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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 2004-3600(EI)

ENTRE :

 

TRACY WILLCOTT S/N SANDLEWOOD ESTHETICS,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

 

Appel entendu à Edmonton (Alberta), le 24 mai 2005

 

Devant : L'honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

 

Représentante de l'appelante :

Brook Mishna

 

Avocate de l'intimé :

Me Galina Bining

 

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 13e jour de juillet 2005.

 

 

D.W. Rowe

 Le juge suppléant Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de février 2006

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Référence : 2005CCI428

Date : 20050713

Dossier : 2004-3600(EI)

ENTRE :

 

TRACY WILLCOTT S/N SANDLEWOOD ESTHETICS,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]     L'appelante a interjeté appel d'une décision, datée du 21 juin 2004, par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a décidé que l'emploi que Jolene Short (« Mme Short ») a exercé auprès de l'appelante (« Mme Willcott ») du 1er janvier au 31 août 2003 était assurable parce que Mme Short fournissait des services qu'offre normalement un salon de coiffure et qu'elle n'était ni la propriétaire ni l'exploitante de cet établissement. Le ministre s'est fondé sur l'alinéa 6d) du Règlement sur l'assurance-emploi (le « Règlement ») pris en application des dispositions applicables de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi »).

 

[2]     Tracy Willcott a témoigné qu'elle exploite, depuis cinq ans, une entreprise connue sous le nom de Sandlewood Esthetics and Massage Therapy (« Sandlewood ») où elle fournit à la clientèle divers services, dont des soins du visage, des massages, des manucures, des soins des pieds, des épilations et la pose d'ongles. Durant la période en cause, l'entreprise était exploitée à partir d'une ancienne résidence appartenant à celui qui, à l'époque, était son petit ami – il est aujourd'hui son époux – et les services initialement offerts aux clientes n'incluaient pas la coiffure. Madame Willcott a affirmé que Mme Short était une cliente de Sandlewood; un jour, pendant que Mme Willcott lui faisait les ongles, les deux ont engagé une discussion à la suite de laquelle Mme Short a convenu d'occuper un petit espace dans les installations louées par Mme Willcott en vue d'offrir au public des services de coiffure. Madame Short détenait son propre permis d'exploitation d'une entreprise et, contrairement à Mme Willcott, elle était qualifiée pour offrir des services de coiffure. Cependant, elle n'était pas autorisée à effectuer des massages ou des manucures, ou à fournir des services de pose d'ongles. L'ancienne cuisine de la maison était dotée d'un évier approprié, de sorte qu'avec l'ajout d'un fauteuil de coiffure et de quelques autres articles, l'endroit convenait à l'aménagement d'un petit salon de coiffure. Selon la description que Mme Willcott en a faite, les installations de Sandlewood étaient munies d'une porte avant et d'une porte arrière – menant à une aire de stationnement – ainsi que d'une zone d'accueil, près de l'avant. Le local de coiffure était situé à l'arrière, et un escalier menait à un étage inférieur comportant des lits de bronzage, une douche et un local à bains de vapeur. Selon l'entente conclue par les deux, Mme Short devait payer un loyer de 250 $ par mois, mais après une brève période ce montant est passé à 400 $, et ensuite à 460 $. D'autres fournisseurs de services louaient également de l'espace de l'appelante et payaient un montant qui dépendait de l'utilisation qu'ils faisaient des installations générales ainsi que de l'espace précis qu'occupait leur propre entreprise. Madame Willcott a dit qu'au cours des discussions avec Mme Short, il était clair dans l'esprit des deux que cette dernière serait une exploitante indépendante, libre d'exploiter son entreprise comme elle le jugeait bon et de fixer ses propres tarifs. En outre, Mme Short devait faire ses propres versements d'impôt sur le revenu et de cotisations au Régime de pensions du Canada (RPC). Madame Short avait sa propre caisse et, a dit Mme Willcott, lorsqu'un client payait en argent comptant ou par chèque, elle n'en savait rien. Cependant, lorsque Mme Short était payée au moyen d'une carte de crédit ou de débit, elle se servait du terminal de débit de Sandlewood, comme le faisaient d'autres locataires, afin d'économiser les frais de service. Madame Willcott a expliqué qu'il n'était pas difficile de séparer les bordereaux de crédit ou de débit liés à Mme Short ou à un autre fournisseur de services; elle totalisait les montants – aux deux semaines, habituellement – et établissait un chèque, tiré sur le compte de Sandlewood, au nom de Mme Short ou d'autres locataires afin de payer les montants qui leur étaient dus pour avoir servi leurs propres clientes. À la fin de chaque mois, Mme Short établissait un chèque payable à Sandlewood pour payer le loyer du mois suivant. En plus de couper les cheveux, Mme Short vendait des produits capillaires au détail, des articles en céramique et des objets artisanaux dans l'espace qu'elle occupait, et elle se servait de ses propres outils, matériel et fournitures. Sandlewood avait une seule ligne téléphonique. Madame Willcott s'occupait des soins du visage, des manucures et des soins des pieds; Mme Short était la coiffeuse et, de temps à autre, des personnes différentes fournissaient des services de bronzage, de réflexologie plantaire ou de massage. Madame Willcott a dit qu'elle prenait en charge, dans le montant de loyer global, la totalité des commissions et des frais de banque ou de carte de crédit attribuables à l'utilisation du terminal de débit; le montant que cela représentait est l'une des raisons pour lesquelles le loyer de Mme Short avait été majoré de 60 $ de plus. Selon l'appelante, Mme Short prenait congé quand elle le voulait, mais elle se conformait aux heures d'ouverture de Sandlewood, lesquelles étaient annoncées sur un écriteau fixé à la porte avant, qui indiquait que l'établissement offrait des services de coiffure. Au début, quand Mme Short a loué son espace de travail, elle utilisait un panneau portant la mention « Hair by Jolene » (« Coiffure par Jolene »), mais ce dernier a disparu lorsque Sandlewood a obtenu une nouvelle enseigne où le nom de Mme Short était inscrit parmi celui des fournisseurs de services membres du groupe Sandlewood. Quand Sandlewood faisait de la publicité et de la promotion, Mme Short et les autres locataires contribuaient au coût de cela. Le téléphone était situé non loin de l'espace de travail de Mme Short et, lorsque celle-ci décrochait l'appareil, elle répondait : « Sandlewood ». Madame Willcott s'est dite surprise de recevoir la cotisation du ministre concernant Mme Short, car il avait toujours été clair dès le départ, dans l'esprit des deux intéressées, que Mme Short exploiterait sa propre entreprise indépendante et n'était qu'une simple locataire au sein des installations qui contribuaient à remplir la fonction générale de Sandlewood : servir de centre holistique.

 

[3]     En contre-interrogatoire, Mme Willcott a confirmé qu'elle était la seule signataire inscrite au compte commercial de Sandlewood. Elle a identifié une liste de prix et une brochure – pièce R‑1 – où figuraient les tarifs de Mme Short pour couper les cheveux ou fournir d'autres services (shampooing et mise en plis, coloration, traitement des cheveux, etc.) ainsi que d'autres tarifs liés aux services fournis par les autres personnes travaillant chez Sandlewood, y compris les soins des mains et des pieds, les ongles, les soins du visage, l'épilation, le bronzage, et les massages relaxants et thérapeutiques. Madame Willcott a identifié une photocopie – pièce R‑2 – des cartes d'affaires que Mme Short et elle, ainsi qu'une autre locataire, remettaient à la clientèle. Selon la carte, Sandlewood était un [TRADUCTION] « Salon à service complet » et, à la troisième ligne, la mention [TRADUCTION] « Coiffure » indiquait qu'il s'agissait de l'un des services offerts. Mme Willcott a dit que Mme Short et elle, ainsi qu'une autre fournisseur de services, Bonnie, supportaient ensemble le coût de la promotion d'un ensemble de services offerts à la clientèle, et elle a reconnu qu'une feuille – pièce R‑3 – était un exemple d'une campagne de promotion conjointe conçue par Mme Short, qui avait également créé l'invitation – pièce R-4 – à une séance « portes ouvertes » au centre Sandlewood. Madame Willcott a souscrit à l'observation de l'avocate selon laquelle une personne qui se présentait pour la première fois sur les lieux présumerait que Mme Short faisait partie de l'entreprise de Sandlewood. Les clientes étaient accueillies dans la zone d'accueil, soit par l'appelante, soit par Bonnie. Madame Willcott a ajouté qu'elle établissait – sur demande – un chèque au nom de Mme Short ou de Bonnie, et que la période variait d'une semaine à un mois. À un certain moment, à l'époque où Mme Short ne payait qu'un loyer de 250 $ par mois, celle-ci avait voulu embaucher une autre coiffeuse, mais elle n'avait pas donné suite à ce projet car elle était devenue enceinte et, pour des raisons de santé et de sécurité, on lui avait conseillé de ne pas continuer à travailler comme coiffeuse. Madame Willcott a convenu que Mme Short n'avait pas de ligne téléphonique ou de numéro distincts de ceux de Sandlewood. En ce qui concerne l'espace réservé à la coiffure, une porte séparait cet endroit de la zone d'accueil; Mme Willcott a expliqué que si l'une des clientes de Mme Short garait son véhicule à l'arrière, entrait dans l'établissement par la porte arrière, se faisait couper les cheveux ou obtenait un autre service et payait soit en argent comptant, soit par chèque, il se pouvait qu'elle n'en sache rien.

 

[4]     Réinterrogée par sa représentante, Mme Willcott a dit que la liste de prix – pièce R‑1 – avait pour but d'éviter d'embrouiller les clientes de Sandlewood en leur offrant trois feuilles de prix séparées. En outre, les trois voulaient mousser leurs activités réciproques en prenant part à un programme de forfaits qui offrait à la clientèle un éventail complet de services pouvant s'étendre sur une période prolongée, peut-être une demi-journée ou plus. L'appelante a dit qu'elle vendait dans son propre espace de travail des bibelots, de la bijouterie de fantaisie et des chandelles en gel. Au sujet des travaux de nettoyage et de mise en ordre, Mme Willcott a dit que Mme Short, Bonnie et elle ou, avant cela, une ou plusieurs des autres locataires s'occupaient ensemble du nettoyage des zones communes, suivant les besoins, et se chargeaient chacune de leur propre espace de travail. Madame Willcott a dit avoir informé Mme Short qu'il allait falloir hausser le loyer si l'on embauchait une autre coiffeuse parce que cela ferait augmenter les frais généraux, y compris ceux qui étaient liés à l'utilisation du terminal de débit ou à l'acceptation de cartes de crédit pour le paiement des services.

 

[5]     Jolene Short a témoigné qu'elle se faisait faire les ongles par Mme Willcott quand l'appelante lui a dit qu'elle était à la recherche d'une coiffeuse. Environ six semaines plus tard, en juillet 2002, Mme Short a déménagé son entreprise de coiffure à Sandlewood et a commencé à offrir ses services à cet endroit-là. Elle avait son propre matériel, ses propres outils de travail et ses propres produits de détail. En mars 2003, on l'a informée qu'il était nécessaire d'augmenter le loyer et, après discussion, elle a convenu de payer la somme de 460 $ par mois. Madame Short a reconnu que lorsqu'une cliente la payait en argent comptant ou par chèque, elle conservait simplement les fonds. Ce n'est que s'il fallait utiliser le terminal de débit qu'entrait en scène Mme Willcott, qui calculait le montant à lui payer en passant en revue les bordereaux et en établissant par la suite un chèque, deux fois par mois. Le montant accumulé de paiements ou de débits était toujours suffisant pour régler le loyer de Mme Short. Cette dernière a confirmé qu'elle utilisait la ligne téléphonique et le cahier de rendez-vous de Sandlewood, et elle a ajouté que la porte séparant sa zone de travail du reste du rez‑de‑chaussée était habituellement fermée, mais pas verrouillée lorsqu'une cliente était assise dans le fauteuil. Madame Short a ajouté qu'elle était libre de fixer ses propres heures de travail, mais que Mme Willcott voulait qu'elle soit disponible pour fournir des services de coiffure dans le cadre des forfaits vendus à des clientes grâce à la campagne de promotion conjointe de Sandlewood en tant que spa à service complet.

 

[6]     En contre-interrogatoire, Mme Short a dit que, d'après ce qu'elle avait compris, elle exploiterait sa propre entreprise de coiffure chez Sandlewood et elle serait chargée de verser ses propres cotisations à la Commission des accidents du travail et au RPC. Madame Willcott avait fait installer un évier approprié dans l'espace réservé à la coiffure, mais c'est Mme Short qui avait fourni ou fait installer une table, un miroir, un fauteuil et les outils et le matériel ordinaires. Madame Short exerçait le métier de coiffeuse depuis 11 ans et la plupart de ses anciennes clientes l'avaient suivie chez Sandlewood. En plus d'être qualifiée pour couper les cheveux, elle avait suivi une formation de cosmétologue d'une durée de 1 400 heures et détenait un permis provincial ainsi qu'un permis délivré par la ville d'Edmonton. Elle était habilitée à offrir l'éventail complet de services esthétiques, mais avait décidé de restreindre ses activités aux services que l'on associe en général à la coiffure. Madame Short a dit qu'elle faisait le suivi des paiements traités par le terminal de débit et estimait que ces derniers équivalaient à 80 % de l'ensemble de ses recettes. La totalisation que Mme Willcott effectuait était une tâche simple, car chaque fournisseur de services travaillant chez Sandlewood avait un code d'identification différent pour les paiements faits par carte de débit ou de crédit. Madame Short a reconnu que Mme Willcott ne pouvait pas savoir quelle était l'ampleur de ses recettes ou l'état de ses résultats pour une période quelconque. En plus de couper les cheveux et de vendre des produits capillaires, Mme Short vendait des articles d'artisanat et de menus objets décoratifs et elle exploitait, avec Mme Willcott et Bonnie, un petit salon de thé dans la zone d'accueil. Les clientes qui voulaient se rendre à la zone des soins esthétiques devaient traverser l'espace de coiffure. Madame Short avait fait peindre la mention « Hair by Jolene » sur la vitre avant, mais elle s'identifiait généralement comme « coiffeuse chez Sandlewood ». Lorsqu'elle prenait des vacances – deux semaines, d'habitude – elle le faisait savoir à Mme Willcott et à Bonnie, car personne d'autre chez Sandlewood n'était qualifié pour fournir des services de coiffure. Au départ, Mme Short voulait conclure un bail écrit et elle avait établi et signé une ébauche d'entente – pièce A‑1 – mais Mme Willcott ne l'avait pas signée. Madame Short a dit qu'au cours de sa carrière, lorsqu'elle travaillait dans un salon ou un établissement spécialisé en coupes de cheveux et en mises en plis – principalement – les cotisations d'assurance-emploi (AE) étaient déduites de sa rémunération.

 

[7]     En réinterrogatoire, Mme Short a dit que la plupart de ses clientes entraient dans l'établissement par la porte avant et traversaient la zone d'accueil pour se rendre à l'espace qu'elle occupait à l'arrière.

 

[8]     La représentante de l'appelante a fait valoir que le ministre a accepté que Mme Short était une entrepreneuse indépendante, mais il a décidé que celle-ci exerçait un emploi assurable aux termes de l'alinéa 6d) du Règlement. La représentante a ajouté que la preuve n'étayait pas l'opinion selon laquelle Sandlewood était un salon de coiffure dans le sens ordinaire du terme, car il s'agissait d'un spa à service complet qui n'offrait pas de services de coiffure avant que Mme Short devienne locataire. La représentante a soutenu qu'en l'espèce, la situation de fait ne se comparait pas à celles des causes dans lesquelles des coiffeurs louaient un fauteuil dans un salon de grande envergure et où il avait été statué qu'ils exerçaient un emploi assurable aux termes dudit alinéa. D'après la preuve, selon elle, l'appelante, Mme Short et Bonnie ou – avant elle – d'autres fournisseurs de services travaillant chez Sandlewood tentaient à la fois d'augmenter au maximum la présentation de leurs services à la clientèle et de réduire le plus possible les frais engagés en partageant l'espace de travail, les appareils téléphoniques, les cahiers de rendez-vous, les panneaux et les enseignes, la publicité et le terminal de débit. En ce sens, a-t-elle fait valoir, Sandlewood n'était pas « un salon de barbier ou de coiffure », car cette entité commerciale avait pour objet principal d'offrir un large éventail d'autres services. La représentante de l'appelante a ajouté que, même s'il était vrai que l'établissement correspondait à cette définition, on pouvait raisonnablement conclure que jamais le législateur n'avait envisagé que l'alinéa 6d) du Règlement s'applique dans ces circonstances et qu'il fallait considérer Mme Short non seulement comme une entrepreneuse indépendante, mais aussi comme une personne qui était soit la propriétaire, soit l'exploitante de son propre établissement autonome au sein de l'entreprise générale, Sandlewood, qui était exploitée dans les locaux que louait Mme Willcott.

 

[9]     L'avocate de l'intimé a fait valoir que Sandlewood était un établissement qui offrait des services normalement offerts dans un tel établissement, comme l'indique l'alinéa 6d), et que l'ampleur de la participation de Mme Short aux activités de Mme Willcott et de Bonnie était telle qu'elle faisait partie intégrante des activités liées à la promotion du nom Sandlewood dans le cadre d'une stratégie de mise en marché conjointe. L'avocate a fait remarquer qu'il y avait toujours de l'argent qui était dû à Mme Short parce que ses clientes payaient ses services au moyen du terminal de débit et que les fonds étaient déposés par voie électronique dans le compte de Sandlewood, dont l'appelante était l'unique signataire. Madame Willcott était donc en mesure de déduire les cotisations d'AE comme elle le faisait pour le loyer mensuel avant de payer à Mme Short, par chèque, le montant net. L'avocate a admis que la disposition en litige en l'espèce ne tenait pas dûment compte des tendances récentes que l'on note dans le secteur de la petite entreprise relativement au partage de l'espace de travail et des coûts, mais, a-t-elle fait valoir, le libellé de la disposition n'exige pas que la fourniture de services de coiffure soit l'élément principal ou premier de l'entreprise de l'établissement.

 

[10]    La disposition applicable du Règlement est libellée comme suit :

 

6. Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

 

[...]

 

dl'emploi exercé par une personne auprès d'un salon de barbier ou de coiffure, si :

 

(i) d'une part, elle fournit des services qu'offre normalement un tel établissement,

 

(ii) d'autre part, elle n'est pas le propriétaire ni l'exploitant de cet établissement;

 

[...]

 

[11]    Dans l'arrêt La Reine c. Nelson, [2001] A.C.F. no 700, 2001 CAF 131, dossier A‑372‑00, la Cour d'appel fédérale a statué que, dans un salon de coiffure, les locataires de fauteuil qui ne fournissaient aucun service aux propriétaires de l'établissement exerçaient néanmoins un emploi visé à l'alinéa 5(4)c) de la Loi et tombaient sous le coup de l'alinéa 6d) du Règlement, et que les propriétaires auraient dû retenir les cotisations d'AE même s'ils n'avaient aucun moyen de retenir des fonds à cette fin. Au paragraphe 21 de ses motifs, le juge Sharlow a dit ce qui suit :

 

[21]      Toutefois, lorsque le législateur fédéral a donné à la Commission le pouvoir d'étendre la portée de la loi aux travailleurs non employés en vertu d'un contrat de louage de services, il était sûrement conscient du fait que, dans certaines situations, il n'y aurait pas de circulation de fonds entre les propriétaires de l'établissement et les assurés permettant l'utilisation de la procédure normale de retenue et de versement. Cette lacune sur le plan des méthodes a été résolue en permettant la prise de règlements additionnels imposant aux propriétaires de tels établissements une obligation indépendante de payer les cotisations ouvrières en leur laissant censément le soin d'établir une méthode qui leur permette de recouvrer les cotisations ouvrières auprès des assurés.

 

[12]    Dans l'arrêt Nelson, il était clair que l'établissement était un « salon de barbier ou de coiffure » au sens de l'alinéa 6d) du Règlement. La décision E & S Tresses Ltd. c. Ministre du Revenu national, C.C.I., no 97‑757(UI), 3 novembre 1998, [1998] A.C.I. no 1014, concernait l'alinéa 12d) du Règlement, soit la disposition antérieure à l'alinéa 6d) qui est en litige en l'espèce. Il est important de reproduire le libellé de l'ancienne disposition car il y a, dans la version actuellement en vigueur, quelques différences qui, selon l'appelante, ont une incidence importante sur la juste façon de l'interpréter. Le texte de l'ancienne disposition est le suivant :

 

12d) l'emploi exercé par une personne dont les fonctions se rattachent à un salon de coiffure ou à un tel établissement et qui

 

(i) fournit des services qu'offre normalement un tel établissement, et

 

(ii) n'est pas le propriétaire d'un tel établissement;

 

[13]    Dans la décision E & S Tresses, le juge suppléant Porter était saisi de l'appel d'une entreprise qui avait établi une relation avec certains coiffeurs. Le juge Porter a statué que chaque coiffeur exécutait une activité commerciale rattachée à un salon de coiffure et que chacun fournissait des services qu'offre normalement un tel établissement. Cependant, le point en litige avait trait à la question de savoir si l'une quelconque ou la totalité de ces personnes étaient « le propriétaire d'un tel établissement » et s'il existait, au sein du lieu physique général, un ou plusieurs « salons de coiffure ». À partir du paragraphe 21 de ses motifs, le juge Porter a conclu que les faits étaient les suivants :

 

[21]      Les actions de la compagnie appelante étaient détenues à 50 p. 100 par M. Rupert Engen et à 50 p. 100 par Francesco's Hair Design Ltd. Les actionnaires de cette dernière compagnie étaient MM. Pat Spadafora et Frank Spadafora. La compagnie était propriétaire de l'immeuble où les activités de coiffure avaient lieu. Au cours des années antérieures à 1990, la compagnie avait exploité un salon de coiffure tout en offrant des services d'esthétique, de maquillage et de manucure, et elle faisait affaires sous le nom de « Mary's Place ». Au fil des ans, certaines des personnes qui offraient ces services sont parties. En 1990, un certain nombre de coiffeuses ont parlé à M. Engen et à M. Spadafora de la possibilité de louer les locaux et de partager les frais des aires communes; la majorité d'entre elles sont les intervenantes en l'espèce. Certaines d'entre elles ont quitté depuis, tandis que Mme Angie Desautels est arrivée par la suite. Chacune avait l'intention de mettre sur pied sa propre entreprise sous un même toit. MM. Engen et Spadafora ne voulaient pas s'occuper de l'embauche du personnel. Par conséquent, ils ont décidé collectivement, c'est-à-dire les intervenantes, MM. Engen et Spadafora, de louer l'immeuble à la compagnie et d'exploiter chacun sa propre entreprise distincte.

 

[22]      C'est ce qu'ils ont fait. Des contrats comme celui qui a été produit sous la cote R-1 ont été rédigés. On a remplacé l'ancienne enseigne par une nouvelle arborant le nom de « Francesco's Tresses Hair ». L'immeuble était une maison convertie et c'est ce nom qui était inscrit sur la nouvelle banne dressée devant l'immeuble. Sous la banne, une affiche avait été érigée et indiquait « E & S Tresses and Associates ». Sur cette affiche figuraient les noms de toutes les parties. Chaque partie, y compris MM. Engen et Spadafora, a obtenu son permis d'exploitation d'un commerce. Chacune a signé avec E & S Tresses Ltd. un contrat appelé « contrat en matière de services et de frais ». Il semble qu'on ait signé ce contrat et qu'on en ait renégocié les modalités chaque année.

 

[23]      Le contrat en question a été signé le 1er janvier 1995. Selon le premier énoncé, il faut le signaler, la société (E & S Tresses Ltd.) était « un salon de coiffure faisant affaires dans la ville d'Edmonton ». La compagnie convenait de fournir « l'espace et les chaises nécessaires », sans que cet espace ne soit précisé. Elle convenait également de fournir de nombreux services administratifs et de soutien, comme les services d'une réceptionniste, d'un gérant et d'un shampouineur, une aide technique, des services d'entretien, le téléphone et les services publics, des services de réparations et d'entretien du matériel, et de payer les frais d'utilisation de cartes de crédit, les taxes professionnelles et foncières, les primes d'assurance‑responsabilité et l'enseigne.

 

[24]      Il était clair que chacun avait la responsabilité d'effectuer lui-même les déductions prévues par la loi et de prendre en charge ses dépenses ainsi que les honoraires de comptable ou d'avocat et les frais de publicité et de formation.

 

[25]      Le contrat prévoyait que les parties à celui-ci étaient des entrepreneurs autonomes qui pouvaient fixer leurs heures de travail. Tous les montants facturés aux clients en contrepartie des services fournis devaient être remis directement à chacune des personnes concernées et non à la compagnie. Chacune des parties au contrat devait verser 1 575,90 $ par mois à la compagnie. Si elles étaient malades ou enceintes, elles devaient payer la totalité des frais le premier mois au cours duquel elles étaient absentes et 60 p. 100 des frais les mois suivants. On pouvait mettre fin à l'entente sur préavis de 30 jours, et la T.P.S. était ajoutée aux frais en question. Telle était, en bref, la nature des ententes.

 

[26]      En pratique, toutes les personnes ont convenu d'effectuer des rénovations et d'aménager à leur choix la superficie qui leur était attribuée. Chacune fonctionnait de façon indépendante, conservait ses propres recettes et fixait ses propres rendez-vous avec l'aide de la réceptionniste. E & S Tresses Ltd. fournissait les services de gestion et de soutien pour lesquels elle engageait des employés à plein temps, mais elle n'engageait aucune coiffeuse. Chacune commandait ses produits capillaires par l'intermédiaire de Francesco's Tresses. Elles commandaient leurs cartes professionnelles de la même façon. Celles-ci étaient toutes identiques, à part les noms. Les coiffeuses tenaient des réunions et décidaient de la façon de mener l'entreprise conjointement. En leur absence, la superficie dont elles disposaient n'était utilisée par personne d'autre. Elles ont indiqué qu'elles étaient libres de sous‑louer leur superficie si elles le souhaitaient, bien qu'aucune d'elles ne l'ait fait.

 

[27]      On accédait aux locaux par des entrées communes, et la salle d'attente était commune également. La superficie attribuée à chaque coiffeuse n'était pas séparée de celle des autres par des murs ou des portes, bien qu'elles occupaient trois étages. Les frais qu'elles payaient à la compagnie étaient calculés de la façon suivante :

 

7 % pour les salaires

9 % pour les services publics

6 % pour l'entretien

8 % pour les cartes de crédit (les montants étaient payés par chèque tous les jours)

50 % pour les produits

20 % pour la location des locaux

 

[28]      Elles considéraient l'entreprise de gestion commune comme une sorte de coopérative. La compagnie s'occupait cependant du compte bancaire pour le compte de ce groupe de personnes. Il m'a semblé que, bien qu'elles exploitaient clairement des entreprises indépendantes, les intervenantes avaient une sorte d'entreprise commune pour la gestion des aspects communs de leurs entreprises, qu'elles confiaient à la compagnie.

 

[29]      Si une ou plusieurs personnes partaient à l'expiration du délai de 30 jours suivant un préavis, elles emportaient avec elles leur clientèle, leur matériel et leurs fournitures, mais elles laissaient la superficie et les chaises. Les personnes qui restaient continuaient de fonctionner de la même façon. La personne qui s'en allait n'avait droit à aucun paiement de capital.

 

[14]    Et de poursuivre le juge Porter, après avoir établi ces faits :

 

[31]      Il ne fait aucun doute que les intervenantes exploitaient leur propre entreprise. Elles ont clairement fait tout ce qu'elles pouvaient pour en faire la preuve et, pendant l'audition des appels en l'instance, c'est surtout ce qui les intéressait. À cet égard, elles ont réussi. J'ai également déduit des témoignages entendus qu'elles étaient des personnes extrêmement honnêtes, franches et dotées de principes, et qu'elles étaient quelque peu offensées par la façon dont les représentants de Revenu Canada les avaient traitées dans cette affaire. Cependant, là n'est pas la question dont la Cour est saisie.

 

[32]      Dans les faits, les intervenantes exploitaient toutes leur propre entreprise sous un même toit et sous une bannière commune, et elles partageaient beaucoup d'éléments. Il s'agissait sans l'ombre d'un doute d'un arrangement commercial extrêmement efficace. Cependant, il n'y avait aucune division des locaux du genre de celle que l'on peut voir dans les centres commerciaux, où des entreprises distinctes sont clairement délimitées par des murs et des entrées, ou dans les bureaux pour membres de professions libérales situés dans des immeubles de bureaux, où chacun a ses propres locaux délimités et une entrée distincte. Dans la présente affaire, les intervenantes exploitaient toutes leur propre entreprise collectivement, de sorte qu'un observateur extérieur, voyant l'endroit, ne pouvait que venir à la conclusion qu'il n'y avait qu'un seul « établissement commercial ». Elles faisaient toutes partie à mon avis de cet établissement, le salon de coiffure. C'est évidemment ce que le contrat indiquait, que la compagnie était un salon de coiffure. Je ne peux y voir plusieurs « établissements » différents. Il y avait une communauté d'efforts suffisante à mon avis pour conclure qu'il s'agissait là d'un seul établissement. À mon avis, les personnes n'étaient pas propriétaires de cet établissement. Elles n'étaient pas propriétaires d'un local ni n'en louaient un. Si j'ai raison de dire qu'il s'agissait du lieu physique, alors de toute évidence ce lieu était la propriété de la compagnie et non celle des intervenantes. Ces dernières ont peut-être fait partie de l'établissement commercial dans la mesure où elles y contribuaient, mais, en fin de compte, les fonds appartenaient à la compagnie, qui devait leur fournir les services pour lesquels elles avaient conclu un contrat. Les intervenantes n'étaient propriétaires que de leur clientèle, de leur matériel et de leurs produits et, si l'une ou l'autre s'en allait, « l'établissement » demeurait.

 

[33]      Je conclus donc ceci :

 

a)         Les intervenantes étaient des travailleuses autonomes qui exploitaient leur propre entreprise.

 

b)         Les intervenantes exerçaient une activité dont les fonctions se rattachaient à un salon de coiffure.

 

c)         Les intervenantes fournissaient des services qu'offre normalement un tel établissement.

 

d)         Les intervenantes n'étaient pas les propriétaires de cet établissement.

 

e)         L'activité qu'elles exerçaient était un emploi assurable au sens de l'alinéa 12d) du Règlement.

 

[34] En l'occurrence, les appels sont rejetés et les règlements du ministre sont confirmés.

 

[15]    J'ai moi-même été saisi d'une affaire liée à la même disposition, et les faits en cause étaient nettement plus proches de ceux dont il est question en l'espèce. Dans l'affaire Excel Studio Limited, exploitant son entreprise sous le nom d'Excel Hair and Skin Care c. Ministre du Revenu national, no 96‑1665(UI), 22 janvier 1998, [1998] A.C.I. no 48, je me suis reporté à plusieurs causes dans lesquelles il a été statué que des personnes exerçaient un emploi assurable en vertu du libellé de l'alinéa 12d), et à partir du paragraphe 11 de mes motifs, j'ai énuméré comme suit un certain nombre de ces décisions :

 

[11]      Dans chacune des affaires que l'avocat de l'intimé a mentionnées, la situation était la même quant aux faits, en ce sens que les personnes qui étaient réputées exercer un emploi assurable d'après le libellé de l'alinéa 12d) du Règlement accomplissaient toutes les mêmes tâches que les appelants dans les divers appels. En d'autres termes, ces personnes louaient des locaux à l'intérieur d'un salon de coiffure et fournissaient des services qu'offrait normalement un tel salon et elles n'étaient pas propriétaires de l'établissement. Dans l'affaire Anderson (exploitant son entreprise sous le nom de 1st Impressions Hair Design) c. MRN, [1994] A.C.I. no 869, le juge Margeson, de cette cour, a conclu que chacun des intervenants et des appelants avait une formation de coiffeur et que les modalités d'emplois pouvaient être différentes. Certains étaient embauchés à titre d'agents à commission et conservaient un pourcentage des frais qu'ils exigeaient tout en versant une partie des sommes reçues au propriétaire ou à l'exploitant de l'établissement; certains étaient rémunérés à l'heure à titre d'employés tandis que d'autres louaient un fauteuil. Dans le jugement Hilts c. MRN, [1994] A.C.I. no 872, le juge Beaubier, de cette cour, s'est fondé sur les faits suivants afin de statuer que l'appelant employait les coiffeurs et était tenu de verser des cotisations d'assurance-chômage :

 

-           il y avait un téléphone commun;

-           les prix étaient coordonnés;

-           il y avait un seul nom commercial et une seule enseigne dans les locaux;

-           les services étaient les mêmes que ceux qu'offrait normalement l'établissement;

-           les coiffeurs louaient un « poste de travail » à la semaine.

 

[12]      Les faits suivants ne changeaient rien au règlement :

 

-           les coiffeurs possédaient une clé des locaux;

-           les coiffeurs achetaient leurs propres accessoires;

-           les coiffeurs avaient chacun leur propre tiroir‑caisse;

-           les coiffeurs avaient accès à des aires communes.

 

[13]      Au paragraphe 5, le juge Beaubier a cité la définition d'« establishment » (établissement) figurant dans le Dictionary of Canadian Law (Dukelow & Nurse, Thomson Professional Publishing 1991) :

 

[TRADUCTION]

 

un établissement commercial ou l'endroit où une entreprise ou partie d'entreprise est exploitée.

 

[14]      Dans le jugement Farron c. MRN, [1991] A.C.I. no 1119, le juge Rip, de cette cour, s'est fondé sur les faits suivants pour conclure que les appelants étaient des employeurs :

 

-           le salon de coiffure n'avait qu'un nom;

-           le salon de coiffure n'avait qu'une enseigne;

-           les « employés » avaient accès à une aire commune;

-           les « employés » n'étaient pas propriétaires;

-           il n'y avait qu'un téléphone;

-           les appelants (l'« employeur ») étaient titulaires d'un permis leur permettant d'exploiter un salon de coiffure;

-           il n'y avait qu'un livre pour inscrire les rendez-vous;

-           les coiffeurs fournissaient des services qui étaient régulièrement offerts dans les locaux.

 

[15]      Le fait que les coiffeurs achetaient leurs propres accessoires, qu'ils tenaient leurs propres livres, qu'ils avaient leur propre tiroir-caisse et qu'ils fixaient leurs propres heures n'était pas suffisant pour qu'ils soient exclus de l'application de l'alinéa 12d) du Règlement.

 

[16]    Cependant, la situation factuelle dont il était question dans l'affaire Excel était différente de celle sur laquelle portaient les causes mentionnées, et j'ai fait les commentaires suivants :

 

[16]      En l'espèce, l'appelante et les intervenantes exploitaient chacune une entreprise tout à fait distincte sur le plan de la conception et des fonctions. Chacune était titulaire d'un permis délivré par la Hairdressers' Association of British Columbia, l'autorisant à fournir différents services, et l'appelante et son personnel, y compris sa propre présidente, Jeanne Cleary, n'étaient pas autorisés par l'organisme délivrant les permis, ni par le permis d'entreprise délivré par la ville de Kelowna, à offrir des services d'esthéticienne, de technicienne en pose d'ongles ou de manucure. Le passage pertinent de l'alinéa 12d) du Règlement est ainsi libellé :

 

l'emploi exercé par une personne dont les fonctions se rattachent à un salon de coiffure ou à un tel établissement et qui fournit des services qu'offre normalement un tel établissement.

 

[17]      Ni l'une ni l'autre des intervenantes n'étaient autorisées à exploiter une entreprise fournissant des services qu'offrait normalement le salon de l'appelante parce que les services que chacune fournissait, dans le cadre de l'exploitation de sa propre entreprise, de son entreprise distincte, n'étaient jamais offerts dans l'établissement où était situé le salon de l'appelante. Dans les petits centres commerciaux, il arrive souvent qu'une personne ou une entité loue des locaux appartenant au propriétaire du mail, puis, avec l'assentiment de ce dernier, qu'elle signe des sous-baux avec d'autres entrepreneurs. Si un dentiste loue un local, puis décide de sous-louer une partie du local à un chiropraticien et que le bureau de ce dernier est alors situé dans une partie du local initialement désigné sur le diagramme de la surface utile du mail comme étant réservé au dentiste, cela ne veut pas dire que le chiropraticien devient un dentiste et vice-versa. En l'espèce, il ressort clairement de la preuve que les parties fonctionnaient réellement à titre d'entités indépendantes, chacune ayant une identité distincte à maints points de vue, notamment aux fins de la TVP et de la TPS, des permis d'entreprise, des permis d'exercice, des comptes bancaires, des assurances, des numéros de téléphone et des répondeurs téléphoniques, des enseignes, des services et des lignes de produits, qui étaient distincts. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel un appelant tente d'éviter d'être considéré comme employeur aux termes du Règlement au moyen d'une série de manigances vaguement déguisées destinées à masquer la fonction et le statut réels du travailleur.

 

[18]      En l'espèce, en ce qui concerne le passage pertinent du Règlement, le mot « therein » figurant dans la version anglaise doit désigner l'établissement ou le bureau d'affaires lui-même exploité par l'appelante. En fait, ce mot doit se rapporter à l'établissement lui-même qui est visé par le règlement et non à une autre entreprise connexe qui pourrait offrir, si elle était autorisée à le faire, une gamme plus étendue de services. Je ne puis voir comment le fait que les intervenantes partagent un local dans un secteur réservé au commerce de détail dans un petit mail peut être assimilé à la prestation de services se rattachant à l'établissement de coiffure possédé et exploité par l'appelante conformément aux permis et autorisations délivrés à cette fin précise et à aucune autre fin. Les mots ci-dessus soulignés ont une portée beaucoup plus étroite que les mots « quant à » que la Cour suprême du Canada examinait dans l'arrêt Nowigijick v. The Queen et al., 83 DTC 5041, où il a été dit ceci, à la page 5045 :

 

À mon avis, les mots « quant à » ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant », « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression « quant à » qui est la plus large.

 

[19]      Il ressort clairement du libellé du Règlement en cause que l'intention est de rattacher les services fournis par l'employé putatif à ceux qui sont fournis par le soi‑disant employeur dans l'établissement exploité par ce dernier, de façon à éliminer l'exclusion du régime d'assurance-chômage d'une personne qui est un travailleur au sein de cette entreprise ou de cet établissement, mais qui s'est vu attribuer, plus ou moins avec son assentiment, certains attributs qui pourraient à première vue avoir pour effet de permettre que cette personne soit classée dans une catégorie d'emplois non assurables.

 

[17]    Dans l'affaire Excel, il y avait des objectifs communs, et j'ai traité de cet aspect au paragraphe 20 de ma décision :

 

[20]      Le fait que l'appelante offrait au public, dans la publicité qu'elle faisait paraître dans les Pages jaunes, des services qu'elle ne fournissait pas, mais qui étaient par ailleurs offerts, sur renvoi aux intervenantes ou à d'autres personnes, n'est pas particulièrement important lorsqu'il est considéré dans le contexte de la preuve dans son ensemble. L'inscription distincte des entreprises des intervenantes, les numéros de téléphone distincts et la publicité distincte, la séparation physique de chaque entreprise à l'aide de portillons d'accès, les enseignes appropriées désignant chaque établissement, les fonctions de chacune ou les services fournis ou les produits vendus par chacune, tous ces éléments ont pour effet de faire de la relation qui existait entre l'appelante et chacune des intervenantes une relation quasi propriétaire-locataire et voisin-entrepreneur dans le cadre d'une relation amicale leur permettant de se renvoyer mutuellement des clients de façon que ceux-ci aient la possibilité de bénéficier d'un service complet en matière de santé, de coiffure, de beauté et de soins de la peau dans ce secteur particulier du mail. Les clients des intervenantes n'étaient pas obligés, que ce soit physiquement ou non, d'entrer dans le local réservé à l'entreprise de l'appelante. À mon avis, la disposition particulière du Règlement n'a jamais été destinée à s'appliquer à une situation factuelle comme celle qui existe en l'espèce, où des entreprises distinctes offrant des services mutuellement exclusifs, comme l'avait autorisé l'organisme de réglementation, doivent être fusionnées parce qu'elles partagent un local conformément à un bail principal sous réserve d'une méthode pratique et réalisable de sous-location à bail convenant à tous les intéressés, notamment le propriétaire du mail, qui percevait le loyer directement des intervenantes. Le local de 72 pieds carrés occupé par Norma Hill, exploitant son entreprise sous le nom de Nails by Norma, était le petit domaine de cette dernière dans tous les sens du terme : légalement, physiquement, et conformément à un concept commun de l'entreprise. De même, les locaux plus vastes occupés par Tamara Fisher constituaient l'établissement dans lequel cette dernière exerçait de plein droit son métier d'esthéticienne autorisée, sans que l'appelante soit en cause. Les rentrées de fonds n'étaient absolument pas partagées, de quelque façon que ce soit, entre l'appelante et l'une ou l'autre intervenante et celles-ci n'avaient pas la capacité juridique de les partager. Tout en reconnaissant son esprit, il faut interpréter le Règlement d'une façon compatible avec le langage ordinaire; le Règlement ne peut pas être un instrument permettant d'atteindre un résultat peu pratique dont les personnes en cause ne veulent pas et allant directement à l'encontre de leur véritable statut, celles-ci étant selon un examen objectif des personnes non liées au sens de la loi.

 

[18]    Le juge Porter, dans la décision Shepherds Care Foundation c. Ministre du Revenu national, no 2001‑3301(EI), 25 mars 2002, [2002] A.C.I. no 163 (« Shepherds Care »), a examiné l'effet du changement de libellé de la disposition réglementaire applicable. Voici ce qu'il a écrit, aux paragraphes 4 et 5 de son jugement :

 

[4]        D'après les principaux faits mis en preuve, au cours des années en question, l'appelante a exploité un établissement de soins prolongés dans la ville d'Edmonton, en Alberta. Pendant de nombreuses années depuis l'ouverture du Centre en 1984, Molly a été employée par l'appelante pour exploiter un salon de coiffure au premier étage de l'établissement. À l'origine, elle a ainsi travaillé à titre d'employée. En 1995, l'entente a été modifiée lorsque le Centre a loué le salon à Molly et que celle-ci était censée devenir entrepreneure indépendante et offrir les mêmes services de coiffure depuis les mêmes locaux pendant toutes les années en question. Tout en admettant que Molly n'était pas une employée travaillant en vertu d'un contrat de louage de services, le ministre a décidé que la situation de cette personne était visée par l'alinéa 6d) du Règlement sur l'assurance-emploi, étant donné qu'à son avis, elle n'était ni le propriétaire ni l'exploitant du salon de coiffure, mais simplement un fournisseur de services à cet endroit en vertu d'un contrat d'entreprise. L'appelante soutient que Molly était effectivement le propriétaire ou l'exploitant de l'établissement. Il s'agit donc là de la question à trancher dans le présent appel.

 

[5]        En passant, je souligne qu'il ne s'agit pas du type habituel d'affaire où des personnes qui louent des chaises d'un salon soutiennent qu'elles constituent plusieurs établissements différents exploités sous un même toit. Dans la présente affaire, la question se résume à celle de savoir si c'est l'appelante qui exploitait le salon de coiffure en retenant les services de la travailleuse pour faire le travail et fournir les services en vertu d'un contrat d'entreprise ou si c'est plutôt la travailleuse elle-même qui exploitait l'établissement.

 

[19]    Aux paragraphes 10, 11 et 12 de ses motifs, le juge Porter a fait les commentaires suivants :

 

[10]      Il convient de souligner que le Règlement actuellement en vigueur est différent du Règlement précédent, qui avait été promulgué en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage et dont le sous-alinéa 12d)(ii) était ainsi libellé :

 

(ii) n'est pas le propriétaire d'un tel établissement;

(je souligne)

 

Ainsi, le mot « exploitant » a été ajouté au mot « propriétaire », lequel renvoyait de façon plus générale à des droits de propriété. Désormais, il suffit que la personne soit le « propriétaire » ou l'« exploitant » de l'établissement pour demeurer hors de la portée du Règlement; il n'est pas nécessaire qu'elle soit le « propriétaire » dudit établissement. Les décisions antérieures fondées sur l'ancienne disposition du Règlement doivent donc être examinées en fonction de ce changement.

 

[11]      À mon avis, il faut interpréter le mot « exploitant » selon son sens ordinaire dans le contexte. La personne qui dirige l'entreprise de l'établissement en est l'exploitant. Il s'agit de la personne qui est responsable de la clientèle, de l'établissement des horaires, de la facturation et du paiement des factures imputables à l'ensemble de l'établissement, comme les assurances et les services publics, de la personne qui est titulaire du permis de place d'affaires et qui pourrait dire qu'elle dirige l'ensemble de l'entreprise. Dans l'édition de 1993 de l'ouvrage The New Shorter Oxford English Dictionary, le mot « operator » (exploitant) est défini comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

personne qui poursuit les activités pratiques ou mécaniques appartenant à un processus, une entreprise, [...]

 

ou

 

personne ou société qui dirige un commerce, une entreprise, etc.

 

[12]      De toute évidence, le mot « emploi » ne concerne pas uniquement l'emploi exercé en vertu d'un contrat de louage de services. Il appert clairement de la jurisprudence que le mot doit être interprété au sens des travaux exécutés tant en vertu d'un contrat de louage de services que d'un contrat d'entreprise.

 

[20]    Et d'ajouter le juge Porter, aux paragraphes 15 et 16 :

 

[15]      Indépendamment du fait que la personne concernée devait avoir un droit de propriété sur l'établissement pour échapper à la portée de l'ancien Règlement, il est maintenant évident que l'exploitant dudit établissement est également exclu. Même s'il est possible en l'espèce que la travailleuse ait été propriétaire d'un droit de tenure à bail sur les locaux depuis lesquels le salon de coiffure était exploité, ce qui pourrait en soi permettre de trancher le présent litige, la question se résume en réalité à mon sens à celle de savoir si Molly exploitait ou non l'établissement. Dans l'affirmative, elle n'exerçait pas un emploi assurable. Dans le cas contraire, sous réserve de la question liée à la possession d'un droit de tenure à bail, elle serait visée par le Règlement.

 

[16]      À mon avis, l'avocate du ministre a raison de dire que l'appelante ne doit pas simplement démontrer que la travailleuse était en affaires pour elle-même et poursuivait ses activités en vertu d'un contrat d'entreprise. Elle doit également prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la travailleuse exploitait l'établissement de son propre chef plutôt que d'y travailler en fournissant des services à l'appelante en vertu d'un contrat d'entreprise afin de l'aider à exploiter ledit établissement. À titre d'exemple, un électricien ou un autre sous-traitant qui travaille sur un chantier à titre d'entrepreneur indépendant est en affaires pour lui-même, mais il n'est pas le propriétaire ni ne doit diriger le projet; il fournit simplement ses services à l'ensemble de l'entreprise. Dans la mesure où ledit sous-traitant travaille à l'extérieur du chantier, il exploiterait son propre établissement.

 

[21]    Les faits entourant l'exploitation du salon de coiffure ont été décrits aux paragraphes 24 à 41 inclusivement des motifs :

 

[24]      Je souligne plus précisément que Molly est tenue de payer le loyer indépendamment du nombre de clients qu'elle possède.

 

[25]      De plus, le bail permet explicitement à Molly [TRADUCTION] « d'exploiter un salon de beauté dans les locaux » et oblige celle-ci à obtenir le permis municipal nécessaire à cette fin. Molly devait également souscrire ses propres assurances en matière d'incendie et de responsabilité civile. Le bail ne comporte aucune restriction quant à la clientèle, mais Molly devait limiter les frais pouvant être exigés des résidents aux montants convenus avec le Centre. Elle pouvait exiger des montants inférieurs, mais non supérieurs à ces sommes convenues.

 

[26]      J'ai également constaté qu'aucune restriction n'était imposée quant aux personnes pouvant faire partie de la clientèle de Molly. D'après le témoignage de John Pray, le Centre voulait sans doute qu'elle donne la priorité aux résidents, mais il n'existait aucun engagement officiel écrit en ce sens. Il est indéniable que c'est ce qu'elle a fait, puisqu'elle ne pouvait suffire à la tâche à elle seule. Après avoir discuté avec des représentants du Centre et entendu dire que les résidents avaient du mal à obtenir un rendez-vous avec elle, elle a engagé une autre coiffeuse à temps partiel. Il y avait donc une clientèle nombreuse à l'intérieur du Centre. Cependant, il appert de la preuve que Molly pouvait fournir des services aux résidents du manoir adjacent, aux employés du Centre et à des personnes de l'extérieur. Bien entendu, si elle avait fourni des services à des personnes de l'extérieur au détriment des résidents, son bail n'aurait pas été renouvelé à l'échéance, parce que le Centre voulait manifestement que ses résidents aient accès au salon. C'est un service que le Centre voulait mettre à la disposition de ses résidents, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il exploitait le service en question.

 

[27]      Le témoin a expliqué comment les résidents prenaient leurs rendez-vous. Bon nombre de résidents étaient des personnes âgées d'au moins 90 ans qui étaient confinées à un fauteuil roulant. Leurs familles s'étaient entendues avec les infirmières pour que celles-ci prennent les rendez-vous avec le salon au nom des résidents. Le salon facturait ensuite les résidents en remettant des factures au commis comptable du Centre, qui ajoutait le montant à l'état de compte des résidents. Le montant en question était payé par la famille à la fin du mois et, à son tour, le Centre payait le salon.

 

[28]      Je ne vois pas en quoi ces mesures indiquent que le Centre exploitait le salon. Il s'agit d'un simple procédé de recouvrement, puisque le Centre s'occupait des affaires de ses résidents.

 

[29]      Le salon était connu sous le nom de « Molly's Gentle Touch ». Selon le témoin, tous savaient que Molly était la personne qui exploitait le salon. Ses factures portaient l'appellation « Molly's Gentle Touch ». Il n'y avait aucune enseigne à ce nom dans les locaux et l'ancienne enseigne initiale comportant les mots « Hair Salon » (salon de coiffure) est demeurée en place. Il n'y avait pas non plus d'enseigne à l'extérieur des locaux. Il est évident qu'aucune enseigne n'était nécessaire, puisque Molly avait toute la clientèle dont elle avait besoin. En tout état de cause, Molly était manifestement considérée par tous comme l'exploitante du salon.

 

[30]      Ainsi, en ce qui a trait à l'hypothèse énoncée à l'alinéa 9e), le témoin était d'avis que, même si le Centre était propriétaire de l'immeuble et des accessoires, ceux-ci ont été loués à Molly, qui était l'exploitante du salon.

 

[31]      En ce qui concerne l'hypothèse énoncée à l'alinéa 9f), elle est exacte, étant donné que Molly ne possédait pas de ligne téléphonique externe et que tous les appels étaient acheminés par le standard du Centre. Cet arrangement semblait convenir aux parties et aucune d'elles n'a jugé nécessaire d'engager des frais pour modifier le système.

 

[32]      Dans le cas de l'hypothèse énoncée à l'alinéa 9g), l'appelante n'a pas fixé les frais que le salon exigeait des résidents. Elle a déterminé comme condition du bail le montant maximal qui pourrait être exigé à ce titre, ce qui est bien différent. Le plafond a été fixé au moyen d'un accord entre les parties au bail.

 

[33]      Quant à l'hypothèse formulée à l'alinéa 9k), même si les accessoires fixes et les raccords de tuyauterie appartenaient à l'appelante, ils ont été loués à Molly. De plus, celle-ci était propriétaire des petits accessoires et du matériel qu'elle utilisait, comme les peignes, les ciseaux, les shampoings, les produits de soin et les chemises.

 

[34]      Le témoin n'était pas d'accord avec le point 9i). Il a dit que chaque étage du Centre était exploité comme centre de soins distinct. Ainsi, les infirmières de chaque étage prenaient des rendez-vous pour les résidents de l'étage et assuraient un suivi pour leurs propres clients. Ce n'est pas comme s'il y avait eu une entente générale prévoyant que l'appelante devait établir l'horaire du salon.

 

[35]      Les hypothèses énoncées aux alinéas 9l) et 9r) sont passablement répétitives. Le témoin a indiqué clairement que, même si le Centre était propriétaire des locaux, il les avait loués à Molly, qui possédait donc un droit de tenure à bail à leur égard. Malgré l'absence d'enseigne comportant les mots « Molly's Gentle Touch », le témoin a dit que chacun savait ce qu'était le salon. De toute évidence, Molly ne voyait pas la nécessité de poser une bannière.

 

[36]      Le témoin a dit que le Centre faisait tous les chèques au nom de « Molly's Gentle Touch ».

 

[37]      Selon le témoin, Molly fixait ses propres heures de travail. Le Centre lui a demandé à un certain moment de prolonger ses heures d'ouverture, parce que les résidents ne réussissaient pas tous à obtenir un rendez-vous. Cependant, c'était elle qui fixait ses heures de travail. Elle était entièrement indépendante à cet égard.

 

[38]      Il n'y avait aucune entrée extérieure distincte menant au salon et chaque personne qui venait de l'extérieur devait passer par la porte centrale du Centre ou par le manoir adjacent, qui était relié.

 

[39]      Molly avait ses propres clés des locaux et pouvait en verrouiller la porte lorsqu'elle partait. Le Centre possédait un passe-partout à des fins de sécurité, mais personne du Centre n'entrait dans les locaux pour quelque raison que ce soit, sauf à des fins de sécurité lorsque Molly ne s'y trouvait pas.

 

[40]      Le témoin a convenu que, si Molly partait, le Centre voudrait sans doute trouver une autre personne pour exploiter le salon, parce qu'il s'agissait d'un service qu'il désirait offrir à ses résidents.

 

[41]      De plus, le témoin a déclaré que Molly n'assistait pas aux réunions du personnel, mais qu'elle pouvait assister aux réunions d'information, si elle le désirait, et participer aux barbecues offerts au Centre. Cependant, elle n'a pas participé aux rencontres du personnel ni aux activités du Centre.

 

[22]    Aux paragraphes 43 à 47, inclusivement, le juge Porter a conclu sa décision en ces termes :

 

[43]      À l'instar de l'avocate du ministre, je reconnais qu'il ne suffit pas de prouver que le travailleur est un entrepreneur indépendant pour démontrer que le Règlement ne s'applique pas à la situation en cause. Il a fréquemment été décidé que les entrepreneurs indépendants qui louent des chaises d'un même établissement avec d'autres coiffeurs sont visés par le Règlement.

 

[44]      Cependant, la situation exposée en l'espèce est tout à fait différente. L'établissement se compose manifestement des locaux où une entreprise, en l'occurrence, un salon de coiffure, était exploitée. Il est évident que ces locaux étaient loués à Molly, qui possédait à leur égard un droit de tenure à bail. Elle y exploitait sa propre entreprise à son nom. Elle était tenue de payer le loyer indépendamment du nombre de clients qu'elle avait. Elle devait souscrire une assurance incendie et une assurance responsabilité. Elle fixait ses propres heures de travail et avait sa propre clientèle. Le Centre pouvait lui faire part de ses demandes ou désirs, mais il n'avait aucun contrôle, si ce n'est celui de tout propriétaire qui avait le choix de ne pas renouveler le bail à l'expiration. Les activités ne constituaient pas un service que le Centre exploitait. Le Centre a pris des mesures pour que ce service soit disponible dans les locaux d'une manière non exclusive. Il n'a nullement participé à l'exploitation de l'entreprise. Il touchait un loyer, mais sans plus. Il a exprimé ses désirs à l'égard du type de service qu'il souhaitait voir accessible pour ses résidents.

 

[45]      Pour sa part, il est évident que Molly exploitait l'entreprise dans les locaux. Elle faisait toutes les choses normalement liées à l'exploitation d'une entreprise. Dans les environs, l'entreprise était considérée comme celle de Molly. Sa dénomination commerciale figurait sur ses factures. Elle n'était pas tenue de dévoiler au Centre les recettes qu'elle touchait ou les factures qu'elle devait payer. Elle était totalement indépendante à cet égard. Elle avait la jouissance exclusive des locaux en vertu des clauses de son bail, selon lequel elle devait utiliser les locaux uniquement pour l'exploitation d'un salon de beauté.

 

[46]      Compte tenu de l'ensemble de la preuve, il est indéniable que Molly était l'exploitante du salon qui se trouvait dans les lieux loués et qu'elle était donc « l'exploitant de l'établissement ». La situation examinée en l'espèce est bien différente de celle que le ministre a décrite à maintes reprises comme une situation visée par le Règlement, soit la situation où un certain nombre de coiffeurs travaillent ensemble dans un même établissement et louent des chaises ou un espace indivis du propriétaire principal de l'établissement en question.

 

[47]      Par conséquent, l'appel est accueilli et les évaluations sont annulées.

 

[23]    Il est manifeste que, dans les affaires que nous avons citées, les faits englobent la gamme complète des possibilités relativement à la nécessité de déterminer si un travailleur est soit le « propriétaire » soit « le propriétaire ou l'exploitant » de l'entité commerciale en cause. Dans le présent appel, il est évident que la teneur des discussions qu'ont eues Mme Willcott et Mme Short au départ tendaient à faire pencher la balance en faveur d'une relation locateur-locataire, et c'est ce qui ressort de l'ébauche d'entente – pièce A‑1 – que Mme Short a établie et signée. Cependant, Mme Willcott n'a pas signé ce document et il est évident que les parties ont pris des mesures pour intégrer le salon de coiffure aux installations générales de Sandlewood, conformément à la stratégie commerciale visant à annoncer cet établissement en tant que « spa à service complet ». Pour ce faire, Mme Short a sacrifié son individualité; son enseigne « Hair by Jolene » a été enlevée, et elle est devenue l'un des fournisseurs de services inscrits sur la nouvelle enseigne de Sandlewood. Elle a pris part aux campagnes de promotion conjointes dans lesquelles étaient offerts des forfaits de soins et de traitements, dont certains d'une durée d'une demi-journée ou plus. Elle participait aussi à l'exploitation du petit salon de thé situé dans la zone d'accueil. Ses propres clientes entraient habituellement dans l'établissement par la zone d'accueil avant et les personnes désireuses d'obtenir les services offerts à l'étage inférieur étaient tenues de traverser son espace de travail afin d'accéder à l'escalier. Madame Short a accepté que l'on change son identité commerciale et s'est identifiée comme « coiffeuse chez Sandlewood ». Pour traiter les paiements d'environ 80 % de sa clientèle, elle utilisait le terminal de débit appartenant à l'appelante, et les fonds allaient dans un compte que cette dernière contrôlait exclusivement. La totalité des espaces commerciaux, situés dans une ancienne résidence, étaient loués par Mme Willcott, et cette dernière était la détentrice du permis municipal qui permettait à Sandlewood d'exploiter un établissement offrant un salon de beauté à service complet et un salon de thé, de même qu'un éventail de services, dont la coiffure, les soins esthétiques, les massages, le bronzage et les traitements de spa. Dans l'établissement même, aucune enseigne n'indiquait que Mme Short exploitait une entreprise distincte. Plutôt, Mme Short participait étroitement au fonctionnement général de Sandlewood pour ce qui était de nettoyer les zones communes, d'accueillir la clientèle, de répondre au téléphone, de servir le thé à l'occasion et d'utiliser ses talents de mise en marché pour créer des brochures et des documents publicitaires destinés à annoncer le spa, y compris en participant à une activité « portes ouvertes ». Avant l'arrivée de Mme Short, Sandlewood n'offrait pas de services de coiffure à sa clientèle. C'est donc dire que la transformation en un « salon de barbier ou de coiffure » a dû se produire après que Mme Short a décidé d'installer son fauteuil, ses outils, son matériel et ses produits de détail dans l'espace réservé à cette fin. Nul ne conteste l'hypothèse du ministre à l'alinéa 6ff) de la réponse à l'avis d'appel (la « réponse ») selon laquelle, après que Mme Short a quitté le salon, une autre coiffeuse a commencé à y travailler afin que Sandlewood puisse continuer de fournir des services de coiffure.

 

[24]    Les faits en l'espèce n'étayent pas l'existence de la sorte de séparation et d'indépendance qui étaient manifestes dans les affaires Excel ou Shepherds Care. Dans la première de ces deux décisions, j'ai conclu que la travailleuse exploitait son propre établissement distinct dans une aire d'une superficie de 72 pieds carrés et qu'il s'agissait là de son domaine, dans tous les sens du terme. Dans Shepherds Care, la travailleuse avait un intérêt à bail et il a été conclu que cette dernière assumait entièrement la responsabilité de l'exploitation complète de son salon de coiffure, sans intervention aucune de la part de la fondation, qui agissait simplement comme locateur.

 

[25]    À mon avis, Sandlewood est devenu un « salon de barbier ou de coiffure » au sens de l'alinéa 6d) du Règlement peu après l'arrivée de Mme Short, et a continué de correspondre à cette définition pendant toute la période visée par le présent appel. Indépendamment de son statut incontesté d'entrepreneuse pendant la période où elle a fourni ses services de coiffure, pour que Mme Short soit exclue d'un emploi assurable aux termes dudit alinéa, elle doit être soit le propriétaire, soit l'exploitant d'un établissement qui fournit normalement ces services. Le libellé semble n'envisager qu'un seul propriétaire ou exploitant pour un tel établissement, car il utilise dans chaque cas l'article défini « le » devant le nom. D'après le sens ordinaire du mot « établissement », et conformément aux définitions de dictionnaires que l'on relève dans la jurisprudence que j'ai mentionnée plus tôt, il m'est difficile de souscrire à la thèse voulant que l'espace de coiffure dont Mme Short disposait pût être en soi un établissement dans le contexte de la disposition. Tant Mme Willcott que Mme Short voulaient que Mme Short exploite son entreprise en qualité de membre d'une coopérative ou d'une coalition informelle de propriétaires uniques, exploitant chacune sa propre petite entreprise, dans laquelle elles fournissaient à la clientèle divers services différents dans le cadre et le concept de Sandlewood en tant que salon à service complet offrant, notamment, des services de coiffure. Au vu des faits, il n'est pas raisonnable de considérer que Mme Short était l'exploitante de son propre salon de coiffure dans un espace loué représentant une partie de l'ensemble des locaux commerciaux, car il n'y avait presque aucun signe de séparation ou caractéristique cadrant avec l'identité distincte de cette fonction qui permettaient de distinguer cette dernière de l'exploitation commerciale de Sandlewood. Le volet « coiffure » faisait plutôt partie intégrante de la série complète des services offerts à la clientèle. Lorsque Mme Short faisait du rangement dans la zone commune, répondait au téléphone, rencontrait des clientes dans la zone d'accueil, servait le thé ou prenait part à un programme de promotion, elle ne le faisait pas pour promouvoir l'ancienne entreprise qu'elle avait exploitée de nombreuses années durant sous le nom commercial « Hair by Jolene ». Ses activités cadraient plutôt avec le rôle qu'elle jouait en tant que fournisseur de services dans le concept général de Sandlewood. Même si son arrivée a transformé Sandlewood en salon de coiffure, la méthode qu'elle a suivie pour exploiter son entreprise bel et bien indépendante à titre de fournisseur de services ne l'a pas transformée en propriétaire de cet établissement. Madame Willcott était la propriétaire de Sandlewood avant l'arrivée de Mme Short, et elle a continué de l'être après le départ de cette dernière. Pendant la période en cause, Mme Willcott est restée la propriétaire de l'établissement qui était devenu un salon de coiffure et était capable d'offrir les services qu'offre normalement un tel établissement. Ces services étaient annoncés sur les enseignes et étaient ajoutés sur la liste de prix ainsi que sur les documents publicitaires annonçant Sandlewood en tant que salon à service complet.

 

[26]    Pour illustrer l'objet restreint de l'alinéa 6d) du Règlement, je me reporte à la décision Oshawa Coiffures Ltd. s/n L'Attitudes International Image Centers c. Ministre du Revenu national, no 2002‑3923(EI), 9 septembre 2004, [2004] A.C.I. no 456, un jugement qu'a rendu le juge Woods. Dans cette affaire, il a été conclu qu'une technicienne manucure était une employée d'un salon de coiffure selon les principes de la common law. Le juge a toutefois traité brièvement de l'argument subsidiaire selon lequel l'emploi de la technicienne aurait pu être assurable en vertu de l'alinéa 6d) du Règlement. Voici ce qu'elle a dit au paragraphe 15 de ses motifs :

 

[15]      La question mérite un examen plus long que celui qu'il est possible de faire par écrit. Toutefois, compte tenu des renseignements restreints qui m'ont été donnés, j'hésite à conclure que le règlement s'applique aux techniciennes manucures, et ce, pour les raisons ci-après énoncées :

 

a)         Dans le règlement, il est fait mention d'un « salon de coiffure » plutôt que d'un « salon de beauté », soit une expression plus générale. Si le règlement était destiné à s'appliquer aux personnes qui offrent des services d'esthétique, on pourrait s'attendre à ce que l'établissement dont il est question dans le règlement soit décrit d'une façon plus générale;

 

b)         Les services d'esthétique comme les manucures sont souvent offerts dans des établissements où l'on ne coupe pas les cheveux, par exemple dans des salons de manucure et dans des établissements thermaux. Si le règlement était destiné à s'appliquer aux techniciennes manucures, il y aurait probablement également été fait mention de ces autres établissements.

 

[27]    Il est manifeste que le législateur a décidé que l'inverse ne s'applique pas et que ce sont uniquement les barbiers et les coiffeurs qui ont besoin de la protection du Règlement, même lorsqu'ils fournissent leurs services dans un établissement qui offre des services autres que ceux que l'on trouve normalement dans un salon de coiffure.

 

[28]    Dans le présent appel, Mme Willcott et Mme Short ont entrepris de bonne foi d'appliquer une méthode pratique et rentable pour exploiter leurs propres entreprises de services de concert avec un ou plusieurs autres fournisseurs de services, et ce, à l'intérieur du même édifice. Il est indispensable que les personnes exploitant une entreprise de petite ou de moyenne taille suivent de près leurs dépenses, car il est difficile d'augmenter leurs revenus qui, souvent, s'avèrent inélastiques une fois que l'entreprise a atteint une certaine maturité. Je souscris à l'argument de la représentante de l'appelante selon lequel il est peu probable que le législateur voulait couvrir ce type de situation, et que les appels que l'on soumet habituellement aux tribunaux mettent en cause le genre d'établissements qui suivent une pratique que l'on qualifie habituellement de « location de fauteuils » dans l'industrie. Dans ces affaires, les circonstances en cause établissaient clairement que les travailleuses fournissaient des services de coiffure dans un établissement, comme l'envisageait le législateur. La disposition en litige ne comporte aucune formule similaire à celle que l'on trouve à l'alinéa suivant – 6e) – au sujet d'un chauffeur de taxi, d'autobus commercial, d'autobus scolaire ou de tout autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou publique pour le transport de passagers. Dans un tel cas, le chauffeur n'est considéré comme exerçant un emploi assurable que s'il n'est pas le propriétaire de plus de 50 % du véhicule, ni le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise privée ou l'exploitant de l'entreprise publique. À mon avis, pour qu'une entité puisse être considérée comme un « salon de barbier ou de coiffure », il n'est pas nécessaire qu'elle ait pour objet commercial premier ou principal la prestation de ces services. Il est plutôt raisonnable de conclure, selon moi, qu'en fournissant l'un quelconque des services qu'offre normalement un tel établissement, l'entité correspondra à cette définition.

 

[29]    Bien que ceci n'entre nullement en ligne de compte dans ma conclusion, Mme Willcott était bel et bien en mesure de déduire les cotisations d'AE avant de remettre à Mme Short les fonds qui lui était dus des sommes d'argent, accumulées au moyen du terminal de débit, qui avaient été déposées dans le compte de Sandlewood.

 

[30]    L'appelante a invoqué un argument valide, mais je ne suis pas convaincu que la décision du ministre est erronée, et elle est par la présente confirmée.

 

[31]    L'appel est rejeté.

 

 

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 13e jour de juillet 2005.

 

 

D.W. Rowe

Le juge suppléant Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de février 2006

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

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