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Dossier : 2005-3136(IT)G

ENTRE :

RÉAL BLANCHETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus les 21, 22 et 23 février 2007, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Patrick-Claude Caron

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

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JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour les années d'imposition 1999 et 2000 sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mars 2007.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


Référence : 2007CCI129

Date : 20070305

Dossier : 2005-3136(IT)G

ENTRE :

RÉAL BLANCHETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

Questions en litige

[1]      L'appelant en appelle de cotisations établies pour les années d'imposition 1999 et 2000 par lesquelles le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) a refusé les dépenses réclamées aux montants respectifs de 188 919,97 $ et 85 912,11 $ à l'encontre de ses revenus.

[2]      De ces montants, il a été reconnu lors de l'audience que les montants de 150 557,18 $ en 1999 et de 21 309,60 $ en 2000 sont reliés à des dépenses engagées par l'appelant sur un aéronef qu'il possède depuis 1991 (ceci ressort du tableau des dépenses préparé par M. Vuch, le vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ), à la pièce I-1, onglet 8(B) pour 1999 et à l'onglet 8(C) pour 2000. M. Vuch a reconnu lors de son témoignage que pour l'année 2000, le montant de 21 309 $, représentant la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) et la taxe de vente du Québec ( « TVQ » ), réclamées comme dépenses par l'appelant, était rattaché à des dépenses effectuées sur l'aéronef.)

[3]      Le Ministre a refusé toutes les dépenses rattachées à l'aéronef au motif que l'appelant n'exerçait pas, au cours des années en litige, une entreprise qui nécessitait l'utilisation de cet aéronef, le tout en application de l'article 9 et de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ).

[4]      Les autres dépenses ont été refusées au motif qu'elles étaient, soit des dépenses personnelles, soit non appuyées de pièces justificatives. Je comprends de l'argument du procureur de l'appelant que ces dernières dépenses ne sont plus contestées.

[5]      De plus, une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi a été imposée à l'appelant sur un montant de 52 368,49 $ pour l'année d'imposition 2000, lequel montant a été déduit par l'appelant dans ses dépenses à l'encontre de ses revenus de consultation alors que ces dépenses lui avaient été remboursées par Bombardier Aerospace, Defence Services ( « Bombardier » ), à qui il avait rendu des services de consultation au cours de cette même année. L'appelant conteste cette pénalité.

Faits

[6]      L'appelant est détenteur d'un baccalauréat en administration des affaires depuis 1979 et détient une maîtrise dans le même domaine (M.B.A.) depuis 1981. Auparavant, il était membre régulier de la Gendarmerie Royale du Canada. Après ses études universitaires, il est devenu conseiller en gestion auprès de diverses entreprises et s'est spécialisé dans la direction de projets, dans la modélisation et la réingénierie des processus d'affaires, dans la gestion de changements, la planification et le positionnement stratégique ainsi que dans le développement et l'exploitation de systèmes informatiques (voir curriculum vitae de l'appelant, pièce A-2).

[7]      L'appelant est aussi accrédité comme pilote d'avion professionnel qualifié pour le vol aux instruments et peut piloter des avions mono et multi moteurs (tel qu'en fait foi sa licence délivrée par Transport Canada en vertu de la Loi sur l'aéronautique et du Règlement de l'aviation canadien, pièce A-5).

[8]      En 1991, l'appelant a fait l'acquisition d'un avion de type Piper Navajo usagé, d'une capacité de six ou huit passagers[1], pour la somme de 85 000 $. Selon l'appelant, c'était un avion équipé pour le transport de gens d'affaires.

[9]      L'appelant détient un certificat de navigabilité, renouvelé par Transport Canada le 27 septembre 1996 et toujours en vigueur, en vertu de la Loi sur l'aéronautique, qui certifie que l'aéronef est apte à voler en toute sécurité et qu'il est entretenu et certifié conformément aux exigences pertinentes du Règlement de l'aviation canadien (pièce A-5). L'appelant détient également un certificat d'immatriculation d'aéronef du Ministère des transports délivré le 2 mars 1992, démontrant qu'il est bien le propriétaire de l'aéronef, dont l'objet est défini comme étant « privé » (pièce A-5).

[10]     L'appelant a expliqué que l'aéronef était inspecté à toutes les 100 heures, selon les normes de sécurité canadiennes, pour maintenir son certificat de navigabilité. Selon lui, avec un certificat de navigabilité privé, il ne peut offrir des services de transport aérien au public. Il peut cependant louer son avion, avec ses services comme pilote, à des gens ou des entreprises qui n'en feront pas un usage commercial, mais qui désirent en faire un usage privé (pour le transport de leurs employés, par exemple). Il est beaucoup plus coûteux de demander un certificat de navigabilité commercial, puisque l'avion doit subir des inspections plus fréquemment, et que Transport Canada exige une plus grande infrastructure entourant l'exploitation de l'avion. L'appelant a dit qu'il entretenait son avion selon les normes exigées pour un certificat de navigabilité commercial, mais qu'il attendait de développer une clientèle pour en faire la demande.

[11]     Au moment d'acquérir l'aéronef à la fin de l'année 1991, l'appelant pensait louer son avion à des sociétés se spécialisant dans le taxi aérien. Il a toutefois abandonné ces démarches lorsqu'il a réalisé qu'en s'engageant sur cette voie, il perdait son droit de regard sur l'entretien de l'avion.

[12]     Ce n'est qu'à la fin de l'année 1994 que l'appelant et deux autres individus, tous deux ex-policiers et aussi pilotes d'avion, ont eu des discussions dans le but de démarrer une entreprise dans le domaine du transport aérien. L'un deux, M. Robert Duguay, est décédé l'année dernière et l'autre, M. Jean-Pierre Vachon, est venu témoigner pour le compte de l'appelant. Ils ont élaboré au cours de cette période un plan d'affaires pour évaluer la faisabilité d'une telle entreprise. Deux plans d'affaires ont été déposés en preuve, sous la pièce A-1, onglets 2 et 3, mais aucun de ces plans ne comporte une analyse financière. M. Vachon, un planificateur financier, détenait une formation en administration des affaires, spécialisé en finances et gestion. Également, il était et est toujours instructeur au vol aux instruments. Il a dit en cour que c'est lui qui avait été mis en charge en 1994 de faire une projection des coûts, selon différents scénarios. Il a expliqué que le projet consistait à offrir des services de transport, porte à porte, par voie terrienne et aérienne, à des gens d'affaires. Un tel projet, de nature commerciale, était très coûteux puisqu'il fallait considérer la disponibilité d'au moins deux pilotes, et éventuellement l'acquisition d'un deuxième et d'un troisième avion sur une période de cinq ans[2]. Ainsi, en plus de l'aéronef déjà acquis par l'appelant, M. Vachon prévoyait un investissement de capital d'environ 40 000 $ chacun (il n'est pas clair de son témoignage si l'appelant devait aussi investir un montant de 40 000 $ puisqu'il fournissait déjà l'avion qu'il avait acquis pour la somme de 85 000 $). L'appelant, de son côté, a parlé d'un investissement d'un quart de million de dollars pour démarrer l'entreprise. À tout événement, ces prévisions financières n'ont pas été déposées en preuve, M. Vachon ne les ayant plus en sa possession. Le projet prévoyait que les trois principaux intéressés devaient s'associer en achetant des parts dans une société par actions au début de l'année 1995, et devaient obtenir une licence de l'Office national des transports du Canada et un certificat d'exploitation de Transport Canada au cours des premiers six mois de l'année 1995.

[13]     Le projet, élaboré à la fin de l'année 1994, n'a jamais vu le jour. M. Vachon a dit que pour sa part, il n'était pas allé de l'avant suite à des discussions donnant lieu à une mésentente sur l'actionnariat comme tel, et aussi à cause de la mauvaise conjecture économique qui sévissait au Canada en 1994. Il a donc décidé de développer sa propre entreprise de planification financière. Il n'a plus reparlé avec l'appelant de ce projet de transport aérien jusqu'à tout récemment, alors qu'à titre de contrôleur aérien et instructeur, il faisait repasser le test de vol aux instruments à l'appelant, afin que ce dernier puisse renouveler sa licence professionnelle.

[14]     M. Vachon a également mentionné que s'ils avaient décidé de poursuivre le projet, ils auraient pu faire de la publicité dans des revues spécialisées ou auprès de la Chambre de commerce, mais qu'aucune telle publicité n'a jamais été faite.

[15]     De son côté, l'appelant a dit qu'il ne pouvait avoir de cartes d'affaires ou de site personnalisé sur internet, car il ne voulait pas se faire accuser par Transport Canada de faire de la publicité auprès du public pour le service de transport aérien, ce que son certificat actuel et de l'époque, ne lui permet et ne lui permettait pas de faire.

[16]     L'appelant a dit que le projet élaboré en 1994 avait été mis en veilleuse. De son côté, il a plutôt décidé d'attendre d'avoir une clientèle avant de penser incorporer une société et d'investir davantage. Il dit s'être mis à la recherche de clients à compter de 1995.

[17]     À compter du 31 mars 1995, l'appelant dit qu'il a commencé à facturer la société Ting Telecom International Network Group Inc. ( « Ting » ), dont il était devenu actionnaire à 20%[3], et également administrateur[4], une somme de 5 000 $ par mois pour la location de son aéronef. Selon l'appelant, Ting avait une entente verbale avec lui afin que l'appelant fournisse le transport aérien aux employés de Ting[5].

[18]     Il ressort de la preuve documentaire qu'au cours des trois premiers mois, soit mars, avril et mai 1995, l'appelant a facturé des honoraires de 5 000 $ par mois à Ting[6]. L'appelant a également facturé un montant de 5 000 $ par mois pour la location de son aéronef jusqu'au 31 décembre 1997, mais n'aurait plus été payé à compter du 1er mars 1997 (pièce A-1, onglet 4). Ting a fait faillite et a été radiée d'office le 9 mai 1998 (pièce A-1, onglet 38).

[19]     Dans ses états financiers produits pour les années 1995 à 1997, l'appelant a inscrit ses revenus provenant de Ting pour la location de son aéronef, comme étant du revenu d'honoraires (pièce A-1, onglet 5).

[20]     Par ailleurs, au cours des années 1997 à 1999, l'appelant avait une entente verbale avec Air Canada. Il travaillait dans la gestion du personnel d'entretien technique. Il a travaillé sur divers projets, dont l'amélioration du processus d'embauche et la réorganisation de la mise en marché. Il s'agissait de services conseil donnés par l'appelant et il n'avait pas à se servir de son aéronef dans le cadre de son contrat avec Air Canada. L'appelant dit qu'il facturait Air Canada selon les services rendus à son taux horaire. Il a rapporté des honoraires de 294 775,39 $ dans son état des résultats d'entreprise pour l'année 1998 (pièce A-1, onglet 5) et de 271 156,14 $ pour l'année 1999 (pièce I-1, onglet 1).

[21]     Au cours de cette même période, l'appelant dit qu'il a continué à maintenir ses qualifications comme pilote d'avion professionnel en faisant des vols en soirée et au cours des week-ends. Il faisait également les réparations qui s'imposaient pour maintenir la navigabilité et la sécurité des vols avec son aéronef, et pour ultimement, selon l'appelant, être capable d'exploiter son entreprise de transport aérien.

[22]     Au début de l'année 1999, l'appelant dit avoir établi des contacts professionnels avec Mme Eveline Sallin, présidente de Les Communications Mediafun ( « Mediafun » ) pour le transport régional, dans le nord-est des États-Unis, des employés de son entreprise. Par une lettre d'intention adressée à l'appelant en date du 26 août 1999 (pièce A-1, onglet 8), Mme Sallin avisait ce dernier que son entreprise serait intéressée à faire appel aux services de l'appelant pour la location de transport terrestre et aérien, en contrepartie d'un montant approximatif de 120 000 $ annuellement. Mme Sallin a confirmé en cour qu'il ne s'agissait que d'une lettre d'intention, sujette à une entente finale pour la formalisation officielle du contrat de location. Elle ne se liait pas juridiquement par une telle lettre d'intention. L'appelant, de son côté, était sous l'impression que la rentabilité de Mediafun (laquelle, selon lui, était en phase de trouver un financement de plusieurs millions de dollars) était largement suffisante pour se conformer à la lettre d'intention. Ceci dit, il n'avait pas vu les états financiers de Mediafun. Il faisait tout simplement confiance à Mme Sallin.

[23]     L'appelant, qui commençait à avoir des problèmes avec le système de radiocommunication de son aéronef, dit avoir profité de cette nouvelle opportunité d'affaires qui semblait sérieuse, selon lui, pour faire les réparations nécessaires sur son aéronef. Il s'agissait de dépenses importantes et l'appelant était d'avis qu'avec ce nouveau contrat potentiel en vue, il était maintenant temps de les effectuer. L'appelant a précisé qu'il avait remplacé les pièces défectueuses par des pièces de catégorie inférieure à ce qui existait auparavant, mais de bonne qualité. Il dit avoir également acquis un camion (Ford, Expedition 2000) d'une valeur de 54 654,13 $ en date du 19 novembre 1999 (pièce A-1, onglet 9) dans le but de transporter ses clients éventuels par voie terrestre également.

[24]     Après avoir effectué toutes ces dépenses, l'appelant a réclamé des crédits sur les intrants sur la TPS et la TVQ qu'il avait payées. Ceci a engendré une vérification par les autorités fiscales, lesquelles ont communiqué avec Mme Sallin. On demandait à cette dernière son plan d'affaires de même que son mode de financement. Comme celle-ci avait exigé la confidentialité dans la lettre d'intention même, elle a refusé d'obtempérer et de donner l'information recherchée par le ministère du Revenu du Québec. À partir de ce moment, elle n'a plus eu de contact avec l'appelant et le projet invoqué dans la lettre d'intention n'a jamais vu le jour.

[25]     Il ressort également de la preuve que Mediafun a été constituée le 29 décembre 1997 et que Mme Sallin en était la seule actionnaire et le seul administrateur (pièce A-6). En 1998, cette société était inopérante et n'avait aucun employé. Mme Sallin a dit en cour qu'au moment de signer la lettre d'intention, elle n'avait aucune idée si elle était pour obtenir le financement recherché. Elle dit toutefois qu'elle avait préparé un plan d'affaires, échelonné sur une période de cinq ans, à compter de 1999, mais qu'elle n'en avait jamais partagé les détails avec l'appelant. Bien qu'elle dit avoir été à ce moment en discussions sérieuses avec plusieurs investisseurs, elle ne se sentait pas juridiquement liée par la lettre d'intention. Selon son témoignage, le contenu de cette lettre ne se matérialiserait à ses yeux que si le financement devait se concrétiser. Après sa rencontre avec le ministère du Revenu du Québec, elle a décidé de ne pas investir au Québec, et Mediafun n'a jamais exploité d'entreprise au Canada. Mediafun a été radiée d'office le 7 mai 2004.

[26]     Suite à ce revers, l'appelant a été engagé en 2000 par Bombardier pour ses services de consultant dans le but de réduire les coûts de formation des pilotes et pour son assistance dans la définition des besoins de formation dans le cadre de la mise en place de l'école pour la défense nationale à Moose Jaw, dans la province de Saskatchewan (pièce I-1, onglet 20(C)).

[27]     Selon le contrat signé avec Bombardier, en vigueur en date du 21 février 2000, Bombardier devait rembourser l'appelant ses frais de déplacement occasionnés par son contrat de travail. Selon ce contrat, ces frais devaient être raisonnables, appuyés de pièces justificatives et approuvés d'avance par Bombardier (pièce I-1, onglet 20(C), page 2, article 3). L'appelant a dit qu'il était autorisé à prendre son aéronef pour se déplacer, dans la mesure où le coût demeurait raisonnable et comparable aux coûts qui auraient été occasionnés s'il avait utilisé une compagne d'aviation commerciale.

[28]     M. François Turcotte, « directeur IST » chez Bombardier, a confirmé en cour que si l'appelant prenait son avion pour se déplacer dans le cadre de son travail chez Bombardier, on lui remboursait ses frais appuyés de pièces justificatives, jusqu'à concurrence du coût équivalent pour voyager sur une ligne d'aviation commerciale.

[29]     L'appelant a dit qu'il facturait Bombardier pour ses frais directs, tels l'essence, les frais de stationnement de l'aéronef, les droits d'atterrissage, etc. Ainsi, en 2000, il s'est fait rembourser un total de 52 368,49 $ pour ses frais de déplacement (pièce I-1, onglet 20(A), page 3 et onglet 20(B)). L'appelant a également reçu une rémunération de 196 591,20 $ de Bombardier pour ses frais de consultation (pièce I-1, onglet 20(B)). M. Turcotte a précisé que l'appelant n'était pas autorisé à transporter dans son aéronef des gens qui travaillaient pour Bombardier, pour des questions d'assurance. Il a réitéré que l'appelant avait été engagé pour ses services de consultation uniquement et non pas pour le transport aérien de passagers.

[30]     Par ailleurs, l'appelant a reconnu qu'il avait réclamé le montant de 52 368,49 $ dans ses dépenses à l'encontre de ses revenus professionnels, et ce, malgré le fait que ce montant lui avait été remboursé par Bombardier. Il a expliqué en cour qu'il s'agissait d'une erreur. Il facturait ses dépenses séparément de ces honoraires professionnels. Or semble-t-il, les copies desdites factures envoyées à Bombardier avaient été détruites par un reflux d'eau dans le sous-sol de sa résidence où elles étaient conservées. L'appelant n'avait donc pas en main le détail des factures remboursées au moment de préparer sa déclaration de revenu. Il n'aurait pas réalisé alors qu'il déduisait les mêmes dépenses qu'il avait déjà réclamées auprès de Bombardier.

[31]     L'appelant a également dit que pendant la période en litige, il ne s'était pas servi de son aéronef pour ses fins personnelles. Il l'utilisait pour accumuler ses heures de vol dans le but de maintenir sa licence professionnelle. Il dit qu'il faisait également des vols de démonstration pour des clients potentiels, de même que des vols qu'il qualifie de techniques, pour s'assurer du bon fonctionnement de l'avion. Il a mentionné qu'un avion doit voler régulièrement, et que cela minimise les risques de corrosion. Il a ainsi utilisé son avion pour aller un peu partout au Canada. Son carnet de vol a été produit sous la pièce A-1, onglet 12. On y voit les dates où l'appareil a été en vol, le sigle de l'aéroport de départ et d'arrivée (pour un profane, il est impossible de savoir où sont situés ces aéroports), de même que le temps de vol. Le carnet de vol n'indique pas toutefois s'il y a des passagers à bord. Seule la présence d'un co-pilote est indiquée. Aucune liste de clients potentiels qui auraient participé à des vols de démonstration n'a été produite par l'appelant.

[32]     L'appelant a dit que depuis septembre 2001, les normes de sécurité exigées par les compagnies d'aviation commerciales étaient beaucoup plus fastidieuses. Il y voit une certaine ouverture pour le transport privé. À ce jour, il n'a toujours pas tiré profit toutefois de cette ouverture. Il n'a jamais remis à jour le plan d'affaires élaboré en 1994. Il dit garder l'oeil ouvert sur les possibilités de commercialiser l'appareil. Il espérait trouver des clients par son réseau de contacts, essentiellement du bouche à oreille.

[33]     Il est à noter finalement que lors d'une discussion avec M. Vuch lors de la vérification, l'appelant a mentionné que depuis 1997, il ne louait plus son aéronef et qu'il avait réclamé la TPS et la TVQ comme dépenses à l'encontre de ses revenus, car il avait fait sa demande pour obtenir des crédits pour intrants trop tard. En fait, selon M. Vuch, les crédits pour intrants avaient été refusés parce que le ministère du Revenu du Québec avait considéré que l'appelant n'exerçait pas une activité commerciale avec son avion au sens de la Loi sur la taxe d'accise. Quant à la pénalité, M. Vuch a considéré que l'appelant avait commis une faute lourde en déduisant une dépense qui lui avait été remboursée, sans l'inclure parallèlement dans ses revenus. Selon M. Vuch, l'appelant est un homme d'affaires éduqué, spécialisé en finances, qui devait savoir qu'il ne pouvait déduire une telle dépense, s'il ne l'incluait pas dans ses revenus (voir rapport de M. Vuch, pièce A-7).

Analyse

[34]     Essentiellement, la question qui se pose est de déterminer si les dépenses engagées par l'appelant sur son aéronef en 1999 et 2000 sont déductibles à l'encontre de ses revenus pour ces mêmes années. Le procureur de l'intimée est d'avis que ces dépenses ne sont pas déductibles puisqu'il considère que l'appelant n'exploitait pas au cours de ces années une entreprise qui nécessitait l'utilisation de cet aéronef. L'appelant prétend de son côté qu'il détenait cet aéronef, au cours de ces années, dans le but d'exploiter une entreprise de transport aérien.

[35]     Pour avoir gain de cause, l'appelant doit démontrer qu'il avait, au cours des années en litige, une source de revenu provenant de l'aéronef. Dans Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, la Cour suprême du Canada résume l'analyse qu'il faut faire pour résoudre cette question, au paragraphe 60 de la façon suivante :

En résumé, la question de savoir si le contribuable a ou non une source de revenu doit être tranchée en fonction de la commercialité de l'activité en cause. Lorsque l'activité ne comporte aucun aspect personnel et qu'elle est manifestement commerciale, il n'est pas nécessaire de pousser l'examen plus loin. Lorsque l'activité peut être qualifiée de personnelle, il faut alors déterminer si cette activité est ou non exercée d'une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu. [...]

[36]     Ainsi, si une activité est clairement de nature commerciale, il n'est pas nécessaire d'analyser les décisions commerciales du contribuable. Il existe alors par définition une source de revenu (Stewart, précitée, au paragraphe 53). Pour déterminer si une activité est clairement de nature commerciale, il n'est pas suffisant pour le contribuable de démontrer qu'il avait l'intention subjective de réaliser un profit. Il doit prouver cette intention en fonction de divers facteurs objectifs. Il doit apporter des éléments de preuve pour étayer cette intention. Pour y arriver, le contribuable doit « établir que son intention prédominante était de tirer profit de l'activité et que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d'homme d'affaires sérieux » (Stewart, paragraphe 54).

[37]     Par ailleurs, lorsqu'il s'agit de déterminer si le contribuable exerce l'activité d'une manière commerciale, c'est la nature commerciale de son activité qui doit être évaluée, et non son sens des affaires (Stewart, paragraphe 55).

[38]     Ici, je ne suis pas convaincue que l'utilisation de l'aéronef était clairement de nature commerciale. Je ne suis pas convaincue que l'intention prédominante de l'appelant était de tirer profit de son aéronef. Les faits relatés en preuve donnent plutôt l'impression que l'appelant se servait de son entreprise de consultation pour financer l'utilisation de son aéronef à des fins plutôt personnelles.

[39]     Il est ressorti clairement de la preuve que l'appelant n'avait pas à utiliser son aéronef pour exécuter ses contrats avec Air Canada et Bombardier. S'il se servait de son avion, c'était par choix personnel et, dans le cas du contrat avec Bombardier, on acceptait de lui rembourser ses frais directs de déplacement jusqu'à concurrence du prix régulier d'un billet d'avion avec une compagnie d'aviation commerciale. On ne lui permettait même pas de transporter des employés de Bombardier à bord de son appareil.

[40]     Par ailleurs, bien qu'il ne me revienne pas de juger du sens des affaires de l'appelant, je dois tout de même analyser la nature commerciale rattachée ou non à l'utilisation de l'aéronef, selon des normes objectives de comportement d'homme d'affaires sérieux.

[41]     Les premiers et seuls plans d'affaires élaborés pour l'exploitation éventuelle d'une entreprise de transport aérien ont été déposés en preuve sans les analyses financières s'y rattachant. À part nous dire qu'il faudrait investir autour d'un quart de millions de dollars pour que le projet soit viable, aucune autre preuve objective n'a été déposée en preuve. Ces propos n'étaient appuyés d'aucun budget pro forma, ou d'analyse financière fiable. M. Vachon, qui devait être au début un associé de l'appelant, a dès le départ fait faux bond parce qu'il y avait une mésentente entre les parties impliquées au niveau de l'actionnariat. De plus, M. Vachon a invoqué la récession économique en 1994. Jamais plus, les deux protagonistes n'ont essayé par la suite de se réunir à nouveau pour repartir le projet.

[42]     Par la suite, l'appelant n'a pas démontré qu'il avait effectué des démarches sérieuses pour mettre en branle son entreprise de transport aérien. Il n'a fait aucune publicité et s'est contenté du bouche à oreille. Il dit qu'il maintenait son avion en état de bon fonctionnement, mais à partir du moment où il était devenu propriétaire de cet avion, il n'avait pas vraiment le choix de l'entretenir s'il voulait s'en servir.

[43]     Par ailleurs, l'épisode avec Ting n'est pas clair. Selon ce que l'on retrouve dans la décision arbitrale, l'avion n'aurait servi que quatre fois et c'est à la demande de l'appelant que ce dernier facturait une somme de 60 000 $ par année pour la location de son aéronef. L'appelant lui même dans ses états financiers n'a pas inscrit ses revenus provenant de Ting comme du revenu de location de l'aéronef, mais plutôt comme des revenus d'honoraires professionnels (voir état des résultats d'entreprise pour les années 1995 à 1997, pièce I-1, onglet 13).

[44]     Par la suite, il y eut Mediafum. Or, les démarches auprès de Mediafun n'étaient pas rendues à un point tel que l'appelant pouvait réellement penser qu'il y avait un contrat réaliste en vue. L'appelant est consultant en finances. Il est difficile de croire que, sur la seule foi de la lettre d'intention, et en l'absence de ses autres revenus professionnels, il se serait lancé tête première dans des dépenses d'une telle importance, sans vérifier de façon plus sérieuse la position financière de Mediafun. Mme Sallin a dit qu'elle n'avait jamais dévoilé son plan d'affaires et ses états financiers à l'appelant. Si l'appelant n'avait pas eu les revenus confortables que lui assuraient ses contrats avec Air Canada et Bombardier, je suis loin d'être convaincue qu'il se serait aventuré dans de telles dépenses. Son avion subissait l'usure du temps et il devait procéder à certaines réparations. Ses revenus professionnels lui permettaient d'engager de telles dépenses, mais il est présomptueux, selon moi, de vouloir faire croire qu'une simple lettre d'intention, juridiquement non valable, pouvait être la pierre d'assise du développement d'une entreprise de transport aérien pour l'appelant.

[45]     Par ailleurs, l'appelant invoque l'achat d'un camion pour dire qu'il était sérieux dans sa démarche de démarrer son entreprise de transport terrestre et aérien. Je note toutefois du rapport de vérification de M. Vuch que le camion a été considéré comme véhicule de plaisance et donc non déductible pour l'appelant, et ce avec l'assentiment de son représentant de l'époque (voir pièce A-7, page 3 de 11 et page 9 de 11).

[46]     À mon avis, les faits révélés en preuve ne démontrent pas que l'appelant a eu un comportement d'homme d'affaires sérieux au point de prétendre qu'il exploitait une entreprise de transport aérien. Il n'a pas su me convaincre que l'aéronef n'était pas utilisé par lui pour ses fins personnelles. Même s'il avait l'intention d'exploiter un jour cet avion de façon commerciale, il n'a certainement pas démontré qu'il s'agissait de son intention prédominante de tirer profit de cette activité. Je conclus donc que l'appelant n'a pas démontré qu'il avait une source de revenu provenant de son aéronef. Les dépenses réclamées sont donc d'ordre personnel, et c'est à juste titre qu'elles ont été refusées par le Ministre.

[47]     Quant à la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, sur le montant de 52 368,49 $ qu'il a déduit en 2000, alors qu'il avait été remboursé par Bombardier, je suis d'avis de la maintenir.

[48]     Je ne trouve pas l'appelant crédible lorsqu'il soutient que c'est par erreur qu'il a déduit ce montant. Il s'agissait du seul contrat qu'il avait en 2000. Il facturait lui-même Bombardier. Il s'agissait d'un montant relativement important par rapport à ses revenus provenant de Bombardier (de l'ordre de 20%). Je trouve, de plus, étonnant qu'il ait eu en sa possession les factures pour déterminer le montant de ses dépenses, mais qu'il ait oublié que ces mêmes dépenses avaient été remboursées. S'il n'avait pas le montant exact du montant remboursé parce qu'il n'avait plus en sa possession la copie des factures envoyées à Bombardier, il avait une connaissance suffisante des affaires pour savoir qu'il pouvait s'informer auprès de Bombardier pour obtenir cette information. De plus, je trouve peu crédible la version que ces documents ont été détruits par suite d'un reflux d'eau dans le sous-sol de sa résidence. Cette révélation est sortie pour la première fois lors de l'audition, l'appelant n'en ayant jamais fait part auparavant à M. Vuch. Il n'a apporté aucune preuve de cet événement. Je considère que l'intimée a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant a omis sciemment, et dans des circonstances équivalant à faute lourde, de déclarer un montant qu'il aurait dû inclure dans ses revenus à partir du moment où il réclamait la déduction de ce montant qui lui avait été remboursé.

[49]     Pour ces motifs, les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mars 2007.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :                                   2007CCI129

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2005-3136(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :               RÉAL BLANCHETTE c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  les 21, 22 et 23 février 2007

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                    le 5 mars 2007

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Patrick-Claude Caron

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelant:

                     Nom :                             Me Patrick-Claude Caron

                 Cabinet :                            Caron Avocats

                                                          Montréal (Québec)

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                         Ottawa, Canada



[1]           Lors de son argumentation, l'avocat de l'appelant a parlé de huit passagers. Lors de son témoignage, l'appelant avait dit que son avion pouvait transporter quatre passagers, en plus du pilote et du co-pilote, selon ce que j'avais compris.

[2]           De plus, il fallait préparer un manuel d'exploitation qui devait être approuvé par Transport Canada. Par ailleurs, puisqu'il s'agissait d'un projet de nature commerciale, l'avion avait besoin d'équipement plus sophistiqué au niveau de l'avionique, donc plus coûteux.

[3]           Selon la décision arbitrale (pièce A-1, onglet 6, p. 11).

[4]           Voir pièce A-1, onglet 38.

[5]           Il semblerait selon la décision arbitrale (p. 13) que l'appelant avait négocié avec Ting une rémunération annuelle de 120 000 $ et qu'il avait demandé à ce qu'on répartisse cette rémunération en salaire annuel (60 000 $) et en location d'équipement (60 000 $), et ce même si l'avion n'a été utilisé qu'à quatre occasions au cours de l'exercice financier se terminant le 31 mai 1996. En fait, au départ, il avait été approché par un dirigeant de Ting pour être engagé comme dirigeant chargé des affaires corporatives (p. 2 de la décision arbitrale).

[6]           Par la suite, l'appelant a eu droit à cette rémunération de 5 000 $ par mois, sous forme de salaire annuel de 60 000 $ par an. (Voir décision arbitrale déposée sous la pièce A-1, onglet 6, p. 2.)

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