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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2001-3809(IT)I

ENTRE :

TIMOTHY ALAN JONES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 4 mars 2003, à Sudbury (Ontario).

Devant : L'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me George Boyd Aitken

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est admis, sans dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant
compte du fait que le ministre n'aurait pas dû inclure le montant de 1 000 $ dans le calcul du revenu d'emploi pour l'année 1999.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour d'avril 2003.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de février 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2003CCI226

Date : 20030408

Dossier : 2001-3809(IT)I

ENTRE :

TIMOTHY ALAN JONES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip, C.C.I.

[1]      Timothy Alan Jones interjette appel de la cotisation établie à son égard pour l'année d'imposition 1999, dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a considéré que le revenu d'entreprise déclaré était un revenu d'emploi. Le ministre a dès lors refusé les dépenses d'entreprise dont M. Jones demandait la déduction dans le calcul de son revenu pour l'année en cause.

[2]      À toutes les périodes pertinentes, M. Jones était employé par le Collège Cambrian (le « collège » ) à Sudbury (Ontario) comme professeur de géologie. Monsieur Jones ne conteste pas le fait que, en ce qui concerne sa charge d'enseignement, il recevait un revenu d'emploi du collège. Dans les années antérieures, il avait effectué du travail à contrat pour des entreprises de même que pour le gouvernement fédéral et celui de l'Ontario. Tous les contrats indiquaient qu'il était engagé à titre de géologue professionnel. Ces contrats n'étaient aucunement liés aux activités du collège.

[3]      Le collège encourage les étudiants étrangers[1] à venir y poursuivre des études postsecondaires et à prendre part à des programmes spéciaux. La tâche est dévolue à la division des programmes internationaux du collège, connue sous l'appellation de « Cambrian International » .

[4]      Selon M. Ibrahim Alladin, la division des programmes internationaux, dont il est le directeur, est réputée pour son programme de formation en exploitation minière. Au début de 1999, le collège a conclu un contrat avec une société minière d'Arabie saoudite pour donner des cours spécialisés en exploitation minière et en géologie à quatre Saoudiens qui fréquentaient le collège pendant six mois environ. Chaque étudiant devait être jumelé à un conseiller dans le domaine de formation requis par la société saoudienne pour cet étudiant particulier. En janvier 1999, la division des programmes internationaux était à la recherche d'une personne capable de concevoir un programme pour un employé d'une société minière d'Arabie saoudite et d'agir comme conseiller. Le collège avait fait des démarches pour trouver une place à l'un des étudiants, Khalid al-Sharrif, qui avait des antécédents en géologie, dans une mine d'or de Timmins et à la mine Inco de Sudbury. Il semblerait que la société saoudienne souhaitait former M. al-Sharrif afin qu'il retourne en Arabie saoudite enseigner les techniques minières aux citoyens du pays. Le collège voulait que le conseiller possède des connaissances en géologie afin qu'il puisse organiser des expéditions sur le terrain pour l'étudiant, le superviser durant la période de formation et servir de façon générale d'intermédiaire avec le collège.

[5]      Monsieur Alladin a communiqué avec M. Jones pour savoir s'il accepterait de devenir le conseiller de M. al-Sharrif. Le superviseur de M. Jones a accepté qu'il accomplisse d'autres tâches « en plus » de sa charge habituelle de cours.

[6]      Monsieur Jones affirme qu'il a conclu un contrat oral en vertu duquel le collège s'engageait à lui verser 1 600 $ pour superviser M. al-Sharrif du 15 janvier au 28 février 1999. Le montant convenu devait lui être remis à la fin du contrat. C'est M. Alladin qui a négocié le contrat pour le collège. Il a témoigné que c'est généralement le service des ressources humaines qui recrute les enseignants à temps plein et à temps partiel. Ce service n'a toutefois pas participé à l'embauche de M. Jones pour conseiller M. al-Sharrif parce qu'on « manquait de temps » . C'est par « erreur » que l'on n'a pas préparéuncontrat écrit pour M. Jones, a-t-il dit.

[7]      Monsieur Jones a témoigné qu'il avait eu des discussions avec M. Alladin pour définir ses responsabilités, notamment son horaire. C'est toutefois M. Jones qui a pris la décision finale quant au contenu du programme de l'étudiant. Il a insisté sur le fait qu'il avait organisé le travail et exécuté le contrat dans ses moments libres en faisant appel à ses ressources personnelles. Il a rencontré M. Alladin chaque semaine pendant toute la durée du contrat pour discuter des travaux assignés à M. al-Sharrif. Il y avait un problème avec ce dernier, parce que, selon M. Jones, M. al-Sharrif ne voulait pas recevoir de formation et omettait souvent de se présenter aux rencontres prévues avec lui. Monsieur Alladin a déclaré que M. al-Sharrif assistait aux cours et qu'il avait pris des dispositions avec les autres professeurs. Monsieur Alladin recevait régulièrement des rapports sur son assiduité et ses progrès.

[8]      Les principales ressources auxquelles M. Jones dit avoir fait appel, ce sont ses compétences comme géologue et gestionnaire d'expérience. Ses compétences en enseignement n'ont nullement été sollicitées.

[9]      Monsieur Alladin a témoigné que si M. Jones était tombé malade pour une longue période pendant la durée du contrat, on lui aurait trouvé un remplaçant.

[10]     Monsieur Jones a facturé au collège un montant de 1 600 $ à la fin du contrat. Cependant, a-t-il dit, le service de comptabilité du collège a rajusté le paiement de manière arbitraire en établissant un taux horaire fixe, ce qui fait qu'il a reçu 1 000 $ au lieu des 1 600 $ prévus. Le collège lui a également remis un second état de la rémunération payée (T4) faisant état du montant de 1 000 $, moins les retenues à la source obligatoires. Monsieur Jones n'approuvait pas cette façon de procéder, mais il n'a pas poursuivi l'affaire. Monsieur Alladin lui avait fourni du matériel informatique qu'il avait de la difficulté à obtenir de son superviseur.

[11]     Le ministre a déterminé que M. Jones était un employé du collège en ce qui concerne le travail accompli pour le compte de la division des programmes internationaux, pour les motifs suivants, qui sont exposés dans la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

I)           l'appelant était tenu d'effectuer le travail personnellement;

II)         il ne pouvait pas embaucher d'autres personnes pour faire le travail;

III)        il était obligé de se conformer aux directives données concernant le travail à accomplir et la méthode à utiliser à cette fin;

IV)        l'employeur a établi la clientèle, l'échéancier, les priorités et le taux de rémunération;

V)         l'employeur a fourni les instruments ou le matériel nécessaires pour accomplir le travail;

VI)        les modalités d'emploi n'ont pas permis à l'appelant de tirer un profit ni ne l'ont exposé à un risque de perte.

[12]     Dans le calcul de son revenu pour l'année 1999, M. Jones a inclus un revenu d'emploi de 67 545 $ du collège et un revenu professionnel de 1 600 $, soit le montant en litige, bien qu'il n'ait reçu que 1 000 $ du collège. Il a demandé la déduction des dépenses de 2 123 $ - dont le montant de 600 $ passé en charge comme créance irrécouvrable - qu'il avait engagées pour gagner le revenu professionnel. Le ministre a initialement admis les dépenses, permettant ainsi à M. Jones de déduire le solde de 523 $. Dans une nouvelle cotisation établie à son égard, le ministre a « inclus le revenu d'emploi de 1 000 $ non déclaré précédemment » . L'intimée plaide que le ministre a admis la perte de 523 $ par erreur.

[13]     Durant le contre-interrogatoire, l'avocat de l'intimée a posé des questions à M. Jones au sujet des dépenses dont il demandait la déduction. L'intimée n'a pas contesté la légitimité ou le caractère raisonnable des dépenses dans sa réponse à l'avis d'appel. Il est donc trop tard pour soulever cette question à l'audience.

[14]     L'avocat de l'intimée m'a renvoyé aux motifs du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[2]. Le juge Major y souscrit aux observations formulées par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.R.N.[3], selon lesquelles, quand on applique les divers critères pour déterminer s'il existe une relation employeur-employé, il faut toujours se pencher sur l'ensemble de la relation entre les parties. Le contrôle que l'employeur exerce sur le travail de l'employé est un facteur important. Il y a cependant d'autres facteurs, dont voici une liste non exhaustive : qui fournit le matériel? Le travailleur compte-t-il sur l'aide d'autres personnes? Quelle est sa participation financière? A-t-il des chances de profit? Et enfin, fournit-il les services comme une personne travaillant à son compte?

[15]     La preuve indique que le contrat que M. Jones avait conclu avec le collège pour conseiller un étudiant était attribuable au fait qu'il y occupait un poste d'enseignant, mais qu'il n'était pas lié à son emploi. Il est manifeste que le contrat d'enseignement de M. Jones avec le collège ne prévoyait rien concernant les services fournis par M. Jones à M. al-Sharrif.

[16]     Monsieur Jones a témoigné qu'à cause d'un « divorce difficile » entre lui et son ex-épouse, il avait délibérément réduit ses activités commerciales en 1996. Il craignait d'être obligé de verser une bonne partie de tout revenu supplémentaire gagné à son épouse au titre de la pension alimentaire pour enfants. En conséquence, a-t-il dit, il ne voulait pas retirer plus de 3 000 $ à 4 000 $ par année de ses activités commerciales externes. Le divorce a été prononcé en 1999. Le contrat de 1 600 $ avec le collège était une continuation des activités commerciales auxquelles il s'adonnait depuis 1996, a-t-il soutenu. Je n'accepte pas son témoignage selon lequel le contrat était la continuation de ses activités commerciales antérieures. Je conclus que c'était un contrat distinct de son contrat d'enseignement avec le collège et qu'il ne s'inscrivait pas dans le cadre d'une autre activité antérieure.

[17]     L'argument de l'intimée selon lequel M. Jones avait été engagé par M. Alladin pour assurer les services personnellement et ne pouvait donc pas embaucher quelqu'un d'autre pour accomplir le travail n'est pas fatal à la thèse de M. Jones. Un particulier peut retenir les services d'un médecin, par exemple, et insister pour que lui seul dispense les services médicaux. Personne ne considérerait que le médecin est un employé du particulier; pour la même raison, on ne peut pas nécessairement conclure que M. Jones est toujours un employé du collège. Il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte.

[18]     Messieurs Jones et Alladin ont discuté des services que M. Jones devait fournir et qu'il a fournis durant les mois de janvier et février 1999. Cependant, selon M. Jones, c'est lui qui a décidé du contenu du programme de formation de M. al-Sharrif et de la manière dont la matière allait lui être enseignée. Il rencontrait souvent M. Alladin pour discuter des travaux assignés à l'étudiant, mais nulle preuve n'existe qu'il a reçu des directives de M. Alladin concernant la manière dont il devait accomplir son travail.

[19]     Le collège a fourni l'étudiant, mais les « priorités et le taux de rémunération » ont été négociés : c'est ce qui se dégage de la preuve de M. Jones et de M. Alladin. Monsieur Jones a déclaré que les « instruments » dont il avait besoin pour assurer les services, c'étaient ses connaissances et son expérience.

[20]     Je ne suis pas convaincu que M. Jones a subi des pertes dont le montant correspond à celui dont il demande la déduction, mais, comme je l'ai déjà mentionné, ce n'est pas une question sur laquelle je suis appelé à statuer en l'espèce.

[21]     Bref, en ce qui concerne les services que M. Jones a dispensés à M. al-Sharrif, l'ensemble de la relation entre le collège et M. Jones n'était pas celle qu'un employeur entretient avec un employé. La situation de M. Jones n'était pas différente de celle d'un enseignant ou d'un instructeur qui offre à son compte des services de tutorat à des étudiants contre honoraires. Les services que M. Jones a fournis au collège pour M. al-Sharrif ont été fournis pour son compte plutôt que pour le compte du collège.

[22]     L'appel est admis, sans dépens, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le ministre n'aurait pas dû inclure le montant de 1 000 $ dans le calcul du revenu d'emploi pour l'année 1999.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour d'avril 2003.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de février 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           J'utilise le mot « étudiants » pour désigner les personnes qui participent aux activités de la division des programmes internationaux, mais il peut s'agir de stagiaires ou de professionnels étrangers en mission, comme des géologues, plutôt que d'étudiants au sens où l'on entend généralement ce terme. Ces étudiants ne font pas partie du corps étudiant du collège.

[2]            [2001] 2 R.C.S. 983, aux paragraphes 44-48, le juge Major.

[3]           [1986] 3 C.F. 553.

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