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Dossier : 2003-2332(EI)

ENTRE :

LES FENÊTRES ENERCO INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GERMAIN DESBIENS,

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 24 mars 2004 à Chicoutimi (Québec)

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Représentante de l'appelante :

Marlen Desbiens

Avocat de l'intimé :

Me Sylvain Ouimet

Avocat de l'intervenant :

Me Pierre Parent

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2004.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2004CCI394

Date : 20040610

Dossier : 2003-2332(EI)

ENTRE :

LES FENÊTRES ENERCO INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GERMAIN DESBIENS,

intervenant.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      L'appelante interjette appel d'une décision du ministre du Revenu national ( le « ministre » ) rendue le 17 juin 2003. Le ministre a informé l'appelante que l'emploi de Germain Desbiens, l'intervenant, n'était pas assurable pour les périodes du 26 octobre 1997 au 26 septembre 1998, du 27 septembre au 7 novembre 1998, du 8 novembre 1998 au 25 septembre 1999, du 26 septembre au 13 novembre 1999, du 28 novembre 1999 au 4 novembre 2000, du 19 novembre 2000 au 20 octobre 2001, du 21 octobre au 27 octobre 2001 et du 4 novembre 2001 au 26 octobre 2002 lorsqu'au service de l'appelante. Le motif invoqué par le ministre est que cet emploi ne rencontre pas les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il n'y avait donc pas de relation employeur-employé. Le ministre a de plus déterminé qu'un contrat de travail semblable n'aurait pas été conclu s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre l'appelante et l'intervenant durant les périodes en litige. Le ministre s'appuie sur les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) et sur les paragraphes 5(3) et 91(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) et sur les articles 251 et 252 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]      En rendant sa décision, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes, lesquelles ont été admises ou niées par l'appelante et l'intervenant.

a)          Depuis 1988, l'appelante exploite une entreprise spécialisée dans la fabrication et l'installation de portes et fenêtres; [admis]

b)          Au cours des périodes en litiges, les actionnaires de l'appelante étaient Mme Marlen Desbiens avec 68% des actions et le travailleur avec 32% des actions; [admis]

c)          Mme Marlen Desbiens est la conjointe du travailleur; [admis]

d)          L'appelante ferme cinq semaines l'hiver, de la mi-décembre jusque vers le 20 janvier et ferme 2 semaines l'été lors des vacances de la construction; [admis]

e)          Mme Marlen Desbiens est la responsable de la comptabilité et de l'administration de l'appelante; [admis]

f)           Le travailleur occupait le poste de contremaître de l'atelier de production; [admis]

g)          Outre le travailleur, l'appelante comptait deux autres employés à l'atelier de production; [admis]

h)          Durant les années 1997 à 2002, le travailleur était inscrit tantôt à plein temps au journal des salaires de l'appelante, tantôt à temps partiel; [admis]

i)           La rémunération de l'appelant s'élevait à 815 $ par semaine lorsqu'il est inscrit à plein temps au journal des salaires et à 122 $ par semaine lorsqu'il y est inscrit à temps partiel; [admis]

j)           Le 28 septembre 1998, l'appelante émettait un relevé d'emploi au nom du travailleur, pour la période du 26 octobre 1997 au 26 septembre 1998, indiquant 984 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 18 439.40 $ pour les 27 dernières semaines; [admis]

k)          Le 17 novembre 1998, l'appelante émettait un relevé d'emploi au nom du travailleur, pour la période du 27 septembre 1998 au 7 novembre 1998, indiquant 36 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 619.68 $; [admis]

l)           Le 27 septembre 1999, l'appelante émettait un relevé d'emploi au nom du travailleur, pour la période du 8 novembre 1998 au 25 septembre 1999, indiquant 978 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 17 334.36 $ pour les 27 dernières semaines; [admis]

m)         Le 19 novembre 1999, l'appelante émettait un relevé d'emploi au nom du travailleur, pour la période du 26 septembre 1999 au 13 novembre 1999, indiquant 42 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 720.23 $; [admis]

n)          Le 6 novembre 2000, l'appelante émettait un relevé d'emploi au nom du travailleur, pour la période du 28 novembre 1999 au 4 novembre 2000, indiquant 1008 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 20 538.00 $ pour les 27 dernières semaines; [admis]

o)          Le 22 octobre 2001, l'appelante émettait un relevé d'emploi au nom du travailleur, pour la période du 19 novembre 2000 au 20 octobre 2001, indiquant 1036 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 18 135,13 $ pour les 27 dernières semaines; [admis]

p)          Le 31 octobre 2001, l'appelante émettait un relevé d'emploi au nom du travailleur, pour la période du 21 octobre 2001 au 27 octobre 2001, indiquant 6 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 0.00 $; [admis]

q)          Le 30 octobre 2002, l'appelante émettait un relevé d'emploi au nom du travailleur, pour la période du 4 novembre 2001 au 26 octobre 2002, indiquant 1190 heures assurables et une rémunération assurable totalisant 20 643.82 $ pour les 27 dernières semaines; [admis]

r)           les relevés d'emploi émis par l'appelante ne reflètent pas les véritables périodes travaillées par le travailleur; [nié]

s)          le travailleur rendait des services à l'appelante à l'année longue, y compris entres les périodes couvertes par les relevés d'emploi alors qu'il recevait des prestations d'assurance-emploi; [nié]

t)           l'appelante et le travailleur ont conclu un arrangement dans le but de permettre à l'appelant de recevoir des prestations d'assurance-emploi auxquelles il n'avait pas droit. [nié]

[3]      Toutes les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé ont donc été admises, à l'exception des trois dernières. Pour préciser davantage les opérations de l'appelante, madame Marlen Desbiens a témoigné pour l'appelante. Madame Desbiens est devenue actionnaire en 1997 avec son conjoint, l'intervenant Germain Desbiens, dans la proportion établie ci-haut. Son travail consiste à s'occuper de la gestion de l'entreprise, à établir l'ordre des installations à effectuer et à faire le suivi auprès de la clientèle. Elle explique qu'elle est actionnaire majoritaire parce qu'avant l'acquisition des actions, elle était à l'emploi de l'appelante depuis 1992 et cette dernière éprouvait des difficultés financières. Elle voulait donc jouer un rôle plus important au niveau des prises de décision.

[4]      Madame Desbiens témoigne que durant les périodes en litige, l'appelante a eu jusqu'à six employés, incluant elle-même. Il lui faut un employé qui puisse couper et installer la fenêtre et un autre qui fait la soudure. Son conjoint, l'intervenant, est habilité à tout faire, mais il fait le sciage du matériel et agit principalement comme contremaître. Il est le seul qui soit payé à la semaine. L'appelante ne lui verse donc aucune rémunération pour les heures supplémentaires. Cette rémunération est telle qu'indiquée dans la réponse à l'avis d'appel et est presque le double du salaire des autres employés et du sien. L'intervenant reçoit ce salaire depuis 1992. Son père a négocié ce taux lors de son embauche et il est basé sur le salaire d'un contremaître dans le domaine de la construction.

[5]      Selon madame Desbiens, l'intervenant travaille à temps plein du mois d'avril à la fin du mois de novembre, selon les ventes. Durant les autres périodes, il travaille en moyenne six heures par semaine et est rémunéré pour cela. Il s'agit principalement de faire le déneigement, d'enlever la neige sur les toits des édifices et de préparer du matériel pour la reprise des activités au printemps. En tant que contremaître, il fait la supervision des travaux, vérifie les dates des commandes et assure que les échéanciers sont respectés. Il a la responsabilité du bon fonctionnement de l'usine. Il lui arrive de faire des soumissions et de participer à l'Expo Habitat qui a lieu chaque printemps dans la région de Chicoutimi. Selon madame Desbiens, il est difficile de déterminer la proportion de son travail à titre de contremaître et de son travail à l'usine.

[6]      Selon madame Desbiens, son conjoint, l'intervenant, ne participait à l'Expo Habitat que depuis 2001. Elle louait le kiosque et deux autres employés s'en occupaient durant l'Expo. Trois des contrats de location ont été déposés en preuve par l'intimé. Les contrats sont signés par madame Desbiens pour l'appelante, mais le représentant est identifié comme étant monsieur Germain Desbiens, l'intervenant. De son côté, monsieur Desbiens a témoigné qu'il n'a commencé que cette année à participer à l'Expo Habitat. Dans les années antérieures, il n'aurait qu'aidé à installer le kiosque.

[7]      Les périodes de travail des employés sont établies en fonction des ventes. Les employés sont appelés à reprendre le travail en succession. L'intervenant est habituellement le troisième à reprendre le travail. Le premier employé à se présenter au travail est celui qui fait la soudure. Madame Desbiens explique que l'intervenant, durant les 6 heures par semaine qu'il travaille, a préparé des pièces dans le but de préparer le retour des employés. Madame Desbiens reconnaît que les 6 heures par semaine correspondent au nombre maximal d'heures que peut travailler l'intervenant sans que cela touche ses prestations d'assurance-emploi. Il n'est pas rémunéré s'il fait des heures supplémentaires. Lorsque vient le temps des mises à pied, cela s'effectue également successivement. L'intervenant est le premier qui quitte et peu après les autres employés. Madame Desbiens dit qu'elle peut finaliser la production avec les autres employés sans contremaître car elle est là.

[8]      L'intervenant dit que son travail est d'être celui qui voit que tout fonctionne bien à l'usine. Il admet ne pas s'occuper de la gestion et laisse cette responsabilité à sa conjointe. Lorsqu'il travaille à temps plein, il travaille entre 40 et 50 heures par semaine sans temps supplémentaire et durant sa période de chômage, il travaille en moyenne 6 heures par semaine. Sa période de travail est souvent dictée par le climat. Il déclare faire des commandes pour les matériaux en mars et en achète assez pour assurer un mois de travail. Il reconnaît aussi avoir complété des commandes de fenêtres du début à la fin durant ses périodes de chômage, mais il dit qu'il s'agit de petites commandes de deux, trois ou quatre fenêtres et qu'il effectue cela pendant les 6 heures par semaine qu'il travaille. Il termine son témoignage en disant qu'il ne connaît pas le nombre maximum de semaines de prestations auquel il a droit mais qu'il s'en est informé. Il dit ne pas toutes les utiliser et que le tout dépend des commandes.

[9]      Monsieur Eric Houde a travaillé pour l'appelante pendant cinq ans, dont trois ans durant les périodes en litige. Son travail consistait à coller et à assembler des fenêtres. En 1998, il a commencé à travailler le 8 mars, avec Denis Tremblay et l'intervenant. Ils étaient tous à temps plein à ce moment. Selon monsieur Houde, l'intervenant avait déjà fait du travail de préparation avant qu'il commence à travailler. L'intervenant travaillait de 25 à 30 heures par semaine à l'usine et ses autres heures de travail étaient passées à s'occuper des clients. Son travail se poursuivait jusqu'à l'automne et à son départ, l'intervenant était toujours là. Parfois, il était le premier mis à pied, et parfois, il était le second. Selon monsieur Houde, l'intervenant a toujours été présent durant ses périodes de travail.

[10]     Monsieur Houde témoigne qu'on lui a demandé de faire du cumul d'heures, et qu'il y a eu effectivement du cumul d'heures pendant environ deux à trois semaines. Ce cumul d'heures, qu'on appelle communément « banquage » , a été fait avec un autre employé, soit Denis Tremblay. Il ne peut toutefois préciser si ce « banquage » a été pratiqué plus d'une fois. Chose certaine, selon monsieur Houde, cela n'a pas été fait lorsque le père de l'intervenant était propriétaire. Il lui est arrivé de visiter l'usine quelques fois durant ses périodes de chômage et il a remarqué que l'intervenant était au travail, ce qui lui a fait dire que l'intervenant travaillait alors qu'il était en chômage.

[11]     Madame Denise Gaudreau est enquêteur pour Développement des ressources humaines Canada. Lors de son enquête, elle a eu accès aux relevés d'emploi et au système informatique de l'appelante. Avec l'information qu'elle a recueillie, elle a preparé des tableaux démontrant les périodes de travail de l'intervenant et des autres employés pour toutes les périodes en litige. C'est ainsi qu'elle a constaté qu'en 1998, le témoin Eric Houde a commencé à travailler la semaine du 8 mars et l'intervenant a commencé la semaine du 26 avril. Eric Houde a été mis à pied la semaine du 29 novembre et l'intervenant, la semaine du 27 septembre. Eric Houde aurait donc travaillé 17 semaines de plus que l'intervenant. Durant ces 17 semaines, l'intervenant recevait des prestations d'assurance-emploi et un salaire équivalent à six heures de travail, soit, en 1998, des montants de 102 $ et de 122 $ par semaine respectivement. Madame Gaudreau explique qu'en 1998, le salaire minimum pour avoir droit aux prestations d'assurance-emploi maximales était d'environ 700 $ par semaine pour obtenir des prestations de 413 $ par semaine. Le salaire de 102 $ par semaine correspond à 25% des prestations de l'intervenant. Lorsqu'il gagnait 122 $, l'excédent était enlevé de ses prestations. Elle note aussi que durant les deux semaines du délai de carence, soit les semaines du 8 et du 15 novembre 1998, l'intervenant n'a reçu aucun salaire. Elle explique que s'il avait reçu son salaire de 122 $ par semaine pour ces deux semaines, ce montant aurait été déduit intégralement de ses prestations.

[12]     En 1999 et 2000, le même scénario se répète. Eric Houde a travaillé trois semaines de plus en 1999 et 2000 et l'intervenant n'a pas été payé pour les deux semaines du délai de carence. En 2001, un autre employé, soit Denis Tremblay, a travaillé dix semaines de plus que l'intervenant et ce dernier n'a pas été rémunéré pour une des deux semaines du délai de carence. En 2002, Denis Tremblay a travaillé deux semaines de plus que l'intervenant et ce dernier n'a pas été rémunéré pour les deux semaines du délai.

[13]     Madame Gaudreau a également indiqué, pour chacune des années en litige, les prestations auxquelles l'intervenant avait droit, le nombre d'heures de travail pour avoir droit aux prestations et le nombre de semaines pendant lesquelles il a reçu des prestations par rapport à ce à quoi il avait droit. En 1998, l'intervenant a donc bénéficié de 29 semaines sur 30, de 29 sur 30 en 1999, de 26 sur 26 en 2000, de 25 sur 30 en 2001 et de 22 sur 31 en 2002, sauf qu'au moment où le tableau de 2002 a été préparé, l'intervenant avait repris le travail.

[14]     En contre-preuve, madame Desbiens a nié qu'il y ait eu du « banquage » chez l'appelante, sauf pour son vendeur qu'elle paye à commission avec un salaire de base. Elle lui donne un montant à chaque semaine dans le but de stabiliser son salaire. Quant au délai de carence pour l'intervenant, elle croyait qu'il n'avait pas le droit de gagner un revenu durant cette période.

[15]     Tel que mentionné au départ, l'intimé soutient que l'intervenant, dans un premier temps, n'occupait pas un emploi assurable puisqu'il n'est pas lié à l'appelante par un véritable contrat de louage de services parcequ'il y a eu une entente entre les parties afin de permettre à l'intervenant d'avoir droit à des prestations d'assurance-emploi durant les périodes en litige. Dans un deuxième temps, l'intimé soutient que l'emploi durant les périodes en litige n'était pas assurable puisqu'il existait un lien de dépendance entre l'intervenant et l'appelante de telle sorte que les conditions de travail n'auraient pas été semblables si l'appelante et l'intervenant n'avaient pas eu ce lien de dépendance. Il incombe à l'appelante et à l'intervenant, selon la prépondérance des probabilités, de démontrer que l'emploi est assurable et que la décision du ministre est mal fondée en fait et en droit.

[16]     Notre cour s'est déjà penchée sur la question de savoir s'il existe un véritable emploi entre un prestataire et un employeur. Dans l'affaire Laverdière c. Canada, [1999] A.C.I. no 124, le juge Tardif s'est exprimé ainsi au paragraphe 47 et aux paragraphes 49 - 51 :

Cette appréciation est d'ailleurs valable pour toutes les périodes en litige ayant trait aux deux appelants. Les modalités d'un véritable contrat de louage de services doivent s'articuler autour de la prestation de travail à accomplir, d'un mécanisme permettant de contrôler l'exécution du travail et finalement, d'une rétribution correspondant essentiellement à la qualité et la quantité du travail exécuté.

[. . . ]

Tout contrat de travail prévoyant des particularités est généralement opposable aux seules parties contractantes et ne lie en rien les tiers, dont l'intimé.

Il en est ainsi au niveau de toute entente ou arrangement dont le but et objectif est d'étaler ou cumuler la rémunération due ou être due de manière à tirer avantage des dispositions de la Loi. Toute planification ou entente qui maquille ou altère les faits relatifs à la rétribution, dans le but de maximiser les bénéfices de la Loi, disqualifie le contrat de louage de services.

La Loi n'assure que les véritables contrats de louage de services; un contrat de travail dont la rétribution n'est pas fonction de la période d'exécution du travail ne peut être définie comme un véritable contrat de louage de services. Il s'agit d'une entente ou d'un arrangement qui discrédite la qualité d'un véritable contrat de louage à ce qu'il associe des éléments étrangers à la réalité contractuelle exigée par la Loi.

[17]     Dans une autre affaire, soit Thibeault c. Canada, [1998] A.C.I. no 690, décision antérieure à la précédente, le juge Tardif expliquait cette question en s'exprimant comme suit au paragraphes 26 et 29 :

Le régime d'assurance-chômage est une mesure sociale dont l'objectif est de soutenir ceux et celles qui perdent leur véritable emploi. Il ne s'agit carrément pas d'une mesure où il suffit de payer des cotisations durant une certaine période de l'année pour avoir droit automatiquement aux bénéfices.

[. . . ]

Certes, il n'est ni illégal, ni répréhensible d'organiser ses affaires pour profiter de la mesure sociale qu'est le régime de l'assurance-chômage, à la condition expresse que rien ne soit maquillé, déguisé ou organisé et que la venue des bénéfices surviennent à la suite d'événements sur lesquels le bénéficiaire n'a pas le contrôle. Lorsque l'importance du salaire ne correspond pas à la valeur économique des services rendus, lorsque les débuts et les fins des périodes s'avèrent coïncider avec la fin de la période de paiement et la durée de la période de travail coïncidant à son tour, avec le nombre de semaines requises pour se qualifier à nouveau, cela a pour effet de soulever des doutes très sérieux sur la vraisemblance du contrat de travail. Lorsque les hasards sont nombreux et exagérés, cela risque de créer une présomption à l'effet que les parties ont convenu d'un arrangement artificiel pour permettre aux parties de profiter des bénéfices.

[18]     La Cour d'appel fédérale a d'ailleurs confirmé l'approche du juge Tardif sur cette question. En l'espèce, il y a deux aspects du contrat d'emploi qui soulèvent des questions pouvant mener à un doute sérieux sur la vraisemblance du contrat. Tout d'abord, il y a le salaire de l'intervenant, qui est de 815 $ par semaine. Il reçoit le même salaire depuis 1992 sans aucune augmentation annuelle. Le salaire est suffisant pour lui assurer les prestations d'assurance-emploi les plus élevées possible. Ce salaire est presque le double de celui de tous les autres employés qui travaillaient à la production. Selon le témoin Houde, il travaillait de 25 à 30 heures par semaine à l'usine et les autres heures étaient consacrées aux clients et au travail en dehors de l'usine. Il y a pourtant un vendeur à l'emploi de l'appelante et madame Desbiens faisait le suivi à la clientèle. L'intervenant faisait de tout dans la fabrication des fenêtres et, sauf pour ce qui est d'assurer le respect des échéanciers, il semble qu'il travaillait à la production plus souvent qu'autrement. Si l'appelante avait besoin d'un contremaître pour fonctionner, il faut alors se demander pourquoi l'intervenant était mis à pied le premier et était rappelé le dernier ou presque et ce, durant toutes les années en litige.

[19]     Il faut également s'interroger au sujet du revenu de 103 $ par semaine en 1998, qui correspond au maximum que l'intervenant avait le droit de gagner sans avoir à subir de pénalité. Quant au montant de 122 $ par semaine, il ne crée qu'une faible pénalité. Que dire également du fait que durant la presque totalité des délais de carence, il n'a pas perçu le montant de 122 $ par semaine? La conséquence en est qu'il n'a pas eu à déduire ces montants de ses prestations. Il a pourtant témoigné avoir travaillé six heures par semaine durant les périodes de chômage sans rien mentionner au sujet des deux semaines du délai de carence.

[20]     Le deuxième aspect du contrat vise les périodes d'emploi. La preuve a révélé que l'intervenant en l'espèce s'est prévalu de la presque totalité des semaines de prestation auxquels il avait droit et ce, durant toutes les périodes en litige. En 1998 et 1999, il s'agit de 29 semaines sur 30, de 26 sur 26 en 2000, de 25 sur 30 en 2001 et de 22 sur 31 en 2002 selon le calcul fait au moment de l'enquête. Il est donc possible de conclure qu'à la fin de la réception des prestations, l'intervenant était rappelé au travail. Il faut aussi se demander pourquoi l'intervenant était mis à pied avant les autres employés et était embauché après eux?

[21]     Je ne peux faire abstraction du témoignage d'Eric Houde. Ce dernier soutient que durant tout le temps où il a travaillé pour l'appelante, l'intervenant était là et travaillait à temps plein. Les horaires de travail de 1998, 1999 et 2000 démontrent qu'Eric Houde a travaillé pendant 23 semaines alors que l'intervenant aurait dû être en chômage et ne travaillait que six heures par semaine. Si cela s'est produit durant ces années-là, il n'y a rien dans la preuve présentée qui puisse me convaincre que cela n'a pas continué durant les autres années en litige. J'accepte donc le témoignage de monsieur Houde.

[22]     Lorsque je regarde tous ces faits dans leur ensemble, j'en conclus qu'il y avait en l'espèce, et ce, pour toutes les années en litige, un arrangement pour permettre aux parties de profiter des bénéfices que procure le régime d'assurance-emploi. Je n'ai pas été convaincu par le témoignage de l'intervenant et de sa conjointe selon qui les relevés d'emploi pour toutes ces périodes étaient exacts et les services rendus par l'intervenant en dehors de ses périodes d'emploi étaient limités en moyenne à six heures par semaine. L'intervenant préparait des commandes et fabriquait des fenêtres en dehors des périodes d'emploi et préparait le matériel nécessaire en début de saison. Il participait à l'Expo Habitat et était ainsi beaucoup plus présent qu'il ne le laisse croire.

[23]     Puisque j'arrive à la conclusion qu'il n'y a pas de véritable contrat de louage de services, il n'est pas nécessaire de traiter du lien de dépendance. L'appel est par conséquent rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2004.

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :

2004CCI394

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2332(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Les Fenêtres Enerco Inc. et le ministre du Revenu national et Germain Desbiens

LIEU DE L'AUDIENCE :

Chicoutimi (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 24 mars 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :

le 10 juin 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Marlen Desbiens

Pour l'intimé :

Pour l'intervenant :

Me Sylvain Ouimet

Me Pierre Parent

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant(e) :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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