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Dossier : 2003-2521(IT)I

ENTRE :

PIERRE FRÉGEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu le 20 novembre 2003 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

Comparutions :

Pour l'appelant :

Albina Mulaomerovic et Isabelle Paradis (Étudiantes en droit)

Pour l'intimée :

Agathe Cavanagh (Stagiaire en droit)

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JUGEMENT

L'appel à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mai 2004.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


Référence : 2004CCI293

Date : 20040505

Dossier : 2003-2521(IT)I

ENTRE :

PIERRE FRÉGEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bédard

[1]      Il s'agit d'un appel, selon la procédure informelle, à l'encontre d'une cotisation établie à l'égard de l'appelant par le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour l'année d'imposition 2001.

[2]      En produisant sa déclaration de revenus pour l'année 2001, l'appelant a réclamé un crédit équivalent pour personne entièrement à charge de 1 006,88 $ (6 293 $ x 16%). En établissant une nouvelle cotisation en date du 2 décembre 2002, le Ministre a refusé à l'appelant le crédit équivalent pour personne entièrement à charge.

[3]      Pour établir et ratifier la nouvelle cotisation faisant l'objet du présent litige, le Ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel amendée :

a)          suite à une demande de renseignement de la part du ministre au sujet de la réclamation d'un crédit équivalent pour personne entièrement à charge, à l'égard de l'année d'imposition 2001, l'appelant dévoila que la personne touchée était son fils Yannick, né le 30 mai 1989, et qu'il versait à sa mère une pension alimentaire pour ce même enfant;

b)          l'appelant et madame Carole Foisy ont célébré leur mariage le 24 septembre 1983;

c)          le mariage de l'appelant et de madame Carole Foisy fut dissout le 29 juin 1995 par jugement de divorce rendu par l'honorable juge André Forget, j.c.s.;

d)          de l'union de l'appelant et de madame Carole Foisy sont nés deux enfants, Yannick et Andrée;

e)          pendant l'année du litige, l'appelant a vécu séparé de madame Carole Foisy tout au long de la dite année;

f)           selon un consentement à jugement daté du 13 avril 1999, homologué et rendu exécutoire le 14 avril 1999 par jugement de la Cour d'appel du Québec, l'appelant et madame Carole Foisy ont convenu, entre autres, des mesures suivantes :

i)      l'appelant et madame Carole Foisy auront la garde légale partagée, sur une rotation de sept (7) jours, de leurs enfants mineurs Yannick et Andrée,

ii)      l'appelant versera à madame Carole Foisy, pour leurs deux enfants mineurs, Yannick et Andrée, une pension alimentaire annuelle de 3 000 $ payable en deux versements égaux et bimensuels de 125 $, le 1er et le 15e jour de chaque mois, à compter du 15 avril 1999;

g)          le ministre refusa d'accorder à l'appelant un crédit d'impôt équivalent pour personne entièrement à charge, à l'égard de son fils Yannick, quant à l'année d'imposition 2001, pour la raison que la Loi de l'impôt sur le revenu stipule qu'un particulier ne pourra réclamer un crédit d'impôt personnel lorsqu'il vit séparé de son ancien conjoint et est tenu de lui payer une pension alimentaire pour le compte de l'enfant, et ce même si la pension alimentaire n'est pas payée ou si elle est payée, mais aucune déduction n'est réclamée.

[4]      Seul l'appelant a témoigné à l'audience. Son témoignage a essentiellement confirmé les hypothèses de fait sur lesquelles le Ministre s'est appuyé pour établir la nouvelle cotisation.

[5]      Les représentantes de l'appelant soutiennent que le paragraphe 118(5) de la Loi est inconstitutionnel en ce qu'il viole l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ) en établissant une discrimination entre les contribuables sur la base de leur situation de famille. L'appelant prétend faire l'objet de discrimination puisqu'il n'obtient pas le même bénéfice de la Loi que les contribuables dans une situation familiale différente.

[6]      Pour soutenir leur prétention que la situation de famille est une caractéristique personnelle pouvant faire l'objet d'une discrimination, les représentantes de l'appelant s'appuient sur l'affaire Thibaudeau c. M.R.N., [1994] 2 C.F. 189 (1ère instance), où le juge Hugessen a affirmé que « la situation de famille ou autre expression semblable figure à titre de motif de discrimination » [1].

[7]      De plus, les représentantes de l'appelant sont d'avis que le paragraphe 118(5) de la Loi était justifié avant la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants[2] :

Aux termes de ce régime d'inclusion-déduction, il était donc à quelque part compréhensible et acceptable que les payeurs des pensions alimentaires ne puissent pas avoir droit aux crédits d'impôt compte tenu de l'avantage qu'ils recevaient par la possibilité d'avoir la déduction des montants versés au titre de pension alimentaire. Or, suite aux changements législatifs, ces mêmes payeurs de pension alimentaire se voient aujourd'hui nier le droit d'avoir les crédits d'impôt. Cette situation ne leur est pas seulement préjudiciable à eux, mais surtout elle désavantage les enfants à leur charge qui ne peuvent pas bénéficier des avantages qu'auraient pu leur procurer les sommes de ces crédits d'impôt.

En somme, elles sont d'opinion que depuis la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants, le paragraphe 118(5) de la Loi crée un traitement inéquitable pour le parent séparé qui partage la garde de ses enfants avec son ancien conjoint tout en versant une pension alimentaire pour ses enfants. Ce parent ne peut désormais plus déduire les montants versés à titre de pension alimentaire pour enfants, en plus de se voir refuser le crédit équivalent pour personne entièrement à charge parce qu'il paie cette pension alimentaire pour enfants (paragraphe 118(5) de la Loi). Selon les représentantes de l'appelant, « la disposition en cause fait abstraction complète et indéniable de la nécessité de l'appelant d'avoir droit à ces crédits non pas pour en bénéficier lui-même, mais pour le bien de son enfant » [3].

[8]      Les représentantes de l'appelant soutiennent également que la jurisprudence selon laquelle le paragraphe 118(5) de la Loi ne viole pas l'article 15 de la Charte est antérieure à la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants. Puisque la défiscalisation est un des facteurs causant le traitement inéquitable soulevé, elles soutiennent que cette cour ne devrait pas se limiter à ces décisions et devrait plutôt pousser le raisonnement plus loin.

[9]      Enfin, les représentantes de l'appelant sont d'avis que le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants[4] du Québec, tout comme les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires[5], ne tiennent pas compte du crédit équivalent pour personne entièrement à charge dans le cadre de la fixation des pensions alimentaires. De ce fait, le contribuable se voit refuser le droit au crédit équivalent pour personne entièrement à charge au motif qu'il verse une pension alimentaire pour enfants. Or, cette pension alimentaire est établie sans tenir compte du fait que le parent payeur ne peut recevoir le crédit au paragraphe 118(1) de la Loi parce qu'il est débiteur d'une pension alimentaire. Les représentantes de l'appelant affirment[6] :

Ainsi, dans la majorité des cas, ce sont les règles provinciales que l'on applique et donc, dans le cas présent, celles du Québec. Lors de la fixation de la pension alimentaire pour enfants, selon les règles québécoises, le crédit d'impôt pour personne entièrement à charge n'est pas pris en compte. Il n'est pas justifié de dire, comme la partie intimée l'a souligné à la page 15 de ses notes explicatives, que les lignes directrices fédérales de fixation de pension alimentaire pour enfants tiennent compte du crédit d'impôt pour personne entièrement à charge prévu à l'alinéa 118(1)b) de la Loi lors de la fixation de cette pension puisque de toute manière ce ne sont pas celles applicables à la présente cause. De plus, la partie intimée n'a pas démontré dans ses notes explicatives que le législateur fédéral avait effectivement tenu compte du crédit en cause. En fait, rien ne semble indiquer qu'il en prend réellement considération. [...]

Analyse

[10]     Afin de déterminer si le paragraphe 118(5) de la Loi viole l'article 15 de la Charte, je dois répondre aux trois questions suivantes :

- La loi a-t-elle pour objet ou pour effet d'imposer une différence de traitement entre l'appelant et d'autres personnes?

- La différence de traitement est-elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

- La loi en question a-t-elle un objet ou un effet discriminatoire au sens de la garantie d'égalité?

Différence de traitement

[11]     À mon avis, il est évident que l'application du paragraphe 118(5) de la Loi donne lieu à un traitement différent : le contribuable séparé ayant la garde partagée de ses enfants mais ne versant pas de pension alimentaire pour enfants aura droit au crédit équivalent pour personne entièrement à charge alors que ce ne sera pas le cas pour le contribuable dans la même situation mais qui ne verse pas une pension alimentaire pour enfants.

Caractéristiques personnelles

[12]     Les représentantes de l'appelant soutiennent que ce dernier fait l'objet de discrimination en raison de sa situation familiale et qu'il s'agit d'une caractéristique personnelle visée par l'article 15 de la Charte. Pour appuyer leur prétention que la situation familiale constitue une caractéristique personnelle, elles se réfèrent aux motifs du juge Hugessen dans l'affaire Thibaudeau[7] où ce dernier affirmait que « le fait d'être séparé et d'être un parent sont des « caractéristiques personnelles » [8].

Elles soutiennent donc « que la nécessité de devoir payer une pension alimentaire doit être considérée comme une telle caractéristique personnelle aussi » [9].

[13]     D'abord, il importe de mentionner que l'arrêt dans l'affaire Thibaudeau a été infirmé par la Cour suprême du Canada[10]. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada devait déterminer si l'alinéa 56(1)b) de la Loi violait l'article 15 de la Charte. Il est à noter que ce litige est né avant la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants. La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Thibaudeau, précitée, fut loin d'être unanime. Les juges La Forest et Sopinka ont souscrit aux motifs et à la conclusion du juge Gonthier; les juges Cory et Iacobucci étaient d'accord avec la conclusion du juge Gonthier mais tenaient à ajouter quelques précisions; enfin, les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin ont toutes deux rendu des motifs dissidents. Vu ces opinions divergentes, il est pertinent de revoir la décision de la Cour suprême du Canada de façon détaillée.

[14]     Dans l'affaire Thibaudeau, précitée, le juge Gonthier a expliqué que le groupe touché par la distinction découlant de l'application de l'alinéa 56(1)b) de la Loi était les couples séparés ou divorcés dont un parent verse une pension alimentaire à l'autre en vertu d'un jugement ou d'une entente[11] :

Comme je l'ai souligné plus haut, pour décider du caractère préjudiciable du régime, il faut en effet le situer en contexte en comparant le traitement réservé aux parents visés par le régime particulier de l'inclusion/déduction à celui qui serait le leur en l'absence d'un tel régime, soit celui de parents auxquels ne s'adressent pas les dispositions des al. 56(1)b) et 60b) LIR mais qui ont néanmoins une obligation alimentaire.

Puisque le groupe visé par la distinction était le couple, le juge Gonthier a conclu qu'il s'agissait d'une caractéristique personnelle analogue à celles visées à l'article 15 de la Charte.

[15]     Dans ses motifs, le juge Gonthier affirme que la Loi est particulière en ce qu'elle crée, de par sa nature, des différences de traitement[12] :

Or il est de l'essence même de la LIR de faire des distinctions, de manière à générer des revenus pour l'État tout en composant de façon équitable avec un ensemble d'intérêts forcément divergents. Dans cette perspective, le droit au même bénéfice de la loi ne saurait signifier que chaque contribuable a un droit égal de recevoir les mêmes sommes, déductions ou avantages mais seulement un droit d'être également régi par la loi. L'objet fondamental de l'art. 15 de la Charte a en effet été précisé par le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews, précité, à la p. 171 :

Il est clair que l'art. 15 a pour objet de garantir l'égalité dans la formulation et l'application de la loi. Favoriser l'égalité emporte favoriser l'existence d'une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération.

Ceci étant, il ne faudrait donc pas confondre le concept d'équité fiscale, qui vise la meilleure répartition du fardeau fiscal compte tenu des besoins du fisc, de la capacité de payer des contribuables et des politiques économiques et sociales de l'État avec la notion de droit à l'égalité qui veut, comme je l'exposerai en détail ci-dessous, qu'un membre d'un groupe ne soit pas désavantagé en raison d'une caractéristique personnelle non pertinente partagée par ce groupe.

[16]     Selon le juge Gonthier, le droit de la famille doit fixer la pension alimentaire pour enfants en tenant compte des incidences fiscales. Conséquemment, si cette tâche n'est pas correctement exécutée en raison des dispositions du droit de la famille, cela n'a pas pour effet de faire en sorte que l'alinéa 56(1)b) de la Loi viole l'article 15 de la Charte[13] :

Que l'économie d'impôt engendrée par le régime d'inclusion/déduction ne bénéficie pas aux deux parents dans une proportion égale n'enfreint donc pas les droits à l'égalité protégés par la Charte. Par ailleurs, je souligne qu'aucune preuve n'établit, à ce titre, que le parent créancier ou les enfants seraient avantagés par l'imposition entre les mains du débiteur alimentaire, comme le postuleraient les principes réguliers d'imposition en vertu du régime général. En fait, dans cette hypothèse, il appert que la capacité de payer de ce dernier serait réduite au total (impossibilité de déduire les sommes versées dans le calcul de son revenu) et dans le temps (impossibilité de bénéficier des aménagements particuliers qui permettent au payeur d'une pension alimentaire de réduire le montant de ses retenues à la source).

En somme, le fait que la pension alimentaire puisse ne pas être augmentée d'un montant égal au dégrèvement d'impôt du débiteur ou à l'augmentation d'impôt du créancier ne saurait établir, en lui-même, un désavantage à l'endroit de ce dernier puisqu'en principe, la répartition relève de l'application du droit de la famille, qui est intégré au régime fiscal par renvoi et dont elle favorise les objectifs en contribuant à un allégement du fardeau fiscal. D'ailleurs de tels résultats, le cas échéant, relèvent en premier lieu du cas particulier. Ils n'établissent pas le désavantage du groupe.

On invoque l'inefficacité du droit familial à établir dans les faits une répartition égale et de laisser dans un dénuement relatif le parent gardien, généralement la mère, ou du moins laisse-t-on à sa charge une part plus grande et disproportionnée du fardeau. Le régime d'inclusion/déduction viendrait aggraver le problème. Il est donc inexact, selon l'hypothèse même posée, que ce régime soit la source du problème même si selon cette vue des choses il serait cause d'aggravation. On ne peut, par conséquent, lui imputer le problème de la pénurie de ressources des parents gardiens que le régime vise à pallier et pallie en fait globalement en réduisant le prélèvement du fisc et en laissant à la disposition des parents une plus grande part de leurs revenus pour satisfaire à leurs obligations alimentaires envers leurs enfants. C'est là un avantage dont ne jouissent pas les autres parents. Aussi est-ce non pas de cet avantage dont on se plaint en somme, mais plutôt du défaut de certains parents non gardiens de remplir adéquatement leurs obligations à l'endroit de leurs enfants, eu égard à l'allégement fiscal dont ils bénéficient. Cette situation empêcherait l'État de laisser au parent non gardien et soutien de famille la disposition d'une plus grande part de ses revenus pour remplir ses obligations envers ses enfants, obligations qui sont définies par la loi même et dont le montant est convenu par entente formelle ou fixé par jugement. On priverait ainsi tous les parents de cette plus grande possibilité et donc liberté de faire face à leurs responsabilités.

Le régime attaqué procure globalement un avantage aux couples soutiens d'enfants. Les imperfections non dans la loi qui en détermine la répartition selon le meilleur intérêt des enfants, mais dans son application dans certains cas, et ceci pour des raisons tout à fait étrangères au régime, peuvent porter à conclure à l'insuffisance du remède choisi par le législateur pour répondre pleinement à un problème social profond et complexe mais non qu'il cause préjudice à ceux qu'il avantage. Il n'est nullement démontré que des parents fussent-ils gardiens seraient en meilleure position comme groupe en l'absence d'un tel régime. D'une part, une loi doit être évaluée selon la généralité des cas auxquels elle s'adresse. Le désavantage qu'elle peut engendrer dans des cas d'exception alors qu'elle bénéficie à l'ensemble d'un groupe légitime ne justifie pas de conclure qu'elle cause préjudice. D'autre part, le défaut de réaliser à leur pleine mesure les avantages recherchés en raison de difficultés non dans la loi mais dans les situations ou la matière dont elle traite notamment dans le domaine familial n'en fait pas des désavantages. Les inégalités dans les résultats ici relèvent des cas particuliers, même s'ils peuvent être nombreux, sont du domaine économique et pour la plupart susceptibles de se produire entre les parents mieux nantis, à un niveau de revenus tel que la dignité de la personne n'est pas en cause.

[17]     Les juges Cory et Iacobucci ont souscrit à la conclusion du juge Gonthier en soutenant que l'unité familiale était le groupe visé. Bien qu'ils en soient arrivés au même résultat, les juges Cory et Iacobucci ont tenu à ajouter les propos suivants[14] :

Nous voudrions souligner que les tribunaux devraient être sensibles au fait qu'il est inhérent à la politique fiscale d'établir des distinctions qui ont pour effet, comme le signale le juge Gonthier, d'engendrer des revenus fiscaux tout en conciliant équitablement des intérêts souvent divergents, sinon opposés. Comme toute autre loi, la Loi de l'impôt sur le revenu est soumise à l'examen de la Charte. La portée du droit prévu à l'art. 15 ne dépend pas de la nature de la loi qui est contestée. Voir Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695. Dans le présent pourvoi, toutefois, pour déterminer si la distinction a pour effet de créer un fardeau, il faut examiner l'interaction existant entre les al. 56(1)b) et 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu et le régime du droit de la famille. Contrairement aux cas qui se présentaient dans Symes et dans Egan, les dispositions contestées dans le présent pourvoi incorporent expressément des mesures législatives tant fédérales que provinciales et en sont tributaires mais ne constituent pas en soi un code complet. Il faut donc examiner les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu conjointement avec les lois fédérales et les lois provinciales en vertu desquelles sont rendues les ordonnances alimentaires pour les enfants afin d'évaluer leur effet sur le requérant.

En l'espèce, c'est une ordonnance alimentaire rendue conformément à la Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, ch. D-8, qui a déclenché l'application des al. 56(1)b) et 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, les dispositions fiscales s'appliquent en étroite relation avec le droit de la famille. Le montant du revenu imposable en vertu des al. 56(1)b) et 60b) est déterminé par le jugement de divorce ou de séparation et, à moins que le régime du droit familial fonctionne mal, le montant de la prestation alimentaire des enfants comprendra les calculs de majoration pour tenir compte de l'impôt que l'ex-conjoint bénéficiaire devra payer sur ce revenu. S'il y a un transfert disproportionné de l'impôt à payer entre les anciens conjoints (comme ce semble être le cas pour Mme Thibaudeau), la responsabilité n'en incombe pas à la Loi de l'impôt sur le revenu, mais au régime du droit de la famille et aux procédures dont résultent les ordonnances alimentaires. Ce régime prévoit des moyens de réexaminer les ordonnances alimentaires qui, par erreur, n'ont pas tenu compte des conséquences fiscales des versements de pension. Étant donné l'interaction entre la Loi de l'impôt sur le revenu et les lois relatives au droit de la famille, on ne peut donc pas dire que l'al. 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu impose à l'intimée un fardeau au sens de la jurisprudence relative à l'art. 15.

[...]

En somme, il ne s'agit pas d'un cas où la Cour est appelée à déterminer si la distinction établie est vraiment discriminatoire. Il n'existe tout simplement pas de fardeau. Par conséquent, le présent pourvoi peut être tranché à ce stade-ci de l'analyse fondée sur l'art. 15. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de passer au stade suivant, celui de déterminer s'il y a discrimination, niveau auquel les opinions de nos collègues semblent diverger sur le plan des concepts. Dans la mesure où nous ne sommes pas d'accord avec la conclusion du juge McLachlin, selon laquelle les al. 56(1)b) et 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu entraînent un fardeau, notre divergence d'opinions se limite à l'application de sa méthode aux faits de la présente affaire et ne porte pas sur sa méthodologie en soi, que nous appuyons. En corollaire, nous sommes d'accord avec le juge Gonthier quant au résultat auquel il est arrivé dans le présent pourvoi, mais non quant à la méthode utilisée. Cette conclusion découle du fait que, en l'espèce, nous estimons qu'il n'y a pas de refus du même bénéfice de la loi au sens de l'art. 15.

[18]     À l'opposé, les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin, pour des raisons distinctes mais non contradictoires, étaient d'avis que l'alinéa 56(1)b) de la Loi violait l'article 15 de la Charte. Essentiellement, elles soutenaient que le groupe de comparaison n'était pas la famille ou le couple mais plutôt les parents divorcés ayant la garde des enfants. La juge McLachlin ajoutait que le droit de la famille n'empêchait pas les inégalités de sorte que le fait de s'en remettre à ces règles de droit n'était pas la façon de procéder[15] :

[...] En bref, dans le cas de Mme Thibaudeau, le droit de la famille n'est pas arrivé à rectifier l'inégalité que la loi fiscale crée à son endroit. Même si elle devait chercher à obtenir une modification du montant de la pension alimentaire, il est loin d'être certain qu'elle réussirait à obtenir une indemnisation complète. Loin d'être isolé, le cas de Mme Thibaudeau contredit l'idée que le système de droit familial neutralise les effets discriminatoires de la loi fiscale.

Je conclus donc qu'en exigeant que les parents gardiens séparés ou divorcés incluent dans le calcul de leur revenu imposable la pension alimentaire des enfants, l'al. 56(1)b) LIR impose aux parents gardiens séparés ou divorcés des obligations qui ne pèsent pas sur d'autres personnes dans des situations similaires et les prive d'avantages accordés à d'autres. Il nie aux parents gardiens le droit à la même protection ou au même bénéfice de la loi. L'existence d'une inégalité de traitement au sens de l'art. 15 de la Charte est démontrée.

[19]     En somme, la Cour suprême du Canada a conclu que l'alinéa 56(1)b) de la Loi ne violait pas la Charte. En s'inspirant fortement de l'affaire Thibaudeau, précitée, le juge Hershfield a récemment décidé que l'obligation pour un contribuable d'inclure dans son revenu les montants reçus à titre de pension alimentaire pour le conjoint (à ne pas confondre avec une pension alimentaire pour enfants) ne violait pas l'article 15 de la Charte[16].

[20]     L'appelant fait-il, en raison du paragraphe 118(5) de la Loi, l'objet d'une différence de traitement basée sur une caractéristique personnelle? Je dois conclure par la négative. Bien que les représentantes de l'appelant soutiennent que le traitement différent que subit l'appelant résulte de sa situation familiale, la différence de traitement est, à mon avis, occasionnée par son obligation de payer une pension alimentaire pour enfants. Il ne s'agit donc pas d'une caractéristique personnelle analogue à celles énumérées à l'article 15 de la Charte. Certes, cette obligation découle de la situation familiale, que celle-ci soit une caractéristique personnelle ou non. Cependant, ce n'est pas le fait d'être un parent séparé ou divorcé qui fait en sorte que l'appelant ne peut pas recevoir le crédit au paragraphe 118(1)b) de la Loi. Le crédit au paragraphe 118(1)b) de la Loi est refusé à l'appelant sur la base qu'il paie une pension alimentaire pour enfants à son ancien conjoint. L'appelant fait donc l'objet d'un traitement différent par rapport au parent séparé ou divorcé qui ne paie pas de pension alimentaire pour enfants. La distinction dépend donc d'une obligation pécuniaire résultant d'une obligation de verser une pension alimentaire pour enfants. Or, l'article 15 de la Charte cherche à interdire les différences de traitement fondées sur une ou des caractéristiques personnelles, c'est-à-dire des caractéristiques qui se rattachent à la dignité d'une personne tels la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, les déficiences mentales ou physiques et tous motifs analogues. Puisqu'une obligation pécuniaire ne constitue pas une caractéristique personnelle analogue à celles mentionnées à l'article 15 de la Charte, l'appelant ne fait pas, à mon avis, l'objet d'une différence de traitement en vertu de cet article de la Charte.

[21]     Je suis d'opinion que l'intimée a raison de soutenir que l'affaire Nelson c. Canada, 2000 DTC 6556, [2000] A.C.F. no 1613, est pertinente et ce, malgré le fait que cette décision soit antérieure à la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants. Dans cette affaire, monsieur Nelson et son ex-épouse se partageaient la garde de leurs enfants et monsieur Nelson déboursait une certaine somme à titre de pension alimentaire pour enfants. Tout comme l'appelant, monsieur Nelson soutenait que le paragraphe 118(5) de la Loi violait l'article 15 de la Charte. La Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge Sharlow, a conclu[17] (je souligne) :

À mon avis, le traitement distinct établi par le paragraphe 118(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas fondé sur l'un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte ou sur un motif analogue. Le paragraphe 118(5) n'établit pas une distinction entre M. Nelson et le groupe de référence au titre de caractéristiques personnelles, ou au titre de l'application stéréotypée de présumés [sic] caractéristiques collectives ou personnelles, et il ne met pas en jeu la vocation du paragraphe 15(1) de la Charte à corriger des écarts tels que les préjugés, les stéréotypes et les handicaps historiques. L'application du paragraphe 118(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'offense pas non plus la dignité, la valeur intrinsèque ou l'amour-propre de M. Nelson. Par conséquent, le traitement distinct qui résulte du paragraphe 118(5) n'est pas discriminatoire au sens de la Charte.

Le postulat qui sous-tend l'argument de M. Nelson est que le législateur fédéral devrait offrir le même allégement fiscal à tous les parents célibataires qui subviennent aux besoins de leurs enfants en vertu d'un accord de garde partagée. Il s'agit là sans doute d'un objectif louable de politique publique, mais ce n'est pas un objectif qui puisse être avancé dans une demande fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte. M. Nelson ne peut que s'en remettre au législateur fédéral.

[22]     Cette conclusion doit, à mon avis, s'appliquer à la présente affaire. Il est vrai que l'effet de la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants joue un rôle considérable dans la donnée du problème actuel. Par contre, cet élément entre en considération à la troisième étape de l'analyse, celle de savoir si le paragraphe 118(5) de la Loi a un objet ou un effet discriminatoire au sens de la garantie d'égalité. Un argument fondé sur la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants n'a donc pas sa place à ce point-ci. En conséquence, le paragraphe 118(5) de la Loi ne crée pas, à mon avis, de distinction de traitement fondée sur l'un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte ou sur un motif analogue et l'appel peut être rejeté sur cette seule base.

Objet ou effet discriminatoire

[23]     Malgré ce qui précède et en supposant que l'appelant fait l'objet d'un traitement différent fondé sur une caractéristique personnelle (sa situation familiale), je suis d'opinion que cette différence de traitement n'a pas un objet ou un effet discriminatoire.

[24]     Les représentantes de l'appelant soulèvent essentiellement deux arguments. D'une part, elles sont d'avis que le paragraphe 118(5) de la Loi est discriminatoire en raison de la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants. D'autre part, elles sont d'opinion que le paragraphe 118(5) de la Loi est discriminatoire puisque le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants au Québec, de même que les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires, ne tiennent pas compte de l'incidence de cette pension alimentaire sur le droit au crédit équivalent pour personne entièrement à charge.

[25]     Dans l'affaire Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême du Canada, sous la plume de l'honorable juge Iacobucci, affirmait que l'une des questions à se poser lors de l'analyse de l'article 15 de la Charte est la suivante[18] :

La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

[26]     Je ne peux affirmer que la différence de traitement causée par l'application du paragraphe 118(5) de la Loi est discriminatoire en raison de la défiscalisation puisque le résultat de l'application du paragraphe 118(5) de la Loi est identique avant et après la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants. Avant la défiscalisation, l'appelant aurait versé une pension alimentaire pour enfants qu'il aurait pu déduire du calcul de son revenu, alors que son ex-conjoint aurait dû inclure cette somme dans le calcul de son revenu. En ce qui concerne le crédit équivalent pour personne à charge, l'appelant n'y aurait pas eu droit puisqu'il verserait une pension alimentaire pour enfants. À la suite de la défiscalisation, l'appelant verse une pension alimentaire pour enfants qu'il ne peut déduire du calcul de son revenu et son ex-conjoint n'est pas tenu d'inclure la somme reçue dans le calcul de son revenu. En ce qui a trait au crédit équivalent pour personne à charge, l'appelant n'y a toujours pas droit puisqu'il verse une pension alimentaire pour enfants. Force est de constater que la différence de traitement résultant de l'application du paragraphe 118(5) de la Loi est la même indépendamment de la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants.

[27]     Puisque le paragraphe 118(5) de la Loi ne violait pas l'article 15 de la Charte avant la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants[19] et que la Cour suprême du Canada a affirmé que la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants ne viole pas l'article 15 de la Charte[20], il y a lieu de conclure que la défiscalisation n'a pas eu pour effet de faire en sorte que le paragraphe 118(5) de la Loi viole l'article 15 de la Charte. Conclure autrement équivaudrait à remettre en question la validité de la défiscalisation des pensions alimentaires pour enfants en vertu de la Charte, alors que la Cour suprême s'est déjà prononcée à cet égard. Je rappelle les propos du juge Gonthier dans l'affaire Thibodeau[21] :

Or il est de l'essence même de la LIR de faire des distinctions, de manière à générer des revenus pour l'État tout en composant de façon équitable avec un ensemble d'intérêts forcément divergents. Dans cette perspective, le droit au même bénéfice de la loi ne saurait signifier que chaque contribuable a un droit égal de recevoir les mêmes sommes, déductions ou avantages mais seulement un droit d'être également régi par la loi. L'objet fondamental de l'art. 15 de la Charte a en effet été précisé par le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews, précité, à la p. 171 :

Il est clair que l'art. 15 a pour objet de garantir l'égalité dans la formulation et l'application de la loi. Favoriser l'égalité emporte favoriser l'existence d'une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération.

Ceci étant, il ne faudrait donc pas confondre le concept d'équité fiscale, qui vise la meilleure répartition du fardeau fiscal compte tenu des besoins du fisc, de la capacité de payer des contribuables et des politiques économiques et sociales de l'État avec la notion de droit à l'égalité qui veut, comme je l'exposerai en détail ci-dessous, qu'un membre d'un groupe ne soit pas désavantagé en raison d'une caractéristique personnelle non pertinente partagée par ce groupe.

[28]     Les représentantes de l'appelant soutiennent que le paragraphe 118(5) de la Loi « fait abstraction complète et indéniable de la nécessité de l'appelant d'avoir droit à ces crédits non pas pour en bénéficier lui-même, mais pour le bien de son enfant » [22]. Cette affirmation est incorrecte compte tenu du fait que le parent bénéficiaire de la pension alimentaire pour enfants aura droit au crédit équivalent pour personne entièrement à charge. L'enfant aura donc le bénéfice du crédit équivalent pour personne entièrement à charge par l'entremise du parent créditeur de la pension alimentaire pour enfants.

[29]     Enfin, les représentantes de l'appelant mentionnent que « le gouvernement provincial québécois a jugé bon d'éliminer cette inégalité entre les contribuables en accordant aux payeurs des pensions alimentaires la possibilité de réclamer ces crédits d'impôt » [23]. Elles affirment que ce changement avait « pour but de rééquilibrer les forces économiques entre les parties de manière à accorder à tous les mêmes bénéfices de la Loi » [24]. Il est fort possible que ce soit précisément pour cette raison que le législateur québécois ait fait ce choix législatif. Or, le législateur fédéral et cette Cour ne sont pas liés par ce choix.

[30]     Les représentantes de l'appelant soutiennent également que la distinction résultant de l'application du paragraphe 118(5) de la Loi est discriminatoire puisque le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants au Québec, de même que les Lignes directrices fédérales, ne tiennent pas compte du crédit équivalent pour personne entièrement à charge.

[31]     Je suis d'avis que cette prétention est également erronée puisque les tableaux établissant les montants dus à titre de pensions alimentaires pour enfants semblent avoir été conçus en considération de plusieurs éléments, dont le crédit équivalent pour personne entièrement à charge, tel que l'indique les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants (je souligne)[25] :

6. La formule permet d'établir des montants de pensions alimentaires qui tiennent compte de la dépense moyenne que représente un enfant pour un époux avec un nombre d'enfants et un revenu donnés. Le calcul se fonde sur le revenu du débiteur alimentaire. Elle tient compte du crédit d'impôt non remboursable au titre du montant personnel de base pour reconnaître les dépenses personnelles. Elle tient également compte d'autres taxes et crédits fédéraux et provinciaux sur le revenu. Les prestations fiscales fédérales pour enfants et le crédit pour la taxe sur les produits et services sont exclus du calcul. Pour les revenus annuels moins élevés, la formule permet d'établir le montant sans perdre de vue l'incidence combinée des impôts et des paiements de la pension alimentaire pour enfants sur le revenu disponible limité dont dispose le débiteur alimentaire.

[32]     Ainsi, en établissant le montant à titre de pension alimentaire pour enfants, les Lignes directrices fédérales tiennent pour acquis que le parent payeur n'aura pas droit au crédit équivalent pour personne entièrement à charge. Conséquemment, bien que le contribuable débiteur d'une pension alimentaire pour enfants ne bénéficie pas du crédit équivalent pour personne entièrement à charge en raison du fait qu'il verse une pension alimentaire, ce dernier paie une pension alimentaire établie en fonction du fait qu'il ne reçoit pas le crédit d'impôt personnel en question.

[33]     À défaut de preuve réfutant la prétention du législateur que la formule utilisée pour établir les tableaux des Lignes directrices fédérales tiennent compte du refus du crédit d'impôt au paragraphe 118(1) de la Loi pour le contribuable qui paie une pension alimentaire pour enfants, je ne peux conclure en ce sens. La partie du budget de 1996 intitulée « Le nouveau système de pensions alimentaires pour enfants » affirme, à la page 13, que :

Les montants figurant dans les tableaux sont fixés par l'application d'une formule qui permet de calculer le montant convenable de la pension, en tenant compte des données économiques sur les dépenses moyennes occasionnées par les enfants pour différents niveaux de revenu. Cette formule réserve un montant de base pour assurer la subsistance du parent payeur et tient compte des impôts fédéral et provincial à payer. Des tableaux différents ont été préparés pour chaque province, étant donné que les taux d'imposition varient de l'une à l'autre. Les tableaux pour chaque province et territoire sont en annexe.

L'honorable Paul Martin a fait les commentaires suivants relativement au choix du législateur de défiscaliser les pensions alimentaires pour enfants [26]:

Le montant équivalent pour conjoint est destiné aux chefs de familles monoparentales ayant un enfant de moins de 18 ans. À l'heure actuelle, la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit que le récipiendaire des pensions alimentaires pour enfants, et non le payeur, peut demander ce montant.

Ce régime demeurera inchangé en vertu des nouvelles règles. Cette approche est conforme aux nouvelles lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, en vertu desquelles le montant de ces pensions est établi en supposant que c'est le conjoint récipiendaire qui demande le montant équivalent pour conjoint.

Et[27] :

Le paragraphe 118(5) de la Loi porte qu'un particulier qui a droit à une déduction prévue à l'alinéa 60b), c) ou c.1) de la Loi au titre de la pension alimentaire versée pour subvenir aux besoins de son conjoint ou de son enfant n'a pas droit à un crédit d'impôt en application de l'article 118 relativement au conjoint ou à l'enfant.

Le paragraphe 118(5) est modifié par suite des changements touchant le traitement fiscal réservé aux pensions alimentaires pour enfants. Le paragraphe 118(5) dans sa version modifiée porte qu'un particulier ne peut déduire un montant en application du paragraphe 118(1) relativement à une personne si ce particulier est tenu de payer une pension alimentaire à son conjoint ou ancien conjoint pour la personne, et qu'il vit séparé de son conjoint tout au long de l'année pour cause d'échec de leur mariage, ou qu'il demande une déduction au titre de la pension alimentaire.

Selon ce nouveau libellé, un particulier tenu de payer une pension alimentaire pour une année d'imposition postérieure à l'année où survient l'échec du mariage n'a pas droit à un crédit d'impôt en application du paragraphe 118(1) relativement à son conjoint ni à son enfant, même dans les cas où aucun paiement de ce genre n'est effectué ou n'est déductible. Pour l'année où survient l'échec du mariage, le particulier pourra avoir droit à certains crédits prévus au paragraphe 118(1) s'il ne demande pas de déduction au titre d'une pension alimentaire.

Ces modifications s'appliquent aux années d'imposition 1997 et suivantes.

Je dois conclure que les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires tiennent compte du crédit équivalent pour personne entièrement à charge. De ce fait, l'appelant n'a pas satisfait au fardeau de prouver l'effet contraire de sorte que cet argument doit être rejeté.

[34]     Si c'est à tort que je conclus que les Lignes directrices fédérales tiennent compte du crédit équivalent pour personne entièrement à charge, il n'en demeure pas moins que le paragraphe 118(5) de la Loi ne viole pas l'article 15 de la Charte. Bien que le fait de ne pas tenir compte du crédit équivalent pour personne entièrement à charge lors de la fixation d'une pension alimentaire puisse sembler inéquitable, voire même discriminatoire, le traitement différent n'est pas fondé sur un motif visé par l'article 15 de la Charte[28]. Tout au plus, et toujours en supposant que les Lignes directrices fédérales ne considèrent pas ledit crédit, je pourrais affirmer qu'il s'agit d'un choix législatif peu judicieux d'un point de vue politique, sans pour autant être invalide en vertu de l'article 15 de la Charte.

[35]     De plus, la fixation d'une pension alimentaire pour enfants se fait en considération, entre autres choses, de la garde des enfants et des capacités financières de chacun des parents. Ainsi, la pension alimentaire versée par l'appelant est supposée tenir compte du fait que ses enfants sont avec lui à tous les sept jours, pour une période de sept jours (garde partagée), et est sensée être établie à la lumière de son revenu[29]. Pour ces raisons, si les régimes fixant les montants des pensions alimentaires ne tiennent pas compte du fait que le parent payeur ne pourra bénéficier du crédit équivalent pour personne entièrement à charge, je crois, en reprenant les propos des juges Cory et Iacobucci, que[30] :

[...] la responsabilité n'en incombe pas à la Loi de l'impôt sur le revenu, mais au régime du droit de la famille et aux procédures dont résultent les ordonnances alimentaires. Ce régime prévoit des moyens de réexaminer les ordonnances alimentaires qui, par erreur, n'ont pas tenu compte des conséquences fiscales des versements de pension.

[36]     Pour ce qui est duRèglement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, il est vrai qu'il ne tient pas expressément compte du crédit équivalent pour personne entièrement à charge[31]. Bien que le résultat soit malheureux, il est hors de la portée du législateur fédéral. Nous ne pouvons conclure qu'une disposition fédérale viole l'article 15 de la Charte parce que l'application de cette disposition au regard d'une loi provinciale donne un résultat « possiblement » discriminatoire.[32] Il revient aux législateurs provinciaux d'adapter leurs lois en conséquence.

[37]     En conclusion, la différence de traitement que subit l'appelant n'est pas fondée sur une caractéristique personnelle visée par l'article 15 de la Charte. Au plus, si le traitement différent est effectivement fondé sur une caractéristique personnelle, soit la situation familiale de l'appelant, la distinction n'est pas discriminatoire. Il y a donc lieu de rejeter l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mai 2004.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :

2004CCI293

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2521(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Pierre Frégeau

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 20 novembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Paul Bédard

DATE DU JUGEMENT :

Le 5 mai 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Albina Mulaomerovic et Isabelle Paradis (Étudiantes en droit)

Pour l'intimée :

Agathe Cavanagh (Stagiaire en droit)

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Au paragraphe 45, page 211

[2] Notes écrites de l'appelant (document à reliure avec une couverture rouge), aux pages 18-19.

[3] Notes écrites de l'appelant (document à reliure avec une couverture rouge), aux pages 24-25.

[4] R.R.Q. 1981, ch. C-25, r.1.2.

[5] DORS/97-175.

[6] Réplique de l'appelant, à la page 5.

[7] [1994] 2 C.F. 189 (1ère instance), page 206.

[8] Réplique de l'appelant, à la page 9.

[9] Ibid.

[10] [1995] 2 R.C.S. 627.

[11] Au paragraphe 132.

[12] Au paragraphe 91.

[13] Aux paragraphes 140 à 143.

[14] Aux paragraphes 159, 160 et 164.

[15] Aux paragraphes 201 et 202.

[16] Bailey v. Canada, [2004] T.C.J. No. 44.

[17] Aux paragraphes 12 et 13.

[18] [1999] 1 R.C.S. 497, au paragraphe 88.

[19] Landon c. Canada, [1997] A.C.I. no 1288; Paquette c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N., [1999] A.C.I. no 944; Nelson c. Canada, [2000] A.C.F. no 1613; Keller c. Canada, [2002] T.C.J. No 330.

[20] Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627.

[21] Ibid. au paragraphe 91.

[22] Notes écrites de l'appelant (document à reliure avec une couverture rouge), aux pages 24-25.

[23] Notes écrites de l'appelant (document à reliure avec une couverture rouge), à la page 19.

[24] Ibid.

[25] Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, Annexe I, note 6.

[26] Plan budgétaire, Comprend les renseignements supplémentaires et les Avis de motions des voies et moyens, Déposé à la Chambre des communes par le ministre des Finances l'honorable Paul Martin, c.p., député, le 6 mars 1996, à la page 167.

[27] Notes explicatives sur les mesures législatives concernant l'impôt sur le revenu, Publiées par le ministre des Finances l'honorable Paul Martin, c.p., député, décembre 1996, à la page 85.

[28] À cet égard, voir les paragraphes 12 à 22 de la présente analyse.

[29] C'est ce qu'indiquent le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires (article 3 et Annexe I) de même que les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires (article 9). En l'espèce, la pension alimentaire pour enfants versée par l'appelant a été établie en vertu du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires.

[30] [1995] 2 R.C.S. 627, paragraphe 160.

[31] Voir l'Annexe I du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants qui correspond au Formulaire de fixation de pensions alimentaires pour enfants.

[32] J'emploie le terme « possiblement » car le fait qu'un régime de fixation de pension alimentaire ne considère pas l'existence d'un crédit d'impôt personnel ne signifie pas qu'il y a assurément discrimination. Il est possible que le législateur ait voulu avantager deux fois le bénéficiaire d'une pension alimentaire. Je me réfère à nouveau au passage du juge Gonthier dans l'affaire Thibaudeau : « Or il est de l'essence même de la LIR de faire des distinctions, de manière à générer des revenus pour l'État tout en composant de façon équitable avec un ensemble d'intérêts forcément divergents. Dans cette perspective, le droit au même bénéfice de la loi ne saurait signifier que chaque contribuable a un droit égal de recevoir les mêmes sommes, déductions ou avantages mais seulement un droit d'être également régi par la loi. »

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