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Dossier : 2005-55(IT)I

ENTRE :

ERIC SCHREINER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 14 octobre 2005 à Saskatoon (Saskatchewan)

 

Devant : L’honorable juge L.M. Little

 

Comparutions :

 

 

Avocat de l’appelant :

Me James Schemenauer

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Brooke Sittler

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 est accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation conformément aux motifs de jugement ci-joints.

 

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 13e jour d’avril 2006.

 

 

« L.M. Little »

Juge Little

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de janvier 2008.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

 

Référence : 2006CCI231

Date : 20060413

Dossier : 2005-55(IT)I    

ENTRE :

ERIC SCHREINER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Little

 

A.      FAITS

 

[1]     L’appelant et Nadine Schreiner (ci‑après « Mme Schreiner ») se sont mariés le 30 septembre 1983.

 

[2]     L’appelant et Nadine se sont séparés et réconciliés plusieurs fois et ils se sont séparés de façon permanente en 1998. L’appelant et Mme Schreiner ont divorcé en juin 2000.

 

[3]     L’appelant et Mme Schreiner ont un enfant, Jessica, née le 1er juin 1988.

 

[4]     Mme Schreiner a déposé une requête devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (Division du droit de la famille). Le 22 août 2001, M. le juge F.G.W. Dickson de la cour en question a rendu une ordonnance prévoyant ce qui suit :

 

          [traduction]

 

1.         Il n’y aura pas d’ordonnance de garde à l’égard de Jessica Schreiner, née le 1er juin 1988. Elle vivra avec son père et passera une partie significative et importante de son temps avec sa mère. Sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, les parties conviennent et reconnaissent que :

 

a)         Jessica passera avec sa mère une fin de semaine sur deux, laquelle sera prolongée les longues fins de semaine;

 

b)         Jessica passera le soir et la nuit de mardi et de mercredi avec sa mère ainsi que toute autre période qu’elle désire, et la transition se fera après l’école;

 

c)         les vacances estivales et scolaires seront divisées comme il a été convenu, soit équitablement (à peu près également) en tenant compte de la maturité de Jessica et de ses désirs;

 

d)         Jessica aura un contact maximum avec chacun de ses deux parents et passera environ 40 % à 60 % de son temps avec chacun d’eux;

 

e)         l’horaire « A » s’appliquera au mois de juin; l’horaire normal continuera de s’appliquer sous réserve des modifications prévues à l’horaire « A ».

 

(Pièce A-2)

 

[5]     Dans le calcul de son impôt à payer pour l’année d’imposition 2002, l’appelant a déduit 6 482 $ parce que Jessica était une personne entièrement à charge.

 

[6]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 2002 en vue de refuser le crédit de 6 482 $ que celui‑ci avait demandé à l’égard de Jessica, étant donné que l’appelant et Mme Schreiner avaient tous les deux demandé le même crédit à l’égard de Jessica.

 

B.      POINT EN LITIGE

 

[7]     La question en l’espèce est de savoir si l’appelant avait le droit, en vertu de l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), de demander un crédit pour personne entièrement à charge de 6 482 $ à l’égard de Jessica dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2002.

 

C.      ANALYSE ET DÉCISION

 

[8]     L’alinéa 118(1)b) de la Loi est rédigé ainsi :

 

118. (1) Le produit de la multiplication du total des montants visés aux alinéas a) à e) par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition;

 

 

[...]

 

b)       Crédit équivalent pour personnes entièrement à charge − la somme de 7 131 $ et du résultat du calcul suivant :

 

6 055 $ – (D – 606 $)

 

où :

 

D    représente 606 $ ou, s'il est plus élevé, le revenu d'une personne à charge pour l'année,

 

si le particulier ne demande pas de déduction pour l'année par l'effet de l'alinéa a) et si, à un moment de l'année :

 

(i)       d'une part, il n'est pas marié ou ne vit pas en union de fait ou, dans le cas contraire, ne vit pas avec son époux ou conjoint de fait ni ne subvient aux besoins de celui-ci, pas plus que son époux ou conjoint de fait ne subvient à ses besoins,

 

(ii)      d'autre part, il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome où il subvient réellement aux besoins d'une personne qui, à ce moment, remplit les conditions suivantes :

 

(A)        elle réside au Canada, sauf s'il s'agit d'un enfant du particulier,

 

(B)        elle est entièrement à la charge soit du particulier et d'une ou plusieurs de ces autres personnes,

 

(C)        elle est liée au particulier,

 

(D)        sauf s'il s'agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, elle est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d'une infirmité mentale ou physique;

 

[9]     L’alinéa 118(1)b) permet à un particulier qui ne demande pas le crédit de personne mariée en application de l’alinéa 118(1)a) de demander un crédit équivalent pour personne à charge si certaines conditions sont remplies.

 

[10]    L’alinéa 118(4)c) prévoit qu’un seul équivalent du crédit pour conjoint peut être demandé pour une personne à charge. En l’espèce, l’appelant et son épouse, Mme Schreiner, ont demandé l’équivalent du montant pour conjoint à l’égard de Jessica pour l’année d’imposition 2002.

 

[11]    L’alinéa 118(1)b) prévoit que, pour avoir droit au montant, le particulier qui fait la demande ne doit pas être marié ou vivre en union de fait.

 

[12]    Dans cette situation, l’appelant soutient qu’il a droit au crédit parce qu’il satisfait à toutes les exigences de l’alinéa 118(1)b), mais que son épouse, Mme Schreiner, ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 118(1)b), étant donné qu’elle vit en union de fait avec Dave Taylor depuis 1999.

 

[13]    À l’appui de ce point, l’avocat de l’appelant m’a renvoyé aux éléments de preuve suivants :

 

          (1) Témoignage d’Eugene Schreiner (père d’Eric Schreiner)

 

Le témoin a déclaré avoir vu Nadine Schreiner avec Dave Taylor, lors de différents événements et à divers endroits en ville. (Transcription, Eric Schreiner c. La Reine, p. 10, lignes 3-8.)

 

(2) Un rapport sur la garde de l’enfant a été établi par Bonnie Clements, travailleuse sociale. (Pièce A‑1) À la page 4 du rapport, on trouve les commentaires suivants :

 

                   [traduction]

 

Nadine et Dave Taylor sont devenus des conjoints de fait en novembre 1999. Dave est employé par la Ville de Saskatoon.

[...]

Nadine prévoit continuer de vivre dans sa résidence et de la rénover avec Dave Taylor.

 

(3) Un mémoire préparatoire a été établi pour Nadine Schreiner par ses avocats, Hnatyshyn Singer Thorstad, et déposé devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (Division du droit de la famille) en avril 2000. (Pièce A‑3) Au paragraphe 10 de ce mémoire, le commentaire suivant a été formulé :

 

                   [traduction]

 

10. Un autre changement s’est produit. Depuis la fin de l’automne 1999, la demanderesse a commencé à avoir une relation avec un autre homme. Il s’agit d’une personne très stable, et la relation est profitable. Jessica est capable de voir directement que deux parties peuvent avoir une relation pleine de tendresse, de douceur et de bienveillance.

 

(4) L’article nécrologique d’Olga Chorney (la mère de Nadine Schreiner) a été déposé. (Pièce A‑4) Il y est indiqué qu’Olga Chorney avait les enfants suivants : « Dennis (Deb), Kathy (Ross), Bob (Cher), Wes (Juanita), Nadine (Dave) ». (Non souligné dans l’original.)

 

(5) Réinterrogatoire d’Eric Schreiner

 

L’appelant a dit que, à sa connaissance, Nadine Schreiner et Dave Taylor ont partagé une automobile de décembre 2001 à 2002, et qu’ils étaient souvent vus ensemble en ville. (Transcription, Eric Schreiner c. La Reine, p. 42, lignes 6-7.)

 

(6) Question de la Cour

 

Nadine Schreiner et Dave Taylor ont‑ils déménagé depuis que celui‑ci a emménagé avec elle?

Oui, et Eric Schreiner a aussi vu Dave Taylor construire une clôture à la résidence commune de ceux‑ci. (Transcription, Eric Schreiner c. La Reine, p. 45, lignes 1‑4.)

 

(7) Témoignage de Dawn McBride : interrogatoire principal

 

(Remarque : Dawn McBride était l’avocate d’Eric Schreiner dans le cadre de plusieurs requêtes déposées devant la division du droit de la famille de la cour.)

 

                   [traduction]

 

Tout au long de l’instance, et depuis la présentation de la requête, il n’a jamais été question que Nadine Schreiner vivait en union de fait avec Dave Taylor. Nous nous comportions, et j’imagine que c’est mon opinion personnelle, en tenant pour acquis qu’il s’agissait d’une relation continue [...]

(Transcription, Eric Schreiner c. La Reine, p. 50, lignes 15-21.)

 

Dawn McBride a également dit :

 

                    [traduction]

 

Il y avait toujours la présomption qu’il y avait une union de fait. Cela n’a jamais été contesté, et personne n’a jamais laissé entendre qu’il en était autrement. (Transcription, Eric Schreiner c. La Reine, p. 50, ligne 25, et p. 51, lignes 1-4.)

 

(8) Témoignage de Jim Barsaloux : interrogatoire principal

 

Jim Barsaloux a témoigné qu’il connaissait bien les Schreiner et que Nadine Schreiner lui avait présenté Dave Taylor en le décrivant comme son [traduction] « nouvel homme ». (Transcription, Eric Schreiner c. La Reine, p. 64, lignes 14-15.)

 

(9) Témoignage de Jim Barsaloux

 

Jim Barsaloux a dit :

 

                    [traduction]

 

[...] Je voyais régulièrement Jessica. Et lors de ces nombreuses rencontres, elle a mentionné plusieurs fois le petit ami de sa mère, Dave. (Transcription, Eric Schreiner c. La Reine, p. 65, lignes 3-5.)

 

[14]    À partir de la preuve qui m’a été présentée, j’ai conclu que Nadine Schreiner vivait en union de fait avec Dave Taylor pendant les années visées. Pour arriver à cette conclusion, j’ai noté que, même si Mme Schreiner nie que Dave Taylor est son conjoint de fait, celui‑ci continue de vivre avec elle après ses nombreux déménagements et ils sont partenaires dans de cadre d’un projet de « location‑achat d’une habitation ». Compte tenu de la preuve dont j’ai été saisi, j’ai conclu que Mme Schreiner n’avait pas le droit de demander le crédit en application de l’alinéa 118(1)b) de la Loi, étant donné qu’elle vivait en union de fait avec Dave Taylor pendant toute la période pertinente.

 

[15]    Pour tirer cette conclusion concernant le fait qu’il y avait une union de fait, j’ai mentionné l’arrêt Le procureur général de l’Ontario c. M. et H., et al., [1999] 2 R.C.S. 3, où la Cour suprême du Canada a formulé les commentaires suivants à la page 50 :

 

   Molodowich c. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (2d) 376 (C. dist. Ont.), énonce les caractéristiques généralement acceptées de l’union conjugale, soit le partage d’un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l’image sociétale du couple. Toutefois, il a été reconnu que ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et que tous ne sont pas nécessaires pour que l’union soit tenue pour conjugale. [...]

 

   Un couple de sexe différent peut certainement, après de nombreuses années de vie commune, être considéré comme formant une union conjugale, même sans enfants ni relations sexuelles. Évidemment, le poids à accorder aux divers éléments ou facteurs qui doivent être pris en considération pour déterminer si un couple de sexe différent forme une union conjugale variera grandement, presque à l’infini. [...] Les Tribunaux ont eu la sagesse d’adopter une méthode souple pour déterminer si une union est conjugale. Il doit en être ainsi parce que les rapports dans les couples varient beaucoup. [...]

 

[16]    Je dois maintenant décider si l’appelant a droit au crédit pour personne à charge.

 

[17]    Après l’examen de l’alinéa 118(1)b) de la Loi, il convient de noter que les points additionnels suivants doivent être établis :

 

1.       le particulier doit subvenir aux besoins de la personne à charge « à un moment de l’année », dans un « établissement domestique autonome »;

 

2.       la personne à charge doit résider au Canada, sauf s’il s’agit d’un enfant du particulier;

 

3.       la personne à charge doit être entièrement à la charge du contribuable;

 

4.       la personne à charge doit être liée au contribuable;

 

5.       la personne à charge doit être soit le père ou la mère, ou le grand-père ou la grand-mère du particulier, soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d'une infirmité mentale ou physique.

 

[18]    Dans ce cas‑ci, l’appelant a tenu un « établissement domestique autonome » aux fins de l’application de la disposition. Jessica est la fille de l’appelant, étant donné que la paternité n’a pas été contestée, et elle avait, pendant toute la période pertinente, moins de 18 ans.

 

[19]    L’expression « entièrement à la charge » a été examinée par la Cour. Dans la décision Isaac v. R., 95 DTC 859, la Cour de l’impôt a dit que l’expression « à un moment de l’année » pouvait vouloir dire des périodes discontinues au cours de l’année. Il s’ensuit donc que si une personne était une personne entièrement à charge à un moment quelconque de l’année, cette condition serait remplie.

 

[20]    Pendant l’audience, l’appelant a dit qu’il avait intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (Division du droit de la famille) afin d’obtenir une déclaration selon laquelle il n’est pas le père de Jessica. Le 29 juin 2005, la Cour a statué qu'elle ne pouvait pas accorder la réparation demandée en raison des vices dont était entachée l'instance introduite par Eric Schreiner, et elle a rejeté sa demande. L’appelant a indiqué qu’il avait déposé un appel devant la Cour d’appel de la Saskatchewan.

 

[21]    J’ai examiné le droit applicable à cet égard et je remarque qu’il y a une présomption de paternité dans le droit de la famille de la Saskatchewan. Selon l’article 45 de la Loi de 1997 sur le droit de l’enfance, ch. C‑8.2 :

 

45(1)    Sauf preuve contraire fondée sur la prépondérance des probabilités, un homme est présumé être le père d'un enfant et doit bénéficier d'une reconnaissance légale de paternité dans l'un des cas suivants :

 

a)         il cohabitait avec la mère, étant marié à elle ou pas, à la naissance ou à la conception de l'enfant;

 

[22]    Si j’ai bien compris, l’appelant et Mme Schreiner vivaient ensemble au moment de la naissance de Jessica. La présomption est donc en faveur de la paternité de l’appelant, et cette présomption n’a pas été réfutée.

 

[23]    J’ai conclu que l’appelant a le droit de demander le crédit pour personne à charge de 6 482 $ aux fins du calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2002.

 

[24]    L’appel est accueilli avec dépens.

 

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 13e jour d’avril 2006.

 

 

« L.M. Little »

Juge Little

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de janvier 2008.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

RÉFÉRENCE :

2006TCC231

 

No DU DOSSIER :

2005-55(IT)I

 

INTITULÉ :

Eric Schreiner c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 octobre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge L.M. Little

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 avril 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me James R. Schemenauer

 

Avocate de l’intimée :

MBrooke Sittler

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

Me James R. Schemenauer

 

Cabinet :

Priel Stevenson Hood & Thornton

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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