Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2004-497(EI)

ENTRE :

JACQUES SAGE

s/n CONSTRUCTIONS JACQUES SAGE ENR.,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu sous preuve commune avec l'appel de François Lemieux (2003-4329(EI) le 15 juillet 2004 à Sherbrooke (Québec)

Devant : L'honorable juge Brent Paris

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate pour l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel est accueilli, la décision rendue par le Ministre et les cotisations sont annulées selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Canada), ce 1er jour de septembre 2004.

« B. Paris »

Le juge Paris


Référence : 2004CCI528

Date : 20040901

Dossier : 2004-497(EI)

ENTRE :

JACQUES SAGE

s/n CONSTRUCTIONS JACQUES SAGE ENR.,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimée,

ET

2003-4329(EI)

FRANÇOIS LEMIEUX,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris, C.C.I.

[1]      L'appelant exploite une entreprise de construction, principalement de construction de bâtiments d'exploitations agricoles (des granges) dans les Cantons de l'Est, dans la province de Québec. Une petite partie des activités de l'appelant étaient de nature résidentielle ou commerciale.

[2]      L'appelant, Jacques Sage interjette appel à l'encontre d'une cotisation de l'intimé relative aux années 2001 et 2002 pour des cotisations d'assurance emploi à l'égard de 28 de ses travailleurs (l'annexe A aux présents motifs en dresse la liste). L'intimé a déterminé que ces travailleurs étaient employés par l'entreprise en vertu d'un contrat de louage de services. L'un des employés affectés par cette décision, François Lemieux, a aussi interjeté appel contre la décision (cotisation) et son appel a été entendu à partir de la même preuve.

[3]      Quant à la conclusion que les travailleurs étaient des employés de l'appelant, plutôt que des entrepreneurs indépendants, la réponse à l'avis d'appel montre que le ministre s'est fondé sur les hypothèses suivantes :

a)          Jacques Sage a enregistré la raison sociale « Les Constructions Jacques Sage enr. » le 9 janvier 1995;

b)          Jacques Sage était le propriétaire unique de l'entreprise;

c)          l'entreprise consistait à de la construction d'édifices agricoles, principalement des granges, pour 90 % de ses activités et à de la construction résidentielle et commercial pour 10 %;

d)          dans le domaine de la construction des granges, le travail n'était pas de la juridiction de la Commission de la construction du Québec (la CCQ);

e)          l'appelant embauchait des travailleurs qui étaient des menuisiers, des applicateurs de ciment, des installateurs de ventilation, des poseurs d'aluminium et des manoeuvres;

f)           l'appelant employait de 7 à 8 travailleurs par chantier de construction;

g)          lorsque les travailleurs étaient sur un chantier résidentiel ou commercial, assujetti à la CCQ, l'appelant effectuaient les retenues patronales et ouvrières sur la rémunération des travailleurs;

h)          lorsque les travailleurs étaient sur un chantier agricole, non assujetti à la CCQ, l'appelant n'effectuaient pas de retenues patronales et ouvrières sur la rémunération des travailleurs;

i)           l'appelant affectait les travailleurs à un chantier spécifique;

j)           l'appelant visitait les chantiers 2 à 3 fois par semaine;

k)          les travailleurs recevaient leur rémunération par chèque la semaine suivant la semaine travaillée;

l)           l'appelant ou le contremaître du chantier indiquaient le travail à faire aux travailleurs;

m)         les travailleurs étaient rémunérés à un taux horaire;

n)          les travailleurs étaient payés par chèque à chaque semaine;

o)          les travailleurs remettaient une feuille de temps hebdomadaire avec les heures travaillées qui étaient vérifiées par le contremaître;

p)          les travailleurs travaillaient habituellement de 7h00 à 16h30 du lundi au vendredi;

q)          les travailleurs devaient prévenir l'appelant en cas d'absence;

r)           l'appelant fournissait tous les matériaux nécessaires, les gros outils et les échafaudages aux travailleurs pour l'accomplissement de leurs tâches;

s)          les travailleurs fournissaient leurs petits outils;

t)           les travailleurs n'avaient aucun risque de perte ou chance de profit dans l'accomplissement de leurs tâches pour l'appelant;

u)          les clients étaient les clients de l'appelant;

v)          les tâches des travailleurs étaient intégrées aux activités de l'appelant.

La preuve

[4]      L'appelant a appelé à témoigner deux des 28 travailleurs, Mathieu Houle et M. Lemieux. Ils étaient tous deux charpentiers et menuisiers. Ils ont affirmé que pour chaque travail qui leur avait été confié, ils avaient conclu à l'avance une entente avec M. Sage sur le coût total qu'ils demanderaient en paiement du travail à faire et sur le délai d'exécution du travail. Une fois cela conclu, ils commençaient le travail et étaient payés par versements hebdomadaires. Le montant de ces versements était calculé en prenant le coût total de l'ouvrage et en le divisant par le nombre de semaines prévu pour son exécution.

[5]      Sage se rendait sur le site des travaux deux ou trois fois par semaine pour en vérifier l'avancement et la qualité. Si les travailleurs éprouvaient des problèmes sur le site, ils lui téléphonaient. S'ils étaient incapables de travailler, ils avertissaient par téléphone Sage ou un compagnon de travail.

[6]      Chaque travailleur fournissait ses propres outils manuels ou électriques et Sage fournissait le gros équipement nécessaire. Sage fournissait aussi les matériaux.

[7]      Chaque travailleur a affirmé qu'ils n'étaient pas tenus de travailler selon un horaire établi, mais que de façon générale, ils travaillaient du lundi au vendredi, de 7 h à 16 h ou 16 h 30. Lemieux a précisé que ces heures étaient les heures normales de travail dans l'industrie de la construction. Lemieux a ajouté qu'il devait comptabiliser ses heures de travail, mais que cela n'avait aucune incidence sur sa paye et que Sage recueillait ces renseignements en vue de soumissions sur d'autres travaux.

[8]      Mathieu Houle a affirmé que, s'il lui semblait qu'il ne pourrait pas terminer le travail dans le délai prévu, il faisait des heures supplémentaires pour être sûr de terminer le travail à temps. Lemieux a dit que, s'il avait eu besoin d'aide pour faire le travail, il aurait eu la responsabilité d'engager quelqu'un, mais que cela ne lui était jamais arrivé quand il travaillait pour Sage. Il a aussi affirmé que, si son travail n'était bien fait, il aurait à le refaire à ses frais.

[9]      Ni l'un ni l'autre de ces travailleurs ne facturaient la TPS à Sage pour leur travail, mais il n'a pas été établi en preuve s'ils étaient des fournisseurs enregistrés en vertu de la Loi sur la taxe d'accise ou quelle était leur facturation annuelle.

[10]     M. Sage a aussi témoigné et il a confirmé les dires des deux travailleurs. Il a ajouté que les conditions de travail dans les domaines résidentiel et commercial étaient différentes de celles du domaine agricole, parce que les travaux exécutés dans les domaines résidentiel et commercial étaient régis par la CCQ (la Commission de la construction du Québec). Cela signifiait que les travailleurs de ces domaines devaient être rémunérés à l'heure et qu'ils devaient être considérés comme travaillant en vertu d'un contrat de louage de services.

[11]     Pour sa part, l'intimé a fait témoigner l'agente des appels de l'Agence du revenu du Canada pour qu'elle explique le fondement de sa conclusion selon laquelle les travailleurs étaient des employés de Sage, plutôt que des entrepreneurs indépendants. Un compte rendu préparé par l'agente des appels a été déposé en preuve sous la cote « I-1 » . Elle a affirmé qu'elle avait communiqué avec Sage et avec 12 des 28 travailleurs pour déterminer quelles étaient leurs conditions d'emploi. Le compte rendu faisait état de façon détaillée des conversations qu'elle avait eues avec eux.

[12]     Cependant, le compte rendu des conversations entre l'agente des appels et les travailleurs qui n'ont pas témoigné constitue du ouï-dire et n'est donc pas admissible pour prouver la véracité de ce qui a été dit à l'agente. L'avocat de l'intimé s'est appuyé sur les motifs prononcés par le juge suppléant Somers dans la décision de la Cour Vézina c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2001] A.C.I. no 564, pour affirmer que la preuve en question est admissible. Bien qu'il soit exact que la Cour dans cette affaire-là ait conclu qu'un compte rendu de conversations entre un agent des appels et des tiers qui n'avait pas été appelés à témoigner était admissible, cette conclusion était, à mon humble avis, fondée sur une analyse erronée de deux autres décisions que la Cour avait rendues antérieurement, soit Duquette c. Sa Majesté la Reine, 93 DTC 833, et Violi c. Le ministre du Revenue national, 80 DTC 1191.

[13]     La question soulevée par les affaires Duquette et Violi était de savoir si le ministre pouvait s'appuyer sur des déclarations faites par des tiers pour supposer des faits sur lesquels les cotisations étaient établies. Dans Duquette, l'appelant demandait la radiation de la réponse à l'avis d'appel qui avait été déposée. L'appelant alléguait en partie que le ministre ne pouvait pas s'appuyer sur du ouï-dire pour établir une cotisation et qu'il n'était donc pas correct de plaider des faits en se fondant sur le ouï-dire contenu dans la réponse à l'avis d'appel. C'est en réponse à cet argument que le juge Garon a affirmé que le ministre pouvait fonder une cotisation sur des déclarations de tiers et présumer que ces déclarations étaient vraies. Dans Violi, le juge Cardin a aussi conclu que les hypothèses sur lesquelles le ministre s'appuyait quant aux faits pouvaient se fonder sur du ouï-dire. Il est clair que la question soulevée dans ces affaires est différente de la question de savoir si le ministre peut déposer en preuve en Cour du ouï-dire pour étayer sa position. Je suis d'accord avec le juge Bell lorsque, dans les motifs qu'il a exposés dans l'affaire Nadorykc. Sa Majesté la Reine, dossier 96-4601-IT-G, il a dit :

Je conviens du fait que les vérificateurs de l'impôt, en formulant des hypothèses aux fins de l'établissement des cotisations, ne sont pas liés par les règles de preuve applicables à la procédure judiciaire. Toutefois, la déclaration de l'avocat de l'intimée devant la Cour portant que [TRADUCTION] « la méthode utilisée pour la formulation des hypothèses doit être admissible » n'est valide que si les règles de preuve sont observées. Le vérificateur peut décrire la méthode grâce à laquelle il a conclu quelle cotisation devait être établie, mais il ne peut, en faisant cela, produire un document « [lorsqu'il] cherche à établir la véracité de la déclaration » .

[14]     En l'espèce, l'intimé voulait, en cherchant à faire admettre en preuve le compte rendu, prouver la véracité de ce qui avait été dit à l'agente des appels par les autres travailleurs. Il s'agit là de ouï-dire et cela n'est pas admissible en ce qui concerne les travailleurs qui n'ont pas été appelés à témoigner.

[15]     Le compte rendu contient toutefois un résumé de la conversation entre l'agente des appels et François Lemieux et de la conversation entre l'agente des appels et Mathieu Houle. Cela soulève une autre question en ce qui concerne l'admissibilité en preuve de ces parties du compte rendu. Elle n'a guère d'importance en ce qui concerne le témoignage de Mathieu Houle. Pour l'essentiel, son témoignage concorde avec ce qu'il aurait dit à l'agente des appels concernant son travail pour Sage. Par contre, il y a plusieurs grandes différences entre ce que Lemieux a dit à la Cour et ce qu'il aurait dit à l'agente des appels. La question de ces différences n'a pas été abordée par l'intimé lorsqu'il a contre-interrogé Lemieux et Lemieux n'a pas eu la chance de réfuter des déclarations ou d'en expliquer les contradictions. Je ne suis donc pas en mesure de déterminer laquelle des versions des faits données par Lemieux est la bonne et, pour cette raison, je ne peux accepter son témoignage devant la Cour comme preuve crédible.

[16]     La preuve présentée par l'intimé montre qu'il croyait que les travailleurs de l'appelant sur les sites de construction de bâtiments d'exploitations agricoles étaient assujettis aux mêmes conditions d'emploi que les travailleurs des domaines résidentiel et commercial et que, parce que l'appelant considérait que les travailleurs de ces domaines exerçaient un emploi assurable en vertu d'un contrat de louage de services, il devait en être de même des travailleurs sur les sites d'exploitations agricoles.

Analyse

[17]     Pour décider si une personne travaille en vertu d'un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise, je dois prendre en considération le degré du contrôle exercé par l' « employeur » sur le travail exécuté, la propriété des outils utilisés et la chance de profit ou le risque de perte qui échoit au travailleur qui exécute le travail.

[18]     En l'espèce, le contrôle exercé par Sage sur les travailleurs tenait davantage de la nature d'un contrat d'entreprise. La preuve a montré que les travailleurs exécutaient leurs tâches de façon indépendante et que Sage ne se rendait sur le site que quelques fois par semaine. L'hypothèse que les travailleurs étaient supervisés par un contremaître a été écartée de même que celle qu'ils devaient s'en tenir à un horaire de travail strict.

[19]     Le fait que les travailleurs aient fourni des outils électriques et des outils manuels étaye également la thèse qu'ils étaient des entrepreneurs indépendants. Dans l'arrêt Precision Gutters Ltd c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 771, au paragraphe 25, la Cour d'appel fédérale a statuté :

Il a été jugé que si les instruments de travail appartenaient au travailleur et qu'il etait raisonnable que ceux-ci lui appartiennent, ce critère permet de conclure que la personne est un entrepreneur independent même si l'employeur présumé fournit des outils spéciaux pour l'entreprise en cause. Voir Bradford c. M.N.R. 88 DTC 1661; Campbell c. M.N.R. 87 DTC 47; Big Pond Publishing c. M.N.R. [1998] T.C.J. 935

[20]     Comme dans l'affaire Precision Gutters, les outils que fournissaient les travailleurs avaient autant d'importance pour l'exécution des travaux que l'équipement fourni par Sage.

[21]     Je conclus également que les travailleurs couraient la chance d'un profit et le risque d'une perte en ce qui concerne les travaux qu'ils exécutaient pour Sage. S'ils travaillaient efficacement, ils pouvaient terminer le travail plus tôt et, par conséquent, leur rémunération pour le temps travaillé serait d'autant plus élevée. Les travailleurs avaient également la responsabilité de corriger tout défaut d'exécution à leurs frais.

Conclusion

[22]     Par conséquent, en me fondant sur la preuve qui m'a été présentée, je conclus que les travailleurs étaient employés par l'appelant en vertu d'un contrat d'entreprise et qu'ils n'exerçaient pas un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23. Les appels sont donc accueillis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 2004.

« B. Paris »

Le juge Paris


Annexe A

Travailleurs                                         2001                                2002

Arsenault Daniel                                  x                                      x

Beaudette Éric                                     x                                      x

Bergeron Éloik                                    x                                      x

Bouchard Marc                                   x                                      x

Boulard Philippe                                  x                                      -

Caron Denis                                        x                                      x

Charest Pascal                                     x                                      x

Déry Francis                                       x                                      -

Déry Serge                                          x                                      x

Dubé Claude                                       x                                      -

Dupont Bruno                                     x                                      -

Fortin Bruce                                        x                                      -

Grenier Sylvain                                    x                                      x

Houle Mathieu                                     x                                      x

Lemieux François                                x                                      -

Lemoine Marc                                     x                                      x

Morin Steeve                                       x                                      -

Paquette Donald                                  x                                      -

Paquette Éric                                       x                                      -

Sage Dominique                                  x                                      x

Tanguay André                                    x                                      -

Tanguay Charles                                  x                                      x

Tardif Marc                                         x                                      x

Thibeault Alfred                                  x                                      -

Thibeault Aurel                                    x                                      x

Tremblay Maxime                                -                                      x

Volkhar Friedrich                                x                                      x


RÉFÉRENCE :

2004CCI528

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-4329(EI) et 2004-497(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

François Lemieux et M.R.N. et

Jacques Sage Construction Jacques Sage Enr. et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 15 juillet 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

le 1er septembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :

Les appelants eux-mêmes

Pour l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour les appelants :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.