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Dossier : 2001-1835(IT)G

ENTRE :

ABTAR SINGH BAINS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appels entendus le 29 janvier 2003 à Victoria (Colombie-Britannique).

Devant : L'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me William S. Johnson

Avocat de l'intimée :

Me Bill J. S. Basran

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 sont rejetés avec dépens.


Signé à Ottawa, Canada, le 3 avril 2003.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2005.

Erich Klein, réviseur


Référence : 2003CCI211

Date : 20030403

Dossier : 2001-1835(IT)G

ENTRE :

ABTAR SINGH BAINS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip, C.C.I.

[1]      L'appelant Abtar Singh Bains a porté en appel les cotisations suivantes :

a)    celle pour 1994, dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la déduction par l'appelant, dans le calcul de son revenu, d'une somme que la Cour suprême de la Colombie-Britannique lui avait ordonné de verser à titre de dommages-intérêts pour tromperie, plus des intérêts et des frais spéciaux, et a en outre ajouté à son revenu des avantages à lui conférés à titre d'actionnaire par A. S. Bains Developments Ltd. ( « Bains Co. » );

b)    celles pour 1995 et 1996, dans lesquelles le ministre a ajouté au revenu de l'appelant les avantages à lui conférés par Bains Co.;

c)    celles pour 1997 et 1998, dans lesquelles le ministre n'a pas autorisé l'appelant à reporter en avant une perte autre qu'en capital de 1994 à 1997 et à 1998, et ce, pour le motif qu'il n'y avait aucune perte autre qu'en capital en 1994.

[2]      M. Bains est le seul actionnaire, le seul administrateur et le président de Bains Co. À tous les moments pertinents, Bains Co. exploitait une entreprise de promotion immobilière et construisait des immeubles résidentiels et commerciaux à Victoria (Colombie-Britannique) et dans les environs. Bains Co. était le moyen de placement de M. Bains.

Versement des dommages-intérêts

[3]      À un moment donné en 1987, M. Bains, Dennis Bristow et George Jerome ont parlé de la mise sur pied d'une entreprise commerciale qui consisterait dans la fabrication et l'installation de téléphones publics. M. Bristow était propriétaire d'une entreprise dénommée Interior Design Management ( « IDM » ). IDM était locataire dans un des immeubles de Bains Co. En avril 1987, M. Bains a présenté à M. Bristow M. Ragbier Bhandar, avec lequel il entretenait des liens d'amitié depuis plus de 40 ans. M. Bhandar a été mis au courant des plans relatifs à l'entreprise de téléphones publics et on l'a invité à investir dans ce projet. L'entreprise de téléphones publics devait être exploitée par une société et devait consister à fabriquer des téléphones publics et à les installer dans des endroits propices. Une société propriétaire de l'entreprise de téléphones publics serait cotée à une Bourse, et on espérait que peu après, la société serait [TRADUCTION] « rachetée » par une autre société, permettant aux actionnaires de réaliser un bénéfice intéressant.

[4]      M. Bristow a informé M. Bhandar que l'entreprise était [TRADUCTION] « prête pour la cotation à la Bourse de Vancouver » , mais il manquait « 150 000 $ à peu près » . Lors du procès, M. Bains a déclaré qu'il [TRADUCTION] « ignorait tout de la société » ; M. Bristow aurait été la personne qui était au courant. M. Bains a insisté pour dire, au procès, que, lors de la rencontre d'avril 1987, il avait dit à M. Bhandar qu'il ne fallait pas compter sur lui parce qu'il ne savait rien du placement potentiel.

[5]      M. Bains a confirmé que M. Bhandar avait été informé que, pour un investissement de 150 000 $, il recevrait un intérêt de quatre pour cent dans l'entreprise. Il a convenu que M. Bristow estimait que les actions de la société non encore constituée en personne morale émises en faveur de M. Bhandar atteindraient une valeur dépassant les 2 000 000 $ une fois que la société serait cotée en Bourse et que ses actions seraient négociées.

[6]      M. Bhandar a demandé à MM. Bristow et Bains quels étaient leurs investissements dans l'entreprise de téléphones publics. M. Bains lui a dit, d'après ses souvenirs, qu'il avait investi 380 000 $ en argent comptant. Quant à l'investissement de M. Bristow, il a été présenté comme étant de 600 000 $. Au procès, M. Bains a nié avoir dit à M. Bhandar qu'il avait investi 380 000 $. Cette affirmation contredisait directement ce qu'il avait dit lors de l'interrogatoire préalable. En fait, ni M. Bains ni M. Bristow n'avait investi de l'argent à ce moment-là. M. Bhandar a accepté d'investir dans le projet, et il a donc investi 134 000 $ entre avril et juin 1987, 435 994 $ entre janvier et mars 1988 et 674 868 $ durant la période d'avril à août 1988, ce qui représente un total de 1 244 862 $. Ce n'est qu'aux environs du mois d'août 1988 que M. Bains ou Bains Co. a commencé à mettre de l'argent dans l'entreprise.

[7]      La société qui serait ultérieurement connue sous le nom de International Payphone Corp. ( « IPC » ) a été constituée en personne morale selon les lois de la Colombie-Britannique le 8 mai 1987. Les actionnaires dominants au moment de la constitution étaient MM. Bristow et Jerome. En février 1988, MM. Bains et Bhandar ont obtenu le contrôle de IPC.

[8]      Alors que MM. Bains et Bhandar contrôlaient IPC, une société a été constituée dans la Virginie-Occidentale pour la fabrication et l'installation des téléphones publics. M. Bhandar a joué un rôle très actif dans cette société américaine, qui était une filiale en propriété exclusive de IPC. M. Bhandar a déménagé dans la Virginie-Occidentale afin de surveiller les activités de la société américaine. Je crois comprendre que, dans la mesure où il y a eu fabrication de téléphones, c'était la société américaine qui le faisait, aux États-Unis. IPC avait un bureau dans un immeuble appartenant à Bains Co. à Victoria.

[9]      L'entreprise de téléphones publics a échoué, et M. Bhandar a perdu son investissement. M. Bhandar a poursuivi MM. Bains et Bristow en Cour suprême de la Colombie-Britannique pour tromperie, prétendant que MM. Bains et Bristow l'avaient intentionnellement induit en erreur[1] relativement à la question de savoir s'ils avaient investi de l'argent dans l'entreprise de téléphones publics et qu'ils l'avaient fait afin de l'inciter à investir. Le procès a duré cinq jours. Le 29 juin 1992, le juge Lowry a rendu jugement en faveur de M. Bhandar. Le juge Lowry a conclu : [TRADUCTION] « [...] sans hésitation [que] M. Bains a délibérément permis à M. Bristow d'induire M. Bhandar en erreur sur son investissement et celui de M. Bains afin d'inciter M. Bhandar à investir dans le projet. [...] Même si c'est M. Bristow qui a fait les déclarations, M. Bains savait qu'elles étaient fausses et qu'elles induiraient M. Bhandar en erreur. Sa conduite était malhonnête [...] » . M. Bhandar [TRADUCTION] « a été délibérément induit en erreur » par MM. Bains et Bristow. M. Bhandar s'est vu adjuger la somme de 569 994 $ avec intérêts et dépens.

[10]     La poursuite intentée contre M. Bains personnellement n'était pas le seul litige résultant de l'entreprise de téléphones publics[2].

[11]     La poursuite intentée par IPC contre Bains Co., M. Bains et Shirley Thompson, la comptable interne de IPC, visait à récupérer sur des fonds appartenant à IPC des montants de loyer en souffrance. Apparemment, MM. Bains et Bristow ont fait en sorte que IPC émette des chèques totalisant 42 800 $ en faveur de IDM, la société de M. Bristow. Cet argent avait été remis à IPC par M. Bandhar. Au procès, M. Bains a nié toute connaissance de cela. La demande de IPC a été rejetée quand M. Bains a accepté de verser 42 800 $ à IPC.

[12]     La poursuite intentée par la succession Sidhu était fondée sur les mêmes motifs que celle de M. Bhandar contre MM. Bains et Bristow. Mme Sidhu était la soeur de M. Bhandar, et elle a également investi de l'argent dans l'entreprise de téléphones publics. Comme dans le cas de l'action de M. Bandhar, c'est en sa qualité personnelle et non comme administrateur, dirigeant ou employé de Bains Co. que M. Bains était nommé défendeur par la succession. Bains Co. n'était pas une partie dans la poursuite.

[13]     Dans les poursuites intentées par M. Bhandar et IPC, les juges de première instance ont préféré la preuve de M. Bhandar à celle de M. Bains. Le témoignage de M. Bains manquait de crédibilité. Après avoir observé ces deux personnes, je suis d'accord. M. Bains n'était pas un témoin crédible. Je ne crois pas, par exemple, qu'il n'ait pas incité M. Bhandar à supposer qu'il avait investi 380 000 $ dans l'entreprise de téléphones publics. Son déni contredit le témoignage qu'il a donné à l'interrogatoire préalable.

[14]     M. Bains a été interrogé relativement aux états financiers de 1989 de Bains Co. L'exercice de cette société se termine le 31 août. Le 31 août 1988, Bains Co. avait une créance de 239 000 $ sur IPC consistant dans un prêt non remboursé; le 31 août 1989, cette créance était de zéro. D'après l'état des résultats d'exploitation et du déficit de Bains Co. pour les années se terminant le 31 août 1988 et 1989, il semble qu'un prêt de 1 121 405 $ à IPC ait été radié en 1989. L'état de l'évolution de la situation financière de Bains Co. pour ces mêmes périodes indique pour 1989 un prêt de 239 000 $ non remboursé par IPC. M. Bains a expliqué qu'il ne savait pas dresser ces états. Ils n'avaient pas été vérifiés, mais ils avaient été dressés par un comptable agréé. Quoi qu'il en soit, Bains Co. a déduit une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise de 747 603 $ à l'égard de son prêt de 1 121 405 $ à IPC lorsqu'elle a produit sa déclaration de revenus de 1989. La perte déductible au titre d'un placement d'entreprise a été refusée par le fisc parce que l'argent prêté n'a pas servi à une entreprise exploitée au Canada. Une perte en capital a été reconnue.

[15]     En outre, d'après le bilan de Bains Co. au 31 août 1989, cette société n'était pas propriétaire d'actions de IPC. D'après le registre des actionnaires de IPC établi par Mme Thompson, M. Bains, qui, le 15 juillet 1988, avait souscrit pour 4 376 604 $ d'actions de IPC pour un dollar, a transféré 2 971 485 actions à Bains Co. le 30 novembre 1988. (Sur le registre des actionnaires figurent des modifications qu'on ne m'a pas expliquées d'une manière satisfaisante. M. Bains a dit concernant les modifications que c'était l'écriture de Mme Thomson.) De l'avis de M. Bains, Bains Co. [TRADUCTION] « avait droit » à des actions. Il n'y a pas d'autre explication pour cette différence.

Frais juridiques

[16]     On a demandé à M. Bains s'il avait déduit des frais juridiques de 25 000 $ des 42 800 $ qu'il avait accepté de verser à IPC. Il a répondu qu'il ne pouvait le dire avec certitude, mais que c'était possible.

[17]     À sa déclaration de revenus de 1994, Bains Co. a joint un état des revenus et dépenses d'entreprise pour les frais de gestion de projet, qui indiquait des ventes brutes de 421 000 $, des achats nets de 569 994 $ et des intérêts débiteurs de 359 006 $, ce qui donnait une perte d'entreprise de 508 000 $. M. Bains ne pouvait expliquer ou décrire ni les ventes ni les achats. Il a reconnu que les « achats nets » représentaient le montant de dommages-intérêts que Bains Co. avait versé à M. Bhandar en 1994. C'était, d'après lui, le versement d'une somme dont le paiement a été ordonné par la cour dans l'action intentée contre lui par M. Bhandar et n'avait rien à voir avec des frais de gestion de projet quelconques. Les intérêts débiteurs de 359 006 $ représentaient le montant des intérêts accordés par la cour dans la même affaire. M. Douglas Davies, qui a fait la déclaration de revenus de 1994 de M. Bains, a dit qu'il considérait que cet argent représentait [TRADUCTION] « en fait le remboursement à Bhandar de son avance à IPC » .

[18]     En 1990, Bains Co. a déduit une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise de 97 410 $. IPC est devenue insolvable en 1989. Il ne ressort pas clairement de l'état des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise de Bains Co. pour 1990 si la perte était attribuable à des actions de IPC qu'elle détenait ou à des prêts à IPC. L'état des résultats d'exploitation et du déficit de Bains Co. pour l'année indique en fait que Bains Co. a radié un prêt de 97 410 $ à IPC au cours de son exercice 1990. M. Bains semble suggérer que si Bains Co. a subi une perte au titre d'un placement d'entreprise, lui aussi l'a subie.

Arguments et analyse

[19]     La position de M. Bains dans ces appels est la suivante :

a)       M. Bains a promu le projet de téléphones publics en tant qu'administrateur de Bains Co. et non en sa qualité personnelle. M. Bains se défendait contre une action qui a pris naissance dans le cadre de l'exercice par lui de ses fonctions d'employé, de dirigeant ou d'administrateur de Bains Co. Les montants en litige que Bains Co. a pu lui avoir payés étaient des remboursements de sommes qu'il avait déboursées en tant qu'administrateur de Bains Co. Par conséquent, aucun avantage ne lui avait été conféré en tant qu'actionnaire par Bains Co. L'appelant prétend également que les frais juridiques de 84 321 $, de 44 449 $ et de 57 350 $ engagés par Bains Co. pour les années 1994, 1995 et 1996 respectivement sont des dépenses déductibles engagées par et pour Bains Co., et non un avantage imposable conféré à lui.

b)       M. Bains a témoigné que M. Bhandar [TRADUCTION] « a demandé des déductions fiscales pour une partie de son investissement » dans IPC. Il a révélé qu'il avait vu la déclaration de revenus de M. Bhandar pour 1988 ou 1989, laquelle avait été faite par Mme Thompson. Par conséquent, puisque M. Bains avait [TRADUCTION] « remboursé » M. Bhandar en 1994 de ses pertes subies dans l'entreprise de téléphones publics, il s'est [TRADUCTION] « mis à la place » de M. Bhandar et est donc dans la même position que M. Bhandar relativement à la déductibilité fiscale des sommes avancées par lui à M. Bhandar; autrement dit, M. Bains devrait pouvoir déduire à titre de dépense autre qu'en capital la somme de [TRADUCTION] « 929 000 $ dépensée par [lui] » en 1994.

c)       L'appelant soutient qu'il a le droit de reporter à 1997 et à 1998 sa perte autre qu'en capital de 1994.

[20]     Le juge Lowry de la Cour suprême de Colombie-Britannique[3] a conclu à la responsabilité de M. Bains et a rendu jugement en faveur de M. Bhandar, condamnant M. Bains à des dommages-intérêts. D'après l'avocat de l'appelant, c'est une situation analogue à celle qui s'est présentée dans l'affaire McNeill c. Canada[4], où la Cour d'appel fédérale, s'appuyant sur le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans la décision 65302 British Columbia Ltd. c. Canada[5], a conclu que si une amende ou une pénalité infligée pour la violation d'une la loi est déductible parce que rien à l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) ne l'empêche, il s'ensuit que les dommages-intérêts auxquels un tribunal condamne un contribuable par suite d'une rupture de contrat devraient également être déductibles.

[21]     Dans l'arrêt McNeill, précité, l'appelant s'est engagé dans un contrat de vente de son cabinet d'expertise comptable à ne pas exercer sa profession dans une certaine zone pendant cinq ans. Lorsque l'acheteur a résilié le contrat dans la première année parce que l'appelant aurait omis de fournir certains services y prévus, celui-ci a ouvert un cabinet à l'extérieur de la zone visée par la clause restrictive, mais il fournissait des services à des clients à l'intérieur de cette zone. En 1994, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que l'appelant avait contrevenu à la clause restrictive et lui a ordonné de verser des dommages-intérêts s'élevant à 405 908 $. La juge Boyd a dit que [TRADUCTION] « les dommages-intérêts découl[ai]ent d'une violation flagrante et continue du contrat » . L'appelant a déduit ce montant en 1994 conformément à l'alinéa 18(1)a) de la Loi. La Cour canadienne de l'impôt a conclu que les actions de l'appelant avaient eu pour objectif de conserver ses clients et son chiffre d'affaires. La Cour d'appel a donc décidé que les dommages-intérêts avaient été encourus pour gagner un revenu et qu'ils étaient de ce fait déductibles dans le calcul du revenu.

[22]     Me Johnson, l'avocat de appelant, soutient que, dans l'affaire McNeill et dans la présente affaire, il s'agit d'une demande de dommages-intérêts présentée par suite de la violation d'un contrat, et que, dans les deux cas, on a conclu que le dommage a résulté d'actions délibérément entreprises par les personnes en question, actions qui ont donné lieu aux demandes de dommages-intérêts. L'avocat reconnaît que, si la dépense engagée par M. McNeill était un coût attribuable à l'exploitation d'une entreprise, il ne s'agit pas exactement du même genre de dépense dans le cas de M. Bains. Les dommages-intérêts de M. McNeill représentaient la perte de bénéfices qu'a subie, par suite du comportement de M. McNeill, la personne lésée. Les dommages-intérêts que M. Bains a versés à M. Bhandar étaient liés non pas à une perte de bénéfices mais à une perte de capital.

[23]     L'avocat de l'appelant fait valoir que s'il a été permis à M. Bhandar de déduire les pertes qu'il a subies dans l'entreprise de téléphones publics, M. Bains devrait également pouvoir le faire[6]. Il nous renvoie aux motifs du juge Lowry[7], qui a dit que les dommages-intérêts pouvant être obtenus pour cause de tromperie [TRADUCTION] « serviront à rétablir la partie innocente dans la position où elle aurait été si la fausse déclaration à laquelle elle s'est fiée n'avait pas été faite » . De cette observation l'avocat tire la conclusion que M. Bains doit assumer la position de M. Bhandar relativement aux fonds avancés à l'entreprise de téléphones publics. L'avocat déclare [TRADUCTION] « [qu']en payant les dommages-intérêts, [M. Bains] prend la place de M. Bhandar et la question de savoir si les fonds ont été dépensés afin de gagner un revenu et sont en conséquence déductibles, on doit la trancher en se plaçant au moment où M. Bhandar a avancé l'argent » .

[24]     Je ne puis convenir qu'en versant des dommages-intérêts à M. Bhandar, M. Bains adopte en fait la position fiscale de M. Bhandar. Me Johnson n'a rien pu citer à l'appui de cette thèse, et je crois qu'il n'existe rien. Quelle que soit la position fiscale de M. Bhandar par rapport à l'argent qu'il a investi dans IPC, elle n'a aucune pertinence en ce qui concerne les appels en l'espèce. Les déclarations de revenus de M. Bhandar ne m'intéressent pas.

[25]     Si M. Bains a pris la place de M. Bhandar lorsqu'il lui a versé des dommages-intérêts, c'est tout simplement en remboursant à M. Bhandar le capital que celui-ci avait investi dans l'entreprise de téléphones publics et dans IPC. Il se peut fort bien qu'en payant des dommages-intérêts à M. Bhandar, M. Bains ait été subrogé dans tous droits de créancier que M. Bhandar aurait pu détenir à l'égard de IPC. À supposer qu'il en soit ainsi - ce qui n'est pas prouvé - il a été ordonné à M. Bains de verser les dommages-intérêts en 1994 quand IPC était insolvable et avait peut-être cessé d'exister.

[26]     En outre, si M. Bhandar possédait des actions de IPC, ce qui était effectivement le cas d'après le registre des actionnaires de IPC, il est resté propriétaire de ces actions au moment de recevoir de M. Bains le paiement des dommages-intérêts. M. Bains n'est pas devenu propriétaire des actions de IPC appartenant à M. Bhandar. D'ailleurs, rien ne prouve que M. Bhandar ait cédé à M. Bains ses intérêts dans des prêts consentis à IPC. Dans de telles circonstances, on ne peut dire que M. Bains ait versé le montant des dommages-intérêts en vue de tirer un revenu d'un bien pouvant consister dans des actions ou dans des prêts à IPC.

[27]     M. Bains n'exploitait pas une entreprise quand lui et M. Bristow ont rencontré M. Bhandar pour promouvoir le projet de téléphones publics. Il n'existe aucune preuve que les efforts de M. Bains en vue d'obtenir l'argent de M. Bhandar par la tromperie se soient inscrits dans le cadre d'une entreprise qu'il exploitait alors ou d'une entreprise à caractère commercial. On ne m'a présenté aucune preuve quant à l'objet ou à l'intention véritables de M. Bains lorsqu'il a amené M. Bhandar à investir dans le projet de téléphones publics. Pensait-il à un investissement légitime ou à autre chose? Les dommages-intérêts versés à M. Bhandar par M. Bains représentaient des frais personnels de M. Bains au sens de l'alinéa 18(1)h) de la Loi. À ce titre, ils ne sont pas déductibles dans le calcul du revenu de M. Bains pour 1994, et il n'avait pas de pertes autres qu'en capital en 1994, lorsqu'il a été obligé de verser les dommages-intérêts après que la Cour d'appel eut confirmé la décision du juge Lowry. Il n'existe aucune perte autre qu'en capital à reporter à 1995 et à 1996[8].

[28]     Le juge Iacobucci a reconnu que si une amende n'est pas encourue en vue de gagner un revenu, elle ne peut être déduite. Il a également fait une mise en garde en évoquant la possibilité

qu'une infraction puisse être à ce point flagrante ou répugnante que l'amende imposée par la suite ne puisse se justifier comme ayant été encourue en vue de tirer un revenu [...][9]

[29]     J'ai conclu que les dommages-intérêts versés par M. Bains n'ont pas été encourus en vue de gagner un revenu. Toutefois, même si j'ai commis une erreur en concluant ainsi, les actions de M. Bains en soutirant de l'argent à M. Bhandar relèvent du genre d'infraction flagrante ou répugnante dont le juge Iacobucci dit que la sanction qu'elle entraîne ne pourrait se justifier comme ayant été encourue en vue de gagner un revenu.

[30]     En ce qui concerne les frais juridiques payés par IPC, rien ne prouve que Bains Co. ait autorisé M. Bains à titre de dirigeant, d'employé ou d'administrateur à agir comme il l'a fait comme son mandataire. En outre, les actions de M. Bains étaient au-delà des pouvoirs d'un administrateur d'une société constituée en Colombie-Britannique. Il n'existe aucune preuve que Bains Co. ait engagé les frais juridiques pour défendre ses pratiques commerciales ou sa réputation ou un aspect quelconque de ses activités d'entreprise en exploitation, et il ne les a pas engagés pour défendre un employé, un dirigeant ou un administrateur accusé d'avoir commis un acte illégal ou illicite dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise. Le juge Lowry a mentionné la conduite peu louable de M. Bains. Il n'a pas dit que Bains Co. y était impliquée. Bains Co. n'était pas une défenderesse dans l'action. Je ne crois pas M. Bains quand il dit qu'il agissait en sa qualité d'administrateur lorsqu'il a commis les actes trompeurs pour lesquels il a été personnellement condamné à des dommages-intérêts. Les frais juridiques versés par Bains Co. l'ont été au bénéfice de M. Bains et le montant de ces frais doit être inclus dans son revenu pour les années 1994, 1995 et 1996.


[31]     Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'avril 2003.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2005.

Erich Klein, réviseur



[1] Bhandar v. Bains, Bristow et al., [1992] B.C.J. 1470 (Q.L.), confirmé par [1994] B.C.J. No. 447 (B.C.C.A.) (Q.L.). Voir également une série de causes intitulées Baines v. Bhandar : [1997] B.C.J. No.1686 (Q.L.); [1999] B.C.J. No. 95 (C.A.) (Q.L.); [2000] B.C.J. No. 1677 (C.A.) (Q.L.); et [2000] B.C.J. No. 2436 (C.A.) (Q.L.).

[2] Voir Merchants National Bank v. Bhandar, [1990] B.C.J. No. 2849 (B.C.C.A.) (Q.L.), B.C.S.C. (non publié) No. 89-637 (Q.L.), le 11 avril 1996, le juge Drake; International Payphone Corp. v. Bains, Bains Developments Ltd. and Shirley Thompson, [1993] B.C.J. No. 782 (Q.L.), B.C.S.C. (non publié) le 22 septembre 1993, le juge Meredith; Sidhu Estate v. Bains, [1996] B.C.J. No. 1246 (Q.L.) (B.C.C.A.), confirmant [1994] B.C.J. 2001 (Q.L.) (B.C.S.C.).

[3] Bhandar v. Bains, Bristow et al., précité, note 1.

[4] [2000] 4 C.F. 132 (C.A.).

[5] [1999] 3 R.C.S. 804, 99 DTC 5814.

[6] Il n'existe aucune preuve montrant ce qu'a fait le fisc dans le cas de M. Bhandar.

[7] Bhandar v. Bains, Bristow et al., précité.

[8] L'appelant n'allègue pas de façon subsidiaire qu'il a subi une perte au titre d'un placement d'entreprise. D'ailleurs, une telle position serait impossible à soutenir puisque IPC n'était pas une société exploitant une petite entreprise au sens du paragraphe 248(1). L'exploitation active de l'entreprise de téléphones publics se faisait en Virginie-Occidentale, et les biens de cette entreprise étaient aux États-Unis. Il n'y a aucune preuve que IPC exploitait activement une entreprise au Canada.

[9] 65302 British Columbia Ltd., précité, par. 69.

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