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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier: 2002-3335(GST)I

ENTRE :

HEART DROP 2000 DISTRIBUTORS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 26 mars 2003, à Kingston (Ontario), par

l'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Paul M. Fay

Avocate de l'intimée :

Me Rosemary Fincham

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 22 octobre 2001, pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2000, est accueilli, sans frais, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national, pour nouvel examen et nouvelle cotisation, en tenant compte du fait que l'appelante a droit à des crédits de taxe sur les intrants de 13 966,14 $ et qu'aucune pénalité ne doit lui être imposée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'avril 2003.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de mars 2005.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence: 2003CCI201

Date: 20030404

Dossier: 2002-3335(GST)I

ENTRE :

HEART DROP 2000 DISTRIBUTORS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

[1]      L'appel en l'instance est interjeté sous le régime de la procédure informelle par Heart Drop 2000 Distributors Inc. (Heart Drop), une société établie par M. Don Wiskin. Heart Drop achetait des gouttes pour le coeur et des produits semblables à base d'herbes médicinales de Strauss Herb Co. (autrefois connue sous le nom de Natural Way Herbs) et les vendait au public. Nulle taxe sur les produits et services (TPS) ne lui était facturée sur les produits achetés et elle n'en prélevait pas non plus sur les produits vendus, ayant cru comprendre qu'ils étaient détaxés. Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une cotisation à l'égard de l'appelante, pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2000, dont le montant s'établissait à 18 205,63 $, plus les pénalités et l'intérêt, relativement à la TPS impayée, au motif que l'appelante était tenue de payer la TPS sur des ventes de 278 000 $ durant la période en question. Le ministre a établi le montant de la cotisation en multipliant les ventes de 278 000$ par 7/107. Heart Drop interjette appel de cette cotisation à deux égards : en premier lieu, parce qu'elle ne tient pas compte du fait que l'appelante a droit à des crédits de taxe sur les intrants (CTI) et, en deuxième lieu, parce que les pénalités ne s'appliquent pas vu que l'appelante a agi avec diligence raisonnable pour déterminer la TPS à payer.

[2]      En juin 1998, M. Wiskin, un entrepreneur en construction, a failli mourir d'une crise cardiaque. Il en est venu à croire qu'il ne pourrait plus jamais travailler. Puis, il a commencé à prendre des gouttes pour le coeur vendues par Strauss. Il a recouvré la santé bien mieux qu'il ne l'aurait cru possible. En rendant visite à Strauss Herb pour remercier le fabricant de l'avoir aidé à se rétablir de façon si remarquable, il a eu l'idée de vendre lui-même le produit. Il a déterminé que Strauss Herb était en affaires depuis 1980. Sa réputation le satisfaisait. Il a mis sur pied Heart Drop et est passé de consommateur du produit à distributeur pour la revente.

[3]      M. Wiskin n'avait jamais payé de TPS sur le produit quand il l'achetait pour ses besoins personnels. En mai 2000, Heart Drop s'était constituée une clientèle d'exploitants de magasins d'alimentation naturelle. L'un d'entre eux lui a mentionné que la TPS pourrait s'appliquer au produit. M. Wiskin a dès lors demandé à son épouse, qui était aussi active dans l'entreprise, de communiquer avec les spécialistes de la TPS à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) à Vancouver. À l'issue de l'appel, Heart Drop a continué d'omettre de payer et de percevoir la TPS. Les Wiskin croyaient que le produit était compris dans les produits alimentaires de base, mais ils voulaient que cela leur soit confirmé par écrit. Ils ont consulté l'aide-comptable de Stauss, qui les a informés par écrit de ce qui suit, le 4 juillet 2000[1] :

          [TRADUCTION]

[...] Je me suis entretenu avec les spécialistes de la TPS et leur ai expliqué les produits que nous vendions et ils m'ont dit qu'ils étaient détaxés. Cela signifie que Peter ne peut pas percevoir la TPS et, dès lors, que nous ne pouvons percevoir la TPS quand nous le vendons. [...] Il y a trois catégories de produits aux fins de la TPS. Il y a les produits exonérés - sur lesquels aucune TPS n'est perçue. [...]

Il y a ensuite les produits détaxés. Ça veut dire qu'on ne perçoit pas la TPS sur le produit, mais qu'il est possible de s'inscrire et d'obtenir un numéro de TPS afin de pouvoir obtenir un remboursement de la TPS payée sur les dépenses. Nous entrons dans cette catégorie, qui est celle des distributeurs de produits.

La troisième catégorie est celle des produits assujettis à la TPS - cette catégorie ne s'applique pas à nous.

[...]

J'en étais certain parce qu'après tout c'est ma spécialité. Je m'occupe de la préparation de déclarations de revenu depuis 25 ans et je suis consultant depuis 15 ans. Je vous ai fait la courtoisie, à Peter et à toi, de vérifier l'information étant donné que vous aviez soulevé des doutes dans l'esprit de Peter. J'espère maintenant que cette question est réglée une fois pour toutes et que vous allez pouvoir vous occuper de l'affaire qui nous intéresse. [...]

À peu près à la même époque, c'est-à-dire en juillet 2000, Strauss Herb a mis fin à son contrat de distribution avec Heart Drop. La preuve ne permet pas d'établir avec certitude si c'était à cause des questions de Heart Drop concernant la TPS ou parce que M. Wiskin refusait de commercialiser le produit selon les directives de Strauss. C'est probablement pour ces deux raisons, quoique l'interruption de contrat fut de courte durée, car les deux sociétés sont parvenues à régler leurs différends. Un autre distributeur a continué de poser des questions au sujet de la TPS et les Wiskin ont communiqué une nouvelle fois avec l'ADRC en octobre 2000. Mme Wiskin a indiqué qu'elle avait fourni une description détaillée du produit à M. Paraskae de l'ADRC au cours de l'entretien téléphonique qu'elle avait eu avec lui. Bien qu'elle ait été incapable d'expliquer de quelle manière exactement M. Paraskae lui avait décrit la classification de ce type de produit, elle a affirmé que la discussion l'avait convaincue encore une fois que leur point de vue était le bon. Heart Drop a confirmé par écrit à l'ADRC ce qu'il était ressorti de la conversation téléphonique avec M. Paraskae. Peu de temps après, un autre distributeur a communiqué avec les spécialistes de la TPS au bureau de Calgary. On ne connaît pas le résultat de cette demande de renseignements.

[4]      En janvier 2001, Heart Drop avait délaissé le produit de Strauss pour vendre d'autres produits, sur lesquels la TPS était facturée. M. Wiskin admet maintenant qu'ils avaient mal compris dans quelle catégorie entrait le produit aux fins de la TPS.

[5]      Heart Drop a produit des registres exacts pour les trois premiers mois de la période en question, indiquant des achats de 213 482,40 $ et des ventes de 278 286 $. Aucune TPS n'était incluse. Heart Drop effectuait tous les paiements par carte de crédit. Aucun numéro de TPS n'apparaît sur les factures de Strauss Herb.

[6]      L'appelante soutient en premier lieu qu'elle a agi avec une diligence raisonnable en essayant de déterminer ses obligations en matière de TPS, et que, compte tenu de la décision rendue dans l'affaire Pillar Oilfields Projects Ltd. c. Canada[2], il est possible d'invoquer la diligence raisonnable comme moyen de défense relativement à cette disposition qui impose une pénalité. L'appelante a agi avec une diligence raisonnable en communiquant à deux reprises avec les autorités gouvernementales, en insistant pour obtenir des confirmations écrites des fournisseurs et en s'appuyant sur ce qui semblait être la pratique dans l'industrie.

[7]      Eu égard à sa thèse selon laquelle elle devrait avoir droit à des CTI, l'appelante fait valoir que refuser de lui accorder le crédit c'est nier l'organisation et l'objet mêmes des dispositions législatives relatives à la TPS. De la même manière que Heart Drop est tenue de verser la TPS réputée avoir été payée par les clients, Strauss devrait être tenue de verser la TPS réputée avoir été payée par l'appelante, ce qui a pour effet de rendre celle-ci admissible à des CTI. L'appelante soutient que Strauss et Heart Drop sont des entreprises effectuant une fourniture taxable, qu'elles sont obligées toutes les deux d'être inscrites et qu'elles sont dès lors des inscrits aux fins de l'établissement des CTI.

[8]      L'intimée soutient que l'appelante n'en a pas assez fait pour invoquer une défense de diligence raisonnable eu égard à l'imposition de la pénalité. Ce n'est pas suffisant de s'appuyer sur les informations fournies par le fabricant ni non plus d'effectuer des appels aux bureaux du gouvernement après le fait. Les démarches pour tirer la question de la TPS au clair auraient dû être faites avant que l'entreprise soit lancée.

[9]      En ce qui concerne la demande de CTI, l'intimée soutient que les conditions rigoureuses énoncées au paragraphe 169(4) de la Loi sur la taxe d'accise n'ont pas été remplies. En conséquence, l'appelante ne peut pas avoir droit à des CTI.

[10]     J'entends me pencher d'abord sur la question de l'admissibilité aux CTI. Le paragraphe 169(4) est libellé comme suit :

169(4) L'inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

a)          il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

b)          dans le cas où le crédit se rapporte à un bien ou un service qui lui est fourni dans des circonstances où il est tenu d'indiquer la taxe payable relativement à la fourniture dans une déclaration présentée au ministre aux termes de la présente partie, il indique la taxe dans une déclaration produite aux termes de la présente partie.

[11]     On tient pour acquis dans cette disposition que le fournisseur et l'acheteur savent tous les deux qu'il y a des renseignements à fournir et qu'il est nécessaire de produire une déclaration aux fins d'établir le montant pertinent des CTI. Je ne veux pas dire que des parties qui ne connaissant pas la loi peuvent plaider l'ignorance pour se soustraire à son application. Ni l'appelante, ni Strauss, ni aucun autre contribuable ne peut se soustraire à ses obligations en affirmant simplement qu'il ne savait pas que la loi existait. En fait, ce n'est pas ce que dit l'appelante. Elle dit plutôt qu'elle savait que la loi existait, mais que, en toute bonne foi, elle ne croyait pas y être assujettie. Quand on examine une question comme celle-là, dans les circonstances de l'espèce, la question ne devrait pas être de déterminer si la disposition a un caractère indicatif ou impératif, mais plutôt de savoir si une erreur a été commise de bonne foi. Comment la loi peut-elle insister pour que le contribuable procède d'une certaine manière si celui-ci croit en toute bonne foi qu'il n'est pas obligé de procéder de la manière prévue?

[12]     La question devient alors à la fois subjective et objective. Le volet subjectif consiste à déterminer si Heart Drop croyait en toute bonne foi que les produits étaient détaxés, et le volet objectif, si c'était raisonnable de croire cela.

[13]     M. Wiskin a été un témoin franc, convaincant et on ne peut plus crédible. La thèse qu'il a défendue à l'audience c'est que, bien qu'il continue de croire que la catégorisation des produits n'est pas claire, il accepte le point de vue actuel de l'ADRC selon lequel il ne vendait pas des produits d'alimentation de base. À l'époque pertinente, il croyait vraiment que ces produits étaient détaxés vu les renseignements fournis et confirmés par écrit par le fournisseur. Il avait cru ce que l'aide-comptable du fournisseur lui avait dit. Parmi la centaine de distributeurs du produit, il m'apparaît que tous sauf un ont pareillement accepté le point de vue du fournisseur. Comme il était l'une des seules voix dissidentes, M. Wiskin a continué de poser des questions à l'ADRC. Son impression était que, même si la question demeurait nébuleuse, il ne faisait rien de mal en effectuant les achats et les ventes sans payer ni prélever la TPS. Je crois que M. Wiskin croyait en toute bonne foi que Heart Drop agissait en conformité avec la Loi sur la taxe d'accise.

[14]     Était-ce raisonnable de croire cela? Les facteurs qui étayent une conclusion affirmative sont les suivants :

           (i)      M. Wiskin n'a jamais payé de TPS sur le produit qu'il achetait pour son usage personnel;

(ii)       le fournisseur était en affaires dans l'industrie depuis 20 ans;

(iii)      l'aide-comptable du fournisseur a prétendu qu'il s'y connaissait en matière de TPS et il a affirmé de façon catégorique, de vive voix et par écrit, que le produit était détaxé;

(iv)      avant la période en cause, l'ADRC a confirmé de vive voix la pratique de l'appelante après s'être fait décrire le produit, aux dires des Wiskin;

(v)      la pratique était largement acceptée par les distributeurs dans l'industrie.

[15]     Les facteurs qui étayent une conclusion négative sont les suivants :

(i)       l'appelante n'a pas cherché à obtenir l'avis d'un spécialiste indépendant;

           (ii)      au moins un autre distributeur a mis en doute la pratique;

           (iii)     en communiquant avec l'ADRC pour tirer la question au clair, les Wiskin n'ont pas précisé que le produit était une herbe médicinale.

[16]      Tout compte fait, je conclus qu'il était raisonnable pour M. Wiskin et, dès lors, pour l'appelante, de croire en toute bonne foi qu'aucune TPS n'était payable sur le produit.

[17]      Étant arrivé à cette conclusion, j'en reviens à la question de savoir si, dans de telles circonstances, Heart Drop a droit à des CTI. Heart Drop est un inscrit en vertu de la définition que l'on trouve dans la Loi sur la taxe d'accise. L'ADRC a déterminé que, à titre d'inscrit vendant un produit qui est assujetti à la TPS, Heart Drop aurait dû facturer et prélever la TPS de 7 %. En conséquence, l'ADRC réagit comme si c'était exactement ce que Heart Drop avait fait : sur des ventes totalisant 278 000 $, il y avait un montant d'environ 18 000 $ qui se rapportait à la TPS et que Heart Drop avait omis de verser. Ce que l'ADRC n'a pas fait, toutefois, c'est prétendre que Heart Drop avait aussi payé la TPS sur les produits d'une valeur de 213 000 $ achetés du fournisseur. On en arrive dès lors à un résultat injuste pour Heart Drop. Et je conviens avec l'avocat de l'appelante que c'est tout à fait contraire à l'objet très clair de l'organisation de la TPS. Heart Drop est l'intermédiaire. Ce n'est pas le consommateur final. L'appelante ne devrait pas être assujettie à la TPS comme si c'en était un. Si l'ADRC entend prétendre que Heart Drop a véritablement perçu la TPS, parce que Heart Drop croyait honnêtement bien faire, elle doit aussi prétendre que Heart Drop a véritablement payé la TPS, pour le même motif.

[18]      L'appel en l'instance est interjeté sous le régime de la procédure informelle et je suis donc tout à fait disposé à en venir directement au résultat qui s'impose sans m'embrouiller dans les subtilités juridiques pour trancher la question de savoir si une disposition a un caractère directif ou impératif. La thèse de l'ADRC me donne trop l'impression qu'on cherche à obtenir le beurre et l'argent du beurre en même temps pour que je l'autorise à s'appuyer sur le caractère impératif du paragraphe 169(4), caractère qui est discutable. Je crois qu'en établissant la cotisation visée par l'appel, l'ADRC admet que le paiement de la TPS, dans le contexte de l'affaire qui nous occupe, ne relève pas des règles habituelles de perception et de versement de la TPS. Il en va donc pareillement de la détermination des CTI. Lorsqu'une erreur a été commise de bonne foi, qu'on peut démontrer qu'elle était raisonnable et que le contribuable n'avait dès lors pas la possibilité de remplir les conditions prétendument impératives, on ne devrait pas l'abandonner à son sort à cause de ces conditions. Les CTI devraient être établis de la même manière que le montant de la TPS : soit en multipliant le coût d'acquisition de 213 482,40 $ par 7/107 pour en arriver à un montant de 13 966,14 $, lequel devrait être réputé avoir été payé par Heart Drop. L'appelante a droit à ce montant au titre des CTI.

[19]      Je veux qu'il soit bien clair qu'il ne s'agissait pas d'une affaire de documents ou de renseignements manquants rendant impossible la détermination du montant payable au titre de la TPS. Les registres de l'appelante étaient clairs et complets. Il a suffi d'un simple calcul pour déterminer le montant dû, une fois qu'il a été établi que le produit n'était pas détaxé.

[20]      Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis venu relativement à la première question, le montant de la pénalité serait considérablement réduit. Je vais plus loin en annulant complètement la pénalité, car je suis convaincu que l'appelante peut invoquer la défense de la diligence raisonnable. L'appelante a pris des mesures suffisantes, comme il a déjà été indiqué, pour déterminer son obligation. Elle ne devrait donc pas être pénalisée. L'appel est accueilli et l'affaire est déférée au ministre en tenant compte du fait que l'appelante a droit à des CTI de 13 966,14 $ et qu'aucune pénalité ne doit lui être imposée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'avril 2003.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de mars 2005.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Pièce A-1.

[2]           [1993] A.C.I. no 764.

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