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Dossiers : 96-2427(UI)

1999-4382(EI)

1999-4386(EI)

1999-4391(EI)

ENTRE :

LYNE PÉRUSSE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appels entendus les 2, 3, 4, 5 et 6 décembre 2002 à New Carlisle (Québec)

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Guy Cavanagh

Avocates de l'intimé :

Me Valérie Tardif

Me Chantal Jacquier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

Les appels sont rejetés et les décisions rendues par le ministre sont confirmées, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2003.

« François Angers »

J.C.C.I.


Référence : 2003CCI313

Date : 20030509

Dossiers :    96-2427(UI)

1999-4382(EI)

1999-4386(EI)

1999-4391(EI)

ENTRE :

LYNE PÉRUSSE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers, C.C.I.

[1]      Les présents appels ont été entendus sur preuve commune à New Carlisle (Québec). Il s'agit d'appels de décisions du ministre du Revenu national (le « ministre » ) selon lesquelles l'appelante n'a pas exercé un emploi assurable auprès de Me Guy Cavanagh (le « payeur » ) durant les périodes du 22 juin au 11 septembre 1992, du 3 mai au 23 juillet 1993, du 18 avril au 8 juillet 1994, du 10 avril au 7 juillet 1995 et du 4 mars au 31 mai 1996 dans le cas du dossier 96-2427(UI) (ci-après « 2427 » ), du 6 janvier au 30 mai 1997 dans le cas du dossier 1999-4382(EI) (ci-après « 4382 » ), et du 16 juin au 26 décembre 1997 dans le cas du dossier 1999-4386(EI) (ci-après « 4386 » ). Dans le cas du dossier 1999-4391(EI) (ci-après « 4391 » ), il s'agit d'un appel d'une décision du ministre selon laquelle l'appelante n'a pas exercé un emploi assurable auprès de 9055-2159 Québec Inc. (ci-après « 9055 Qué. Inc. » ) durant la période allant du 29 décembre 1997 au 29 mai 1998.

[2]      Dans le dossier 2427, le ministre a déterminé que l'emploi de l'appelante durant les périodes en litige n'était pas assurable en vertu de l'alinéa 3(2)c)de la Loi sur l'assurance-chômage (L.A.C.) parce qu'il existait un lien de dépendance entre l'appelante et le payeur et, n'eût été de ce lien, les conditions d'emploi n'auraient pas été les mêmes.

[3]      En rendant sa décision dans ce dossier, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes, qui ont été admises ou niées par l'appelante tel qu'indiqué :

a)          le payeur pratique le droit sans associé; (nié)

b)          il embauche 2 secrétaires juridiques, l'une travaillant environ 35 semaines par année, et l'autre, travaillant environ 18 semaines par année; (admis)

c)          l'appelante est la conjointe de fait du payeur; (admis)

d)          ils sont les parents de 3 enfants qui étaient âgés de 10, 7 et 4 ans à l'été 1996; (admis)

e)          l'appelante travaillait pour le payeur au titre d'agente de bureau depuis 1987; (admis)

f)           ses tâches consistaient principalement à :

            effectuer la tenue de livres,

            dresser les états financiers annuels,

            préparer les rapports d'impôt,

            dresser des statistiques;

(nié)

g)          elle travaillait à temps plein durant 11 à 13 semaines par année, et 4 heures par semaines durant le reste de l'année; (admis)

h)          elle recevait une rémunération hebdomadaire de 700$, pour 32,5 heures de travail en 1992 et 1993, et 35 heures les années suivantes; (nié)

i)           elle touchait 80$ pour les semaines de 4 heures de travail; (admis)

j)           les secrétaires juridiques gagnaient de 350$ à 400$ par semaine pour des semaines de 32,5 à 35 heures; (admis)

k)          l'appelante prétend prendre 3 semaines à temps plein pour la préparation des rapports d'impôt, alors que, engagée à temps plein les 22 juin 1992, 3 mai 1993 et 18 avril 1994, les déclarations fédérales d'impôt du payeur pour les années 1991, 1992 et 1993, ont été produite les 30 avril 1992, 12 avril 1993 et 29 avril 1994; (nié)

l)           les états financiers du payeur révèlent les revenus suivants:

revenus bruts

revenus nets

au 30/6/92

130 965$

34 009$

au 30/6/93

106 982$

19 645$

au 30/6/94

105 396$

13 796$

au 30/6/95

141 630$

50 740 $

(admis)

m)         les tâches de l'appelante ne nécessitaient pas l'embauche d'un employé à temps plein durant 10 à 13 semaines par année; (nié)

n)          le nombre de semaines travaillées à chacune des années en cause, correspond au minimum de semaines nécessaires à l'appelante pour se qualifier pour recevoir des prestations d'assurance-chômage; (nié)

o)          à chaque période, elle retirait des prestations d'assurance-chômage jusqu'au jour où elle recommençait à travailler à plein temps (admis)

p)          le salaire de l'appelante était trop élevé pour les tâches qui lui étaient assignées; (nié)

q)          l'appelante avait un lien de dépendance de fait avec le payeur en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour la période du 22 juin au 11 septembre 1992 en litige, compte tenu des circonstances indiquées plus haut; (nié)

r)           de plus pour les périodes subséquentes en litige, il n'est pas raisonnable de conclure dans les circonstances indiquées plus haut, que le contrat de travail de l'appelante aurait été à peu près semblable si elle n'avait pas eu de lien de dépendance avec le payeur. (nié)

[4]      Dans le dossier 4382, le ministre a déterminé que l'emploi de l'appelante durant la période en litige n'était pas assurable aux termes de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi ( « L.A.E. » ) puisqu'il existait entre l'appelante et le payeur un lien de dépendance et, qu'après avoir examiné les conditions et les modalités de l'emploi, un contrat semblable n'aurait pas été conclu s'il n'y avait pas eu ce lien de dépendance entre les parties.

[5]      En rendant sa décision dans ce dossier, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes, qui ont été admises ou niées par l'appelante tel qu'indiqué :

a)          Depuis le 13 juillet 1987, le payeur exploite un bureau d'avocat de pratique générale et, depuis le 13 juillet 1992, il exploite aussi un bureau de planification financière. (admis)

b)          Le 3 octobre 1997, suite à la constitution de "9055-2159 Québec Inc.", les opérations du payeur ont été scindées : Me Guy Cavanagh exploite le bureau d'avocat de pratique générale et la corporation exploite un bureau de planification financière et de gestion. (admis)

c)          Le payeur occupe un bureau d'affaires à New Richmond (Québec) et dès l'ouverture de son étude en 1997, il embaucha l'appelante, sa conjointe de fait, comme agente de bureau. (admis)

d)          Le payeur exploite son étude à l'année longue. (admis)

e)          De 1987 à 1992, l'appelante a occupé le poste d'agente de bureau sur une base continue à temps partiel ou à temps plein. (admis)

f)           De 1992 au 30 mai 1997, incluant la période en litige, l'appelante a occupé les postes d'agente de bureau sur une base continue à temps partiel ou à temps plein et d'assistante en planification financière durant les périodes à temps plein. (admis)

g)          Durant la période en litige, l'appelante a été inscrite au registre des salaires du payeur pendant 18 semaines à temps plein à raison de 700 $ brut par semaine et pendant 2 semaines à temps partiel à raison de 80 $ par semaine. (admis)

h)          Durant la période en litige, l'appelante recevait une rémunération hebdomadaire fixe de 700 $ pour 32.5 heures par semaine (en été) ou 35 heures par semaine durant les autres semaines; lorsqu'elle était à temps partiel, elle faisait 4 heures par semaine et recevait une rémunération de 80 $. (admis)

i)           Dans l'exécution de son travail, que ce soit comme agente de bureau ou assistante en planification, l'appelante était supervisée par le payeur. (admis)

j)           Durant la période en litige, le payeur embauchait Mme Josée Audet comme secrétaire juridique; elle recevait une rémunération hebdomadaire de 420 $ pour 35 heures de travail. (admis)

k)          Le payeur a aussi employé Mme Louisa Bujold comme secrétaire juridique, du début juin à la fin de novembre 1997 et lui versait une rémunération hebdomadaire de 420 $ pour 32.5 ou 35 heures par semaine. (admis)

l)           L'appelante a été mise à pied le 30 mai 1997 et le payeur embauchait Mme Bujold à plein temps dès son départ. (admis)

m)         Contrairement aux deux secrétaires juridiques qu'il embauchait uniquement pour des périodes à plein temps, le payeur pouvait inscrire l'appelante à plein temps ou à temps partiel. (admis)

n)          L'appelante recevait une rémunération hebdomadaire de 700 $ par semaine alors que les deux secrétaires juridiques recevaient une rémunération hebdomadaire de 420 $ pour le même nombre d'heures. (admis)

o)          L'appelante était inscrite au registre des salaires du payeur à temps partiel, à temps plein ou mise à pied sans égard aux périodes d'activités du payeur ou à ses revenus. (nié)

p)          L'appelante rendait des services au payeur à l'année longue tout en étant rémunérée que pour certaines périodes. (nié)

[6]      Dans le dossier 4386, le ministre a déterminé que l'emploi de l'appelante durant la période en litige n'était pas assurable pour les mêmes motifs que dans le cas du dossier 4382. En rendant sa décision, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes, lesquelles ont été admises ou niées par l'appelante tel qu'indiqué :

a)          Depuis le 13 juillet 1987, le payeur exploite un bureau d'avocat de pratique générale et, depuis le 13 juillet 1992, il exploite aussi un bureau de planification financière. (admis)

b)        Le 3 octobre 1997, suite à la constitution de "9055-2159 Québec Inc.", les opérations du payeur ont été scindées : Me Guy Cavanagh exploite le bureau d'avocat de pratique générale et la corporation exploite un bureau de planification financière et de gestion. (admis)

c)          L'appelante a travaillé pour l'étude du payeur jusqu'au 26 décembre 1997 et a commencé à être rémunérée par la corporation le 29 décembre 1997. (admis)

d)          Le payeur occupe un bureau d'affaires à New Richmond (Québec) et dès l'ouverture de son étude en 1987, il embaucha l'appelante, sa conjointe de fait, comme agent de bureau. (admis)

e)          Le payeur exploite son étude à l'année longue. (admis)

f)        De 1987 à 1992, l'appelante a occupé un poste d'agente de bureau sur une base continue à temps partiel ou à temps plein. (admis)

g)        De 1992 à la fin de novembre 1997, l'appelante a occupé les postes d'agente de bureau sur une base continue à temps partiel ou à temps plein et d'assistante en planification financière durant les périodes à temps plein; à partir du 1er janvier 1997, l'appelante s'occupait aussi du travail de secrétariat. (admis)

h)          Durant la période en litige, l'appelante a été inscrite au registre des salaires du payeur comme suit :

            - du 16 juin au 28 novembre 1997 à raison de 4 heures par semaine, sauf la semaine du 1er au 5 septembre où elle était inscrite 6 heures.

            - du 1er au 19 décembre à temps plein à raison de 40 heures par semaine.

            - Du 22 au 26 décembre pour 4 heures.

            (nié)

i)           Durant la période en litige, l'appelante recevait une rémunération hebdomadaire fixe de 700 $ pour 32.5 heures par semaine (en été) ou 35 heures par semaine durant les autres semaines; à partir du 1er décembre 1997, ses heures sont passées à 40 heures par semaine; lorsqu'elle était à temps partiel, elle recevait une rémunération de 20 $ de l'heure. (admis)

j)           Dans l'exécution de son travail, que ce soit comme agent de bureau ou assistante en planification, l'appelante était supervisée par le payeur. (nié)

k)          De janvier au début de juin 1997, le payeur embauchait Mme Josée Audet comme secrétaire juridique; elle recevait une rémunération hebdomadaire de 420 $ pour 35 heures de travail. (admis)

l)           Durant la période en litige, le payeur embauchait Mme Louisa Bujold comme secrétaire juridique, du début juin à la fin de novembre 1997 et lui versait une rémunération hebdomadaire de 420 $ pour 32.5 ou 35 heures par semaine. (admis)

m)         L'appelante a été mise à pied le 30 mai 1997 et le payeur embauchait Mme Bujold à plein temps dès son départ. (admis)

n)          Contrairement aux deux secrétaires juridiques qu'il embauchait uniquement pour des périodes à plein temps, le payeur pouvait inscrire l'appelante à plein temps ou à temps partiel. (admis)

o)          L'appelante recevait une rémunération hebdomadaire de 700 $ par semaine alors que les deux secrétaires juridiques recevaient une rémunération hebdomadaire de 420 $ pour le même nombre d'heures. (admis)

p)          L'appelante était inscrite au registre des salaires du payeur à temps partiel, à temps plein ou mise à pied sans égard aux périodes d'activités du payeur ou à ses revenus. (nié)

q)          L'appelante rendait des services au payeur à l'année longue tout en étant rémunérée que pour certaines périodes. (nié)

[7]      Finalement, dans le dossier 4391, le ministre a déterminé que l'emploi de l'appelante durant la période en litige n'était pas assurable pour les mêmes motifs que dans les dossiers 4382 et 4386, sauf que dans ce dossier, le payeur est 9055 Qué. Inc., dont la seule action est détenue par la Fiducie ACMAP, dont Me Cavanagh est le seul administrateur. En rendant sa décision, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes, lesquelles ont été admises ou niées par l'appelante tel qu'indiqué :

a)          Depuis le 13 juillet 1987, Me Guy Cavanagh exploite un bureau d'avocat de pratique générale et il exploite aussi, depuis le 13 juillet 1992, un bureau de planification financière. (admis)

b)          Le 3 octobre 1997, suite à la constitution en société du payeur, les opérations de Me Cavanagh ont été scindées : Me Guy Cavanagh exploite le bureau d'avocat de pratique générale et le payeur exploite un bureau de planification financière et de gestion. (admis)


c)          Le seul actionnaire du payeur est la Fiducie ACMAP qui détient la seule action ordinaire de catégorie "A", comportant droit de vote; Me Cavanagh est le seul administrateur de la fiducie dont les bénéficiaires sont les trois enfants mineurs de Me Cavanagh et de l'appelante. (admis)

d)          L'appelante a travaillé pour l'étude de Me Cavanagh jusqu'au 26 décembre 1997 et a commencé à être rémunérée par le payeur le 29 décembre 1997. (admis)

e)          À partir du 29 décembre 1999, l'appelante a effectué toutes les tâches auparavant reliées à l'étude de Me Cavanagh ainsi que les mêmes tâches pour le payeur. (admis)

f)           À compter du 29 décembre 1997, l'étude de Me Cavanagh n'engage plus de personnel puisque sa gestion est assumée dorénavant par le payeur. (admis)

g)          Me Cavanagh occupe un bureau d'affaires à New Richmond (Québec) et dès l'ouverture de son étude en 1987, il embaucha l'appelante, sa conjointe de fait, comme agente de bureau. (admis)

h)          L'étude de Me Cavanagh et le bureau de planification financière et de gestion sont exploités à l'année longue. (admis)

i)           De 1987 à 1992, l'appelante a occupé un poste d'agent de bureau sur une base continue à temps partiel ou à temps plein pour Me Cavanagh. (admis)

j)           De 1992 à la fin de novembre 1997, l'appelante a occupé les postes d'agente de bureau sur une base continue à temps partiel ou à temps plein et d'assistante en planification financière durant les périodes à temps plein; à partir du 1er janvier 1998, l'appelante s'occupait aussi du travail de secrétariat. (nié)

k)          Durant la période en litige, l'appelante a été inscrite au registre des salaires du payeur comme suit :


            - du 29 décembre 1997 au 2 janvier 1998 pour un total de 4 heures.

            - du 5 janvier 1998 au 29 mai 1998, à plein temps à raison de 40 heures par semaine.

            (nié)

l)           Durant la période en litige, l'appelante recevait une rémunération hebdomadaire fixe de 700 $ pour 40 heures par semaine; lorsqu'elle était à temps partiel, elle recevait une rémunération de 20 $ de l'heure. (admis)

m)         Dans l'exécution de son travail, que ce soit comme agente de bureau ou assistante en planification, l'appelante était supervisée par le payeur. (admis)

n)          Me Cavanagh a embauché Mme Louisa Bujold, du début juin jusqu'à la mi-octobre, comme secrétaire juridique et lui a versé une rémunération hebdomadaire de 420 $ pour 32.5 ou 35 heures par semaine. (admis)

o)          Contrairement aux deux secrétaires juridiques que Me Cavanagh a embauché uniquement pour des périodes à plein temps, il pouvait inscrire l'appelante à plein temps ou à temps partiel. (admis)

p)          L'appelante recevait une rémunération hebdomadaire de 700 $ par semaine alors que les deux secrétaires juridiques recevaient une rémunération hebdomadaire de 420 $ pour le même nombre d'heures. (admis)

q)          L'appelante était inscrite au registre des salaires du payeur à temps partiel, à temps plein ou mise à pied sans égard aux périodes d'activités du payeur ou à ses revenus. (nié)

r)           L'appelante rendait des services à Me Cavanagh et au payeur à l'année longue tout en étant rémunérée que pour certaines périodes. (nié)

[8]      Dans tous ces appels, l'appelante soutient que l'alinéa 3(2)c) de L.A.C. ainsi que l'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de L.A.E. sont discriminatoires et portent atteinte au droit d'égalité garanti par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ( « Charte » ) qui se lit comme suit :

15.(1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[9]      Il faut signaler que dans le dossier 2427, il s'agit d'un nouveau procès tenu conformément au jugement rendu par la Cour d'appel fédérale le 10 mars 2000. La Cour d'appel fédérale a statué sur la question constitutionnelle soulevée par l'appelante et a conclu qu'il n'y avait pas eu de violation du paragraphe 15(1) de la Charte. En l'espèce, l'appelante soulève cette question non seulement lors du nouveau procès dont la Cour d'appel fédérale a ordonné la tenue, mais également lors des appels subséquents dont cette cour est saisie. En l'espèce, les avis aux procureurs généraux du Canada et des provinces ont été donnés conformément aux règles de la Cour fédérale. Je reviendrai à la question constitutionnelle plus tard dans mes motifs.

[10]     Le fait que l'appelante et le payeur sont conjoints de fait est admis pour toutes les périodes en litige. Il existe donc un lien de dépendance entre eux durant ces années, y compris celles où le payeur était une société contrôlée par Me Cavanagh. En 1992, la loi ne référait pas aux conjoints de fait. Le ministre allègue donc qu'il existait durant cette année un lien de dépendance de fait. Comme l'appelante l'a admis, le payeur et elle sont les parents de trois enfants qui étaient âgés de 10, 7 et 4 ans à l'été 1996.

[11]     Le payeur pratique le droit depuis 1982 et exploite une entreprise forestière. En 1987, il a ouvert son propre bureau et a embauché une secrétaire juridique à temps plein. Ayant besoin de quelqu'un pour s'occuper de la tenue des livres et des autres aspects de la comptabilité de son cabinet d'avocat et de son entreprise, il décida, après consultations, qu'il lui en coûterait moins cher d'avoir quelqu'un sur place à un taux horaire de 18 à 20 dollars plutôt que d'embaucher un cabinet comptable et payer 50 dollars de l'heure. Il a donc décidé d'embaucher sa conjointe. Cette dernière détient un doctorat en relations industrielles de l'Université Laval; elle travaillait à l'époque à contrat pour l'Université et recevait de 700 et 1 000 dollars par semaine. Il voyait en sa conjointe non seulement une aide du côté technique, mais il croyait également que sa formation pouvait lui être utile dans les dossiers portant sur la négociation de conventions collectives ou sur la C.S.S.T. Elle devenait donc une personne ressource. Elle travaille pour le payeur depuis 1987 à raison de quelques semaines par année. Pendant les années visées par les présents appels, elle a travaillé pendant onze semaines en 1992, pendant douze semaines en 1993 et en 1994, pendant treize semaines en 1995 et en 1996, pendant vingt et une semaines en 1997, pendant trente et une semaines en 1998 et pendant quarante-trois semaines en 1999. Le nombre d'heures de travail par semaine variait de trente-deux à trente-cinq heures. Durant le reste de l'année, l'appelante travaillait à raison de quatre heures par semaine à un taux horaire de vingt dollars. Depuis l'an 2000, elle travaille à temps plein.

[12]     Le payeur a témoigné qu'il aurait aimé embaucher l'appelante durant toute l'année pendant les années visées par les appels, mais que son chiffre d'affaires ne le lui permettait pas. À ce sujet, il a déposé la pièce A-1 donnant son revenu brut total pour chacune des années en litige, y compris les années où il a constitué sa société et commencé à offrir des services de planification financière.

[13]     Lors de son embauche en 1987, l'appelante était payée 530 $ par semaine. Durant toutes les périodes en litige, son salaire était de 700 $ par semaine. Elle était rémunérée à raison de 20 $ l'heure pour les semaines de quatre heures de travail. Selon le payeur, l'appelante était une personne ressource importante en plus d'avoir les compétences nécessaires pour faire la comptabilité. Sa rémunération a été établie après consultation avec un bureau comptable.

[14]     Le payeur a déposé en preuve le curriculum vitæ de l'appelante, le rapport d'activité préparé par cette dernière et son diplôme. Il a, par la suite, donné un compte rendu du travail qu'elle a accompli pendant chacune des périodes en litige.

[15]     En 1992, l'appelante a eu comme mandat de refaire la facturation pour plusieurs des dossiers du payeur afin de préciser le temps qu'il y avait consacré. Elle a également aidé le payeur dans d'autres dossiers, en plus de faire la comptabilité. Durant les onze semaines pendant lesquelles elle a travaillé, ses heures de travail étaient de 8 h 30 à midi et de 13 h 30 à 16 h 30. Durant cette période, son travail était exécuté à son bureau. Le payeur souligne que l'appelante, durant toutes les périodes en litige, n'a reçu aucun avantage social sauf ceux prévus par les lois, comme ses autres employés, d'ailleurs.


[16]     Le payeur explique que pendant les années 1993, 1994 et 1995, l'appelante est venue travailler afin de répondre aux besoins de son cabinet et de l'assister dans certains de ses dossiers. Lorsqu'il est devenu planificateur financier, les tâches de l'appelante ont augmenté, ce qui explique l'augmentation du nombre de semaines de travail jusqu'en 1997. Elle devait préparer des questionnaires et exécuter d'autres tâches connexes aux services de planification financière que rendait le payeur. Elle s'occupait toujours de la comptabilité et a travaillé à titre de secrétaire juridique en décembre 1997. Il explique qu'avec l'appelante, il avait trois employés en un. Durant la dernière période en litige, elle a travaillé pendant trente et une semaines pour accomplir les tâches qu'il lui avait confiées. Pendant la dernière période, la constitution de la société 9055-2159 Québec Inc. a créé une surcharge de travail pour l'appelante, ce qui explique le nombre de semaines supplémentaires pendant lesquelles elle a travaillé.

[17]     Lors du contre-interrogatoire, le payeur a témoigné qu'il consacre environ 25 % à 30 % de son temps aux services de planification financière et que ce pourcentage est resté semblable de 1992 à 1998. Ses services dans ce domaine sont principalement liés aux dossiers de sa pratique du droit portant sur les séparations, les réclamations en dommages-intérêts et la gestion de dettes pour ses clients. Il explique que le travail de l'appelante consistait à faire l'analyse des données financières avec lui lorsqu'elle était présente au bureau et il précise qu'il le faisait seul lorsqu'elle était absente. Il obtient les renseignements du client et, par la suite, l'appelante rédigeait les bilans et les états financiers nécessaires. Il reconnaît que l'appelante n'a pas le titre de planificateur financier et qu'il n'y a pas de période creuse durant l'année. Ce travail est continu, sauf qu'il y a des mois plus chargés.

[18]     Le payeur a toujours eu une secrétaire juridique à temps plein. Leurs heures de travail sont les mêmes que celles de l'appelante et leur salaire variait de 350 $ à 400 $ par semaine. Le travail des secrétaires juridiques était partagé entre deux employées qui se partageaient les semaines. Les deux ne travaillaient jamais en même temps. Une des secrétaires juridiques détenait un diplôme d'études collégiales et l'autre avait complété trois années d'études.

[19]     La pièce I-1, onglet 15, est la demande de l'appelante au sujet de l'assurabilité de son emploi dans le dossier 2427 pendant les périodes de 1992 à 1995. Le titre du poste que l'appelante est agente de bureau. Dans ce document, elle décrit les tâches qu'elle devait accomplir durant les semaines de quatre heures de travail et ses tâches durant les périodes de travail à temps plein. Parmi les tâches que l'appelante doit exécuter sur une base continue, c'est-à-dire à raison de quatre heures par semaine, on retrouve les sommes à recouvrer, les sommes à payer, les rapports trimestriels de TPS et de TVQ, la paye, la tenue des livres comptables, l'administration du personnel et la tenue des livres du compte en fiducie. Parmi les tâches à exécuter pendant les semaines de trente-cinq heures de travail ou de 32,5 heures l'été, on retrouve les déclarations de revenus, la préparation des états financiers, la préparation de statistiques, des mises à jour sur différents aspects de la pratique du payeur, l'administration du personnel, des études spéciales telles que sondages et le fait de se tenir à jour en informatique et en planification financière.

[20]     Le payeur a reconnu qu'il communiquait lui-même avec ses débiteurs, même s'il s'agit d'une tâche confiée à l'appelante selon l'onglet 15 de la pièce I-1. Il a été incapable de préciser quand l'appelante accomplissait ses tâches lorsqu'elle travaillait à temps partiel, c'est-à-dire pendant quatre heures par semaine. Il a parlé d'une soirée de quatre heures par semaine et, par après, il a reconnu que les feuilles de temps à l'onglet 33 de la pièce I-1 indiquaient une heure par soir, quatre soirs par semaine. Il a dit qu'il discutait avec l'appelante afin de décider quel soir elle devait travailler pour finalement reconnaître que son horaire était souple. Le payeur n'a pas été capable de déterminer combien de temps était nécessaire à chacune des tâches que l'appelante faisait lorsqu'elle travaillait quatre heures par semaine; les durées indiquées représentent leurs estimations du temps accordé à chaque tâche.

[21]     Pour ce qui est des tâches accomplies pendant toute l'année, il n'a pas été capable de préciser le temps consacré à chacune des tâches décrites. Il reconnaît que les déclarations de revenus devaient être faites avant le 1er mai de chaque année. Quant aux états financiers, ils devaient être prêts le 30 mars de chaque année et, après 1996, ils devaient être prêts le 31 décembre de chaque année.

[22]     L'information statistique servait à ventiler les divers domaines de la pratique du payeur et à identifier le lieu de résidence de ses clients afin de mieux cibler sa publicité. Il ne peut toutefois dire, pour les années de 1992 à 1998, pendant quelles années les statistiques en question ont été préparées. Le payeur admet que l'appelante a recueilli moins de données au fil des ans, en raison du poids de ses tâches. Le payeur ne peut identifier le temps consacré à cette rubrique.

[23]     Le payeur a admis que les tâches de la rubrique « mise à jour » devaient être exécutées par l'appelante pendant les semaines de travail de quatre heures plutôt que lorsqu'elle travaillait à temps plein, puisqu'il faut s'en occuper durant toute l'année. Il s'agit des sommes à recouvrer, des comptes des cartes de crédit et du classement des factures. Malgré cet aveu, le payeur soutient que l'appelante n'accumule pas le travail qui devrait être fait lorsqu'elle travaille à temps partiel afin de le faire lorsqu'elle travaille à temps plein.

[24]     La rubrique « administration du personnel » , est une tâche que l'appelante accomplissait durant sa période de travail à temps plein. Le payeur témoigne qu'il s'agit principalement de s'assurer de la qualité du français écrit et parlé au bureau. En l'absence de l'appelante, il témoigne que c'est lui qui s'en occupait. Il affirme que l'appelante s'est occupée de la santé et de la sécurité au travail en donnant à titre d'exemple qu'elle s'est occupée de la hauteur des chaises et des écrans des ordinateurs. Il a mentionné que l'appelante évaluait la secrétaire quotidiennement.

[25]     Le payeur a été incapable de décrire en quoi consistait la rubrique « études spéciales » , sauf qu'il s'est souvenu qu'en 1992 l'appelante avait élaboré, pour un de ses clients, un rapport qui lui aurait demandé d'une à deux semaines de travail.

[26]     L'avant-dernière rubrique des tâches annuelles accomplies durant les périodes d'emploi à temps plein de l'appelante s'intitule « information sur tout nouveau développement » . Le payeur a témoigné qu'il avait demandé en 1996 à l'appelante d'étudier un logiciel de comptabilité pour son étude. Il ne peut dire combien de temps elle aurait consacré à cela et le projet a, par la suite, été abandonné.

[27]     Le payeur a témoigné avoir demandé à l'appelante, en 1993, de faire l'étude d'un cours de formation en planification financière. Possédant déjà le titre de planificateur financier, il voulait parfaire ses connaissances, de sorte qu'en 1997 il a pu se présenter en tant que tel. Le travail de l'appelante consistait à faire l'étude de deux volumes intitulés « Gérer et investir votre argent avec succès » et d'en résumer le contenu. Le payeur a déclaré en avoir aussi fait l'étude. L'appelante a effectué le travail, mais l'a échelonné sur une période de trois ans, soit de 1993 à 1995. Elle a effectué le travail durant les périodes d'emploi à temps plein.

[28]     En 1996, le payeur s'est inscrit à un cours intitulé « Synthèse en planification financière personnelle » offert par l'Institut québécois de planification financière. Il s'agissait d'une série de modules à étudier et à remettre suivant un échéancier; il fallait également faire l'étude de deux cas soumis par l'Institut. Quoique l'appelante n'était pas inscrite au cours, elle a étudié et a préparé chacun des modules pour le payeur. Le premier module a été remis le 14 février 1996 et le dernier, le 28 juin 1996. En 1997 et 1998, l'appelante a également travaillé à la préparation d'aide-mémoire, de questionnaires et de formules facilitant l'ouverture de dossiers et la compilation de renseignements provenant des clients du payeur. Le 29 janvier 1997, le payeur a reçu son attestation de planificateur financier.

[29]     Du 1er au 19 décembre 1997, l'appelante a remplacé la secrétaire du payeur. Elle a été embauchée plus tard par la société du payeur pour la période du 6 janvier au 30 mai 1998, mais dans ses fonctions habituelles. Madame Josée Audet agissait comme secrétaire durant la même période. Les mises à pied de l'appelante le 31 mai 1996 et le 30 mai 1997 étaient, selon le payeur, parce que les services de l'appelante n'étaient plus requis. Il ne peut toutefois expliquer pourquoi les mises à pied ont eu lieu à ces dates-là. Selon lui, l'appelante travaillait selon les besoins de son bureau.

[30]     Lors du contre-interrogatoire, l'avocate de l'intimé a demandé le revenu net du payeur pour chacune des années en litige. Voici les montants en question.

Années

Revenus bruts

Revenus nets

1992

154 507 $     

47 016 $

1993

96 180 $     

21 807 $ (27 212 $ après vérification)

1994

99 180 $     

23 833 $ (29 989 $ après vérification)

1995

164 147 $     

34 953 $ (46 352 $ après vérification)

1996

108 499 $     

1997

111 225 $     

26 435 $

1998

154 192 $     

48 403 $

[31]     Pour sa part, l'appelante a témoigné avoir été embauchée par son conjoint, le payeur, lors de l'ouverture de son bureau en 1987 afin de l'aider à organiser son cabinet d'avocat. Son salaire a alors été établi à 530 $ par semaine. En 1990, elle gagnait 640 $ par semaine et pendant les périodes en litige, elle gagnait 700 $ par semaine. Pour les fins du dossier, l'appelante a déposé en preuve un résumé des tâches qu'elle a accomplies pour le payeur pour chacune des périodes en litige. Ce document se retrouve sous la cote A-8.

[32]     Selon son témoignage et le résumé en question, l'appelante s'occupait de certaines tâches de nature régulière et continue à raison de quatre heures par semaine et ce, durant la plupart des périodes. Durant les semaines de trente-deux et trente-cinq heures de travail, il semble que l'appelante était affectée à des projets particuliers en plus de faire le travail régulier qui nécessitait quatre heures par semaine.

1992

[33]     La période d'emploi en litige est du 22 juin au 11 septembre 1992, soit onze semaines. Cette période de travail a été nécessaire afin de faire les tâches liées à la fin de l'exercice, le 30 juin. L'appelante témoigne avoir également travaillé relativement aux dossiers du payeur; dans le cas d'un dossier particulier, ses compétences ont permis de résoudre le problème soulevé par le dossier. L'appelante a également dû refaire la facturation pour plusieurs dossiers du payeur, dont certains ont exigé un mois de travail. En septembre 1992, le payeur a reçu le titre de planificateur financier et elle a eu à faire les préparatifs en conséquence. Elle a également mis du temps à aménager la bibliothèque du payeur.

1993

[34]     La période est du 3 mai au 23 juillet 1993, soit douze semaines. La fin de l'exercice était toujours le 30 juin et l'appelante a donc préparé les états financiers annuels. Durant sa période de travail à temps plein, l'appelante a étudié et résumé les sept premières leçons du programme d'études des Éditions Hume Ltée (pièce A-6), soit « Gérer et investir votre argent avec succès » . Selon l'appelante, elle devait se familiariser avec la planification financière en vue de fournir des services à la clientèle de l'étude. Elle devait donc se recycler et, par conséquent, elle a fait des résumés au sujet de différents indicateurs économiques de même que des résumés de certains textes pour le bénéfice du payeur. L'appelante aurait d'ailleurs fait ce travail durant les périodes de 1993 à 1995. Elle a, de plus, expliqué le temps consacré à chacune de ses tâches lorsqu'elle travaillait à temps partiel.


1994

[35]     La période s'étend du 18 avril au 8 juillet, soit douze semaines. Son travail durant les semaines de travail à temps plein a consisté à étudier et résumer les leçons 8 à 15 du programme d'étude Hume Ltée, à continuer sa formation en économie et à résumer des textes.

1995

[36]     La période s'étend du 10 avril au 7 juillet, soit treize semaines. Elle a effectué les mêmes deux tâches qu'en 1994, soit l'étude et le résumé du programme d'étude Hume Ltée pour les leçons 16 à 19 et la leçon 26 et sa formation en économie. Selon l'appelante, le payeur lui aurait dit qu'il n'était pas nécessaire de compléter les leçons 27 à 31 du programme. En 1995, l'appelante a eu à préparer deux états financiers puisque la date de la fin de l'exercice a changé.

1996

[37]     La période s'étend du 4 mars au 31 mai, soit treize semaines. Durant cette période de travail à temps plein, l'appelante a eu à se familiariser avec la planification financière et fiscale en vue d'offrir des services à l'étude. L'appelante et le payeur devaient compléter treize modules, faire l'étude de deux cas et préparer une synthèse des modules pendant la période du 5 février au 30 mai. Ils ont donc fait ce travail ensemble en plus de continuer sa formation en économie et en méthodes mathématiques financières.

1997

[38]     La période s'étend du 6 janvier au 24 janvier à raison de quatre heures par semaine et du 27 janvier au 30 mai à temps plein, soit dix-huit semaines. L'appelante a déposé en preuve la pièce A-3, un rapport d'activité pour cette période. Le début de l'année 1997 a vu la mise sur pied du service de planification financière du payeur. L'appelante a donc préparé des formules types pour ouvrir les dossiers, pour recueillir les renseignements du client afin de développer des stratégies; bref, elle a préparé tout ce qui était nécessaire à la prestation des services. L'appelante a également rédigé des articles publicitaires pour les journaux.

[39]     L'appelante a recommencé à travailler à temps plein du 1er au 19 décembre 1997. Elle a accompli ses tâches d'agente de bureau et a travaillé comme secrétaire juridique puisque madame Bujold a dû quitter le bureau. Elle a donc accepté de dépanner le payeur durant cette période.

[40]     Le 3 octobre 1997, le payeur a constitué une société de gestion, soit 9055 Que. Inc., qui n'a commencé à faire affaires que le 1er janvier 1998. Au cours de la période du 29 décembre 1997 au 29 mai 1998, l'appelante a donc travaillé pour cette société pendant une semaine de quatre heures de travail et pendant vingt et une semaines de quarante heures de travail. Elle a repris le travail du 15 juin au 16 octobre 1998. Durant la période en litige, elle a occupé trois fonctions, soit agente de bureau, assistante en planification financière et secrétaire juridique.

[41]     L'appelante a témoigné en avoir vu de toutes les couleurs depuis 1993. Avant cette année, elle avait droit aux bénéfices de l'assurance chômage/emploi comme tous les citoyens canadiens. Depuis que des modifications à la loi ont modifié l'assurabilité des emplois lorsqu'il y a un lien de dépendance, l'appelante s'est vue privée de ce bénéfice. Elle doit maintenant convaincre le ministre qu'il existe réellement un contrat de louage de services et que les modalités de l'emploi ne sont pas différentes de ce qu'elles seraient dans le cas d'une personne non liée. L'appelante a raconté que, lorsqu'elle s'est présentée au bureau du ministère des Ressources humaines en 1993, elle s'est fait rappeler de ne pas oublier d'indiquer qu'elle était embauchée par son conjoint. Cette personne aurait fait cette remarque d'un ton sec et teinté de reproche car elle connaissait l'appelante.

[42]     L'appelante témoigne également avoir été indignée par les commentaires retrouvés dans le rapport de monsieur Jean Blais, l'agent d'assurabilité pour le ministère des Ressources humaines. Ce commentaire faisait allusion au fait que le monde aimerait ça travailler pour son conjoint pendant 10 à 12 semaines. L'appelante a raconté les difficultés qu'elle a eues dans ses efforts pour se procurer un emploi et a démontré la réalité de l'obtention d'un emploi par une femme en Gaspésie. L'appelante a aussi raconté une conversation avec monsieur Gilles Turgeon, agent des appels pour l'ADRC, au sujet du fait qu'elle travaillait pour son mari qui est avocat. L'appelante sentait que cela voulait dire qu'elle n'avait pas besoin de prestations d'assurance-chômage.


[43]     Un autre point retrouvé au rapport de Jean Blais est celui voulant que le fait que le payeur représente l'appelante sans honoraires est un point déterminant sur la question du lien de dépendance. Elle est restée humiliée de ces propos. Dans l'ensemble, elle maintient que le travail des agents ne respecte pas les règles de l'art et que ceux-ci n'ont pas étudié son dossier de façon objective.

[44]     En contre-interrogatoire, l'appelante a semblé un peu incertaine quant au temps requis pour rédiger les rapports financiers et recueillir les renseignements nécessaires à leur préparation, tant pour le cabinet du payeur que pour leurs entreprises forestière et agricole, de même qu'au sujet de la question de savoir si ce travail était effectué durant son travail à temps partiel ou son travail à temps plein. L'appelante a également reconnu que, durant les périodes où elle travaillait à temps partiel, elle accomplissait ses tâches chez elle après que les enfants étaient couchés.

[45]     L'appelante a également été incapable de préciser le partage de son temps entre ses tâches à titre de secrétaire juridique et celles à titre d'assistante à la planification financière et d'agente de bureau durant les années en question. Elle ne peut également préciser le temps consacré à l'étude des trente et une leçons du programme d'étude Hume Ltée et la raison pour laquelle elle a dû prendre trois ans pour le faire et aussi pour résumer un livre d'économie que le payeur n'a pas lu. Il faut noter que dans toutes les demandes de prestations d'assurance chômage-emploi de l'appelante, on indique que le motif de la cessation de l'emploi est dû à un manque de travail.

[46]     Gilles Turgeon est l'agent d'appel qui s'est occupé du dossier de l'appelante pour les périodes de 1992 à 1996. Ce dossier lui a été acheminé à la suite d'un désaccord au sujet de la décision faite par un agent du ministère des Ressources humaines du Canada sur l'assurabilité de l'emploi. Il a reçu le dossier de l'appelante pour les périodes de 1992 à 1995 en juin 1996 et, deux semaines plus tard, il a reçu le dossier pour 1996. Il a reçu l'accord du payeur, qui est aussi l'avocat de l'appelante, pour que les entrevues et les renseignements recueillis pour les quatre années en litige servent également pour l'année 1996. Il a reçu cet accord suite à une discussion avec le payeur le 24 juillet 1996.

[47]     Monsieur Turgeon a déposé son rapport en preuve. Il a effectué des entrevues avec l'appelante et le payeur, de même qu'avec les autres intervenants au dossier. Il a aussi consulté un statisticien, un avocat et un vérificateur au bureau de Revenu Canada. Il a étudié la documentation pertinente au dossier et a fait une analyse du temps que l'appelante a pu consacrer à ses tâches. Ces renseignements ont été obtenus à la suite des entrevues avec l'appelante et le payeur et portaient principalement sur le partage des tâches entre les périodes de travail à temps partiel et les périodes de travail à temps plein, et sur les périodes de l'année pendant lesquelles certaines tâches étaient accomplies, telles que les impôts, et le temps qui y était consacré. Il a soumis cette information à ses consultants afin d'en faire une analyse comparative.

[48]     Monsieur Turgeon a aussi examiné le salaire de l'appelante et l'a comparé aux tâches qu'elle effectuait et a comparé le tout eu égard à l'envergure de l'entreprise et au salaire versé à d'autres employés de bureau dans la province de Québec. Il s'est interrogé sur la durée de l'emploi durant les périodes de 1992 à 1996, alors qu'il aurait peut-être été plus logique que l'appelante soit embauchée à temps partiel durant toute l'année avec du travail à temps plein en période de pointe, surtout lorsqu'il s'agit d'une entreprise qui fonctionne toute l'année. Il met également en question la nature et l'importance de l'emploi, car son analyse l'amène à conclure qu'il n'était pas nécessaire d'avoir des services de comptabilité d'un employé à temps plein pendant dix à treize semaines d'une année à l'autre.

[49]     En contre-interrogatoire, on a mis en doute la compétence de monsieur Blais et la façon dont il a exécuté son travail, de même que le manque de ressources que le ministère met à sa disposition. Monsieur Blais nie avoir laissé entendre qu'il aimerait ça avoir l'emploi de l'appelante car selon lui, un tel commentaire ne serait pas approprié au début d'une telle enquête.

[50]     Jean-Pierre Gauthier est CGA et travaille comme vérificateur pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Il a reçu le mandat d'analyser les tâches effectuées par l'appelante de même que le système comptable du payeur et de faire une vérification des déclarations de revenu du payeur pour les années 1992 à 1995 inclusivement. Il a rencontré le payeur et a passé trois jours et demi au bureau de ce dernier. Son examen lui a permis de conclure que la comptabilité du payeur, tant de son cabinet juridique que de l'entreprise forestière, nécessiterait du travail à temps partiel de dix heures par semaine pour une personne expérimentée et rapide. Monsieur Gauthier n'a pas analysé le temps que l'appelante a pu avoir consacré à son travail d'assistante à la planification financière.

[51]     L'agent d'appel qui s'est occupé des périodes en litige en 1997 et en 1998 est monsieur Jean Vézina. Il a déposé en preuve ses rapports et a témoigné sur leur contenu. Il a eu des conversations téléphoniques avec le payeur (avocat de l'appelante) où ce dernier a confirmé que l'appelante a fait le même travail de janvier à mai 1997 qu'au cours des années précédentes. Le payeur a informé l'agent que des tâches supplémentaires ont été ajoutées à celles qui existaient déjà, soit celles de secrétaire juridique. Monsieur Vézina a été informé de la constitution d'une société de gestion dont l'actionnaire unique est une fiducie gérée par le payeur. Monsieur Vézina a, de plus, examiné la documentation utilisée par l'agent d'appel Jean Blais lors des périodes antérieures.

[52]     Le contre-interrogatoire a fait apparaître que le témoin n'est pas spécialiste en analyse de tâches et que son employeur ne lui fournit aucune méthode afin d'évaluer et analyser ce facteur.

[53]     La tâche de l'appelante en l'espèce est d'établir selon la prépondérance des probabilités que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée en décidant, compte tenu de toutes les circonstances, que le payeur et l'appelante n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre eux. Selon la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada c. Jencan [1997] A.C.F. no 876, [1998] 1 C.F. 187, l'appelante doit démontrer, selon le cas, que le ministre a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicite, qu'il n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme l'exigent expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la L.A.C. et le sous-alinéa 5(3)b) de la L.A.E., ou qu'il a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[54]     Le rôle qu'exerce le ministre et que se doit d'exercer la Cour a été résumé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. M.R.N., [1999] A.C.F. no 878. Le juge Marceau a résumé le tout en ces termes au paragraphe 4 :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[55]     La question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance doit, aux termes de la L.A.C. et de la L.A.E., être déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu (L.I.R.). L'article 251 traite de la question des personnes liées parce qu'elles ont un lien de dépendance. Aux termes de l'article 251, il y a une présomption irréfutable que les personnes unies par les liens du mariage ou de l'union de fait sont des personnes liées au sens de la L.I.R. Cette présomption, toutefois, ne visait pas les conjoints de fait avant 1993, lorsque la L.I.R. a été modifiée pour les inclure parmi les personnes liées (paragraphe 252(4) de la L.I.R., applicable après 1992). L'intimé ne peut donc pas se prévaloir de cette présomption pour la première période en litige en l'espèce et doit donc établir l'existence d'un tel lien de dépendance dans les faits. L'alinéa 251(1)c) de la L.I.R. peut s'appliquer pour faire en sorte que des conjoints de fait ont un lien de dépendance dans la mesure où la preuve présentée établit l'existence d'un tel lien de dépendance.

[56]     Le juge Dussault de cette cour a bien résumé le concept du lien de dépendance entre personnes non liées dans l'affaire François Fournier c. M.R.N., 91 DTC 743, lorsqu'il a dit :

Lorsque les parties à une transaction agissent de concert, qu'ils ont des intérêts économiques similaires ou encore qu'ils agissent selon une volonté commune, il est généralement admis qu'ils ont alors un lien de dépendance.

[57]     Il n'existe pas de présomption qu'il y a nécessairement un lien de dépendance entre les conjoints de fait. Il faut établir qu'ils ont agit de concert dans un intérêt économique commun dans le cadre de l'emploi en question et non dans le cadre de leur vie commune.

[58]     Le juge Tremblay, dans l'affaire Lapointe c. M.R.N., [1995] A.C.I. no 1551, a référé à l'alinéa 3(2)c) de la L.A.C. en disant, au paragraphe 76, qu'il n'a pour but que « de s'assurer que le contrat d'emploi soit à des conditions et selon les modalités normales, entre parties - employeur et employé - ayant des intérêts distincts » . Il écrit plus loin au paragraphe 79 que « dans le contexte de l'alinéa 3(2)c), les parties seraient considérées comme traitant à distance et n'ayant pas de lien de dépendance factuel, si elles ont conclu un contrat de travail dont les modalités sont similaires à celles qu'auraient normalement adoptées des parties traitant à distance » . Ces modalités sont évidemment celles que l'on retrouve dans un contrat d'emploi, soit la nature du travail, la rétribution versée, les modalités, la durée, la nature et l'importance du travail accompli.

[59]     Puisqu'il s'agit ici de déterminer s'il y a un lien de dépendance de fait, il est permis de prendre en considération ce qui s'est produit à l'extérieur de la période en litige. Il est donc possible de considérer le fait que, lors des périodes antérieures à 1992, l'emploi de l'appelante a été considéré comme assurable au sens de l'alinéa 3(1)a) de la L.A.C.

[60]     Les autres considérations sont le fait que l'appelante et le payeur sont conjoints de fait depuis 1980 et ont trois enfants de cette union, nés en 1985, 1988 et 1991. L'appelante travaille pour le payeur-conjoint depuis 1987. En 1992, elle a travaillé pour lui à raison de quatre heures par semaine, à l'exception d'une période de douze semaines où elle a travaillé à temps plein. Ce même scénario s'est répété pendant les années suivantes, sauf que les périodes de travail à temps plein ont augmenté au fil des ans.

[61]     Je n'ai aucun doute que l'appelante a fait le travail et exécuté les tâches qu'elle a décrites. Elle a été d'une aide indéniable au payeur-conjoint dans la mise sur pied de son étude, dans l'offre des services à sa clientèle et dans l'administration de l'étude sous tous les rapports. Cet apport est hautement louable. J'accepte aussi qu'un tel cabinet d'avocat exige du travail hebdomadaire pour la tenue des livres et le maintien d'une comptabilité à date. Il faut, chaque année, rédiger des états financiers, faire des déclarations de revenus, remettre les feuillets T4 et évaluer le rendement. Le temps consacré à l'exécution de chacune de ces tâches peut varier selon la compétence de l'employé et le volume d'affaires de l'entreprise.


[62]     En l'espèce, considérant les éléments de preuve présentés au procès, dont l'importance du cabinet, son chiffre d'affaires, le nombre d'employés, la description des tâches durant les périodes de travail à temps partiel et à temps plein, il devient difficile d'accepter la version de l'appelante, à savoir qu'il lui est possible d'exécuter toutes ses tâches à l'intérieur du temps consacré pendant chacune des périodes. L'ensemble de la preuve au sujet du temps consacré aux tâches durant la période de travail à temps partiel m'amène à conclure qu'il faudrait plus de quatre heures par semaine pour les exécuter, d'autant plus que le travail se fait à raison d'une heure par jour, le soir après que les enfants sont couchés. D'autres part, la période de dix à treize semaines nécessaire chaque année pour faire les tâches de fin d'exercice, les états financiers, les déclarations de revenus, les statistiques et autres tâches décrites me paraît trop longue. En fait, on y a ajouté des tâches supplémentaires telles que la compilation de certaines factures en 1992 et l'étude de trente-deux leçons en planification financière et d'un ouvrage en économie échelonnée sur une période de trois ans. Pourtant, selon les demandes de prestations d'assurance-chômage, chaque arrêt de travail est dû à un manque de travail. Il n'y a rien dans la preuve présentée qui me convainc que cette démarche est justifiée.

[63]     Parmi les autres facteurs à considérer relativement à l'entreprise du payeur et aux caractéristiques de son cabinet, il y a notamment le salaire versé à l'appelante. Je n'ai aucun doute que les compétences de l'appelante justifient une rémunération substantielle qui pourrait même aller au-delà de ce que lui verse le payeur. Toutefois, dans les circonstances en l'espèce, il faut se rappeler que le payeur avait besoin de quelqu'un pour faire sa tenue des livres et sa comptabilité et, selon son témoignage, il lui en reviendrait moins cher d'avoir quelqu'un à son service que d'embaucher un cabinet comptable. Je suis d'avis, comme l'affirme le rapport de l'agent des appels, qu'un employé dans ce domaine lui aurait coûté moins cher que ce qu'il payait à l'appelante. Il est évident, selon la preuve, que le temps nécessaire à l'exécution des tâches comptables est inférieur aux heures de travail de l'appelante car elle a eu le temps d'étudier et de résumer des ouvrages de planification financière.

[64]     Est-ce que le payeur aurait investi autant d'argent et de temps dans la formation d'un autre employé, ou encore aurait-il pu embaucher un autre employé pour qu'il fasse l'étude des ouvrages de planification financière en question ? Il n'y a pas de doute, en l'espèce, que tout le temps consacré par l'appelante à étudier et à se former l'était dans le but d'améliorer le rendement du cabinet et leurs revenus. Je ne peux fermer les yeux, au fait que, lors du témoignage de l'appelante, elle référait à son travail et à l'accomplissement de ses tâches en utilisant le mot « on » , comme si elle était associée au payeur.

[65]     Pour ces motifs, je conclus qu'il y avait entre l'appelante et le payeur un lien de dépendance dans les faits pendant la période du 22 juin au 11 septembre 1992. Cet emploi n'est donc pas assurable au sens de L.A.C.

[66]     Pour ce qui est de la question de savoir si les décisions rendues en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la L.A.C. et de l'alinéa 5(2)l) de la L.A.E. l'ont été de façon contraire à la loi, je reproduis ci-après le paragraphe 50 de la décision du juge en chef Isaac dans l'arrêt Jencan, précité.

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a toutefois commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, il n'est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt d'infirmer la décision du ministre du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge en serait arrivé à une conclusion différente selon la prépondérance des probabilités. En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un vice qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la balance des probabilités. Le juge Hugessen, J.C.A., l'a expliqué tout récemment dans l'arrêt Hébert, précité. Au paragraphe 5 de ses motifs du jugement, il déclare en effet :

Dans tout appel interjeté en vertu de l'article 70, les conclusions de fait du ministre, ou ses « présuppositions » , seront énoncées en détail dans la réponse à l'avis d'appel. Si le juge de la Cour de l'impôt qui, contrairement au ministre, se trouve dans une situation privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins qu'elle a vus et entendus, parvient à la conclusion que certaines ou la totalité de ces présuppositions de fait étaient erronées, elle devra déterminer si le ministre pouvait légalement tirer la conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les faits établis en preuve. C'est manifestement ce qui s'est produit en l'espèce et que nous ne sommes vraiment pas en mesure de déclarer que les conclusions de fait du juge ou sa conclusion portant que la décision du ministre pouvait se justifier étaient erronées.

[67]     Il s'agit donc de déterminer si les décisions du ministre ont été rendues d'une façon contraire à la loi, même si certaines hypothèses de fait ont pu être réfutées. Je pense particulièrement au fait qu'en 1993, 1994 et 1995, le travail exécuté par l'appelante à l'extérieur de ses tâches comptables, tel que l'étude du programme de Hume Ltée, n'a pas été pris en compte par l'agent d'enquête. Ce fait ne lui a pas été communiqué à l'époque, ni par l'appelante, ni par le payeur. Il devient donc difficile de lui reprocher cet oubli, mais même s'il en avait été informé, je ne crois pas que, selon l'ensemble de l'information recueillie, ce fait puisse constituer un vice qui ferait que les décisions du ministre soient contraires à la Loi. Il y a, à mon avis, suffisamment de faits pouvant justifier ses décisions.

[68]     L'appelante a beaucoup insisté sur la durée du temps nécessaire à l'accomplissement de ses tâches comptables et sur l'évaluation de Jean-Pierre Gauthier, CGA. Celui-ci a eu l'occasion d'examiner les livres comptables, les registres et les états financiers lors de la vérification du payeur. Cela lui a permis d'exprimer une opinion sur le nombre d'heures ou de jours requis à l'exécution de ces tâches. Le payeur a aussi témoigné que selon son comptable, il lui coûterait moins cher d'avoir un employé à son bureau que de retenir les services du comptable. J'assume qu'on a discuté du temps requis pour accomplir les tâches en question lors de cette rencontre. De part et d'autre, j'en conclus que le temps varie selon les compétences et l'expérience de la personne affectée à ces tâches. Chose certaine, en l'espèce, l'appelante n'avait pas besoin des onze, douze et treize semaines pour les accomplir durant sa période de travail à temps plein. Cela explique d'ailleurs pourquoi elle avait du temps pour accomplir les autres tâches qu'elle a décrites lors de son témoignage. De plus, il lui a été sans aucun doute difficile de faire son quatre heures de travail par semaine à temps partiel à raison d'une heure par soir chez elle après que les enfants étaient couchés. Toutes ces questions, à mon avis, n'auraient pas changé la décision du ministre. Le témoignage du payeur au sujet du travail de l'appelante m'a donné nettement l'impression qu'il n'était pas tellement au courant du temps que l'appelante consacrait à chacune de ses tâches. Chose certaine, son départ n'était pas dû à un manque de travail.

[69]     Quant à la question de la rétribution versée à l'appelante par le payeur, la preuve présentée par l'appelante ne me permet pas de conclure que l'analyse du ministre n'est pas raisonnable. Le payeur a témoigné avoir calculé le salaire de l'appelante d'après le salaire qu'elle recevait de l'Université Laval et ses compétences. Je n'ai aucun doute que les compétences de l'appelante justifient un salaire élevé, mais les tâches et les fonctions dont elle avait la responsabilité ne justifiaient pas le salaire qu'elle recevait. La moyenne des taux horaires établis en preuve par l'intimé pour un employé qui fait de la comptabilité est de beaucoup inférieure à celui que recevait l'appelante. L'appelante était sans aucun doute trop qualifiée pour ce travail mais cela ne justifie pas la rétribution versée en l'espèce. Il faut aussi prendre en considération que la valeur d'un service est parfois déterminée par ce que le marché du travail peut offrir pour un travail équivalent.

[70]     Pour ce qui est du travail autre que le travail de comptabilité de l'appelante, soit l'aide aux études en planification financière du payeur, il faut douter de la capacité financière du payeur de se permettre d'avoir un employé sans lien de dépendance pour étudier et résumer des programmes d'études en planification financière. Le ministre a d'ailleurs pris cette question en considération, et avec raison d'ailleurs, dans l'analyse de la rétribution versée et la nature et l'importance du travail.

[71]     L'analyse des modalités de l'emploi faite par le ministre correspond à l'ensemble de la preuve présentée au procès à l'exception du fait, tel que je l'ai mentionné plus haut, que l'appelante avait des tâches supplémentaires qu'elle n'avait pas dévoilées aux agents lors de leur enquête, soit le programme d'étude en planification financière. Cela, à mon avis, n'empêche pas le fait que, selon l'ensemble de la preuve, l'appelante n'avait pas besoin de tout le temps dont elle a affirmé avoir besoin pour faire les états financiers, les déclarations de revenus et les analyses et les statistiques. L'agent d'appel avait raison d'en douter, vu l'importance du cabinet et son volume d'affaires. Il faut aussi se demander pourquoi ces tâches supplémentaires n'ont pas été dévoilées par le payeur ou l'appelante lors des rencontres avec les agents.

[72]     Lorsque la durée d'un emploi correspond à ce qui est nécessaire pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi ou en est tout près, il est tout à fait normal que cela soulève des questions. Cela est d'autant plus normal lorsqu'il ne s'agit pas d'un travail saisonnier. Le payeur, en l'espèce, pratique le droit durant toute l'année sans périodes particulièrement plus creuses que d'autres. Le travail de comptabilité de l'appelante ne peut occuper tout son horaire de travail. Durant les périodes avant son embauche à titre de secrétaire juridique, l'appelante a occupé son temps à refaire les factures de plusieurs dossiers et, pendant les années subséquentes, elle a travaillé à l'étude d'ouvrages en planification financière et à la préparation de ce service que le payeur voulait ajouter à sa pratique. Ce qui est discutable dans cette affaire, c'est d'avoir reporté d'année en année ce travail qui attendait toujours l'appelante alors que les relevés d'emploi indiquaient un manque de travail comme motif de la cessation d'emploi. Le travail à temps plein fait en 1993 et 1994 ne correspond pas à la période de l'année où elle aurait dû avoir à travailler pour préparer les déclarations de revenus du payeur. À mon avis, l'appelante devait avoir plus d'heures de travail pendant certaines périodes où elle dit avoir travaillé quatre heures par semaine.

[73]     La preuve présentée par l'appelante n'a pas contredit les faits sur lesquels s'est fondé le ministre. Il n'y a eu aucune explication qui puisse me permettre de conclure que l'analyse du ministre au sujet de la durée de l'emploi n'était pas raisonnable. Le payeur a expliqué l'aide précieuse de l'appelante dans son travail de planificateur financier et la façon dont elle l'assistait dans ses dossiers, mais il n'a pas expliqué comment il pouvait se passer d'elle au cours des périodes où elle n'était pas au bureau. Si les services qu'elle rendait étaient nécessaires durant toute l'année, comment expliquer la longueur des périodes de travail à temps plein et celle des périodes de travail à temps partiel ? Il est évident qu'il n'y avait pas de manque de travail.

[74]     La nature du travail a soulevé également des doutes chez l'agent des appels. Même si ses conclusions ont été faites sans qu'il ait été mis au courant du travail de facturation et des études faites par l'appelante durant les périodes de 1992 à 1997 inclusivement, ces éléments de preuve ne sont pas suffisants pour me permettre de conclure que le résultat final de l'analyse du ministre est déraisonnable. Il y a suffisamment d'éléments surprenants, telle la nécessité d'échelonner sur un nombre d'année l'étude du programme de Hume Ltée, un travail qui aurait pu se faire pendant une seule année, sans oublier que l'on se servait du « manque de travail » pour justifier la cessation d'emploi. À mon avis, le ministre avait en sa possession suffisamment d'éléments pour justifier la décision qu'il a rendue. Le payeur n'était pas sans savoir les périodes pendant lesquelles l'appelante devait travailler pour avoir droit à des prestations. La décision du ministre pour les périodes visées aux dossiers 96-2427(UI), 1999-4382(EI) et 1999-4386(EI) n'a pas été rendue d'une façon contraire à la loi. Les agents de l'intimé n'ont pas manqué d'objectivité dans les quatre dossiers en litige et lors de leur analyse des périodes en litige.

[75]     Quant aux commentaires des agents faits à l'appelante ou figurant dans leur rapport, il s'agit de commentaires qui reflètent davantage la réalité plutôt qu'un manque d'objectivité de leur part. La perception devient alors très subjective. Je réitère de plus les motifs que j'ai exprimés dans ma conclusion au sujet du lien de dépendance de fait relativement à la période en 1992 quant aux conditions, modalités et autres aspects des contrats d'emploi en litige.

[76]     Dans le dossier 1999-4391(EI), l'avocat de l'appelante a soulevé le fait que, durant cette période, l'appelante occupait trois postes. Il soutient que le ministre n'a pas considéré ce fait ni analysé le salaire. Le rapport de l'agent révèle que l'information qui a servi à son analyse provenait d'une lettre du payeur-avocat de l'appelante qui lui a été transmise le 19 avril 1999 et qui explique le travail supplémentaire, notamment le travail de secrétariat. Son rapport décrit les changements dans les activités du payeur. Il n'y a rien dans la preuve entendue qui puisse me permettre de conclure que le ministre a agi de façon contraire à la loi relativement à cette période. En fait, la preuve entendue me donne clairement l'impression qu'il existe chez le payeur et l'appelante une complicité d'affaires laissant très peu de place à une relation employeur-employée, voire même aucun degré de subordination. Il me suffit de référer au témoignage de l'appelante et à l'usage du « on » dans presque toutes les démarches qu'ils ont entreprises.


Question constitutionnelle

[77]     L'appelante soutient que l'alinéa 3(2)c) de la L.A.C. et l'alinéa 5(2)i) de la L.A.E. contreviennent à l'article 15(1) de la Charte des droits et libertés, qui porte que :

La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge où les déficiences mentales ou physiques.

[78]     La position de l'appelante sur cette question est qu'elle-même et toute personne qui a un lien de dépendance avec son employeur, doit se soumettre à un fardeau différent, voire même supérieur, uniquement en raison de son état matrimonial, ce à quoi les autres prestataires d'assurance-emploi ne sont pas soumis. Ce fardeau différent est celui de démontrer au ministre qu'il lui est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que le contrat d'emploi aurait été à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. L'appelante soutient que ces dispositions partent de l'hypothèse qu'il y a fraude, alors qu'elles devraient présumer que tous agissent de bonne foi.

[79]     L'appelante a témoigné qu'elle s'est sentie très humiliée par le fait que lors d'une de ses rencontres avec un représentant du ministère des Ressources humaines, on lui ait rappelé de ne pas oublier d'inscrire sur son formulaire de demande de prestations qu'elle travaillait pour son conjoint. Ce commentaire l'a blessée et humiliée en raison du ton sur lequel on le lui a dit. Elle a également détecté chez les agents d'enquête une attitude inquisitive à son égard en raison du fait qu'elle travaillait pour son conjoint et que ce dernier la représentait sans doute sans qu'elle ait à débourser des honoraires et, n'eût été de cela, elle n'aurait pas porté appel à notre cour.

[80]     L'appelante a fait la preuve du taux de chômage plus élevé dans la région de la Gaspésie et les difficultés que cela représente pour les femmes qui choisissent de vivre dans cette région. Depuis les modifications de 1993 à la L.A.C., elle est exclue des bénéfices à moins qu'elle puisse établir qu'il y a un contrat de louage de services et qu'il serait à peu près semblable s'il n'y avait pas de lien de dépendance. L'appelante a fait beaucoup d'efforts pour se trouver un emploi depuis son arrivée en Gaspésie, mais les efforts n'ont pas porté fruit. L'appelante a souligné les remarques des agents Blais et Turgeon faisant allusion au fait que le monde aimerait ça travailler pour leur conjoint pendant dix à douze semaines ou encore qu'elle était bien en raison qu'elle travaille pour son conjoint. Elle s'est sentie dévalorisée par les remarques car, selon son témoignage, cela sous-entend qu'elle a besoin de prestations d'assurance-chômage et que son mari ne peut pas la faire vivre.

[81]     De son côté, l'intimé a fait témoigner Wayne Bourbeau, le responsable par interim des politiques de couverture et des primes visant l'assurance-emploi au ministère des Ressources humaines, monsieur René Racette, gérant principal du projet de lisibilité de la Loi sur l'assurance-emploi au même ministère et André Le Bourdais, agent d'appel au même ministère.

[82]     Monsieur Bourbeau a présenté un résumé systématique des développements et des modifications apportées au programme d'assurance chômage-emploi au Canada depuis 1970, et en particulier depuis 1990, lorsque l'alinéa 3(2)c) de L.A.C. est entré en vigueur. Il a expliqué la procédure qui a été établie pour identifier les demandes de prestation où l'emploi pourrait ne pas être assurable en vertu de ces dispositions. On a donc procédé à l'insertion de trois questions sur les formulaires de demande en plus de distribuer une circulaire des politiques de prestations le 18 novembre 1990. Ces procédures administratives de détection ont été modifiées et rodées avec les années afin de déterminer rapidement la question de l'assurabilité, afin d'en réduire le nombre et de ne traiter que des dossiers douteux. Ces efforts ont fait en sorte que seulement 24 % des dossiers identifiés comme comportant un lien de dépendance étaient envoyés à Revenu Canada, maintenant l'Agence des douanes et du revenu du Canada, pour détermination par le ministre. De ces 24 % envoyés au ministre, 61 % ont été déclarés assurables et 31 % non assurables.

[83]     Monsieur René Racette a 29 ans d'expérience dans la fonction publique fédérale et ses responsabilités ont toujours été liées à la L.A.C. et L.A.E. Il a participé avec ses collègues à l'élaboration des grandes lignes en matière d'admissibilité aux prestations sur divers sujets, dont celui de l'emploi lorsqu'il existe un lien de dépendance. Ces années d'expérience lui ont permis d'acquérir une connaissance de l'ensemble de l'histoire de la L.A.C. et de la L.A.E. Il exerce depuis 1996 les fonctions de conseiller principal à la Direction de l'élaboration de la politique et de la législation au ministère des Ressources humaines, dont le rôle consiste à formuler les politiques ayant une incidence sur les dispositions législatives relatives aux prestations à payer, à l'assurabilité des emplois, à la rémunération assurable et aux semaines d'emploi assurables crédités pour le compte de la Commission de l'assurance-emploi du Canada.

[84]     À la lumière de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Druhen c. Canada, [1989] 2 C.F. 24, il a travaillé à l'élaboration du projet de loi C-21 qui devait tenir compte des préoccupations du gouvernement à l'époque, à savoir :

·         favoriser la réintégration des chômeurs dans le marché du travail;

·         rendre le régime d'assurance-chômage plus équitable et conforme à la Charte canadienne des droits et libertés tout en préservant l'intégrité du régime;

·         prévenir la croissance du déficit.

[85]     Selon le témoin, l'alinéa 3(2)c) avait deux objectifs importants :

Premièrement, il s'agissait de respecter la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Druhen en vertu de la Loi canadienne des droits de la personne en ne faisant pas de discrimination fondée sur l'état matrimonial, et de respecter également la Charte canadienne des droits et libertés.

Deuxièmement, il fallait en même temps trouver un correctif susceptible d'assurer l'intégrité du régime d'assurance-chômage : les travailleurs et les employeurs qui, par le projet de loi C-21, devaient contribuer à 100 % au fonds d'assurance-chômage étaient en effet en droit de s'attendre à ce que le fonds soit utilisé par le gouvernement conformément à l'esprit du régime, à savoir assurer le risque de la perte involontaire et temporaire d'un emploi.

[86]     Les deux objectifs visés par le nouvel alinéa 3(2)c), selon le témoin, étaient de s'assurer que les travailleurs ne se verraient pas refuser des prestations pour le motif d'un lieu avec l'employeur en autant que les circonstances du contrat de travail avec l'employeur soient similaires à celles d'un contrat de travail entre des parties sans lien de dépendance.

[87]     Pour sa part, le témoin André Le Bourdais a témoigné au sujet du nombre d'appels interjetés à la Cour canadienne de l'impôt de 1991 à 2001 et du pourcentage des décisions rendues par la Cour qui ont annulées ou modifiées les décisions du ministre dans les cas de lien de dépendance. De 1995 à 2001, 37 % des décisions ont été annulées par la Cour. Il a aussi présenté des statistiques selon les différents liens de dépendance prévus par la Loi et il remarque qu'il y a une baisse du nombre de dossiers portés en appel. Il a expliqué qu'il n'y avait aucun lien entre la détermination de l'assurabilité par l'agent du ministre des Ressources humaines et celle par l'agent des appels qui, lui, relève de l'Agence des douanes et du revenu du Canada.

[88]     La position de l'intimé est que tout ce processus d'analyse donne une souplesse dans l'évaluation des dossiers où il y a un lien de dépendance et qu'il y a une diminution progressive des dossiers renvoyés au ministre. L'avocate de l'intimé soutient que le processus établi pour déterminer l'assurabilité de l'emploi est le même qu'il y ait ou non un lien de dépendance, en ce sens que l'agent des appels doit recueillir les faits, les analyser objectivement et rendre sa décision. Lorsqu'il y a un lien de dépendance, il doit se pencher sur les conditions de l'emploi et cela reste une analyse objective. Les personnes liées ne font pas face à un fardeau plus lourd, même s'il comporte un volet supplémentaire. Le fardeau supplémentaire et la nature du processus ne vont pas à l'encontre de la dignité humaine.

[89]     L'avocate de l'intimé a aussi soulevé le principe de la chose jugée relativement à la question constitutionnelle en ce qui concerne le dossier 96-2427(UI), où la Cour d'appel fédérale a renvoyé l'affaire à notre cour afin qu'il y ait un nouveau procès. Elle soutient que le renvoi à notre Cour n'ordonne qu'une nouvelle instruction de l'appel sur la question de l'assurabilité de l'emploi et non sur la question constitutionnelle.

[90]     Le jugement de la Cour d'appel fédérale dans la présente affaire a disposé de la question constitutionnelle visant l'alinéa 3(2)c) de L.A.C. Cette conclusion, à mon avis, s'applique également à l'alinéa 5(3)b) de L.A.E. Je cite le passage qui, à mon avis, résume la question en litige et sa disposition.

Il est aisé de constater que le Parlement, dans cette disposition 3(2)c)(ii) où il fait état du cheminement à suivre pour arriver à la conclusion qu'un contrat entre personnes liées n'a pas été indûment influencé par leur relation (et est donc couvert) s'inspire essentiellement de l'approche qu'a adoptée la jurisprudence pour conclure que des personnes non liées n'agissaient pas en réalité à distance dans la passation d'un contrat particulier (lequel partant devait être exclu). Cette constatation, soutient le juge Archambault dans sa décision Thivierge, suffit pour rendre la disposition à l'abri de toute attaque constitutionnelle sur la base de l'article 15 de la Charte car « ce sont...les modalités d'un travail donné (que ce soit entre personnes liées ou non) qui déterminent l'admissibilité d'un travail et non pas les caractéristiques personnelles de l'employé » . Et il résume clairement sa pensée dans un passage que le juge de première instance ici reprend et fait sien :

La lecture de l'alinéa 3(2)c) de la Loi dans son ensemble m'amène à conclure que l'exclusion d'un travail ne se fait pas en fonction d'une caractéristique personnelle, que ce soit le sexe, le statut matrimonial ou le statut familial, mais plutôt en fonction des modalités même du contrat de travail. Si les modalités du contrat de travail sont celles que des personnes n'ayant pas de lien de dépendance auraient adoptées, le travail constitue un emploi assurable, que l'employée soit de sexe féminin ou l'épouse de la personne qui contrôle l'employeur. Ce sont les modalités du contrat de travail qui déterminent s'il s'agit d'un emploi assurable. Comme il ne s'agit pas d'une inégalité fondée sur des caractéristiques personnelles, l'article 15(1) de la Charte ne peut être soulevé quant à l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

Il me semble, je le dis avec respect, que ces observations, aussi justes qu'elles soient, n'atteignent pas l'argument constitutionnel. L'inégalité dont on fait état pour parler d'inconstitutionnalité ne se situe pas au niveau de l'exclusion ou de l'acceptation finale de l'emploi, laquelle est, il est vrai, déterminée dans tous les cas à partir des modalités du contrat de travail. L'inégalité dont on se plaint se situe au niveau du processus adopté pour décider de l'exclusion ou de l'acceptation. Dans un cas, l'examen est requis en toutes hypothèses et doit se faire à partir de la présomption que l'emploi est exclu, ce qui implique que le doute joue contre le prestataire, alors que dans l'autre, l'examen est fort exceptionnel et la présomption est en sens inverse, ce qui fait que le doute joue là pleinement en faveur du prestataire.

La vraie réponse à l'attaque constitutionnelle est qu'aucune des conditions d'application de l'article 15 de la Charte telles que dégagées par la Cour suprême, spécialement dans son arrêt de principe Law c. Canada (MEI), n'existe en l'espèce. La différence de traitement dans le processus n'est pas fondée sur une caractéristique personnelle des prestataires en cause, elle ne limite pas en définitive l'accès de qui que ce soit aux bénéfices de la Loi puisque tout contrat jugé sérieux sera couvert et, enfin, la dignité humaine de personne n'est impliquée.

La distinction se fait entre personnes liées et personnes non liées, personnes liées s'entendant de personnes physiques ou morales unies l'une à l'autre par quelque lien existentiel résultant: pour les personnes physiques, de la consanguinité ou de l'adoption, du mariage de droit ou de fait (depuis 1993), pour les personnes morales, de la corrélation entre leur organe de contrôle. C'est, il me semble, une relation factuelle qui est considérée, non quelque caractéristique personnelle et individuelle des personnes en cause. Et les personnes liées au sens de la Loi ne forment évidemment pas un groupe particulier d'individus unis par quelque trait commun ou encore moins un groupe traditionnellement désavantagé. Ensuite, la différence de traitement n'existe qu'un niveau de la procédure, elle s'impose par la nécessité de s'assurer du sérieux du contrat et ne saurait normalement déboucher sur un préjudice de fond. Et enfin, une législation qui cherche à s'assurer que la relation employeur-employé entre deux personnes est demeurée distincte et à l'abri du lien qui déjà unissait ces personnes ne saurait être vue comme portant atteinte à leur dignité humaine.

L'attaque constitutionnelle, à mon avis fondée uniquement sur ce que l'on peut appeler en langage libre une exigence de prudence dans l'acceptation comme réel et sérieux du contrat de travail intervenu entre personnes déjà liées, ne saurait tenir. S'il fallait interpréter le texte comme laissant au ministre un pouvoir purement discrétionnaire d'accepter ou de refuser le contrat, ce que l'on a compris semble-t-il en certains milieux, l'attaque constitutionnelle pourrait peut-être se présenter avec plus de force. Mais tel n'est pas le cas, et cette remarque m'amène au deuxième volet de la demande.

[91]     Dans la présente affaire, la Cour d'appel fédérale a tenu compte des conditions d'application de l'article 15 de la Charte tel qu'énoncées par la Cour suprême du Canada dans Law c. Canada, [1999] 1 R.C.S. 497, et a conclu qu'aucune n'existait. Il ne m'est donc pas nécessaire, en l'espèce, de reprendre l'exercice qu'a fait la Cour d'appel fédérale dans la présente affaire. La preuve avancée par l'appelante concerne davantage les difficultés d'emploi chez les femmes en Gaspésie comparativement au reste du Canada, ce qui ne me paraît pas être un facteur envisagé dans la méthode comparative que l'on retrouve dans Law. Le taux de chômage en Gaspésie ne rend pas l'alinéa 3(2)c) inconstitutionnel, tout comme les sentiments de préjugés éprouvés par l'appelante lorsqu'on lui demande de ne pas oublier de cocher la case la déclarant employée par son conjoint ou encore son impossibilité de travailler dans son domaine. Ce sont tous des facteurs subjectifs qui, à mon avis, ne peuvent être considérés dans l'analyse qu'exige Law. En l'espèce, aucune condition d'application de l'article 15 de la Charte n'existe. Je réitère le passage de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale. La différence de traitement dans le processus n'est pas fondée sur une caractéristique personnelle des prestataires en cause, elle ne limite pas en définitive l'accès de qui que ce soit aux bénéfices de la Loi puisque tout contrat jugé sérieux sera couvert et, enfin, la dignité humaine de personne n'est impliquée.

[92]     La preuve supplémentaire présentée par l'appelante dans tous les dossiers est nettement insuffisante pour me permettre d'en arriver à une conclusion différente de celle de la Cour d'appel fédérale. Les réponses aux trois grandes questions que je dois me poser seraient les mêmes. Pour ces motifs, l'argument constitutionnel est rejeté. Il ne me sera donc pas nécessaire de traiter de la question du principe de la chose jugée.

[93]     En conclusion, je ne suis pas habilité à modifier les décisions du ministre pour les périodes en litige et je les confirme. Les appels sont donc rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2003.

« François Angers »

J.C.C.I.


RÉFÉRENCE :

2003CCI313

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

96-2427(UI)

1999-4382(EI)

1999-4386(EI)

1999-4391(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

LYNE PÉRUSSE

et Le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :

New Carlisle (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE

2, 3, 4, 5 et 6 décembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :

9 mai 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Guy Cavanagh

Pour l'intimé :

Me Valérie Tardif

Me Chantal Jacquier

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Guy Cavanagh

Étude :

Cavanagh & Almeida

New Richmond (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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