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Dossier : 2003-4683(EI)

ENTRE :

ÉQUIPEMENT DE RESTAURANT LAVAL INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

RÉJEAN DUPLESSIS, RAYMOND DUPLESSIS ET

JEAN-CLAUDE DUPLESSIS,

intervenants.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 28 juillet 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocat de l'intimé :

Représentant des intervenants :

Me Claude Lamoureux

Alain Savoie

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel et les interventions sont accordés et les décisions rendues par le ministre du Revenu national sont infirmées, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d'août 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Référence : 2004CCI543

Date : 20040823

Dossier : 2003-4683(EI)

ENTRE :

ÉQUIPEMENT DE RESTAURANT LAVAL INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

RÉJEAN DUPLESSIS, RAYMOND DUPLESSIS ET

JEAN-CLAUDE DUPLESSIS,

intervenants.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Cet appel et ces interventions concernent les décisions du ministre du Revenu national (le « ministre » ), voulant que les intervenants, les travailleurs, aient occupé un emploi assurable du 1er janvier 2002 au 21 mars 2003.

[2]      Les dispositions législatives en application sont l'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de La loi sur l'assurance emploi (la « Loi » ) et, dans une certaine mesure, l'alinéa 5(1)a) de cette Loi.

[3]      Il s'agit de déterminer si l'appelante aurait conclu avec chacun des travailleurs un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre elle et ces travailleurs.

[4]      Les faits sur lesquels le Ministre s'est fondé pour rendre sa décision sont décrits aux paragraphes 9 et 10 de la Réponse à l'avis d'appel, comme suit :

9.          Le ministre a déterminé que les travailleurs exerçaient un emploi auprès de l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services, en s'appuyant sur les faits présumés suivants :

a)          L'appelante fabrique des équipements de cuisine professionnels pour hôtels, restaurants ou institutions;

b)          l'appelante vend ses produits principalement au Québec et un peu en Ontario;

c)          l'appelante employait environ 18 personnes;

d)          les heures d'ouverture de l'appelante étaient de 7 h 30 à 16 h 30, du lundi au vendredi pour l'administration et de 6 h 30 à 16 h, du lundi au jeudi et de 6 h à 12 h le vendredi pour l'usine;

e)          chacun des travailleurs avait l'autorisation de signer les chèques au nom de l'appelante; deux signatures étaient requises;

f)           les travailleurs avaient droit à une semaine de vacances par année et étaient rémunérés en cas de maladie;

g)          les travailleurs n'étaient pas rémunérés pour leurs heures supplémentaires;

h)          l'appelante avait le pouvoir de contrôler le travail de chacun des travailleurs;

i)           les tâches des travailleurs étaient bien intégrées aux activités de l'appelante;

j)           RÉJEAN DUPLESSIS s'occupait des tâches suivantes :

            - Il embauchait et congédiait les employés.

- Il s'occupait du recouvrement des sommes dues auprès des clients.

                        - Il créait des modèles d'équipement.

                        - Il prenait les mesures chez les clients.

            - Il se rendait chez les distributeurs pour obtenir des contrats;

k)          il travaillait à l'usine et sur la route;

l)           l'appelante lui fournissait un espace de travail, un véhicule et un téléphone cellulaire;

m)         l'appelante lui remboursait les frais de représentation, les frais de repas et d'hôtel, les frais d'utilisation d'un véhicule et les frais du téléphone cellulaire;

n)          il recevait une rémunération fixe de 55 000 $ par année.

o)          RAYMOND DUPLESSIS s'occupait des tâches suivantes :

                        - il était responsable des achats.

                        - il s'occupait de la réception et de la livraison.

                        - il gérait l'inventaire de l'appelante.

                        - il effectuait des soumissions.

            - il s'occupait des pièces au comptoir et effectuait la facturation.

- il se rendait occasionnellement chez les clients pour prendre les mesures et les commandes.

- il s'occupait de préparer les dessins pour la production.

p)          il travaillait à l'usine et occasionnellement sur la route;

q)          il travaillait entre 40 et 60 heures par semaine.

r)           il devait remettre les soumissions et les factures à l'appelante;

s)          l'appelante lui fournissait un espace de travail et un téléphone cellulaire;

t)           il recevait une rémunération fixe de 50 000 $ par année.

u)          JEAN-CLAUDE DUPLESSIS s'occupait des tâches suivantes :

                        - Il préparait les soumissions.

                        - Il effectuait les livraisons et dépôts à la banque.

                        - Il allait chercher le matériel chez les fournisseurs.

v)          Il travaillait généralement sur la route;

w)         il travaillait entre 25 et 35 heures par semaine;

x)          il devait remettre les bons de livraison à l'appelante;

y)          l'appelante lui fournissait un camion et un téléphone cellulaire;

z)          l'appelante lui remboursait les dépenses du camion, les frais de repas et les frais du téléphone cellulaire;

aa)        il recevait une rémunération fixe de 35 000 $ par année.

10.        L'appelante est liée à chacun des travailleurs au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu car :

a)          Les actionnaires de l'appelante sont les travailleurs;

b)          Ils détiennent chacun le tiers des actions émises de l'appelante;

c)          les travailleurs sont frères;

d)          chacun des travailleurs est membre d'un groupe lié qui contrôle l'appelante.

[5]      Pour les intervenants et l'appelante, le représentant de ces derniers a admis les alinéas 9 a) à 9 e), 9 g), 9 i), 9 j), 9 l) à 9 p), 9 s), 9 t), 9 v), 9 w), 9 y), 9 aa) ainsi que le paragraphe 10.

[6]      L'alinéa 9 f) a été nié parce que les travailleurs prenaient les jours de vacances qui leur convenaient. Toutefois, ils ne prenaient jamais ou à peu près jamais plus de sept jours consécutifs de vacances.

[7]      L'alinéa 9 h) a été nié parce que messieurs Réjean Duplessis et Raymond Duplessis géraient tous les deux l'appelante.

[8]      L'alinéa 9 k) a été nié parce que monsieur Réjean Duplessis travaillait également chez lui où il avait un bureau. Selon son témoignage, il aimait se lever très tôt le matin et travaillait chez lui aux dossiers de l'entreprise avant de se rendre au bureau.

[9]      L'alinéa 9 q) a été nié parce que monsieur Raymond Duplessis travaillait normalement 60 heures par semaine et beaucoup plus lorsque les besoins de l'entreprise l'exigeaient. Ainsi, l'entreprise a changé de lieu en novembre 2002. Les préparatifs et la réinstallation ont pris place de juin 2002 à janvier 2003. Durant cette période, les deux frères, Réjean et Raymond et dans une certaine mesure, Jean-Claude, ont doublé leurs heures habituelles de travail. On ne voulait pas diminuer les activités habituelles de l'entreprise et par ailleurs, il fallait préparer les plans du déménagement et de l'installation dans les nouveaux locaux.

[10]     En ce qui concerne l'alinéa 9 u), monsieur Jean-Claude Duplessis ne préparait pas les soumissions. Il s'agit plutôt des commissions. L'avocat de l'intimé a demandé à changer le mot soumission pour commission, ce qui a été accepté.

[11]     Les trois intervenants ont témoigné. Monsieur Réjean Duplessis est le président de l'entreprise. Cette entreprise existe depuis 1951 et exerce dans le domaine manufacturier. Elle a été fondée par le père des trois frères. L'entreprise a maintenant environ 20 employés et son chiffre d'affaires est de 1 900 000 $. Monsieur Réjean Duplessis a commencé à travailler pour l'entreprise en 1972, à l'âge de 15 ans. Il a expliqué qu'il n'avait pas d'horaire. Il se lève habituellement vers 4 h ou 5 h du matin pour travailler sur les dossiers de l'entreprise. Il arrive au bureau vers 7 h du matin. En ce qui le concerne, durant l'époque du déménagement, il pouvait faire des semaines de 80 à 100 heures. Maintenant, ses semaines sont entre 60 heures et 80 heures. Selon lui, il travaille sept jours par semaine.

[12]     Il n'y a pas d'heures supplémentaires pour lui. Toutefois, selon le témoin, les ouvriers de l'entreprise sont rémunérés pour les heures travaillées et s'ils accomplissent des heures supplémentaires, ils sont payés pour ces heures supplémentaires.

[13]     C'est lui-même qui décide de ses journées de congé. Il ne se souvient pas d'avoir pris une semaine entière. Par ailleurs, il y a quelques années, il a fait construire une maison près des lieux de l'entreprise et en était l'entrepreneur général, alors il a dû se déplacer souvent sur les lieux de la construction de la maison.

[14]     Il a relaté qu'au moment du déménagement, chacun des frères a prêté 50 000 $ à l'appelante qui avait alors besoin de capitaux pour son installation dans de nouveaux locaux. Chacun des trois frères a également garanti la marge de crédit à parts égales. Il y a parfois des bonis ou des dividendes. Ces derniers sont émis à parts égales.

[15]     C'est lui-même qui a déterminé le montant de son salaire. Il affirme que s'il devait être remplacé, il faudrait plus d'une personne, car en plus d'être administrateur, il est également le dessinateur industriel de l'entreprise. Il relate qu'un des employés clés, un contremaître, gagne 60 000 $ par année. Cette personne a 27 ans d'expérience et prend sept semaines de vacances.

[16]     Monsieur Raymond Duplessis a commencé à travailler pour l'entreprise en 1978. Il avait 16 ans. Il est maintenant le vice-président de la société.

[17]     Il a confirmé avoir prêté 50 000 $ à l'entreprise et être caution pour la marge de crédit. Il s'occupe des achats, de l'inventaire, de la facturation et des soumissions. La différence d'avec son frère Réjean est que Réjean s'occupe de l'embauche et du congédiement du personnel et fait la recherche des clients et négocie les contrats.

[18]     Le témoin dit que lui non plus n'a pas d'horaire fixe. Il relate par ailleurs qu'il a un hobby c'est-à-dire qu'il s'intéresse fortement à certaines voitures. Quand il souhaite s'absenter pour des foires ou des expositions concernant ces voitures, il en informe son frère. Il lui arrive de travailler le soir et la fin de semaine. Il a travaillé évidemment beaucoup plus lors du déménagement. Une petite semaine est de 60 heures.

[19]     C'est lui qui informe Jean-Claude des courses ou commissions à faire. Jean-Claude travaille moins d'heures. Il travaille en fait sur appel. Monsieur Raymond Duplessis dit qu'il utilise les services de son frère Jean-Claude au besoin. Si Jean-Claude n'était pas leur frère, son poste serait aboli. Il est plus simple et plus économique de faire affaire avec les transporteurs privés.

[20]     Monsieur Jean-Claude Duplessis a commencé à travailler pour l'entreprise en 1959. Il travaillait à l'atelier mais ce travail, vers la fin, lui causait un grand stress. Ses frères ont accepté de diminuer ses heures de travail et modifier ses tâches et lui ont proposé un poste de commissionnaire, qu'il occupe depuis trois ans.

[21]     Le représentant de l'appelante et des intervenants s'est référé à la décision Crawford and Co. Ltd. et le ministre du Revenu national, [1999] A.C.I. no 850 (Q.L.) et Planchers de bois franc 2000 (Laval) Inc. et le ministre du Revenu national, [2001] A.C.I. no 479 (Q.L.).

[22]     De cette décision Planchers de bois franc 2000 (Laval) Inc., il s'est référé aux paragraphes 20 et 23 :

20    Selon Maurice Lepage, les responsabilités de la travailleuse se sont accrues au fil des ans. Le salaire de cette dernière était établi à 21 000 $ par année et elle recevait ce même salaire que ce soit pendant les périodes de pointe ou les périodes creuses. Un certain monsieur Blouin, commis-vendeur, recevait un salaire de 26 000 $ alors qu'il assumait moins de responsabilités que la travailleuse. Selon Maurice Lepage, la travailleuse devrait recevoir 10 000 $ à 15 000 $ de plus par année vu ses responsabilités.

...

23 Il est à noter que ledit monsieur Blouin bénéficiait de conditions de travail plus avantageuses que la travailleuse. La travailleuse oeuvrait également à la maison le soir, durant les fins de semaine et même pendant ses vacances sans être rémunérée.

[23]     Le représentant de l'appelante et des intervenants fait valoir que dans la présente affaire, similairement, le contremaître bénéficiait de conditions plus avantageuses que celles des intervenants.

[24]     L'avocat de l'intimé s'est référé à la décision de cette Cour dans Roxboro Excavation Inc. c. le ministre du Revenu national, [1999] A.C.I. no 32 (Q.L.) et à la décision de la Cour d'appel dans la même affaire, [2000] A.C.F. no 799 (Q.L.) ainsi que Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. le ministre du Revenu national, [2002] A.C.F. no 572 (Q.L.), Acier Inoxydable Fafard Inc. c. le ministre du Revenu national, [2002] A.C.F. no 794 (Q.L.), Quigley Electric Ltd. c. le ministre du Revenu national, [2003] A.C.F. no 1789 (Q.L.), et Industries J.S.P. Inc. c. le ministre du Revenu national, [1999] A.C.I. no 423 (Q.L.).

Analyse et conclusion

[25]     Je considère d'abord les décisions auxquelles s'est référé l'avocat de l'intimé. La décision de cette Cour dans Roxboro Excavation Inc., ainsi que celle de la Cour d'appel fédérale, ont été prises en vertu de l'alinéa 5(1)a) de la Loi. Or, ici, il s'agit d'une application de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi. L'affaire Quigley Electric Ltd. a été décidée sur le fait que madame Quigley ne pouvait pas être qualifiée de patronne chez Quigley Electric Ltd. Elle ne jouissait pas au sein de la société de traitement spécial dû à la relation personnelle qu'elle entretenait avec l'actionnaire majoritaire. La décision de la Cour d'appel fédérale dans Acier Inoxydable Fafard Inc. a été rendue sur l'interprétation à donner à l'alinéa 5(2)b) de la Loi.

[26]     Les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la Loi se lisent comme suit :

5(1)    Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

5(2)    N'est pas un emploi assurable :

      . . .

i)           l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

(3)         Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a)          la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b)          l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[27]     En premier lieu, je me reporte à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Pérusse c. Canada, [2000] A.C.F. no 310 (Q.L.), où le juge Marceau, aux paragraphes 13 à 15, analyse le pouvoir discrétionnaire du Ministre exercé en vertu du paragraphe 5(3) de la Loi et le rôle de cette Cour dans un appel d'une décision de cette nature :

13         Il est clair, en lisant les motifs de la décision, que pour le président du tribunal l'objet de son enquête était de savoir si le ministre avait « judicieusement » , selon l'expression consacrée, exercé la discrétion que la Loi lui accorde de « reconnaître la non-exclusion » d'un contrat entre personnes liées. Il lui fallait donc examiner si la décision avait été prise de bonne foi, sur la base de faits pertinents révélés par une enquête sérieuse, et non sous l'influence indue de considérations étrangères. Ainsi, dès le départ, à la page 3 de ses motifs, le juge écrit :

La détermination dont fait l'objet le présent appel résulte du pouvoir discrétionnaire prévu par les dispositions de l'article 3(2)(c) de la Loi qui se lit comme suit :

L'appelante devait relever, par prépondérance de la preuve, le fardeau de preuve à l'effet que l'intimé n'avait pas, lors de l'évaluation du dossier, respecté les règles de l'art relatives à la discrétion ministérielle, une réponse négative ayant pour effet d'empêcher toute intervention de ce tribunal.

Et finalement sa conclusion, à la page 16 :

Pour ce qui est de l'appel, je ne puis y faire droit étant donné que l'appelante n'a pas fait la preuve que l'intimé avait mal exercé sa discrétion.

14         En fait, le juge agissait dans le sens que plusieurs décisions antérieures pouvaient paraître prescrire. Mais cette Cour, dans une décision récente, s'est employée à rejeter cette approche, et je me permets de citer ce que j'écrivais alors à cet égard dans les motifs soumis au nom de la Cour (Francine Légaré c. M.R.N., cause no A-392-98, et Johanne Morin c. M.R.N., [1999] A.C.F. No. 878, cause no A-393-98, datées du 28 mai 1999, non rapportées, au paragraphe 4.) :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

15         Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[28]     Il appartient donc à cette Cour de vérifier si les faits retenus par le Ministre sont exacts, et, si exacts, s'ils ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus.

[29]     Sur l'interprétation à donner au paragraphe 5(3) de la Loi, je désire me référer à la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Raymonde Bérard et le ministre du Revenu national, [1997] A.C.F. no 88 (Q.L.), où le juge Hugessen s'exprime ainsi :

Selon l'avocat, une interprétation téléologique de ce texte exige que soient exclus seuls les emplois où les conditions de travail sont démesurément avantageuses pour l'employé. Nous ne sommes pas d'accord. Rien dans le texte, ni encore dans le contexte, ne suggère une telle interprétation. Le but évident de la législation est d'exclure les contrats de travail entre des personnes liées qui ne sont pas de la même nature qu'un contrat normal conclu entre des personnes n'ayant pas un lien de dépendance entre elles. Il nous paraît clair que ce caractère anormal peut aussi bien se manifester dans des conditions désavantageuses pour l'employé que dans des conditions favorables. Dans les deux cas, la relation employeur-employé n'est pas normale et il est permis de soupçonner qu'elle a été influencée par d'autres facteurs que les normes économiques du marché du travail.

[30]     Les contrats de travail entre des personnes liées qui ne sont pas de la même nature qu'un contrat normal conclu entre des personnes n'ayant pas un lien de dépendance entre elles sont exclus par la Loi. Le caractère anormal d'un contrat de travail peut aussi bien se manifester dans des conditions désavantageuses pour l'employé que dans des conditions favorables.

[31]     L'avocat de l'intimé fait valoir qu'il faut faire la distinction entre les droits de l'employé et les droits de l'actionnaire ou entre la qualité d'employé et la qualité d'actionnaire. Je suis d'accord avec cette proposition. Toutefois, dans les cas où les employés sont également des actionnaires qui exercent ou peuvent exercer un contrôle sur le payeur, il faut être prudent pour déclarer que leurs emplois sont semblables à celui d'un employé qui n'a pas de lien de dépendance.

[32]     Il faut comprendre que bien qu'une personne puisse agir qua actionnaire et qua employé, il s'agit tout de même de la même personne physique. Donc, cette personne en sa qualité d'actionnaire, peut décider de faire un grand nombre d'heures et de s'octroyer un petit salaire, dans le but de permettre à l'entreprise de devenir profitable ou de permettre à l'entreprise de réinvestir les profits dans ses opérations. Le contrat de travail n'est alors pas établi en fonction des normes économiques relatives au marché du travail.

[33]     Dans le cas particulier de cette affaire, les travailleurs Réjean et Raymond ont décidé de s'accorder des salaires moindres que ceux auxquels ils auraient eu droit selon le nombre d'heures travaillées et selon leur expérience. Parce qu'ils sont propriétaires de l'entreprise, ils acceptent de faire des sacrifices quant au montant du salaire et de la somme des heures de travail, dans le but de rendre profitable ou d'accroître les profits de cette entreprise dont ils sont propriétaires.

[34]     Par ailleurs, le salaire de monsieur Jean-Claude Duplessis était un salaire qui lui était versé pour des tâches dont l'entreprise auraient pu se passer et se passera au moment de la retraite de monsieur Jean-Claude Duplessis. Il s'agit des conditions de travail plus favorables à l'égard d'une personne parce qu'elle a un lien de dépendance avec l'appelante.

[35]     Je suis d'avis, avec égard, qu'il n'était pas raisonnable pour le Ministre de conclure, compte tenu de la rétribution versée et des modalités de l'emploi, que l'appelante aurait conclu avec les travailleurs des contrats de travail à peu près semblables s'il n'y avait eu entre eux un lien de dépendance.

[36]     Pour ces raisons, l'appel et les interventions sont accordés et les décisions du Ministre sont infirmées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d'août 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Louise Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :

2004CCI543

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-4683(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Équipement de Restaurant Laval Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 28 juillet 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 23 août 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Alain Savoie (représentant)

Pour l'intimée :

Pour les intervenants :

Me Claude Lamoureux

Alain Savoie

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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