Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2003-1640(EI)

ENTRE :

MICHELINE CÔTÉ,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 26 janvier 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimé :

Me Nancy Dagenais

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi ( « Loi » ) est admis et la décision rendue par le ministre du Revenu national en date du 10 mars 2003 est modifiée en tenant pour acquis que l'emploi occupé par l'appelante auprès de la société Les Murs Secs DM Inc. au cours de la période du 5 novembre 2001 au 9 novembre 2002 n'était pas exclu des emplois assurables, aux termes des alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de février 2004.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


Référence : 2004CCI116

Date : 20040205

Dossier : 2003-1640(EI)

ENTRE :

MICHELINE CÔTÉ,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]      L'appelante en appelle d'une décision du ministre du Revenu national ( « Ministre » ) par laquelle celui-ci a déterminé que l'emploi exercé par l'appelante auprès de la société Les Murs Secs DM Inc. ( « le payeur » ), au cours de la période du 5 novembre 2001 au 9 novembre 2002, était exclu des emplois assurables aux termes des alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi ( « Loi » ). Ces dispositions se lisent comme suit :

5.(2)     N'est pas un emploi assurable :

            [...]

i)     l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

5.(3)     Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

            [...]

b)    l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir un lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[2]      Le Ministre a conclu que l'emploi exercé par l'appelante n'était pas assurable durant la période en litige puisqu'il existait un lien de dépendance entre l'appelante et le payeur et que les conditions de travail n'auraient pas été semblables si un tel lien de dépendance n'avait pas existé (voir paragraphes 6, 7 et 8 de la Réponse à l'avis d'appel ( « Réponse » )). Les présomptions de fait sur lesquelles le Ministre s'est fondé pour rendre sa décision se retrouvent au paragraphe 5 de la Réponse et se lisent comme suit :

a)          Le payeur, constitué en société en 1998, exploitait une entreprise de construction spécialisée dans le tirage de joints de gypse.

b)          M. Michel Dion, conjoint de l'appelante, était l'unique actionnaire et le président du payeur.

c)          Le payeur embauchait jusqu'à 35 travailleurs spécialisés.

d)          Le payeur embauchait aussi un comptable externe qui s'occupait principalement de la préparation de la déclaration de revenus et des états financiers du payeur.

e)          Le payeur avait embauché l'appelante comme secrétaire-réceptionniste.

f)           Les principales tâches de l'appelante consistaient à :

-     Préparer les paies hebdomadaires.

-     Facturer les clients.

-     Faire le suivi de la facturation et de la perception des comptes.

-     Payer les factures.

-     Comptabiliser les opérations du payeur.

-     Effectuer certains déplacements pour percevoir les comptes, pour cueillir les matériaux et pour les acheminer sur les différents chantiers.

g)         L'appelante effectuait ses principales tâches à la résidence familiale.

h)         L'appelante n'avait pas d'horaire fixe de travail à respecter; elle travaillait entre 30 et 50 heures par semaine.

i)          L'appelante recevait une rémunération hebdomadaire fixe; initialement elle recevait 300 $ par semaine, à partir de janvier 2002, elle recevait 400 $ par semaine et à partir de la fin mars 2002, elle recevait 600 $ par semaine.

j)          Durant la période en litige, la rémunération de l'appelante est donc passée de 300 $ à 600 $ par semaine et ce, sans augmentation de ses tâches.

k)         Le payeur a cessé ses opérations le 9 novembre 2002 et a déclaré faillite le 19 décembre 2002.

l)          L'appelante a continué à rendre bénévolement des services au payeur après sa mise à pied.

[3]      Quant à l'alinéa l) cité plus haut, l'appelante a expliqué que c'est le syndic à la faillite qui lui a demandé de préparer les feuillets T-4 pour les employés afin que ceux-ci aient un droit à la réclamation dans la faillite. Elle devait être rémunérée par le syndic, mais il n'en fut rien.

[4]      L'appelante et son mari, monsieur Michel Dion, ont raconté que le payeur existe depuis 1998. L'appelante y travaillait depuis 1999 dans les mêmes fonctions. Elle s'occupait de la comptabilité quotidienne, des paies des employés, des entrées aux livres, des formulaires à remplir pour chaque employé auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail ( « CSST » ) et de la Commission de la construction du Québec ( « CCQ » ), de la facturation, de la perception des comptes et elle agissait également comme secrétaire-réceptionniste. La description de ses tâches a été déposée sous la pièce A-1. L'appelante travaillait à partir de sa résidence personnelle où se trouvait le bureau du payeur. Elle travaillait entre 30 et 50 heures par semaine.

[5]      Monsieur Dion a expliqué qu'il n'aurait pu engager quelqu'un d'autre pour faire le même travail à plus de 300 $ par semaine avant 2002. En 1999, il n'avait que cinq ou six employés et le nombre d'employés est monté graduellement à 30 jusqu'en 2002.

[6]      Il a dit qu'il a obtenu deux gros contrats, un à l'automne de l'année 2001 à la Place Ville-Marie à Montréal et l'autre en mars 2002 à la Place Bonaventure à Montréal. C'est pourquoi, après avoir engagé les employés nécessaires, il a augmenté l'appelante à 400 $ par semaine au début de l'année 2002 et à 600 $ par semaine à la fin du mois de mars 2002. C'est l'appelante qui a fait remarquer à monsieur Dion qu'elle méritait un salaire plus élevé, plus représentatif du salaire payé dans l'industrie de la construction pour un tel emploi. Ceci a été confirmé par le comptable, monsieur Marius Poulin. C'est ainsi que monsieur Dion a augmenté le salaire de l'appelante en 2002 puisque le contexte économique de l'entreprise le permettait avec l'octroi de ces deux nouveaux contrats d'importance. Malheureusement pour le payeur, il n'a pas été payé assez rapidement par le client et n'a donc pu supporter les coûts reliés à l'exécution de ces contrats. Il a dû mettre plusieurs employés à pied à la mi-juillet 2002 et le nombre d'employés est alors retombé à 20. Il a mis un terme au contrat de la Place Bonaventure en septembre 2002 et en novembre 2002, le payeur a dû cesser toutes ses opérations. Il a déclaré faillite en décembre 2002.

[7]      Il est vrai tel que je l'ai fait remarquer à l'audience que l'appelante était probablement sous-payée avant que son salaire ne soit rajusté à 600 $ par semaine en mars 2002. De fait, monsieur Poulin a mentionné qu'une secrétaire dans une entreprise similaire pouvait faire jusqu'à 700 $ par semaine en 2003. Il est aussi vrai qu'une tierce personne n'aurait peut-être pas accepté de travailler pour une rémunération de 300 $ par semaine pour les tâches qu'accomplissait l'appelante. Toutefois, si l'on tient compte du contexte économique de l'entreprise au moment où le salaire de l'appelante fut déterminé, il est aussi possible qu'une tierce personne aurait accepté un tel salaire en sachant, tout comme l'appelante, que la venue de nouveaux contrats renflouerait les finances du payeur et par le fait même aurait pour effet d'augmenter son salaire.

[8]      Dans les affaires Légaré c. Canada, [1999] A.C.F. no 878 (Q.L.) et Pérusse c. Canada, [2000] A.C.F. no 310 (Q.L.), repris avec approbation dans les affaires Valente c. Canada, [2003] A.C.F. no 418 (Q.L.), Massignani c. Canada, [2003] A.C.F. no 542 (Q.L.), Bélanger c. Canada, [2003] A.C.F. no 1774 (Q.L.) et Staltari v. Canada, [2003] F.C.J. No. 1771 (Q.L.), la Cour d'appel fédérale disait ce qui suit quant au rôle de la Cour canadienne de l'impôt en matière d'appels de décisions ministérielles aux termes de l'alinéa 5(3)b) de la Loi :

            La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre: c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable. [Voir paragraphe 14 de l'arrêt Pérusse].

[9]      Ainsi, tel que le disait le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale dans Pérusse, précité, au paragraphe 15 :

15.        Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[10]     Or, dans la Réponse, il semble que les données factuelles qui ont incité le Ministre à prendre sa décision sont le fait que l'appelante travaillait de sa résidence familiale, n'avait pas d'horaire fixe de travail même si elle travaillait entre 30 et 50 heures par semaine et que sa rémunération avait doublé durant la période en litige, sans augmentation de ses tâches. En ce qui concerne le travail de la résidence, l'appelante travaillait du bureau de l'entreprise qui se trouvait à la résidence. Quant à l'horaire de travail, elle travaillait entre 30 et 50 heures par semaine, ce qui ne laisse pas une grande marge de manoeuvre pour les activités personnelles en semaine. L'appelante a d'ailleurs dit qu'elle faisait ses courses personnelles le samedi.

[11]     Finalement, le facteur à mon avis le plus important retenu par le Ministre est l'augmentation importante du salaire en 2002 pour effectuer les mêmes tâches. Ici, je suis d'avis que les explications données par monsieur Dion justifient de façon prépondérante que le salaire de l'appelante soit passé de 300 $ par semaine en 2001 à 600 $ en 2002. En agissant ainsi, il a ramené le salaire de l'appelante à la norme. Cette hausse s'expliquait également dans le contexte économique de l'entreprise décrit par monsieur Dion. Avec l'octroi de deux contrats importants, il était justifié d'augmenter le salaire de l'appelante. À mon avis, avec l'éclairage nouveau apporté par les témoignages de messieurs Dion et Poulin, la décision du Ministre n'apparaît plus « raisonnable » dans les circonstances.

[12]     L'avocate de l'intimé a argumenté en dernier ressort le point que j'avais soulevé en preuve, à savoir que l'appelante recevait un salaire moins élevé que la norme dans l'industrie et qu'un tiers n'aurait peut-être pas accepté de travailler dans les mêmes conditions. Ceci n'est pas un facteur qui a été retenu par le Ministre dans sa prise de décision, et à mon avis, comme je l'ai expliqué au paragraphe 7 ci-haut, il ne s'agit pas là d'un facteur prépondérant à retenir dans les circonstances.

[13]     Compte tenu de ce qui précède, compte tenu de la preuve devant moi, je suis d'avis que les faits retenus par le Ministre n'ont pas été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus. En conséquence, la décision du Ministre ne m'apparaît plus raisonnable dans les circonstances.

[14]     Pour ces raisons, l'appel est accueilli et la décision du Ministre est modifiée pour tenir compte du fait que l'emploi de l'appelante auprès du payeur au cours de la période du 5 novembre 2001 au 9 novembre 2002 était un emploi assurable non exclu par l'application des alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de février 2004.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :

2004CCI116

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1640(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Micheline Côté c. M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 26 janvier 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

le 5 février 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

l'appelante elle-même

Pour l'intimé :

Me Nancy Dagenais

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.