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Référence : 2004CCI77

Date : 20040323

Dossiers : 1999-1967(IT)G

1999-1968(IT)G

ENTRE :

COUPE DE VÊTEMENTS ZUREK INC.,

JEAN ZUREK,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience le 20 juin 2003 à Montréal (Québec)

et modifiés pour plus de clarté.)

Le juge Archambault

[1]      Coupe de vêtements Zurek inc. (Vêtements Zurek) et monsieur Jean Zurek interjettent appel contre des cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) à l'égard de l'année d'imposition 1996.

[2]      Les questions en litige sont les suivantes : En ce qui a trait à Vêtements Zurek, le ministre a refusé dans le calcul de son revenu la déduction de dépenses de 113 571 $ représentant la rétribution versée à trois sous-traitants (trois sous-traitants), soit : Confection P.T.P. (P.T.P.), 7 100 $, Hakara Pres (H.P.), 103 371 $, et Confection K.V.D. (K.V.D.), 3 100 $. Le ministre a aussi établi une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. En ce qui a trait à monsieur Zurek, le ministre a, en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi, inclus la somme de 113 571 $ dans son revenu à titre d'appropriation de fonds. Il a aussi appliqué à l'égard de cette somme la pénalité prescrite au paragraphe 163(2).

Les faits

[3]      Au début de l'audience, le procureur des appelants a admis certains des faits énoncés dans chaque Réponse à l'avis d'appel amendée. Dans le cas de Vêtements Zurek, il s'agit des faits exposés aux alinéas suivants du paragraphe 6 :

a)          l'appelante oeuvre dans le domaine de la coupe de vêtements;

b)          elle loue des locaux d'une assez grande superficie où se trouvent cinq tables de coupe, trois ciseaux électriques de coupe et une machine à « fusing » ;

c)          les actionnaires de l'appelante sont Jean Zurek dans un [sic] proportion de 75% (225 actions ordinaires) et Patrick Zurek dans une proportion de 25% (75 actions ordinaires). Patrick Zurek est le fils de Jean Zurek;

d)          Jean Zurek dirige les opérations de l'appelante et Patrick Zurek fait le transport;

e)          pendant l'année d'imposition 1996, Jean Zurek a affirmé que l'appelante n'avait qu'un employé;

f)           aux états financiers de l'appelante pour l'exercice financier se terminant le 31 décembre 1996, la dépense de salaire était au montant de 10 243$;

l)           les factures des sous-traitants pour les dépenses en litige ont toutes été payées par chèques certifiés signés par l'appelant [ou Patrick Zurek][1].

[4]      Dans le cas de monsieur Zurek, il s'agit des faits énoncés aux alinéas suivants du paragraphe 6 :

a)          Coupe de vêtements Zurek Inc. (ci-après « la compagnie » oeuvre dans le domaine de la coupe de vêtements;

b)          elle loue des locaux d'une assez grande superficie où se trouvent cinq tables de coupe, trois ciseaux électriques de coupe et une machine à « fusing » ;

c)          les actionnaires de la compagnie sont l'appelant dans un [sic] proportion de 75% (225 actions ordinaires) et Patrick Zurek dans une proportion de 25% (75 actions ordinaires). Patrick Zurek est le fils de l'appelant;

d)          l'appelant dirige les opérations de la compagnie et Patrick Zurek fait le transport;

e)          pendant l'année d'imposition 1996, l'appelant a affirmé que la compagnie n'avait qu'un employé;

f)           aux états financiers de la compagnie pour l'exercice financier se terminant le 31 décembre 1996, la dépense de salaire était au montant de 10 243$;

l)           les factures des sous-traitants pour les dépenses en litige ont toutes été payées par chèques certifiés signés par l'appelant [ou Patrick Zurek][2].

[5]      La preuve présentée lors de l'audience révèle les faits suivants. Vêtements Zurek exploite une entreprise de coupe de tissus depuis environ 1992; les tissus et patrons sont fournis par ses clients. Monsieur Jean Zurek est le président de Vêtements Zurek et est coupeur depuis une quarantaine d'années. En plus de faire du traçage et de la coupe pour Vêtements Zurek, il s'occupe de la gestion de celle-ci et, entre autres choses, signe des chèques. Toutefois, il ne travaille qu'à temps partiel dans l'entreprise; en 1996, il consacre à Vêtements Zurek 10 à 15 heures par semaine, soit environ deux ou trois heures par jour. Le reste de son temps, soit 25 heures, est consacré à l'exploitation d'un restaurant dans lequel il détient une participation de 50 p. 100. Ce restaurant a subi des pertes pour chacune des années 1996 à 1998. Sa part des pertes représente pour 1996, 5 710 $, pour 1997, 9 248 $, et pour 1998, 9 000 $.

[6]      Le salaire de monsieur Zurek provenant de Vêtements Zurek est régulier. Il en a tiré un revenu d'emploi de 25 200 $ en 1994, et de 18 000 $ en 1995. Il n'y a eu aucun revenu d'emploi pour l'année 1996. Monsieur Zurek a affirmé avoir vécu de ses économies cette année-là, puisqu'il n'avait aucune autre source déterminée de revenu. En 1997, son revenu d'emploi tiré de Vêtements Zurek s'élévait à 14 999 $. Il n'y a eu aucun revenu en 1998. Il faut noter que monsieur Zurek a déclaré certains revenus d'intérêts pour les années d'imposition de 1992 à 1996, soit des sommes allant de 1 137 $ en 1996 à 4 805 $ en 1993.

[7]      Né en 1969, Patrick Zurek, travaille à temps plein pour Vêtements Zurek, quoiqu'en 1996 il n'ait touché aucun salaire, ayant reçu seulement une allocation pour voiture, qu'il n'a pas incluse dans son revenu (pas plus qu'il n'a inclus certains revenus de loyer). Parmi ses tâches, il prépare les factures adressées aux fabricants, soit les clients de Vêtements Zurek. Il s'occupe aussi du paiement des factures des sous-traitants. Sauf deux chèques du mois de juillet 1996, tous les chèques de Vêtements Zurek qui ont été produits devant la Cour ont été signés par Patrick Zurek, à savoir des chèques payables aux sous-traitants et au propriétaire de l'immeuble loué par Vêtements Zurek.

[8]      En 1996, Vêtements Zurek a un atelier situé sur la rue Louvain à Montréal. Cet atelier a une superficie de 10 000 pieds carrés. Le loyer mensuel prévu au bail s'élève à 3 000 $. Toutefois, le loyer versé en 1996 ne s'élève qu'à environ 2 000 $. Dans cet atelier, se trouvait cinq tables de travail, trois ciseaux électriques, un appareil de « fusing » , un étendeur de tissu et une perceuse.

[9]      La clientèle de Vêtements Zurek consiste en environ 15 ou 16 fabricants, dont notamment Point Zero et Sport Collection. Vêtements Zurek présente à ces fabricants des factures détaillées sur lesquelles on trouve non seulement la quantité et le prix unitaire des coupes à effectuer, mais aussi le numéro du patron.

[10]     Parmi ses clients, il y a aussi Gramar, une société qui exploite une entreprise de coupe et qui confie à Vêtements Zurek son surplus de travail. Le montant de la rétribution que Gramar a versé en 1996 à Vêtements Zurek s'élevait à 66 994 $, ce qui représente 39 p. 100 du chiffre d'affaires de Vêtements Zurek pour l'année. Contrairement à celles remises aux fabricants, les factures que Vêtements Zurek remet à Gramar ne sont pas détaillées. On n'y trouve pas de numéro de patron, pas de quantité, ni de prix unitaire. Tout ce qu'il y a c'est la description du type de vêtement coupé et l'indication du prix global. Les chiffres sur ces factures sont généralement ronds. Neuf des 11 factures représentent un montant de 5 000 $ ou de tout près de 5 000 $. Monsieur Jean Zurek a indiqué dans son témoignage que 1996 avait été une année assez difficile. Les contrats obtenus par Vêtements Zurek étaient plus compliqués et non rentables. Pour expliquer cette non-rentabilité, il a précisé que Vêtements Zurek gagnait 18 $ l'heure pour les coupes, alors que son coût de base s'élevait à 15 $, auquel coût il fallait ajouter de 20 à 25 p. 100 pour les avantages sociaux. Par contre, la rétribution reçue par Vêtements Zurek était calculée non pas selon un tarif horaire mais plutôt à la pièce.

[11]     Le chiffre d'affaires de Vêtements Zurek a baissé de 1994 à 1996 et elle a subi des pertes comme l'indique ce tableau :

Chiffres d'affaires

Bénéfice (pertes)

1994

402 632 $

( 4 859) $

1995

272 418 $

( 6 877) $

1996

170 730 $

(14 ,363) $

[12]     Durant ces années, Vêtements Zurek avait des dépenses de salaires, y compris des salaires d'administrateurs, et des dépenses de rétribution versée à des sous-traitants :

Salaires

Rétribution aux

des administrateurs

d'autres employés

aux sous-traitants

1994

69 900 $

81 135 $

148 995 $

1996

35 257 $

33 257 $

113 420 $

1996

0

10 243 $

124 961 $

[13]     Il semble qu'en 1996 le salaire de 10 243 $ a été versé à un employé qui a travaillé durant une bonne partie de l'année. Selon monsieur Zurek, lui-même et son fils faisaient aussi de la coupe. Si on analyse la rétribution versée aux sous-traitants, la preuve révèle l'existence de quatre sous-traitants. Tout d'abord, il y avait un monsieur Yipi, qui aurait fourni des services au cours du mois de janvier 1996 (tout comme il l'avait fait en 1995). Monsieur Zurek a indiqué que monsieur Yipi avait cessé ses opérations au mois de janvier 1996 et qu'il connaissait son adresse. La rétribution versée à monsieur Yipi n'a pas été refusée comme déduction par le ministre.

[14]     En ce qui a trait à la rétribution versée aux trois sous-traitants, monsieur Zurek a indiqué qu'ils étaient représentés par un certain monsieur Vichard, nom à l'égard duquel il n'a pu préciser s'il s'agissait d'un prénom ou d'un nom de famille. Selon lui, Vichard était l'entrepreneur qui exploitait ces trois sous-traitants. Contrairement à ce qui était le cas en ce qui concerne monsieur Yipi, monsieur Zurek (non plus que son fils) ne connaissait pas l'adresse de Vichard. Tout ce qu'il connaissait était son numéro de téléphone ou celui de son frère. Monsieur Zurek a indiqué qu'il avait à une occasion visité l'atelier d'un des sous-traitants sur la rue Parc. Il a dit avoir connu Vichard alors qu'il travaillait lui-même chez un des clients de Vêtements Zurek, à savoir Casadawa. Vichard aurait communiqué avec lui et lui aurait offert une rétribution attrayante pour des coupes. Selon monsieur Zurek, son fils Patrick était présent lors de la négociation avec Vichard.

[15]     Comme les factures de Vêtements Zurek présentées à Gramar, celles des trois sous-traitants n'étaient pas détaillées. On n'y trouve pas de numéro de patron ni de mention de la quantité des coupes ou du prix unitaire. On n'y trouve que le type de vêtement coupé et le prix global. De façon générale, il s'agit aussi de chiffres ronds sur ces factures. Lors de son contre-interrogatoire, monsieur Zurek a été incapable dans un premier temps d'établir une corrélation entre les factures envoyées aux clients de Vêtements Zurek et les factures des sous-traitants. Or, l'analyse des factures et des relevés bancaires permet d'établir une telle corrélation. Il y a notamment les relevés bancaires de Vêtements Zurek, qui indiquent que, le 23 janvier 1996, on a déposé un chèque de 5 696 $ établi par Gramar et que Vêtements Zurek a fait un chèque de 5 500 $ en faveur de monsieur Yipi le même jour.

[16]     On découvre également une certaine corrélation dans au moins trois cas où sont concernés Vêtements Zurek et ses trois sous-traitants. Il y a une corrélation parfaite quant au prix dans deux cas et presque parfaite dans le troisième. Comme on le verra plus loin, il n'y a pas nécessairement corrélation pour ce qui est des travaux exécutés. En ce qui a trait au prix, les comptes bancaires de Vêtements Zurek révèlent le dépôt, le 11 juillet 1996, d'un chèque au montant de 8 546,63 $ fait par Gramar et le tirage d'un chèque certifié du même montant, soit 8 546,63 $, en date du 12 juillet. Un autre chèque de Gramar, d'un montant de 5 697,75 $, a été déposé le 16 octobre 1996, et Vêtements Zurek a tiré à la même date un chèque certifié du même montant, soit 5 697,75 $, payable à H.P. Le dernier exemple que je veux mentionner est le chèque de 5 697 $ de Gramar déposé le 18 avril 1996, alors que, le même jour, Vêtements Zurek faisait un chèque certifié 5 726 $ en faveur de H.P. Les trois factures correspondant à la rétribution versée à H.P. ne fournissent pas la même description des coupes similaires que celles apparaissant sur les factures présentées à Gramar. Sur la facture donnée à Gramar correspondant au premier chèque, soit celui de 8 546,63 $, on indique des coupes de pantalons, de vestes, de blazers et de jupes, alors que sur la facture H.P. on indique des coupes de vestes, de blouses et de 14 échantillons. Quant à la deuxième facture présentée à Gramar, c'est-à-dire celle correspondant au chèque de 5 697,75 $, on y trouve indiquées des coupes de pantalons, de blouses, de jupes et de jumpers, alors que sur la facture de H.P. il est question de coupes de body, de blouses et de pantalons. Finalement, sur la troisième facture remise à Gramar, soit celle correspondant au chèque de 5 697 $, sont inscrites des coupes de vestes, de pantalons, de blouses et de robes, alors que sur celle de H.P. il s'agit de coupes de pantalons et de blouses.

[17]     L'explication qu'a fournie monsieur Zurek lors de son témoignage est que Vichard pouvait bien indiquer ce qu'il voulait sur ses factures. Il est important de noter que monsieur Zurek n'a pas nié l'existence de la corrélation entre les factures de H.P. et de Gramar. Par exemple, il n'a pas dit qu'il ne s'agissait pas de la même commande.

[18]     Ce que révèlent ces chiffres et ces trois exemples, c'est que le prix demandé par Vêtements Zurek à Gramar correspond au prix qu'elle a payé à H.P. Cet état de faits soulève la question suivante : où est le profit de Vêtements Zurek? Monsieur Zurek a répondu qu'il faisait, sur les services fournis par les trois sous-traitants, un profit de 10 p. 100. L'explication de la façon dont il arrivait à ce pourcentage a été relativement laborieuse et confuse, mais elle semble se résumer à ceci : il faisait effectuer aux trois sous-traitants plus de travaux, à savoir 10 p. 100 de plus de coupes, qu'il pouvait facturer à ses clients.

[19]     Toutes les factures présentées par les trois sous-traitants ont été produites lors de l'audience et des commentaires additionnels s'imposent. Tout d'abord, en ce qui concerne les factures de P.T.P. en date du 6 et du 12 février 1996, le nom de P.T.P. y est inscrit à la main, alors que le nom qu'on y avait d'abord indiqué était celui de K.V.D., lequel a été biffé et remplacé par P.T.P. Or, le numéro de TPS qui y apparaît est celui de K.V.D. Monsieur Zurek a reconnu dans son témoignage que ces factures n'avaient pas été dressées au mois de février 1996. Elles avaient été établies par la suite, à la demande du comptable, parce qu'elles étaient manquantes. Le comptable avait vraisemblablement remarqué qu'il y avait deux chèques certifiés payables à P.T.P. au mois de février 1996 pour lesquels il n'avait pas de facture correspondante.

[20]     En plus, il y a 43 factures de H.P. établies pour la période du 13 février 1996 au 2 décembre 1996. Celles antérieures au 13 juin 1996 ont des numéros de factures non consécutifs. Celles pour la période du 13 juin au 4 novembre 1996 ont toutes des numéros de facture consécutifs, il s'agit de tous les numéros de 218278 à 218300, sauf le 218298. Il semble que l'écriture apparaissant sur ces factures est celle d'une seule et même personne utilisant le même stylo. Tel que l'indique la feuille de travail du vérificateur qui a analysé le compte de Vêtements Zurek chez la Caisse populaire du Quartier chinois, H.P. a déposé régulièrement de nombreux chèques de clients tout au long de l'année 1996. Les nombreux dépôts indiquent que H.P. n'avait pas qu'un seul client durant la période du 13 juin au 4 novembre 1996. Le fait d'avoir un seul client aurait pu en effet expliquer l'existence des numéros de facture consécutifs. Selon monsieur Zurek, la seule explication possible à cet égard était que son fournisseur H.P. avait utilisé un livre de factures distinct pour chaque client. Or, comme je l'ai mentionné précédemment, pour la période de février à juin, les factures établies par H.P. étaient non consécutives.

[21]     Il faut mentionner également que les factures de H.P. et de K.V.D. à partir du 15 avril, qui commencent par la facture numéro 169195, ont été établies, selon toute vraisemblance, par une seule et même personne utilisant le même stylo. Pour ce qui est des factures antérieures au 15 avril 1996, il me semble qu'elles ont été écrites par une personne différente de celle que je viens de mentionner, mais cette écriture ressemble étrangement à celle sur les factures que Vêtements Zurek a envoyées à ses clients. On peut diviser ces factures en deux groupes, celles du 13 février au 18 mars, numérotées de 268023 à 268231 et écrites à l'encre bleue, et celles du 25 mars au 9 avril, numérotées 268238 à 268243 et écrites à l'encre noire. Les deux dernières factures de H.P. sont de décembre 1996. Il y a la facture 169328 du 2 décembre et la facture 169329 du 9 décembre. Il est intéressant de noter qu'une facture portant un numéro antérieur, soit le 169326, est en date du 21 mai 1996 et fait partie d'une série de huit factures débutant le 15 avril par le numéro 169195 et se terminant, comme je l'ai indiqué, le 21 mai.

[22]     Finalement, les deux dernières factures de la période ont été établies au nom de K.V.D. et sont en date du 16 et du 20 décembre 1996. Ce qui est intéressant de noter à l'égard de ces factures, c'est que les numéros de facture sont inversés, à savoir que la facture du 16 décembre porte le numéro 869814, alors que celle du 20 décembre porte le numéro 869804. Je note aussi que les factures faites en février 1996, censément au nom de P.T.P. auxquelles j'ai fait référence plus haut, portent aussi un numéro faisant partie de la même séquence que celle qu'on retrouve au mois de décembre 1996 pour K.V.D. Il s'agit des numéros 869803 et 869821. Je note également qu'elles semblent avoir été dressées par une seule et même personne utilisant le même stylo.

[23]     Selon monsieur Jean Zurek, Vichard venait chercher des rouleaux de tissu et des patrons à l'atelier de Vêtements Zurek. On pouvait remettre à Vichard de 10 à 75 rouleaux de 50 à 60 mètres. La valeur de ces tissus pouvait varier entre 2 $ et 4 $ le mètre, donc 50 rouleaux de 50 mètres à 3 $ le mètre valait 7 500 $. Si on prend les chiffres maximaux, soit 75 rouleaux de 60 mètres à 4 $, cela représente une valeur de 18 000 $. Selon monsieur Zurek, Vichard venait seul la plupart du temps, mais parfois il pouvait venir avec le camionneur, dont monsieur Zurek ne connaissait pas le nom. Vichard donnait un reçu, mais monsieur Zurek n'en a gardé aucun. Les reçus n'avaient plus d'utilité après le retour du tissu coupé. Comme Vêtements Zurek ne connaissait pas l'adresse de Vichard ni des trois sous-traitants et qu'elle ne savait pas où étaient transportés les rouleaux de tissu, monsieur Zurek a reconnu qu'il courait dans ces circonstances le risque de ne pas être capable de retrouver son fournisseur. Par contre, Vichard, lui, exigeait d'être payé par chèque certifié. Si Vêtements Zurek n'avait pas suffisament d'argent dans son compte bancaire, on déposait le même jour ou la veille les chèques des fabricants ou, comme on l'a vu plus haut, de Gramar, pour couvrir le chèque certifié.

[24]     Selon monsieur Jean Zurek, Vichard venait deux à trois fois par semaine pour voir s'il y avait du travail; Vichard l'appelait aussi. Le travail fait par Vichard s'est arrêté, selon monsieur Zurek, en février 1997. Il me semble qu'il a donné trois explications différentes pour la cessation de la relation. Il a indiqué qu'il avait cessé de faire affaire avec Vichard parce qu'il n'y avait plus de travail. À un autre moment, il a indiqué qu'on avait cessé de recourir à Vichard parce que cela allait mieux sans lui et qu'on faisait plus d'argent, les coupes étant plus faciles et plus simples. Et à un autre moment encore, il a indiqué qu'il avait donné Vêtements Zurek à Patrick.

[25]     La preuve de l'intimée a porté sur le travail des différents vérificateurs du ministre. Cette preuve a révélé les faits qui ont amené le ministre à s'intéresser aux dossiers de monsieur Zurek et de Vêtements Zurek. Tout d'abord, on avait remarqué qu'il y avait eu une dépense majeure de sous-traitants en 1996, que les factures n'étaient pas détaillées (contrairement aux factures remises par Vêtements Zurek à ses clients), et que tous les paiements faits aux trois sous-traitants étaient des chèques certifiés qui avaient immédiatement été encaissés en espèces.

[26]     En avril 1997, lors de la première rencontre du vérificateur du ministre avec monsieur Zurek, ce dernier a déclaré qu'il ne connaissait ni le nom ni l'adresse de ses sous-traitants. Par la suite, il a nommé Vichard, qui, a-t-il dit, était un camionneur chinois avec qui il faisait affaire. Quand le vérificateur l'a informé du risque de se voir refuser la déduction de la rétribution versée à ces trois sous-traitants, monsieur Zurek a téléphoné à Vichard devant ce vérificateur. Vichard, en apprenant que monsieur Zurek était en présence du vérificateur, a indiqué qu'il était occupé et qu'il devait le rappeler, chose que Vichard n'aurait jamais faite. En effet, monsieur Zurek a indiqué qu'il n'avait jamais par la suite repris contact avec Vichard. Le vérificateur, quant à lui, a indiqué qu'il avait tenté sans succès de rappeler Vichard; il n'y avait plus de service au numéro de téléphone indiqué par monsieur Zurek.

[27]     Les autres démarches effectuées par ce vérificateur et d'autres vérificateurs, notamment ceux du ministère du Revenu du Québec (MRQ), ont révélé que les trois sous-traitants étaient introuvables, soit qu'ils fussent inexistants ou qu'ils n'eussent pas exercé d'activités aux adresses obtenues de différents registres. Notamment, quant à H.P., les registres de TPS et de TVQ de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) et du MRQ indiquaient que H.P. était une entreprise appartenant à monsieur Hakara Pres. L'inscription s'était faite le 18 décembre 1995 et le dossier de l'inscrit avait été fermé le 9 mars 1998. L'entreprise de cet inscrit était décrite comme étant la confection de vêtements; l'inscrit n'a toutefois jamais produit de déclaration de TPS. L'adresse de H.P. était indiquée comme étant le 2285, Hogue, porte 304, à Saint-Laurent. Le concierge de cet édifice aurait indiqué à un vérificateur du MRQ en avril 1997 que H.P. n'avait pas exploité d'entreprise à cette adresse. Les autres démarches faites pour trouver les locaux où H.P. aurait pu exercer ses activités sont aussi demeurées sans succès.

[28]     Selon la banque de données du ministre établie à partir des déclarations de revenus des contribuables, banque désignée par le nom de RAPI, monsieur Hakara Pres n'avait eu aucun revenu d'entreprise de 1993 à 1995. Des revenus d'aide sociale et d'assurance-emploi y apparaissent pour ces années. En ce qui a trait à 1996, monsieur Pres n'aurait produit aucune déclaration de revenus. C'est ce que révèlent aussi les registres du MRQ pour l'année 1996. Pour 1995, des revenus d'aide sociale apparaissent dans ces registres. Au service des retenues à la source (RAS), on ne trouve aucun employeur nommé H.P. Selon le bureau de lutte contre la fraude fiscale du MRQ, H.P. était considéré comme « un accommodateur » .

[29]     Les vérifications effectuées auprès du Comité paritaire responsable de l'application des décrets provinciaux édictant les conditions de travail des travailleurs dans l'industrie de la confection de vêtements ont été sans résultat. H.P. était une entreprise inconnue.

[30]     Les vérifications faites auprès de la Caisse populaire du Quartier chinois ont permis d'obtenir les renseignements suivants. On y a découvert un certificat d'immatriculation établi par l'Inspecteur général des institutions financières (IGIF). Selon ce certificat, Hakara Pres exploitait une entreprise de confection de vêtements depuis le 18 décembre 1995 et son adresse était le 2285, Hogue, numéro 304, à Saint-Laurent. Quoique Hakara Pres soit indiqué comme propriétaire de cette entreprise sur le certificat remis à la Caisse Populaire, le seul signataire des chèques pour l'entreprise était un monsieur Li. Le compte de H.P. aurait été ouvert le 18 décembre 1995 et fermé le 24 décembre 1996. On y a découvert des dépôts totalisant 7,4 millions de dollars, dont au moins environ 90 p. 100 auraient été des chèques certifiés. Les retraits en espèces s'élevaient à 4,7 millions de dollars. Il y avait aussi des chèques d'un total de 374 000 $ payables à H.P. La radiation de l'inscription auprès de l'IGIF est en date du 8 octobre 1997.

[31]     Selon les relevés de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), monsieur Pres ne possédait plus de véhicule depuis 1995. Un des vérificateurs a contacté Stella, la soeur de monsieur Pres, qui lui a indiqué que son frère n'était pas été impliqué dans l'industrie du vêtement, qu'il n'habitait plus chez elle, qu'il habitait plutôt chez sa petite amie. Stella lui a fourni le numéro de téléphone de celle-ci. Ce vérificateur n'aurait toutefois jamais communiqué avec monsieur Pres.

[32]     Des recherches concernant K.V.D. ont révélé les renseignements suivants. Selon les registres de l'ADRC, la personne inscrite aux fins de la TPS était un monsieur Vuthy To. L'inscription avait été faite en décembre 1996 et aucune déclaration de TPS n'aurait été produite. Selon la banque de données RAPI, monsieur To n'avait pas de revenu d'entreprise. Pour les années 1993 à 1995, il y avait des relevés concernant des emplois dans les domaines de la décoration, de la restauration et de l'exploitation de garage. Pour 1995, il y avait un T4 indiquant un montant de 3 000 $ et il y avait des prestations d'aide sociale. Aucune déclaration de revenus n'a été produite pour l'année 1996. Toutefois, il semblerait que monsieur To ait touché de l'aide sociale cette année-là. Selon l'ancienne petite amie de monsieur To, ce dernier n'avait pas exploité d'entreprise et son travail n'était pas relié au domaine du vêtement. Le relevé de compte établi par la Caisse populaire du Quartier chinois indique que le signataire pour ce qui est du compte de K.V.D. était aussi monsieur To.

[33]     Les recherches des vérificateurs relativement à P.T.P. ont révélé les données suivantes. Selon les comptes bancaires trouvés à la Banque Nationale, à la Banque de Nouvelle-Écosse et à la CIBC ont permis de découvrir que des comptes ont été ouverts à partir du 14 décembre 1995 et fermés le 30 novembre 1996. Parmi les signataires des chèques tirés sur les comptes à ces trois banques, on trouve les noms suivants : Sorm Han, une personne qui aurait fait faillite en 1996 selon les données recueillies dans RAPI et un monsieur Lan Hung. Le total des dépôts dans ces trois comptes bancaires s'est élevé à 9,3 millions de dollars, dont 1,3 million a été déposé au mois d'août 1996. Les retraits en espèces effectués le même jour que les dépôts, ou le surlendemain, se sont élevés à 8,8 millions de dollars. Il n'y avait pas de trace de paiement pour frais fixes comme les frais d'électricité, de loyer et de téléphone. Selon les registres de l'ADRC et du MRQ, il n'y avait pas d'inscription au nom de P.T.P. aux fins de la TPS ou de la TVQ. Toutefois, inscrite au nom de monsieur Sorm Han, il y avait depuis novembre 1995 une entreprise nommée Confection Belle Han Sorm. Je rappelle que le numéro de TPS apparaissant sur les factures établies au nom de P.T.P. était le numéro de TPS de K.V.D.

[34]     Les vérificateurs ont pu découvrir 11 adresses qui auraient pu avoir un rapport avec P.T.P. Ces adresses étaient essentiellement des adresses résidentielles ou industrielles. Dans le cas des adresses industrielles, les démarches faites ont révélé qu'il n'y avait dans aucun de ces cas de bail liant le propriétaire du local à l'entreprise P.T.P. durant la période pertinente. De plus, dans certains cas, le local en question était vacant. On a pu obtenir du comité paritaire de l'information concernant P.T.P., mais il y avait seulement une entrée, faite en mars 1996 et concernant un sous-traitant, le montant indiqué étant de 4 300 $. Un enquêteur du MRQ a confirmé que monsieur Sorm Han avait été trouvé coupable ex parte d'infractions pénales commises entre décembre 1995 et novembre 1996 et se rapportant au fait que des crédits de taxes sur intrants avaient été demandés illégalement.

[35]     Le vérificateur du ministre a indiqué qu'il avait établi les cotisations en litige sur la base suivante : il a refusé la déduction de toutes les sommes versées aux trois sous-traitants par Vêtements Zurek parce qu'il considérait ces trois sous-traitants comme des « accommodateurs » et estimait que leurs factures étaient fausses. Il a conclu à l'appropriation par monsieur Jean Zurek de toutes les sommes prétendument versées aux trois sous-traitants parce que c'est monsieur Zurek qui lui a fourni tous les renseignements pertinents relativement à ces trois sous-traitants et que c'est monsieur Zurek qui lui semblait avoir le contrôle. Il a précisé notamment que monsieur Zurek ne semblait pas représenter quelqu'un d'autre. Il faut dire que, dans les réponses à l'avis d'appel, il est indiqué, parmi les faits tenus pour acquis par le ministre, que c'est Jean Zurek qui avait signé tous les chèques de Vêtements Zurek et que c'est lui qui dirigeait les opérations de cette entreprise. Le vérificateur a indiqué que les pénalités avaient été établies parce que Vêtements Zurek avait réclamé la déduction de dépenses pour des services qu'elle n'avait pas reçus et que les factures justifiant ces dépenses étaient fausses. Il a également imposé des pénalités à monsieur Zurek au motif que ce dernier s'était approprié des sommes remises aux prétendus sous-traitants; il avait ainsi retiré de l'argent de Vêtements Zurek sans payer d'impôt.

L'analyse

[36]     Je rappellerai d'abord les règles en matière du fardeau de la preuve parce qu'elles expliquent en partie l'insuccès de chacune des parties. La tâche de démontrer que les montants d'impôt exigés n'étaient pas dus revenait à Vêtements Zurek et à monsieur Zurek. Ils devaient démolir les faits tenus pour acquis par le ministre. Ici, le ministre avait tenu pour acquis les faits-clés suivants : aucun travail n'avait été donné à des sous-traitants, il y avait eu achat de fausses factures que le ministre qualifiait de factures « d'accommodation » . C'est Jean Zurek qui administrait Vêtements Zurek et qui avait signé tous les chèques. Jean Zurek avait reçu l'argent liquide des « accommodateurs » et s'était donc approprié l'argent de Vêtements Zurek. En ce qui a trait aux pénalités établies en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, une pénalité s'applique lorsqu'un contribuable fait un faux énoncé ou une omission, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, et la tâche d'établir ce fait revient à l'intimée. L'intimée avait donc la tâche d'établir notamment que des services n'avaient pas été rendus par les sous-traitants.

[37]     Je vais traiter d'abord de la première question, celle du refus de la déduction de la rétribution versée aux trois sous-traitants. Ici, Vêtements Zurek devait démontrer qu'elle avait réellement donné du travail en sous-traitance et qu'elle avait versé la somme de 113 571 $ aux trois sous-traitants pour du travail fait pour elle. Malheureusement pour Vêtements Zurek, elle n'a pas réussi dans cette tâche. La preuve qu'elle a présentée est insuffisante pour convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que cette somme avait été versée pour du travail fait pour elle. Essentiellement la seule preuve selon laquelle Vêtements Zurek avait véritablement versé la rétribution dont la déduction a été refusée par le ministre est celle de monsieur Zurek. Son témoignage n'a été corroboré par aucun témoin. En particulier, Patrick, son fils, n'a pas témoigné. C'est pourtant lui qui était, il me semble, le plus en contact avec Vichard. Selon monsieur Zurek, Patrick était là lors de la négociation initiale. C'est la signature de Patrick qu'on trouve sur tous les chèques à l'exception de deux. C'est Patrick qui travaillait à plein temps dans l'entreprise, alors que Jean Zurek ne travaillait que dix à 15 heures par semaine. De plus, on aurait pu faire témoigner l'employé qui travaillait pour Vêtements Zurek en 1996. Ce dernier aurait pu confirmer avoir vu Vichard, l'avoir vu venir chercher les rouleaux et rapporter les vêtements tout découpés. L'absence de ces deux témoins m'amène à adopter une inférence négative, à savoir que leur témoignage aurait été défavorable à la cause des appelants. Je m'appuie à cet égard sur les enseignements de la jurisprudence, notamment dans l'affaire Huneault c. La Reine, 98 DTC 1488, à la page 1491, où ma collègue la juge Lamarre cite certaines décisions et un ouvrage de doctrine :

[. . .]

Je rappellerai ici les propos que l'on retrouve dans "The Law of Evidence in civil cases", par Sopinka et Lederman et qui sont cités par le juge Sarchuk de notre Cour dans l'affaire Enns v. M.N.R., - 87 DTC 208 à la page 210.

[TRADUCTION]

Dans l'ouvrage de Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in civil cases, les auteurs font remarquer ce qui suit au sujet des conséquences de l'omission de faire comparaître un témoin. Je cite :

Dans l'affaire Blatch v. Archer, 1974, 1 C.O.W.P. 63 page 65, Lord Mansfield a déclaré :

Il existe certainement un principe voulant que tous les faits soient appréciés à la lumière de la preuve que l'une des parties était en mesure de produire et que l'autre partie était en mesure de réfuter. L'application de ce principe a conduit à établir une règle bien connue selon laquelle l'omission d'une partie ou d'un témoin de produire une preuve que la partie ou le témoin était en mesure de produire et qui aurait peut-être permis d'élucider les faits, fonde la Cour à déduire que la preuve de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à laquelle l'omission a été attribuée.

Dans le cas d'un demandeur auquel il incombe d'établir un point, l'effet de cette déduction peut être que la preuve produite sera insuffisante pour s'acquitter du fardeau de la preuve.

[38]     À l'appui de cette dernière affirmation, le juge Sarchuk cite l'affaire Lévesque c. Comeau, 1970 R.C.S. 1010. À la page 1012 de cette décision de la Cour suprême, le juge Pigeon écrit :

[. . .]

L'expert de l'appelante Laura Lévesque ne l'a pas examiné pour la première fois que plus d'un an après l'accident, alors qu'elle avait dans l'intervalle consulté plusieurs médecins et subi divers examens. Elle seule était en mesure d'apporter au Tribunal ces éléments de preuve; elle ne l'a pas fait. À mon avis, il faut appliquer la règle que dans de telles circonstances un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve lui seraient défavorables.

[39]     En plus du manque de corroboration du témoignage de monsieur Jean Zurek, j'ai noté certaines contradictions dans son témoignage. Il y a celles auxquelles j'ai fait référence plus haut en ce qui a trait à l'explication de la cessation de la relation d'affaires avec Vichard. Il m'apparaît plus probable qu'on a cessé de faire affaire avec lui parce que les autorités fiscales semblaient s'intéresser à cette époque aux sous-traitants de Vêtements Zurek. En effet, je rappellerai qu'un vérificateur s'était présenté au mois d'avril 1997 à la rue Hogue pour obtenir des renseignements relativement à H.P. Il faut donc présumer que l'enquête était en cours depuis un certain temps.

[40]     Il faut aussi ajouter à ces contradictions certaines invraisemblances ou réponses évasives dans le témoignage de monsieur Zurek. J'en signale quelques-unes. Tout d'abord, il y a l'incapacité de monsieur Zurek de faire la corrélation entre les dépôts de chèques d'une part et les factures des trois sous-traitants et Gramar d'autre part, et il y a la différence entre la description des coupes faites pour Gramar et la description de celles effectuées par H.P. Je rappellerai que monsieur Zurek n'a pas nié la corrélation qui pouvait exister entre les factures, mis à part la description des coupes effectuées. Il y a le fait d'avoir remis des rouleaux de tissu dont la valeur pouvait s'élever à jusqu'à 18 000 $ à une personne dont monsieur Zurek ne connaissait pas le nom au complet et dont il ignorait l'adresse. Il y a en outre les explications de la non-rentabilité, qui étaient fondées sur l'assertion que le paiement se faisait selon un taux horaire, alors qu'en réalité tout le travail accompli par Vêtements Zurek était payé à la pièce, selon la preuve que j'ai entendue. Il y a aussi la description laborieuse et un peu confuse de monsieur Zurek de sa façon d'établir un profit de 10 p. 100.

[41]     Ensuite, la preuve est insuffisante, selon moi, en raison du caractère très suspect de la preuve documentaire qui a été présentée à la Cour. Je fais évidemment référence aux factures des trois sous-traitants. Il y a tout d'abord l'admission faite par monsieur Zurek relativement aux factures antidatées de P.T.P. De plus, on a la nette impression que les factures des trois sous-traitants n'ont pas été dressées à l'époque des livraisons des coupes, mais l'ont été par la suite et toutes ensemble. Les éléments qui m'amènent évidemment à conclure de cette façon sont les faits suivants : le fait que des factures sont numérotées de façon consécutive de juin à novembre 96; l'inversion de l'ordre des numéros des deux dernières factures de K.V.D. dressées en décembre 1996 et l'utilisation en décembre 1996 de factures dont les numéros appartiennent à la même série que ceux des factures utilisées au mois de mai 1996; le fait que les factures pour la période d'avril à décembre ont été écrites par la même personne utilisant le même stylo; le fait que l'écriture sur les factures antérieures au mois d'avril 1996 ressemble à l'écriture qui apparaît sur les factures établies par Vêtements Zurek pour ses clients, ce qui donne l'impression que les factures des trois sous-traitants auraient pu être dressées par la personne qui a établi les factures pour les clients de Vêtements Zurek.

[42]     Évidemment, il y a aussi le manque de corrélation dans la description des coupes faites pour Gramar et de celles fournies par H.P. À cela s'ajoute le fait que les factures des trois sous-traitants ne fournissent pas de détails, mais se limitent à des renseignements génériques et le fait que les chiffres y figurant sont ronds, contrairement à ceux sur les factures d'apparence légitime qui ont été envoyées aux différents fabricants-clients de Vêtements Zurek. Donc, non seulement cette preuve est loin de convaincre la Cour que les factures des sous-traitants sont véritables, mais, au contraire, celles-ci semblent être, selon toute apparence, des fausses factures.

[43]     En plus de ces commentaires généraux sur la preuve testimoniale et la preuve documentaire des appelants, il y a aussi la preuve fournie par l'intimée quant à l'inexistence des entreprises de messieurs Pres et To qui, selon les témoignages recueillis par les vérificateurs, n'étaient pas impliqués dans l'industrie du vêtement. Ce sont eux les deux personnes qui je le rappelle, exerçaient des activités sous les noms commerciaux de H.P. et de K.V.D. Finalement, il y a la condamnation pénale de monsieur Han, qui exploitait l'entreprise P.T.P.

[44]     Donc, l'ensemble de la preuve ne m'a pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que Vêtements Zurek avait versé la rétribution en cause aux sous-traitants durant l'année 1996.

[45]     Je vais maintenant traiter de la deuxième question, celle de l'appropriation de fonds par monsieur Jean Zurek. Avant d'analyser les faits pertinents, il faut rappeler la démarche suivie par le vérificateur pour conclure qu'il y a eu appropriation par Jean Zurek. Il est vrai qu'il est pratique courante que le ministre énonce dans sa réponse à l'avis d'appel les faits qu'il a tenus pour acquis; il est vrai aussi que le fardeau de la preuve repose sur les épaules du contribuable, qui doit démolir les faits tenus pour acquis par le ministre dans l'établissement de ses cotisations. Telle est la règle parce que c'est le contribuable qui est en meilleure position pour réfuter ou démolir ces faits. Toutefois, il est important de rappeler que, quand le ministre tient pour acquis certains faits, il faut que ces faits aient un fondement raisonnable. Il ne peut simplement imaginer des faits qui font son affaire. Il doit s'appuyer sur des faits qu'il a pu observer lors de sa vérification. Les faits tenus pour acquis peuvent découler d'une preuve directe ou - rien ne s'y oppose - d'une preuve circonstancielle.

[46]     Ici l'hypothèse de faits selon laquelle Jean Zurek se serait approprié de l'argent des « accommodateurs » ne m'apparaît pas raisonnable pour plusieurs raisons. Cette « accommodation » aurait certainement requis un paiement aux « acommodateurs » . Donc, une partie des sommes en question n'aurait pas été recueillie par monsieur Zurek. Mais, et ceci est un facteur plus important, il n'est pas raisonnable d'inférer que seulement Jean Zurek se serait approprié des biens de Vêtements Zurek et que Patrick ne l'aurait pas fait. De plus, il m'apparaît tout à fait illogique de considérer monsieur Zurek comme le seul à s'être approprié des biens simplement parce que c'est lui qui avait fourni au vérificateur l'information pertinente sur les relations de Vêtements Zurek avec ses sous-traitants. Ce qui aurait pu être raisonnable est une inférence selon laquelle il y aurait eu appropriation parce que Jean Zurek aurait tout géré, qu'il était en position de contrôle et qu'il aurait pu faire l'appropriation à l'insu des autres actionnaires. Or, ici, la preuve a démontré que c'est principalement Patrick Zurek qui était en contact avec Vichard. C'est Patrick qui a signé tous les chèques, sauf deux faits au mois de juillet 1996. Il est raisonnable de penser que Patrick devait être en vacances durant cette période-là. Patrick était celui qui travaillait à plein temps au service de Vêtements Zurek, alors que son père ne consacrait que 10 à 15 heures par semaine à cette entreprise. Il faut rappeler aussi que Patrick était là avec son père lors de la négociation avec Vichard. Donc, il y a certainement ici, selon la preuve, démolition partielle des faits invoqués à l'appui de la cotisation.

[47]     Je signale en outre qu'une appropriation aurait pu raisonnablement être faite sur la base de la participation de chacun des deux actionnaires dans Vêtements Zurek, c'est-à-dire selon une répartition 75-25. Une appropriation sur la base d'une répartition en parts égales aurait également été possible compte tenu du fait que Patrick travaillait à plein temps dans l'entreprise et que son père n'y consacrait que 10 à 15 heures par semaine. Ce facteur aurait pu atténuer l'importance de la répartition des actions entre le père et le fils dans une proportion de 75 contre 25. Je fais remarquer qu'une explication aurait pu aider la cause de Jean Zurek. En effet, il aurait pu expliquer que les sommes ont été versées au noir à des employés ou à de véritables sous-traitants employés pour diminuer ses coûts de revient, mais il n'a jamais fait une telle preuve. Seulement le représentant de la Caisse populaire du Quartier chinois a évoqué cette possibilité.

[48]     L'ensemble de la preuve ne m'a pas convaincu selon la prépondérance des probabilités que Jean Zurek n'avait pas bénéficié d'au moins une partie de l'argent en espèces versé aux trois sous-traitants. Toutefois, compte tenu du caractère déraisonnable de la démarche adoptée par le vérificateur pour imputer à Jean Zurek toutes les sommes qui auraient été payées aux trois sous-traitants et dont la déduction a été refusée, je crois qu'il faut réduire de moitié le montant ajouté au revenu de Jean Zurek. Ce chiffre m'apparaît comme un résultat raisonnable dans les circonstances.

[49]     Quant aux pénalités, je crois que l'intimée n'a pas réussi non plus à établir, selon la prépondérance des probabilités que Vêtements Zurek et Jean Zurek ont fait, sciemment ou dans les circonstances équivalant à faute lourde, un faux énoncé dans leurs déclarations de revenus. Pour que je conclue qu'ils l'ont fait, il aurait fallu que l'intimée me convainque que la rétribution n'a pas été versée pour du travail dont Vêtements Zurek n'a pas bénéficié. Or, il est possible que l'argent ait été utilisé pour payer au noir des travailleurs qui ont fait du travail pour Vêtements Zurek. Je ne suis pas convaincu que Jean Zurek et son fils Patrick auraient pu faire tout le travail eux-mêmes; la procureure de l'intimée convenait d'ailleurs qu'ils ne l'auraient pas pu. Même s'ils l'ont fait, il est possible, comme la procureure l'a soutenu dans sa plaidoirie, que l'argent remis aux trois sous-traitants ait pu servir à payer au noir les services de Jean et de Patrick Zurek.

[50]     Dans ces circonstances, il est difficile d'être convaincu que Vêtements Zurek a manifestement réclamé une déduction à laquelle elle n'avait pas droit. Donc, je ne peux conclure à un faux énoncé fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[51]     Quant à la pénalité imposée à l'égard de l'appropriation par Jean Zurek, la même approche doit être suivie. Ici, je n'ai pas été convaincu par la preuve de l'intimée que les sommes en question ont nécessairement été remises à Jean Zurek, tout comme je n'ai pas été convaincu par la preuve de Jean Zurek qu'il n'avait pas reçu cet argent. Il n'y a pas de preuve de dépôts inexpliqués dans ses comptes bancaires. Il est possible que l'argent ait servi effectivement à payer au noir des travailleurs autres que Jean Zurek. Finalement, je ne suis pas certain du partage de l'appropriation qui s'est peut-être faite entre Jean et Patrick. Comme le fardeau de la preuve reposait sur l'intimée relativement aux pénalités, c'est l'intimée qui doit subir l'échec du fait de ne pas s'être acquittée de son fardeau.

[52]     Pour tous ces motifs, les appels sont accueillis sans dépens et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que les pénalités doivent être annulées et que le montant qui doit être ajouté au revenu de Jean Zurek comme appropriation est 56 785 $.

Signé à Québec, Québec, ce 23e jour de mars 2004.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :

2004CCI77

Nos DES DOSSIERS

DE LA COUR :

1999-1967(IT)G

1999-1968(IT)G

INTITULÉ DES CAUSES :

Coupe de vêtements Zurek inc.

et La Reine

et Jean Zurek et La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

les 16 et 17 juin 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :

le 27 juin 2003

DÉCISION RENDUE

ORALEMENT :

le 20 juin 2003

MOTIFS ÉCRITS DU JUGEMENT :

le 23 mars 2004

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :

Me Bertrand Forget

Avocate de l'intimée :

Me Valérie Tardif

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour les appelants :

Nom :

Me Bertrand Forget

Étude :

Forget Tremblay

St-Eustache (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]            Cet alinéa a été modifié par l'ajout du texte entre crochets aux fins de l'admission.

[2]            Cet alinéa a été modifié par l'ajout du texte entre crochets aux fins de l'admission.

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