,0 heures de travail administratif pour un total de 1257,9 heures. En 2000, vous avez effectué 1229,8 heures facturables et 75,1 heures de travail administratif pour un total de 1304,9 heures. En 2001 jusqu’au 30 avril, vous avez effectué 543,8 heures de travail facturable et 27,2 heures de travail administratif pour un total de 571 heures.

 

J’ai calculé votre rémunération totale pour 1999, 2000 et 2001 jusqu’à présent et cela donne 99 552 $, ou 31,77 $ de l’heure en moyenne. Cela comprend la paye, les primes et les commissions, mais non les téléphones cellulaires ni l’essence.

 

TAUX DE RÉMUNÉRATION PROPOSÉ

 

À compter du 1er mai 2001 et jusqu’au 30 avril 2002, je vous propose d’augmenter votre taux de rémunération de base à 34 $ de l’heure facturable ou non. Je suis prêt à vous payer 34 $ de l’heure pour des tâches administratives jusqu’à concurrence de 100 heures par année, au-delà de quoi vous assumerez votre temps travaillé ou l’inclurez dans un dossier. Afin de contribuer à la gestion de la charge de travail et des mouvements de trésorerie, je m’attends à ce que vous consacriez une demi-heure ou une heure de votre temps chaque semaine à une réunion de gestion.

 

STRUCTURE DES PRIMES

 

Compte tenu du rôle important que vous jouez dans les activités quotidiennes du cabinet, et pour vous encourager à tenir un registre de vos heures et m’aider à facturer mon temps, je vous propose une prime de 1 % de toute la facturation (nette de TPS), et une prime additionnelle de 1,5 % du recouvrement (net de TPS). Cette prime sera calculée trimestriellement et vous sera payée le 30 avril (pour le trimestre se terminant le 31 mars), le 31 juillet (pour le trimestre se terminant le 30 juin), le 31 octobre (pour le trimestre se terminant le 30 septembre) et le 31 janvier (pour le trimestre se terminant le 31 décembre).

 

RÉMUNÉRATION PRÉVUE

 

En prenant les heures travaillées en 2000 comme référence et la proposition actuelle, votre rémunération serait la suivante :

 

1305 heures à 34 $ de l’heure                                               44 370 $

1 % de la facturation (225 081 $ @ 1 %)                               2 251 $

1,5 % du recouvrement (199 813 $ @ 1,5 %)                        2 997 $

                                                                                            49 618 $ 

 

Votre rémunération réelle en 2000 a été de 42 456 $, de sorte que cela représente une augmentation de 17 %. Je prévoirais aussi une disponibilité de 150 à 200 heures de plus, étant donné l’absence de Wende.

 

PRIME DE CROISSANCE

 

Avec la perte de Wende, notre cabinet devra faire faire plus de travail à salaire, que ce soit par vous ou par un tiers. Je prévois que les coûts y afférents seront de l’ordre de 15 000 $ à 20 000 $. Afin d’encourager la croissance, je vous propose de vous récompenser en vous accordant une prime additionnelle de 10 % de toute facturation au-delà de 250 000 $. Cette prime sera payée annuellement le 31 janvier.

 

MOUVEMENTS DE TRÉSORERIE

 

Afin de vous assurer des revenus constants, je vous propose de vous faire des paiements de base de 800 $ par semaine pendant six mois en fonction des revenus prévus. Ce montant sera rapproché chaque mois et tout montant dû vous sera payé le premier jour de paie du mois suivant. Tout paiement excédentaire sera déduit de votre prime trimestrielle.  Nous reverrons ces dispositions à la fin des six mois, ou plus tôt si nécessaire.

 

ASSURANCE-VIE

 

Vous avez un intérêt tout à fait légitime dans le sort du cabinet si je tombe malade ou je décède. À cet égard, je vous désignerai comme bénéficiaire de mon assurance-vie à hauteur de 100 000 $.

 

CARTE DE CRÉDIT

 

Canada Trust vous émettra une carte de crédit sur le compte de la société. Vous devrez utiliser cette carte pour tout achat d’essence et, le cas échéant, pour les frais de divertissement des clients. Vous devrez aussi porter sur le compte de cette carte les frais d’accès Internet haute vitesse.

 

ORDINATEURS

 

Pour être productive pour le cabinet, vous devez disposer d’ordinateurs à la fine pointe à la maison, vous devez pouvoir effectuer des recherches sur Internet, etc. Campbell, Campbell & Page paiera la mise à niveau de votre ordinateur actuel jusqu’à concurrence de 1500 $ et inscrira votre ordinateur à notre régime d’entretien assuré par Durham Computer Solutions. Les mises à niveau informatiques doivent être achetées d’Ed Hosmar. En outre, toute fourniture informatique doit être achetée par Campbell, Campbell & Page.

 

PRÉOCCUPATIONS FINANCIÈRES

 

J’ai cru comprendre que vous aviez des dettes envers Revenu Canada et envers des sociétés de cartes de crédit totalisant environ 13 000 $. Je vous propose que le cabinet vous avance 15 000 $ pour payer tout l’arriéré au titre de l’impôt et des cartes de crédit. Ce montant sera remboursable au taux de 6 % sur 3 ans à raison de 455,83 $ par mois. Le cabinet paiera Revenu Canada directement et vous vous occuperez vous-même de vos autres obligations. Ces fonds seront déboursés en entier d’ici le 15 mai 2001, et le premier paiement sera dû le 15 juin 2001. Évidemment, si vous quittez le cabinet, le solde sera payable en entier.

 


DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL ET SOCIAL

 

Campbell, Campbell & Page vous accordera jusqu’à 1000 $ par année pour des cours ou des publications reliées à votre développement personnel ou professionnel. Je m’attends à ce que vous assistiez à un cours d’une demi-journée de « Dr Tax » chaque printemps et votre participation à ce cours sera rémunérée. Il est maintenant plus important que jamais que nous commencions à travailler avec le logiciel CaseWare. Le cabinet allouera jusqu’à 2500 $ de votre temps non facturable pour vous aider à effectuer cette transition et à faire les apprentissages requis. À l’occasion, il se peut que vous soyez appelée à assister à certains événements sociaux reliés à l’entreprise. Le cas échéant, vous y assisterez sans que le cabinet vous rémunère.

 

VENTE DE L’ENTREPRISE

 

En cas de vente de Campbell, Campbell & Page, vous prendrez part aux discussions et vous aurez droit à 25 % de tout produit de la vente.

 

 

[30]   Comme je l’ai déjà mentionné, à mon avis, l’appelante n’était pas une associée des Campbell. La question qui reste à trancher est celle de savoir si elle travaillait en vertu d’un contrat d’entreprise ou d’un contrat de louage de services. Avec lequel de ces deux types de contrat les éléments de preuve, y compris la lettre, s’accordent-ils le mieux?

 

[31]   Le paiement d’un taux de base pour le temps facturable et non facturable, majoré d’une prime et de commissions sur la facturation, tend plutôt à démontrer selon moi un lien d’emploi.

 

[32]   La discussion concernant sa rémunération au regard du taux de salaire, de la structure de primes, de la rémunération prévue, de la prime de croissance et des mouvements de trésorerie proposés ne constitue pas le genre de discussion que l’on aurait avec un entrepreneur indépendant faisant affaire à son propre compte. Il s’agit d’un type de régime du genre de celui d’un employé qui travaille un certain nombre d’heures et à qui une prime sera payée. Il ne s’agit pas d’un genre de paiement que l’on ferait à un entrepreneur indépendant travaillant à son propre compte.

 

[33]   La désignation comme bénéficiaire d’une police d’assurance-vie et l’octroi d’une carte de crédit de la société, de même que le paiement de cours de formation et de publications professionnelles, sont des choses que l’on accorderait à un employé ayant de l’ancienneté. Il serait inédit d’accorder de tels avantages à un entrepreneur indépendant fournissant des services à la payeuse dans le cadre d’une entreprise distincte exploitée par l’entrepreneur.

 

[34]   L’on peut faire la même observation au sujet de la mise à niveau de l’ordinateur au domicile de l’appelante. Le cabinet fournissait les outils dont elle avait besoin lorsqu’elle travaillait au cabinet. Lorsqu’elle travaillait chez elle, elle le faisait sur son propre ordinateur, dont le cabinet payait la mise à niveau.

 

[35]   La disposition selon laquelle l’appelante prendrait part aux discussions si l’entreprise était vendue et elle aurait droit à 25 % du produit de la vente aurait pu tendre à démontrer qu’elle était une associée s’il y avait eu d’autres indices de l’existence d’une société en nom collectif, ce qui n’est pas le cas. Par conséquent, nous devons donc trancher la question de savoir si cette disposition quelque peu inhabituelle est d’une quelconque utilité pour déterminer si l’appelante est une employée ou une entrepreneure indépendante. Je ne crois pas que cette disposition fasse pencher la balance d’un côté ni de l’autre, sous réserve d’une observation : il serait plus inhabituel d’offrir à un entrepreneur indépendant 25 % du produit de la vente de l’entreprise de la payeuse que ce ne le serait de l’offrir à un employé apprécié. Par conséquent, je dirais que cette disposition est neutre ou qu’elle fait pencher presque imperceptiblement la balance du côté du lien d’emploi.

 

[36]   J’ai pris en compte tous les facteurs et je leur ai accordé le poids qui semblait indiqué dans le contexte de l’espèce. L’avocate de l’intimée a avancé, je crois, tous les arguments possibles au soutien de la position de la Couronne, mais malgré l’habileté et l’exhaustivité de sa présentation, je pense que Mme Page était une employée des Campbell pendant la période en question.

 

[37]   Pour trancher les causes de ce genre, le juge du procès doit s’efforcer de voguer entre Scylla et Charybdis. Le juge doit éviter l’application servile et mécanique des quatre éléments du critère de Wiebe Door sans prendre du recul et apprécier le tableau d’ensemble. En revanche, le juge doit examiner la relation prise dans son ensemble mais tout en gardant à l’œil les éléments du critère de Wiebe. Il s’agit d’un exercice délicat de pondération1.

 

[38]   Pour ce qui concerne les critères de Wiebe Door, M. Campbell déterminait les heures et le taux horaire et disait à Mme Page dans quel dossier travailler. Cela satisfait au critère du contrôle. Il n’avait pas à regarder continuellement par-dessus son épaule. Il vérifiait son travail lorsque cela était nécessaire. M. Campbell fournissait les outils – les ordinateurs, les livres, le papier et les bureaux. Il payait même la mise à niveau de l’ordinateur de l’appelante à la maison. La chance de profit et le risque de perte revenaient entièrement à M. Campbell – l’appelante avait une incitation à travailler plus fort et à gagner plus, mais cela ne correspond pas au risque commercial que court le propriétaire qui exploite une entreprise. Même en appliquant le critère très critiqué de l’ « intégration », Mme Page faisait certainement partie intégrante de l’entreprise, pour ce que cette considération peut valoir.

 

[39]   Par conséquent, même si l’on applique la démarche mécanique et, à mon avis, peu édifiante consistant à appliquer séparément les éléments du critère de Wiebe Door, on aboutit tout de même à la conclusion que Mme Page était une employée des Campbell.

 

[40]   L’appel est accueilli et les décisions statuant que, pendant la période en question, l’appelante n’exerçait pas un emploi ouvrant droit à pension pour l’application du Régime de pension du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi sont modifiées de manière à mentionner qu’au cours de la période allant du 29 avril 2001 au 30 avril 2002, l’appelante, Helen Page, exerçait un emploi ouvrant droit à pension aux termes d’un contrat de louage de services avec le cabinet Campbell, Campbell & Page et qu’elle n’était pas une associée de ce cabinet.

 


Signé à Toronto (Ontario), le 12 mars 2004.

 

 

 

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef adjoint Bowman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juin 2008

 

Christian Laroche, juriste-traducteur

 


 

RÉFÉRENCE :

2004TCC211

 

DOSSIERS DE LA COUR :

2003-1908(EI) et 2003-1909(CPP)

 

INTITULÉ :

Helen Page c.

Le ministre du revenu national et

Kevin Campbell, Wende Campbell et Helen Page, faisant affaire sous le nom de Campbell, Campbell & Page

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 19 et 27 février 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge en chef

D.G.H. Bowman

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS DU JUGEMENT :

Le 12 mars 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Ian A. Johncox

Avocate de l’intimée :

Me Nimanthika Kaneira

Représentant de l’intervenante :

Kevin Campbell

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Pour l’appelante :

 

 

Nom :

Mason Bennett Johncox

 

Cabinet :

Whitby Town Square

3000, rue Garden, bureau 200

Whitby (Ontario)  L1R 2G6

 

Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[2]           Ces quatre éléments ont été décrits dans l'arrêt Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161, à la p. 169 : (1) le contrôle; (2) la propriété des outils de travail; (3) la possibilité de profit; (4) le risque de perte.

1           Voir aussi Wolf c. The Queen, 2002 DTC 6853.

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