Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2001-3163(IT)G

ENTRE :

GILLES CLEARY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Danny Cleary (2001-3164(IT)G) les 29 et 30 septembre et le 1er octobre 2004,

à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Serge Fournier

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) à l'égard des années d'imposition 1992 et 1993 sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis qu'aucun montant n'a à être inclus dans le revenu de l'appelant comme avantage résultant de l'usage personnel de la résidence située sur la rue Migneault.

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi à l'égard des années d'imposition 1994 et 1995 sont rejetés.


          L'intimée a droit à un seul ensemble de dépens. Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2004.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


Référence : 2004CCI711

Date : 20041126

Dossiers : 2001-3163(IT)G

2001-3164(IT)G

ENTRE :

GILLES CLEARY,

DANNY CLEARY,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Archambault

[1]      Messieurs Gilles et Danny Cleary sont des autochtones vivant à Longueuil qui réclament, relativement à du revenu d'entreprise qu'ils affirment être situé sur une réserve autochtone du Lac Saint-Jean, l'exonération fiscale édictée à l'article 87 de la Loi sur les Indiens (LI). Le ministre du Revenu national (ministre) a établi une cotisation d'impôt en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) relativement à ce revenu gagné par l'intermédiaire d'une société de personnes, Atuhk. Le revenu net d'Atuhk pour l'exercice terminé le 31 décembre 1992 s'élevait à 1 262 602 $ et a été réparti en parts égales entre les deux appelants. En plus de la question de l'imposition de ce revenu d'entreprise, qui est en litige, il y a, à l'égard de Gilles Cleary, la question de l'existence d'un avantage imposable résultant de l'usage personnel d'une résidence située sur la rue Migneault à Longueuil et appartenant à la société Constructions Cleary (1992) Inc. (CCI). En effet, le ministre a ajouté au revenu de Gilles Cleary pour l'année d'imposition 1992 un montant de 9 113 $, et pour 1993, un montant de 5 164 $, à titre d'avantage imposable. Au début de l'audience, la procureure de l'intimée a reconnu que le montant de 5 164 $ devait être réduit de 608 $.

[2]      Finalement, le ministre a inclus dans le revenu de Danny Cleary pour l'année d'imposition 1994 un montant de 5 866 $ à titre de gain en capital imposable découlant de la disposition d'un terrain vague situé sur la rue Guillet à Longueuil. Au début de l'audience, la procureure de l'intimée a reconnu que le gain en capital réalisé sur ce terrain devait être réduit de 7 821 $ à 4 321 $ en raison de l'ajout au coût du terrain d'un montant de taxes de 3 500 $. Par conséquent, le gain en capital imposable doit être réduit de 5 866 $ à 3 241 $[1].

Faits

[3]      Monsieur Gilles Cleary et son fils, Danny Cleary, étaient tous les deux des « Indiens » au sens de la LI. Gilles Cleary est né sur la réserve de Pointe-Bleue, maintenant appelée la communauté autochtone de Mashteuiatsh, située tout près de Roberval, au Lac Saint-Jean. Il a quitté Mashteuiatsh alors qu'il avait environ 12 ou 13 ans. Quant à Danny Cleary, il n'a jamais habité sur cette réserve. Il est né à Kénogami et habite à Longueuil, tout comme son père, depuis de nombreuses années.

[4]      Les deux détenaient en parts égales toutes les actions avec droit de vote de CCI. Cette société a détenu à compter de 1993 toutes les actions de 2431-8107 Québec Inc. (2431). La société 2431, auparavant appelée Les Constructions Cleary Inc., exploitait, tout comme CCI, une entreprise de construction d'immeubles résidentiels sur la Rive-Sud de Montréal. Le siège social de CCI est également situé à Longueuil. Non seulement cette société exploite-t-elle son entreprise ailleurs que sur une réserve autochtone, mais ses clients ne sont pas des résidents d'une telle réserve.

[5]      En ce qui concerne la constitution d'Atuhk, les appelants ont fourni les explications suivantes. Le frère de Gilles Cleary, un résident de Mashteuiatsh, lui aurait fait part de certains problèmes économiques et sociaux de cette communauté autochtone. Parmi ces problèmes, il y avait un taux élevé de chômage, soit, selon monsieur Ralph Cleary, le neveu de Gilles Cleary, un autochtone sur deux. Il y avait également un problème d'oisiveté chez certains jeunes, qui s'adonnaient à la respiration des vapeurs d'essence.

[6]      Dans le but de favoriser un développement économique à Mashteuiatsh, les appelants auraient conçu le projet Wigwam, un projet de construction immobilière de 32 unités réparties dans huit maisons de ville. Ce projet adoptait un « nouveau concept architectural qui s'apparente à l'image des habitats de nos ancêtres » [2]. Dans le prospectus décrivant le projet, il est fait état d'un programme de financement et du prix de vente de ces maisons, et une description des partenaires regroupés pour la réalisation du projet est donnée. Sous la rubrique « Programme de financement » , on affirme que le Conseil des Montagnais épargnerait environ 27 250 $ selon les taux d'intérêt en vigueur en mai 1992, ce qui confirmerait que le prospectus a été préparé à cette époque-là. Malheureusement, le témoignage de Gilles et Danny Cleary n'a pas été plus précis quant à la date de ce document.

[7]      Pour réaliser le projet Wigwam, les Cleary ont formé une nouvelle société par actions, Les Constructions Amishk Inc. (Amishk), au cours du printemps 1992. Cette société devait former une « coentreprise » avec deux sociétés de construction exploitant leur entreprise à Mashteuiatsh, soit B.C. Construction et Les Constructions Paul. Un projet d'entente entre ces trois sociétés apparaît à la pièce A-1, onglet 23, et décrit les relations commerciales devant exister entre ces trois partenaires. Ce document n'est pas signé.

[8]      En plus du regroupement de ces trois sociétés de construction, le projet d'entente prévoyait que les matériaux nécessaires à la réalisation du projet Wigwam seraient acquis par l'intermédiaire d'Atuhk. C'est ainsi que, le 25 mars 1992, a été déposée au bureau du protonotaire, raisons sociales, de la Cour supérieure du Québec, une déclaration dans laquelle Gilles et Danny Cleary indiquent qu'ils veulent faire affaires sous le nom de Société Atuhk à compter du 25 mars 1992 et que celle-ci a son établissement au 9 , rue Atuhk, Mashteuiatsh. Gilles Cleary n'a pas signé personnellement cette déclaration et a plutôt donné à son fils une procuration signée le 25 mars 1992 à Longueuil, pour que soit enregistrée cette déclaration de raison sociale. L'entreprise d'Atuhk devait consister à agir comme courtier en matériaux de construction et comme intermédiaire pour les contrats de sous-traitance. Selon Ralph Cleary, le marché visé par Atuhk n'était pas seulement Mashteuiatsh, mais toutes les communautés autochtones du Québec.

[9]      Selon le rapport du vérificateur du ministre, en date du 16 décembre 1998, le prospectus préparé par les Cleary n'a jamais été présenté au conseil de bande, mais a été présenté uniquement à son comité du développement économique. Le projet Wigwam n'aurait jamais été réalisé. Interrogé sur les raisons de cet insuccès, Danny Cleary a indiqué qu'il n'en savait rien. Même si c'est lui qui a conçu ce projet, ce n'est pas lui qui menait les négociations avec le conseil de bande. Il a laissé cette responsabilité à Ralph Cleary qui, selon lui, était mieux connu sur la réserve. À la page 15 de son rapport, le vérificateur du ministre fournit comme raison de l'insuccès la suivante :

[...] Il semblerait que les autres partenaires mentionnés au projet n'ont pas voulu s'impliquer dans ce projet car ils auraient assumé beaucoup de risques et ne faisaient pas confiance à « Atuhk » ni à Construction Amishk, dirigée respectivement par Tony Connolly et Ralph Cleary, car aucune n'avait fait ses preuves dans le domaine de la construction. Quant à « Gilles » et « Danny » , ils n'étaient pas ou peu connus dans la communauté, donc personne ne pouvait se prononcer à leur sujet.

[10]     Comme le projet Wigwam ne s'est jamais réalisé, la seule activité commerciale d'Atuhk en 1992 a été d'agir comme intermédiaire entre CCI et les fournisseurs de celle-ci. En fait, une entente en date du 26 mars 1992, soit le jour suivant la production de la déclaration de raison sociale d'Atuhk, aurait été signée entre CCI et Atuhk[3]. À la page 1 de cette entente, on indique notamment que CCI désire retenir les services d'Atuhk afin de centraliser les achats de matériaux et l'octroi des contrats aux sous-traitants. Il s'agit d'une entente d'exclusivité en ce qui a trait à l'achat des matériaux neufs. Tous les matériaux de construction devaient être achetés par l'intermédiaire d'Atuhk et tous les sous-traitants devaient être engagés par son intermédiaire, à l'exception des électriciens et des installateurs de foyers.

[11]     Dans sa réponse à l'avis d'appel, le ministre a indiqué que la majorité des fournisseurs d'Atuhk étaient situés hors réserve, soit sur la Rive-Sud de Montréal, et que les matériaux commandés par Atuhk à ces fournisseurs étaient livrés directement sur les chantiers de construction de CCI, hors réserve. Ce fait a été admis par les appelants. Or, la preuve n'a révélé, à l'égard de l'année d'imposition 1992, l'existence d'aucun fournisseur situé sur la réserve de Mashteuiatsh. Le seul fournisseur qui n'était pas situé sur la Rive-Sud de Montréal était un fabricant de portes et de fenêtres de la région de Québec que Ralph Cleary aurait trouvé. Ce dernier a confirmé également qu'on n'avait rien acheté à la scierie située sur la réserve de Mashteuiatsh.

[12]     Une entente avec Amishk, semblable à celle intervenue entre Atuhk et CCI, aurait été signée en date du 26 mars 1992. Or, la preuve n'a révélé aucune opération effectuée entre Atuhk et Amishk. Danny Cleary a reconnu qu'aucun état financier n'avait été établi pour Amishk, étant donné que peu d'opérations avaient été faites en son nom. En fait, à part un montant d'environ 75 $, tous les dépôts effectués en 1992 par Atuhk dans son compte à la Caisse populaire de Pointe-Bleue représentaient des sommes versées par CCI. Voici ce que l'on trouve dans le rapport du vérificateur relativement à ces dépôts :

Nous avons obtenu de la Caisse Populaire de Pointe Bleue les états de compte ainsi que les bordereaux de dépôts pour les années 1992, 1993 et 1994 concernant le compte # 4218 de « Atuhk » .

Pour 1992, nous constatons que les dépôts totalisent de 6 660 091,94$ dont 6 660 016,94$ proviendrait de « CCI » , soit 99,996%.

[...]

Nous pouvons conclure que pour 1992 et 1993 « CCI » était le client de « Atuhk » .

(Page 17 du rapport du vérificateur.)

[13]     Il est important de mentionner que des opérations auraient aussi été effectuées en 1993 et 1994 entre Atuhk et CCI et peut-être d'autres clients. Toutefois, aucun état financier n'a été dressé pour ces deux années d'imposition et le ministre n'a jugé bon d'établir une cotisation à l'égard d'aucun montant de revenu gagné au cours de ces mêmes années. Aucune explication n'a été fournie relativement à cette situation plutôt surprenante.

[14]     Durant les années 1992, 1993 et 1994, Atuhk aurait compté peut-être jusqu'à quatre employés à son service. Par contre, la preuve est plutôt vague relativement aux périodes durant lesquelles ces employés auraient occupé leur emploi. Voici ce que l'on trouve dans le rapport du vérificateur relativement aux employés d'Atuhk (Page 16) :

Les informations à cet effet ne sont pas unanimes. Selon certains, Ralph Cleary et Dominic Gill auraient travaillé pour « Atuhk » . Selon d'autres, « Atuhk » et les autres compagnies de « Gilles » et « Dany » [sic] auraient eu deux (2) employés Tony Connolly, Ralph Cleary. Selon un autre, le seul employé connu de « Atuhk » était Tony Connolly.

[15]     Une de ces quatre personnes, soit Dominic Gill, n'aurait occupé son emploi que quelques jours. Il semble qu'au début des opérations d'Atuhk, c'est Tony Connolly qui a été responsable des opérations de celle-ci. Son nom apparaît d'ailleurs aux ententes mentionnées plus haut conclues avec CCI et Amishk. Le représentant d'Amishk sur l'entente avec Atuhk est Ralph Cleary, qui serait devenu par la suite employé d'Atuhk. Il semble même qu'il a fini par remplacer monsieur Connolly. Ralph Cleary avait obtenu un baccalauréat en administration, gestion des ressources humaines, deux ans avant de commencer à travailler pour Atuhk et Amishk. Durant ces deux années, il a travaillé pour le Conseil des Montagnais dans le service des ressources humaines.

[16]     Selon Ralph Cleary, c'est surtout monsieur Connolly qui s'occupait de recevoir les bons de commande pour la fourniture des matériaux de construction à CCI. Il aurait donc été en communication avec Estelle, la préposée employée par CCI à Longueuil. C'est Ralph Cleary qui aurait traité avec les fournisseurs. Par contre, il a reconnu que certaines des demandes de crédit faites à des fournisseurs dans la région de Montréal avaient été transmises par télécopieur directement à CCI. En outre, Ralph Cleary a indiqué que c'était Danny Cleary qui établissait la liste des prix pour les produits vendus par Atuhk à CCI. Selon Ralph, la marge bénéficiaire d'Atuhk était de 5 % à 10 %. Selon Danny Cleary, Atuhk calculait une marge bénéficiaire de 10 % ou de 11 % et il n'y avait pas de liste détaillée des prix de vente des différents matériaux. On verra plus loin que la marge bénéficiaire brute d'Atuhk pour 1992 était presque le double.

[17]     Ralph Cleary a indiqué que deux signatures étaient nécessaires pour les chèques d'Atuhk, dont une de Gilles ou de Danny Cleary. Comme ces derniers habitaient à Longueuil, il fallait soit attendre leur visite ou leur envoyer les chèques par la poste ou par messagerie, et cela même si Ralph Cleary a indiqué qu'il devait signer des chèques à chaque jour. Il a confirmé que les décisions importantes d'Atuhk étaient prises par les propriétaires. Selon Ralph, c'est Danny Cleary lui-même qui essayait de développer de nouveaux marchés dans les autres communautés autochtones du Québec. Par contre, lors de son témoignage, Danny a confirmé qu'il n'avait pas fait de démarches précises en ce sens. Il s'était limité à ne mentionner l'existence de son projet que si l'occasion se présentait. Même si c'est lui-même qui aurait négocié avec les Montagnais de Mashteuiatsh relativement au projet Wigwam, Ralph Cleary a été incapable d'expliquer pourquoi ce projet n'avait pas démarré.

[18]     Malgré que Danny et Gilles Cleary aient affirmé à plusieurs reprises s'être trouvés régulièrement à Mashteuiatsh, il est plutôt surprenant, par exemple, que, lors de sa vérification, le vérificateur n'a pu trouver de frais de déplacement indiqués par Atuhk pour les sociétaires relativement à leurs déplacements entre Longueuil et Mashteuiatsh. De plus, Gilles Cleary n'était pas au courant des démarches faites au sujet du projet Wigwam. Il ne savait pas non plus où était situé le 9 , rue Atuhk ou le 131-B, rue Ouiatchouan. Il n'avait aucune connaissance des activités d'Amishk ni des revenus gagnés par celle-ci. Finalement, Gilles Cleary n'avait aucun souvenir ni aucune connaissance quant à savoir s'il avait investi une somme de 25 000 $ dans Atuhk ou s'il avait reçu pour 1,2 million de dollars, ou pour la moitié de ce montant, d'actions de CCI. Danny Cleary, quant à lui, a mal situé l'établissement du 9 , rue Atuhk lorsqu'il a communiqué ce renseignement au vérificateur. Or, Danny Cleary avait affirmé avoir été plus présent sur la réserve de Mashteuiatsh au début des opérations d'Atuhk. Il est par conséquent difficile de comprendre qu'il n'ait pas pu renseigner correctement le vérificateur du ministre quant à l'endroit où se trouvait l'établissement d'Atuhk au début de ses opérations. Finalement, ni Danny Cleary ni Gilles Cleary ne connaissaient Dominic Gill.

[19]     Quoique l'intimée n'ait pas contesté devant la Cour l'existence d'Atuhk, la preuve présentée par les appelants révèle clairement que cette société a produit les documents nécessaires pour établir son existence, notamment la déclaration de raison sociale, le permis qu'elle a obtenu du conseil de bande et les numéros d'inscription auprès des autorités fiscales.

[20]     Dans les seuls états financiers d'Atuhk - qui auraient été préparés par Samson Bélair Deloitte & Touche (également les comptables de CCI) - soit ceux du 31 décembre 1992 en date du 29 janvier 1993, on note que les salaires versés par Atuhk s'élèvent à 30 680 $ et les avantages sociaux à 2 713 $. Ses ventes s'élèvent à 7 062 829 $[4] et le coût des ventes à 5 749 275 $. Le bénéfice net se chiffre à 1 262 602 $. Ce bénéfice net représente une marge bénéficiaire nette de 17,9 % alors que la marge bénéficiaire brute s'élève à 18,6 %[5].

[21]     Parmi les actifs d'Atuhk, il y avait de l'équipement et du mobilier de bureau dont le coût s'est élevé à 9 774 $. Selon le témoignage de Ralph Cleary, ce mobilier comprenait des bureaux, des chaises, un ordinateur, un télécopieur et un copieur. Le montant du loyer pour l'exercice du 31 décembre 1992 s'est élevé à 1 900 $. Selon le témoignage de Danny Cleary, Atuhk n'aurait eu son établissement au 9, rue Atuhk que pour quelques semaines avant qu'il soit transféré au 131-B, rue Ouiatchan. En présumant que le loyer de 1 900 $ couvre une période de huit mois, il équivaudrait à un loyer mensuel de 237 $. Même si Danny Cleary a décrit les activités d'Atuhk comme étant l'achat et la revente, il n'y avait pas d'entrepôt situé sur la réserve.

[22]     Ralph Cleary a affirmé n'avoir jamais vu les états financiers préparés par Samson Bélair. Il ne se rappelait pas non plus comment étaient tenus les registres de la société. Il ignorait aussi pourquoi l'entreprise d'Atuhk n'avait pas pris plus d'ampleur et pourquoi plus d'efforts n'avaient pas été faits auprès des deux sociétés de construction situées sur la réserve, à savoir B.C. Construction et Les Constructions Paul.

[23]     La marge bénéficiaire brute de CCI pour 1992 s'est élevée à 10 % et pour 1993, à 17 %. Or, la marge bénéficiaire brute de 2431 s'est élevée à 20,2 % pour l'exercice de 1991 et à 25,7 % pour l'année 1990 (voir le rapport du vérificateur, pages 10 et 11, pièce I-9). Rappelons que 2431 s'appelait auparavant Les Constructions Cleary Inc. et que son nom a été changé le 8 février 1993. Cette société avait été constituée le 6 avril 1987. Quant à CCI, elle a été constituée le 7 février 1992. Il semble que sa constitution ait été le résultat de la séparation de monsieur Gilles Cleary et de son épouse, madame Mariette Gagnon. Cette dernière n'était pas originaire de la réserve de Mashteuiatsh.

[24]     Le vérificateur indique, à la page 20 de son rapport, comme informations recueillies lors de son complément de vérification, les faits suivants :

11.- que jamais les factures d'achat de « CCI » auprès de « Atuhk » ne nous ont été présentées malgré nos demandes;

[...]

13.- que le directeur de la C.P. de Pointe Bleue n'a jamais conseillé aux Cleary de s'établir dans la réserve. La seule justification qu'il voyait aux gestes posées [sic], était la réduction du fardeau fiscal de « CCI » ;

14.- qu'une bonne partie des profits de « CCI » ont été transférés dans « Atuhk » .

[25]     Lorsqu'on lui a demandé si des considérations fiscales l'avaient amené à établir Atuhk sur la réserve de Mashteuiatsh, Danny Cleary n'a pas répondu directement à cette question. Il s'est limité à affirmer que toutes les sociétés dans lesquelles s'impliquent des autochtones ont recours soit à des sociétés en nom collectif ou à des sociétés en commandite. Par contre, il a reconnu avoir utilisé les services d'un fiscaliste.

Analyse

L'exonération fiscale en vertu de l'article 87 LI

[26]     La disposition pertinente pour résoudre la question de l'exonération des bénéfices d'Atuhk se trouve à l'alinéa 81(1)a) de la Loi, qui édicte :

81(1)     Sommes à exclure du revenu - Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition

a)          Exemptions prévues par une autre loi - une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu'un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d'une disposition d'une convention ou d'un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

[Je souligne.]

[27]     La disposition pertinente de l'autre loi est ici l'article 87 LI, qui édicte :

87         (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a)          le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b)          les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve;

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

(3) Aucun impôt sur les successions, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la mort d'un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession visant un tel bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d'aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 des Statuts revisés du Canada de 1952, ou l'impôt payable, en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, chapitre E-9 des Statuts révisés du Canada de 1970, sur d'autres biens transmis à un Indien ou à l'égard de ces autres biens.

[Je souligne.]

[28]     Depuis la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, le revenu gagné par un autochtone peut être considéré comme un bien meuble d'un Indien aux fins de l'article 87 LI. Reste à déterminer si le revenu en cause ici était situé sur une réserve au sens de la LI. L'arrêt clé en la matière est une autre décision de la Cour suprême du Canada : Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877. C'est dans cet arrêt que la Cour suprême a élaboré l'approche que doivent suivre les tribunaux pour déterminer le situs de biens d'un Indien. En particulier, le juge Gonthier s'est fondé sur l'analyse en profondeur effectuée par le juge La Forest dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Dans cet arrêt, le juge La Forest a défini ainsi, comme le faisait remarquer le juge Gonthier à la page 885 de Williams, l'objet des articles 87 et 89 LI :

[...]ces articles visent à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d'imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l'utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées. La conséquence de cette conclusion était que les articles en question ne visent pas à conférer un avantage économique général aux Indiens (aux pp. 130 et 131) [...]

[Je souligne.]

[29]     À la page 887 de l'arrêt Williams, le juge Gonthier ajoutait :

En conséquence, en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d'un choix en ce qui concerne ses biens personnels. L'Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l'extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société.    Il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans l'ensemble du monde des affaires.

Le critère du situs, à l'art. 87, a pour objet de déterminer si l'Indien détient les biens en question en vertu des droits qu'il possède à titre d'Indien sur la réserve. Lorsqu'il est nécessaire de choisir entre diverses méthodes de détermination de l'emplacement des biens pertinents, le choix doit se faire en tenant compte de cet objet.

[Je souligne.]

[30]     Le juge Gonthier, aux pages 890 et 891, a conclu de la façon suivante en ce qui a trait à la méthode qu'il devait appliquer pour déterminer le situs de prestations d'assurance-chômage :

En répondant à cette question, il est évident qu'il serait complètement contraire à l'économie et aux objets de la Loi sur les Indiens et de la Loi de l'impôt sur le revenu d'adopter simplement les principes généraux du droit international privé dans le présent contexte. En effet, les objets du droit international privé ont peu sinon rien en commun avec ceux qui sous-tendent la Loi sur les Indiens. On ne voit pas en quoi le lieu d'exécution normal d'une dette est pertinent pour décider si l'imposition de la réception du paiement de la dette représenterait une atteinte aux droits détenus par un Indien à titre d'Indien sur une réserve. Le critère du situs en vertu de la Loi sur les Indiens doit être interprété conformément aux objets de cette loi et non à ceux du droit international privé. En conséquence, il faut réexaminer attentivement, en fonction des objets de la Loi sur les Indiens, si l'on doit retenir la résidence du débiteur comme facteur exclusif pour déterminer le situs de prestations comme celles qui ont été versées en l'espèce. Il se peut que la résidence du débiteur demeure un facteur important, voire même le seul. Toutefois, on ne peut arriver directement à cette conclusion à partir d'une analyse de la façon dont le droit international privé tranche cette question.

[Je souligne.]

[31]     Finalement, le juge Gonthier a établi la démarche suivante aux pages 892 et 893 :

[...] Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses : (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

[Je souligne.]

[32]     Notons de plus que la Cour d'appel fédérale a eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'analyser le situs du revenu tiré d'une entreprise, notamment dans les arrêts Southwind c. Canada, [1998] A.C.F. no 15 (Q.L.), 98 DTC 6084, et Bell c. Canada, [2000] A.C.F. no 680 (Q.L.). Dans Southwind, le procureur de la Couronne avait suggéré les facteurs suivants pour décider si les revenus d'une entreprise étaient situés sur une réserve : (1) le lieu où se déroulaient les activités de l'entreprise, (2) le lieu où se situaient les clients (débiteurs) de l'entreprise, (3) le lieu où étaient prises les décisions touchant l'entreprise, (4) le type d'entreprise et la nature du travail, (5) le lieu du paiement, (6) la mesure dans laquelle l'entreprise participait au commerce général, (7) le lieu de l'établissement stable de l'entreprise et le lieu où étaient conservés les livres et registres, et (8) la résidence du propriétaire de l'entreprise.

[33]     Au paragraphe 14 de cette décision, le juge Linden exprime l'opinion suivante :

14         Selon l'opinion exprimée par la Cour suprême dans l'affaire Mitchell, lorsqu'un Indien participe au « commerce général » , il doit être assujetti aux mêmes conditions que les autres Canadiens auxquels il fait concurrence. Bien que la signification de cette expression ne soit pas claire du tout, il ne fait aucun doute qu'elle vise à distinguer les activités commerciales des Autochtones qui traitent avec des personnes situées principalement à l'extérieur de la réserve, plutôt que sur la réserve. Elle a pour but d'isoler les activités commerciales dont profite un Autochtone en particulier plutôt que l'ensemble de sa communauté, bien qu'il soit évidemment reconnu, comme l'a affirmé Me Nadjiwan, que la collectivité tire profit du fait qu'une personne assure la subsistance de sa famille.

[Je souligne.]

[34]     À mon avis, les facteurs énumérés dans Southwind sont tout à fait pertinents aux fins de cet appel. Je vais donc les analyser individuellement et en ajouter d'autres qui m'apparaissent tout aussi pertinents ici.

(1) Lieu où se déroulaient les activités de l'entreprise

[35]     Il n'y a pas de doute qu'Atuhk exerçait une partie de ses activités commerciales sur la réserve de Mashteuiatsh. En effet, Atuhk y possédait un établissement qu'elle louait et où était situé du mobilier dont le coût s'élevait à plus de 9 000 $. Il y aurait eu des bureaux, des chaises, un ordinateur, un télécopieur, un copieur, etc. Il est possible que cet équipement ait pu être suffisant. De plus, il y avait au moins un employé - peut-être deux ou même trois - qui prenait des commandes provenant de CCI et qui, s'il faut se fier à la preuve, aurait fait les démarches nécessaires pour faire livrer les matériaux de construction sur la Rive-Sud. S'il fallait appliquer strictement le critère de l'endroit où s'exerçaient les activités de l'entreprise, il n'y aurait pas de doute que le revenu d'entreprise pourrait avoir été situé sur la réserve. Toutefois, deux commentaires s'imposent. Tout d'abord, ce critère n'est pas le critère déterminant, puisqu'on doit en soupeser l'importance en fonction de l'objet poursuivi par la Loi, c'est-à-dire qu'il faut déterminer si l'autochtone détient les biens en question en vertu des droits qu'il possède à titre d'Indien sur une réserve. Deuxièmement, même si on peut considérer qu'une partie de l'établissement d'Atuhk a été située sur une réserve, peu d'éléments démontrent le caractère permanent et important de cet établissement. Aucune preuve n'a été faite non plus de l'existence de livres et registres comptables conservés sur la réserve.

(2) Le lieu où étaient situés les clients de l'entreprise

[36]     Même si le procureur des appelants a soutenu avec vigueur dans sa plaidoirie qu'il fallait tenir compte du plan d'affaires que suivaient les appelants en formant Atuhk, lequel plan était de desservir une clientèle située sur les réserves, la réalité est que le seul client d'Atuhk durant l'année 1992 était CCI, qui exploitait son entreprise à des centaines de kilomètres de la réserve. Aucun client situé sur la réserve n'a été nommé.

(3) Le lieu où étaient situés les fournisseurs de l'entreprise

[37]     Aux critères déjà énoncés dans l'affaire Southwind, il faudrait ajouter ici celui du lieu où étaient situés les fournisseurs de l'entreprise, et ce en raison de la nature d'intermédiaire de l'entreprise d'Atuhk. En l'espèce, la preuve révèle que non seulement les fournisseurs d'Atuhk étaient situés à l'extérieur de la réserve, mais ils étaient à plus de 400 kilomètres (soit plus de 5 heures[6] de route) de la réserve. De plus, non seulement les produits que vendait Atuhk à CCI étaient situés à plus de 400 kilomètres de la réserve, mais ils se trouvaient tout près de CCI, son seul client en 1992. En effet, presque tous les fournisseurs étaient situés sur la Rive-Sud de Montréal, l'endroit où CCI exploitait son entreprise.

(4) Lieu de résidence des propriétaires de l'entreprise et le lieu où étaient prises les décisions touchant l'entreprise

[38]     Un facteur important à noter ici est le lieu de résidence des deux sociétaires d'Atuhk. Tous les deux vivaient à Longueuil depuis de nombreuses années. Gilles Cleary avait quitté la réserve de Mashteuiatsh alors qu'il avait 12 ou 13 ans, alors que son fils Danny n'y avait jamais habité. Quoiqu'ils aient mentionné avoir visité régulièrement la réserve, la preuve est loin d'être convaincante à cet égard. En effet, il est plutôt surprenant que Gilles Cleary n'ait pas été en mesure d'indiquer où étaient situés les rues Atuhk et Ouiatchouan, de même qu'il a été incapable de nommer les employés d'Atuhk et d'Amishk. En plus, il faut ajouter le fait que Gilles Cleary n'était pas au courant des activités d'Atuhk et d'Amishk. Finalement, aucune dépense n'avait été indiquée par Atuhk pour les déplacements de ses deux sociétaires entre Montréal et Roberval.

[39]     Le fait de signer des chèques ne constitue certainement pas une prise de décision importante, quoiqu'il révèle l'exercice d'un contrôle important sur les activités d'une entreprise. Il n'en demeure pas moins que les deux sociétaires résidaient sur la Rive-Sud de Montréal et cela vient appuyer la conclusion de fait que c'est là que les décisions les plus importantes touchant l'entreprise ont dû être prises. À Mashteuiatsh, Ralph Cleary semblait, à tout le moins à une certaine époque, être la personne responsable des activités d'Atuhk. Par contre, il ne semble pas avoir joué de rôle important dans l'exploitation de l'entreprise d'Atuhk : notamment, c'était Danny Cleary qui déterminait les prix des produits vendus à CCI. Ralph Cleary ne s'est pas occupé de la tenue de la comptabilité et de la supervision de la préparation des états financiers. Ce n'est même pas Ralph qui devait développer les nouveaux marchés dans les autres communautés autochtones : c'est Danny Cleary qui devait s'en occuper.

(5) Type d'entreprise et nature du travail

[40]     Il est important de constater que la nature même des services fournis par Atuhk était fort différente de celle des services offerts par une entreprise comme une scierie. L'entreprise d'Atuhk ne nécessitait que très peu d'investissement, peu d'immobilisations et peu d'employés. Le seul actif servant à l'exploitation de son entreprise était du mobilier dont le coût initial s'élevait à 9 700 $. Il n'y avait aucune nécessité de posséder d'importants locaux, notamment un entrepôt. Cette entreprise aurait pu être exploitée n'importe où. Tout ce qui était important était d'être relié par téléphone avec son client et ses fournisseurs. Il aurait certainement été plus commode si l'entreprise avait été située là où se trouvaient son client et la totalité, ou presque, de ses nombreux fournisseurs. Finalement, notons également le rôle plutôt minime joué par l'employé ou les employés d'Atuhk. Ces employés n'ont jamais été capables de générer en 1992 une activité autre que celle de desservir le seul client d'Atuhk, CCI, société qui appartenait aux sociétaires d'Atuhk.

(6) Lieu du paiement

[41]     La preuve révèle qu'un nombre important de dépôts a été effectué à la Caisse populaire de Pointe-Bleue. Toutefois, il faut souligner que la majeure partie de l'argent qui y a été déposé n'a fait qu'y transiter. Un montant très minime est resté sur la réserve de Mashteuiatsh. Sur les 6,6 millions de dollars qui ont transité dans les comptes à la Caisse populaire de Pointe-Bleue, seulement une somme de moins de 34 000 $ a servi à payer les salaires et les avantages sociaux d'un ou plusieurs employés d'Atuhk résidant à Mashteuiatsh. L'autre montant important est les 1 900 $ qui ont servi à payer le loyer. Il faut reconnaître que l'argent a davantage servi à payer les fournisseurs situés dans la région de Montréal ou à verser les bénéfices à Gilles et Danny Cleary, bénéfices qui ne sont pas restés sur la réserve. En fait, une bonne partie de ces bénéfices n'aurait même pas transité par la Caisse populaire de Pointe-Bleue, s'il faut se fier aux écritures comptables capitalisant dans les livres de CCI une somme d'un million de dollars. En quelque sorte, la plus grande partie des bénéfices de 1,2 million de dollars n'aurait même pas été déposée sur la réserve de Mashteuiatsh.

(7) Mesure dans laquelle l'entreprise participait au commerce général

[42]     L'entreprise d'Atuhk était celle d'intermédiaire dans la fourniture de matériaux de construction provenant de la Rive-Sud, livrés sur la Rive-Sud et consommés sur la Rive-Sud. Il s'agit là d'une activité purement commerciale exercée principalement à l'extérieur de la réserve de Mashteuiatsh.

[43]     Une analyse globale de tous ces éléments révèle que le 1,2 million de dollars de bénéfices réalisé par Atuhk constitue essentiellement une extraction artificielle des bénéfices réalisés par CCI dans l'exploitation de son entreprise dans la région de Montréal. On peut se rappeler que 2431, exploitée auparavant par messieurs Gilles et Danny Cleary, avait une marge bénéficiaire brute d'environ 20 à 25 % avant que ces derniers n'interposent entre leur entreprise - exploitée d'abord par 2431 et par la suite par CCI - et leurs fournisseurs un intermédiaire comme Atuhk. Une fois qu'Atuhk est arrivée dans le paysage, la marge bénéficiaire brute de CCI a été réduite de moitié, tombant à environ 10 %.

[44]     Même si Danny Cleary n'a pas voulu admettre l'existence d'une planification fiscale, il ressort de la preuve qu'il y avait une telle planification. Telle était l'impression du directeur de la Caisse populaire de Pointe-Bleue, selon le rapport du vérificateur. Il y a de plus le fait que Danny Cleary utilisait les services d'un fiscaliste oeuvrant au sein d'un cabinet de comptables réputé du Québec. De toute façon, que le projet d'établissement à Mashteuiatsh relève de considérations humanitaires comme l'ont fait valoir messieurs Ralph et Danny Cleary, ou qu'il relève plutôt de l'opportunisme d'une planification fiscale, la réalité est la suivante : les bénéfices réalisés par Atuhk constituent essentiellement des bénéfices reliés à l'entreprise de construction de CCI exploitée sur la Rive-Sud de Montréal. Il y a eu très peu de retombées économiques pour la communauté autochtone de Mashteuiatsh : seulement des salaires et des avantages sociaux totalisant moins de 34 000 $ et le paiement d'un loyer de 1 900 $, alors que les bénéfices réalisés par Atuhk se sont élevés à 1,2 million de dollars, dont environ un million n'aurait même pas transité par la réserve de Mashteuiatsh.

[45]     Dans ces circonstances, il est difficile de conclure que, aux fins de la LI, ces revenus d'entreprise étaient situés sur une réserve parce qu'ils constituaient des biens détenus par un Indien en tant qu'Indien. Il est difficile aussi de conclure qu'il serait inopportun de taxer ces sommes parce que cela aurait pour conséquence d'éroder les biens détenus par un Indien sur une réserve. Ici, les appelants avaient décidé de vivre à l'extérieur de leur réserve autochtone. Ils exerçaient des activités à l'extérieur des terres réservées à leur usage. Ils étaient donc assujettis aux mêmes conditions que les autres Canadiens. Comme le disait le juge Gonthier dans l'arrêt Williams, il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans « le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société » . La preuve révèle nettement ici que les appelants se sont intégrés dans le monde des affaires en dehors de la réserve et, il me semble, avec beaucoup de succès. Il est même probable que leur manque de rattachement à la réserve explique en grande partie l'insuccès du projet Wigwam. Selon le vérificateur, les appelants n'étaient pas bien connus du conseil de bande et Ralph Cleary avait peu d'expérience dans la construction.

[46]     Pour tous ces motifs, j'en viens à la conclusion que les appelants ne détenaient aucun bien à titre d'Indiens sur une réserve et que les revenus d'entreprise tirés d'Atuhk étaient assujettis à la Loi.

Calcul du gain en capital tiré du terrain vague

[47]     Lors de son témoignage, monsieur Danny Cleary a indiqué qu'il avait acheté le terrain vague de la rue Guillet dans le but d'y bâtir une résidence et qu'il l'a par la suite revendu à CCI pour ce que cela lui avait coûté pour l'acquérir et le détenir. En effet, en plus du coût d'achat (qui comprenait la taxe sur les produits et services et les droits de mutation), monsieur Cleary a dû engager des frais pour les taxes foncières annuelles et pour l'aménagement du terrain, notamment le nivellement. À mon avis, même s'il avait été possible de conclure qu'une partie de ces dépenses pouvait être capitalisée et ainsi incluse dans le coût du terrain - je pense ici au coût du nivellement du terrain - la preuve n'a révélé aucunement quel était le montant de ces dépenses. Faute de preuve, je ne suis pas en mesure de conclure que le montant déterminé comme le prix de base rajusté du terrain vague était erroné.

Usage de la maison située sur la rue Migneault

[48]     Lorsque monsieur Gilles Cleary a produit sa déclaration de revenus pour 1992, il a indiqué qu'il habitait au 388, rue Migneault à Longueuil. De plus, lorsque CCI a emprunté une somme de 98 900 $ à la Fiducie Desjardins Inc., le 20 juillet 1993 (pièce I-1, onglet 14), le notaire a indiqué au contrat de prêt que monsieur Gilles Cleary, qui était intervenu dans ce contrat, demeurait au 388, rue Migneault, Longueuil. Par conséquent, le ministre avait des éléments de fait pouvant justifier que monsieur Cleary habitait à cette adresse. Lors de leur témoignage, messieurs Gilles et Danny Cleary ont affirmé que le 388, rue Migneault était une maison modèle où CCI avait ses bureaux et que monsieur Gilles Cleary n'y avait jamais habité. Quoique je puisse avoir un certain doute sur la valeur probante des témoignages des messieurs Cleary, ces témoignages n'ayant notamment pas été corroborés par des témoins indépendants, je suis prêt à leur accorder le bénéfice du doute et à conclure que la résidence en question n'a pas été utilisée à des fins personnelles par Gilles Cleary. Par conséquent, la cotisation du ministre est mal fondée à cet égard.

[49]     Pour tous ces motifs, les appels de monsieur Gilles Cleary à l'égard des années d'imposition 1994 et 1995 sont rejetés. Ceux pour les années 1992 et 1993 sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis qu'aucun montant n'a à être inclus dans le revenu de monsieur Gilles Cleary comme avantage résultant de l'usage personnel de la résidence située sur la rue Migneault.

[50]     En ce qui a trait à monsieur Danny Cleary, ses appels à l'égard des années d'imposition 1992 et 1995 sont rejetés. Son appel à l'égard de l'année 1994 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que le montant du gain en capital imposable découlant de la vente du terrain vague sur la rue Guillet s'élève à 3 240,75 $, au lieu de 5 866 $.

[51]     Compte tenu des résultats obtenus et du fait que les appels des deux appelants ont été entendus sur preuve commune, l'intimée à droit à un ensemble de dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre, 2004.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :

2004CCI711

Nos DES DOSSIERS

DE LA COUR :

2001-3163(IT)G

2001-3164(IT)G

INTITULÉS DES CAUSES :

Gilles Cleary et Sa Majesté la Reine

Danny Cleary et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :

29 et 30 septembre 2004 et

1er octobre 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :

le 26 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :

Me Serge Fournier

Pour l'intimée :

Me Nathalie Lessard

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour les appelants :

Nom :

Me Serge Fournier

Étude :

Brouillette Charpentier Fortin

Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Dans leurs avis d'appel, messieurs Gilles et Danny Cleary contestaient également l'inclusion, pour les années d'imposition 1992, 1994 et 1995, d'avantages résultant de prêts consentis par CCI ou de dettes envers celle-ci. Le procureur des appelants a reconnu qu'il n'avait pas les éléments de preuve nécessaires pour contester ces montants d'avantages imposables. Par conséquent, il n'y a plus de question en litige pour l'année 1995.

[2]           Tiré d'un prospectus non daté de 11 pages qui devait être présenté au Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean, à la rubrique « Un modèle exclusif » (pièce A-1, onglet 22).

[3]           Il est fort probable que ce document n'a pas été signé à cette date mais l'a plutôt été plus tard, puisqu'on indique comme adresse de l'établissement d'Atuhk le 131-B, rue Ouiatchouan, Pointe-Bleue, Roberval, alors qu'à cette époque le siège social de la société aurait plutôt été situé au 9, rue Atuhk. Le procureur des appelants a reconnu qu'une telle situation était vraisemblable étant donné que les appelants étaient les seuls sociétaires d'Atuhk et les seuls actionnaires de CCI.

[4]        Même si le montant des ventes indiqué dans les états financiers d'Atuhk s'élève à 7 062 829 $, les achats effectués par CCI auprès d'Atuhk s'élèveraient à 7 366 220 $ selon la vérification effectuée par le ministre. (Pour 1993 le chiffre de ces achats est de 4 700 493 $ et pour 1994 de 10 362 $.) Aucune explication pour cet écart n'a été fourni. Il faut ajouter qu'il ne s'agit pas là du seul écart resté sans explication. L'analyse du bilan d'Atuhk au 31 décembre 1992 révèle une insuffisance de capital de 224 392 $. Il y avait eu une mise de fonds de 25 006 $, un bénéfice net de 1 262 602 $ et des retraits de 1 512 000 $. Voici ce que le vérificateur affirme à la page 22 de son rapport :

Le nombre substantiel d'écarts entre les divers registres et états financiers présentés par les contribuables laisse plus que songeur. Il ne faut perdre de vue que c'est la firme Samson Bélair/Deloitte & Touche qui a effectué l'examen et/ou la vérification de tous les états financiers.

À titre d'exemple, pour l'année 1992:

1-          a)- Le bilan de « Atuhk » fait mention d'un découvert de banque de 81 038,00$ au 31 décembre 1992;

b)- le solde au compte, selon les copies d'états de compte obtenues de la Caisse Populaire de Pointe Bleue, était de 300 058,49$. De plus nous avons relevé 253 811,39$ de chèques de débités au compte, entre le 1er janvier 1993 et le 21 janvier 1993.

Comment peut-on expliquer ce découvert de banque de 81 038$ mentionné aux états financiers?

[...]

3-          a)- L'addition des chèques faits à « Atuhk » à partir de la « Liste globale des paiements effectués » , de « CCI » donne un total de 7 080 677,57$;

b)- le total des chèques selon « Historique détaillé par fournisseur » donne 7 026 408,75$.

Les paiements effectués par « CCI » effectuée [sic] à « Atuhk » divergent selon le registre qui est consulté.

4-          Comment « CCI » peut-elle avoir des comptes à payer de 1 012 000,00$ alors que ses registres montrent des achats de 7 366 220,34$ et qu'elle a effectué des paiements totalisant tout le moins 7 026 408,75$ laissant un montant à payer de 339 811,59$ selon les registres de « CCI » et que l'on retrace 6 660 016,94$ de dépôts provenant de « CCI » au compte de la C.P. Pointe Bleue.

5-          [...]

b)- l'écriture de régularisation # 12 préparée par Samson Bélair ... se lit comme suit:

Comptes à payer

1 012 000,00 $

    Dû à l'actionnaire Gilles Cleary

1 012 000,00 $

Pour enregistrer la quittance de Société Atuhk envers les sociétaires Gilles et Dany [sic] Cleary;

c) [...]

Il est important de mentionner qu'aucun des représentants des vérificateurs n'est venu témoigner pour expliquer ces écarts. En outre, les appelants ont été incapables de dire qui était le vérificateur de la région de Roberval qui avait préparé les états financiers d'Atuhk.

[5]           Ces résultats sont en contradiction avec l'affirmation de Danny Cleary selon laquelle la marge bénéficiaire d'Atuhk était de 10 % à 11 %.

[6]           Cinq heures et quarante minutes, selon MapQuest.com, pour le trajet en voiture entre l'adresse de Gilles Cleary à Longueuil et l'établissement d'Atuhk à Mashteuiatsh.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.