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Dossier : 2003-3485(IT)I

ENTRE :

LUC MASSÉ,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 17 mai 2004 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

 

Avocat de l'intimée :

MJulie David

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est accordé et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2004.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


 

 

 

 

Référence : 2004CCI453 

Date : 20040625

Dossier : 2003-3485(IT)I

ENTRE :

LUC MASSÉ,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre Proulx

 

[1]     Il s'agit d'un appel par voie de la procédure informelle de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « Ministre ») concernant l'année d'imposition 2001.

 

[2]     La question en litige est de savoir si les pertes de 45 356 $, subies à la suite de transactions en valeurs mobilières, sont des pertes d'entreprise ou des pertes de nature capitale.

 

[3]     L'appelant informe la Cour au début de l'audience qu'il connaît la disposition de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt et l'accepte. Cet article se lit comme suit :

 

18.1     Le jugement qui fait droit à un appel visé au paragraphe 18(1) est réputé comporter une disposition ordonnant que le total de tous les montants en cause ne soit pas réduit de plus de 12 000 $ ou, selon le cas, que le montant de la perte en cause ne soit pas augmenté de plus de 24 000 $.

 

[4]     Les faits et l'interprétation des faits sur lesquels le Ministre s'est fondé pour établir sa cotisation, par laquelle il a refusé la déduction à titre de perte d'entreprise pour la considérer comme perte en capital pouvant éventuellement servir à réduire un gain en capital, sont décrits aux paragraphes 13 et 14 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse ») comme suit :

 

a)         l'appelant est un avocat, né le 21 juillet 1958, qui occupe un emploi, à titre de directeur du service de la fiscalité, chez le cabinet d'experts‑comptables « Jacques Davis Lefaivre s.e.n.c. »;

 

b)         l'appelant exploite également une entreprise de profession libérale depuis 1987, à tout le moins;

 

c)         spécifiquement à l'égard de l'année en litige, l'appelant a été à l'emploi de l'Université de Montréal;

 

d)         l'état civil de l'appelant, au 31 décembre 2001, était de célibataire;

 

e)         l'appelant, à l'égard de l'année d'imposition en litige, a déclaré les chiffres suivants :

 

i)

revenus d'emploi

114 469 $

ii)

dividendes

5 257 $

iii)

intérêts

4 828 $

iv)

revenus de profession libérale

3 000 $

v)

pertes en capital

(7 267 $)

vi)

pertes d'entreprise

(45 356 $)

 

f)          l'appelant a déclaré depuis l'année d'imposition 1989 les revenus d'emploi élevés :

 

i)

1989 -

67 308 $

ii)

1990 -

88 392 $

iii)

1991 -

89 739 $

iv)

1992 -

88 360 $

v)

1993 -

76 651 $

vi)

1994 -

79 404 $

vii)

1995 -

79 310 $

viii)

1996 -

85 197 $

ix)

1997 -

76 242 $

x)

1998 -

95 567 $

xi)

1999 -

155 317 $

xii)

2000 -

138 185 $

 

g)         l'appelant a déclaré pour la même période (1989 à 2000) les revenus de placements suivants :

 

 

 

dividendes

intérêts

gains en capital imposable

i)

1989 -

10 $

1 850 $

79 $

ii)

1990 -

7 $

1 582 $

 

iii)

1991 -

7 $

2 259 $

 

iv)

1992 -

7 $

6 929 $

 

v)

1993 -

8 $

7 927 $

 

vi)

1994 -

9 $

8 384 $

 

vii)

1995 -

9 $

12 086 $

 

viii)

1996 -

11 $

7 436 $

 

ix)

1997 -

15 443 $

7 098 $

242 $

x)

1998 -

23 876 $

3 524 $

(1 908 $)

xi)

1999 -

34 291 $

4 392 $

(17 334 $)

xii)

2000 -

33 384 $

4 300 $

 

 

h)         des dividendes imposables déclarés par l'appelant, ceux provenant de la société « Jacques Davis Lefaivre et Cie ltée » sont les suivants :

 

i)

2001 -

3 568 $

ii)

2000 -

32 865 $

iii)

1999 -

34 277 $

iv)

1998 -

23 636 $

 

i)          l'appelant, pendant la période de 1989 à 2000, a versé les sommes suivantes dans un régime enregistré d'épargne-retraite (REER) :

 

i)

1989 -

7 500 $

ii)

1990 -

7 500 $

iii)

1991 -

11 500 $

iv)

1992 -

12 500 $

v)

1993 -

12 500 $

vi)

1994 -

13 500 $

vii)

1995 -

14 500 $

viii)

1996 -

13 500 $

ix)

1997 -

13 210 $

x)

1998 -

12 784 $

xi)

1999 -

12 786 $

xii)

2000 -

13 442 $

 

j)          pour l'année d'imposition en litige, les pertes subies par l'appelant furent déclarées comme suit :

 

i)          à l'égard des ventes d'actions des sociétés « Bell Canada » et « Nortel », des pertes en capital totalisant une somme de 7 267 $ furent réclamées;

 

ii)         à l'égard des ventes d'actions des sociétés « Microcell Télecom inc. », « Telesystem International Wireless inc. » et « Memotec Communications inc. », des pertes d'entreprise totalisant une somme de 45 356 $ furent réclamées;

 

k)         les périodes de détention des actions à l'origine de la réclamation de pertes d'entreprise sont les suivantes :

 

i)

 

« Microcell Télecom inc. »

18 juin 2001 au 5 octobre 2001

ii)

« Telesystem International Wireless inc. »

 

28 juin 2000 au 5 octobre 2001

iii)

« Memotec Communications inc.»

5 octobre 2000 au 25 octobre 2001

 

l)          pour l'année d'imposition 2001, les facteurs suivants ont servi de critères pour refuser la perte d'entreprise réclamée :

 

i)          votre principale activité n'était pas de faire des transactions de valeurs mobilières,

 

ii)         l'appelant ne peut prétendre consacrer une partie importante de son temps à l'étude du marché des valeurs mobilières et à la recherche d'achats éventuels,

 

iii)         pour l'année en litige, 12 transactions seulement donnèrent naissance aux réclamations de toutes pertes confondues (pertes en capital et pertes d'entreprise).

 

14.       Pour maintenir la nouvelle cotisation datée du 3 mars 2003, à l'égard de l'année d'imposition 2001, le ministre a tenu notamment pour acquis les hypothèses de faits suivantes :

 

a)         pour déterminer si dans le cours normal des affaires l'appelant a exploité une entreprise, plusieurs facteurs sont à étudier :

 

i)          répétition de transactions semblables

 

l'appelant n'a effectué que 12 transactions boursières en 2001, cela ne représente pas un historique d'achats et de ventes intensifs;

 

ii)         période de détention

 

la période de détention varie de quatre (4) à quinze (15) mois, ce qui est relativement long pour des actions dites « spéculatives »;

 

iii)         connaissance des marchés des valeurs mobilières

 

l'appelant consulte des sites sur Internet, lit les nouvelles financières des journaux, s'informe auprès de diverses publications, et se renseigne auprès de la documentation que son courtier lui fait parvenir; cela ne fait pas de l'appelant un professionnel;

 

iv)        transactions de valeurs mobilières font partie des activités habituelles de l'appelant

 

l'appelant est le directeur du service de fiscalité d'un cabinet d'experts-comptables, les transactions boursières ne font pas partie des activités habituelles reliées à son travail;

 

v)         temps consacré

 

l'appelant a indiqué qu'il consacre environ vingt minutes par jour à l'étude du marché des valeurs mobilières et à la recherche d'achats éventuels;

 

b)         à l'égard de l'intention de l'appelant au moment d'acquérir les dites actions, toute personne achète et vend des actions avec l'intention de faire un profit, et l'achat de certaines actions dites spéculatives ne suffisent pas pour dire que le dit appelant s'est engagé dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial.

 

[5]     L'avis d'appel décrit les circonstances de fait des transactions qui sont en litige comme suit :

 

...

 

f)          Les sociétés m'étaient recommandées par mon courtier (et les analystes de sa firme) uniquement en raison de leur potentiel de croissance important et rapide. Aucun dividende n'était anticipé puisque les liquidités de ces sociétés devaient servir à leur développement. Par exemple, TIW et Microcell sont deux sociétés dont l'objectif était de bâtir un réseau pour fournir des services de téléphonie sans fil. Il s'agissait pour elles de concurrencer Bell Canada et d'autres grandes sociétés (nationales et internationales) dans le marché en pleine expansion des téléphones cellulaires.

 

...

 

j)          Aucun des trois titres vendus à perte en 2001 n'avait été acheté dans le but d'en tirer un revenu pendant sa détention et je n'ai reçu effectivement aucun revenu de ces titres. Pour les raisons mentionnées au paragraphe f), les sociétés en cause n'étaient pas en mesure de verser des dividendes puisqu'elles étaient en phase de développement. C'est d'ailleurs pourquoi elles présentaient un risque très élevé. D'ailleurs, TIW et Microcell ont eu de graves difficultés financières en raison du fait que les frais de développement de leurs réseaux avaient été grandement sous‑estimés par ces sociétés (et par les conseillers financiers). Quant à Memotec, ses actions ont été achetées par une société allemande.

 

...

 

m)        Ces trois titres ont été conservés pendant une période relativement courte : 15 mois et 3 mois pour TIW, 12 mois pour Memotec (dont plusieurs en raison de l'impossibilité de transiger les actions) et 3 mois pour Microcell. En fait, le même constat peut être fait pour la plupart des actions transigées dans mon compte hors-REÉR puisque j'ai conservé mes titres pendant environ 13 mois seulement en moyenne (9,5 mois si l'on exclut Sino‑Forest, BCE Emergis et BCE). Par exemple, dans le cas de Ciment St‑Laurent et de Cognicase, la période de détention a duré respectivement 4 jours et 113 jours. Certains autres titres ont été gardés un peu plus longtemps, soit parce qu'il n'était pas possible de les vendre plus tôt (ex. : Téléglobe et Mémotec), soit parce que mon courtier m'indiquait que la perte de valeur subie peu après l'acquisition était temporaire et qu'une remontée surviendrait « bientôt » (ex.: Bell Canada International, TIW et Microcell).

 

n)         L'achat des actions de TIW en 2000 (27 151 $) et de Memotec (12 149 $) a été presque totalement financé par la ligne de crédit autorisée par ma firme de courtage en 1998. Ces montants étaient élevés, surtout si l'on considère la valeur nette de mon portefeuille.

 

[6]     L'appelant a témoigné. Il a expliqué qu'en ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 13 a) de la Réponse, le bureau de comptable où il exerce sa profession à titre de directeur du service de la fiscalité comprend 40 comptables.

 

[7]     En ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 13 c) de la Réponse, l'appelant est chargé de cours à l'Université de Montréal, où il enseigne les principes de l'imposition, pour un trimestre, soit treize semaines de cours de trois heures par semaine. Il y a un examen à la fin du trimestre. Il y a une ou deux heures de préparation pour chaque cours.

 

[8]     En ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 13 e), l'appelant fait noter que les dividendes sont majorés à 125 p. 100, la perte en capital est mentionnée à 100 p. 100, les intérêts proviennent en grande partie des intérêts payés par le bureau sur sa mise de fonds de 35 000 $. Il en va de même pour les montants mentionnés aux alinéas 13 q) et 13 h).

 

[9]     L'appelant relate qu'il avait fait porter son choix de courtier sur une personne qui suivait une politique d'investissement entreprenante et vigoureuse et qui pouvait le conseiller en ce sens.

 

[10]    Il mentionne à l'égard de l'énoncé des alinéas 13 l)(iii) et 14 a)(i), que ce nombre de transactions n'est pas déterminant. Il faut aussi prendre en compte les transactions qu'il faisait dans son compte REER auto‑géré chez Wood Gundy. L'appelant a produit un état des transactions dans ce compte comme pièce A‑1. Depuis l'année où ce compte a été ouvert, soit l'année 1992, jusqu'à l'année 2001, il y a eu environ 200 transactions. Ainsi en l'année 2000, il y a en eu 44 et en l'année 2001, 23. Cette pièce A‑1 n'avait pas été montrée au vérificateur.

 

[11]    Il a produit comme pièces A‑4 et A-5, les fiches du courtier notant les renseignements sur le client. En ce qui concerne le fonds REER auto‑géré, les facteurs de risques sont indiqués à 25 p. 100 pour risque élevé et à 75 p. 100 pour risque moyen. En ce qui concerne le compte hors RÉER, où les pertes en question ont eu lieu, les facteurs de risque sont indiqués à 35 p. 100 pour le risque élevé et à 65 p. 100 pour le risque moyen. En ce qui concerne les indications concernant le type de compte, le compte REER est approvisionné par du comptant et par le REER lui-même, le compte hors RÉER est approvisionné par une marge de crédit. Dans ce dernier compte, l'objectif du placement était non des dividendes mais un accroissement de la valeur de l'action.

 

[12]    En ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 14 a)(ii), l'appelant dit que, pour certaines actions, il n'y avait pas de possibilité de transiger car les transactions avaient été arrêtées à leur égard, ce qui explique une période de détention d'un peu plus d'un an relativement à ces actions.

 

[13]    Il est d'accord avec l'énoncé de 14 a)(iii) bien qu'il soit d'avis qu'il n'est pas nécessaire d'être un professionnel pour agir avec une intention spéculative. Il s'appuie sur le paragraphe 39(4) qui prévoit le choix d'être imposé à titre de revenu de gain en capital pour toutes ses transactions mobilières et qui exclut spécifiquement les courtiers de son application. Il faut donc penser qu'une transaction puisse être de nature spéculative même si l'on n'est pas un courtier.

 

[14]    En ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 14 a)(iv), l'appelant soumet que, au contraire, dans un bureau de comptable agréé, les liens avec le monde financier et avec les gens d'affaires sont prédominants. Le temps consacré est plus long que celui indiqué par le Ministre à 14 a)(v), parce que, en plus, il écoutait les émissions concernant le marché des valeurs mobilières à la radio et à la télévision, et faisait la lecture des articles sur la bourse dans les journaux.

 

[15]    L'appelant fait valoir qu'il s'agit de déterminer l'intention du contribuable lors de l'achat. Il se rapporte à la décision Sydney Bossin v. The Queen, 76 DTC 6196, une décision du juge Collier de la Cour fédérale de première instance qui a considéré qu'une transaction isolée concernant des valeurs mobilières était une affaire de caractère commercial.

 

[16]    Le sommaire de cette décision se lit ainsi :

 

Le contribuable appelant, outre sa profession et son occupation régulières de comptable, a effectué diverses opérations commerciales touchant principalement des terrains. Il s’est rarement aventuré à la bourse. Cependant, en février 1969, certains de ses compagnons et lui‑même ont acquis des actions spéculatives au moyen d’un arrangement dans le cadre duquel le prix de l’acquisition leur a été prêté sous condition de remboursement une année plus tard, avec intérêts. Les actions ont perdu de la valeur et, confrontés à l’obligation de rembourser le prêt avec intérêts à la fin de l’année, le contribuable et ses compagnons ont vendu les actions à perte en février 1971. La part du contribuable dans les pertes se montait à 14 600 $, qu’il a cherché à déduire dans le calcul de son revenu. Le ministre a refusé la déduction au motif que les actions avaient été acquises à titre d’investissement et que la perte subie en était donc une en capital. Le contribuable a interjeté appel en prétendant que l’opération, bien qu’isolée, constituait une affaire de caractère commercial et que la perte était donc une perte déductible provenant d’une entreprise. En rejetant l’appel, la Commission (74 DTC 1231) a conclu que l’opération ne représentait pas une affaire de caractère commercial. Le contribuable a de nouveau interjeté appel.

 

Jugement : L’appel a été accueilli. Pour juger si une opération isolée constitue une affaire de caractère commercial, il est nécessaire de tenir compte de tous les facteurs et de peser leur valeur probante, l’un par rapport à l’autre. Ce critère doit être appliqué peu importe la nature de la marchandise visée par l’opération. En fait, le contribuable a effectué une opération isolée et la preuve démontre clairement qu’il s’agissait d’une affaire de caractère commercial. La perte était donc déductible.

 

[17]    L'appelant fait noter qu'il s'agissait dans cette affaire d'une transaction isolée comme c'était le cas dans l'affaire décidée par la Cour Suprême du Canada dans Irrigation Industries. Dans son propre cas, il y a de nombreuses transactions.

 

[18]    L'appelant s'est aussi référé à la décision du juge Beaubier de cette Cour dans Oakside Corporation Limited v. M.N.R. 91 DTC 328. Il fait valoir que similairement aux faits de cette affaire, son intention était l'acquisition d'actions ayant un grand potentiel de croissance mais à risque. Il ne recherchait pas le revenu de dividendes.

 

[19]    L'avocate de l'intimée s'est référée à la décision de la juge Campbell de cette Cour dans Goorah c. Canada, [2001] A.C.I. No. 301 (Q.L.) qui a décidé qu'une transaction boursière était de la nature du capital. L'avocate a cité le paragraphe 60 de cette décision, où la juge se rapporte à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Irrigation Industries Limited c. Le ministre du Revenu national, [1962] R.C.S. 346 :

 

60        Le juge Martland, dans l'affaire Irrigation Industries Ltd. v. M.N.R., a déclaré ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Il est difficile de concevoir un cas d'achat de titres dans lequel l'acheteur n'aurait pas au moins en partie l'intention de revendre ces derniers si leur valeur augmentait au point où leur vente paraîtrait financièrement souhaitable. Si tel est le cas, alors l'achat et la revente de titres doivent constituer un projet comportant un risque de caractère commercial, à moins que l'on n'essaie de vérifier si l'intention principale au moment de l'achat était de garder les titres ou de les vendre. Toutefois, il faut alors faire face à la difficulté mentionnée par mon collègue Cartwright : le régime d'imposition doit être déterminé par la recherche de l'intention subjective principale de l'acheteur au moment de l'achat.

 

Je ne peux pas admettre que la question de savoir si une transaction isolée sur des titres constitue un projet comportant un risque de caractère commercial puisse être tranchée selon ce seul critère. À mon avis, on ne peut pas dire qu'une personne qui place de l'argent dans une entreprise en achetant une seule fois des actions d'une compagnie, hors du cadre de ses activités habituelles, se soit engagée dans un projet comportant un risque de caractère commercial du simple fait que l'achat était spéculatif, parce qu'à ce moment-là elle n'avait pas l'intention de garder les actions indéfiniment, mais avait l'intention, si possible, de les revendre à profit dès que possible. Je pense qu'il faut plus d'éléments de nature « commerciale » qu'en l'espèce pour conclure qu'il s'agissait d'un projet comportant un risque de caractère commercial. [...]

 

Conclusion

 

[20]    Je me réfère à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Pollock c. Canada, [1993] A.C.F. No 1055 (Q.L.), qui a confirmé la décision du juge de première instance qui avait conclu à une activité de nature commerciale en raison surtout des nombreuses transactions. Cette Cour, au paragraphe 28 de sa décision a donné son assentiment aux propos du juge qui s'était ainsi exprimé à l'égard de la décision de la Cour suprême du Canada dans Irrigation Industries (supra) :

 

D'après moi, les faits de la présente affaire comportent suffisamment d'éléments de caractère commercial, ce  qui permet de la distinguer de l'affaire Irrigation Industries. Il est évident que la différence la plus frappante est le nombre de transactions auxquelles a participé le demandeur. Dans l'affaire Irrigation Industries, la Cour devait considérer une vente isolée et la vente ultérieure d'actions d'une société. Dans la présente affaire, je me trouve en face de nombreuses transactions relatives aux actions de quatre sociétés, étendues sur plusieurs années. J'ajoute foi à la déposition du demandeur selon laquelle il a exercé par étapes un grand nombre de ses options afin d'obtenir un financement nécessaire aux corporations et j'ajoute également foi à son explication de la fréquence des dispositions, soit que la situation du marché mettait parfois ses courtiers dans l'impossibilité de prendre des mesures pour procéder à la vente immédiate de gros paquets d'actions. Toutefois, la conclusion que le contribuable a participé à de nombreuses transactions d'actions de nature commerciale est irréfutable.

 

[21]    La Cour Suprême du Canada dans Irrigation Industries (supra) a affirmé que la seule intention spéculative ne suffit pas pour que les transactions dans les valeurs mobilières soient de la nature d'une entreprise. Il faut d'autres éléments d'une nature commerciale.

 

[22]    Il faut se rappeler que dans Irrigation Industries, il n'y avait eu qu'une transaction en cause. Ici, les transactions sont relativement nombreuses si l'on considère les deux comptes de l'appelant, ce qui peut constituer un indice de caractère commercial de l'activité. D'autres indices sont que, pour le compte concerné, l'appelant ne recherchait pas les dividendes mais l'accroissement de la valeur des actions. Le champ d'investissement était dans des sociétés de la technologie et de l'informatique. Les actions des sociétés de ce genre ayant déjà eu des accroissements fulgurants, c'est la répétition de ce phénomène qui était recherchée par l'appelant. Pour ce faire, il a risqué d'emprunter sur une marge de crédit. Il s'agit là d'un contexte d'investissement à risque.

 

[23]    La conduite de l'appelant manifeste aussi des caractéristiques d'une personne en entreprise. Il communique de façon constante avec son courtier qu'il a choisi pour ses méthodes d'achat à risque calculé. Il porte une attention quotidienne à la valeur de ses actions. Il surveille les cotes dans les journaux. Il prend tous les renseignements possibles concernant le domaine des valeurs mobilières. Il lit les écrits des commentateurs dans les journaux et dans les revues spécialisées et les écoute lorsqu'ils s'expriment à la radio ou à la télévision.

 

[24]    Je suis d'avis que, selon la prépondérance de la preuve, l'appelant a acquis les actions en cause pour des fins d'entreprise et non pas pour des fins de la nature du capital.


 

[25]    L'appel est en conséquence accordé.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin, 2004.

 

 

 « Louise Lamarre Proulx » 

Juge Lamarre Proulx


 

 

RÉFÉRENCE :

2004CCI453

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-3485(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Luc Massé et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 17 mai 2004

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

 

DATE DU JUGEMENT :

le 25 juin 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

 

Pour l'intimée :

Me Julie David

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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