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Dossier : 2004-1107(IT)I

ENTRE :

HEIDI FAWKES,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu le 20 septembre 2004, et jugement rendu oralement le 24 septembre 2004 à Winnipeg (Manitoba)

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Robert C. Lee

 

Avocat de l’intimée :

Me Michael Van Dam

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de septembre 2004.

 

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de mai 2008.

 

 

 

Jean David Robert, traducteur


 

 

 

Référence : 2004CCI653

Date : 20040927

Dossier : 2004-1107(IT)I

ENTRE :

HEIDI FAWKES,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience le 24 septembre 2004.)

 

Le juge Hershfield

 

[1]     L’appelante interjette appel de la nouvelle cotisation établie à son égard pour l’année d’imposition 2002, dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus dans son revenu le montant de 10 000 $, que l’appelante avait exclu de celui‑ci en tant que somme non imposable reçue dans le cadre du règlement d’une réclamation qu’elle déclare être liée à une violation des droits de la personne commise relativement à la perte de son emploi.

 

[2]     Le ministre a considéré le montant en cause comme une « allocation de retraite » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et l’a inclus dans le revenu de l’appelante en application du sous‑alinéa 56(1)a)(ii) de la Loi. En conséquence, la seule question litigieuse en l’espèce consiste à savoir si le paiement en cause est une allocation de retraite au sens de la Loi.

 

[3]     L’appelante a témoigné pour son propre compte, et l’intimée a cité un dirigeant de l’ancien employeur de l’appelante, Groupe Investors (ci‑après « Investors »), à savoir Roger Blanchette, vice‑président, Communication de l’information financière, dont relevait l’appelante pendant qu’elle était employée par Investors.

 

[4]     L’appelante est une comptable agréée qui a été employée par Investors de décembre 1995 jusqu’à son licenciement, en février 2002. Avant son licenciement, elle avait été en congé de maternité depuis le 26 février 2001. Après avoir été informée de son licenciement quelques jours auparavant, elle a eu une rencontre avec M. Blanchette le 8 février 2002, au cours de laquelle il lui a présenté une offre d’indemnité de cessation d’emploi (l’« offre d’indemnité de cessation d’emploi de février »).

 

[5]     Avant d’examiner les modalités de l’offre ainsi que les négociations et les événements subséquents à celle‑ci, il serait utile de décrire brièvement l’emploi que l’appelante exerçait auprès de Investors avant de partir en congé de maternité en février 2001. Pendant les années où elle a travaillé auprès de Groupe Investors, l’appelante assumait les fonctions de gestionnaire du service de financement des entreprises. Il n’a pas été contesté que l’appelante était une employée appréciée. Elle s’occupait de la supervision des aides‑comptables et des analystes, et ses responsabilités comprenaient le rapprochement et l’analyse des comptes créditeurs, de même que les recherches comptables et la vérification de l’observation des règles comptables. L’appelante a témoigné qu’elle travaillait de longues heures à l’établissement des rapports de fin de mois et trimestriels, et, plus particulièrement, qu’elle travaillait sept jours par semaine en janvier et en février, chaque année, à l’établissement des rapports annuels. Je constate aussi qu’elle avait reçu un prix pour avoir fourni un rendement élevé soutenu dans l’exercice de ses fonctions tout en assumant les responsabilités de gestion d’une collègue pendant que celle‑ci était, par coïncidence, en congé de maternité en 1999. L’appelante avait été couverte de grands éloges à l’occasion de sa nomination pour ce prix, qui vise à reconnaître une capacité impressionnante à accepter l’effort et la pression supplémentaires associés au fait d’assumer des responsabilités additionnelles.

 

[6]     Le salaire de base de l’appelante était de quelque 60 000 $ par année, et ses primes annuelles, au cours des trois années précédant son congé, étaient, en moyenne, supérieures à 8 000 $. Sa rémunération annuelle, y compris ces primes et tous les avantages sociaux, était d’environ 77 000 $.

 

[7]     Bien que le mérite de l’appelante en tant qu’employée ne soit pas contesté, il existe deux points de vue très différents quant aux raisons de son licenciement.

 

[8]     L’appelante admet qu’on lui a dit que son poste avait été supprimé à cause d’une restructuration qui n’avait rien à voir avec son congé de maternité ou sa condition parentale. Cependant, elle soupçonne ou est même convaincue que ce n’est pas tout. Son congé de maternité lui a d’abord été accordé pour la période du 26 février 2001 au 24 juin 2001 (pièce R‑2), mais a ensuite été prolongé à dix mois, puis à un an. Lorsque l’appelante avait appelé M. Blanchette au début de février 2002 pour confirmer les modalités de son retour au travail, il lui avait dit qu’il n’y avait plus d’emploi pour elle à Investors. Bien qu’on l’ait informée que son licenciement était attribuable à des compressions, à des restrictions financières et à une restructuration, elle était méfiante et l’est toujours. Elle a témoigné qu’elle avait parlé à d’anciens collègues et qu’elle avait eu en quelque sorte l’impression que son licenciement n’aurait peut‑être pas été le résultat des soi‑disant compressions et de la restructuration. Son témoignage à cet égard constituait, au mieux, du ouï‑dire vague et non corroboré. Tout de même, je crois que l’appelante est sincère dans ses soupçons et ses conjectures selon lesquels son congé de maternité prolongé et sa maternité avaient nui à la perception qu’avait son employeur de son éthique du travail ou de sa capacité d’accepter la charge de travail qu’elle devait supporter dans son poste. Avec un enfant, elle ne serait plus aussi disponible qu’avant, ce qui constituait, elle en est convaincue, la véritable raison de son licenciement. L’appelante a affirmé qu’après son licenciement elle avait appelé le bureau de la Commission des droits de la personne du Manitoba (la « Commission ») et qu’on lui avait dit, au téléphone, qu’elle pourrait avoir une plainte valide. Elle n’a pas porté plainte auprès de la Commission et n’a pas fait d’autres démarches en ce sens.

 

[9]     M. Blanchette a témoigné que l’appelante était une employée appréciée et qu’une restructuration effectuée au sein de Groupe Investors était la seule raison de la suppression de son emploi. Investors avait récemment fusionné avec la société McKenzie Financial, ce qui a donné lieu à la nécessité d’éliminer le chevauchement des tâches qui en avait résulté. De plus, il y avait eu un repli prolongé des marchés, et les fonds communs de placement, en particulier, avaient fait l’objet de rachats importants. Investors faisait preuve de retenue sur le plan financier en resserrant les contrôles et en éliminant des dépenses. Il y avait eu un blocage du recrutement et une directive de réduire les dépenses de personnel. M. Blanchette a témoigné que, par suite de la réaffectation des effectifs, le poste occupé par l’appelante avait été éliminé. Il a nié l’existence d’une raison quelconque, à part la restructuration, expliquant la suppression du poste de l’appelante et le fait qu’aucun autre emploi n’a pu lui être offert par la société.

 

[10]    L’offre d’indemnité de cessation d’emploi de février a été établie par le Service de ressources humaines de Groupe Investors et signée par M. Blanchette. Malgré le caractère immédiat de la cessation d’emploi, le salaire du mois de février 2002 a été payé. M. Blanchette a expliqué que, bien que le congé de maternité de l’appelante n’ait pas pris fin et que la cessation d’emploi ait été immédiate, le paiement du salaire pour le mois de février ainsi que d’autres avantages sociaux était considéré comme un geste approprié, en plus du versement d’une indemnité de licenciement égale à 18 semaines de salaire, soit trois semaines de salaire par année d’emploi. L’indemnité de cessation d’emploi totale indiquée dans l’offre d’indemnité de cessation d’emploi de février était calculée ainsi :

 

Salaire de février :

5 025 $

 

 

Paie de vacances :

         5 221

 

 

Indemnité de licenciement :

       21 000

(3 semaines par année de service en fonction du salaire « de base »)

 

Primes perdues :

        8 185

(moyenne pour les 3 dernières années)

 

Participation prolongée au Programme d’escompte sur hypothèque :

 

 

          400

 

 

(valeur approximative)

 

39 831 $

 

 

[11]    L’offre confirmait que le licenciement n’était aucunement lié au rendement ou au caractère de l’appelante, et il y était indiqué qu’une lettre de recommandation était jointe à l’offre. De plus, l’appelante y était incitée à consulter un conseiller juridique indépendant.

 

[12]    Après avoir reçu l’offre d’indemnité de cessation d’emploi de février, l’appelante a bel et bien retenu les services d’un conseiller juridique, et, le 19 février 2002, l’avocat de l’appelante a écrit une lettre à M. Blanchette (la « réponse de février »), dans laquelle il a soutenu qu’il y avait eu contravention aux dispositions du paragraphe 60(2) du Code des normes d’emploi du Manitoba et violation apparente des dispositions du Code des droits de la personne du Manitoba – cette dernière loi prohibe toute discrimination fondée sur le sexe à l’égard de circonstances reliées à un emploi, ce qui comprend la grossesse, la possibilité de grossesse ou les circonstances se rapportant à la grossesse. Le paragraphe 60(2) du Code des normes d’emploi dispose que les employeurs sont tenus de réintégrer une employée dans le même poste ou dans un poste comparable à la fin de son congé de maternité. Dans la réponse de février, il est indiqué, en outre, que, [traduction] « tout à fait indépendamment » des questions législatives, le licenciement représentait un congédiement injustifié donnant à l’appelante le droit à un paiement en guise et lieu de préavis raisonnable.

 

[13]    Selon mon interprétation de la réponse de février donnée à l’offre d’indemnité de cessation d’emploi de février, cette réponse contenait une contre‑proposition portant principalement sur l’indemnité de licenciement égale à 18 semaines de salaire, mais, en général, elle accueillait favorablement les autres aspects de l’offre. Selon la contre‑proposition, l’appelante devrait recevoir, compte tenu des circonstances, une indemnité de licenciement égale à huit à neuf mois de salaire en guise et lieu de préavis, et le calcul de cette indemnité devrait être fondé sur la valeur totale de 77 000 $ de la rémunération et des avantages (non pas sur son salaire de base). Ainsi, si l’on retient une indemnité de licenciement égale à neuf mois de salaire en guise et lieu de préavis, le montant de l’indemnité de licenciement s’élèverait à 57 750 $. La réponse de février énonce, en outre, qu’une indemnité supplémentaire pourrait être justifiée compte tenu de la conduite de mauvaise foi de l’employeur qui ressort des circonstances entourant le congédiement de l’appelante. Le montant proposé à titre d’indemnité additionnelle correspondait à un mois ou deux de salaire supplémentaires, somme qui ferait passer le montant de l’indemnité de licenciement à 70 583 $ avant que ne soient prises en compte les violations des dispositions législatives mentionnées ci‑dessus. Dans la réponse de février, il est ensuite indiqué qu’un calcul approprié de l’indemnité devrait tenir compte des [traduction] « violations apparentes » des dispositions en question, qui donneraient à l’appelante le droit de réintégrer son emploi. De plus, il y est mentionné que la renonciation à ce droit devrait donner lieu au paiement d’une somme supplémentaire importante à l’appelante.

 

[14]    Compte tenu de toutes les considérations susmentionnées, la contre‑proposition présentée dans la réponse de février était la suivante :

 

Salaire de février :

5 025 $

 

 

Paie de vacances :

                 5 221

 

 

Indemnité de licenciement (toutes les réclamations) :

 

               55 000

 

 

Primes perdues :

                 8 185

 

 

Participation prolongée au Programme d’escompte sur hypothèque :

 

 

 

                 2 000

 

 

(valeur de la prolongation)

 

Frais juridiques :

                 1 000

                  76 431 $

 

 

 

 

 

[15]    À ce stade‑ci, je constate que cette proposition, abstraction faite de la paie de vacances prévue par la loi, correspond à peu près à l’indemnité de licenciement égale à 11 mois de salaire proposée dans la réponse de février avant qu’il ne soit tenu compte de toute suggestion selon laquelle une indemnité supplémentaire serait appropriée pour la renonciation aux droits de réintégration dont l’appelante a prétendu pouvoir se prévaloir en raison de la violation de certaines dispositions législatives, y compris de prétendues violations des droits de la personne. Bien que la reconstitution des négociations à laquelle je viens de procéder pour m’aider à répartir la somme reçue entre les différentes catégories de dommages‑intérêts que l’appelante prétend avoir subis soit inévitablement imparfaite, au moins cette approche démontre que l’appelante ne peut pas établir, même selon la prépondérance des probabilités, que son avocat cherchait à obtenir une somme particulière quelconque à l’égard de la violation des droits de la personne reprochée à son employeur. Il s’agissait d’une menace dont son avocat s’est servi pour tenter d’obtenir une plus grande indemnité de cessation d’emploi.

 

[16]    En retour à la réponse de février, le service juridique de Investors a fait connaître la position de la société. Il a nié tout congédiement injustifié et a déclaré que Investors s’était conformée au Code des normes d’emploi et au Code des droits de la personne compte tenu de la restructuration à laquelle elle avait procédé au sein du service de l’appelante. Pour éviter d’avoir à payer les services d’un avocat de l’extérieur, Investors a présenté à l’appelante une offre plus attrayante. Le montant de l’indemnité de licenciement a été porté à 25 142 $, somme qui était égale à cinq mois de salaire de base. La participation de l’appelante au Programme d’escompte sur hypothèque a été prolongée jusqu’à la fin de la durée du prêt hypothécaire, comme cela avait été demandé dans la réponse de février, et un programme d’orientation professionnelle d’une valeur de 2 500 $ a aussi été offert.

 

[17]    En réponse à la nouvelle offre de Investors, l’avocat de l’appelante a indiqué qu’une indemnité de licenciement égale à cinq mois de salaire et calculée en fonction de la valeur totale de la rémunération et des avantages (ce qui équivaut à environ 32 000 $) serait appropriée si la seule réclamation possible concernait un congédiement injustifié. Il a encore une fois fait valoir le droit de l’appelante de toucher une indemnité supplémentaire en raison des violations des dispositions législatives qui ont été commises et en contrepartie de la renonciation de l’appelante à revendiquer ses droits de réintégration devant la Commission des droits de la personne. La réponse de l’avocat faisait aussi état de dommages supplémentaires de 6 200 $ subis à l’égard de la perte de droits de cotisation au REER, et il y était demandé que la valeur du programme d’orientation professionnelle de 2 500 $ soit ajoutée au montant de l’indemnité forfaitaire de licenciement. Une indemnité forfaitaire de licenciement de 45 000 $ (inférieure aux 55 000 $ demandés dans la réponse de février) a été proposée pour le règlement de toutes ces réclamations (y compris l’indemnité de 32 000 $ pour le congédiement injustifié).

 

[18]    Après un autre échange de correspondance effectué à titre de « négociation », l’offre d’indemnité de cessation d’emploi définitive se présentait ainsi :

 

Salaire de février :

5 025 $

 

 

Paie de vacances :

                 5 221

 

 

Indemnité de licenciement (toutes les réclamations) :

 

 

               40 000

 

 

Primes perdues :

                 8 185

 

 

Participation prolongée au Programme d’escompte sur hypothèque :

 

 

                 2 000

 

 

(valeur de la prolongation)

 

Frais juridiques :

                 1 300

61 731 $

 

 

 

 

 

[19]    L’avocat de l’appelante fait valoir que l’augmentation du montant de l’indemnité de cessation d’emploi totale offerte (de quelque 22 000 $) doit, en partie, être considérée comme correspondant à une indemnité payée pour compenser le préjudice découlant de la violation des droits de la personne ou à un paiement distinct versé pour obtenir la renonciation de l’appelante à introduire un recours relatif à cette violation. Il affirme que l’estimation de l’appelante selon laquelle la fraction de l’indemnité totale qui a été payée à cette fin s’élève à 10 000 $ est raisonnable. L’avocat de l’intimée allègue qu’aucune répartition du montant payé à l’appelante n’a été effectuée dans le cadre du règlement et qu’aucune répartition n’est appropriée étant donné que l’indemnité de cessation d’emploi se rapportait entièrement à la perte d’emploi et que cette indemnité était imposable à titre d’« allocation de retraite » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi.

 

[20]    L’expression « allocation de retraite » est ainsi définie à l’article 248 de la Loi :

 

« allocation de retraite » Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès d’un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un contribuable ou, après son décès, par une personne qui était à sa charge ou qui lui était apparentée, ou par un représentant légal du contribuable :

 

a)          soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d’une charge ou d’un emploi ou par la suite;

 

b)          soit à l’égard de la perte par le contribuable d’une charge ou d’un emploi, qu’elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d’un tribunal compétent. [Non souligné dans l’original.]

 

[21]    L’avocat de l’intimée se fonde sur les décisions Niles c. Canada, [1991] A.C.I. nº 118 et Jolivet c. Canada, [2000] A.C.I. nº 48.

 

[22]    Dans l’affaire Niles, l’appelant a affirmé qu’il avait été licencié dans des circonstances équivalant à de la discrimination, et une plainte officielle a été déposée. Un règlement avait été conclu avant que la Commission ontarienne des droits de la personne ne rende un jugement à l’égard de la plainte. Il a été soutenu qu’une partie de la somme de 5 000 $ payée dans le cadre du règlement avait été versée à titre de dommages-intérêts généraux relativement à l’allégation de discrimination et que, selon les précédents Re Piazza et al et Airport Taxicab et al, (1989) 60 DLR 759 (C.A. Ontario), une distinction devait être faite entre de tels dommages‑intérêts et les dommages‑intérêts pour congédiement injustifié. Bien que le juge Sobier ait convenu qu’une indemnité qui doit être versée par suite d’une violation d’un code des droits de la personne était différente de dommages‑intérêts pour congédiement injustifié, il a écarté ces précédents du fait que, dans l’affaire dont il était saisi, aucuns dommages‑intérêts n’avaient été ordonnés par la commission à l’égard de l’allégation de discrimination en soi. Plus particulièrement, il a conclu que tous les facteurs se rapportant au paiement en cause laissaient à penser qu’il avait été effectué par suite d’une perte d’emploi et que le règlement visait à indemniser l’appelant de cette perte. Bien que cette décision évoque la possibilité que le règlement d’une allégation de discrimination ne soit pas suffisant pour dissocier le paiement connexe des dommages‑intérêts pour perte d’emploi, je ne suis pas d’accord pour dire que le jugement consacre ce principe. Le fondement de cette décision consiste selon moi à dire que si les facteurs pertinents indiquent qu’un règlement a été conclu à l’égard de la perte d’emploi, alors la somme versée dans le cadre du règlement est une allocation de retraite imposable.

 

[23]    L’expression « à l’égard de » utilisée dans la définition du terme « allocation de retraite » a une large portée, comme il est reconnu dans la décision Niles. Elle signifie, entre autres, « en rapport avec ». Il est intéressant de noter à cet égard que, dans l’avis d’appel, la somme reçue à l’égard de la violation des droits de la personne a été décrite comme étant reçue à l’égard d’une violation qui [traduction] « avait été commise en rapport avec la perte de l’emploi de l’appelante ». Il est difficile d’exprimer les deux réclamations sans reconnaître le « rapport » qui les unit, à moins que les facteurs pertinents concernant la somme adjugée ou le règlement ne révèlent l’existence d’une violation qui n’a, en soi, aucun rapport avec la perte d’emploi, telle qu’un préjudice personnel ou un préjudice à la dignité humaine qui vont au‑delà de la simple perte d’emploi et qui feraient l’objet de réclamations distinctes indépendamment de la perte d’emploi. En l’espèce, la part du paiement versé dans le cadre du règlement qui serait attribuable à la réclamation en matière de droits de la personne semble être liée à la réintégration, et la renonciation de l’appelante à la demander a un rapport clair et substantiel avec l’indemnité pour la perte d’emploi. En d’autres mots, il apparaît que l’avocat de l’intimée se fonde à juste titre sur la décision Niles étant donné qu’en l’espèce, comme dans cette affaire, tous les facteurs relatifs au paiement indiquent qu’il a été effectué à l’égard de la perte d’emploi ou en rapport avec celle‑ci, et que le règlement visait à indemniser l’appelante de cette perte.

 

[24]    Dans la décision Jolivet, la juge Lamarre a examiné une allégation selon laquelle des sommes payées à la partie appelante pour qu’elle ne fasse valoir aucune réclamation en application du Code canadien du travail, de la Loi sur les normes d’emploi de l’Ontario ou d’autres lois similaires ne constituaient pas une allocation de retraite. La réclamation présentée dans cette affaire découlait d’un prétendu congédiement arbitraire. La juge Lamarre a conclu qu’il existait un lien suffisant entre le paiement reçu et la perte d’emploi. Elle a fait observer que la renonciation signée par l’appelante dans cette affaire prévoyait particulièrement qu’il n’y avait aucune reconnaissance de responsabilité par l’employeur et que celui-ci niait être responsable. En l’espèce, l’avocat de l’appelante a reconnu que la renonciation signée par sa cliente comprenait des dénégations similaires à l’égard de toute violation des droits de la personne. Bien que je ne croie pas qu’une dénégation de responsabilité entraîne nécessairement le rejet d’une prétention selon laquelle les dommages‑intérêts se rapportent à autre chose qu’à une perte d’emploi, il doit tout de même y avoir des facteurs indiquant que la réclamation en dommages‑intérêts existe indépendamment de la perte d’emploi. Dans l’affaire Jolivet, aucun facteur de cette sorte n’existait. La situation est la même en l’espèce, donc l’avocat de l’intimée se fonde à juste titre sur les décisions Jolivet et Niles.

 

[25]    L’avocat de l’appelante s’appuie fortement sur le bulletin d’interprétation IT‑337R4, Allocations de retraite, et la décision Stolte v. The Queen, [1996] 2 C.T.C. 2421.

 

[26]    En ce qui concerne le bulletin d’interprétation IT‑337R4 (le « bulletin »), l’avocat de l’appelante cite le paragraphe 12, dans lequel l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») reconnaît qu’il peut être considéré que les dommages‑intérêts pour préjudice personnel n’ont aucun rapport avec la perte de l’emploi et, donc, qu’ils ne sont pas imposables. Le harcèlement dont serait victime un employé pendant qu’il occupe son emploi ou les diffamations qu’il subirait après avoir été renvoyé sont donnés en exemple, vraisemblablement pour illustrer une situation où des dommages‑intérêts de nature différente sont regroupés dans une indemnité de cessation d’emploi. Il s’agit là de facteurs pertinents qui justifieraient une « dissociation » des dommages‑intérêts pour perte d’emploi des dommages‑intérêts pour préjudice personnel. Cependant, le bulletin énonce ensuite que : « Lorsque la perte d’un emploi est liée à une violation des droits de la personne et qu’il y a un règlement hors cour, une somme raisonnable à l’égard des dommages‑intérêts généraux peut être exclue du revenu. »

 

[27]    Je ne peux pas reprocher à l’avocat de l’appelante d’avoir maintenu avec persistance que cette affirmation rend compte de l’état du droit, et que la situation est frustrante lorsque l’ARC ne semble pas adhérer à ses propres lignes directrices. L’avocat de l’intimée a fait valoir que le traitement apparemment différent accordé à l’appelante en l’espèce était justifié étant donné qu’aucune plainte n’avait été déposée auprès de la Commission des droits de la personne. Cela ne devrait pas être le critère. Celui‑ci doit consister à savoir s’il existe un lien suffisant entre le paiement reçu et la perte d’emploi. Cependant, dans les affaires comme la présente espèce, où l’on utilise la menace de faire valoir une réclamation en matière de droits de la personne « apparemment » justifiable pour demander la réintégration dans le poste ou une réclamation pour de vagues dommages‑intérêts additionnels dans le but d’obtenir une indemnité de cessation d’emploi élevée, le lien entre le paiement et la perte de l’emploi est suffisant pour faire entrer la totalité de la somme reçue dans la définition du terme « allocation de retraite » donnée dans la Loi, malgré toute insinuation contraire énoncée dans le bulletin.

 

[28]    La décision Stolte du juge en chef adjoint Bowman n’appuie pas non plus, à mon avis, la position de l’appelante. Dans cette affaire, le juge a accepté la preuve selon laquelle les dommages‑intérêts versés à la partie appelante visaient à la dédommager non pas de la perte de son emploi, mais plutôt des préjudices physique et moral que lui avait causés son employeur avant la cessation d’emploi. Le juge en chef adjoint Bowman a confirmé que les sommes reçues au moment de la cessation d’emploi ne sont pas toutes des allocations de retraite, ce qui revient à dire que l’exclusion des dommages‑intérêts se rapportant aux préjudices subis avant la cessation d’emploi, mais qui sont constatés et inclus dans une indemnité de cessation d’emploi, est appropriée lorsqu’il s’agit de décider quelles sommes doivent être considérées comme une allocation de retraite au sens de la Loi. Ce principe n’est d’aucun secours à l’appelante en l’espèce. Dans la présente cause, l’appelante n’a pas allégué avoir subi de préjudice avant la cessation d’emploi.

 

[29]    Finalement, je souhaite faire certains commentaires sur la prémisse de l’avocat de l’appelante selon laquelle les paiements versés en sus des montants acceptés auxquels s’élèvent normalement les indemnités pour licenciement sans préavis ou pour congédiement injustifié doivent être considérés comme ayant été reçus à l’égard d’un préjudice personnel découlant d’une violation des droits de la personne dans une affaire comme celle‑ci, où les circonstances appuient, d’une façon générale, la position consistant à soutenir qu’il existe une réclamation viable et que le particulier ayant reçu la somme supplémentaire croyait honnêtement qu’il recevait un paiement à titre de dédommagement pour la renonciation à son de droit de faire valoir sa réclamation. D’abord, je ne suis pas convaincu qu’une somme supplémentaire a été payée. Les précédents cités démontrent que des règles générales comme celle qui prévoit une indemnité de licenciement égale à un mois de salaire pour chaque année de service sont, au mieux, des lignes directrices approximatives. Dans la décision Whelehan v. Laidlaw Environmental Services Ltd., 1998‑04‑15, nº de dossier C974146, Institut canadien d’information juridique, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a ordonné le paiement d’une indemnité de licenciement égale à huit mois de salaire à une cadre supérieure appréciée d’une entreprise, qui avait été employée pendant cinq ans et quatre mois, et qui avait été licenciée dans des circonstances très semblables à celles dans lesquelles s’est retrouvée l’appelante en l’espèce. Dans la présente affaire, le montant du règlement (quelque 71 000 $, déduction faite de la paie de vacances prévue par la loi) correspondait à environ 11 mois de salaire calculés en fonction de la valeur annuelle totale de la rémunération et des avantages de l’appelante, ce qui, selon la réponse de février, était approprié sans qu’il soit tenu compte des violations reprochées à l’employeur (voir le paragraphe 13 des présents motifs). De plus, le règlement prévoit le versement de sommes additionnelles censées représenter des témoignages de bonne foi, telles que le salaire de février et la valeur d’un programme d’orientation professionnelle. Le règlement tient aussi compte des pertes subies à l’égard des droits de cotisation à un REER. En outre, M. Blanchette a fait clairement savoir que le règlement avait été conclu, selon le point de vue de Investors, parce que la société considérait que les services d’un avocat de l’extérieur seraient plus coûteux que le règlement négocié. Quant au point de vue de l’appelante, je ne doute pas qu’elle croit avoir été licenciée pour des raisons autres qu’une restructuration de Investors, mais son indemnité de cessation d’emploi a été négociée par son avocat – il est son mandataire. Ce qu’il a négocié en tant que son mandataire ne correspond pas à des dommages‑intérêts compensatoires n’ayant aucun lien avec la perte d’emploi. En effet, ce qu’il a obtenu est une très bonne indemnité de cessation d’emploi découlant de diverses réclamations toutes reliées, directement reliées, à la perte d’emploi de l’appelante. La réclamation se rapportant à une violation des droits de la personne a été formulée par son avocat de diverses façons, mais, en particulier, elle a été présentée dans la réponse de février comme une demande de réintégration, et la renonciation à une telle demande est inextricablement liée à des dommages‑intérêts pour perte d’emploi.

 

[30]    Quoi qu’il en soit, comme je l’ai mentionné précédemment, l’appelante n’est pas en mesure de s’acquitter du fardeau qui lui incombe de prouver que quelque partie que ce soit de l’indemnité qu’elle a reçue était attribuable à juste titre à une violation des droits de la personne. Les parties ont adopté diverses positions successives lors de leurs négociations, de sorte que la somme reçue peut être répartie de différentes manières. Le fait qu’il soit possible de répartir cette somme en tenant compte de la renonciation à une réclamation en matière de droits de la personne n’est pas suffisant.

 

[31]    En conclusion, l’appel est rejeté au motif que le montant total du paiement obtenu par l’appelante constituait des dommages‑intérêts reçus à l’égard d’une perte d’emploi et, par conséquent, une allocation de retraite. Le lien entre le paiement reçu et la perte d’emploi est plus que suffisant en l’espèce, et l’appelante n’a touché aucune somme qui peut être raisonnablement considérée comme n’ayant, en soi, aucun rapport avec la perte d’emploi. De plus, la preuve dont elle est saisie ne permettrait pas à la Cour d’attribuer un montant quelconque à une réclamation n’ayant aucun rapport avec la perte d’emploi, même si une telle réclamation existait.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de septembre 2004.

 

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de mai 2008.

 

 

 

Jean David Robert, traducteur


 

 

RÉFÉRENCE :

2004CCI653

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-1107(IT)I

 

INTITULÉ :

Heidi Fawkes et

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 septembre 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Robert C. Lee

 

Avocat de l’intimée :

Me Michael Van Dam

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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