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Dossier : 2001-4252(EI)

ENTRE :

HUNT'S FOOD (1985) LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 6 août 2003 à Prince Albert (Saskatchewan).

Devant : L'honorable M.H. Porter, juge suppléant

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Nicholas Marchessault

Avocate de l'intimé :

Me Anne Jinnouchi

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est admis et la décision du ministre est annulée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 3e jour de février 2004.

« Michael H. Porter »

Juge Porter

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de janvier 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI58

Date : 20040203

Dossier : 2001-4252(EI)

ENTRE :

HUNT'S FOOD (1985) LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Porter

[1]      Le présent appel a été entendu à Prince Albert, dans la province de la Saskatchewan, le 6 août 2003.

[2]      L'appelante a interjeté appel de la décision du ministre du Revenu national (ci-après le « ministre » ) datée du 18 décembre 2001 voulant que l'emploi exercé chez elle par Rick Hunt (le « travailleur » ) du 1er janvier 2000 au 11 avril 2001 soit assurable selon la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi sur l'AE » ) pour la raison suivante :

[TRADUCTION]

Rick Hunt a été embauché en vertu d'un contrat de louage de services et il était donc un salarié. Même s'il existait un lien de dépendance entre vous, le ministre est convaincu que vous auriez conclu un contrat de travail à peu près semblable si vous n'aviez pas eu de lien de dépendance. Son emploi ne peut donc être exclu du régime d'assurance-emploi.

La décision aurait été rendue en conformité avec l'article 93 de la Loi sur l'AE et elle se fondait sur les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) de ce texte législatif.

[3]      Les faits pertinents ont montré qu'au cours de la période en cause, l'appelante était propriétaire d'une épicerie, située à Prince Albert, qu'elle exploitait elle-même et que le travailleur était le directeur de ce magasin. Les actions de la société appartenaient dans une proportion de cinquante pour cent à Vern Hunt et de cinquante pour cent à Eileen Hunt, son épouse. Le travailleur est leur fils. Par conséquent, selon les effets cumulés de l'alinéa 5(2)i) et de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le travailleur, à titre de personne liée, est réputé avoir un lien de dépendance avec l'appelante, et comme son emploi n'était pas, de prime abord, un emploi assurable, aucune prestation d'assurance-emploi n'aurait été versée si celui-ci avait pris fin. L'appelante et le travailleur se sont comportés en fonction de cet état de fait pendant plusieurs années. Cette situation est toutefois assujettie à l'exception prévue à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'AE, selon laquelle le ministre peut exercer ce que les tribunaux judiciaires ont qualifié de pouvoir discrétionnaire pour décider - s'il est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que les parties auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu de lien de dépendance - d'accorder l'accès au régime et de permettre que l'emploi soit assimilé à un emploi assurable. Dans de telles circonstances, les parties sont alors réputées ne pas avoir de lien de dépendance pour l'application de la Loi sur l'AE.

[4]      Bien qu'il ne fasse aucun doute que le travailleur exerçait ses fonctions dans le cadre d'un contrat de louage de services, la présente affaire comporte un certain degré d'injustice en raison de la manière dont le ministre a traité la situation. Cela s'apparente à de l'imposition discrétionnaire. J'ai fait état de ce genre de situation dans deux décisions prononcées en 1999, à savoir Crawford and Company Ltd. v. M.N.R., [1999] A.C.I. no 850, et Hoobanoff Logging Limited v. M.N.R., [1999] A.C.I. no 856. Je reprends ici ce que j'ai déclaré dans ces deux décisions puisqu'il s'agit également en l'espèce d'un cas où le ministre a censément exercé son pouvoir discrétionnaire après coup pour que certaines situations d'emploi tombent sous le coup du régime d'assurance-emploi, alors que, par l'effet de la loi, ces situations en auraient normalement été exclues, et que le travailleur, pour le bénéfice duquel le législateur paraît avoir introduit cette exception, n'a pas demandé à prendre part au régime.

[5]      J'ai mentionné ce qui suit dans la décision Hoobanoff Logging Limited :

Ordinairement, on demande au ministre d'accorder l'accès au régime à des demandeurs de prestations pour le motif que l'exception devrait être appliquée. La Cour est constamment saisie d'appels du refus du ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire en leur faveur. Dans ce cas-ci, cependant, comme dans l'affaire Crawford, précitée, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon anticipée afin d'inclure dans la portée du régime d'assurance-emploi des personnes qui, autrement, par l'effet de la loi, en seraient exclues. Par conséquent, par suite de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, on a exigé d'eux le paiement de cotisations. Je suis d'avis que la loi lui permet d'agir ainsi dans les circonstances appropriées, mais que cela ne va pas vraiment dans le sens des modifications qui ont été apportées à la Loi sur l'assurance-chômage en 1990, lorsque ce pouvoir discrétionnaire a été proposé pour la première fois. À la Chambre des communes, le député André Plourde, s'exprimant pour le compte du gouvernement d'alors, a dit, au moment où les modifications à la Loi sur l'assurance-chômage ont été déposées, que le projet de loi C-21 contenait des dispositions visant à éliminer les restrictions injustes sur l'admissibilité aux prestations et :

Toutes les modifications proposées dans le cadre du projet de loi C-21 visent essentiellement à rendre ce régime plus efficace et plus équitable, mais aussi à répondre aux besoins des travailleurs et travailleuses. (Voir Hansard, 7 juin 1989, Débats de la Chambre des communes, page 2722.)

Néanmoins, sur le plan de l'interprétation littérale du droit, je suis convaincu que le ministre a effectivement le pouvoir légal d'agir ainsi. Il n'appartient pas à la Cour de se mêler de questions de principe, mais je signale quand même les différences qui existent entre ce qui est en train de devenir une pratique courante, comme en témoignent ces affaires, et l'intention manifeste du législateur relativement à la disposition en question lorsqu'elle a été adoptée, à savoir d'atténuer le préjudice et l'injustice dont seraient victimes des personnes liées traitant véritablement entre elles comme si elles n'avaient pas de lien de dépendance, qui seraient par ailleurs incapables de prendre part au régime. Personne n'a à quelque moment que ce soit affirmé que cette disposition était destinée à procurer un immense filet au ministre pour lui permettre d'attraper le plus grand nombre possible de personnes en exerçant son pouvoir discrétionnaire de façon anticipée.

En outre, cette interprétation de la disposition législative en cause par le ministre semble injuste en soi puisque, si, en l'espèce, les frères n'étaient pas liés à l'actionnaire majoritaire et que le ministre avait décidé que, dans les faits, ils n'avaient pas avec la société de lien de dépendance, ils auraient le droit d'interjeter appel de novo à la Cour. Les choses étant ce qu'elles sont, parce qu'ils sont liés à l'actionnaire majoritaire et malgré le fait que la loi fondamentale les exclue du régime parce que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, ils y sont inclus malgré eux et ils ne jouissent que d'un droit d'appel limité. En d'autres mots, leur droit d'appel est restreint par la retenue dont la Cour doit faire preuve à l'égard de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances de la présente affaire.

Si cette retenue et les droits d'appel limités semblent parfaitement logiques et justes lorsque les personnes concernées, qui sont essentiellement exclues en droit, essaient de convaincre le ministre que leur situation est visée par une exception, et que le législateur confie au ministre la responsabilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire, on ne peut dire la même chose lorsque le ministre, par l'exercice de ce même pouvoir discrétionnaire, agit de façon anticipée et détermine que le régime s'applique à certaines personnes alors que ces dernières ne souhaitent pas y prendre part.

[6]      Cela étant dit, j'estime que mon devoir est maintenant évident. Je dois me demander si la décision du ministre a été prise de façon légitime et faire preuve de toute la retenue qu'appelle l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que dans le cas où j'arriverais à la conclusion que ce pouvoir n'a pas été exercé de façon légitime au sens où ce terme a été défini par les tribunaux que je pourrais à nouveau examiner l'ensemble de la situation de novo.

Le droit

[7]      Dans le cadre du régime établi suivant la Loi sur l'AE, le législateur a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit au paiement de prestations lorsqu'il est mis fin à l'emploi, tandis que certains autres emplois ne sont « pas inclus » et n'entraînent donc pas le versement de prestations au moment du départ. Les ententes en matière d'emploi intervenues entre des personnes qui ont un lien de dépendance ne sont pas incluses dans la catégorie des emplois assurables. Les membres d'une famille et les personnes morales contrôlées par des personnes liées à ces dernières sont réputés avoir un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, lequel régit cette situation. Manifestement, l'objet initial de cette disposition législative visait à protéger le régime et à éviter qu'une multitude de prestations n'aient à être versées en raison d'ententes en matière d'emploi artificielles ou fictives. Voir les observations faites par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Paul c. Le Ministre du Revenu national, no du greffe A-223-86, 27 octobre 1986, non publié, où le juge Hugessen a déclaré :

Nous sommes tous disposés à présumer, comme nous y invite l'avocat de l'appelante, que l'alinéa 3(2)c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et le paragraphe 14a) du Règlement sur l'assurance-chômage visent entre autres à éviter les emplois abusifs de la Caisse d'assurance-chômage par la création de soi-disant rapports « employeur-employé » entre des personnes dont les rapports sont, de fait, très différents. Cet objectif se révèle tout à fait pertinent et rationnellement justifiable dans le cas des époux qui vivent ensemble maritalement. Mais même si, comme le soutient l'appelante, nous ne sommes en présence que d'époux légalement séparés et qui peuvent traiter entre eux sans lien de dépendance, la nature de leurs rapports en qualité de conjoints est telle qu'elle justifie, à notre avis, d'exclure de l'économie de la Loi l'emploi de l'un par l'autre.

[...]

Nous n'écartons pas la possibilité que les dispositions susmentionnées aient d'autres objectifs, comme par exemple la décision conforme à une politique sociale visant à écarter du champ d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage tous les emplois exercés au sein de l'unité familiale, comme l'a suggéré l'avocat de l'intimé. (Non souligné dans l'original.)

[8]      La rigueur de cette situation a toutefois été atténuée par l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'AE, lequel dispose que ce genre d'emploi entre des personnes liées réputées ne pas avoir de lien de dépendance doit être traité comme un emploi assurable, lorsqu'il satisfait à toutes les autres dispositions, et que le ministre est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que les personnes concernées auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu (dans les faits) de lien de dépendance.

[9]      Il est peut-être utile d'exposer à nouveau le sens que je donne à cette disposition. La Loi sur l'AE interdit aux personnes liées de réclamer des prestations d'emploi à moins que le ministre ne soit convaincu que l'entente en matière d'emploi est effectivement la même que celle qui aurait été conclue par des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes n'ayant manifestement pas de lien de dépendance. S'il s'agit d'un contrat d'emploi à peu près semblable, le législateur a décidé qu'il n'était que juste de l'inclure dans le régime. C'est toutefois le ministre qui décide de l'accès au régime. Si le ministre n'est pas convaincu, l'accès demeure interdit, l'emploi demeure exclu et l'employé n'est pas admissible à des prestations.

[10]     Le paragraphe 93(3) de la Loi sur l'AE intéresse les appels interjetés devant le ministre et la résolution de questions par ce dernier. Il prévoit les exigences suivantes :

Le ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées.

[11]     Le ministre n'a donc pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de trancher la question. La loi l'oblige à le faire. Si le ministre n'est pas convaincu, l'accès demeure interdit et l'employé n'est pas admissible. Au contraire, si le ministre est convaincu, l'employé, sans autre formalité ou mesure de la part du ministre (autre que la notification de la décision), devient admissible à des prestations, pour autant qu'il remplisse les autres conditions applicables. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire en ce sens que, si le ministre est convaincu, il peut alors décider que l'emploi est réputé assurable. Il doit « régler la question » et, selon la décision qu'il prend à cet égard, la loi porte que les parties à l'entente en matière d'emploi sont réputées soit n'avoir pas de lien de dépendance, soit avoir un tel lien. Le ministre ne jouit donc pas d'un pouvoir discrétionnaire dans le vrai sens du terme puisque, lorsqu'il prend sa décision, il exerce une fonction quasi judiciaire et n'a pas le loisir de faire ce qui lui plaît. Il ressort des diverses décisions de la Cour d'appel fédérale portant sur cette question que le même critère s'applique à une myriade d'autres fonctionnaires chargés de prendre des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir les arrêts Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada v. Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352, et Her Majesty the Queen and Bayside Drive-in Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[12]     Il appartient donc à la Cour, en appel, de réviser la décision du ministre et de décider si elle a été prise de façon légitime, c'est-à-dire en conformité avec la Loi et avec les principes de justice naturelle. Dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. Bayside et al., précité, la Cour d'appel fédérale a énoncé certains points que la présente Cour doit examiner lorsqu'elle est saisie de ce genre d'appel. Les voici :

(i)       le ministre a agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié;

(ii)       le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii); ou

(iii)      le ministre a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[13]     La Cour a ajouté ce qui suit :

Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et donc, que le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[14]     Il me faut me rappeler, à l'examen de la présente affaire, que la Cour ne doit pas substituer son opinion de la preuve à celle du ministre. Cependant, si la façon dont ce dernier est arrivé à sa décision est contraire à la loi dans le contexte des jugements susmentionnés, les parties touchées des faits exposés peuvent être écartées, et je dois alors me demander si les éléments qui restent offrent des motifs permettant de justifier la décision. Si ces motifs, à eux seuls, sont suffisants pour que le ministre arrête une décision, elle doit être maintenue, même si la Cour n'est pas d'accord avec celle-ci. D'un autre côté, s'il n'y a plus aucun fondement qui permette au ministre de prendre légitimement cette décision, d'un point de vue objectif et raisonnable, alors celle-ci peut être annulée et la Cour peut examiner la preuve dont elle est saisie en appel et rendre sa propre décision.

[15]     Bref, si le ministre dispose de suffisamment de faits pour prendre sa décision, c'est à lui qu'il revient de régler la question et, s'il « n'est pas convaincu » , il n'appartient pas à la Cour de substituer à celle du ministre sa propre opinion au sujet de ces faits et de dire que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre était convaincu, il n'appartient pas à la Cour de substituer à celle du ministre sa propre opinion selon laquelle il n'aurait pas dû être convaincu. C'est seulement si la décision est prise d'une manière illégitime et qu'elle est déraisonnable d'un point de vue objectif, compte tenu des faits qui ont été régulièrement présentés au ministre, que la Cour peut intervenir.

[16]     Mon point de vue est appuyé par plusieurs décisions de différents tribunaux d'appel du pays et de la Cour suprême du Canada dans des affaires apparentées portant sur divers éléments de procédure prévus au Code criminel, qui ont par la suite été examinés par les tribunaux et qui, à mon avis, sont analogues à la situation qui nous occupe. La norme de contrôle de la validité d'un mandat de perquisition a été énoncée par le juge Cory de la Cour d'appel (tel était alors son titre) dans l'arrêt Times Square Book Store, Re (1985), 21 C.C.C. (3d) 503 (C.A.), où il a dit qu'il n'appartenait pas au juge qui effectue le contrôle d'examiner de novo l'autorisation concernant le mandat de perquisition et qu'il ne pouvait pas substituer son opinion à celle du juge ayant décerné le mandat. La première question à résoudre dans le cadre d'un contrôle est plutôt de savoir si oui ou non il y avait une preuve sur le fondement de laquelle un juge de la paix agissant de façon judiciaire pouvait déterminer qu'il y avait lieu de décerner un mandat de perquisition.

[17]     La Cour d'appel de l'Ontario a réitéré et approfondi ce point de vue dans l'arrêt R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée. Lorsqu'elle a laissé entendre que le tribunal chargé du contrôle devait examiner l' « ensemble des circonstances » , la Cour d'appel a mentionné à la page 492 :

[TRADUCTION]

De toute évidence, si cette conviction (qu'une infraction criminelle a été perpétrée) ne s'appuie sur aucune preuve, on ne peut dire que, dans ces circonstances, le juge devrait être convaincu. Il y aura, en revanche, des cas où cette preuve (établissant des motifs raisonnables de croire) existe et où le juge pourrait être convaincu, mais où il ne l'est pas et où il n'exerce pas son pouvoir discrétionnaire pour décerner un mandat de perquisition. Dans ces circonstances, le juge qui effectue le contrôle ne doit pas dire que le juge aurait dû être convaincu et qu'il aurait dû décerner le mandat.

De même, si, dans de telles circonstances, le juge dit qu'il est convaincu et qu'il décerne le mandat, le juge chargé du contrôle ne peut dire que le juge n'aurait pas dû être ainsi convaincu.

[18]     La Cour suprême du Canada a entériné cette approche dans l'arrêt R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Au sujet d'une autorisation d'écoute électronique, feu M. le juge Sopinka déclarait dans cette affaire :

Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l'arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l'autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l'espèce. Il affirme [...] :

Si le juge du procès conclut, d'après les documents dont disposait le juge ayant accordé l'autorisation, qu'il n'existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l'autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l'art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d'être nécessaires à la révision leur seul effet est d'aider à décider s'il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.

[19]     Cette approche semble avoir été adoptée par presque tous les tribunaux d'appel au pays. (Voir R. v. Jackson (1983), 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al. (1989), 99 A.R. 197, 79 Alta. L.R. (2d) 307, 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R. (1989), 74 Sask. R. 204 (C.A.); et R. v. Turcotte (1988), 60 Sask. R. 289, 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990), 66 Man. R. (2d) 49, 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991), 41 Q.A.C. 254 (C.A.); Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991), 104 N.B.R. (2d) 1, 261 A.P.R. 1, 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker (1989), 88 N.S.R. (2d) 165, 225 A.P.R. 165, 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.), et R. v. MacFarlane (K.R.) (1993), 100 Nfld. & P.E.I.R. 302, 318 A.P.R. 302, 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. I.-P.-É.).) Cette approche me semble des plus pertinentes dans le cadre du contrôle d'une décision du ministre, laquelle est aussi une décision quasi judiciaire.

Étape I : Analyse de la décision du ministre

[20]     Je vais maintenant examiner en détail la façon dont l'appelante conteste la décision du ministre. Personne n'a laissé entendre devant moi que le ministre a agi de mauvaise foi ou pour une raison ou dans un but inacceptable. La question est donc celle de savoir s'il a tenu compte de facteurs non pertinents ou s'il a omis de prendre en considération des faits pertinents de sorte que, s'il l'a ou ne l'a pas fait, selon le cas, il ne pouvait raisonnablement arriver à la décision qu'il a prise.

[21]     Dans la réponse à l'avis d'appel signé en son nom, le ministre aurait admis les faits suivants allégués par l'appelante aux alinéas 1a), e), f), g), h) et j) :

[TRADUCTION]

a)          admet que Vern Hunt et Eileen Hunt étaient actionnaires de l'appelante,

e)          admet que le travail du travailleur englobait des tâches de direction,

f)           admet que les heures de travail du travailleur étaient souples,

g)          admet que le travailleur travaillait huit heures par jour et de 40 à 70 heures par semaine,

h)          admet que le travailleur ne consignait pas ses heures de travail,

j)           admet que le travailleur prenait des vacances.

[22]     On a en outre mentionné pour le compte du ministre qu'il n'avait aucune connaissance de la raison pour laquelle le travailleur avait été embauché, de son emploi précédent, de l'aménagement de son lieu de travail, du fait qu'il travaillait pendant les jours fériés, de la façon dont son salaire initial avait été fixé, de son salaire actuel ou du fait qu'il prenait davantage de vacances et qu'il avait le pouvoir de signer des documents au nom de la société appelante.

[23]     Dans la réponse à l'avis d'appel, le ministre aurait mentionné qu'il s'appuyait sur les hypothèses de fait énoncées ci-dessous, avec lesquelles l'appelante s'est déclarée d'accord ou non comme il est précisé entre parenthèses :

[TRADUCTION]

a)          l'appelante était propriétaire d'une épicerie qu'elle exploitait; (d'accord)

b)          les actions avec droit de vote se répartissaient de la façon suivante pour la période en cause : (pas d'accord)

            Vern Hunt (mari)                       50 %

            Eileen Hunt (épouse)                  50 %

c)          le travailleur est le fils de Vern et d'Eileen Hunt; (d'accord)

d)          le travailleur est propriétaire d'actions sans droit de vote de l'appelante; (pas d'accord)

e)          le travailleur est un des administrateurs de l'appelante, de même que ses parents; (d'accord)

f)           le travailleur travaille pour l'appelante depuis plus de 15 ans; (d'accord)

g)          le travailleur est directeur de l'épicerie et ses fonctions comprennent la passation de commandes, l'embauchage, le renvoi, la supervision du personnel et l'administration; (d'accord)

h)          habituellement, le travailleur travaille pendant les heures de bureau normales; (pas d'accord)

i)           le travailleur travaille habituellement de 60 à 70 heures par semaine; (d'accord)

j)           le travailleur gagnait un salaire fixe de 29 712 $ par année; (d'accord)

k)          les administrateurs de l'appelante fixent le salaire du travailleur; (pas d'accord)

l)           le travailleur était payé bimensuellement par chèque; (d'accord)

m)         des retenues étaient effectuées sur le salaire du travailleur; (d'accord)

n)          le travailleur n'a reçu aucune avance sur salaire ni aucune prime; (pas d'accord)

o)          le travailleur prend des congés supplémentaires au lieu d'être payé pour ses heures supplémentaires; (pas d'accord)

p)          le travailleur a reçu son salaire à intervalles réguliers pendant toute la période en cause; (pas d'accord)

q)          l'appelante payait certains de ses employés au moyen d'un salaire; (d'accord)

r)           le travailleur rendait compte aux autres actionnaires; (pas d'accord)

s)          Vern Hunt a mentionné dans sa demande de décision qu'il exerçait un contrôle sur le travailleur parce qu'il était l'actionnaire majoritaire; (pas d'accord)

t)           le travailleur n'a signé aucun prêt pour le compte de l'appelante; (pas d'accord)

u)          le travailleur n'a transporté aucun titre en gage pour le compte de l'appelante; (d'accord)

v)          l'appelante a d'autres employés qui peuvent remplacer le travailleur; (pas d'accord)

w)         il serait nécessaire de remplacer le travailleur s'il n'était pas en mesure de remplir ses fonctions; (pas d'accord)

x)          l'appelante fournissait le lieu de travail; (d'accord)

y)          le travailleur s'acquittait habituellement de ses fonctions dans les locaux de l'appelante; (pas d'accord)

z)          l'appelante fournissait tout l'outillage et tout le matériel requis; (d'accord)

aa)        le travailleur n'engageait aucuns frais dans l'exécution de ses fonctions; (pas d'accord)

bb)        l'appelante a déclaré les revenus suivants dans ses déclarations de revenus : (d'accord)

            Année               Revenus selon les T4

            2000                 29 712 $

            1999                 29 600 $

            1998                 28 700 $

            1997                 30 953 $

            1996                 29 872 $

            1995                 29 695 $

            1994                 30 530 $

            1993                 29 076 $

cc)        lorsqu'il a décidé que le travailleur et l'appelante avaient un lien de dépendance, le ministre a tenu compte de tous les faits pertinents dont il disposait, y compris la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli; (objet de l'appel - pas d'accord)

dd)        le ministre était convaincu qu'il était raisonnable de conclure que le travailleur et l'appelante auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. (objet de l'appel - pas d'accord)

[24]     Vern Hunt et Rick Hunt, le travailleur, ont témoigné au cours de l'audition de l'appel.

[25]     J'arrive à la conclusion que Vern Hunt, lorsqu'il a témoigné, était entièrement digne de foi. Je n'éprouve aucune difficulté à accepter son témoignage dans son intégralité.

[26]     Vern Hunt a expliqué comment les actions de la société étaient réparties et cette répartition est différente de celle présentée au ministre. Bien que seuls Vern et son épouse Eileen figurent sur le registre de la société à titre d'actionnaires de la société appelante, il a déclaré qu'en réalité, dix actions avaient été émises à chacun de leurs enfants, Rick Hunt, leur fils, et Tracey White, leur fille, au début des années 80. Aucune preuve documentaire de ce fait n'a été produite en tant que telle, mais je suis saisi de documents déposés comme pièce A-1 qui consistent en une copie d'un contrat de vente daté du 1er décembre 1993, selon laquelle Tracey a transféré ses actions à Rick, ainsi que d'une copie de procès-verbaux de réunions des administrateurs, où leur avocat était présent, approuvant le transfert et portant la même date.

[27]     Cela corrobore le témoignage de Vern Hunt voulant que les enfants aient été propriétaires d'actions et je suis convaincu hors de tout doute que Rick Hunt était le propriétaire de 20 pour cent des actions ordinaires de catégories « C » sans droit de vote aux moments pertinents pour les besoins du présent appel. Le fait qu'ils n'aient pas tenu le registre de la société à jour me paraît être un oubli et ne change rien à la situation.

[28]     Le témoin a contesté les hypothèses de fait b) et d) car, à son avis, lui et son épouse avaient transféré des actions avec droit de vote à Rick et à Tracey. Au bout du compte, le témoin a accepté que les hypothèses du ministre étaient fondées.

[29]     En ce qui concerne l'élément h), Vern Hunt a signalé que les heures normales d'ouverture de l'épicerie étaient de 8 h à 20 h et que Rick travaillait habituellement de 7 h à 19 h avec une pause de 15 minutes pour chacun des repas du midi et du soir. Il travaillait habituellement les samedis jusqu'à 15 h, puis les dimanches après-midi. Par conséquent, on ne peut guère prétendre qu'il travaillait selon les heures « normales » d'ouverture.

[30]     Quant au salaire versé, Vern Hunt a déclaré que l'appelante payait à Rick ce qu'elle croyait être en mesure de lui payer plutôt que le taux de salaire prépondérant. Son salaire était le même depuis les 15 années qu'il travaillait là parce que l'épicerie ne pouvait le payer davantage. L'entreprise s'efforçait de concurrencer les principales épiceries qui s'étaient établies dans la ville. À première vue, l'hypothèse du ministre est donc en partie fondée, mais ce dernier a complètement omis de prendre en compte le fait que le salaire ne correspondait pas au taux de salaire prépondérant pour un tel emploi et qu'il n'avait pas été augmenté depuis 15 ans en raison des difficultés financières qu'éprouvait l'appelante. Ce dont le ministre a omis de tenir compte est le fait que cette situation ne s'apparente guère à celle où il n'y a pas de lien de dépendance. Peu d'employés sans lien de dépendance accepteraient de travailler pour un employeur pendant 15 ans sans augmentation salariale parce que l'employeur n'a pas les moyens de leur verser le taux de salaire prépondérant.

[31]     À cet égard, au sujet du point n), le témoin a affirmé que, non seulement le travailleur ne recevait aucune prime, mais cet emploi valait en réalité au moins 40 000,00 $ par année, ce que l'appelante n'avait pas les moyens de payer à Rick.

[32]     Quant à l'hypothèse o), on a mentionné que les heures travaillées par Rick n'étaient consignées sur aucun document, de sorte qu'il n'était pas possible de lui payer son temps supplémentaire ou de lui accorder des congés à la place. S'il voulait jouer au golf ou pratiquer une activité analogue, il prenait simplement congé, mais il ne s'agissait pas d'une rétribution pour ses heures supplémentaires. Sur ce point aussi, le ministre a fait erreur.

[33]     Le témoin a mentionné que, même si le salaire de Rick était habituellement versé à ce dernier à intervalles réguliers, il est arrivé que les liquidités soient insuffisantes et qu'on lui demande de s'abstenir d'encaisser son chèque pendant plusieurs jours à la fois. L'appelante n'a jamais fait cette demande à un de ses employés ordinaires parce que, selon le témoin, cela n'aurait tout simplement pas fonctionné. Pendant le contre-interrogatoire, le témoin a affirmé que cette situation ne s'était produite que trois ou quatre fois au cours des deux ou trois dernières années. Sur ce point aussi le ministre a omis de tenir compte d'un facteur important qui établissait une distinction appréciable entre les modalités d'emploi de Rick et celles des employés ordinaires n'ayant pas de lien de dépendance.

[34]     Le témoin a totalement nié l'hypothèse r). Il a déclaré qu'au moment pertinent dans le présent appel, Rick dirigeait l'entreprise comme bon lui semblait. Bien qu'il ait pu demander leur avis à Vern ou à Eileen, il ne leur rendait pas compte à proprement parler.

[35]     Vern n'a jamais nié avoir déclaré qu'il détenait ce genre de contrôle. En réalité, il n'exerçait un contrôle prépondérant que lorsque son épouse votait dans le même sens que lui.

[36]     Relativement à l'hypothèse t), le témoin a affirmé que Rick était chargé de conclure avec les banques tous les accords financiers touchant les marges de crédit et les autres questions de ce genre. Même si Vern et son épouse devaient signer les documents pertinents, ils laissaient à Rick le soin de régler ces questions puisque l'épicerie allait de toute façon lui revenir et qu'il devait s'en occuper. Le témoin a ajouté qu'il n'aurait pas donné autant de latitude à un employé sans lien de dépendance, ni confié de telles responsabilités à une personne qui n'était pas membre de la famille. À cet égard aussi, le ministre a omis de tenir compte de cette relation de confiance très étroite.

[37]     Le témoin a sans équivoque contesté les éléments v) et w). Il a affirmé que, si quelque chose arrivait à Rick et qu'il ne pouvait plus continuer, il retournerait lui-même à l'épicerie pour faire le travail jusqu'à ce que l'entreprise puisse être vendue. Il a déclaré qu'il serait impossible d'embaucher un étranger pour accomplir ce travail au salaire qu'offrait l'appelante.

[38]     Le témoin a signalé que, même si Rick n'était pas à l'épicerie, il était constamment au téléphone cellulaire pour régler les questions relatives au commerce. Même s'il se trouvait normalement au magasin - et le ministre a raison sur ce point à première vue - ce dernier a omis de prendre en compte le fait que Rick était en réalité de service 12 heures par jour, sept jours par semaine.

[39]     Selon le témoin, l'hypothèse aa) n'est pas entièrement exacte. Rick utilisait son propre véhicule pour effectuer les livraisons locales et les frais qu'il engageait à cet égard ne lui étaient pas remboursés, sauf s'il avait de longues distances à parcourir.

[40]     Enfin, le témoin a déclaré que lui et son épouse avaient discuté avec le comptable de la possibilité de transférer leurs actions à Rick parce qu'ils voulaient que l'entreprise appartienne à part entière à ce dernier. Ils n'ont cependant jamais donné suite à ce projet en raison des conséquences fiscales qui en aurait découlé. Néanmoins, ils considéraient que l'entreprise appartenait à Rick dans les faits, sinon en droit.

[41]     Au cours du contre-interrogatoire, le témoin a convenu qu'à une occasion, Rick avait eu droit à un déplacement payé à l'extérieur du pays à titre de détaillant; qu'il était payé deux fois par mois comme les autres employés; que sur 22 travailleurs, seuls six étaient des employés à plein temps et qu'il s'agissait de salariés; que tous les travailleurs à l'exception de Rick consignaient leurs heures de travail; que Rick concluait tous les accords financiers avec la banque; que le comptable ne s'adressait à lui, Vern, qu'au sujet de questions importantes, comme la rénovation de l'épicerie; qu'il y avait un grand nombre de choses dont il n'était pas lui-même au courant; que les employés à plein temps travaillaient 40 heures par semaine et qu'ils étaient payés pour leurs heures supplémentaires s'ils travaillaient plus que cela.

[42]     Le témoin a en outre mentionné qu'avant de commencer à travailler à l'épicerie en 1981 ou 1982, Rick avait été au service d'une importante chaîne d'épicerie, et qu'il avait accepté une diminution de salaire au moment de se joindre à l'entreprise familiale. Rick a en temps et lieu pris la relève de Vern comme directeur.

[43]     Le témoin a également déclaré qu'aucun des chefs de service du magasin n'avait le pouvoir de signer des documents au nom de la société. Ils pouvaient placer des commandes générales pour obtenir des produits, mais s'il y avait quelque chose de nouveau, ils étaient tenus de s'adresser à Rick, tandis que ce dernier n'était jamais obligé de s'adresser à Vern.

[44]     Selon le témoin, l'immeuble qui abritait l'épicerie avait une superficie de 7 000 pieds carrés et appartenait à l'appelante. De plus, il y avait, au-dessus de l'épicerie, un appartement où Rick et sa famille habitaient. Ils payaient un loyer à l'appelante pour cet appartement. Aucun autre employé ne vivait sur les lieux.

[45]     Le témoin a convenu que Rick recevait une paye de vacances ou une rémunération de jours fériés conformément à la législation provinciale.

[46]     Enfin, le témoin a affirmé que Rick menait la barque dans l'entreprise depuis les 20 dernières années. Si son fils n'avait pas été là, il aurait dû travailler lui-même à l'épicerie tous les jours. Il avait une confiance absolue en Rick puisque c'était son fils.

[47]     Rick Hunt a également témoigné. J'estime qu'il était lui aussi un témoin honnête et franc.

[48]     Il a signalé que, comme il vivait au-dessus du magasin, il était réellement là 24 heures par jour. Il ouvrait l'épicerie lui-même tous les matins et c'est généralement lui qui procédait à la fermeture à la fin de chaque journée. Même si les employés avaient quitté les lieux à 20 h 15, il éteignait habituellement les lumières entre 20 h 30 et 21 h. Sur ce point également, j'arrive à la conclusion que le ministre a omis de prendre en compte la différence entre les heures travaillées par les employés ordinaires sans lien de dépendance et celles travaillées par Rick.

[49]     En ce qui touche la question du contrôle, il a à nouveau mentionné que c'est lui qui prenait toutes les décisions relatives à l'exploitation de l'entreprise et aux opérations financières avec la banque. Ses parents signaient les documents dans les faits, mais c'est lui qui se chargeait de prendre les dispositions nécessaires.

[50]     Rick a affirmé qu'il ne recevait aucun supplément lorsqu'il travaillait pendant les jours fériés et j'accepte son témoignage à cet égard.

[51]     Il a à nouveau signalé qu'il arrivait parfois que les fonds se trouvant dans le compte bancaire soient insuffisants pour lui permettre d'encaisser son chèque de paye de sorte qu'il attendait quelques jours jusqu'à qu'il puisse, selon ses propres termes, l'encaisser [TRADUCTION] « à la dérobée » .

[52]     Dans son témoignage, il a mentionné que les directeurs de magasins indépendants gagnaient 40 000,00 $ par année. Un de ses amis gagnait un salaire de 50 000,00 $ par année dans une épicerie semblable. Selon lui, il gagnait environ la moitié du salaire qu'il aurait pu avoir ailleurs, mais il n'avait pas le choix parce qu'il était propriétaire-directeur. C'est ainsi que lui et ses parents envisageaient sa situation. Il travaillait pour un salaire moindre parce qu'il considérait qu'il s'agissait de sa propre entreprise. Avant de se joindre à l'entreprise familiale, il était directeur d'une importante épicerie et son horaire de travail était beaucoup moins exigeant.

[53]     Il a ajouté qu'il congédiait et embauchait du personnel, s'occupait du compte bancaire, avait le pouvoir de signer les documents relatifs aux achats, prenait les dispositions nécessaires avec la banque pour que les chèques soient honorés et payait depuis le début un loyer de 400,00 $ par mois pour son appartement.

[54]     C'est là l'étendue réelle de son témoignage et je n'ai aucune difficulté à accepter celui-ci comme véridique.

[55]     Voilà donc la preuve dont je suis saisi.

[56]     Somme toute, j'estime qu'il existait un nombre appréciable de facteurs pertinents que le ministre a omis de prendre en considération. Il y a certains facteurs qu'il s'est contenté d'examiner de façon superficielle et d'autres à l'égard desquels il était dans l'erreur. Le plus important facteur de tous que le ministre a omis de prendre en compte est la relation existant entre le fils et ses parents et le fait que ces derniers avaient, dans les faits, sinon en droit, abandonné leur entreprise en faveur de Rick pour que celui-ci en fasse ce que bon lui semblait. Les personnes sans lien de dépendance n'agissent pas ainsi et le ministre a fait abstraction de cela lorsqu'il a pris sa décision. Tout découle vraiment de cette situation. Comme il était considéré que l'entreprise appartenait à Rick, ce dernier travaillait pendant des heures beaucoup plus longues que n'importe quel employé sans lien de dépendance ne l'aurait jamais fait, et pour un salaire moindre. Il estimait avoir toute latitude pour exploiter l'entreprise et organiser sa vie, alors qu'un employé sans lien de dépendance n'aurait pas agi ainsi. Comme Vern Hunt l'a affirmé, il avait confiance en lui parce qu'il était son fils, et il n'aurait jamais eu une telle confiance envers une personne n'ayant pas de lien de dépendance. La vie et les finances de Rick étaient totalement reliées à celles de la société, et le ministre a omis d'en tenir compte.

[57]     Lorsque j'examine l'ensemble des facteurs importants et pertinents qu'a révélés la preuve et les facteurs non pertinents, inexacts ou incomplets dont le ministre a tenu compte, je n'ai absolument aucune hésitation à affirmer que, si le ministre avait pris en considération les facteurs dont il aurait dû être saisi et fait abstraction de ceux dont il n'aurait pas dû tenir compte parce qu'inexacts ou dénués de pertinence, il n'aurait pu, d'un point de vue raisonnable et objectif, en arriver légitimement à la décision qu'il a prise. Cette décision n'est donc pas soutenable en droit et je dois maintenant passer au deuxième stade du processus d'appel et décider si, à la lumière de l'ensemble de la preuve, les parties auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu de toutes les circonstances, notamment celles expressément énoncées à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'AE.

Partie 2 - Examen de la preuve en ce qui a trait à Rick Hunt

[58]     Je n'ai pas l'intention d'examiner la preuve à nouveau. Il me paraît tout à fait évident que Rick Hunt exploitait cette entreprise comme si elle lui appartenait, avec l'accord de ses parents, lesquels souhaitaient qu'il en devienne propriétaire sur le plan juridique. Il faisait corps avec l'entreprise tous les jours, pour un salaire moindre que celui qu'il aurait obtenu ailleurs; il travaillait pendant des heures plus longues et assumait l'entière responsabilité liée à l'épicerie, tout cela parce qu'il considérait qu'il s'agissait de sa propre entreprise. Il avait donc un comportement qu'aucun employé sans lien de dépendance et n'ayant pas d'intérêt dans ce magasin n'aurait jamais adopté. Je ne puis m'empêcher de penser qu'un grand nombre de ces facteurs sont exactement ceux que le ministre invoque souvent dans les cas où il refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Il ne saurait y avoir deux poids deux mesures ici.

[59]     Je n'ai absolument aucune réserve en l'espèce à arriver à la conclusion que Rick Hunt avait un lien de dépendance avec la société appelante. En l'absence d'un tel lien, il n'aurait pas travaillé pendant d'aussi longues heures pour un salaire qui n'a pas été augmenté depuis plus de 15 ans ni retenu ses chèques de paye lorsque les fonds étaient insuffisants pour les honorer. Tous ces facteurs sont la marque de l'existence d'un lien de dépendance.

[60]     Enfin, il me semble, de façon générale, que le régime établi par le législateur vise manifestement à exclure des cas d'emploi assurable, les situations dans lesquelles des personnes exploitent une entreprise pour leur propre compte ou détiennent un contrôle appréciable sur les sociétés pour lesquelles elles travaillent, que ce soit avec des personnes auxquelles elles sont liées ou avec lesquelles elles ont un lien de dépendance. Si, dans ces cas, les relations de travail sont à peu près les mêmes que celles existant entre des personnes non liées et sans lien de dépendance, le législateur a alors manifestement choisi d'atténuer la gravité des conséquences qui découlent de l'impossibilité, pour ces personnes, de participer au régime en conférant au ministre le pouvoir discrétionnaire de leur donner accès à celui-ci. Il paraît évident que ce processus n'a pas été conçu par le législateur pour englober dans le filet que constitue le régime d'assurance-emploi les ententes en matière d'emploi dans le cadre desquelles les personnes exploitent pour ainsi dire l'entreprise comme s'il s'agissait de leur propre commerce; ont des liens économiques à ce point étroits avec leurs sociétés qu'aucun intérêt économique contradictoire ne les oppose; sont, pour l'essentiel, des entrepreneurs et non des travailleurs exerçant un emploi.

[61]     Bien qu'il ne fasse aucun doute que de nombreuses personnes qui cotisent au régime s'attendent à ne jamais y avoir recours, ce qui n'est pas pertinent, il est tout aussi manifeste que le régime est conçu à l'avantage des véritables salariés, lesquels doivent appuyer ce régime à l'aide de leurs cotisations, et non de ceux qui risquent gros afin de poursuivre leurs propres intérêts entrepreneuriaux. Ceux qui s'engagent dans cette voie choisissent d'assumer leurs propres risques et le législateur s'attend à ce qu'ils s'occupent d'eux-mêmes dans l'adversité. Le régime a en grande partie été mis en place à l'avantage de ceux qui se trouvent dans des situations d'emploi ordinaires et non pour ceux qui exploitent une entreprise pour leur propre compte. Manifestement, dans l'appel dont je suis saisi, le travailleur en cause exploitait une entreprise pour son propre compte.

Conclusion

[62]     À mon avis, il n'existait pas entre le travailleur et la société appelante des intérêts économiques contradictoires tels qu'ils auraient permis d'affirmer qu'il s'agissait d'intérêts économiques distincts. Leurs intérêts économiques étaient si étroitement liés qu'on ne pourrait prétendre que l'appelante agissait de son propre chef. Le genre de négociation qui se tiendrait dans le marché entre des commerçants qui ne se connaissent pas n'a pas lieu dans les ententes conclues en l'espèce. Il n'existait aucune indépendance d'esprit ou indépendance quant aux objectifs entre l'appelante et Rick Hunt susceptible de mener à la conclusion qu'ils n'avaient pas de lien de dépendance, en particulier lorsqu'il est tenu compte de la rétribution versée à Rick, des modalités d'emploi auxquelles il était assujetti ainsi que de la nature et de l'importance du travail accompli. Je conclus donc que Rick Hunt n'exerçait pas un emploi assurable.

[63]     Par conséquent, l'appel est admis et la décision du ministre est annulée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 3e jour de février 2004.

« Michael H. Porter »

Juge Porter

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de janvier 2005.

Jacques Deschênes, traducteur

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