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Dossier : 2003-4459(EI)

ENTRE :

MELITA F. BURSEY-MONGER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Camille Monger (2003-4461(EI)) le 3 juin 2004, à Sept-Îles (Québec).

Devant : L'honorable juge B. Paris

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Daniel Jouis

Avocate de l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'octobre 2004.

« B. Paris »

Juge Paris


Référence : 2004CCI673

Date : 20041029

Dossier : 2003-4459(EI)

ENTRE :

MELITA F. BURSEY-MONGER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]      L'appelante interjette appel de la décision rendue par le ministre du Revenu national selon laquelle l'emploi qu'elle a occupé chez Scierie Mécatina Inc. (le « payeur » ) du 30 août 1999 au 20 novembre 1999, du 13 novembre 2000 au 9 décembre 2000 et du 5 août 2002 au 9 novembre 2002 n'était pas un emploi assurable suivant l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) parce qu'elle avait un lien de dépendance avec le payeur. L'appelante était l'épouse de Marcel Monger. Ce dernier était, avec son frère Camille et sa soeur Mélanie, les seuls actionnaires du payeur.

[2]      Lorsqu'un employeur et un travailleur ont entre eux un lien de dépendance, le ministre doit, aux termes de l'alinéa 5(3)b) de la Loi, tenir compte de toutes les circonstances de l'emploi et décider s'il est raisonnable de conclure qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. En l'espèce, le ministre n'était pas convaincu que c'était le cas.

[3]      La seule question que cette Cour doit trancher en l'espèce est de savoir si la conclusion du ministre était raisonnable. À cette fin, je dois « vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, [...] décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable » [1].

[4]      Si j'estime que cette conclusion n'était pas raisonnable, je dois réexaminer toutes les circonstances de l'emploi afin de rendre la décision que le ministre devait rendre en application de l'alinéa 5(3)b).

[5]      L'appel a été entendu sur preuve commune avec l'appel de Camille Monger.

[6]      Les faits sur lesquels le ministre s'est appuyé sont exposés au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel. Je me propose de reproduire les énoncés de fait et d'examiner la preuve se rapportant à chacun d'eux.

a)          Le payeur exploite une scierie, fait de la coupe de bois et s'occupe d'entretien de sentiers de motoneiges;

[7]      Ce fait n'a pas été contesté. La preuve a démontré qu'à l'automne 1998 le payeur a obtenu du ministère des Transports du Québec deux contrats pour l'entretien d'un total d'environ 400 kilomètres de sentiers de motoneige reliant plusieurs petits villages dans la région de Tête-à-la-Baleine où habitait l'appelante. Les deux contrats ont été exécutés simultanément pendant trois hivers. Le payeur a soumissionné relativement au même travail pour la période subséquente commençant en 2001, mais sa soumission n'a pas été prise en considération à cause d'une erreur concernant le dépôt qui devait l'accompagner.

b)          la coupe de bois et l'entretien des sentiers ne se font que durant l'hiver et la scierie ne fonctionne que par intermittente en fonction de la demande;

[8]      Ces faits n'ont pas été contestés, sauf pour ce qui est des activités de la scierie. Il semble que deux employés ont fait fonctionner celle-ci durant 14 semaines continues au cours des hivers 1999-2000 et 2000-2001. C'est Camille Monger qui a fait fonctionner la scierie, quoique de façon limitée, pendant l'hiver 2001-2002.

c)          le payeur possède 2 moulins à scie, 2 motoneiges « Alpin » , 8 motoneiges « white track » des grattes et des traîneaux pour le transport des billots;

[9]      Ce fait n'a pas été contesté.

d)          la place d'affaires du payeur était située dans la résidence personnelle de Jules et Nicole Monger, parents des 3 actionnaires du payeur, à Tête-à-la-Baleine;

[10]     Ce fait n'a pas été contesté.

e)          durant les périodes de 1999 et 2000, l'appelante s'occupait d'une partie de la comptabilité, prenait les commandes, faisait du ramassage au moulin et répondait au téléphone;

[11]     Ces faits sont véridiques pour ce qui est de la période pendant laquelle l'appelante a travaillé en 1999. Au cours de la même période, l'appelante a également conçu un logo pour le payeur et crée un dépliant publicitaire dont elle a fait distribuer 3 000 exemplaires dans les villages avoisinants. Elle a dit qu'elle ne s'était pas occupée de la comptabilité en 2000. Elle a expliqué que, lorsqu'elle recevait une commande de bois, elle se rendait de la ville à la scierie (environ 16 kilomètres), chargeait le bois sur le camion et le transportait jusqu'au quai de la ville, d'où il était expédié au client par bateau. Elle a aussi nettoyé la scierie et transporté les déchets au dépotoir au cours de ses périodes d'emploi en 1999 et en 2000.

f)           durant la période en 2002, l'appelante a surtout travaillé à la préparation du dossier concernant une poursuite contre une caisse populaire et elle répondait occasionnellement au téléphone;

[12]     L'appelante a indiqué qu'en plus des tâches mentionnées ci-dessus elle en accomplissait d'autres, soit : tenir les livres du payeur et recevoir et exécuter les commandes de bois. La poursuite intentée contre la caisse populaire avait trait à la perte du contrat d'entretien des sentiers de motoneige. L'appelante a rassemblé les renseignements et les documents qui étaient nécessaires aux fins de cette poursuite et a photocopié des dossiers que le payeur avait en sa possession.

g)          l'appelante travaillait à la place d'affaires du payeur et utilisait les équipements de ce dernier;

[13]     Cela a été admis.

h)          l'appelante n'avait aucun horaire de travail à respecter et ses heures n'étaient pas comptabilisées par le payeur;

[14]     La preuve n'indiquait pas que le payeur imposait un horaire fixe à l'appelante ou que les heures de travail de cette dernière étaient consignées quelque part. L'appelante a indiqué qu'elle travaillait du lundi au samedi, à compter de 8 h.

i)           durant les périodes où elle était inscrite au journal des salaires du payeur, l'appelante est la seule employée du payeur;

[15]     Aucun élément de preuve démontrant le contraire n'a été présenté.

j)           l'appelante prétend qu'elle aurait été embauchée par le payeur suite à l'augmentation de travail en comptabilité généré par l'octroi des contrats de déneigement des sentiers de motoneiges alors que l'appelante n'était pas au travail durant les mois d'hiver;

[16]     L'appelante n'a pas été interrogée à l'audience au sujet de cette déclaration concernant l'augmentation du volume de travail de comptabilité occasionnée par les contrats d'entretien des sentiers de motoneige. La preuve a démontré que le travail n'a débuté, relativement à ces contrats, qu'après la mise à pied de l'appelante en 1999 et en 2000.

k)          l'appelante prétend que, pour les périodes où elle était inscrite au journal des salaires du payeur, elle travaillait 50 heures par semaine alors que ses heures n'étaient pas comptabilisées par le payeur;

[17]     En plus de la preuve mentionnée relativement à l'alinéa h) ci-dessus, il y a le témoignage de l'appelante qu'elle travaillait 50 heures par semaine pour le payeur.

l)           l'appelante prétend que, la plupart du temps, il y avait une autre personne avec elle au bureau alors que, pour chacune des périodes en litige, elle était la seule personne inscrite au journal des salaires du payeur;

[18]     Quoiqu'elle ait fait une telle déclaration à l'agente des appels, on ne sait pas si l'appelante parlait de la présence d'un autre travailleur du payeur dans le bureau de ce dernier ou de la présence d'un autre membre de la famille Monger. De toute façon, il est clair qu'aucun autre travailleur n'était inscrit au journal des salaires du payeur lorsque l'appelante travaillait.

m)         en 1999, l'appelante recevait 700 $ par semaine pour prétendument 50 heures, en 2000, elle en recevait 600 $ et en 2002, elle en recevait 725 $ et ce, sans égard aux heures réellement travaillées;

[19]     L'appelante a reconnu qu'elle avait reçu ces sommes. Comme il est indiqué ci-dessus, elle a dit qu'elle travaillait 50 heures par semaine pour ces montants de salaire.

n)          l'appelante était inscrite au journal des salaires du payeur uniquement le nombre d'heures nécessaires pour être admissible aux prestations de chômage;

[20]     Il a été démontré que cela était vrai pour ce qui est des périodes d'emploi de 1999 et de 2002. En 2000, l'appelante a d'abord travaillé 10 semaines pour un autre employeur et ensuite 4 semaines pour le payeur. Grâce aux semaines travaillées pour le payeur, l'appelante avait exactement le nombre d'heures requis pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi.

o)          les périodes d'emploi de l'appelante et le nombre d'heures prétendument travaillées ne coïncident pas avec les besoins de l'entreprise du payeur mais avec les besoins de l'appelante pour se qualifier aux prestations d'assurance-emploi.

[21]     L'appelante n'a produit aucun élément de preuve concernant le rapport existant entre ses périodes d'emploi et les activités commerciales du payeur, et aucun représentant du payeur n'a été appelé comme témoin.

[22]     L'agente des appels a indiqué dans son témoignage qu'elle avait obtenu le chiffre de ventes indiqué par le payeur dans ses déclarations trimestrielles de TPS de 1999 à 2002. Ces chiffres figurent dans son rapport qu'elle a produit sous la cote R-3. Elle a cependant reconnu qu'elle ignorait quand le payeur facturait les ventes de bois, de sorte qu'il n'était pas possible d'établir une corrélation entre les ventes déclarées aux fins de la TPS et les activités commerciales réelles du payeur.

[23]     L'intimé a voulu produire en preuve des conversations entre l'agente des appels et Mélanie Monger, qui représentait à ce stade-là le payeur, mais cette preuve a été jugée irrecevable parce qu'il s'agissait de ouï-dire.

Faits additionnels

[24]     Je dois également tenir compte de tout fait additionnel n'ayant pas été considéré par le ministre qui démontrerait le caractère raisonnable ou déraisonnable de la conclusion à laquelle ce dernier est arrivé relativement à l'emploi de l'appelante.

[25]     L'intimé fait également l'allégation suivante dans la réponse à l'avis d'appel :

L'appelante prétend qu'elle consacrait 25 heures par semaine à la comptabilité alors que, durant les périodes en litige, le payeur n'avait aucune activité économique.

[26]     Ce fait vient s'ajouter à ceux que le ministre a tenus pour acquis au moment où il a rendu sa décision et il incombe donc à l'intimé de prouver ce fait nouveau. Comme je l'ai dit précédemment, aucune preuve de l'intensité des activités commerciales du payeur pendant une période donnée n'a été présentée à la Cour. Je conclus en conséquence que ce fait nouveau n'a pas été prouvé.

[27]     Dans son témoignage, l'appelante a dit également qu'elle a travaillé pendant les périodes en 1999 qui sont en cause parce qu'il n'y avait personne d'autre qui parlait anglais. La population de la plupart des villages autour de Tête-à-la-Baleine étant anglophone, le payeur devait offrir des services en anglais aux clients de ces villages.

[28]     L'appelante a dit aussi qu'elle a été mise à pied en 1999 et en 2000 parce qu'elle était enceinte. Elle a donné naissance à un premier fils le 16 juin 2000 et à un deuxième le 14 août 2001.

Analyse

[29]     Selon l'avocat de l'appelante, le ministre a omis de tenir compte de certains aspects pertinents de l'emploi que l'appelante exerçait auprès du payeur. D'après l'avocat, le ministre n'a pas reconnu que le payeur avait besoin d'un travailleur anglophone pour s'occuper des commandes venant des villages voisins et pour produire des dépliants publicitaires en anglais. L'avocat a dit aussi que le ministre n'a pas tenu compte du fait que l'appelante avait dû quitter son emploi auprès du payeur en 1999 et en 2000 parce qu'elle était enceinte (et non simplement parce qu'elle avait travaillé un nombre d'heures suffisant pour recevoir des prestations). Finalement, il a fait valoir que la preuve relative aux déclarations de TPS produites par l'appelante n'appuyait pas nécessairement l'assertion que l'entreprise du payeur tournait au ralenti pendant la période durant laquelle l'appelante a travaillé.

[30]     Je conviens, certes, que les deux premiers facteurs invoqués par l'avocat de l'appelante n'ont pas été pris en compte par le ministre lorsqu'il a rendu sa décision, et que les renseignements relatifs à la TPS n'ont pas été interprétés correctement, mais ces défauts ne rendent pas déraisonnable la décision finalement prise.

[31]     Lorsqu'on décide si des personnes n'ayant entre elles aucun lien de dépendance auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable à celui passé en l'espèce entre l'appelante et le payeur, il faut accorder une grande importance à la question de savoir si l'emploi répond à un réel besoin économique du payeur. En l'espèce, le ministre a tenu pour acquis précisément que l'emploi de l'appelante ne coïncidait pas avec les besoins du payeur. Il incombe donc à l'appelante de démontrer soit que le ministre a commis une erreur en s'appuyant sur ce fait ou que celui-ci n'était pas véridique. L'appelante ne s'est pas acquittée de cette charge.

[32]     En fait, la preuve produite tend à étayer la thèse de l'intimé. Cette preuve démontre que l'appelante a travaillé seulement durant des périodes où le payeur n'avait pas d'autres employés et que le payeur n'a pas jugé nécessaire d'embaucher quelqu'un pour la remplacer malgré le fait que les activités de son entreprise se poursuivaient sans interruption. Le payeur a donc été en mesure de fonctionner la plupart du temps, de 1999 à 2002, sans travailleur anglophone, et sans aucun travailleur en 2001, pour exercer les fonctions assignées à l'appelante dans les autres années.

[33]     Le fait que le payeur n'a pas remplacé l'appelante n'a pas été expliqué, mais il est clair que ce n'était pas à cause de la nature saisonnière de son entreprise. L'emploi de l'appelante n'a jamais coïncidé avec les périodes de plus grande activité du payeur. Ces facteurs portent fortement à croire que l'emploi de l'appelante avait principalement pour but de lui donner droit aux prestations d'assurance-emploi et non de répondre aux besoins réels de l'entreprise du payeur. Je ne doute pas que l'appelante a effectivement travaillé pour le payeur, mais j'estime qu'il est raisonnable de conclure que le payeur n'aurait pas rémunéré une personne avec laquelle il n'avait pas de lien de dépendance pour faire le même travail que l'appelante aux mêmes conditions.

[34]     Pour ces motifs, donc, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'octobre 2004.

« B. Paris »

Juge Paris


RÉFÉRENCE :

2004CCI673

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-4459(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Melita F. Bursey-Monger et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sept-Îles (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 3 juin 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

le 29 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Daniel Jouis

Pour l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Daniel Jouis

Étude :

Jouis Tremblay Lapierre

Sept-Îles (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Selon le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 (Q.L.), paragraphe 4.

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