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Dossier : 2000-458(IT)G

ENTRE :

GHASSAN KIWAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus avec les appels de Ziad Hanna (2000-956(IT)G),Ramzi Salamé (2000-964(IT)G) et May Nassar (2000-965(IT)G),

les 21 et 22 octobre 2003, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Yves Ouellette

Avocats de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

Me Simon-Nicolas Crépin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 sont rejetés avec dépens en faveur de l'intimée, selon les motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'août 2004.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Dossier : 2000-956(IT)G

ENTRE :

ZIAD HANNA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus avec les appels de Ghassan Kiwan (2000-458(IT)G),

Ramzi Salamé (2000-964(IT)G) et May Nassar (2000-965(IT)G),

les 21 et 22 octobre 2003, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Yves Ouellette

Avocats de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

Me Simon-Nicolas Crépin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1995 sont rejetés avec dépens en faveur de l'intimée, selon les motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'août 2004.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Dossier : 2000-964(IT)G

ENTRE :

RAMZI SALAMÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus avec les appels de Ghassan Kiwan (2000-458(IT)G),

Ziad Hanna (2000-956(IT)G) et May Nassar (2000-965(IT)G),

les 21 et 22 octobre 2003, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Yves Ouellette

Avocats de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

Me Simon-Nicolas Crépin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 sont rejetés avec dépens en faveur de l'intimée, selon les motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'août 2004.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Dossier : 2000-965(IT)G

ENTRE :

MAY NASSAR,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus avec les appels de Ghassan Kiwan (2000-458(IT)G,

Ziad Hanna (2000-956(IT)G) et Ramzi Salamé (2000-964(IT)G),

les 21 et 22 octobre 2003, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Yves Ouellette

Avocats de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

Me Simon-Nicolas Crépin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995 sont rejetés avec dépens en faveur de l'intimée, selon les motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'août 2004.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Référence : 2004CCI136

Date : 20040818

Dossier : 2000-458(IT)G

ENTRE :

GHASSAN KIWAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET ENTRE :

Dossier : 2000-956(IT)G

ZIAD HANNA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET ENTRE :

Dossier : 2000-964(IT)G

RAMZI SALAMÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET ENTRE :

Dossier : 2000-965(IT)G

MAY NASSAR,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Dussault

[1]      Ces appels ont été entendus sur preuve qui était commune en partie seulement. Il s'agit d'appels de cotisations refusant aux appelants et à l'appelante (ci-après désignés « les appelants » ) des crédits pour dons de bienfaisance faits à l'Ordre antonien libanais des Maronites ( « O.A.L.M. » ) et leur imposant des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) pour avoir fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde des faux énoncés dans leurs déclarations de revenu. De plus, certaines cotisations ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation au motif qu'on avait fait une présentation erronée des faits par omission volontaire en produisant les déclarations de revenu pertinentes et en fournissant des renseignements sous le régime de la Loi.

[2]      En ce qui concerne monsieur Ghassan Kiwan, les crédits refusés se rapportent à des dons de bienfaisance de 5 000 $, de 20 700 $, de 12 500 $, de 9 500 $, de 11 500 $ et de 6 000 $ pour chacune des années 1990 à 1995 respectivement. Les cotisations établies pour les années 1990 à 1993 inclusivement l'ont été après la période normale de nouvelle cotisation.

[3]      En ce qui concerne monsieur Ziad Hanna, les crédits refusés se rapportent à des dons de bienfaisance de 5 500 $, de 9 000 $, de 5 100 $ et de 5 500 $ pour chacune des années 1992 à 1995 respectivement. Les montants à l'égard desquels les crédits ont été réclamés, compte tenu du maximum admissible à cette fin et des reports de crédits, ont été de 5 500 $ en 1992, de 6 672 $ en 1993, de 7 348 $ en 1994 et de 5 580 $ en 1995. Les cotisations établies à l'égard des années 1992 et 1993 l'ont été après la période normale de nouvelle cotisation.

[4]      En ce qui concerne monsieur Ramzi Salamé, les crédits refusés se rapportent à des dons de bienfaisance de 9 600 $, de 10 000 $, de 5 000 $ et de 10 000 $ pour chacune des années 1990 à 1993 respectivement. Les cotisations établies pour les quatre années l'ont été après la période normale de nouvelle cotisation.

[5]      En ce qui concerne madame May Nassar, les crédits refusés se rapportent à des dons de bienfaisance de 3 900 $ et de 3 000 $ pour les années 1994 et 1995 respectivement. En 1994, le crédit a été réclamé à l'égard d'un montant de 3 831 $.

[6]      Madame May Nassar est la conjointe de monsieur Ziad Hanna. Il n'existe aucun autre lien entre les appelants.

[7]      Dans les réponses modifiées aux avis d'appel, l'intimée allègue que le ministre du Revenu national ( « ministre » ) a établi les cotisations en litige en tenant pour acquis que les appelants n'ont pas fait don, de quelque façon que ce soit, des sommes en question à l'O.A.L.M. et qu'ils n'ont pas présenté des reçus valides contenant les renseignements prescrits, puisque les montants de dons y apparaissant sont faux. Ainsi, il est allégué que les appelants n'ont pas fait les dons pour lesquels ils ont réclamé des crédits dans leurs déclarations de revenu et qu'ils ont plutôt participé à un stratagème qui consistait pour l'O.A.L.M. soit à établir un reçu pour un montant payé par chèque par un contribuable et à rendre, en espèces, à ce même contribuable une somme d'argent équivalente ou presque, soit à établir un reçu indiquant un don en argent d'un certain montant par un contribuable alors que celui-ci n'avait versé aucune somme ou qu'il avait versé en espèces une somme minime par rapport au montant indiqué sur le reçu.

[8]      Dans le cas des quatre appelants presque tous les dons mentionnés ont été faits par chèque, de sorte que c'est le stratagème consistant à fournir un reçu pour un montant payé par chèque et à faire un remboursement en espèces qui est à la base des cotisations.

[9]      Chacun des appelants a témoigné. Le témoignage de monsieur Ghassan Kiwan a été obtenu par vidéoconférence depuis l'Arabie Saoudite, vu les difficultés qu'il avait à être présent à Montréal.

[10]     Pour l'intimée, les personnes suivantes ont témoigné :

madame Isabelle Mercier;

madame Colette Langelier, vérificatrice à Revenu Canada;

monsieur Gaétan Ouellette, enquêteur à Revenu Canada;

monsieur Michel Yazbeck;

monsieur Elias Farhat;

monsieur Marcel Thibodeau.

[11]     L'avocat des appelants a fait objection relativement à la preuve tant testimoniale que documentaire présentée par l'intimée. Il a d'abord invoqué le paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés ( « Charte » ), l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada et l'article 2858 du Code civil du Québec ( « Code civil » ) pour faire écarter tous les éléments de preuve obtenus par le ministre à la suite de la dénonciation du stratagème faite par madame Isabelle Mercier. Selon l'avocat des appelants, le ministre était, dès la dénonciation, engagé dans une enquête criminelle et non dans une vérification de conformité, et il aurait dû, dès lors, obtenir des mandats de perquisition en bonne et due forme, ce qui n'a pas été fait. Il y a donc eu atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte, de sorte que l'utilisation des éléments de preuve obtenus serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[12]     L'avocat des appelants a aussi fait objection relativement à la preuve présentée par l'intimée tendant à établir qu'un nombre considérable de personnes ont participé au stratagème et obtenu de faux reçus pour dons de bienfaisance; cette objection était fondée sur l'assertion que l'intimée tentait de présenter une preuve d'actes similaires, telle preuve n'étant, selon l'avocat, ni recevable ni pertinente aux fins de statuer sur les présents appels. Pendant la présentation de la preuve, l'avocat des appelants a fréquemment fait objection relativement à des éléments de preuve spécifiques en invoquant notamment la règle du « ouï-dire » et celle de la pertinence.

[13]     Sur le premier point, les avocats de l'intimée ont soutenu que le ministre a d'abord procédé à une vérification de conformité relativement à l'O.A.L.M. et que ce n'est que plus tard qu'il fut décidé de faire une enquête de nature criminelle. À compter de ce moment, tous les mandats de perquisition et de saisie ont été obtenus en bonne et due forme.

[14]     Quant au deuxième point, les avocats de l'intimée ont fait valoir que la preuve présentée était circonstancielle, qu'une telle preuve était tout à fait recevable et qu'elle tendait à établir non seulement l'existence d'un stratagème mis sur pied par l'O.A.L.M., mais également l'ampleur de ce stratagème, compte tenu du nombre important de donateurs y ayant participé.

[15]     Dans les circonstances, et avant d'aborder le dossier de chacun des appelants, j'estime nécessaire de me référer à la preuve présentée, et ce, afin de nous situer dans le contexte général de cette affaire, laquelle a donné lieu à des poursuites pénales à l'égard d'une quinzaine de donateurs et à l'établissement de cotisations à l'égard de plus d'un millier de contribuables.

Le contexte

[16]     Le 30 mars 1994, madame Isabelle Mercier, médecin, accompagnée de son comptable, monsieur Gaétan Picard, a rencontré monsieur Raymond Galimi, chef d'équipe à Revenu Canada (devenu depuis l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » )), madame Colette Langelier, vérificatrice, et monsieur Gaétan Ouellette, enquêteur à la Section des enquêtes spéciales. La raison de la rencontre, sollicitée par monsieur Picard auprès de monsieur Galimi, qu'il connaissait, était que sa cliente désirait dénoncer la remise de « reçus pour des dons de charité frauduleux » par ce qu'elle a décrit comme l'ordre St-Antoine-le-Grand, situé au 1530, avenue Ducharme, à Outremont, Québec. Le procès-verbal de cette rencontre a été signé par madame Colette Langelier, le 31 mars 1994 (pièce I-7). Lors de la rencontre, madame Mercier a fait part du fait que deux prêtres, messieurs Antoine Sleiman et Youssef El-Kamar, étaient impliqués dans le stratagème. Le conjoint de madame Mercier, monsieur Samir El-Boustany, ainsi que monsieur Fadi Basile, médecin, ont également été nommés par madame Mercier comme des organisateurs, avec les prêtres, de ce stratagème. Selon la déclaration de madame Mercier, le stratagème consistait en la délivrance de reçus pour un montant plus élevé que celui des dons ainsi qu'en la délivrance de reçus pour des dons faits par chèque, mais avec remise au donateur d'une partie en argent comptant. Selon elle, l'organisme en question ne conservait que de 25 % à 50 %. Madame Mercier a aussi déclaré que son mari prenait un pourcentage des sommes rendues en argent comptant et elle a nommé une autre personne qu'elle connaissait alors, un certain Naji Abi Nader qui, selon elle, profitait du stratagème depuis plusieurs années par l'entremise de son mari. Selon madame Mercier, cette personne remettait à son mari un chèque de 20 000 $ plusieurs fois par année lors de son passage à Montréal. En retour, cette personne obtenait de son mari une enveloppe contenant des billets qu'elle affirmait avoir elle-même comptés. Elle a indiqué que le stratagème concernait la communauté libanaise et que beaucoup de professionnels dans le milieu médical en profitaient. Elle a admis qu'elle en avait elle-même profité jusqu'en 1990 et que son mari en avait profité jusqu'en 1992. Madame Mercier a aussi déclaré qu'elle avait toujours été contre cette façon de faire et qu'elle acceptait en conséquence de payer les impôts ainsi que les pénalités et les intérêts applicables.

[17]     Au moment de faire la dénonciation madame Mercier était séparée de son mari et en instance de divorce. Lors de son témoignage, elle a toutefois affirmé qu'elle avait agi non pas par vengeance, mais bien parce qu'elle avait à ce moment suffisamment de problèmes sans y en ajouter un de plus en se faisant accuser au criminel pour avoir fait des dons frauduleux.

[18]     Selon madame Langelier, à la suite de la rencontre avec madame Mercier et après discussion, monsieur Galimi a décidé de faire procéder à la vérification de l'organisme et lui a confié le dossier. À ce moment, madame Langelier était « agent senior » en matière d'évitement fiscal.

[19]     La première démarche de madame Langelier fut d'obtenir le dossier de l'O.A.L.M. de la Division des organismes de charité à Ottawa et, plus particulièrement, les déclarations produites par l'organisme, lesquelles contenaient la liste des donateurs. Madame Langelier a rapidement appris de cette division que l'O.A.L.M. avait déjà fait l'objet d'une vérification en 1990 pour les années 1984 à 1987 et qu'il y avait eu un suivi à la fin de 1992 relativement aux années 1990 et 1991. Un rapport de vérification avait été préparé en janvier 1993. Déjà, un certain nombre de problèmes avaient été cernés concernant notamment la date des reçus établis et la façon dont l'O.A.L.M. rendait compte de l'argent reçu, puisque les chèques seulement étaient déposés. Comme une bonne partie des sommes reçues devait être acheminée au Liban, il fallait être en mesure d'en contrôler l'utilisation véritable. Certains engagements avaient été demandés à l'O.A.L.M. On avait également requis la production de documents qui n'avaient pas encore été produits. Il semble que la Division des organismes de charité s'apprêtait même à suspendre l'enregistrement de l'O.A.L.M. Selon madame Langelier, en mai 1994, la déclaration de 1993 n'avait pas encore été produite. Compte tenu des faits constatés lors de vérifications antérieures, dont le fait que l'O.A.L.M. ne déposait pas les dons faits en argent comptant, il était possible d'établir certains liens avec la dénonciation de madame Mercier, de sorte qu'il s'avérait nécessaire de vérifier si l'organisme avait modifié sa façon de faire.

[20]     Ainsi, ayant pris connaissance des déclarations de l'O.A.L.M. et des rapports des vérifications antérieures, madame Langelier a entrepris la vérification des années 1989 à 1993.

[21]     Le 8 septembre 1994, madame Langelier, accompagnée de monsieur Galimi, a rencontré à nouveau madame Mercier et son comptable au bureau de ce dernier afin de poser à madame Mercier des questions additionnelles sur de la documentation qu'elle avait fait parvenir à la suite de la rencontre du 30 mars 1994.

[22]     À la fin de septembre 1994, après avoir téléphoné à l'O.A.L.M. et avoir pris rendez-vous avec le comptable de l'organisme, un certain Ralph Nahas, madame Langelier s'est rendue sur les lieux et a demandé à examiner tous les documents comptables, les états bancaires mensuels, les chèques, les bordereaux de dépôt, les factures et les carnets de reçus officiels. Madame Langelier avait demandé à ce que la déclaration de l'O.A.L.M. pour l'année 1993 lui soit remise directement, ce qui fut fait dès le début de la vérification. La vérification sur place a duré environ un mois, soit jusqu'à la fin d'octobre 1994, période au cours de laquelle elle s'est rendue sur les lieux à sept ou huit reprises, dont une fois accompagnée de monsieur Galimi, son chef d'équipe. Madame Langelier a consulté tous les documents disponibles pour la période allant jusqu'en août 1994 et a complété plus tard son travail pour le reste de l'année 1994 et pour l'année 1995.

[23]     À l'aide des documents bancaires consultés et des autres documents déjà en sa possession, notamment les listes des donateurs jointes aux déclarations de l'O.A.L.M., madame Langelier a créé deux bases de données afin d'établir les liens entre les reçus établis et les sommes déposées dans les comptes bancaires. Ainsi, cet exercice de conciliation visait à déterminer notamment le nom de chaque donateur, le montant et la date du chèque, la date de dépôt du chèque, et le numéro, la date et le montant du reçu établi.

[24]     Madame Langelier a affirmé qu'elle tentait de vérifier si l'O.A.L.M. utilisait effectivement 90 % des donations recueillies à chaque année à des fins de bienfaisance (pièce I-11).

[25]     L'analyse exhaustive effectuée par madame Langelier lui a permis de constater, d'une part, qu'il n'y avait à peu près pas de dépôt de sommes reçues en argent comptant et, d'autre part, que les montants des chèques déposés étaient, en grande partie, retirés peu de temps après par des chèques de l'O.A.L.M. faits à l'ordre de « cash » (voir pièces I-10, vol. 1 et 2, et I-12). L'O.A.L.M. prétendait que les sommes ainsi retirées en devises canadiennes étaient placées dans un coffre-fort, puis acheminées au Liban dans des valises par l'entremise de prêtres ou religieuses de passage. Selon madame Langelier, malgré les demandes qu'on lui avait faites de prouver le montant et la date de chacun de ces envois d'argent au Liban ou encore la date de change des devises canadiennes, l'O.A.L.M. a été incapable de fournir les informations demandées et de démontrer que les sommes indiquées sur ses registres avaient effectivement été acheminées au Liban.

[26]     Madame Langelier a également tenté de connaître l'ampleur du phénomène des dons reçus sous forme d'argent comptant et dont il n'existait aucune trace. Elle a affirmé qu'on lui avait dit que des enveloppes au nom de donateurs étaient conservées dans le coffre-fort afin que l'organisme puisse établir en fin d'année un reçu pour les dons en argent comptant faits au cours de l'année. Lors de sa vérification en octobre 1994, madame Langelier a constaté non seulement que le coffre-fort ne contenait aucune somme en argent comptant, mais qu'il ne contenait pas non plus d'enveloppes au nom de donateurs. À cet égard, on lui aurait fait parvenir, au printemps 1995 seulement, un document en langue arabe qu'elle a fait traduire. Selon madame Langelier, ce document indiquait uniquement le montant total en fin d'année des reçus officiels établis pour des dons en argent comptant.

[27]     Tenant compte des chèques faits par l'O.A.L.M. à l'ordre de « cash » et des reçus officiels établis pour des dons faits en argent comptant qui n'étaient pas généralement déposés, madame Langelier a constaté qu'il n'y avait aucune trace de l'utilisation véritable de la presque totalité des sommes reçues par l'O.A.L.M. Elle a affirmé avoir été dans l'impossibilité de retracer 95 % de ces sommes pour 1991, 92 % pour 1992 et 84 % pour 1993. Les montants inscrits aux registres de l'O.A.L.M. comme étant des dons destinés au Liban s'élevaient à 520 398 $, à 964 950 $, à 2 000 000 $, à 2 000 000 $ et à 2 680 000 $ pour les années 1989 à 1993 respectivement (pièce I-11).

[28]     La pièce I-11 permet notamment de constater l'importance des retraits en argent comptant par rapport aux montants des reçus officiels établis et des dons déposés. À titre d'exemple, en 1991, l'O.A.L.M. a établi des reçus officiels pour un montant total de 2 436 142 $ et a déposé la somme totale de 1 302 135 $, dont 1 152 741 $ ont été retirés en argent comptant. En 1992, des reçus officiels ont été établis pour un montant total de 2 728 670 $. Le total des dons déposés s'est établi à 1 173 685 $, dont 1 090 528 $ ont été retirés en argent comptant.

[29]     Le travail de vérification de madame Langelier n'a été complété qu'en juin 1995. Elle a alors pris rendez-vous avec la Section des enquêtes spéciales aux fins du renvoi du dossier à cette section pour enquête.

[30]     Selon madame Langelier, son travail de vérification et d'analyse lui avait aussi permis de découvrir qu'il y avait trois types de stratagème, soit :

1)        l'établissement de reçus officiels pour des chèques du même montant et le dépôt des chèques suivi de retraits par chèque à l'ordre de « cash » faits par l'O.A.L.M.;

2)        l'établissement de reçus « antidatés » pour des paiements faits par chèque dans une année subséquente et dont le montant était une fraction seulement du montant du reçu;

3)        l'établissement de reçus officiels non appuyés par un paiement par chèque.

[31]     Madame Langelier a affirmé qu'un certain nombre de vérifications de déclarations de revenu de donateurs lui avaient permis de constater que la première situation se présentait surtout chez des professionnels alors que dans la deuxième situation il s'agissait plutôt de salariés et de retraités.

[32]     Le renvoi pour enquête a été officiellement accepté le 29 juin 1995. Madame Langelier a affirmé n'avoir eu aucun contact avec monsieur Ouellette ou avec qui que ce soit d'autre de la Section des enquêtes spéciales entre mars 1994 et juin 1995, ce qui a d'ailleurs été confirmé par monsieur Ouellette.

[33]     Monsieur Gaétan Ouellette est actuellement à la retraite. Il compte 25 ans d'expérience comme enquêteur à la Section des enquêtes spéciales, où il a occupé des postes à presque tous les niveaux.

[34]     En mars 1994, il était agent de liaison et de développement à cette section, laquelle était chargée, entre autres, de recevoir les personnes qui désiraient faire des dénonciations. C'est à ce titre qu'il avait été mandaté pour assister à la rencontre avec madame Isabelle Mercier et son comptable. Selon monsieur Ouellette, au cours de cette rencontre, à laquelle assistaient également madame Langelier et monsieur Galimi et qui a eu lieu dans les bureaux de ce dernier, madame Mercier a dénoncé ce qu'elle prétendait être un stratagème de vente de reçus qu'on avait mis sur pied dans un monastère; elle a donné le nom de quelques personnes qui avaient pu participer au stratagème, a mentionné qu'elle y avait elle-même participé peut-être un an ou deux et a expliqué un peu le fonctionnement du stratagème, notamment quant au pourcentage que les personnes impliquées payaient réellement.

[35]     Au terme de la rencontre et après discussion, il fut décidé de confier le dossier au service de vérification et de ne pas faire enquête. À cet égard, il importe de rapporter ici la réponse[1] donnée par monsieur Ouellette concernant cette décision :

          Q. Pourquoi n'avez-vous pas demandé à ce qu'il soit en enquête, le dossier?

          R. Bien, personnellement, je suis convaincu qu'on n'avait pas de motifs, quand on a rencontré madame Mercier, de mettre le dossier en enquête. D'abord, on ne savait pas... on ne connaissait pas l'ampleur du phénomène, on ne connaissait pas vraiment l'organisation, madame Mercier ne nous avait pas donné des chiffres quand même qui étaient impressionnants. Tout ça mis en compte, on n'entreprend pas une enquête juste sur ce genre d'informations-là.

[36]      Dans son témoignage, monsieur Ouellette a affirmé catégoriquement que ni lui ni personne d'autre à la Section des enquêtes spéciales n'avaient été en contact de quelque façon que ce soit avec madame Langelier, avec son chef d'équipe, monsieur Galimi, ou avec qui que ce soit à la Division de la vérification entre le 30 mars 1994 et le moment du renvoi à la Section des enquêtes spéciales, soit le 29 juin 1995 ou quelques jours plus tôt. De même, il a affirmé qu'il n'avait reçu aucun document de qui que ce soit durant cette même période. Selon lui, il n'avait pas non plus eu de contacts avec madame Isabelle Mercier ou son comptable avant le début de l'enquête. Monsieur Ouellette a affirmé qu'il ne s'était tout simplement pas intéressé au dossier ni ne s'était informé de celui-ci au cours de cette période de mars 1994 à juin 1995.

[37]      Selon monsieur Ouellette, la rencontre concernant le renvoi à la Section des enquêtes spéciales a probablement eu lieu quelques jours avant la signature officielle du formulaire de renvoi. Madame Langelier et monsieur Galimi étaient présents. Monsieur Ouellette y était aussi, ainsi que le chef de la Section des enquêtes spéciales, monsieur Ratté, et peut-être aussi un chef d'équipe de la Section des enquêtes spéciales. Selon monsieur Ouellette, c'est au cours de cette rencontre que la décision a été prise d'accepter le renvoi.

[38]      Monsieur Ouellette a affirmé que c'est plus tard et après de nombreuses discussions que la décision a initialement été prise de confier le dossier à une équipe et à un enquêteur en particulier. La charge de travail de cet enquêteur l'aurait toutefois alors incité à refuser le dossier. C'est à cause du manque d'enquêteurs que le dossier aurait finalement été attribué à monsieur Ouellette. De plus, selon lui, il s'agissait d'un dossier très sensible qui demandait de l'expertise. Ses nombreuses années d'expérience à la Section des enquêtes spéciales auraient dicté ce choix.

[39]      Monsieur Ouellette a affirmé qu'à l'examen des tableaux produits par madame Langelier, lesquels consistaient en une compilation de toutes les informations bancaires et des reçus établis par l'O.A.L.M., il avait été convaincu qu'il y avait un stratagème (pièce I-9).

[40]      C'est le 23 août 1995, à son retour de vacances, que monsieur Ouellette a contacté madame Isabelle Mercier en vue de la rencontrer; l'objet de la rencontre était de l'informer qu'il y avait matière à enquête et de lui faire signer un affidavit, dont il lui a dit qu'il s'en servirait aux fins d'enquête. Selon monsieur Ouellette, madame Mercier lui avait demandé que madame Langelier, qu'elle connaissait, soit présente à la rencontre ce qu'il a accepté. La rencontre a eu lieu dans un bureau de la Section des enquêtes spéciales.

[41]      À la fin d'octobre ou au début de novembre 1995, monsieur Ouellette a écrit une dénonciation à l'égard de l'O.A.L.M. et de son comptable Ralph Nahas, dans le but d'obtenir des mandats de perquisitionner au monastère de l'O.A.L.M. et au bureau du comptable de cet organisme.

[42]      Le mandat de perquisition concernant l'O.A.L.M. a été exécuté le 8 novembre 1995 en présence du père Jean Slim, qui était responsable du monastère. Selon monsieur Ouellette, celui-ci s'est finalement présenté plusieurs heures après que le groupe d'enquêteurs eut investi les lieux et que les personnes présentes eurent refusé de se nommer. L'avertissement officiel a été servi au père Slim tout comme il l'avait été à messieurs Ralph Nahas et Samir El-Boustany, qui étaient arrivés au monastère un peu plus tôt.

[43]      Madame Langelier, qui avait participé à la rencontre des enquêteurs avant la perquisition, a assisté à celle-ci dans le but de donner des informations sur les endroits où pouvaient se trouver des documents.

[44]      Le mandat de perquisition concernant le comptable Ralph Nahas n'a pu être exécuté puisque l'adresse fournie, et vérifiée même auprès de son ordre professionnel, s'est révélée fausse. Ce n'est finalement que le 10 juillet 1996 qu'un nouveau mandat de perquisition, obtenu cette fois à l'égard de la résidence de monsieur Nahas, a pu être exécuté. À la même date, un mandat de perquisitionner à la résidence de monsieur Samir El-Boustany, l'époux de madame Isabelle Mercier, a aussi été exécuté. Un autre mandat, concernant un certain monsieur Jamousse, n'a pu l'être, celui-ci ayant quitté le pays pour les États-Unis. Monsieur El-Boustany était l'un des dirigeants de l'O.A.L.M. et monsieur Jamousse avait été mentionné comme un recruteur de donateurs sur un document saisi chez l'O.A.L.M. lors de la perquisition du 8 novembre 1995.

[45]      Selon monsieur Ouellette, l'enquête a permis de découvrir quatre types de stratagème d'évasion fiscale, soit :

1)       l'émission d'un chèque pour le montant exact du reçu délivré par l'O.A.L.M. et la remise au donateur d'une somme en argent comptant, le plus souvent égale à 80 % ou 85 % du montant du reçu;

2)       la vente de reçus pour 15 % ou 20 % du montant du reçu;

3)       le paiement par chèque de 15 % ou 20 % du montant du reçu;

4)       la délivrance de reçus sans aucune contrepartie.

[46]      Selon monsieur Ouellette, environ 20 donateurs ayant obtenu des reçus pour un total de 100 000 $ et plus de 1989 à 1994 ont fait l'objet d'une enquête criminelle. Finalement, 16 plaintes ont été déposées et 12 personnes ont plaidé coupable. Trois plaintes ont été retirées et il y a eu arrêt des procédures dans un cas.

[47]      La perquisition du 8 novembre 1995 a permis la saisie de 40 à 50 boîtes de documents, principalement des documents comptables et bancaires, dont des bordereaux de dépôt (voir pièce I-10, vol. 1 et 2), des chèques émis par l'O.A.L.M. à l'ordre de « cash » (pièce I-12) et des talons de chèque (voir pièce A-8, cahier 6)[2].

[48]      Les documents saisis se trouvaient dans le bureau du père Slim, dans la bibliothèque y attenante et au sous-sol.

[49]      Parmi les documents saisis chez l'O.A.L.M. le 8 novembre 1995 se trouvait une disquette contenant un fichier informatique intitulé « Biblio-Reç » (voir pièce I-21, onglet 3). Ce document de neuf pages contient de l'information concernant 354 reçus établis par l'O.A.L.M. en 1993. L'information à l'égard de ces reçus, qui sont répertoriés dans le document en ordre séquentiel, est disposée sur 15 colonnes. On y trouve notamment, dans les colonnes B à J, d'abord, dans beaucoup de cas, le pourcentage payé (généralement 15 % ou 20 %), puis le numéro du reçu, le prénom et le nom du donateur, son numéro de téléphone, le montant du reçu, le montant « à payer » , le montant « payé » , le montant « rest[ant] à p[ayer] » , ces trois dernières colonnes indiquant, selon monsieur Ouellette, le montant à remettre, déjà remis ou restant à remettre au donateur. De plus, selon lui, ses vérifications ultérieures lui ont permis de constater que l'inscription CA dans la colonne K indique que le reçu avait été remis pour de l'argent comptant ( « cash » ). Dans la colonne L intitulée « nôtre » est inscrit le montant conservé par l'O.A.L.M. La colonne M intitulée « via » indique, dans certains cas, la personne qui avait recruté le donateur. On y retrouve d'ailleurs le nom de monsieur Jamousse dont il a déjà été question. C'est grâce à des informations recueillies sur d'autres documents saisis chez l'O.A.L.M., notamment des photocopies de chèques de donateurs, des enveloppes, ainsi que divers autres documents déchirés et placés dans une boîte à rebuts, que monsieur Ouellette a pu établir la justesse de son interprétation du Biblio-Reç.

[50]      Ont été saisis plus tard, à la résidence du comptable Ralph Nahas, d'autres documents, dont deux fichiers informatiques imprimés, l'un intitulé « Biblio-Avant moi » (voir pièce I-21, onglet 15) et l'autre « Biblio-Reç » (voir pièce I-21, onglet 16). Ce dernier fichier est différent de celui saisi chez l'O.A.L.M. le 8 novembre 1995 en ce qu'il comprend les numéros séquentiels 355 à 495, qui n'apparaissent pas sur le fichier saisi chez l'O.A.L.M. le 8 novembre 1995 (voir pièce I-21, onglet 3). Toutefois, les deux fichiers saisis chez le comptable sont fragmentaires en ce qu'on n'y trouve que l'information des colonnes A à E, soit le numéro du reçu, le prénom et le nom du donateur, son numéro de téléphone et le montant du reçu. Monsieur Ouellette a émis l'hypothèse qu'un document plus complet avait dû exister à un moment donné. Selon monsieur Ouellette, plusieurs donateurs que l'on peut trouver sur le « Biblio-Avant moi » ont plaidé coupable ou ont fait des aveux.

[51]      Lors de l'enquête, des donateurs ont été interrogés. Des aveux ont été obtenus dans plusieurs cas (voir pièce I-21, onglet 10). Selon monsieur Ouellette, plus de 50 autres personnes ont également fait des aveux par l'entremise d'un même avocat.

[52]      Monsieur Ouellette a affirmé que d'autres donateurs ont fait des aveux plus tard, après que l'information sur l'existence du stratagème et sur ses modalités eut été transmise à la Division de la vérification en vue de l'établissement de nouvelles cotisations à l'égard des donateurs. Monsieur Ouellette a mentionné qu'il avait alors fait la recommandation de ne pas inclure à cette fin les donateurs ayant obtenu des reçus de moins de 1 000 $ (voir pièce I-21, onglet 11).

[53]      On peut noter que le nom d'un certain nombre des personnes ayant avoué avoir obtenu un faux reçu pour 1993 est inscrit au « Biblio-Reç » . Par ailleurs, le nom de plusieurs autres de ces personnes n'y figure pas (voir pièce I-21, onglets 3, 10 et 11).

[54]      Selon monsieur Ouellette, de nouvelles cotisations pour les années 1989 à 1995 ont été établies à l'égard d'un peu plus de 1 000 personnes, dont une centaine ont interjeté appel à la présente Cour.

[55]     Aucune enquête n'a été faite par monsieur Ouellette concernant les appelants. Je signale également qu'aucun des appelants n'a fait l'objet d'une vérification spécifique avant l'établissement des nouvelles cotisations. Toutefois, on peut trouver le nom de trois d'entre eux sur des documents saisis soit chez l'O.A.L.M., soit chez le comptable Ralph Nahas. J'en traiterai au moment opportun.

[56]     À la demande de l'intimée, outre madame Isabelle Mercier, trois autres donateurs ont témoigné avoir obtenu des reçus pour des montants supérieurs au montant des dons réellement faits.

[57]     Monsieur Michel Yazbeck est dentiste et originaire du Liban. Il est arrivé au Canada en 1979. Il a dit avoir pris connaissance de la remise de reçus aux fins d'impôt par l'O.A.L.M. dans la communauté libanaise, sans trop se souvenir comment. Il a affirmé avoir obtenu un reçu de 10 000 $ en 1990, un reçu de 10 000 $ en 1991 et un reçu de 8 000 $ en 1992 en remettant, dans chaque cas, à un prêtre du monastère un chèque pour le montant en question. Deux semaines plus tard et alors que le chèque avait été encaissé, il retournait au monastère pour se voir remettre, à l'égard d'un chèque de 10 000 $, par exemple, une somme de 8 000 $ en argent comptant. Selon lui, le procédé était le même à chaque fois. En ce qui concerne le reçu établi en date du 22 décembre 1992 pour un montant de 8 000 $, il aurait, selon lui, été délivré en 1993 alors qu'il préparait sa déclaration de revenus de l'année 1992 (pièce I-5). Des aveux concernant le remboursement, en argent comptant, de 80 % du montant des chèques ont d'ailleurs été faits par monsieur Yazbeck à Revenu Canada en février 1997 (pièce I-6).

[58]     Monsieur Elias Farhat, est ingénieur. Il est également originaire du Liban. Il a pour sa part affirmé avoir obtenu un reçu de 10 000 $ en 1993 ainsi que deux reçus, l'un de 5 000 $ et l'autre de 4 500 $, en 1994, en ne payant comptant qu'une somme égale à 1/5 du montant des reçus (pièce I-17). Selon lui, lors d'une soirée à Montréal, une amie lui avait fait part de la possibilité de faire un don et d'obtenir un reçu d'un montant supérieur. Par ailleurs, il a affirmé que cette information circulait de bouche à oreille dans la communauté maronite. Le reçu de 10 000 $, daté du 31 décembre 1993, aurait toutefois été obtenu à la suite d'une visite au monastère en janvier ou février 1994; il aurait remis à ce moment-là 2 000 $ en argent comptant. Selon lui, on lui a fait parvenir le reçu plus tard par courrier, car à ce moment il travaillait à Sept-Îles. Son nom et les informations pertinentes concernant ce don se trouvent au « Biblio-Reç » au numéro séquentiel 92. Le numéro du reçu est le 122 (voir pièce I-21, onglet 3).

[59]     Monsieur Marcel Thibodeau est aujourd'hui retraité. Il était auparavant enseignant. C'est par son comptable, un certain Jean-Maurice Labelle, qu'il aurait été informé en mars 1993, lors de la préparation de sa déclaration de revenu de 1992, de la possibilité d'obtenir un reçu d'un montant cinq fois supérieur au montant versé en argent comptant. Monsieur Thibodeau a affirmé avoir remis une somme de 1 000 $ comptant à monsieur Labelle et c'est ce dernier qui lui a fourni en retour un reçu de l'O.A.L.M. d'un montant de 5 000 $ daté du 31 décembre 1992 (voir pièce I-19, page 1).

[60]     Monsieur Thibodeau a dit avoir reçu en décembre 1993 un appel téléphonique d'un certain Roger Antabli, qui lui demandait s'il voulait « participer » à nouveau en 1993. Dans l'affirmative, il devait le faire avant le 31 décembre en se rendant au Buffet Antabli sur le boulevard de l'Acadie Nord. Monsieur Thibodeau a affirmé qu'il avait d'ailleurs été informé par monsieur Labelle que monsieur Antabli était « le contact » et qu'il lui téléphonerait. Monsieur Thibodeau s'est donc rendu à l'endroit désigné et a remis une somme de 2 000 $ comptant à la personne qui s'est présentée comme étant monsieur Antabli. Ce dernier lui a remis sur-le-champ un reçu de 8 000 $ déjà rempli (voir pièce I-19, page 2). Le nom de monsieur Thibodeau apparaît sur l'imprimé du fichier électronique intitulé « Biblio-Reç » saisi chez le comptable de l'O.A.L.M. (voir pièce I-21, onglet 16). Le numéro séquentiel est le 390, le numéro du reçu est le 429 et le montant indiqué pour le reçu est 8 000 $. Tel qu'il est mentionné plus haut, aucune autre information ne figure sur cette deuxième partie du « Biblio-Reç » . À la fin de 1994, monsieur Thibodeau a obtenu un autre reçu de 8 000 $ selon le même scénario (voir pièce I-19, page 3).

[61]     Comme la conjointe de monsieur Thibodeau avait également fait un don à l'O.A.L.M. et qu'elle avait déjà reçu un avis de nouvelle cotisation refusant le crédit d'impôt réclamé, monsieur Thibodeau a contacté monsieur Gaétan Ouellette, dont le numéro de téléphone était joint à l'avis de cotisation, dans le but de faire une divulgation. Monsieur Ouellette lui ayant demandé d'envoyer une lettre, monsieur Thibodeau lui a alors fait parvenir une lettre d'aveu (pièce I-20).

[62]      Lors de son témoignage, madame Mercier a expliqué ce qu'elle savait elle-même du stratagème, dont son mari, monsieur El-Boustany, était l'un des organisateurs. C'est du père Sleiman que madame Mercier a appris l'existence du stratagème lors d'une rencontre au sous-sol de l'église en présence de son mari. La conversation se serait poursuivie un peu plus tard dans le bureau des prêtres. Selon elle, son mari avait d'ailleurs, lui aussi, expliqué les modalités du stratagème à une autre personne venue à la maison. Madame Mercier a confirmé qu'elle avait elle-même fait des dons de 1988 à 1990 par chèques remis à son mari, qui les remettait aux prêtres, notamment au père Sleiman, au père Slim et au père El-Kamar. Madame Mercier a affirmé que c'est à ce dernier, qui était devenu un ami de son mari, que son mari avait surtout affaire. Madame Mercier a obtenu des reçus pour le montant des chèques émis (pièce I-18). Toutefois, c'est son mari qui aurait obtenu les remboursements en argent comptant de l'ordre de 50 % à 80 % du montant des chèques. Il aurait lui-même déposé ces remboursements en argent initialement dans un compte bancaire pour l'hypothèque de la maison et, par la suite, dans un compte conjoint. Cependant, madame Mercier a dit ignorer le montant total ainsi déposé dans ces comptes.

[63]      Entrant quelque peu dans le détail des faits dénoncés lors de la rencontre du 30 mars 1994, madame Mercier a mentionné dans son témoignage le nom de personnes qu'elle connaissait à l'époque qui auraient aussi participé au stratagème. Elle a expliqué plus particulièrement qu'un ami de l'extérieur de Montréal, monsieur Naji Abi Nader, remettait à son mari un chèque de 20 000 $ trois fois par année et que son mari obtenait pour lui en retour un reçu pour le montant exact du chèque et 16 000 $ en argent comptant. À chaque occasion, le reçu et l'argent, en coupures de 1 000 $ ou de 100 $, étaient mis dans une enveloppe que son mari plaçait dans un bureau de leur chambre à coucher. Madame Mercier a affirmé avoir vu le reçu et compté l'argent contenu dans l'enveloppe à trois ou quatre reprises, sans se souvenir exactement en quelle année. Elle aurait aussi personnellement vu son mari remettre l'enveloppe à cette personne à une occasion. Elle a également mentionné que, par hasard, elle a même, par la suite, trouvé dans sa camionnette, que son mari utilisait souvent, un reçu au nom de monsieur Abi Nader.

[64]      Madame Mercier a aussi mentionné, sans toutefois en être trop certaine, qu'à la suite de la rencontre du 30 mars 1994, elle avait rencontré monsieur Gaétan Ouellette de la Section des enquêtes spéciales une deuxième fois en 1994, et non en 1995, et qu'à ce moment elle lui avait remis ses propres reçus obtenus aux fins d'impôt pour les années 1989 et 1990. La rencontre aurait eu lieu dans le même bureau que la première fois. Toutefois, madame Mercier n'a pu confirmer si madame Langelier ou monsieur Galimi assistait à cette rencontre.

[65]      Je signalerai simplement ici que, selon le témoignage de madame Langelier, c'est elle-même et monsieur Galimi qui ont rencontré madame Mercier une deuxième fois, le 8 septembre 1994, au bureau de son comptable. Pour sa part, monsieur Gaétan Ouellette a affirmé n'avoir jamais eu de contact avec madame Mercier entre la date de la première rencontre, le 30 mars 1994 et le 23 août 1995, date à laquelle il lui a fait signer un affidavit à la suite du renvoi du dossier à la Section des enquêtes spéciales. Monsieur Ouellette a affirmé avoir contacté madame Mercier à quelques reprises après le 23 août 1995, comme l'auraient fait d'ailleurs des enquêteurs de Québec qui s'occupaient du dossier de monsieur Abi Nader.

Les appelants

Ghassan Kiwan

[66]      L'appelant Ghassan Kiwan est actuellement cardiologue consultant pour la pétrolière Aramco en Arabie Saoudite. Il a quitté le Québec en juillet 1997.

[67]      Monsieur Kiwan a immigré au Canada en 1977 et a obtenu son permis de pratique de la médecine au Québec en 1982. Après des études spécialisées en médecine interne et en cardiologie, il est devenu cardiologue associé puis chef de service du département de cardiologie à l'Hôpital de la région de Lanaudière à Joliette. Il résidait alors à Repentigny jusqu'à son départ pour l'Arabie Saoudite en juillet 1997.

[68]      Monsieur Kiwan a témoigné qu'il est catholique maronite pratiquant et qu'il a fréquenté l'église maronite de l'O.A.L.M. sur la rue Ducharme à Outremont à compter de l'année 1983 ou 1984.

[69]      Il a affirmé que, de 1990 à 1995 plus particulièrement, il assistait à la messe environ deux fois par mois et qu'il participait aussi à différentes soirées dont le but était de ramasser de l'argent au bénéfice du foyer qui avait été établi par l'O.A.L.M. ainsi que du monastère. Il a aussi dit qu'il allait à l'occasion à d'autres églises notamment à Repentigny, à Joliette et à Montréal.

[70]      Monsieur Kiwan a mentionné qu'il était également membre de l'Union maronite, qui recueillait aussi de l'argent dans le même but que l'O.A.L.M. Selon lui, son frère, Roger Kiwan, ainsi que monsieur Fadi Basile faisaient aussi partie de cette organisation charitable civile qui venait en aide aux maronites et, généralement, aux personnes nécessiteuses.

[71]      En contre-interrogatoire, monsieur Kiwan a affirmé qu'il renvoyait beaucoup de patients à monsieur Fadi Basile, médecin cardiologue qui pratiquait à Montréal, avec qui il avait d'ailleurs des contacts assez fréquents. Ce dernier était également un ami personnel et un ami de son frère Émile. Monsieur Kiwan a témoigné qu'il avait toujours été impliqué dans les oeuvres caritatives et qu'il connaissait les prêtres maronites, dont le supérieur du monastère à qui il avait d'ailleurs apporté des échantillons de médicaments pour envoi au Liban. Monsieur Kiwan a affirmé qu'il ne connaissait pas messieurs Nahas, Jamousse ou Abi Nader, mais a dit par ailleurs qu'il connaissait monsieur Nabil Attié, un ami de son frère Émile Kiwan.

[72]      Au cours du contre-interrogatoire, monsieur Kiwan a affirmé qu'il avait toujours fait ses dons par chèque remis en mains propres au prêtre comptable lors de courtes visites qu'il faisait au monastère le vendredi soir lorsqu'il n'était pas de garde et alors que son épouse faisait du « magasinage » à Montréal. Le reçu lui était remis au même moment. À deux reprises seulement, le chèque aurait été remis au père supérieur après la messe du dimanche. À une occasion seulement, monsieur Kiwan aurait été accompagné de son frère Émile et, à une autre occasion, il aurait été accompagné de son épouse.

[73]      Monsieur Kiwan a affirmé qu'il n'avait jamais reçu de remboursement en argent comptant de qui que ce soit et qu'il ne connaissait pas à l'époque d'autres personnes qui faisaient des dons à l'O.A.L.M. Selon lui, le sujet n'était tout simplement pas discuté en public. Il a dit qu'il n'avait pas personnellement encouragé qui que ce soit à faire des dons, qu'il n'avait jamais discuté, même au sein de sa famille et plus particulièrement avec son frère Émile Kiwan, des dons qu'il faisait à l'O.A.L.M., puisqu'il s'agissait d'un geste charitable personnel. Selon lui, les discussions qui ont pu avoir lieu étaient générales et se bornaient à la reconnaissance de la nécessité de venir en aide à l'O.A.L.M. et à ses oeuvres. Monsieur Kiwan a témoigné que ce n'est qu'à l'été 2003 qu'il a discuté de la question des dons avec son frère Émile Kiwan pour la première fois.

[74]      Monsieur Kiwan a dit avoir entendu parler de l'existence de faux reçus ou de reçus inexacts vers la fin de 1996 ou au début de 1997 alors qu'il était à Joliette, affairé à transmettre de 4 000 à 5 000 dossiers de patients à des collègues en prévision de son départ pour l'Arabie Saoudite. Il a affirmé avoir alors été choqué et totalement déçu et a dit que la question qui se posait était de savoir ce qui était advenu de l'argent, puisque l'O.A.L.M. était en difficulté financière.

[75]      Monsieur Kiwan a fait son premier don à l'O.A.L.M. en 1990 et son dernier en 1995. Selon lui, à la fin des années 80, les gens donnaient de l'argent à la quête lors de la messe du dimanche. Puis, à un certain moment, l'O.A.L.M. aurait obtenu la permission de remettre des reçus aux fins fiscales et il en aurait été informé par les prêtres du monastère, soit durant la messe ou lors de réunions. Selon monsieur Kiwan, à compter de 1990 les prêtres sollicitaient eux-mêmes des donations.

[76]     Voici les informations concernant les reçus obtenus de l'O.A.L.M. par monsieur Ghassan Kiwan (voir pièce I-15, onglet 8) :

Année

Date du reçu

No du reçu

Montant du reçu

1990

18 décembre 90

1414

5 000 $      

1991

20 février 91

1496

200 $      

29 mai 91

1735

7 000 $      

10 juillet 91

1739

10 000 $      

15 décembre 91

1855

3 500 $      

1992

7 juin 92

2359

3 500 $      

20 juin 92

2364

5 500 $      

6 décembre 92

2541

3 500 $      

1993

9 novembre 93

2867

6 000 $      

13 décembre 93

0006

3 500 $      

1994

30 juin 94

0936

6 500 $      

26 décembre 94

0852

5 000 $      

1995

25 juin 95

1301

6 000 $      

[77]      Monsieur Kiwan a affirmé n'avoir pas obtenu de reçu pour des dons à l'O.A.L.M. avant 1990 parce qu'il commençait à travailler, qu'il était déjà impliqué dans un centre eucharistique au Liban et qu'il faisait aussi des dons à l'hôpital où il travaillait.

[78]      Monsieur Kiwan a souligné qu'il avait contribué plus à l'O.A.L.M. au début puisque son salaire augmentait et que, par la suite, il avait diminué ses dons à cause de ses obligations familiales à la suite de la naissance de ses enfants.

[79]      Monsieur Kiwan a cessé de faire des dons à l'O.A.L.M. en juin 1995. Le dernier reçu est en date du 25 juin 1995. Invité à expliquer pourquoi la seule année de 1990 à 1995 pour laquelle il n'avait pas obtenu de reçu au mois de décembre était l'année 1995, il a répondu qu'il avait beaucoup d'obligations à ce moment-là et qu'il avait subi une baisse de revenu de l'ordre de 30 % à la suite de coupures de salaires imposées par le gouvernement du Québec à compter du mois d'août 1995. Cette diminution de revenu l'aurait même obligé à retirer de l'argent de son régime enregistré d'épargne-retraite ( « REER » ) pour payer ses impôts. Comme ses problèmes financiers n'avaient jamais été mentionnés lors d'un interrogatoire préalable tenu le 6 février 2003, monsieur Kiwan a expliqué que cela ne lui était pas venu à l'esprit à ce moment. Lors de son contre-interrogatoire, il a également mentionné que des nouvelles circulaient et qu'on parlait de la question des faux reçus dans la communauté libanaise, bien qu'il ait affirmé antérieurement avoir été informé du problème des faux reçus par les journaux à la fin de 1996 ou au début de 1997 seulement.

[80]      Monsieur Kiwan, qui a donné plus de 65 000 $ à l'O.A.L.M. de 1990 à 1995, n'a pas fait de démarches spéciales auprès de l'ordre pour tenter de savoir ce qui était advenu de l'argent donné. Il a dit n'avoir pas revu les prêtres à Montréal et, bien qu'il soit allé au Liban depuis, n'avoir jamais discuté de la question avec des responsables de l'ordre. Toutefois, à la suite de la réception des avis de nouvelle cotisation en 1997, il a communiqué avec son comptable et, après vérification de son chéquier, il a tenté d'obtenir de sa banque tous les chèques qu'il avait émis et qui avaient été encaissés par l'O.A.L.M. (voir pièce A-9, onglet 14). Malgré la demande, monsieur Kiwan n'a obtenu qu'une photocopie de quelques chèques seulement (voir pièce A-9, onglet 15).

[81]      Comme dans le cas des autres appelants, madame Langelier a effectué un certain nombre de calculs pour connaître l'importance des dons déclarés par rapport à la limite de 20 % du revenu net et par rapport au revenu disponible. Dans le cas de monsieur Kiwan, qui avait des revenus élevés de profession libérale, les dons, bien qu'importants, sont très en deçà de la limite permise et ne représentent pas une proportion importante de son revenu disponible (pièce I-16).

[82]      Il importe de noter immédiatement ici certains autres points particuliers relativement au dossier de monsieur Ghassan Kiwan.

[83]     D'abord, on trouve le nom de l'appelant Ghassan Kiwan sur un document saisi chez l'O.A.L.M. lors de la perquisition du 8 novembre 1995 et qui se trouvait dans une boîte à rebuts (voir pièce I-21, onglet 6, page 1). Cette feuille, dont l'auteur est inconnu, mentionne le nom de cinq personnes, dont l'appelant et son frère Émile Kiwan. À l'égard de chacun est inscrit le montant du reçu et, avec la mention « déjà rendu » , un second montant, qui correspond à 80 % du premier. Dans le cas de monsieur Ghassan Kiwan, le montant indiqué pour le reçu est de 5 000 $, et le montant indiqué comme étant « déjà rendu » , est de 4 000 $. C'est en 1994 que monsieur Kiwan a obtenu un reçu pour le montant de 5 000 $. Lors de son témoignage, monsieur Ouellette a affirmé que cela confirmait l'existence du stratagème selon lequel un reçu était établi pour le montant total d'un chèque, avec remise subséquente en argent d'une somme égale à 80 % de ce montant. Il a également souligné que monsieur Nabil Attié, dont le nom se trouvait aussi sur ce document, avait plaidé coupable relativement aux accusations portées contre lui.

[84]      Ensuite, dans son témoignage, l'appelant Ghassan Kiwan a affirmé qu'il avait remis la plupart des chèques en mains propres à l'un des prêtres lors de courtes visites au monastère qu'il faisait le vendredi soir alors que son épouse faisait du « magasinage » . Il a affirmé que les reçus lui étaient délivrés sur-le-champ. Selon son témoignage, ce n'est que deux fois tout au plus qu'il a remis son chèque au père supérieur à l'occasion de la messe du dimanche.

[85]      Or, après vérification des dates des reçus, il appert qu'aucune date figurant sur les reçus ne correspond à un vendredi et que quatre dates indiquées sur des reçus, soit le 15 décembre 1991, le 7 juin 1992, le 6 décembre 1992 et le 25 juin 1995, représentent un dimanche.

[86]      De plus, lors de son témoignage, monsieur Kiwan a affirmé que faire des dons était une affaire personnelle, qu'il n'en discutait pas en famille sauf pour reconnaître la nécessité de venir en aide à l'O.A.L.M. Il a aussi affirmé qu'il n'avait jamais été accompagné de son frère Émile lorsqu'il se rendait au monastère, sauf peut-être une fois après la messe. Il a aussi affirmé qu'il n'avait pas discuté du détail de ses dons avec des membres de sa famille et plus particulièrement avec son frère Émile Kiwan.

[87]      Or, si l'on regarde la liste des donateurs fournie par l'O.A.L.M. avec ses déclarations produites sur des formulaires T3010 pour les années 1990 à 1994, on constate, en ce qui concerne l'appelant et son frère Émile Kiwan, qu'à neuf reprises sur douze le numéro du reçu délivré à l'un précède ou suit immédiatement le numéro du reçu remis à l'autre. À cinq reprises les reçus ont été établis le même jour, à deux reprises, à un jour d'intervalle, et à deux reprises, à quelques jours d'intervalle. On peut également noter qu'à sept occasions sur neuf les reçus établis sont pour le même montant, qu'il y a une différence de 100 $ seulement dans un cas et une différence de 1 500 $ dans le dernier cas (voir pièce I-8, onglets 7 à 11).

[88]      Dans son témoignage concernant le dossier de monsieur Kiwan, madame Langelier a d'ailleurs fait remarquer que la plupart des numéros des reçus remis à cet appelant précédaient ou suivaient immédiatement les numéros des reçus remis à son frère.

[89]      Lors de son témoignage, monsieur Kiwan a aussi affirmé qu'en 1995 il n'avait pas fait de donation à l'O.A.L.M. en décembre, comme il avait eu coutume de le faire dans les années précédentes, notamment en raison du fait qu'il avait subi une diminution importante de ses revenus qui était due à des coupures imposées par le gouvernement du Québec. Il a même affirmé qu'il avait dû réaliser des placements de son REER pour acquitter ses impôts.

[90]      Or, les chiffres provenant des déclarations de revenu de monsieur Kiwan permettent de constater que non seulement son revenu de profession libérale de 1995 n'a pas diminué par rapport à l'année 1994, mais il était de près de 25 000 $ plus élevé, et de plus de 50 000 $ plus élevé que ne l'avait été ce revenu en 1993. Une perte d'entreprise s'élevant à 84 000 $ a toutefois été enregistrée en 1995. Aucune explication n'a été fournie à cet égard. Toutefois, ce n'est qu'en 1996 que monsieur Kiwan a subi une baisse substantielle de son revenu de profession libérale. Au surplus, aucune somme n'a été retirée de son REER en 1995 ou en 1996. En 1997, c'est une somme de 5 000 $ seulement qui en a été retirée (voir pièce I-16, page 2).

[91]      Je fais remarquer immédiatement que, dans les circonstances décrites ci-dessus, il n'est pas possible de conclure au hasard. Au contraire, la seule conclusion possible est que les dons n'ont pas été faits de la manière et aux moments mentionnés. On peut aussi inférer qu'il y avait coordination quasi-complète des donations de l'appelant et de son frère. Le témoignage de l'appelant sur le caractère confidentiel des donations qu'il faisait, sur l'absence de discussions entre lui et son frère relativement à cette question, ainsi que sur le moment et la manière de faire les dons n'est tout simplement pas crédible.

Ramzi Salamé

[92]     Monsieur Salamé est actuellement spécialiste principal de l'enseignement supérieur au bureau régional de l'Unesco à Beyrouth au Liban. Il a quitté le Canada le 8 janvier 1994 pour occuper cet emploi auprès de l'Unesco, d'abord en Jordanie puis au Liban.

[93]     Monsieur Salamé est originaire du Liban et est arrivé au Canada en 1970. Après des études de maîtrise et de doctorat en psychologie, il a occupé un poste de chargé d'enseignement à l'Université de Montréal de 1973 à 1977. En 1977, il a accepté un poste de professeur à l'Université Laval, où il a enseigné jusqu'à son départ en 1994.

[94]     Monsieur Salamé a affirmé qu'il n'avait jamais entretenu de relations assidues avec les milieux libanais de Montréal ou de Québec.

[95]     Durant la première partie de l'année 1992 et durant la première partie de l'année 1993, il était en congé sabbatique. Au cours de ces périodes, il a séjourné en France et au Liban.

[96]     Monsieur Salamé est né de religion grecque melkite catholique mais s'est dit agnostique.

[97]     Monsieur Salamé a affirmé avoir entendu parler pour la première fois au début d'octobre 1998, alors qu'il participait à une conférence à Paris, d'un problème concernant les donations qu'il avait faites à l'O.A.L.M. Lors d'une conversation téléphonique avec son épouse, demeurée à Beyrouth, celle-ci l'a informé que quelqu'un de la Caisse populaire Desjardins de l'Université Laval, où il maintenait un compte et une marge de crédit, avait appelé et avait demandé à lui parler d'urgence. Monsieur Salamé téléphona donc dès que possible à la responsable des comptes pour apprendre que Revenu Canada avait effectué sur son compte la saisie d'une somme de l'ordre de 13 000 $ à 16 000 $; cette saisie avait rapport avec des dons que les autorités fiscales n'auraient pas reconnus comme tels (pièce A-4).

[98]     Monsieur Salamé a alors obtenu un congé de son directeur et s'est d'abord rendu à la Caisse populaire à Québec. Puis, le dimanche 18 octobre 1998, il s'est rendu au monastère de l'O.A.L.M., dont il avait l'adresse à Outremont. Après la messe, il a rencontré le prêtre qui officiait pour se renseigner sur ce qui se passait. Après quelques explications, ce prêtre lui aurait donné le nom de maître Ouellette, son avocat dans le présent dossier.

[99]     Monsieur Salamé a alors téléphoné à maître Ouellette, qui lui a donné rendez-vous le même jour à son bureau de la Place Ville-Marie. Monsieur Salamé y a alors fait une déclaration solennelle confirmant la réalité et l'exactitude de tous les dons qu'il avait faits à l'O.A.L.M. de 1989 à 1993 (pièce A-2).

[100] Dans son témoignage, monsieur Salamé a affirmé catégoriquement n'avoir jamais eu d'autres rencontres que celle du 18 octobre 1998 avec des prêtres de l'O.A.L.M. Il a déclaré qu'il ne leur avait jamais parlé auparavant non plus, puisqu'il avait fait tous ses dons par chèque envoyé par la poste et qu'il avait obtenu ses reçus par la poste également.

[101] Monsieur Salamé a émis trois chèques à l'ordre de l'O.A.L.M., soit un chèque de 9 600 $ en date du 23 décembre 1990, un chèque de 10 000 $ en date du 9 décembre 1991 et un chèque de 5 000 $ en date du 16 décembre 1992 et a obtenu pour chaque année un reçu pour le même montant (pièce A-3).

[102] Par ailleurs, le don fait pour l'année 1993 l'aurait été de façon différente. Monsieur Salamé a affirmé qu'il avait endossé à l'ordre de l'O.A.L.M. deux chèques de 3 500 $ ou de 3 600 $ chacun en devises américaines, émis à son nom par ses deux beaux-frères qui vivent à Atlanta aux États-Unis. Monsieur Salamé a expliqué que ses beaux-frères lui devaient de l'argent pour l'achat de la maison familiale au Liban et qu'ils remboursaient cette dette par chèques tirés sur leur compte aux États-Unis. Selon lui, de tels paiements partiels étaient fréquents et il arrivait qu'il aille en visite chez ses beaux-frères et que ceux-ci lui remettent à l'avance des chèques établis à son ordre et signés, mais dont la date et le montant étaient inscrits plus tard par lui-même lorsque ses beaux-frères lui téléphonaient pour l'aviser qu'ils avaient les fonds disponibles. Monsieur Salamé a indiqué que le compte en devises américaines qu'il maintenait atteste de paiements ainsi reçus de ses beaux-frères.

[103]    Monsieur Salamé a dit avoir obtenu par la poste, à la suite de l'envoi de ces deux chèques, un reçu de 10 000 $ de l'O.A.L.M. Il a affirmé que ce montant était justifié puisqu'il équivalait à peu près aux montants des chèques libellés en devises américaines qu'il avait envoyés.

[104]    Monsieur Salamé a affirmé qu'avant de faire des dons à l'O.A.L.M., il avait fait beaucoup de donations aux victimes de la guerre au Liban lors de visites qu'il faisait à quelques reprises à chaque année durant les années 70 et 80.

[105]    C'est lors de l'une de ses visites au Liban en 1988 ou 1989 qu'un ami d'enfance, un colonel à la retraite du nom de Hélou, qui sollicitait de l'aide directe, lui aurait appris la présence de l'O.A.L.M. à Montréal et lui aurait donné l'adresse du monastère. Selon monsieur Salamé, c'est lui-même qui avait d'abord expliqué à cet ami l'avantage, pour les Canadiens, d'origine libanaise ou autres, de pouvoir faire des dons à un organisme au Canada plutôt que de faire des dons directs sur place et ce, à cause des crédits d'impôt. Ainsi, selon lui, de cette façon les dons pouvaient être plus importants et l'argent recueilli pouvait être envoyé au Liban ou être utilisé pour des oeuvres locales. C'est alors que cet ami lui aurait donné le nom et l'adresse de l'O.A.L.M. à Outremont, sans plus.

[106]    Ainsi, monsieur Salamé a affirmé que c'est de cette façon qu'il a appris l'existence de l'O.A.L.M., dont il ne connaissait rien auparavant, et qu'il a commencé à faire des dons à cet organisme à compter de 1990, simplement par la poste, alors qu'il ignorait même le nom des personnes responsables qu'il a simplement décrits ultérieurement comme « les curés ou les moines » (pièce I-3). À son premier chèque, de 9 600 $, daté du 23 décembre 1990, il aurait d'ailleurs joint une note demandant que l'aide qu'il donnait soit acheminée vers des oeuvres dans son patelin d'origine au Liban. Il a affirmé qu'il a d'ailleurs eu connaissance plus tard, par l'intermédiaire de son frère, que l'O.A.L.M. avait effectivement distribué de l'argent à une association de bienfaisance qui oeuvrait dans cette partie du pays. Aucun détail n'a toutefois été fourni à cet égard.

[107]    Monsieur Salamé a admis que, comme l'obtention d'un crédit d'impôt lui permettait de faire des dons plus élevés que dans les années antérieures, il avait effectivement calculé à chaque année, quoique de façon approximative, le montant des donations possibles pour l'obtention du crédit, compte tenu de la limite permise.

[108]    Alors qu'il avait donné 9 600 $ en 1990 et 10 000 $ en 1991, monsieur Salamé n'a fait parvenir qu'un chèque de 5 000 $ à l'O.A.L.M. en 1992. L'explication donnée est que son père était décédé en juillet 1992 et qu'à l'occasion d'une messe de requiem en souvenir de son père, célébrée par le prêtre de la paroisse grecque melkite catholique de Québec qui officiait à la chapelle de l'Université Laval, il avait fait un don important de 7 500 $ à la mission melkite. Une autre donation, de 3 000 $, a été faite au même organisme en 1993.

[109]    Lors du contre-interrogatoire, monsieur Salamé a affirmé qu'il ne connaissait personne qui avait fait des dons à l'O.A.L.M. et qu'il n'avait jamais été mis au courant lui-même, durant la période de 1990 à 1993, de l'existence d'un stratagème quelconque de remise de faux reçus par l'O.A.L.M. Toutefois, bien qu'il eût affirmé antérieurement qu'il avait appris qu'il y avait un problème avec ses reçus pour dons de charité en octobre 1998 suite à la saisie sur son compte, il a reconnu par la suite qu'il en avait été avisé par une lettre de Revenu Canada en date du 9 janvier 1997, lettre à laquelle il avait d'ailleurs répondu le 2 février 1997 (voir pièces I-2 et I-3). Monsieur Salamé a déclaré qu'il avait complètement oublié cette lettre et même le fait qu'il y avait répondu.

[110]    Je signalerai ici que la lettre de Revenu Canada mentionne simplement qu'une vérification des livres et registres de l'O.A.L.M. avait démontré l'existence d'un stratagème d'évasion fiscale relativement à la délivrance de reçus pour dons de charité et qu'on se proposait de refuser d'admettre la totalité des dons faits à cet organisme. Toutefois, dans sa réponse, monsieur Salamé a signalé que, si l'organisme avait pu détourner des fonds, il ne voyait pas pourquoi, en tant que contribuable, il serait tenu responsable d'agissements de tiers inconnus avec qui son seul contact était par l'intermédiaire de la poste.

[111]    Monsieur Salamé n'a pu expliquer pourquoi il avait parlé de détournements de fonds alors que la lettre de Revenu Canada ne faisait pas mention d'un tel fait. Il n'a pas non plus expliqué ce qu'il comprenait être le sens des mots « évasion fiscale » , cette expression lui semblant totalement inconnue.

[112]    Bien qu'il n'ait lui-même entrepris aucune démarche auprès de l'O.A.L.M. au Liban ou au Canada, après la réception de la lettre de Revenu Canada, pour savoir ce qui était advenu des 34 600 $ qu'il avait donnés, monsieur Salamé a toutefois affirmé qu'il avait de l'information venant du Liban comme quoi une bonne partie de l'argent qu'il avait donné avait été transférée à un organisme de bienfaisance de son patelin. Ici encore, aucun détail n'a été fourni à cet égard.

[113]    Lors de son contre-interrogatoire, monsieur Salamé a été appelé à expliquer un certain nombre de dépôts sans livret (DSL) et de dépôts au guichet automatique (DGA) au crédit de son compte à la Caisse populaire Desjardins de l'Université Laval faits à des dates rapprochées des dates d'encaissement de ses chèques à l'ordre de l'O.A.L.M. (pièce A-3).

[114]    D'abord, le chèque du 23 décembre 1990 de 9 600 $ n'a été encaissé que le 15 mars 1991. Le reçu correspondant portant le numéro 1527 est daté du 31 décembre 1990. Monsieur Salamé a émis l'hypothèse que l'O.A.L.M. avait peut-être pu retarder l'encaissement du fait qu'il avait joint à son chèque une note demandant que sa contribution soit affectée à un organisme dans une région particulière du Liban et que l'on aurait voulu examiner cette possibilité. Monsieur Salamé n'a mentionné aucun nom et n'a donné aucun autre détail.

[115]    Par ailleurs, le relevé de compte de monsieur Salamé indique un dépôt sans livret (DSL) de 8 657,08 $ en date du 22 mars 1991. Monsieur Salamé a indiqué sans hésitation qu'il s'agissait d'un transfert d'un compte inactif qu'il possédait à la Caisse populaire Saint-Sacrement de Québec et que ce transfert avait été effectué en vue de l'achat d'une maison. Les relevés bancaires de ce dernier compte n'ont pas été soumis en preuve.

[116]    Le relevé de compte indique aussi un dépôt sans livret (DSL) de 7 987 $ en date du 2 mai 1991 que monsieur Salamé n'a pu expliquer, comme d'ailleurs il n'a pu le faire à l'égard de plusieurs autres dépôts sans livret qui sont indiqués.

[117]    Le 18 décembre 1991, le chèque de 10 000 $ fait à l'ordre de l'O.A.L.M. en date du 9 décembre 1991 a été porté au débit du compte bancaire de monsieur Salamé. Le relevé de compte de monsieur Salamé indique trois dépôts au guichet automatique (DGA), de 3 000 $, de 2 300 $ et de 3 000 $, faits en date du 19 décembre 1991 (pièce A-3).

[118]    Monsieur Salamé a expliqué que, le 19 décembre 1991, il était à Montréal et partait le soir même par avion pour l'Europe avec son épouse et ses deux enfants pour la première partie de son congé sabbatique, soit durant les six premiers mois de 1992. Il a affirmé qu'il avait lui même 10 000 $ en argent comptant en devises canadiennes et en devises américaines qu'il avait planifié emporter pour son voyage et qu'il s'était vu remettre 2 600 $ ou 2 300 $ en argent comptant par un de ses beaux-frères avant son départ. Monsieur Salamé a expliqué que ses deux beaux-frères vivaient alors aux États-Unis, mais avaient déjà vécu à Montréal puis à Toronto avant de s'installer aux États-Unis. Comme ceux-ci lui devaient de l'argent relativement à l'achat de la maison familiale au Liban, lors de leur rencontre l'un d'eux lui aurait remis la somme en question en billets retirés d'un compte bancaire qu'il maintenait toujours à Toronto.

[119]    Par ailleurs, monsieur Salamé a expliqué qu'un certain monsieur Abdallah Akiki avait, l'été précédent, emprunté 6 000 $ au frère de monsieur Salamé au Liban dans le but de lancer une entreprise à Montréal. Comme ce monsieur Akiki lui avait déjà manifesté à quelques reprises le désir de remettre la somme en question, puisqu'il avait changé d'idée, monsieur Salamé a affirmé qu'il y avait eu rencontre avant son départ « dans un café [...] ou dans une station d'essence » à Montréal et que monsieur Akiki lui aurait alors remis les 6 000 $ en billets, en devises canadiennes, qu'il avait rapportés du Liban et conservés jusqu'alors. Considérant qu'il avait alors trop d'argent sur lui, monsieur Salamé a affirmé, qu'il avait fait alors les trois dépôts en question à la Caisse populaire de Côte-Vertu lorsqu'il était en route vers l'aéroport de Montréal. Monsieur Salamé a dit qu'il a fait un premier dépôt de 3 000 $, voulant garder sur lui les autres 3 000 $ sur les 6 000 $ lui ayant été remis par monsieur Akiki. Puis, il a déposé ce qu'il a dit être les 2 300 $ de son beau-frère de façon à « garder une trace » . Finalement, le deuxième dépôt de 3 000 $ aurait été fait après qu'il fut revenu à l'auto et qu'il eut informé son épouse, qui l'attendait, qu'il n'avait déposé que 3 000 $ sur les 6 000 $ reçus de monsieur Akiki. Elle lui aurait alors dit de tout déposer, puisqu'ils avaient déjà amplement d'argent et qu'il revenait lui-même au Québec en février. D'où le deuxième dépôt de 3 000 $. Les inscriptions au livret bancaire indiquent que les deux premiers dépôts, de 3 000 $ et de 2 300 $, ont été faits à 20 h 29 et le dernier, de 3 000 $, à 20 h 30. Monsieur Salamé a expliqué qu'il avait la mémoire des situations et qu'il se souvenait fort bien de ces dépôts faits dans des circonstances particulières, tout comme il se souvenait également de la saisie de son compte bancaire en 1998, quoiqu'il ne se souvînt pas de la lettre reçue de Revenu Canada en 1997.

[120]    Monsieur Salamé a indiqué qu'il y avait plusieurs autres dépôts sans livret (DSL) inscrits dans son compte et qu'après son départ, c'est sa belle-soeur qui avait pu faire ces dépôts. On remarque d'ailleurs un dépôt de 4 200 $ en date du 3 janvier 1992.

[121]    Le 22 décembre 1992, le chèque de 5 000 $ en date du 16 décembre 1992 fait à l'ordre de l'O.A.L.M. a été porté au débit du compte bancaire de monsieur Salamé. Le relevé de compte indique un dépôt sans livret (DSL) de 4 000 $ en date du 5 janvier 1993 (pièce A-3). Monsieur Salamé n'a pu expliquer ce dépôt, car il a affirmé qu'il avait déjà quitté le pays pour son congé sabbatique. Toutefois, il a fait remarquer qu'il y avait eu plusieurs autres dépôts sans livret (DSL) au cours des années et qu'on ne lui avait pas demandé d'expliquer la provenance des fonds déposés. D'ailleurs on remarque un autre dépôt sans livret (DSL), de 4 200 $, en date du 6 janvier 1993.

[122]    Ici, je dois souligner qu'à la suite d'un examen attentif des relevés bancaires, il est possible de constater qu'il y a en effet un nombre considérable de dépôts sans livret (DSL), en réalité plus de 70 pour les années 1990 à 1994, et ce, sans compter ceux que l'on trouve dans un deuxième compte, un compte en devises américaines (pièce A-3). Il est évident que l'exercice de conciliation n'a pas été complet. On remarque quand même qu'à chaque occasion, un dépôt d'un montant variant de 80 % à 90 % du montant du chèque est déposé par monsieur Salamé peu de temps après l'encaissement de son chèque par l'O.A.L.M.

[123]    Monsieur Salamé a affirmé avoir continué de faire des donations après son départ du pays en janvier 1994. Selon lui, ces dons ont été faits directement en argent, surtout à des personnes et à des familles au Liban. Monsieur Salamé a dit qu'il ne réclame plus de reçus aux fins d'impôt puisque son salaire n'est pas imposable.

[124]    Monsieur Salamé a confirmé qu'il n'avait pas tenté d'entrer en contact avec un représentant de l'O.A.L.M. pour obtenir des preuves supplémentaires de ses dons. Il a affirmé qu'il n'était allé qu'une seule fois au monastère de l'O.A.L.M. et que c'était le 18 octobre 1998.

[125]    Lors de son témoignage concernant le cas de monsieur Salamé, la vérificatrice, madame Langelier, a expliqué que l'O.A.L.M. utilisait des carnets de 25 reçus jusqu'en 1993. À compter de 1993 chaque carnet ne comptait que 10 reçus seulement. Selon elle, le reçu numéro 1527 remis à monsieur Salamé, soit un reçu en date du 31 décembre 1990 indiquant un montant de 9 600 $, faisait partie d'un carnet de reçus portant les numéros 1526 à 1550, dont plusieurs ont aussi été établis en date du 31 décembre 1990, mais correspondent, selon les indications sur les bordereaux de dépôt, à des chèques déposés le 14 mars 1991 totalisant 25 300 $ (voir pièce I-10, vol. 1, onglet 4, page 44 et pièce I-9, page 17). Madame Langelier a conclu que le reçu délivré à monsieur Salamé avait été antidaté. Toutefois, madame Langelier a admis n'avoir jamais eu en sa possession les chèques des donateurs et plus particulièrement le chèque de monsieur Salamé.

[126]    Je ferai comme commentaire ici que je ne vois pas en quoi la possession du chèque aurait pu modifier cette conclusion. On connaît maintenant la date du chèque, la date de son dépôt et la date du reçu. La pièce I-9 démontre que l'O.A.L.M. déposait assez rapidement, sinon très rapidement, les chèques qu'elle avait en mains et que ces dépôts étaient souvent suivis de retraits en argent comptant. Ici, on compte une quinzaine de dépôts de plusieurs chèques à la fois pour des sommes importantes; ces dépôts ont été faits de janvier à avril 91. Plusieurs des reçus portent toutefois la date du 31 décembre 1990 (voir pièce I-9, pages 15 à 18). Le même phénomène se reproduit d'année en année et on retrouve une proportion importante de chèques qui sont déposés en février, mars et avril d'une année alors que les reçus sont en date du 31 décembre de l'année précédente ou portent une autre date en décembre. Même si les reçus ne semblent pas toujours avoir été établis dans l'ordre séquentiel, cet élément est constant d'une année à l'autre (voir pièce I-9, pages 8, 15 à 18, 26 à 28, 35, 36, 42, 43 et 48). D'ailleurs, messieurs Thibodeau, Yazbeck et Farhat ont témoigné que dans leurs cas il y avait eu remise de reçus antidatés pour des paiements faits par chèque ou en argent comptant au cours des premiers mois de l'année suivante.

[127]    Selon moi, il y a non pas simplement une possibilité, mais une forte probabilité que les dépôts faits au cours des premiers mois d'une année correspondent en grande partie à des paiements par chèque ou en argent comptant faits peu de temps avant la date du dépôt, même si les reçus portent une date en décembre, et plus particulièrement celle du 31 décembre, de l'année précédente.

[128]    Si madame Langelier a pu constater qu'à l'égard des donations de 10 000 $ et de 5 000 $ pour les années 1991 et 1992 respectivement les dates de dépôt des chèques correspondent, à quelques jours près, aux dates des reçus, elle n'a trouvé aucun dépôt fait en 1993, année à l'égard de laquelle le reçu numéro 349 portant la date du 31 décembre 1993 avait été établi pour un don de 10 000 $. Elle a expliqué qu'elle n'avait d'ailleurs pu trouver aucun dépôt de chèques correspondant aux dix reçus de ce carnet en particulier. Toutefois, selon elle, un reçu d'un carnet antérieur, le numéro 340, ainsi que les reçus d'un carnet postérieur portant les numéros 363, 365 et 367, correspondent à des dépôts faits entre le 25 et le 29 mars 1994 (voir pièce I-9, page 43). Madame Langelier a conclu qu'il devait s'agir de dons en espèces et que les reçus avaient été antidatés. En contre-interrogatoire, madame Langelier a toutefois admis qu'il manquait parfois certains bordereaux de dépôt. Monsieur Ouellette a admis pour sa part que les reçus n'étaient pas toujours établis de façon séquentielle.

[129]    Par ailleurs, toujours relativement à cette donation de 1993, qui aurait été faite par l'envoi à l'O.A.L.M. de deux chèques en devises américaines, madame Langelier a affirmé qu'elle n'avait décelé aucun dépôt en devises américaines et qu'à sa connaissance l'O.A.L.M. ne possédait pas de compte bancaire en devises américaines.

[130]    Finalement, lors de son témoignage, madame Langelier a fait état de calculs qu'elle avait réalisés en vue de l'audition pour démontrer l'importance des dons par rapport à la limite permise de 20 % du revenu net et par rapport au revenu disponible de monsieur Salamé. Elle a calculé que les dons de monsieur Salamé à l'O.A.L.M. représentaient de 73 % à 82 % de la limite de 20 % du revenu net et qu'ils correspondaient à 23 %, à 24 %, à 14 % et à 30 % de son revenu disponible (compte tenu des déductions à la source) pour chacune des années 1990 à 1993 respectivement (pièce I-13). De 1990 à 1993, le revenu total de monsieur Salamé était de l'ordre de 72 000 $ à 75 000 $ par année.

[131]    Un dernier élément qu'il importe de préciser concernant le dossier de monsieur Salamé est la mention de son nom dans le Biblio-Reç (voir pièce I-21, onglet 3, page 8). Il s'agit dans le Biblio-Reç, du numéro séquentiel 319 se rapportant au reçu numéro 349, pour un montant de 10 000 $, obtenu à l'égard de l'année 1993. Contrairement à ce qui est fait dans le cas de la plupart des donateurs dont le nom est inscrit dans ce fichier, il n'y a aucune mention autre que celle du nom et du prénom ainsi que du montant du reçu, soit 10 000 $. Dans de son témoignage, monsieur Ouellette a affirmé qu'il n'avait pu trouver le dépôt de cette somme et a, pour sa part, émis l'hypothèse qu'il n'y avait eu aucun paiement.

Ziad Hanna

[132]    Monsieur Ziad Hanna est ingénieur, directeur de projets. Il est originaire du Liban et est arrivé à Montréal en 1990. Il est né de religion grecque melkite catholique. Il est pratiquant. En 1994, il a épousé May Nassar de religion maronite catholique.

[133]    Monsieur Hanna a expliqué que très rapidement après son arrivée à Montréal des personnes avec qui il avait été en contact lui ont fait connaître les principaux repères de la communauté libanaise tels les églises, les épiceries et les restaurants. Il a ainsi appris l'existence de l'église de l'O.A.L.M., d'une autre église maronite, l'église Saint-Maron située sur le boulevard Henri-Bourassa à Montréal et également de l'église melkite, qui était à l'époque située au centre-ville, puis au nord de la ville de Montréal sur le boulevard Gouin. Il a affirmé, qu'au début, il allait surtout à la messe à l'église Saint-Maron. Toutefois, c'est à l'église de l'O.A.L.M., lorsqu'un prêtre avait sollicité des dons pour couvrir le coût d'une opération chirurgicale particulière, qu'il a appris de la personne qui recueillait les dons après la messe qu'il pouvait obtenir un reçu aux fins fiscales. C'est après s'être informé dans des brochures de Revenu Canada sur le sujet, et dans le double but d'aider les victimes de la guerre au Liban et d'obtenir une réduction d'impôt, qu'il a décidé de faire des dons à l'O.A.L.M. en 1992. Il a expliqué qu'il avait à ce moment un meilleur salaire et aussi des épargnes. Il a admis qu'il avait effectivement calculé, bien que de façon approximative, le montant maximum de la contribution qu'il pouvait faire compte tenu de la limite permise.

[134]    Monsieur Hanna a dit qu'il avait préféré cette forme « d'abri fiscal » à l'achat d'actions accréditives puisqu'il pouvait à la fois aider les gens et obtenir un remboursement d'impôt. Bien qu'il ait effectivement acheté des actions accréditives plus tard, soit à compter de 1996, il n'a pas manqué de souligner que, de façon générale, celles-ci perdaient leur valeur de façon rapide et importante.

[135]    Monsieur Hanna a expliqué qu'il a fait ses dons à l'O.A.L.M. plutôt qu'à l'église melkite parce qu'une proportion plus importante de chrétiens libanais sont maronites, alors que les melkites regroupent des chrétiens notamment de l'Égypte, de la Syrie et de la Jordanie. Ainsi, selon lui, il n'y avait pas de garantie qu'un don fait aux melkites serait utilisé pour aider les gens au Liban. Par ailleurs, pour expliquer ses dons à l'O.A.L.M. plutôt qu'à l'église Saint-Maron, il a dit que l'O.A.L.M. était en quelque sorte « la colonne vertébrale des chrétiens du Liban » . Par ailleurs, il n'a pas tenté de s'informer si l'église Saint-Maron émettait également les reçus aux fins fiscales pour les donations qui étaient faites.

[136] Monsieur Hanna a affirmé qu'il avait par la suite fréquenté plus souvent l'église de l'O.A.L.M. puisque celle-ci était plus près de sa résidence. Toutefois, il a expliqué que dès le départ il ne se rendait pas à l'église de l'O.A.L.M. uniquement pour assister à la messe mais aussi pour y rencontrer, après la messe, au sous-sol de l'église, des gens qu'il connaissait ou encore pour participer à certaines activités sociales, principalement des conférences à caractère politique. Il a dit qu'il avait parlé à l'occasion avec les prêtres et que ceux qu'il avait connus au cours des années étaient le père El-Kamar et le père Claude Nadras.

[137] Selon monsieur Hanna, avant 1992 ses dons à la quête du dimanche n'auraient pas dépassé 500 $ ou 600 $ par année. C'est donc après avoir pris connaissance du fait qu'il pouvait faire des dons et obtenir une réduction d'impôt que, selon monsieur Hanna, il a commencé en 1992 à faire des dons à l'O.A.L.M. Monsieur Hanna a expliqué qu'il avait alors pris rendez-vous par téléphone avec un prêtre du monastère, qu'il s'était rendu sur les lieux, qu'il avait fait son chèque de 5 500 $ sur place et qu'on lui avait remis un reçu rempli en sa présence pour le même montant et daté du même jour. Toutefois, il a mentionné que c'est probablement cette première fois, en 1992, plutôt qu'en 1993, comme il l'avait indiqué lors de son interrogatoire préalable, que le prêtre a fait preuve d'une certaine réticence, peut-être parce que, voyant que monsieur Hanna était jeune, il aurait pu penser qu'il n'avait pas l'argent nécessaire.

[138] Le chèque n'a pu être retracé, malgré la demande de monsieur Hanna, puisque la Banque Nationale du Canada l'avait détruit. Toutefois, une représentante de la banque a attesté que ce chèque a été « passé au compte » entre le 20 août et le 30 septembre 1992 (voir pièce A-5, onglet 17). Je signalerai immédiatement ici que le reçu obtenu est en date du 2 septembre 1992. Je reviendrai sur cette question un peu plus loin en rapportant les constatations faites par madame Langelier lors de son témoignage.

[139] En 1993, suivant la même méthode, monsieur Hanna a remis un chèque de 9 000 $ daté du 24 novembre 1993 (pièce A-5, onglet 14). Toutefois, le chèque a été encaissé le 23 novembre 1993. Monsieur Hanna a affirmé catégoriquement que, lorsqu'il se rendait au monastère pour faire ses dons, il faisait son chèque sur place et en date du jour même et qu'il ne faisait jamais de chèques postdatés. Selon lui, il ne s'agirait que d'une erreur de la banque, erreur, selon lui, qu'elle a d'ailleurs elle-même corrigée en inversant la transaction et en inscrivant le débit à la date du 24 novembre 1993 (voir pièce A-5, onglet 19). Il est toutefois clair que le chèque était en la possession de l'O.A.L.M. le 23 novembre et qu'il a été déposé à cette date puisqu'on y trouve l'estampille de deux banques différentes portant cette date. Il s'agit de la Banque Nationale du Canada, où monsieur Hanna avait son compte, et de la Banque de Montréal, où le chèque a été déposé (voir pièces A-5, onglet 14, et I-10, vol. 2, onglet 3, page 9).

[140] Monsieur Hanna a aussi affirmé que le prêtre avait toujours rempli le reçu devant lui au moment de la remise de son chèque, y inscrivant la date du même jour. Or, en l'occurrence, le reçu n'est daté ni du 23 ni du 24 novembre, mais bien du 2 décembre 1993 (voir pièces A-5, onglet 23, et I-8, onglet 10, page 219).

[141] En 1994, monsieur Hanna a fait un chèque de 5 100 $ daté du 12 décembre 1994 qu'il aurait remis au monastère, toujours selon la même méthode (pièce A-5, onglet 15). Il est curieux qu'une représentante de la Banque Nationale du Canada ait pu affirmer que ce chèque avait été détruit, puisqu'une photocopie a été déposée en preuve (voir pièce A-5, onglet 17). Le reçu obtenu pour le même montant est daté du même jour (pièce A-5, onglet 24).

[142] En 1995, le chèque que monsieur Hanna a remis à l'O.A.L.M. est d'un montant de 5 500 $ et il est daté du 14 novembre 1995 (pièce A-5, onglet 16). Le reçu obtenu pour le même montant est daté du même jour (pièce A-5, onglet 25). Toutefois, le chèque n'a été encaissé que le 5 décembre 1995 (pièces A-5, onglet 21, et A-6). Bien que son compte bancaire indique un solde de 1 122,74 $ seulement en date du 14 novembre 1995, monsieur Hanna a affirmé qu'il n'avait jamais demandé à l'O.A.L.M. de retarder le dépôt de son chèque. Selon lui, la marge de crédit reliée au compte pouvait couvrir le montant du chèque. Par ailleurs, il a affirmé ne s'être jamais servi de cette marge de crédit pour faire des dons et qu'il n'avait pas emprunté non plus. De plus, parmi les transactions inscrites à son compte, on note un transfert de 11 000 $ en date du 29 novembre 1995. Monsieur Hanna a expliqué qu'il s'agissait du transfert d'un placement à terme qui était venu à échéance.

[143] Le nom de monsieur Hanna est inscrit au fichier « Biblio-Avant Moi » saisi chez le comptable de l'O.A.L.M. Comme on le sait, ce fichier indique le nom d'un certain nombre de donateur et le montant du reçu établi pour l'année 1993 à l'égard de chacun. Son nom y apparaît au numéro séquentiel 77. Le reçu obtenu indiquant le montant de 9 000 $ porte le numéro 2861. Comme dans le cas de toutes les personnes y inscrites, ce fichier ne contient aucune information supplémentaire (voir pièce I-21, onglet 15, page 2).

[144] Lors de son témoignage concernant le dossier de monsieur Hanna, madame Langelier a démontré que le chèque de 5 500 $ émis en 1992 avait effectivement été déposé le 25 août (voir pièce I-9, page 30). Comme je l'ai mentionné plus haut, le reçu correspondant portant le numéro 2426 est en date du 2 septembre 1992 (voir pièce A-5, onglet 22).

[145] Selon madame Langelier, en 1993 le chèque de 9 000 $ de monsieur Hanna a été déposé le 23 novembre 1993 (voir pièce I-9, page 40). Le reçu correspondant portant le numéro 2861 est en date du 2 décembre 1993 (voir pièce A-5, onglet 23).

[146] Aux fins de l'audition, madame Langelier a également calculé l'importance des montants des reçus obtenus de l'O.A.L.M. au regard de la limite de 20 % du revenu net et également par rapport au revenu disponible de monsieur Hanna pour chacune des années en question (pièce I-14). En 1992, le don de 5 500 $ est en deçà de la limite de 20 % du revenu net. En 1993, le don de 9 000 $ excède largement la limite. Compte tenu du report d'une partie de la donation de 1993 et de la donation de 1994, la limite est atteinte pour 1994. En 1995, la donation est en deçà de la limite permise.

[147] Quant à l'importance des montants des reçus obtenus par rapport au revenu disponible de monsieur Hanna, madame Langelier a calculé que la proportion s'établissait à 22 %, à 44 %, à 22 % et à 27 % pour chacune des années 1992 à 1995 respectivement.

[148] Les déclarations de revenu de monsieur Hanna soumises en preuve démontrent un revenu total de 37 282 $, de 45 288 $, de 44 781 $ et de 43 311 $ pour chacune des années 1992 à 1995 respectivement. On note également que des contributions de 10 119 $, de 7 838 $ et de 7 959 $ ont été faites à un REER pour chacune des années 1993, 1994 et 1995 respectivement (voir pièce A-5, onglets 1 à 4).

[149] Lors de son témoignage, monsieur Hanna a fait état de ce que son loyer n'était que d'environ 475 $ par mois en 1992 et 1993 et d'environ 600 $ par mois en 1994 et 1995. Il a reconnu qu'il avait possédé quelques cartes de crédit à l'époque, mais qu'il en payait toujours intégralement le solde, sauf dans le cas d'une carte de crédit de l'Ordre des ingénieurs, qu'il utilisait pour les dépenses reliées à ses déplacements professionnels. Selon lui, ces dépenses, y compris les intérêts sur la carte de crédit, étaient remboursées par son employeur.

[150] Lors du contre-interrogatoire concernant ses finances personnelles, monsieur Hanna a aussi reconnu qu'il avait donné de l'argent à ses parents en 1994 à tout le moins, et ce, de façon assez régulière. Le montant était généralement de 125 $ par mois. Selon lui, il s'agissait d'une forme de reconnaissance pour ce que ses parents avaient fait pour lui, notamment en lui ayant permis de poursuivre ses études aux États-Unis avant son arrivée au Canada (pièce I-4). Monsieur Hanna a admis qu'il remboursait aussi un prêt étudiant à raison de 50 $ par mois. La pièce I-4 fait toutefois état de remboursements de montants supérieurs en 1994, lesquels variaient mais allaient généralement de 75 $ par mois à 125 $ par mois. À l'occasion, les paiements sont plus élevés.

[151] Monsieur Hanna a affirmé catégoriquement qu'il n'avait jamais lui-même incité qui que ce soit à faire des dons à l'O.A.L.M., sauf son épouse en 1994 et en 1995, et qu'il ne connaissait à l'époque personne d'autre qui faisait ou avait pu faire des dons à cet organisme.

[152] Lors de son témoignage, monsieur Hanna a affirmé n'avoir jamais entendu parler du stratagème de remise de faux reçus avant de prendre connaissance d'un article à ce sujet dans le journal The Gazette quelques mois tout au plus avant la réception des avis de nouvelle cotisation. Il s'agit ici manifestement d'une erreur puisque les premiers articles ont paru dans les journaux en janvier 1996 et que les nouvelles cotisations n'ont été établies que le 2 juin 1997 (voir pièce A-5, onglets 5 à 8).

[153] Lorsqu'il a appris la nouvelle, monsieur Hanna a dit, qu'il avait trouvé la situation gênante puisque cela mettait en péril la réputation de la communauté libanaise. Toutefois, il n'en a jamais parlé aux prêtres du monastère, disant préférer garder cela pour lui. Aussitôt informé par Revenu Canada qu'on se proposait de refuser de reconnaître les dons qu'il avait faits, monsieur Hanna a dit s'être empressé de répondre et d'entreprendre les démarches nécessaires auprès de sa banque pour obtenir copie de ses chèques (voir pièce A-5, onglets 26 et 27). Selon lui, aucune démarche additionnelle auprès de l'O.A.L.M. n'était nécessaire puisque c'est Revenu Canada et non l'O.A.L.M. qui s'était manifesté et que les chèques et les reçus constituaient, selon lui, une preuve suffisante.

[154] À la suite de sa réponse à la lettre de Revenu Canada et à l'envoi de ses documents, monsieur Hanna a affirmé qu'il n'a jamais eu d'accusé de réception ni reçu de communication de qui que ce soit à Revenu Canada jusqu'à la réception des avis de nouvelle cotisation.

[155] Il a dit s'être adressé à ce moment-là à un collègue pour tenter de trouver un avocat ou un fiscaliste, sans toutefois l'informer des raisons. Quelques jours plus tard, ce collègue lui aurait donné le numéro de téléphone d'un avocat, un certain Me Gagnon, qui l'a représenté au stade des oppositions. Le dossier de monsieur Hanna a, par la suite, été transféré à Me Ouellette, son avocat dans la présente cause.

[156]    Monsieur Hanna a confirmé qu'il n'a plus fait de dons importants à l'O.A.L.M. après 1995, mais a dit qu'il a continué de contribuer les dimanches, de participer aux soirées et d'acheter des billets de loterie pour un total qu'il a situé à au moins 1 000 $ par année. Aucune preuve additionnelle n'a été apportée à cet égard.

May Nassar

[157] Madame Nassar est d'origine libanaise et est arrivée au Canada en 1992. Elle est infirmière depuis 1993. Elle s'est mariée avec monsieur Ziad Hanna en août 1994. Leur première rencontre a été lors d'une soirée au sous-sol de l'église de l'O.A.L.M.

[158] Madame Hanna est de religion maronite catholique. Elle est pratiquante et a affirmé que cela signifiait qu'elle n'allait pas seulement à la messe, mais participait également à des réunions religieuses et aussi sociales. En 1994 et en 1995, madame Nassar allait à l'église de l'O.A.L.M. environ une fois par mois, mais fréquentait plus assidûment à cette période l'église Saint-Maron située sur le boulevard Henri-Bourassa à Montréal. C'est également à cet endroit qu'avaient souvent lieu des rencontres le samedi soir. Madame Nassar a affirmé que c'est à compter de 1996, après la naissance de son premier enfant, qu'elle a commencé à fréquenter plus assidûment l'église de l'O.A.L.M.

[159] Madame Nassar a affirmé qu'elle avait elle-même déjà entendu un prêtre solliciter les gens pour une cause particulière, par exemple, pour couvrir le coût d'une opération aux États-Unis pour une personne venant du Liban ou encore pour aider des gens démunis. Selon elle, ces sollicitations n'étaient toutefois pas faites régulièrement, mais avaient lieu peut-être à tous les six mois; elle a affirmé en même temps que cela ne s'était passé qu'une seule fois en sa présence. Ce serait à cette occasion qu'elle aurait été informée pour la première fois que des reçus pouvaient être obtenus pour des dons.

[160] Toutefois, ce n'est qu'après leur mariage que monsieur Hanna lui aurait parlé des dons plus importants qu'il avait lui-même faits dans le passé, ce qui l'aurait incitée à faire de même. Madame Nassar a affirmé que c'est son mari qui avait calculé le montant maximum qu'elle pouvait contribuer et qu'elle avait été consentante à faire des dons de ces montants. Le motif l'ayant incitée à contribuer aurait été d'aider les gens démunis du Liban au sortir de la guerre, quoiqu'elle fût consciente qu'elle pouvait aussi obtenir un crédit d'impôt à l'égard des sommes données.

[161] Madame Nassar a affirmé qu'en 1994 et en 1995, elle s'était rendue au monastère accompagnée de son mari pour remettre ses chèques en mains propres à un prêtre et se faire délivrer un reçu du même montant en retour. Elle ne se souvient pas qui, d'elle et de son mari, aurait pris rendez-vous et ne se souvient pas non plus du nom du prêtre ou des prêtres qu'ils avaient alors rencontré(s). Toutefois, elle a dit avoir connu certains prêtres qui se sont succédés au cours des années, notamment le père El-Kamar et le père Claude Nadras.

[162] En 1994, le don à l'O.A.L.M. a été fait par chèque de 3 900 $ daté du 12 décembre 1994 tiré sur le compte bancaire conjoint dont elle était titulaire avec monsieur Ziad Hanna (voir pièce A-7, onglet 8). Madame Nassar a obtenu un reçu pour le même montant daté du même jour (voir pièce A-7, onglet 12). En 1995, le don a été fait par chèque de 3 000 $ daté du 14 novembre 1995, tiré également sur le compte bancaire conjoint (voir pièce A-7, onglet 9). Le reçu obtenu de l'O.A.L.M. est daté du même jour (voir pièce A-7, onglet 13).

[163] Madame Nassar a affirmé n'avoir pas contribué avant 1994 parce qu'elle n'en avait pas les moyens. Elle a expliqué que c'est parce qu'elle avait un compte bancaire conjoint avec monsieur Hanna qu'elle a pu faire des dons à l'O.A.L.M. en 1994 et en 1995. Après 1995, elle n'a pas fait de dons, sauf des sommes minimes de 10 $ ou 20 $.

[164] Lors de son témoignage concernant madame Nassar, madame Langelier a affirmé que le montant des reçus obtenus atteignait la limite de 20 % de son revenu net pour chacune des années 1994 et 1995 (pièce I-14). En réalité, la limite a été dépassée de peu en 1994 et le don s'est établi à 75 % de la limite en 1995.

[165] Madame Nassar a témoigné qu'elle n'avait jamais elle-même incité d'autres personnes à faire des dons à l'O.A.L.M., qu'elle ne connaissait personne d'autre qui faisait des dons à l'O.A.L.M. et qu'elle n'avait jamais parlé à quiconque - ni à des membres de sa famille ni à qui que ce soit d'autre, que ce soit à Montréal ou au Liban -- des donations qu'elle avait faites. Selon elle, il s'agissait là d'une question très confidentielle et personnelle. Elle a affirmé qu'elle n'avait jamais entendu personne mentionner, lors des messes ou à des réunions, qu'il était possible d'obtenir de l'O.A.L.M. des reçus pour des montants plus élevés que ceux des dons véritables. Selon elle, ce n'est qu'après que les journaux eurent fait état du scandale qu'elle a réalisé qu'elle connaissait plusieurs personnes qui avaient fait des dons. Madame Nassar affirme avoir été choquée par les articles parus dans les journaux The Gazette et La Presse et que cela avait eu des répercussions sur sa vie professionnelle puisque les gens lui posaient beaucoup de questions dans son milieu de travail.

[166] En réalité, les articles dont il est question ont paru pour la première fois dans le journal The Gazette le 11 janvier 1996 et dans le journal La Presse le 14 janvier 1996, ce que madame Nassar a reconnu par la suite, puisqu'elle ne se souvenait pas initialement des dates.

[167] À l'instar de son mari, monsieur Ziad Hanna, madame Nassar n'a jamais entrepris quelque démarche que ce soit auprès de l'O.A.L.M. pour obtenir de l'information ou pour vérifier l'exactitude de ce qui était écrit dans les journaux. La seule démarche faite par elle l'a été en 1997 en réponse à la lettre de Revenu Canada. La réponse de madame Nassar, tout comme celle de monsieur Hanna, a été qu'elle avait les preuves -- consistant dans ses chèques et ses reçus de ses donations (voir pièce A-7, onglet 15).

La question de l'exclusion de la preuve

[168]    Il a clairement été établi, notamment lors du témoignage de monsieur Gaétan Ouellette, qu'aucune enquête n'a été faite concernant les appelants dans le but d'établir leur responsabilité pénale. Revenu Canada a simplement procédé à l'établissement de nouvelles cotisations refusant les crédits d'impôt réclamés pour dons de bienfaisance. Il a également été démontré que ces nouvelles cotisations ont été établies sans aucune vérification portant sur le cas de chacun des appelants en particulier.

[169] Toutefois, l'avocat des appelants soutient que toute la preuve présentée par l'intimée et obtenue lors de la vérification chez l'O.A.L.M., de même que par la suite, lors de l'exécution des mandats de perquisition et de saisie, devrait être écartée aux fins des présents appels en application du paragraphe 24(2) de la Charte, de l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada et du premier alinéa de l'article 2858 du Code civil. Ces dispositions se lisent comme suit :

Charte canadienne des droits et libertés

          24. (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Loi sur la preuve au Canada

          40. Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exercées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une autre pièce s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois fédérales.

Le Code civil du Québec

Art. 2858. Le tribunal doit, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Il n'est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu'il s'agit d'une violation du droit au respect du secret professionnel.

[170]    En effet, l'avocat des appelants prétend que la vérification entreprise chez l'O.A.L.M. par madame Colette Langelier, de Revenu Canada, à la suite de la dénonciation faite par madame Isabelle Mercier le 30 mars 1994 était en réalité, depuis le début, une enquête criminelle et non une vérification de conformité. Il soutient que madame Langelier menait cette enquête comme mandataire de la Section des enquêtes spéciales et qu'en conséquence elle aurait dû obtenir un mandat de perquisition et de saisie en bonne et due forme dès le départ, ce qu'elle n'a pas fait. Le statut de madame Langelier et celui de monsieur Ouellette au sein de la même grande Division de la vérification, leur présence à différentes rencontres ainsi que leur rôle tout au long du processus, depuis la dénonciation de madame Mercier jusqu'aux perquisitions et saisies chez l'O.A.L.M. et chez le comptable, ont été particulièrement soulignés à cet égard.

[171]    La pièce I-7 relatant la dénonciation de madame Mercier contenait, selon l'avocat des appelants, assez d'éléments pour que l'on procède à une enquête criminelle. Selon lui, les appelants étaient des personnes concernées par l'enquête et c'est à ce titre qu'ils peuvent invoquer le paragraphe 24(2) de la Charte, l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada et l'article 2858 du Code civil de façon à faire écarter toute la preuve obtenue depuis la dénonciation du 30 mars 1994, puisque cette preuve a été obtenue illégalement.

[172]    L'avocat des appelants s'appuie principalement sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, 2002 CSC 73. Il se réfère aussi plus particulièrement aux décisions dans les affaires Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589, R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128 (référence est faite à la dissidence du juge Laforest aux paragraphes 58 à 69) et Michaud c. Québec (P.G.), [1996] 3 R.C.S. 3, pour appuyer son argument que les appelants, à titre de personnes concernées, ont l'intérêt et la qualité nécessaires pour faire écarter la preuve illégalement obtenue par les autorités fiscales.

[173]    Les avocats de l'intimée soutiennent pour leur part qu'il n'y a eu aucune violation des droits et libertés des appelants, de sorte que le paragraphe 24(2) de la Charte est inapplicable en l'espèce.

[174]    En ce qui concerne l'article 7 de la Charte, les avocats de l'intimée soulignent d'abord qu'aucune accusation criminelle n'a été portée contre les appelants et que l'établissement de nouvelles cotisations ne porte pas atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité d'un contribuable.

[175]    Quant à l'article 8 de la Charte conférant le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, les avocats de l'intimée font valoir qu'il s'agit d'un droit personnel et que les appelants n'ont aucunement démontré qu'ils avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée quant aux documents saisis chez l'O.A.L.M. ou chez Ralph Nahas, le comptable de cet organisme. Ils soulignent que l'attente raisonnable en matière de respect de la vie privée est faible lorsqu'il s'agit de documents qui sont sujets à vérification aux fins de l'application de la Loi. Ils soulignent de plus que les appelants qui réclament un crédit pour de tels dons de bienfaisance doivent s'attendre à fournir leurs chèques et les autres documents reliés aux reçus pour de tels dons. Enfin, ils soutiennent que, lorsqu'il s'agit d'un organisme sans but lucratif assujetti à une réglementation particulière, on doit s'attendre à ce que cet organisme soit soumis à plusieurs vérifications. À l'appui de leurs arguments, les avocats de l'intimée se réfèrent en particulier aux décisions rendues dans les affaires Edwards (précitée), Mathew v. Canada, 2003 F.C.A 371, [2003] F.C.J. No. 1470 (Q.L.), Jarvis (précitée) et R. v. Pheasant, [2000] O.J. No. 4237 (Ont. Court of Justice) (Q.L.).

[176] Les avocats de l'intimée soutiennent que, de toute façon, la vérification effectuée par madame Langelier chez l'O.A.L.M. était une vérification de conformité et n'avait pas pour but prédominant d'établir la responsabilité pénale de quiconque. Sur cette question, ils soulignent la similitude des faits de la présente affaire avec ceux rapportés dans l'affaire Jarvis (précitée) notamment quant aux méthodes utilisées par les autorités fiscales. Les avocats de l'intimée soutiennent que l'application des critères élaborés par la Cour suprême du Canada dans cette affaire ne permet pas de conclure qu'une enquête de nature pénale a débuté dès le moment où la décision a été prise de procéder à une vérification à la suite de la rencontre du 30 mars 1994 au cours de laquelle madame Mercier a dénoncé l'existence d'un stratagème de remise de faux reçus.

[177] Je suis d'accord avec la position des avocats de l'intimée. L'avocat des appelants invoque d'abord le paragraphe 24(2) de la Charte au motif que des éléments de preuve ont été obtenus en violation des droits et libertés de l'O.A.L.M. et qu'en conséquence les appelants peuvent invoquer cette violation pour faire exclure les éléments de preuve ainsi obtenus.

[178] À cet égard et à supposer qu'il y ait eu violation, ce que je ne reconnais certainement pas, il importe de souligner que les termes introductifs du paragraphe 24(2) de la Charte parlent expressément d'une instance visée au paragraphe (1) du même article, c'est-à-dire d'une instance introduite par une personne qui est la victime d'une violation ou d'une négation des droits ou libertés garantis par la Charte. Cette position a d'ailleurs été adoptée par la majorité de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Edwards (précitée). Les appelants n'ont jamais démontré quelque violation que ce soit de leurs droits et libertés garantis par la Charte. Plus particulièrement, au regard de l'article 7 de la Charte, il importe de répéter qu'aucune accusation n'a été portée contre les appelants et qu'il n'y a même pas eu d'enquête criminelle à leur sujet.

[179] Quant à la protection offerte par l'article 8 de la Charte contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, il n'a jamais été établi en quoi les appelants pouvaient avoir une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée quant aux documents saisis chez l'O.A.L.M. ou chez le comptable Ralph Nahas.

[180] Par ailleurs, l'article 2858 du Code civil a pour objet de faire exclure dans un litige civil une preuve obtenue de façon illégale, c'est-à-dire dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux, lorsque l'utilisation de cette preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[181] L'expression droits et libertés fondamentaux n'est pas définie, mais elle s'entend très certainement, à tout le moins, de ceux garantis par la Charte, comme en fait foi le commentaire du ministre de la Justice du Québec concernant l'article 2858. En effet, dans Code civil du Québec, Commentaires du Ministre de la Justice, Les Publications du Québec, tome II, aux pages 1789 et 1790, on peut lire :

Art. 2858.

[...]

Commentaire

À l'exception des cas couverts par le second alinéa de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, l'obtention d'une preuve par un procédé illégal n'était pas auparavant un obstacle à sa recevabilité; il suffisait qu'une preuve fût pertinente et autrement recevable.

L'article 2858 généralise l'application du principe de cet article 24 à tous les litiges de matière civile qui mettent en cause les droits et libertés fondamentaux, mais en y ajoutant une exception, lorsqu'il s'agit d'une violation du droit au respect du secret professionnel, par concordance avec l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., chapitre C-12). Dans ce cas, la preuve est irrecevable, sans que le tribunal n'ait à prendre en considération le critère selon lequel l'utilisation de telle preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Par ailleurs, étant donné qu'il s'agit de violation de droits fondamentaux, le tribunal peut d'office soulever l'irrecevabilité de l'élément de preuve contrairement au principe général prévu à l'article 2859.

[182] Si le tribunal doit d'office rejeter un élément de preuve obtenu de façon illégale et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, la question se pose évidemment de savoir qui peut être le bénéficiaire de cette protection ainsi accordée par l'article 2858 dans les litiges à caractère civil. S'il est clair que la victime d'une violation ou d'une négation de ses droits et libertés fondamentaux peut bénéficier d'une telle disposition, on pourrait prétendre que les tiers pourraient aussi l'invoquer vu l'absence d'une limitation semblable à celle que l'on retrouve au tout début du paragraphe 24(2) de la Charte.

[183] Dans son ouvrage intitulé L'admissibilité de la preuve obtenue en violation des droits et libertés fondamentaux en matière civile, Montréal, Wilson & Lafleur, 1996, l'auteure Guylaine Couture exprime d'ailleurs cette opinion dans les termes suivants aux pages 53 et 54 :

La solution devra être différente, à notre avis, dans le contexte de la règle d'exclusion de la preuve prévue à l'article 2858 du Code civil du Québec. En effet, cette disposition ne limite pas le recours à la seule « victime » de la violation, et il est tout à fait fondé de permettre à quiconque ayant un intérêt suffisant d'invoquer cette disposition afin de faire exclure une preuve obtenue en contravention des droits et libertés. Ce trait distinctif entraîne des conséquences importantes sur le plan pratique puisqu'un justiciable pourrait tirer avantage à invoquer l'article 2858 du Code civil du Québec au lieu du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne.

[184] Aucune autorité n'est citée au soutien de cette affirmation. Par ailleurs, il faut reconnaître que pareille extension de la protection accordée par le paragraphe 24(2) irait, en matière civile, bien au-delà de la protection accordée en matière criminelle à un accusé qui n'est toutefois pas directement la victime d'une violation de ses droits ou libertés. On peut se référer, à cet égard, au jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Edwards (précitée). En tout état de cause, encore aurait-il fallu dans le cas présent établir d'abord que la preuve a été obtenue de façon illégale. À mon avis, cela n'a pas été fait et j'estime ainsi ne pas devoir approfondir la question.

[185] En matière fiscale, c'est dans son jugement dans l'affaire Jarvis (précitée) que la Cour suprême du Canada a clarifié la distinction entre les fonctions de vérification et d'enquête de Revenu Canada et qu'elle a formulé un certain nombre de facteurs à considérer aux fins d'appliquer cette distinction. Quant aux conséquences de la distinction, on les trouve exprimées au paragraphe 88 du jugement dans les termes suivants :

88    À notre avis, lorsqu'un examen dans un cas particulier a pour objet prédominant d'établir la responsabilité pénale du contribuable, les fonctionnaires de l'ADRC doivent renoncer à leur faculté d'utiliser les pouvoirs d'inspection et de demande péremptoire que leur confèrent les par. 231.1(1) et 231.2(1). Essentiellement, les fonctionnaires [TRADUCTION] « franchissent le Rubicon » lorsque l'examen crée la relation contradictoire entre le contribuable et l'État. Il n'existe pas de méthode claire pour décider si tel est le cas. Pour déterminer si l'objet prédominant d'un examen consiste à établir la responsabilité pénale du contribuable, il faut plutôt examiner l'ensemble des facteurs qui ont une incidence sur la nature de cet examen.

[186] Dans l'affaire Jarvis (précitée) les différentes étapes de la procédure suivie par les autorités fiscales sont décrites de façon détaillée par la Cour, depuis la dénonciation faite par un tiers, en passant par les communications des vérificateurs avec le contribuable, la vérification des livres et registres et le renvoi du dossier pour enquête jusqu'à, finalement, l'obtention des mandats de perquisition et de saisie. Quant aux étapes elles-mêmes, force est de constater qu'elles sont très semblables à celles dans le présent cas quant à la vérification et quant à l'enquête subséquente dont l'O.A.L.M. a fait l'objet.

[187] Dans l'arrêt Jarvis (précité), la Cour suprême du Canada souligne l'importance d'établir à la lumière du contexte et de tous les facteurs pertinents l'objet prédominant d'un examen effectué par les autorités fiscales. Toutefois, elle y sert une mise en garde on ne peut plus claire de ne pas conclure trop rapidement qu'il y a eu enquête dont l'objet prédominant consistait à établir la responsabilité pénale d'un contribuable. La Cour suprême du Canada s'est exprimée dans les termes suivants aux paragraphes 89 et 90 du jugement :

89     D'abord, la simple existence de motifs raisonnables de croire qu'il peut y avoir eu perpétration d'une infraction est insuffisante en soi pour conclure que l'objet prédominant d'un examen consiste à établir la responsabilité pénale du contribuable. Même lorsqu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner la perpétration d'une infraction, il ne sera pas toujours exact de dire que l'objet prédominant de l'examen est d'établir la responsabilité pénale du contribuable. À cet égard, les tribunaux doivent se garder d'imposer des entraves de nature procédurale aux fonctionnaires; il ne serait pas souhaitable de [TRADUCTION] « forcer la main des autorités réglementaires » en les privant de la possibilité de recourir à des peines administratives moindres chaque fois qu'il existe des motifs raisonnables de croire à l'existence d'une conduite plus coupable. Ce point a été exprimé clairement dans l'arrêt McKinlay Transport, précité, p. 648, où le juge Wilson affirme : « Le Ministre doit être capable d'exercer ces [larges] pouvoirs [de surveillance], qu'il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu'un certain contribuable a violé la Loi » . Bien que l'existence de motifs raisonnables constitue en fait une condition nécessaire à la délivrance d'un mandat de perquisition pour mener une enquête criminelle (art. 231.3 de la LIR et 487 du Code criminel) et pourrait, dans certains cas, indiquer que les pouvoirs de vérification ont été utilisés à mauvais escient, cet élément ne suffit pas pour établir que l'ADRC mène une enquête de facto. Dans la plupart des cas, si l'on croit raisonnablement à la présence de tous les éléments d'une infraction, il est probable que le processus d'enquête sera enclenché.

90     On peut encore moins retenir comme critère le simple soupçon qu'une infraction a été commise. Au cours de sa vérification, le vérificateur peut soupçonner toutes sortes de conduites répréhensibles, mais on ne peut certainement pas affirmer qu'une enquête est enclenchée dès l'apparition d'un soupçon. Sur le fondement de quels éléments de preuve un enquêteur pourrait-il obtenir un mandat de perquisition si un vague soupçon était suffisant pour bloquer le processus de vérification qui permet d'établir les faits? L'intérêt qu'a l'État à poursuivre ceux qui éludent volontairement le paiement d'un impôt revêt une grande importance, et nous devons nous garder de neutraliser la capacité de l'État d'enquêter et de recueillir des éléments de preuve de la perpétration de ces infractions.

(Le souligné est de moi.)

[188] Au paragraphe 94 du jugement, la Cour énonce, de façon non limitative, un certain nombre de facteurs à examiner. Ce sont les suivants :

a)          Les autorités avaient-elles des motifs raisonnables de porter des accusations? Semble-t-il, au vu du dossier, que l'on aurait pu prendre la décision de procéder à une enquête criminelle?

b)          L'ensemble de la conduite des autorités donnait-elle à croire que celles-ci procédaient à une enquête criminelle?

c)          Le vérificateur avait-il transféré son dossier et ses documents aux enquêteurs?

d)          La conduite du vérificateur donnait-elle à croire qu'il agissait en fait comme un mandataire des enquêteurs?

e)          Semble-t-il que les enquêteurs aient eu l'intention d'utiliser le vérificateur comme leur mandataire pour recueillir des éléments de preuve?

f)           La preuve recherchée est-elle pertinente quant à la responsabilité générale du contribuable ou, au contraire, uniquement quant à sa responsabilité pénale, comme dans le cas de la preuve de la mens rea?

g)          Existe-t-il d'autres circonstances ou facteurs susceptibles d'amener le juge de première instance à conclure que la vérification de la conformité à la loi était en réalité devenue une enquête criminelle?

[189] L'avocat des appelants soutient que dès la dénonciation de madame Mercier (pièce I-7), les autorités auraient pu prendre la décision de procéder à une enquête criminelle. Je ne le crois pas, même si on pouvait avoir des soupçons, ou mieux, des motifs raisonnables de croire que des infractions avaient été commises. Comme l'a souligné monsieur Ouellette dans son témoignage, madame Mercier n'avait nommé que quelques personnes, l'organisme n'était pas connu des personnes présentes et les chiffres donnés par madame Mercier n'étaient pas très impressionnants. Comme l'a fait remarquer monsieur Ouellette, on ne décide pas de procéder à une enquête dès le départ quand on reçoit ce genre d'information. Les autorités ont décidé de procéder d'abord et avant tout à une vérification de conformité et aucun élément de la vérification effectuée par madame Langelier ne m'apparaît avoir eu, à ce stade-là, comme objet prédominant d'établir la responsabilité pénale de qui que ce soit. Ni l'organisme ni ses responsables n'étaient connus. Madame Mercier avait donné le nom de certains prêtres et désigné un organisme religieux. Je ne crois pas que les autorités avaient dès le moment de la dénonciation des motifs raisonnables de porter des accusations ou d'entreprendre immédiatement une enquête dans ce but. La vérification effectuée par madame Langelier a été, à mon avis, conforme à la décision prise de faire une vérification et rien n'indique que ce qu'elle recherchait était avant tout d'établir la responsabilité pénale de l'O.A.L.M. ou de l'un ou de plusieurs de ses prêtres ou encore de ses dirigeants. Rien dans la preuve présentée ne démontre que l'on procédait à une enquête criminelle sous le couvert d'une vérification et que madame Langelier était la mandataire de la Section des enquêtes spéciales ou de monsieur Ouellette pour rechercher des indices de responsabilité pénale. La vérification a d'ailleurs été effectuée de façon tout à fait autonome dans le but d'établir si l'O.A.L.M. se conformait effectivement aux normes strictes de la Loi relatives à l'utilisation des fonds recueillis auprès de ses donateurs et pour lesquels des reçus officiels avaient été établis. D'ailleurs, son travail a été essentiellement et avant tout un travail de conciliation comptable, comme les résultats produits le démontrent (voir pièces I-9 et I-11). L'analyse effectuée par madame Langelier relève essentiellement de la vérification de conformité, et tous les documents consultés sur place étaient des documents que l'O.A.L.M. devait conserver aux fins de l'application de la Loi. Il n'y a aucune preuve qu'elle ait tenté d'obtenir ou de rechercher d'autres éléments de preuve dans le but d'établir la responsabilité pénale de qui que ce soit. Ce n'est pas parce que monsieur Ouellette s'est subséquemment servi du travail de conciliation de madame Langelier que l'on peut affirmer que la vérificatrice était la mandataire de monsieur Ouellette en ce que l'objet prédominant de sa vérification était d'établir la responsabilité pénale d'une ou de plusieurs personnes. Ce n'est pas parce qu'une vérification se termine par un renvoi pour enquête et que les enquêteurs se basent, pour entreprendre leur enquête, sur les résultats de la vérification que celle-ci se transforme rétroactivement en une enquête ab initio. D'ailleurs, dans l'affaire Jarvis (précitée) cette façon de faire a été reconnue. Dans le cas présent, durant toute la période de la vérification, soit à partir de la fin du mois de mars 1994 jusqu'à la fin du mois de juin 1995, madame Langelier n'a eu absolument aucun contact de quelque nature que ce soit avec un enquêteur de la Section des enquêtes spéciales, y compris avec monsieur Ouellette. Ce dernier a d'ailleurs souligné le fait qu'il ne s'était pas intéressé au dossier ni ne s'était informé de celui-ci durant toute cette période.

[190] Pour affirmer qu'il y avait dès le départ enquête de nature pénale, l'avocat des appelants invoque le fait qu'à l'époque la Section des enquêtes spéciales relevait en dernière analyse de la Division de la vérification. Il prétend aussi que la rencontre avec madame Mercier aurait dû avoir lieu dans un bureau de la Section des enquêtes spéciales plutôt que dans celui de monsieur Galimi, chef d'équipe de madame Langelier. Je ne vois pas en quoi on peut tirer de ces faits une inférence que la vérification était dès le départ une enquête pénale.

[191] De plus, une fois prise la décision de madame Langelier de procéder au renvoi pour enquête, le fait que monsieur Ouellette était présent à la rencontre ayant pour objet ce renvoi et qu'il a subséquemment été choisi comme enquêteur dans le dossier n'a, à mon avis, pas vraiment d'importance puisqu'il est clair que l'enquête débutait dès l'acceptation du renvoi par la Section des enquêtes spéciales.

[192] Madame Langelier s'est présentée chez l'O.A.L.M. à six ou sept reprises au mois d'octobre 1994, dont une fois avec son chef d'équipe, pour examiner les livres, les registres, les documents bancaires et les autres documents pertinents dans le but premier d'établir si l'O.A.L.M. se conformait aux dispositions de la Loi, particulièrement en ce qui concerne l'utilisation des sommes obtenues des donateurs, compte tenu des exigences prescrites par la Loi à cet égard. Il fallait donc tenter de retracer les sommes reçues, ce qu'elle a tenté de faire. Après la vérification sur place d'octobre 1994, madame Langelier a entrepris un long travail d'analyse qui a duré plusieurs mois et qui lui a permis de découvrir un stratagème de remise de faux reçus; il s'agissait d'un stratagème d'envergure, d'où le renvoi à la Section des enquêtes spéciales en juin 1995. Entre octobre 1994 et juin 1995, elle n'a d'ailleurs eu aucun contact additionnel avec l'O.A.L.M., si ce n'est qu'on lui a fait parvenir un document au printemps 1995, comme on s'était engagé à le faire. Ce document était en langue arabe. Madame Langelier l'a fait traduire et a constaté qu'il n'indiquait que le total en fin d'année des reçus établis pour des dons en argent comptant.

[193] Dans les circonstances, j'estime que la vérification par madame Langelier était ce qu'elle devait être, c'est-à-dire avant tout une vérification de conformité. À mon avis, l'enquête elle-même a débuté avec le renvoi à la Section des enquêtes spéciales le 29 juin 1995 (pièce I-22).

[194] Ma conclusion est donc qu'il n'y a pas eu de violation ou de négation des droits et libertés fondamentaux de l'O.A.L.M. ou de quelqu'un d'autre en particulier et qu'il n'y a certainement pas eu de violation de ceux des appelants, de telle sorte que l'article 2858 du Code civil ne peut être invoqué ou appliqué en l'espèce pour écarter des éléments de preuve.

Le stratagème et son étendue

[195] J'ai déjà décrit de façon détaillée la preuve présentée par l'intimée concernant le stratagème de remise de faux reçus mis sur pied à l'O.A.L.M. On sait d'ailleurs que certains donateurs ayant obtenu des reçus pour des montants excédant 100 000 $ entre 1989 et 1995 ont été poursuivis et que la plupart ont plaidé coupable. On sait aussi que plus d'un millier de contribuables ont fait l'objet de nouvelles cotisations et que peu d'entre eux se sont prévalus de leur droit d'appel devant la Cour. Les décisions rendues sont publiques. Certains contribuables ont eu gain de cause, plusieurs ont échoué. Pour 1993 seulement, le fichier « Biblio-Reç » saisi chez l'O.A.L.M. donne une bonne idée non seulement de l'ampleur du phénomène, mais également des moyens utilisés. Quatre contribuables ont d'ailleurs témoigné sur la façon dont ils ont obtenu leurs reçus. Certains ont traité directement avec les prêtres de l'O.A.L.M., d'autres ont passé par un intermédiaire. On sait aussi que le phénomène s'est étendu sur plusieurs années et que l'O.A.L.M. disposait de sommes extrêmement importantes en argent comptant, dont on a perdu toute trace, pour faire fonctionner le stratagème. Tout cela se situe dans un contexte dont il est impossible de faire abstraction. Toutefois, cela ne signifie pas non plus que tous les donateurs ont pour autant obtenu de faux reçus. Il est vrai, comme le soutient l'avocat des appelants, que l'on ne peut imputer aux appelants, ni à d'autres contribuables d'ailleurs, les actes répréhensibles de tierces personnes et conclure qu'eux aussi ont participé au stratagème. Il n'est pas nécessaire de se référer à de nombreuses décisions pour reconnaître que la preuve d'actes posés par des tiers n'est ni admissible ni pertinente pour juger de la nature de ceux posés par les appelants. Toutefois, la preuve de l'état des choses ou du contexte -- soit, dans le présent cas, l'existence d'un stratagème à grande échelle dont l'exécution s'est étendue sur plusieurs années -- m'apparaît à la fois admissible et pertinente.

[196] Ainsi, il ressort au moins deux faits indéniables qui ne sont pas totalement sans pertinence. On a pu constater que la remise de faux reçus n'était pas un geste isolé, occasionnel ou même épisodique commis par une seule personne et ne visant que quelques donateurs mais bien une fraude majeure et systématique impliquant, d'une part, les prêtres responsables de l'O.A.L.M. et, d'autre part, plusieurs centaines de contribuables. L'existence des fichiers informatiques saisis est assez éloquente à cet égard. Or, il est impossible de ne pas tenir compte du fait que c'est avec les mêmes personnes faisant partie de l'O.A.L.M. que les appelants ont traité pour faire leurs donations et obtenir des reçus.

[197]    Si l'on s'en tient strictement aux quatre contribuables qui ont témoigné avoir obtenu de faux reçus de l'O.A.L.M., soit madame Isabelle Mercier et messieurs Farhat, Yazbeck et Thibodeau, on remarque que la presque totalité des reçus délivrés à ces personnes sont signés par le père Sleiman, le père El-Kamar et le père Nadras (voir pièces I-5, I-17, I-18 et I-19). Les quatre appelants ont obtenu des reçus portant les mêmes signatures (voir monsieur Salamé, pièce I-1, onglet 6; monsieur Kiwan, pièce I-15, onglet 8; monsieur Hanna, pièce A-5, onglets 22 à 25; madame Nassar, pièce A-7, onglet 12).

[198] Le deuxième fait se rapporte à la connaissance même du stratagème. L'examen du « Biblio-Reç » contenant le nom de centaines de donateurs ne conduit certainement pas à la conclusion que le stratagème ne touchait que quelques personnes qui en auraient gardé le secret. Il est difficile de croire qu'un secret partagé par des centaines de personnes puisse demeurer un secret longtemps et surtout le demeurer durant plusieurs années. Le témoignage de monsieur Farhat et celui de monsieur Yazbeck indiquent d'ailleurs que le phénomène était connu et que l'information circulait de bouche à oreille dans la communauté libanaise. Il est donc étonnant de constater que certains des appelants, qui fréquentaient l'église de l'O.A.L.M., que ce soit pour la messe, pour des rencontres après la messe ou en d'autres occasions, aient témoigné qu'ils n'avaient absolument jamais entendu parler du stratagème avant d'en prendre connaissance dans les journaux. Ceci vaut pour tous les appelants à l'exception de monsieur Salamé.

La preuve

[199] Il est reconnu par les parties que le fardeau de la preuve, pour ce qui est de démontrer la participation au stratagème selon la prépondérance des probabilités, appartient à l'intimée en ce qui concerne monsieur Salamé pour les années 1990 à 1993, en ce qui concerne monsieur Kiwan pour les années 1990 à 1993 et en ce qui concerne monsieur Hanna pour les années 1992 et 1993. Pareillement, l'intimée a le fardeau d'établir de la même façon les faits qui justifient l'imposition des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[200] L'intimée a présenté une preuve circonstancielle visant à démontrer que les appelants ont participé au stratagème principalement en recevant des remboursements en argent comptant. L'intimée a admis que, dans les cas où il a été possible de retracer les chèques émis par les appelants, le montant du chèque et celui du reçu sont les mêmes. C'est le fait qu'il y a eu des remboursements en argent qui est allégué. Les appelants ont répliqué à la preuve présentée par l'intimée notamment par leurs témoignages et par la présentation d'un certain nombre de documents, principalement des relevés bancaires. Il va sans dire que la crédibilité que peuvent avoir de tels témoignages est cruciale dans des cas semblables.

[201] L'article 2804 du Code civil établit le degré de preuve requis en matière civile dans les termes suivants :

            La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[202] Dans son traité intitulé La preuve civile, 3e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003, l'auteur Jean-Claude Royer rappelle à la page 113, au paragraphe 174, que « le degré de preuve requis ne réfère pas à son aspect quantitatif mais bien qualitatif » et que « [la] preuve produite n'est pas évaluée en fonction du nombre de témoins présentés par chacune des parties, mais en fonction de leur capacité de convaincre » .

[203] À la même page, au paragraphe 175, il souligne que la preuve directe qui porte directement sur le fait litigieux est généralement préférable à la preuve indirecte ou indiciaire qui porte sur « des faits pertinents qui permettent d'inférer l'existence du fait litigieux [...] » , mais il ajoute « [qu'en] certaines circonstances, le tribunal peut préférer une preuve indiciaire à une preuve directe » .

[204] À la page 116, au paragraphe 178, Jean-Claude Royer rappelle également « que le témoignage d'une seule personne peut être suffisant pour [...] se décharger du fardeau de persuasion » . Par ailleurs, il souligne également le fait « [qu']un juge n'est pas tenu de croire un témoin qui n'est pas contredit. » Sur ce dernier point, il se réfère à la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Légaré v. The Shawinigan Water and Power Co. Ltd., [1972] C.A. 372. Dans cette affaire, le tribunal énonçait ce qui suit aux pages 373 et 374 :

            [...] Mais, les tribunaux ne sont pas tenus de croire les témoins, même s'ils ne sont pas contredits par d'autres témoins. Leur version peut être invraisemblable par suite de circonstances révélées par la preuve ou par suite des règles du simple bon sens [...]

Les faits retenus à l'égard des appelants

Remarque générale

[205] Il est surprenant de constater qu'aucun des appelants n'a tenté d'obtenir quelque preuve additionnelle que ce soit auprès de l'O.A.L.M. pour appuyer ses assertions concernant la réalité de ses donations. Personne n'a été appelé à témoigner pour confirmer que les appelants étaient, comme d'autres contribuables pouvaient l'être aussi, des exceptions en ce qui concerne la participation au stratagème d'envergure qui avait été mis sur pied, lequel était connu dans la communauté libanaise comme certains contribuables sont venus l'affirmer. Toutefois, ce qui est encore plus surprenant c'est qu'aucun des appelants n'ait même tenté d'obtenir quelque information que ce soit auprès de l'O.A.L.M. ou d'entrer en contact avec une personne responsable chez l'O.A.L.M., alors qu'ils ont dit avoir été choqués en étant mis au courant du scandale.

Ghassan Kiwan

[206] J'ai déjà décrit plus haut, aux paragraphes 84 et 85, à quel point le témoignage de monsieur Kiwan sur le moment où il aurait fait ses dons et obtenu ses reçus soit, dans la plupart des cas, lors de courtes visites au monastère de l'O.A.L.M. le vendredi soir, était tout à fait contraire à la réalité, compte tenu des dates des chèques et des reçus, dont le jour est facilement vérifiable au calendrier des années en cause.

[207] Le témoignage de monsieur Kiwan sur le caractère strictement personnel et confidentiel des dons qu'il faisait et sur l'absence totale de discussions à cet égard au sein de sa famille et plus particulièrement avec son frère Émile Kiwan est aussi en complète contradiction avec les faits mis en preuve. Les reçus remis démontrent plutôt une coordination quasi totale des donations faites par les deux frères à l'O.A.L.M.

[208] Les explications notamment la baisse de son revenu fournies concernant l'absence d'une donation en décembre 1995 sont aussi totalement incompatibles avec les détails concernant son revenu au cours des années en litige mis en preuve par l'intimée.

[209] Ces éléments à eux seuls sont suffisants pour que je rejette la totalité de son témoignage, auquel il ne peut être reconnu strictement aucune crédibilité. Un tel témoignage me porte plutôt à penser que, si une personne commence à mentir systématiquement à l'égard d'un certain nombre de faits secondaires, c'est qu'elle cherche à camoufler des faits plus importants.

[210] Monsieur Kiwan a aussi affirmé que c'est vers la fin de 1996 ou au début de l'année 1997, alors qu'il s'apprêtait à quitter pour l'Arabie Saoudite, qu'il avait appris l'existence du stratagème mis sur pied par l'O.A.L.M. Or, on sait que des articles avaient déjà paru dans les journaux dès le mois de janvier 1996.

[211] Je mentionnerai enfin à nouveau le fait que le nom de monsieur Kiwan est inscrit avec le nom d'autres donateurs sur un document saisi chez l'O.A.L.M. le 8 novembre 1995. Sur ce document, par rapport à un reçu de 5 000 $ à donner à monsieur Kiwan, on trouve la mention « déjà rendu » et l'indication d'un montant de 4 000 $.

[212] L'ensemble des éléments que je viens de décrire est plus que suffisant pour me convaincre de la participation plus que simplement probable de monsieur Kiwan au stratagème de l'O.A.L.M. au cours de l'ensemble des années en litige.

Ramzi Salamé

[213] Monsieur Salamé a obtenu de l'O.A.L.M. des reçus totalisant 34 600 $ pour les années 1990 à 1993. Dans son cas, les affirmations les plus surprenantes sont qu'il ne connaissait absolument rien de l'O.A.L.M. à part son adresse, qu'il ignorait même le nom des prêtres, qu'il n'a jamais communiqué avec qui que ce soit chez l'O.A.L.M. durant toutes ces années, que toutes ses donations avaient été faites simplement par la poste et que les reçus avaient été obtenus de la même manière. De plus, ce n'est qu'au Liban qu'il aurait appris l'existence de l'O.A.L.M. alors qu'il expliquait à un ami l'avantage qu'il y avait, à cause des crédits d'impôt, à faire des donations à un organisme canadien plutôt que de faire des dons directs au Liban. Bien informé de cet avantage comme il l'était, il est étonnant de constater qu'il n'a pas recherché lui-même un organisme admissible puisqu'il vivait quand même au Québec depuis plusieurs années.

[214] Par ailleurs, lorsqu'il a été avisé par Revenu Canada en 1997 que ses donations étaient refusées, il a lui-même évoqué la possibilité que l'O.A.L.M. avait pu détourner des fonds. Pourtant, il n'a jamais cherché à se renseigner de quelque façon que ce soit, par des démarches au Liban ou au Canada, sur ce qui s'était réellement passé. Dans son témoignage, il a tout simplement fait état, de façon très vague et générale, du fait qu'on lui avait appris que les sommes qu'il avait données avaient effectivement été envoyées à un organisme de bienfaisance de son « patelin » . Ce n'est qu'en 1998, lorsqu'il a appris la saisie de son compte bancaire qu'il a véritablement réagi, qu'il s'est présenté à l'église de l'O.A.L.M. à Outremont, qu'il a posé quelques questions à un prêtre après la messe, qu'il a obtenu le nom d'un avocat et qu'il a signé une déclaration solennelle sur la réalité de ses dons.

[215] Toutefois, la preuve présentée par l'intimée tend à démontrer qu'il y avait effectivement certains problèmes concernant la date véritable des chèques remis à l'O.A.L.M. par monsieur Salamé et la date d'établissement des reçus pour les années 1990 et 1993. La vérification effectuée par madame Langelier et décrite aux paragraphes 125 à 129 ci-dessus conduit à la conclusion qu'il y a une très forte possibilité que les reçus n'aient été établis pour chacune de ces deux années qu'au cours de l'année suivante. De plus, il est étonnant que le chèque daté du 23 décembre 1990 n'ait été encaissé que le 15 mars 1991, quand on sait que l'O.A.L.M. faisait le dépôt des chèques des donateurs de façon très fréquente et généralement peu de temps après les avoir reçus. Quant aux chèques en devises américaines endossés par monsieur Salamé, qu'il aurait fait parvenir à l'O.A.L.M. en 1993 et pour lesquels il a obtenu un reçu de 10 000 $ en date du 31 décembre 1993, je retiens d'abord que cette façon de faire une donation est surprenante et ensuite que monsieur Salamé n'a jamais retracé ces chèques. Le dépôt ou l'encaissement de ceux-ci n'a pu être démontré. La question qui se pose est de savoir si ces chèques ont véritablement existé. L'absence totale d'information concernant le reçu de 10 000 $ en date du 31 décembre 1993 remis à monsieur Salamé laisse tout simplement perplexe et toutes les hypothèses sont permises.

[216] Toutefois, les éléments les plus importants à signaler sont les dépôts au compte bancaire de monsieur Salamé peu de temps après l'encaissement de ses chèques pour les années 1990, 1991 et 1992 et les explications fournies à cet égard lors du contre-interrogatoire. Ces éléments sont exposés aux paragraphes 113 à 122 ci-dessus. Certes, il y a eu beaucoup de dépôts au compte de monsieur Salamé qu'il n'a pas été appelé à justifier. Toutefois, à trois occasions différentes, trois années de suite, on constate des dépôts qui représentent 80 % et plus du montant des chèques encaissés par l'O.A.L.M. peu de temps auparavant. Trois coïncidences? Il est difficile d'y croire. Un dépôt, celui du 22 mars 1991, a été rapidement expliqué par monsieur Salamé comme étant un transfert d'un compte inactif dans le but d'acheter une maison. Comment a-t-il pu se souvenir si facilement d'un simple transfert d'un compte à l'autre à cette date précise alors qu'il n'a pu offrir d'explication pour un dépôt d'une somme à peu près équivalente fait quelque temps plus tard? Le dépôt d'un montant de 4 000 $ le 5 janvier 1993 n'a jamais été expliqué puisque monsieur Salamé a affirmé qu'il avait déjà quitté le pays dans le cadre de son congé sabbatique.

[217] Ce sont les explications fournies par monsieur Salamé concernant les trois dépôts successifs en argent comptant en date du 19 décembre 1991 qui retiennent le plus mon attention et qui sont à la fois les plus surprenantes et les moins crédibles. On sait que ces dépôts d'argent comptant ont été faits à Montréal alors qu'il était en route vers l'aéroport. Lors d'une rencontre avec un de ses beaux-frères avant son départ monsieur Salamé aurait obtenu d'abord une somme de 2 600 $, chiffre qu'il a corrigé subséquemment à 2 300 $, en billets provenant d'une banque de Toronto, où ce beau-frère émigré aux États-Unis maintenait toujours un compte. L'argent aurait été remis à monsieur Salamé en remboursement d'une dette reliée à l'achat de la maison familiale au Liban. On se demande d'abord pourquoi on avait choisi de remettre une telle somme en billets. En effet, monsieur Salamé a affirmé que c'est par des chèques en devises américaines que ses beaux-frères lui remettaient l'argent qu'ils lui devaient. Ce sont d'ailleurs de tels chèques reçus par lui que monsieur Salamé aurait endossés pour faire sa donation en 1993. Enfin, l'explication est, à mon avis, loin d'être satisfaisante. Elle devient toutefois absolument incroyable quant à la somme de 6 000 $ en billets que monsieur Salamé a dit avoir obtenue, immédiatement avant son départ pour l'étranger, d'un certain monsieur Akiki lors d'une rencontre « dans un café [...] ou dans une station d'essence » . D'abord, monsieur Salamé, qui a affirmé avoir une très bonne mémoire des situations et particulièrement des circonstances entourant les dépôts en question, aurait dû se souvenir si la rencontre avait eu lieu dans un café ou dans une station d'essence. La différence n'est quand même pas négligeable. Puis, monsieur Salamé a expliqué que monsieur Akiki voulait rendre cette somme qu'il avait empruntée en billets au frère de monsieur Salamé au Liban. Or, monsieur Salamé partait le soir même pour l'Europe et devait se rendre au Liban. On se demande alors pourquoi il aurait d'abord décidé de déposer 3 000 $ dans son propre compte bancaire, puisque cet argent devait être remis à son frère. Le deuxième dépôt de 3 000 $ est tout aussi incompréhensible, puisque, encore une fois, il s'agissait, selon monsieur Salamé, d'argent que monsieur Akiki désirait remettre à son frère. En bref, j'estime que les explications données dans les circonstances sont farfelues et donc aucunement crédibles. Ceci ne peut qu'affecter l'ensemble de son témoignage.

[218] Parmi les autres éléments à retenir, il y a aussi certainement l'importance des montants en cause, particulièrement au regard du revenu disponible de monsieur Salamé. Il est vrai que des donations importantes ont été faites par monsieur Salamé à un autre organisme au cours des années 1992 et 1993. J'estime toutefois que les éléments de preuve présentés par l'intimée et décrits plus haut de façon détaillée emportent plus ma conviction.

[219] Somme toute, l'ensemble de la preuve présentée dans ce cas, dont je viens de relever les éléments les plus importants, me porte à conclure, non sans une certaine hésitation toutefois, à une participation probable de monsieur Salamé, au cours des années en litige, au stratagème mis sur pied par l'O.A.L.M.

[220] Cette probabilité entraîne, à mon avis, le maintien des pénalités puisqu'il ne peut s'agir que d'actions commises délibérément et en toute connaissance de cause.

Ziad Hanna

[221] Les faits relatifs au dossier de monsieur Hanna sont décrits aux paragraphes 132 à 156 ci-dessus.

[222] Parmi les éléments qui me paraissent le plus importants, je retiens d'abord le fait que, contrairement à ses affirmations catégoriques, monsieur Hanna n'a pas remis ses chèques et obtenu ses reçus au même moment et en date du même jour, et ce, tant en 1992 qu'en 1993. La preuve est claire à cet égard. Comme dans le cas de monsieur Kiwan, cela nuit à l'ensemble de son témoignage et tend à démontrer qu'il a effectivement quelque chose à cacher et que les événements ne se sont pas déroulés de la façon dont il les a décrits.

[223] Un autre élément qui retient mon attention concerne plus particulièrement la date de remise de son chèque de 9 000 $ à l'O.A.L.M. en 1993. Le chèque porte la date du 24 novembre 1993. Mais, malgré l'affirmation répétée de monsieur Hanna selon laquelle le chèque a été libellé et remis à un prêtre de l'O.A.L.M. le même jour, il est évident que l'O.A.L.M. l'avait déjà en sa possession au moins depuis le 23 novembre 1993. La preuve du dépôt du chèque à cette date n'est pas contestable. Il ne s'agit manifestement pas d'une simple erreur de sa banque, contrairement à ce que monsieur Hanna a bien tenté d'expliquer. D'ailleurs, son insistance à maintenir devant l'évidence cette version des faits compromet aussi la crédibilité de son témoignage.

[224] Il est évident, selon la preuve présentée, que monsieur Hanna était à la recherche d'une façon de réduire ses impôts et que pour établir le montant de ses dons, il s'est préoccupé de la limite maximale permise compte tenu de son revenu. Le plus étonnant, cependant, c'est qu'il considérait ses dons comme une forme d'abri fiscal et qu'il a comparé les sommes censément données au cours des années en litige aux montants qu'il a investi subséquemment dans des actions accréditives. La comparaison apparaît inconséquente pour dire le moins.

[225] Les montants pour lesquels monsieur Hanna a effectivement obtenu des reçus de l'O.A.L.M. de 1992 à 1995 sont d'une importance telle par rapport à son revenu disponible que la probabilité qu'il s'agit de véritables donations est, à mon avis, extrêmement réduite. Cela est d'autant plus frappant lorsqu'on constate le niveau de revenu, les obligations personnelles, et les sommes importantes investies dans un REER au cours des années en litige. Qu'une personne consacre 22 %, 44 %, 22 % et 27 % de son revenu disponible à des donations charitables, comme monsieur Hanna prétend l'avoir fait au cours des années en litige, dépasse de beaucoup les normes usuelles de générosité et de bon sens. Le fait que monsieur Hanna n'ait pu démontrer, autrement que par une simple affirmation, quelque donation d'importance faite au cours des années qui ont précédé ou suivi les années en litige renforce le point de vue selon lequel des donations de sommes aussi importantes à l'O.A.L.M. ne peuvent raisonnablement être considérées comme conformes à la réalité dans le cas d'une personne qui ne travaille que depuis quelques années, qui a un revenu moyen et qui doit faire face à d'autres obligations, tels les dépenses courantes, l'aide aux parents et le remboursement d'un prêt étudiant. Les contributions relativement importantes à son REER ont aussi été soulignées.

[226] L'avocat des appelants s'est notamment référé au discours du budget prononcé par l'honorable Paul Martin, ministre des Finances, le 22 février 1994, et au document intitulé Mesures fiscales : renseignements supplémentaires, pour souligner l'importance que le gouvernement accordait aux dons de charité dans la société canadienne et plus particulièrement pour souligner que l'incitatif donné par voie d'un crédit correspondant au taux maximal d'imposition visait à privilégier la valeur du don plutôt que le revenu du donateur. Il est à noter que cette remarque a été faite pour expliquer le fait que le crédit avait été modifié et rendu applicable à des montants dépassant 200 $ plutôt que 250 $. Ceci dit, je ne vois pas en quoi cela était susceptible de toucher les appelants, qui ont tous obtenu des reçus pour des montants élevés, et particulièrement dans le cas de monsieur Hanna, très élevés par rapport au revenu. J'ajouterai ici le commentaire que la limite de 20 % du revenu net établie dans la Loi n'est certainement pas à la portée de toutes les bourses et que la valeur des crédits d'impôt ne peut à elle seule expliquer des dons d'une telle importance faites par un contribuable dont la capacité financière est loin d'être illimitée, mais s'avère plutôt moyenne, sinon assez limitée.

[227] Finalement, comme autre élément important, je retiens le fait que monsieur Hanna n'a entrepris absolument aucune démarche auprès de l'O.A.L.M. et qu'il n'a jamais, après qu'il eut, selon lui, pris connaissance de l'existence du stratagème, tenté d'obtenir quelque information que ce soit de quiconque sur l'utilisation véritable des sommes importantes qu'il avait censément données. Au contraire, comme si de rien n'était, il a continué à fréquenter l'église de l'O.A.L.M. de façon régulière après 1995. Il s'agit là d'un fait assez révélateur, qui renforce, dans le cas de monsieur Hanna, la probabilité de sa connaissance préalable du stratagème et de sa participation à celui-ci.

May Nassar

[228] Les faits relatifs au dossier de madame Nassar sont exposés aux paragraphes 157 à 167 ci-dessus. C'est monsieur Ziad Hanna qui a incité madame Nassar à faire des donations à l'O.A.L.M. peu après leur mariage en août 1994.

[229] Madame Nassar n'a pas fait de dons importants avant 1994, car elle n'en avait pas les moyens. L'explication fournie quant à sa capacité de faire des dons en 1994 et en 1995 était qu'elle avait un compte bancaire conjoint avec monsieur Hanna et avait donc plus de moyens. Elle n'a fait aucune donation après 1995, si ce n'est de sommes minimes. L'explication par madame Nassar de la façon dont elle a appris la possibilité d'obtenir des reçus pour des dons semble totalement calquée sur les explications fournies par monsieur Hanna à cet égard. Pourtant, plusieurs années séparent les deux événements et madame Nassar n'était même pas au pays au moment où monsieur Hanna dit en avoir entendu parler pour la première fois.

[230] En 1994, le revenu total de madame Nassar était de 20 626 $. En 1995, il était de 21 376 $. Les montants pour lesquels madame Nassar a obtenu des reçus de l'O.A.L.M., soit 3 900 $ en 1994 et 3 000 $ en 1995, représentent pour 1994, 19 % de son revenu total et 28 % de son revenu disponible, c'est-à-dire après les retenues à la source, et pour 1995, 14 % et de 19 % respectivement.

[231] Madame Nassar a admis que c'est son conjoint qui a calculé en fonction de son revenu le montant des donations qu'elle pouvait faire et elle a affirmé qu'elle était consentante. Dans les circonstances, il est difficile d'attribuer à madame Hanna une motivation différente de celle de son conjoint. J'ajouterai toutefois qu'ici encore il est difficile de croire en une telle générosité de la part d'une personne qui en est à ses premières années de travail et qui vient tout juste de se marier.

[232] Tout comme son conjoint, et bien qu'elle ait continué à fréquenter l'église de l'O.A.L.M. après avoir pris connaissance du scandale en 1996, madame Nassar a admis n'avoir entrepris aucune démarche pour tenter de savoir ce qui s'était réellement passé et ce qui était advenu des sommes données.

[233] Finalement, j'ajouterai que le peu de crédibilité que je reconnais au témoignage de monsieur Hanna influence forcément mon appréciation de celui de madame Nassar, puisque c'est monsieur Hanna qui l'a incitée à faire des dons à l'O.A.L.M. immédiatement après leur mariage en 1994.

[234] Tout comme dans le cas de monsieur Hanna, ma conclusion est qu'il est probable que madame Nassar a elle aussi participé au stratagème de remise de faux reçus pour dons de bienfaisance mis sur pied par l'O.A.L.M. au cours des années en litige.

Remarque finale et décision

[235] Ayant conclu à la probabilité de la participation des appelants au stratagème de remise de faux reçus par l'O.A.L.M. et donc à la probabilité que les reçus obtenus ne correspondent pas aux sommes réellement versées à l'O.A.L.M, je dois maintenir les cotisations refusant les crédits réclamés, y compris ceux pour les années pour lesquelles les cotisations ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation.

[236] Cette conclusion emporte évidemment maintien des pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, puisque, dans les circonstances, des crédits d'impôt ont probablement été réclamés sans qu'on n'y ait droit, sur la base de faux reçus obtenus de l'O.A.L.M., et qu'il ne peut s'agir alors que de gestes faits volontairement et en toute connaissance de cause.

[237] En conséquence, les appels sont rejetés avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'août 2004.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


RÉFÉRENCE :

2004CCI136

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2000-458(IT)G, 2000-956(IT)G,

2000-964(IT)G et 2000-965(IT)G

INTITULÉS DES CAUSES :

Ghassan Kiwan c. La Reine

Ziad Hanna c. La Reine

Ramzi Salamé c. La Reine

May Nassar c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DES AUDIENCES :

les 2, 3, 4 et 5 juin 2003

les 21 et 22 octobre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge P. R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :

le 18 août 2004

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :

Me Yves Ouellette

Avocats de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

Me Simon-Nicolas Crépin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour les appelants :

Nom :

Firme :

Ville :

Me Yves Ouellette

Gowlings Avocats

Montréal (Québec)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]     Transcription du témoignage de monsieur Gaétan Ouellette, 4 juin 2003, page 122, lignes 14 à 24, question [449].

[2]     Il semble que ce cahier produit par l'intimée ait été produit sous la cote A-8 par erreur.

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