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Dossier : 2003-2985(IT)G

ENTRE :

FABIEN PRUD'HOMME,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu le 16 juin 2005 à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Pierre R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Alain Ménard

Avocate de l'intimée :

Me Marie-Aimée Cantin

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est rejeté, avec dépens à l'intimée,selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juillet 2005.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Référence : 2005CCI423

Date : 20050725

Dossier : 2003-2985(IT)G

ENTRE :

FABIEN PRUD'HOMME,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Dussault

[1]      Dans sa déclaration de revenu pour l'année 1997, l'appelant a déclaré une perte au titre d'un placement d'entreprise ( « PTPE » ) de 170 000 $. Les trois quarts de cette perte, soit 127 500 $, ont été réclamés comme perte déductible au titre d'un placement d'entreprise. Par une cotisation dont l'avis est daté du 12 novembre 2002, la déduction réclamée a été refusée par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) qui a également imposé à l'appelant une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Cette cotisation a été établie après la période normale de nouvelle cotisation.

[2]      En établissant la nouvelle cotisation et en la ratifiant, le ministre a tenu pour acquis les hypothèses de faits énoncées aux alinéas a) à m) du paragraphe 9 de la Réponse à l'avis d'appel. Ces alinéas se lisent :

a)          L'appelant réclame une perte au titre d'un placement d'entreprise à l'égard de la société Les habitations Usitech inc. (ci-après « Usitech » ).

b)          Usitech a été constitué en 1995 en vertu de la Loi sur les sociétés par actions.

c)          En 2002, le vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada a examiné les livres des minutes de Usitech et il n'a trouvé qu'un seul certificat d'actions émis au nom de Michel Faille.

d)          Toujours selon le livre des minutes, le seul actionnaire de Usitech était Monsieur Michel Faille.

e)          L'appelant prétend avoir souscrit à 170 actions de catégories A de Usitech pour un montant total de 170 000 $, mais n'a jamais fait la preuve du paiement.

f)           L'appelant prétend avoir emprunté cette somme auprès de la société Investissements Seahawk ltée.

g)          La société Investissements Seahawk ltée appartenait aussi à Monsieur Michel Faille.

h)          L'appelant n'a jamais fait la preuve de cet emprunt auprès de la société Investissements Seahawk ltée.

i)           L'appelant n'a jamais pas fait la preuve du remboursement de ce prêt.

j)           La société Investissements Seahawk ltée n'a pas produit de déclaration de revenus depuis le 31 juillet 1995.

k)          Usitech n'a jamais produit de déclaration de revenus et n'a jamais fait de retenues à la source pour quelconques employés.

l)           Usitech n'a jamais fait faillite.

m)         Monsieur Michel Faille a mis sur pied un stratagème permettant à des contribuables de diminuer leur charge fiscale à l'aide de pertes fictives.

[3]      En outre, à l'alinéa 10n) le ministre invoque ce qui suit :

n)          Selon les inscriptions faites à l'Inspecteur général des institutions financières, monsieur Michel Faille est l'actionnaire majoritaire de Usitech, et ce jusqu'en 2000, année de la radiation d'office.

[4]      En imposant la pénalité et en établissant la nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, le ministre a tenu pour acquis les faits énoncés aux alinéas 11o) et 11p), qui se lisent comme ainsi :

o)          Les faits indiqués aux alinéas a) à m) de la présente réponse à l'avis d'appel.

p)          L'appelant savait que la perte au titre d'un placement d'entreprise qu'il réclamait pour l'année d'imposition 1997 était fictive.

[5]      Par ailleurs, les parties ont produit une très courte entente sur les faits qui se lit ainsi :

ENTENTE SUR LES FAITS

1.          Dans sa déclaration de revenus, pour l'année d'imposition 1997, l'appelant a réclamé une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise au montant de 127 500 $.

2.          Suite à une vérification faite par l'Agence des douanes et du revenu du Canada, il a été découvert que M. Michel Faille avait mis sur pied un stratagème afin de permettre à des investisseurs de réclamer une perte au titre d'un placement d'entreprise à laquelle ils n'avaient pas droit.

3.          Cette même vérification a permis de découvrir que l'appelant était un des investisseurs approchés par Michel Faille.

4.          Dans les circonstances, l'appelant n'avait donc pas droit à la déduction réclamée puisque les exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu à cet égard n'étaient pas satisfaites.

[6]      En raison du dépôt de l'entente, l'appelant ne conteste plus que la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[7]      L'appelant est évaluateur agréé spécialisé dans l'évaluation d'immeubles, d'équipement et de machinerie. Après des études à l'Université du Québec à Montréal, il a obtenu son diplôme en 1987 et il a fondé sa propre société, Corporation Immobilière F.P.H. ( « F.P.H. » ) en 1990. En 1997, cette société a acquis l'actif d'une autre société faisant affaire dans le même domaine.

[8]      S'il a d'abord eu des revenus modestes de l'ordre de 20 000 $ à 30 000 $ les premières années, l'appelant a affirmé que les affaires ont rapidement progressé à cause des contestations des évaluations municipales au début des années 90. En 1992, 1993 et 1994, les revenus annuels de sa société étaient de l'ordre de 100 000 $ par année. En 1997, F.P.H. disposait d'un surplus d'environ 250 000 $ déposé dans son compte de banque.

[9]      L'appelant, qui recherchait un rendement supérieur sur ce montant, s'adressa à son comptable, monsieur François Vigneault, qui lui fit part qu'un autre comptable nommé Benoît Desjardins proposait un abri fiscal offrant un rendement intéressant. L'appelant, qui s'est dit prêt à prendre certains risques à l'égard du placement a toutefois affirmé toutefois qu'il s'est informé auprès de monsieur Vigneault pour s'assurer que tout était légal, puisqu'il ne voulait rien faire qui ne soit pas correct afin de ne pas nuire à sa réputation. Monsieur Vigneault l'aurait rassuré à cet égard et lui aurait expliqué qu'il s'agissait en fait d'acheter des pertes d'une société canadienne appelée Usitech qui faisait affaire dans le domaine de maisons préfabriquées. L'appelant s'est dit intéressé par ce renseignement puisqu'il était lui-même dans le domaine immobilier et qu'il était conscient que plusieurs sociétés, dont les sociétés Campeau et Bonneville, s'intéressaient à ce type de produit dont la commercialisation s'avérait particulièrement intéressante dans les pays d'Europe de l'Est depuis leur ouverture aux marchés. Par ailleurs, l'appelant a affirmé qu'il ne s'y connaissait pas en placements ni en fiscalité.

[10]     L'appelant a expliqué qu'il a alors communiqué avec monsieur Desjardins vers le mois de septembre 1997. Un rendez-vous a été fixé au bureau de ce dernier situé rue de la Montagne, à Montréal.

[11]     Lors de ce premier rendez-vous, monsieur Desjardins a remis à l'appelant sa carte professionnelle sur laquelle il est décrit comme comptable agréé et vice-président de la société Services financiers Seahawk ltée. Il a expliqué à l'appelant qu'il venait d'aménager à la rue de la Montagne dans des locaux plus grands que ceux occupés précédemment à la rue Maisonneuve Ouest. L'appelant a expliqué que les bureaux occupaient tout l'étage, qu'ils étaient neufs, modernes, très beaux et qu'il y avait beaucoup de monde.

[12]     Selon l'appelant, monsieur Desjardins s'est présenté comme analyste financier, spécialiste en placements et en abris fiscaux. Monsieur Desjardins lui aurait expliqué qu'il était entouré de spécialistes qui scrutaient les lois pour en tirer avantage au bénéfice des clients.

[13]     Quant au placement dans la société Usitech, monsieur Desjardins lui aurait expliqué que la société faisait effectivement affaire dans le domaine des maisons préfabriquées qu'elle était en expansion, mais qu'elle avait accumulé des pertes au cours de ses premières années d'exploitation, de sorte qu'elle avait besoin de fonds. Selon l'appelant, monsieur Desjardins lui aurait alors exposé qu'il choisissait certains clients pour devenir actionnaires de la société et que s'il désirait investir, il pouvait le faire en achetant des actions. De façon plus précise, monsieur Desjardins aurait proposé à l'appelant d'acheter 170 actions du capital-actions de Usitech à 1 000 $ chacune, pour un total de 170 000 $, soit la valeur comptable des actions. L'appelant a affirmé que monsieur Desjardins lui aurait expliqué que la valeur marchande des actions était de 25 500 $ seulement à cause des pertes accumulées et qu'il y avait donc un risque à investir. Toutefois, selon l'appelant, la proposition consistait à emprunter 170 000 $ qui servirait d'achat des actions, à rembourser ce prêt en un certain nombre de versements - de deux à quatre - et à se voir remettre la totalité de la somme de 170 000 $, moins 25 500 $ qui serait conservé par Usitech, montant qui correspondait à la valeur marchande des actions. En fait, l'appelant devait débourser 170 000 $ pour que la société puisse faire état de cette entrée de fonds, mais de cette somme, 144 500 $ lui serait remis. Selon cette proposition, le rendement prévu consistait essentiellement en une réduction d'impôt résultant de la possibilité de réclamer une PTPE 170 000 $.

[14]     L'appelant a affirmé que monsieur Desjardins lui a fourni beaucoup d'information sur Usitech et qu'il a répondu à ses questions. Selon lui, « c'était impressionnant » et « tout avait l'air bien monté » . Quant à la légalité de la proposition, l'appelant a affirmé que monsieur Desjardins était très convaincant et, en rétrospective, qu'il était un « fin renard » .

[15]     L'appelant a expliqué avoir dit qu'il réfléchirait à la proposition. Par la suite, il est retourné voir son comptable et lui a parlé de la proposition de monsieur Desjardins. Monsieur Vigneault ne l'aurait ni encouragé, ni découragé à aller de l'avant, en lui indiquant que la proposition dépassait ses compétences de comptable pour des particuliers et des petites entreprises, mais que cela avait fonctionné pour d'autres contribuables. Toutefois, selon l'appelant, monsieur Vigneault lui aurait affirmé que monsieur Desjardins était une connaissance, qu'il avait une bonne opinion de lui, que son groupe était formé de spécialistes et que la proposition paraissait « intéressante sur papier » .

[16]     Quelques semaines plus tard, l'appelant décida d'accepter la proposition. Il a alors communiqué de nouveau avec monsieur Desjardins et lui a demandé de préparer les documents nécessaires.

[17]     C'est lors d'une rencontre avec monsieur Desjardins en novembre 1997 que celui-ci a demandé à l'appelant de signer une lettre de souscription pour 170 actions de catégorie A du capital-actions de Usitech pour une contrepartie de 170 000 $ (pièce A-2). L'appelant a également signé un contrat de prêt pour 170 000 $, montant qui devait servir à l'achat de 170 actions de catégorie A du capital-actions de Usitech (pièce A-3).

[18]     D'abord, en ce qui concerne le contrat de prêt (pièce A-3), le prêteur désigné est la société Les Investissements Seahawk Ltée ( « Seahawk » ). Selon l'appelant, lors de la rencontre, le document était déjà signé par un certain Michel Faille au nom du prêteur. De plus, le document est en date du 15 mai 1996. Cette date est clairement indiquée tant à la première page du contrat qu'à la deuxième page, immédiatement précédant les signatures. Je signale également que ce contrat de quelques paragraphes seulement et d'une simplicité déconcertante indique que le certificat d'actions numéro A-34 au nom de l'emprunteur et représentant 100 actions de catégorie A de Usitech sera remis au prêteur à titre de caution.

[19]     Or, la lettre de souscription (pièce A-2) est pour 170 et non 100 actions de catégorie A. Cette lettre est également datée du 15 mai 1996 et la date est clairement indiquée en caractères gras immédiatement au-dessus de la signature de l'appelant.

[20]     L'appelant a affirmé que, lors de cette rencontre de novembre 1997, monsieur Desjardins lui aurait remis le certificat numéro A-34 pour 170 actions de catégorie A de Usitech (pièce A-5). Ce certificat, signé par Michel Faille à titre de président et de secrétaire-trésorier, est en date du 16 mai 1996.

[21]     Finalement, l'appelant aurait aussi reçu lors de la même rencontre, ou peu après, une copie d'une résolution des administrateurs de la société Usitech signée par Michel Faille acceptant la souscription de 170 actions de catégorie A par l'appelant et autorisant l'émission des actions à son nom. Sur les deux pages du document, la date du 15 mai 1996 est aussi très clairement indiquée (pièce A-4).

[22]     Lors de son témoignage, l'appelant a affirmé qu'il n'avait pas remarqué à ce moment les dates indiquées sur les documents. Selon lui, ce n'est que deux ans et demi plus tard, lorsqu'il a été informé que Revenu Québec s'apprêtait à refuser la déduction réclamée, qu'il a alors examiné les documents et qu'il s'est rendu compte que la date n'était pas exacte.

[23]     Selon l'appelant, lors de sa rencontre de novembre 1997 avec monsieur Desjardins, celui-ci lui aurait dit que les paiements en remboursement du prêt de 170 000 $ pouvaient être faits plus tard en deux, trois ou quatre versements.

[24]     L'appelant, qui avait choisi de faire quatre versements, s'est présenté au bureau de monsieur Desjardins le 17 mars 1998 et lui a remis un premier chèque certifié de 50 000 $ payable à l'ordre de Usitech. Monsieur Desjardins lui a alors remis une traite bancaire de 47 000 $. Les trois autres chèques certifiés, toujours payables à l'ordre de Usitech, sont en date du 24 mars 1998 pour 47 500 $, du 2 avril 1998 pour 45 000 $, et du 9 avril 1998 pour 27 500 $. Chacun des chèques a été remis à monsieur Desjardins à la date indiquée et à chaque occasion celui-ci a remis à l'appelant une traite bancaire d'un montant déterminé, de sorte que le total des traites bancaires remises par monsieur Desjardins à l'appelant est de 144 500 $ (pièce A-6).

[25]     Ainsi, tel que convenu, 25 500 $ était conservé par la société Usitech. Je note immédiatement que le prêt de 170 000 $ avait été consenti par la société Seahawk (pièce A-3), mais que l'appelant a effectué les remboursements à l'aide de quatre chèques payables à la société Usitech.

[26]     Après ces opérations, l'appelant a affirmé avoir demandé à son comptable, monsieur Vigneault, de préparer sa déclaration de revenu pour 1997 en réclamant une PTPE de 170 000 $, comme monsieur Desjardins lui avait dit de le faire. Selon l'appelant, comme monsieur Vigneault « connaissait le processus » , il n'a fait aucun commentaire défavorable. Je signale ici que la déclaration de revenu de 1997 de l'appelant porte la date du 6 avril 1998 et qu'elle aurait été livrée de la main à la main à l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ) le 17 avril 1998 (pièce I-1). L'aspect le plus intéressant, cependant, est que sur la page fournissant les informations sur la PTPE de 170 000 $, la société est désignée comme « Habitations Usite » et l'année d'acquisition est indiquée comme étant « 96 » .

[27]     Selon l'appelant, c'est quelque deux ans et demi plus tard que Revenu Québec l'a informé que la perte réclamée était refusée. Ayant communiqué ce fait à son comptable, celui-ci aurait affirmé que « cela était trop beau pour être vrai » et qu'il était désolé. Par ailleurs, il a aussi dit que monsieur Vigneault était étonné et abasourdi et qu'il avait alors communiqué avec Revenu Québec pour obtenir des explications. C'est à ce moment qu'il aurait appris que l'ADRC avait fait enquête sur des opérations concernant Michel Faille et que les résultats avaient été communiqués à Revenu Québec. L'appelant a expliqué que monsieur Vigneault se sentait coupable et qu'il s'est en conséquence occupé gratuitement de son dossier pendant deux ans. Monsieur Vigneault l'aurait notamment accompagné à une rencontre avec les fonctionnaires de Revenu Québec et à une rencontre avec son avocat.

[28]     Les démarches auprès de Revenu Québec auraient donné lieu au retrait de la pénalité. Quant à celles effectuées auprès de l'ADRC, l'appelant a expliqué qu'il avait mandaté Me André Gauthier du cabinet Heenan Blaikie pour discuter avec les fonctionnaires responsables. Selon l'appelant, les discussions s'orientaient toujours sur les opérations impliquant Michel Faille mais, pour sa part, il affirmait toujours ne pas connaître cet individu.

[29]     L'appelant a expliqué que cette affaire était devenue un cauchemar, qu'il se considérait comme une victime et qu'il tenait à conserver sa réputation professionnelle face à ses clients et ses collègues. Il a également affirmé qu'il avait perdu le montant de 25 500 $, qu'il n'avait pas obtenu la déduction fiscale réclamée et donc que cela constituait pour lui une perte financière et émotive importante.

[30]     Par ailleurs, il a affirmé qu'il n'avait jamais fait d'autres placements, sauf dans le cadre de son Régime enregistré d'épargne-retraite.

[31]     Monsieur Yvon L'Écuyer est actuellement à la retraite. À l'époque pertinente, il était enquêteur à la section des Enquêtes spéciales de l'ADRC. Il a notamment fait enquête concernant la réclamation de fausses PTPE par environ 60 contribuables. Il s'agissait d'affaires dans lesquelles Michel Faille et ses acolytes ainsi que divers cabinets d'experts-comptables étaient mis en cause. Le stratagème mis sur pied consistait à émettre de faux certificats d'actions de sociétés et à « vendre » des pertes fictives aux contribuables en retour d'un pourcentage variable des remboursements d'impôt obtenus. Les cabinets d'experts-comptables impliqués préparaient les déclarations de revenu des contribuables et se faisaient payer un montant variant entre 10 % et 50 % des remboursements obtenus par les contribuables à la suite de la réclamation des pertes fictives. Dans le cas de l'appelant, monsieur L'Écuyer a constaté qu'un certificat d'actions de la société Usitech avait été émis en mai 1996 pour une contrepartie de 170 000 $, mais que le nom de l'appelant n'était pas inscrit au « registre des procès-verbaux » de la société. De plus, il a constaté que celle-ci n'avait jamais produit de déclaration de revenu.

[32]     Monsieur L'Écuyer a alors envoyé une lettre à l'appelant l'avisant que la perte réclamée était fausse et qu'il s'apprêtait en conséquence à imposer la pénalité visée au paragraphe 163(2) de la Loi. Un délai de 30 jours était accordé à l'appelant pour fournir des explications ou présenter ses observations. N'ayant eu aucune réponse de l'appelant dans ce délai, il décida alors d'imposer la pénalité.

[33]     Lors du contre-interrogatoire, monsieur L'Écuyer a expliqué que Michel Faille était un délinquant chronique qui vendait de fausses pertes depuis 1994 et que les opérations étaient principalement réalisées par l'entremise de cabinets d'experts-comptables ou de vendeurs. Monsieur Faille n'aurait pas été poursuivi au criminel faute de preuves suffisantes mais des accusations auraient été portées contre des cabinets d'experts-comptables.

[34]     Monsieur L'Écuyer a expliqué que les pertes ont été refusées à tous les contribuables concernés, mais que la pénalité visée au paragraphe 163(2) de la Loi n'a pas été imposée aux contribuables qui avaient fourni des explications jugées satisfaisantes ou qui avaient collaboré avec l'ADRC.

[35]     En ce qui concerne l'appelant, monsieur L'Écuyer a admis avoir été en communication avec Me André Gauthier du cabinet Heenan Blaikie, qui représentait l'appelant, mais à une occasion seulement. Par la suite, c'est l'assistante de Me Gauthier qui serait entrée en communication avec lui. Toutefois, il a affirmé qu'aucune documentation n'a été produite, de sorte que la pénalité n'a pas été annulée. Monsieur L'Écuyer a affirmé qu'il n'avait pas été informé que Revenu Québec avait annulé la pénalité imposée à l'appelant.

[36]     L'avocate de l'intimée soutient que l'appelant a produit une fausse déclaration de revenu sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde en déclarant une PTPE de 170 000 $ alors qu'il n'avait jamais payé cette somme, compte tenu des remboursements obtenus de monsieur Desjardins.

[37]     Selon elle, l'appelant ne recherchait qu'un moyen d'éviter de payer de l'impôt et il a fait preuve d'aveuglement volontaire en présumant de la bonne foi du comptable Desjardins et en ne s'informant pas davantage sur la situation financière réelle de la société Usitech, notamment en ne demandant pas de voir ses états financiers. De plus, selon elle, l'appelant aurait dû voir que les documents étaient datés de mai 1996 et non de novembre 1997. À l'appui de sa position, l'avocate de l'intimée se réfère aux décisions dans les affaires Venne c. Canada, 84 D.T.C. 6247, [1984] A.C.F. no 314 (Q.L.), Patricio c. Canada, 84 D.T.C. 6413, [1984] A.C.F. no 540 (Q.L.), Villeneuve c. Canada, 2004 D.T.C. 6077, [2004] A.C.F. no 134 (Q.L.), et Lévesque, succession c. Canada, C.C.I., no 94-1792(IT)I, 21 mars 1995, 96 D.T.C. 3250, [1995] A.C.I. no 469 (Q.L.).

[38]     Pour sa part, l'avocat de l'appelant rappelle que le paragraphe 163(2) de la Loi est une disposition pénale qui requiert une interprétation stricte. De plus, selon lui, si une interprétation raisonnable est de nature à favoriser le contribuable, celui-ci devrait pouvoir en bénéficier. À cet égard, il s'appuie sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Chabot c. La Reine, 2002 DTC 6708.

[39]     L'avocat de l'appelant souligne que celui-ci était jeune et inexpérimenté à l'époque pertinente et que c'est son comptable qui lui a recommandé un abri fiscal et l'a référé au comptable Desjardins. Ce dernier a donné à l'appelant les renseignements sur la société Usitech et l'a convaincu avec des explications plausibles d'investir en devenant actionnaire de la société et d'acheter des actions d'une valeur de 170 000 $ du capital-actions de celle-ci pour seulement 25 500 $.

[40]     L'avocat de l'appelant estime que celui-ci n'avait aucune raison de se méfier ou d'avoir des soupçons, puisque tout avait l'air d'être fait de façon professionnelle et que l'appelant a vérifié une seconde fois auprès de son propre comptable après sa rencontre avec le comptable Desjardins. Il souligne également que l'appelant ne s'est pas rendu compte sur le coup que les documents étaient antidatés.

[41]     L'avocat de l'appelant souligne également que le comptable de l'appelant s'est fait prendre lui aussi et « qu'il n'y a vu que du feu » , à tel point qu'il a par la suite exprimé ses regrets et s'est occupé du dossier de l'appelant gratuitement pendant deux ans. Ainsi, on ne peut conclure à une connivence de l'appelant et de son comptable avec les manoeuvres du comptable Desjardins.

[42]     L'avocat de l'appelant rappelle aussi que Michel Faille, l'architecte du stratagème, n'a pas été poursuivi au criminel et que plusieurs contribuables s'en sont tirés sans pénalité. Quant à l'appelant, il note que Revenu Québec a accepté d'annuler la pénalité.

[43]     À l'appui de ses arguments, l'avocat de l'appelant se réfère aux décisions dans les affaires Julian c. La Reine, [2004] 3 C.T.C. 2501, Chabot, précitée, Martin c. La Reine, [2002] 2 C.T.C. 2773, Lamarre c. La Reine, [2004] 1 C.T.C. 2508, et Villeneuve, précitée.

[44]     En se référant à la décision dans l'affaire Villeneuve, précitée il estime qu'on ne peut conclure qu'une personne a fait preuve d'aveuglement volontaire que si elle était au courant d'un stratagème ou qu'elle avait de graves soupçons à cet égard.

[45]     Par ailleurs, dans le cas présent, l'avocat de l'appelant note également le fait qu'il n'y avait aucun arrangement en vertu duquel l'appelant devait remettre à une autre personne une partie du remboursement d'impôt obtenu, comme c'était le cas tant dans l'affaire Villeneuve, précitée, que dans l'affaire Lamarre, précitée.

[46]     En conclusion, il soutient que l'appelant a été naïf et négligent, mais qu'on ne peut lui imputer une faute lourde, puisqu'il avait raison de croire qu'en devenant actionnaire il était justifié de réclamer les pertes de la société Usitech.

Analyse

[47]     Évidemment, les faits qui justifient l'imposition d'une pénalité pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi doivent être analysés en fonction de leur contexte particulier, ce qui rend toute comparaison avec les faits d'une autre situation purement aléatoire, sinon carrément dangereuse.

[48]     Par ailleurs, quant aux principes, la Cour d'appel fédérale a clairement établi dans sa décision dans l'affaire Villeneuve, précitée que le terme « faute lourde » signifie aussi bien l'aveuglement volontaire que l'acte intentionnel ou l'intention coupable. Dans cette décision, le juge Létourneau s'exprime à cet égard dans les termes suivants au paragraphe 6 :

6           Avec égards, je crois que la juge a omis de considérer la notion de faute lourde qui peut découler d'un aveuglement volontaire de son auteur. Même l'intention coupable qui, souvent, prend la forme de la connaissance de l'un ou de plusieurs des éléments constitutifs du geste reproché peut s'établir par une preuve d'aveuglement volontaire. En pareil cas, l'auteur du geste, bien qu'il n'ait pas de connaissance actuelle de l'élément reproché, se voit imputer la connaissance de cet élément.

[49]     Lors du résumé de la preuve, j'ai relevé au passage certaines erreurs ou anomalies qui auraient dû attirer l'attention de l'appelant et certainement éveiller des soupçons. Ainsi, la lettre de souscription signée par l'appelant est pour 170 actions de catégorie A du capital-actions de Usitech pour une contrepartie totale de 170 000 $ (pièce A-2). Or, le paragraphe 4 du contrat de prêt indique que « le certificat d'actions no A-34 libellé au nom de l'emprunteur représentant CENT (100) actions de catégorie A » sera remis au prêteur à titre de caution (pièce A-3). Certains pourraient penser qu'il s'agit là d'une simple erreur. Cela est possible. Il n'en reste pas moins que les deux documents ont été signés en même temps et qu'ils sont très courts et très simples. On comprend mal que l'erreur n'ait pas été remarquée et corrigée.

[50]     Par ailleurs, puisque le contrat de prêt indique clairement que le prêteur est la société Seahawk (pièce A-3), on se demande bien pourquoi l'appelant a accepté de faire ses quatre chèques payables à l'ordre de Usitech alors que ces chèques devaient représenter le remboursement du prêt de 170 000 $ consenti par la société Seahawk (pièce A-6).

[51]     J'en arrive maintenant à la date des documents. L'appelant a affirmé avoir signé la lettre de souscription (pièce A-2) et le contrat de prêt (pièce A-3) en novembre 1997 lors d'une rencontre avec le comptable Desjardins. La copie de la résolution des administrateurs de Usitech acceptant la souscription (pièce A-4) et le certificat d'actions (pièce A-5) lui auraient été remis en même temps ou peu après. Or, les trois premiers documents sont en date du 15 mai 1996. Le certificat d'actions est en date du 16 mai 1996. Manifestement, tous ces documents étaient faux, puisqu'ils indiquaient que l'ensemble des opérations avait eu lieu 18 mois plus tôt. Or, l'appelant a affirmé qu'il ne s'est pas rendu compte sur le coup que les dates étaient fausses. Selon son témoignage, ce n'est que deux ans et demi plus tard, lorsque Revenu Québec l'a informé que la déduction réclamée était refusée, qu'il a pu le constater.

[52]     Je ne peux accepter ce témoignage de l'appelant pour deux raisons. La première est que les dates sont clairement indiquées sur les quatre documents qui sont tous courts et très simples. De plus, en ce qui concerne la lettre de souscription (pièce A-2), la date du 15 mai 1996 est indiquée en caractères gras immédiatement au-dessus de la signature de l'appelant. Ainsi, à moins d'avoir été totalement aveugle ou d'avoir signé les deux yeux fermés, il est impossible de ne pas l'avoir remarquée. Sur le contrat de prêt, également signé par l'appelant, la date du 15 mai 1996 apparaît tant sur la première page que sur la deuxième page au-dessus des signatures. Même un examen très sommaire du document permet de le constater. De plus, à l'alinéa 3 du contrat de prêt, on indique qu'un intérêt au taux de 7 % sera payable pour la durée du prêt (pièce A-3). Cet élément était aussi de nature à alerter l'appelant quant à la fausse date du contrat. Par ailleurs, aucune preuve n'a été faite que l'appelant aurait payé une somme quelconque au titre d'intérêt.

[53]     La deuxième raison tient au fait que l'information fausse selon laquelle les opérations avaient été effectuées en mai 1996 alors qu'elles l'avaient été en novembre 1997 se retrouve dans la déclaration de revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1997. Sur la page faisant état de la PTPE de 170 000 $ en rapport avec la société Usitech (désignée Usite), il est bel et bien indiqué que l'année d'acquisition est « 96 » (pièce I-1, 15e page, Grille PTPE). Or, cette information n'a pu être transmise que par l'appelant à son comptable qui a préparé sa déclaration, soit verbalement, soit par la remise des documents pertinents. Or, l'un et l'autre savaient que cette information était fausse, puisque la première rencontre avec le comptable Desjardins n'avait eu lieu qu'en septembre 1997 et que les documents avaient été signés en novembre 1997. Pourtant, l'information que l'acquisition avait eu lieu en 1996 a été inscrite à la déclaration de revenu et l'appelant a signé cette déclaration. Peut-on penser que l'appelant n'a pas, ici encore, remarqué cette anomalie? Je ne le crois pas.

[54]     Il est déjà difficile de concevoir que l'appelant, un professionnel de l'évaluation, et son comptable aient pu être dupes des manoeuvres du comptable Desjardins au point d'en perdre tout esprit critique en acceptant ses explications que l'on pouvait réclamer une PTPE de 170 000 $ en ne versant que 25 500 $ pour l'achat d'actions. Si le comptable de l'appelant n'était pas en mesure de porter un jugement sur les opérations proposées par le comptable Desjardins « puisque cela dépassait ses compétences » , on comprend mal que l'appelant ait décidé d'aller de l'avant sans s'informer davantage. L'enjeu était important, les sommes considérables et la méthode proposée, par voie de chèques plus ou moins fictifs, compte tenu des remboursements simultanés par traites bancaires, était suspecte à première vue. Toutefois, au-delà de cette naïveté difficilement explicable, je ne peux croire que l'appelant n'ait pas remarqué que les quatre documents préparés par le comptable Desjardins et plus particulièrement les deux sur lesquels il a lui-même apposé sa signature portaient une date fausse.

[55]     À mon avis, ce seul élément aurait dû éveiller ses soupçons ou ceux de son comptable concernant la légalité de toute l'opération. L'appelant n'a pas réagi à cette anomalie; il a accepté les documents; il a signé deux d'entre eux et a subséquemment signé sa déclaration de revenu renfermant l'information fausse. Il s'agit là d'indices d'aveuglement volontaire, sinon d'une conduite délibérée constituant une faute lourde.

[56]     En terminant, j'ajouterai tout simplement que même si j'avais retenu la version de l'appelant, j'aurais conclu à la faute lourde puisque j'aurais dû reconnaître que l'appelant a accepté des documents, qu'il a signé certains d'entre eux et qu'il a subséquemment signé sa déclaration de revenu sans même jeter un coup d'oeil ou examiner sommairement le contenu de quelque document que ce soit malgré l'importance des sommes en jeu. Un tel type de comportement va au-delà de la simple négligence.

[57]     En conséquence de ce qui précède, l'appel est rejeté, avec dépens à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juillet 2005.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI423

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2003-2985(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Fabien Prud'homme et Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 16 juin 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Pierre R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :                    le 25 juillet 2005

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Alain Ménard

Avocate de l'intimée :

Me Marie-Aimée Cantin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelant :

                   Nom :                                        Me Alain Ménard

                   Étude :                                       Cain Lamarre Casgrain Wells,

                   Ville :                                         Montréal (Québec)

       Pour l'intimée :                                       John H. Sims, c.r.

                                                                    Sous-procureur général du Canada

                                                                    Ottawa (Ontario)

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