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Dossier : 2000-1401(IT)I

ENTRE :

MICHAEL WETZEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appels entendus le 4 août 2004, à Gander (Terre-Neuve-et-Labrador).

Devant : L'honorable T. E. Margeson

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocats de l'intimée :

Me Peter Leslie et Me Cecil Woon

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'égard de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour l'année d'imposition 1988 est rejeté.

          Les appels interjetés à l'égard des cotisations établies en vertu de la Loi pour les années d'imposition 1994 et 1995 sont accueillis et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il l'examine à nouveau et établisse de nouvelles cotisations compte tenu du fait que les cotisations établies à l'égard de l'appelant pour les années 1994 et 1995 sont annulées.

          L'appelant est fondé à obtenir un état de compte montrant le montant total des crédits auxquels il a droit ainsi que des précisions raisonnables quant au présumé solde exigible et à la façon dont ce solde a été calculé.

          L'appelant a droit à ses dépens, lesquels sont fixés à 2 000 $.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2004.

« T. E. Margeson »

Juge Margeson

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


Référence : 2004CCI767

Date : 20041129

Dossier : 2000-1401(IT)I

ENTRE :

MICHAEL WETZEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Margeson

[1]      Par un avis d'appel (modifié) (procédure informelle) daté du 30 août 2001 et reçu à la Cour canadienne de l'impôt le 4 septembre 2001, l'appelant a interjeté appel des cotisations établies par le ministre pour les années d'imposition 1988, 1994 et 1995 et il a demandé à la Cour de prononcer une ordonnance annulant les cotisations relatives à ces années.

[2]      L'appelant a en outre demandé à la Cour de rendre une ordonnance quant au remboursement des impôts et des intérêts qu'il a déjà payés entre 1974 et 1987, si elle arrive à la conclusion qu'une réserve existe à Conne River depuis 1870 (mais, je présume qu'il veut plutôt dire 1984) et que l'appelant était un membre de la bande pendant cette période.

[3]      Le ministre a établi à l'égard de l'appelant une cotisation pour l'année d'imposition 1988 et il a notamment ajouté au revenu de ce dernier une somme de 42 941 $ reçue à titre de revenu d'emploi. À la demande de l'appelant et conformément aux dispositions d'équité, le ministre, par voie d'un avis de nouvelle cotisation portant le numéro 1508043 et daté du 12 octobre 1995, a établi une nouvelle cotisation faisant droit à la demande de l'appelant fondée sur l'exonération au titre du montant pour conjoint. Avant d'établir la nouvelle cotisation susmentionnée par une lettre datée du 1er septembre 1995, le ministre a informé l'appelant qu'aucun avis d'opposition ne pouvait être produit relativement à la nouvelle cotisation de 1988. Le ministre soutient que la Cour ne peut être régulièrement saisie de cet appel.

[4]      Quant à l'année d'imposition 1994 de l'appelant, le ministre a initialement affirmé que ce dernier n'avait pas produit un avis d'appel valable. Lorsqu'il a établi une cotisation en ce sens à l'égard de l'appelant pour cette année-là, le ministre a notamment inclus dans le calcul du revenu de l'appelant la somme de 134 576,34 $ qu'il avait reçue de la bande de Miawpukek à titre d'allocation de retraite.

[5]      En ce qui concerne l'année d'imposition 1995, le ministre a imposé l'appelant par voie d'un avis de cotisation daté du 7 octobre 1996. Le ministre a alors notamment inclus dans le revenu de l'appelant la somme de 23 759,15 $ qu'il avait reçue comme revenu au titre d'un régime enregistré d'épargne-retraite (REER).

Preuve

[6]      Dans son témoignage, monsieur le juge Richard LeBlanc a déclaré qu'avant d'accéder à la magistrature en 1989, il agissait comme avocat pour la bande indienne de Miawpukek. Il a travaillé avec l'appelant, le chef Michael Joe et Marilyn John en ce qui concerne diverses questions touchant la bande, y compris l'enregistrement des Indiens de Conne River à titre de réserve et le transfert, par la province en faveur de la bande, de certains domaines de compétence, comme la santé et l'éducation.

[7]      Il a travaillé pour la bande de 1981 à 1989. Il a participé au litige opposant le gouvernement fédéral à la bande. Les questions n'étaient pas réglées lorsque Terre-Neuve s'est jointe au Canada en 1949. Cette affaire a fait naître beaucoup d'anxiété. Ce fut une période difficile. L'enregistrement de la bande en 1984 a détendu l'atmosphère. L'appelant a joué un rôle primordial dans ces événements, mais le témoin, l'appelant, le chef Michael Joe et Marilyn John ont fait équipe pour résoudre les difficultés. Le témoin recevait des instructions de l'appelant, qui était alors administrateur de la bande et considéré comme celui qui « faisait bouger les choses » .

[8]      Les pièces A-1, A-2 et A-3 ont été admises par l'intermédiaire de ce témoin, sous réserve de leur valeur probante et de leur pertinence. Le juge LeBlanc n'a jamais vu le rapport du comité consultatif, mais il a eu l'occasion d'examiner des documents comportant des extraits du rapport initial[1]. On y recommandait que le nom de l'appelant soit ajouté à la liste de bande. Ce témoin a affirmé que, [TRADUCTION] « s'il comprenait bien » , le ministre avait consenti à ce que le nom de l'appelant soit ajouté à la liste de bande. On leur a dit qu'ils ne pourraient jamais voir un document du Cabinet, mais que les documents qu'ils présenteraient seraient pris en compte dans les documents du Cabinet. Le processus se poursuivait[2].

[9]      L'onglet 5 de la pièce A-2 consiste en une lettre qu'il a écrite à David Crombie, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien à cette époque, au sujet de leur rencontre antérieure. Il a également écrit une autre lettre[3]. Il connaissait bien certains autres documents qu'il a examinés[4]. Ceux-ci intéressaient sa dernière participation touchant cette question. Cette lettre concernait la promesse de modification des critères applicables pour devenir membre de la bande et le décret de remise fiscale visant la période allant du 1erjanvier 1985 à la date de reconnaissance de la réserve de Conne River.

[10]     Il a renvoyé à la note de service de P. McDowell adressée à D. Goodwin et a mentionné que ce document lui avait été remis par une personne travaillant au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien[5]. Cela étayait sa thèse voulant qu'à cette époque, tout le monde ait convenu qu'il y aurait modification du décret ayant initialement servi à fixer les exigences en matière d'appartenance à la bande. Ces exigences devaient être modifiées de sorte qu'on y emploie l'expression [TRADUCTION] « de descendance indienne » plutôt que l'expression « de descendance micmaque canadienne » [6]. Cela n'a pas été fait. Le libellé a été changé et les termes [TRADUCTION] « descendance indienne » ont été employés, mais ils ont finalement été remplacés par l'expression « descendance indienne canadienne » . En raison de ce défaut d'apporter les modifications promises à la loi, le nom de l'appelant a été exclu de la deuxième liste des membres de la bande alors que son nom figurait sur la liste initiale approuvée par le décret pris antérieurement (comme le nom des personnes décédées entre-temps).

[11]     L'onglet 9 de la pièce A-2 comporte des extraits du procès-verbal d'une réunion selon lesquels le libellé des conditions pour devenir membre de la bande serait remplacé par les termes [TRADUCTION] « descendance indienne » . Selon lui, les termes employés avaient été remplacés par l'expression « descendance indienne canadienne » pour que le nom de M. Wetzel ne figure pas sur la liste.

[12]     M. Wetzel et le chef Michael Joe ont subséquemment perdu leur poste par suite d'une guerre de pouvoir au sein de la bande. À l'origine, il n'y avait aucune opposition à ce que le nom de l'appelant soit inclus dans la liste de bande.

[13]     Pendant le contre-interrogatoire, il a affirmé avoir travaillé pour la bande du 1er septembre 1981 jusqu'en 1989. La bande de Conne River a été l'objet de deux décrets. Un décret a été pris en 1984, l'autre en 1989. Il savait que les personnes avec lesquelles il traitait n'avaient pas le dernier mot.

[14]     Lorsqu'il a pris le décret de 1984, le gouvernement avait décidé d'employer l'expression « descendance micmaque canadienne » . En 1989, cette expression a été remplacée par les termes « descendance indienne canadienne » . Ce décret est le dernier qui a été pris à cet égard. Le témoin ne savait pas comment ce changement avait eu lieu. Selon lui, nul ne pouvait contester le pouvoir du gouvernement.

[15]     Une personne travaillant au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien lui a dit que la modification des termes et leur remplacement par l'expression « descendance indienne canadienne » visaient à empêcher que le nom de l'appelant ne figure sur la liste des membres de la réserve de Conne River. Cependant, aucun ministre ne lui a jamais fait un tel aveu. Il savait que l'appelant s'était fait certains ennemis au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[16]     Dans son témoignage, Marilyn John a mentionné avoir toujours vécu à Conne River. La bande de Conne River est également appelée la bande de Miawpukek. Elle a été chef de la bande pendant deux années, soit de 1988 à 1990. Elle a été conseillère en 1980. Elle participait aux activités de la Federation of Newfoundland Indians. Elle était organisatrice de la fédération, laquelle a été fondée en 1973.

[17]     Elle a participé aux négociations visant le financement de la bande de Conne River. Elle connaissait bien le comité consultatif sur l'enregistrement de la réserve de Conne River créé en 1966. Il se composait du chef William Joe, de Malvin Jedore, du chef Alex Denny et de Les Smith du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Warren Almand assumait la direction de ce ministère à cette époque.

[18]     Elle a fait de la recherche en vue de réunir les noms devant figurer sur la liste des membres de la bande. Il existait des liens entre deux familles de Conne River et d'autres bandes de la Nouvelle-Écosse, mais il était très difficile d'établir lesquels. Ces personnes ont quitté Conne River pour se rendre en Nouvelle-Écosse avant 1949. Parmi elles se trouvaient Jedore, Benoit et Michael Martin. Ces derniers ont été inscrits comme membres de bandes de la Nouvelle-Écosse. Il ne s'agissait pas de citoyens canadiens.

[19]     Initialement, il fallait satisfaire à l'un des critères suivants pour être inscrit comme membre de la bande de Conne River :

1.        Descendance indienne nord-américaine;

2.        Résident de Conne River;

3.        Époux ou enfant adopté d'une personne de descendance indienne nord-américaine.

[20]     Certains des résidents n'étaient pas de descendance micmaque. Ils voulaient que tous les résidents de descendance indienne soient inclus dans la liste. Ces recommandations ont été acceptées par le ministère.

[21]     Elle a renvoyé au projet de liste de membres[7] à titre de rapport définitif du comité consultatif de Conne River. Le nom de l'appelant figurait sur cette liste. Ils avaient reçu instruction de dresser la liste des personnes susceptibles d'être incluses dans la liste de membres initiale. Le processus d'enregistrement a soulevé de nombreuses difficultés.

[22]     Elle était présente en 1984. Elle était gestionnaire de la Croft Co-op de même que conseillère de la bande. Le chef Billy Joe l'a nommée pour être membre de nombreux comités. Ils se sont rencontrés à St. John's vers 1983 ou 1984 pour discuter de l'enregistrement définitif de la bande. Une personne du nom de Rem Westland a été nommée par le ministre pour préparer un document du Cabinet relatif à l'enregistrement définitif de la bande. Il s'est rendu à St. John's avec le ministre. Elle l'a rencontré et il leur a dit que M. Goodwin, le sous-ministre adjoint, était réticent à poursuivre cette affaire parce qu'il n'aimait pas l'appelant et qu'il allait lui régler son compte. Il veillerait à ce que le nom de l'appelant ne figure jamais sur la liste de bande. Elle connaissait bien la liste des membres de la bande qui allait être dressée sur le fondement des critères fixés par le comité consultatif et le nom de l'appelant s'y trouvait[8]. Cette liste a été envoyée au ministre et ce dernier en a fait mention dans une lettre qu'il a adressée au gouverneur en conseil le 4 décembre 1980[9].

[23]     Le nom de l'appelant faisait également partie de la liste des membres de la bande datée du 4 septembre 1984 que le conseil des Micmacs de Conne River a présentée à Les Smith, fonctionnaire du service de l'effectif des bandes du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien[10].

[24]     Elle était à Ottawa lorsque la déclaration a été publiée relativement à la bande de Conne River. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a unilatéralement modifié les critères en cause en employant les termes « de descendance micmaque canadienne » .

[25]     Cela a entraîné des difficultés pour les personnes dont le nom aurait par ailleurs pu être consigné sur la liste. Un grand nombre d'entre elles auraient été éliminées. La bande estimait qu'il lui appartenait de décider de l'appartenance à ses effectifs. Cette question a donné lieu à de nombreuses manoeuvres de couloir. Elle s'est rendue à Genève pour exercer des pressions en faveur des modifications. Seul l'appelant ne fait pas partie de la liste. Elle n'a pas été exclue (même si elle aurait dû l'être selon ces critères). Un deuxième décret modifiant les exigences et prévoyant l'expression « descendance indienne canadienne » a été pris. Le problème a persisté. Aucune enquête n'a été menée pour vérifier si une personne autre que l'appelant aurait dû être exclue de la liste des membres de la bande.

[26]     Le fait d'être membre de la bande se traduisait par de nombreux avantages, et un grand nombre de problèmes se sont fait jour. Un décret de remise a été pris en faveur des membres de la bande. Ces derniers rencontraient chacun des ministres désignés pour modifier les critères énoncés dans le décret. Le ministre David Crombie a affirmé qu'il ordonnerait aux fonctionnaires de faire modifier le décret initial.

[27]     Elle a renvoyé à une note de service de P. McDowell adressée à D. Goodwin en date du 27 mai 1985[11]. Il s'agit du document sur lequel on s'est appuyé pour signaler que le libellé des exigences devait être modifié et qu'il fallait dorénavant employer les termes [TRADUCTION] « descendance indienne » . Le ministre Crombie devait ordonner que cette mesure soit prise même si la note de service émanait de P. McDowell, adjoint exécutif du Cabinet du ministre. Le ministre Crombie a pris cet engagement au cours de la réunion, mais on n'y a jamais donné suite.

[28]     Le ministre Valcourt a pris le même engagement. Il n'a pas été respecté. Seul l'appelant a été exclu de la liste de bande. Si les critères avaient été appliqués conformément au décret, elle aurait été exclue de la bande elle aussi.

[29]     Elle expose la position de la bande dans une lettre adressée au ministre Pierre Cadieux le 21 février 1990[12] et lui mentionne que l'appelant satisfait aux critères en matière d'appartenance à la bande. Les critères ont été modifiés uniquement pour faire en sorte que le nom de l'appelant soit supprimé par les fonctionnaires. Cette mesure visait l'appelant à titre personnel et allait à l'encontre de la position de la bande.

[30]     Elle précise qu'un grand nombre de personnes vivant aux États-Unis sont néanmoins membres d'une bande au Canada, bien que de telles personnes ne puissent être membres de la bande de Conne River. On a signalé au ministre que, si les critères étaient appliqués à tous, de nombreuses personnes autres que l'appelant ne pourraient remplir les conditions applicables pour être membres de la bande.

[31]     Si une personne n'est pas inscrite comme membre de la bande de Conne River, elle ne peut se prévaloir d'aucun des droits conférés aux membres. Elle ne peut être propriétaire de biens immobiliers ni recevoir des services de la bande.

[32]     Pendant le contre-interrogatoire, elle a déclaré qu'elle n'avait rencontré aucune personne appartenant au peuple de l'appelant. Elle n'était satisfaite ni du premier décret ni du second. Selon elle, ce sont les bandes qui décident des noms devant figurer sur leur liste de membres, mais elle ne savait pas si la bande de Conne River avait appliqué cette mesure. À sa connaissance, nul autre que l'appelant ne se trouvait dans la situation où son nom ne figurait pas sur la liste de bande de Conne River alors qu'il aurait souhaité qu'il y soit consigné.

[33]     Au cours du réinterrogatoire, elle a affirmé que les listes étaient dressées par le comité. Ces listes étaient ensuite envoyées au chef et au conseil, puis elles étaient enfin présentées à l'assemblée annuelle.

[34]     Dans son témoignage, Michael G. Wetzel a mentionné qu'il vit à Conne River (Terre-Neuve) et qu'il est avocat. Il est de descendance shawnee. En 1970, il s'est rendu à Terre-Neuve pour effectuer des travaux de recherche dans le cadre d'études supérieures à la Memorial University. En 1972, il était au service du Congrès des Peuples Autochtones et il était chargé d'organiser tous les comités d'autochtones de Terre-Neuve-et-Labrador. Conne River faisait l'objet de l'un de ces comités.

[35]     Il a ouvert un cabinet à Terre-Neuve. En 1974, il travaillait exclusivement au projet de Conne River. Il est marié et il réside toujours à Conne River. À cette époque, il n'y avait aucune bande à Terre-Neuve et aucun service n'était offert parce que le gouvernement fédéral avait décidé de ne pas appliquer la Loi sur les Indiens dans cette province. Lui et d'autres personnes se sont adressées à Warren Allmand, qui était alors ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, et il a mis sur pied le comité consultatif de Conne River.

[36]     En 1979, le rapport était terminé. C'est M. Faulkner qui était ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien à ce moment. Il a affirmé qu'il prendrait des mesures. Puis le gouvernement a changé et Jake Epp est devenu ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Ce dernier a également affirmé qu'il donnerait suite aux recommandations du comité et qu'il procéderait à l'enregistrement de la bande.

[37]     Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien s'est engagé à former un comité de l'effectif de la bande à Conne River afin d'établir les critères applicables pour devenir membre[13]. Son nom, celui de son épouse et de son fils figuraient sur la liste des membres. Les critères ont été approuvés[14].

[38]     On a engagé un consultant chargé de retracer la descendance des résidents. On a demandé à l'appelant de fournir une preuve de sa descendance et son père a signé un affidavit qui a été remis au comité. Cet affidavit a subséquemment été perdu, mais il a demandé à son père d'établir un nouvel affidavit, ce qu'il a fait[15].

[39]     Les recommandations du comité ont suivi leur cours. Les hauts fonctionnaires du ministère éprouvaient une très grande réticence face à l'enregistrement de la bande.

[40]     En 1980, le comité a formulé des recommandations relatives à l'enregistrement de la bande de Conne River à l'aide des critères convenus et a établi un projet de liste des membres de la bande. On n'y a jamais donné suite en 1980[16].

[41]     On lui a dit que M. Goodman allait lui régler son compte. Certains documents du Cabinet[17] montraient qu'au moment de la création de la bande de Conne River, un des critères exigeait que les membres soient « de descendance micmaque canadienne » . Cela signifiait qu'il n'était pas admissible. De nombreuses autres personnes étaient troublées parce qu'elles ne seraient pas admissibles. Il a renvoyé à la page 9 du document du Cabinet et a affirmé que les raisons de politique qui y étaient mentionnées le visaient « lui » .

[42]     Il ne conteste ni la Loi de l'impôt sur le revenu ni la Loi sur les Indiens; il invoque seulement les articles 15 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ). Il n'a pas payé ses impôts en 1988. Dans le cadre de chacune des oppositions qu'il a produites depuis 1986, une lettre analogue à celle touchant son année d'imposition 1994[18] a été envoyée relativement à la déclaration pour chaque année visée. Cette lettre était envoyée avant l'établissement de la cotisation, mais il considérait néanmoins qu'elle tenait lieu d'opposition aux cotisations.

[43]     Quant à l'année 1987, il n'a reçu aucune ratification et aucun avis d'appel n'était donc nécessaire. Il a déclaré avoir produit un avis d'appel pour l'année 1994[19] (bien qu'il n'y ait pas trace de cet avis au dossier). Un avis d'appel valable a également été déposé en 1995. En 1993, il s'est fié à la promesse du ministre selon laquelle il serait rétabli comme membre de la bande et qu'il serait inutile de faire appel. Rien ne justifiait la production d'un appel.

[44]     Il s'est souvenu avoir été présent lors de l'interrogatoire préalable d'un certain Joe Leask, alors directeur général de Réserves et fiducies, lequel a affirmé sous serment que l'expression « descendance micmaque canadienne » ne pouvait être employée.

[45]     M. Valcourt devait vérifier pourquoi son nom n'avait pas été ajouté à la liste des membres de la bande[20]. Selon les notes d'information du ministre d'État, M. Crombie s'est engagé à modifier le décret de sorte qu'on y emploie les termes [TRADUCTION] « descendance indienne » [21] et on a par la suite fait mention de cet engagement dans une lettre de Tom Sidden datée du 11 mai 1990[22].

[46]     Pendant le contre-interrogatoire, il a admis qu'il n'était pas de descendance indienne canadienne. Il a déclaré que son père était décédé ce printemps. Il existe un système d'enregistrement aux États-Unis.

[47]     En son nom et en celui de tous les membres de la bande, monsieur LeBlanc a produit une opposition en 1985. (On a toutefois signalé que le document sur lequel il s'appuyait à cet égard ne faisait pas état d'une cotisation, mais uniquement d'un décret de remise visant 1985 et 1986.) Un avis d'appel (procédure informelle) a été produit relativement à 1984, 1985 et 1986, mais il ne faisait pas mention de 1994[23]. Il a affirmé que les années 1985 à 1995 font l'objet d'un appel.

[48]     L'intimée a appelé l'agent des appels, Ford Hayden, à témoigner uniquement pour permettre à l'appelant de le contre-interroger. Il a déclaré qu'il travaillait pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ) depuis 24 ans, dont onze passés aux Appels. Il connaissait les dossiers tenus par l'ADRC. Il ne savait pas pendant combien de temps l'ADRC conservait les dossiers. Il n'avait pas les déclarations de l'appelant pour 1985 et 1986. Selon lui, aucune opposition n'avait été produite pour ces années. Il n'a pas vérifié dans le dossier de la bande de Conne River. Il ne disposait d'aucun autre renseignement. Personne ne lui a demandé de chercher le dossier de la bande de Conne River. Entre 1986 et 1993, des ajustements ont été faits dans le cadre du dossier Équité. Pour qu'un avis d'appel soit valable, il doit renvoyer à un avis de cotisation donné.

[49]     En réponse à une question posée par l'avocat de l'intimée, il a affirmé que, s'il existait un dossier pour l'ensemble du groupe, ce dossier figurerait également sous le nom de chacun des membres du groupe.

Observations faites pour le compte de l'appelant

[50]     Selon l'appelant, la seule question dont la Cour est saisie est celle de savoir s'il y a application de la Charte des droits et libertés en l'espèce. Il ne conteste pas la législation, mais seulement l'effet du décret. En mars 2000, lorsqu'il a payé les droits de dépôt de 100 $, il a mentionné à la Cour qu'il souhaitait obtenir la communication de la preuve et il a soulevé un argument fondé sur l'article 15 relativement aux cotisations pour 1988, 1994 et 1995 et aux années 1985 et 1986.

[51]     En ce qui a trait à la preuve documentaire qu'il a présentée, il a précisé qu'il s'agissait de documents établis dans le cours normal des affaires et qu'ils devaient être reçus en preuve sans qu'il soit nécessaire d'appeler leur auteur à témoigner.

[52]     Le gouvernement a envers lui une obligation de fiduciaire. Plusieurs ministres lui ont assuré que certains des critères allaient être soumis au Cabinet. Certains fonctionnaires sont intervenus pour faire en sorte que lui seul soit exclu de la liste de bande. Il a été exclu alors que personne d'autre ne l'a été. Il a donc fait l'objet d'un traitement inégal.

[53]     Certains renseignements communiqués au gouverneur en conseil ont fait en sorte qu'un décret l'excluant de la liste de bande soit pris. Il a renvoyé à la décision Wewaykum Indian Band Canada, [2003] l C.N.L.R. 341, à la page 363, pour avancer que la solution à son problème ne tient pas à la rectification du décret, mais bien aux règles de droit relatives à l'obligation de fiduciaire qu'a le gouvernement envers la bande. Il a fait valoir qu'en l'excluant de la liste de bande, le gouvernement a manqué à son obligation de fiduciaire tant envers lui qu'envers d'autres, bien que le décret n'ait été appliqué qu'à son endroit. Il est le seul à avoir été omis de la liste. À cause de ce manquement, il a dû payer des impôts.

[54]     Le traitement qu'on lui a réservé constitue une violation des droits qui lui sont garantis par l'article 15 de la Charte. Son droit à un traitement égal n'a pas été respecté lorsque le gouverneur en conseil a reçu des renseignements inexacts visant à l'exclure de la liste. Il a été privé de l'avantage que constitue l'exonération fiscale.

[55]     Il a invoqué les décisions Brant v. Minister of National Revenue, 92 DTC 02274, et Mercier v. Minister of National Revenue, 92 DTC 1681. Selon lui, la Cour canadienne de l'impôt a compétence pour statuer sur la question de la violation de la Charte. Il a renvoyé à l'arrêt Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que le gouverneur en conseil ne peut offenser un groupe ou un particulier et porter atteinte à leurs droits garantis par la Charte. C'est ce qui s'est produit en l'espèce. La Cour canadienne de l'impôt a compétence pour annuler la cotisation sur ce fondement.

[56]     Il a en outre invoqué la préclusion et affirmé qu'on lui avait promis qu'il serait un membre de la bande et que le décret serait modifié en conséquence. Si cette promesse avait été respectée, il n'aurait pas eu à payer des impôts. Il a subi un préjudice du fait que le ministre a pris un décret empêchant son nom de figurer sur la liste des membres de la bande.

[57]     Il a renvoyé à la décision Taylor v. Canada, [1995] A.C.I. no 414, au paragraphe 19, où il est question de la préclusion promissoire. Il a déclaré que les exigences qui y sont énoncées ont été remplies en l'espèce. Il a également renvoyé à l'arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 816, pour affirmer que les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien avec lesquels il traitait avaient la compétence nécessaire pour lier la Couronne et que c'est bien ce qu'ils ont fait lorsqu'ils lui ont promis de modifier le décret pour y employer l'expression [TRADUCTION] « descendance indienne » . Le gouverneur en conseil était lié par les engagements pris par les ministres Munroe et Faulkner, entre autres.

[58]     Quant aux cotisations elles-mêmes, il aurait eu droit à plus de crédits qu'il n'en fallait pour compenser les sommes que lui réclame le ministre.

[59]     L'appel devrait être accueilli avec dépens et les cotisations devraient être annulées pour les années 1988, 1994 et 1995.

[60]     Par suite du manquement à l'obligation de fiduciaire, on a porté atteinte à ses droits à l'égalité. Il a droit à une réparation convenable. Il y a eu violation des droits qui lui sont garantis par l'article 15.

Observations faites pour le compte de l'intimée

[61]     Selon l'avocat, il s'agit d'un appel interjeté à l'égard d'une cotisation d'impôt. Seules les années 1994 et 1995 font régulièrement l'objet de l'appel. Les autres années ne sont pas visées par l'appel et l'affidavit produit règle cette question.

[62]     La disposition applicable de la Loi de l'impôt sur le revenu est l'alinéa 81(1)a), lequel prévoit l'exonération des particuliers qui relèvent de la Loi sur les Indiens. L'article 87 de la Loi sur les Indiens soustrait les Indiens à l'assujettissement à une taxation. La question consiste tout simplement à savoir si l'appelant était ou non un Indien au sens de la Loi sur les Indiens pendant les années en cause. L'article 6 de ce texte législatif confère à certaines personnes le droit d'être inscrites. L'appelant doit devenir membre de la bande suivant le décret pour se prévaloir de l'exonération. Or, il ne satisfait pas aux modalités fixées par le décret. Il n'est pas un Indien et il n'a donc pas droit à l'exonération.

[63]     En ce qui concerne l'argument touchant l'obligation de fiduciaire, le gouvernement n'assumait aucune obligation de cette nature envers l'appelant puisque ce dernier n'était pas un Indien. La Cour canadienne de l'impôt n'est pas un tribunal d'equity. L'obligation de fiduciaire est une obligation en equity et toute réparation accordée à ce titre constitue une mesure de redressement en equity. La Cour ne peut prononcer aucune réparation de ce genre.

[64]     Quant à l'argument relatif à la préclusion, il s'agit également d'une prétention fondée sur l'equity et n'importe quelle réparation demandée à cet égard constitue un redressement en equity. Or, ce redressement ne peut être obtenu ici.

L'argument relatif à l'égalité fondé l'article 15

[65]     Avis doit être donné selon l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale avant que la Cour puisse invalider, en tout ou en partie, un texte législatif. Même si l'appelant affirme qu'il ne tente nullement de faire invalider une quelconque partie de la Loi, ce n'en est pas moins ce qu'il demande. Le décret doit être écarté pour que l'appelant puisse obtenir le redressement qu'il réclame.

[66]     Dans l'affaire Mercier, précitée, l'appelant contestait une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[67]     Pour accueillir une quelconque demande fondée sur l'article 15, la Cour devrait faire fi du décret. Or, si elle agissait ainsi, il n'y aurait pas de décret. L'appelant ne serait toujours pas membre de la bande. Il ne serait toujours pas visé par l'exonération. La Cour ne peut « ajouter » une telle réparation. Elle ne peut modifier le texte législatif. Peu importe le redressement applicable, le cas échéant, il ne peut être accordé par la Cour.

[68]     L'appelant a invoqué l'arrêt Ross River, précité, pour avancer qu'un ministre est habilité à lier le gouverneur en conseil. Cet arrêt ne permet pas d'affirmer une telle chose. Dans cette affaire, on avait promis de mettre des terres de côté et il s'agissait de savoir si ces terres avaient la qualité de réserve. Les fonctionnaires avec lesquels l'appelant avait traité n'avaient pas le pouvoir de lier la Couronne. Ce pouvoir précis n'avait pas été conféré. C'est le gouverneur en conseil qui était titulaire de ce pouvoir. Le gouverneur en conseil ne pouvait être lié par ces promesses. Si la Cour invalidait le décret, cela entraînerait un vide qui ne serait d'aucune utilité pour l'appelant. Le décret constitue la loi du pays. La Cour ne peut statuer sur ces arguments. Il s'agit en l'espèce d'une affaire en matière fiscale. Même si les arguments fondés sur la Charte étaient régulièrement présentés à la Cour, et ils ne le sont pas, cette dernière n'aurait d'autre choix que de ne pas tenir compte de la loi, c'est-à-dire le décret, et elle ne serait d'aucune aide à l'appelant.

[69]     Quant à l'exactitude de l'état de compte, la Cour a compétence pour ordonner l'établissement d'un état montrant quelle somme a été versée et quelle somme est présumée exigible. La Couronne est disposée à préparer un tel document. L'appel devrait par ailleurs être rejeté. Si l'appelant obtient gain de cause, seuls les dépens applicables au plaideur qui se représente lui-même devraient être accordés.

[70]     En contre-preuve, l'appelant a affirmé qu'il ne demande pas un redressement en equity. Il ne souhaite pas non plus qu'une quelconque disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu soit déclarée invalide. Il réclame uniquement une mesure de redressement fondée sur l'article 15. Il existe une réparation prévue au paragraphe 24(1), comme il ressort de l'arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, au paragraphe 7. Il est important que la Cour adapte la réparation. On a porté atteinte à ses droits à l'égalité.

[71]     Il a renvoyé à un ouvrage intitulé Native Law[24]. On y fait mention d'un membre américain de la bande de St. Regis, bande qui chevauche les frontières canadienne et américaine et dont les membres sont également connus comme les Mohawks d'Akwasasne. Ce membre américain était toujours un Indien au sens de la Loi sur les Indiens[25].

Analyse et décision

[72]     Dans les présents appels, la Cour doit d'abord se demander quelles sont les années dont elle est régulièrement saisie. En définitive, l'appelant a soutenu que la Cour était saisie de toutes les années allant de 1985 à 1995. À cet égard, il s'est appuyé sur diverses lettres qu'il a adressées au ministre pendant toute cette période au cours de laquelle il soutient avoir contesté chacun des avis de cotisation qui lui ont été envoyés depuis 1985. Cependant, la Cour est convaincue que l'appelant ne peut réussir sur ce point puisque ces lettres n'équivalent pas à des avis d'appel valables, même si l'appelant a peut-être précisé à l'intimée qu'il contestait les cotisations ainsi que l'idée générale de payer de l'impôt alors qu'il s'estimait exonéré de cette obligation. La Cour est persuadée que ces diverses lettres de même que l'assertion de l'appelant selon laquelle il conteste le fait d'avoir à payer des impôts ne peuvent être assimilées à des avis d'appel valables.

[73]     Initialement, l'avocat de l'intimée a soutenu que seule l'année 1995 était régulièrement visée par l'appel. Toutefois, au moment du débat, il était disposé à convenir que l'année 1994 l'était aussi. Il semble qu'il ait été convaincu au cours de l'instruction, après avoir examiné certains documents, que la Cour est en outre légitimement saisie de l'année 1994.

[74]     La Cour est persuadée que les années 1994 et 1995 sont régulièrement visées par l'appel. En revanche, la Cour est convaincue qu'elle n'est pas légitimement saisie de l'année 1988 et des autres années susmentionnées. Lorsqu'une nouvelle cotisation a été établie, à la demande de l'appelant, sous le régime des dispositions d'équité et qu'il a obtenu une exonération au titre du montant pour conjoint avant l'établissement de la nouvelle cotisation le 1er septembre 1995, on lui a sans équivoque précisé qu'aucun avis d'opposition ne pouvait être produit relativement à la nouvelle cotisation pour l'année 1988. Le ministre a fait valoir que la Cour n'est pas légitimement saisie de cet appel et la Cour est convaincue qu'il a raison.

[75]     Par conséquent, les appels visant l'année 1988 et les autres années, à l'exception de 1994 et de 1995, sont rejetés et les cotisations établies par le ministre en ce qui les concerne sont ratifiées.

[76]     La question subsidiaire soulevée en l'espèce touche à l'allégation de l'appelant selon laquelle, peu importe l'issue de la présente décision, il ne doit rien au ministre puisqu'il lui a remis des fonds suffisants pour couvrir tout déficit éventuel, même s'il est débouté. À la fin du débat, l'avocat de l'intimée ne s'opposait pas à ce que la Cour ordonne qu'un état de compte soit établi à l'intention de l'appelant et la Cour estime que cette mesure est convenable.

[77]     La Cour ordonne que l'intimée prépare à l'intention de l'appelant un état de compte pour les années en cause qui montre les sommes exigibles de l'appelant selon le ministre, qui précise tous les crédits auxquels l'appelant avait droit pendant la période en litige et qui fournit à ce dernier des renseignements suffisants pour lui permettre, de façon raisonnable, de constater les sommes présumées exigibles, les intérêts exigés ainsi que les sommes qu'il a versées au ministre sous forme d'un crédit; un état de compte qui lui permette donc de déterminer la somme encore exigible et les éléments sur lesquels elle repose.

[78]     Il reste donc à examiner la validité des cotisations établies pour les années 1994 et 1995. La Cour ne peut accorder à l'appelant toutes les réparations qu'il demande puisqu'elle n'a pas compétence pour ce faire. La Cour est en revanche convaincue qu'elle est compétente pour se prononcer sur la validité des cotisations établies pour les années 1994 et 1995. La seule réparation que la Cour peut accorder consisterait à annuler les cotisations visant ces années et à adjuger les dépens à l'appelant. Pour l'essentiel, l'appelant a demandé à la Cour d'annuler les cotisations établies pour les années 1994 et 1995 au motif qu'il y a eu atteinte à ses droits garantis par la Charte.

[79]     L'appelant a précisé sans équivoque qu'il ne conteste pas la loi, c.-à-d. la Loi de l'impôt sur le revenu, ni aucun autre texte législatif, mais uniquement le décret qui a eu pour effet de l'empêcher de devenir membre de la bande de Conne River, situation qui, à son tour, l'a empêché de bénéficier des avantages liés au fait de se trouver sur la liste des membres de la bande. Si son nom avait figuré sur cette liste, il aurait été exonéré de payer des impôts relativement aux sommes gagnées sur la réserve, en conformité avec la Loi sur les Indiens[26]. Il invoque un argument fondé sur l'article 15 de la Charte. Il demande une réparation convenable suivant cette disposition, à savoir ce que la Cour estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[80]     L'appelant convient qu'il ne s'est pas conformé aux dispositions de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale. Il affirme qu'il n'y était pas tenu parce qu'il ne demande pas l'invalidation d'un texte législatif. Il avance simplement qu'on a porté atteinte aux droits qui lui sont garantis par la Charte et il tente d'obtenir une réparation convenable.

[81]     L'avocat de l'intimée soutient quant à lui que l'appelant s'est adressé au mauvais tribunal. Il tente d'obtenir de la Cour canadienne de l'impôt une réparation qu'elle n'est pas habilitée à accorder. Selon l'avocat de l'intimée, la Cour est simplement saisie de la question de savoir si l'appelant était ou non un Indien aux termes de la Loi sur les Indiens pendant les années visées. Le paragraphe 6 de la Loi sur les Indiens permet à certaines personnes d'être inscrites, mais l'appelant n'était pas un membre de la bande par l'effet du décret en cause et il n'avait donc pas droit à l'exonération. Il n'était tout bonnement pas un Indien et il ne pouvait donc se prévaloir de l'exonération.

[82]     Il a fait mention de l'argument fondé sur l'obligation de fiduciaire qu'a avancé l'appelant et a affirmé que cette obligation n'existait pas envers l'appelant puisqu'il n'était pas un Indien (suivant la Loi sur les Indiens). La Cour canadienne de l'impôt n'est pas un tribunal d'equity. L'obligation de fiduciaire est une obligation en equity et toute réparation accordée à ce titre constitue un redressement fondé sur l'equity. Or, la Cour ne peut accorder des réparations de cette nature.

[83]     Quant à l'argument relatif à la préclusion, il donne également lieu à un redressement fondé sur l'equity, réparation que la Cour ne peut accorder. Ce redressement ne peut être obtenu ici.

[84]     L'appelant devait donner un avis en application de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale pour habiliter la Cour à invalider, en tout ou en partie, un texte législatif. L'avocat a fait valoir qu'en réalité, l'appelant demandait l'invalidation d'un texte législatif (c.-à-d. le décret). À tout le moins, il demandait à la Cour de faire abstraction du décret pour lui accorder la réparation qu'il réclame. Cependant, même si la Cour décidait de ne pas tenir compte du décret, l'appelant n'en tirerait aucun bénéfice puisqu'il ne serait toujours pas membre de la bande et qu'il ne pourrait obtenir la réparation qu'il demande. Il faudrait pour cela modifier la loi, ce que la Cour n'est pas habilitée à faire. Aucun des redressements applicables, le cas échéant, ne peut être accordé par la Cour.

[85]     La Cour ne peut souscrire à ces arguments. Elle convient plutôt avec l'appelant qu'il n'était pas lié par les dispositions de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour est convaincue qu'il ne tente de faire invalider, en tout ou en partie, ni la Loi de l'impôt sur le revenu, ni la Loi sur les Indiens, ni l'un ou l'autre des décrets. Comme il ne tente pas de faire déclarer un texte législatif invalide ou sans effet ou d'y faire ajouter une quelconque disposition ayant pour effet de modifier le texte législatif en cause, il n'est donc pas assujetti aux exigences prévues par l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale.

[86]     Pour l'essentiel, l'appelant demande réparation sous le régime de la Charte. La Cour n'est saisie que d'une seule question : L'appelant a-t-il présenté les faits nécessaires pour permettre à la Cour d'accorder une réparation fondée sur la Charte?

[87]     La présente affaire a été introduite dans le cadre de la procédure informelle et la Cour doit tenir compte des dispositions de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt [Lois révisées du Canada, 1985, chapitre T-2, paragraphe 18(4)]. Lorsqu'elle instruit un appel en application de cette disposition, la Cour n'est liée par aucune règle juridique ou technique en matière de preuve au moment de tenir une audience pour l'application de la Loi, et elle peut entendre ces appels d'une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent. Cette disposition a été invoquée par l'avocat de l'appelant et n'a pas été sérieusement contestée par l'avocat de l'intimée, lequel était disposé à accepter la production des divers éléments de preuve, y compris les pièces justificatives, en vue de leur admission en preuve, sous réserve de leur valeur probante et de leur pertinence. La Cour n'a pas oublié ce point lorsqu'elle a apprécié les témoignages de vive voix et la preuve documentaire.

[88]     Il est ressorti sans équivoque de la façon dont l'avocat de l'intimée a répondu au présent appel qu'il était convaincu que l'appelant avait probablement fait l'objet d'une certaine injustice en l'espèce. Si la Cour a bien compris ce qu'il insinuait dans ses observations, l'appelant devrait, selon lui, obtenir une certaine réparation, mais il soutient que celle-ci ne peut être accordée par la Cour canadienne de l'impôt.

[89]     Les parties savaient toutes deux que l'appelant pouvait, en application de l'article 14.2 de la Loi sur les Indiens, formuler une protestation auprès du registraire contre l'omission de son nom du registre des Indiens ou contre l'omission ou le retranchement de son nom de la liste de bande tenue sous le régime de ce texte législatif. Toutefois, il va sans dire que, depuis le moment où on a envisagé de former la bande, de nombreux changements sont survenus sur la réserve elle-même en ce qui concerne son organe de direction; de nombreuses personnalités ont changé; l'appelant lui-même peut bien avoir suscité une certaine opposition au sein des membres de la bande en tentant de faire ajouter son nom à la liste et il n'était pas pratique pour lui de formuler une protestation auprès du registraire comme il est prévu dans cette disposition. En outre, comme une guerre de pouvoir a sévi sur la réserve pendant un certain nombre d'années et comme la direction a changé, il est fort possible que de nombreuses personnes qui auraient par ailleurs soutenu la position de l'appelant aient fait volte face et aient choisi, puisque leur nom figurait à la liste, de ne pas « faire de vagues » .

[90]     Il ne fait aucun doute que la Cour n'a pas compétence pour décider si l'appelant est un « Indien » au sens de la Loi sur les Indiens et elle ne tentera pas de le faire. La Cour est convaincue que, pendant la période pertinente, l'appelant n'était pas inscrit à titre d'Indien au sens de l'article 2 de la Loi sur les Indiens. En revanche, la question de savoir s'il avait le droit d'être inscrit est à la base de son argument voulant qu'il y ait eu, en définitive, violation des droits qui lui sont garantis par la Charte lorsqu'on a omis d'inclure son nom dans la liste des membres de la bande.

[91]     Le témoignage de l'appelant lui-même tout comme celui des autres personnes appelées à témoigner pour son compte ont fait grande impression sur la Cour. Ils avaient tous une connaissance approfondie de l'histoire de la bande de Conne River, de ses personnalités, des tentatives visant la création de la réserve et des divers changements survenus en ce qui touche les critères en matière d'appartenance à la bande, lesquels ont finalement été fixés dans le décret pris le 2 novembre 1989 et se trouvent au coeur du présent appel.

[92]     De plus, l'appelant était à l'avant-plan des tentatives pour organiser la bande, pour la faire enregistrer et pour voir à sa création; il était en communication étroite, et parfois même personnelle, avec plusieurs ministres de la Couronne agissant en leur qualité de ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ainsi qu'avec un grand nombre de fonctionnaires. Il ressort sans équivoque des témoignages de vive voix, de l'examen de la preuve documentaire et des inférences légitimes que la Cour peut tirer de ces deux sources de preuve, que l'appelant a dès le départ rencontré une vive opposition lorsqu'il a tenté d'organiser les bandes de Terre-Neuve-et-Labrador, de créer la bande de Conne River et d'établir la liste des personnes dont le nom devait figurer à la liste de bande.

[93]     L'opposition ne paraît pas avoir été le fait des ministres, mais la Cour ne peut s'empêcher de conclure que des fonctionnaires haut placés ont fait des efforts délibérés pour que le nom de l'appelant et ceux des membres de sa famille ne soient pas ajoutés à la liste de bande. Il semble que ce comportement avait uniquement pour objet de punir l'appelant d'avoir confronté les fonctionnaires et d'avoir agi avec autant de détermination dans ses tentatives pour obtenir la création de la bande. De toute évidence, il a [TRADUCTION] « marché sur les pieds de bien des gens et joué les fauteurs de troubles » en cours de route. Manifestement, plusieurs fonctionnaires se sont offusqués de ce comportement et n'ont pas caché qu'ils allaient lui régler son compte. Pas moins de trois témoins ont déposé en ce sens.

[94]     Marilyn John a eu cet aveu étonnant : même si son nom figurait sur la liste, elle en aurait été exclue si les critères avaient été appliqués à son endroit. La Cour conclut de son témoignage que, si les critères fixés pour devenir membre de la bande comprenaient le fait d'être « de descendance micmaque canadienne » ou « de descendance indienne canadienne » , de nombreuses personnes étaient touchées et leur nom n'aurait pas dû figurer sur la liste. Or, seul le nom de l'appelant a été exclu de la liste sur le fondement de ce dernier critère.

[95]     Il ne faisait aucun doute dans l'esprit de Marilyn John que le ministre David Crombie avait affirmé qu'il ordonnerait aux fonctionnaires de faire modifier le décret initial pour qu'on y emploie l'expression [TRADUCTION] « de descendance indienne » . Elle a mentionné que le ministre David Crombie et le ministre Valcourt avaient pris le même engagement malgré l'opposition des fonctionnaires. Cet engagement n'a jamais été respecté.

[96]     Monsieur le juge Richard LeBlanc était aussi un témoin très bien informé des événements qui ont mené à la prise du décret touchant la bande de Conne River puisqu'il agissait comme avocat de la bande indienne de Miawpukek. Il a travaillé avec l'appelant, le chef Michael Joe et Marilyn John relativement à diverses questions, dont l'enregistrement des Indiens de Conne River à titre de réserve. À sa connaissance, on avait recommandé que le nom de l'appelant soit ajouté à la liste de bande, et le ministre avait approuvé cet ajout. Il a conclu que la décision de conserver l'expression « de descendance indienne canadienne » avait été prise uniquement pour exclure l'appelant de la liste.

[97]     Pendant son contre-interrogatoire, il a confirmé qu'une personne au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadienlui avait dit que les termes « de descendance indienne canadienne » avaient été employés en remplacement de l'expression antérieure pour faire en sorte que le nom de l'appelant ne figure pas sur la liste des membres de la réserve de Conne River. Il savait que l'appelant s'était fait des ennemis au sein du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[98]     Michael Wetzel a fait écho au témoignage rendu par les deux témoins précédents. À son avis, il est évident qu'une fois la recommandation du comité présentée, les hauts fonctionnaires du ministère ont manifesté une très grande résistance face à l'enregistrement de la bande. Il s'est fait dire que M. Goodman allait lui régler son compte et, selon lui, cet objectif a été atteint lorsque le critère a été modifié de manière à prévoir l'expression « descendance micmaque canadienne » .

[99]     L'avocat de l'intimée n'a pas contesté de façon très vive les allégations avancées par l'appelant, par monsieur le juge Richard LeBlanc et par Marilyn John. Tous ces témoignages corroborent les assertions de l'appelant relatives au traitement que lui ont réservé les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. L'avocat de l'intimée était disposé à admettre qu'il paraissait y avoir quelque chose de louche dans la façon dont l'appelant a été traité, mais il a soutenu que ce dernier s'était adressé au mauvais tribunal et que, pour l'essentiel, il tentait de faire annuler un texte législatif. L'appelant tente d'obtenir une réparation fondée sur l'equity alors que la Cour n'est pas habilitée à accorder ce genre de redressement.

[100] Pour l'essentiel, l'appelant a présenté trois arguments différents à l'appui de sa demande d'annulation des cotisations. Les voici :

1.        Obligation de fiduciaire;

2.        Préclusion;

3.        Violation des droits qui lui sont garantis par l'article 15 de la Charte et de son droit à une réparation convenable, fondée sur l'article 24, au titre de cette violation.

[101] Quant à l'argument relatif à l'obligation de fiduciaire, la Cour ne croit pas qu'il s'applique aux faits en l'espèce. Elle est convaincue que l'argument présenté par l'avocat de l'intimée sur ce point est valide. Pour que ce principe s'applique à l'appelant, il aurait fallu que ce dernier soit un membre de la bande et ce n'est pas le cas. En réalité, l'argument de l'appelant repose principalement sur le fait que, comme il n'est pas membre de la bande, il a subi des pertes qui sont attribuables à la violation des droits qui lui sont garantis par la Charte. Par conséquent, il est difficile pour la Cour de voir comment il pourrait invoquer un argument fondé sur l'obligation de fiduciaire.

[102] En ce qui a trait à l'argument touchant la préclusion, la Cour est persuadée que cette notion ne s'applique pas en l'espèce. Quoi qu'il en soit, la préclusion ne peut l'emporter sur la loi du pays. La Cour est convaincue que les facteurs fondamentaux donnant lieu à la préclusion sont absents en l'espèce. En réalité, l'appelant demande à la Cour d'empêcher le ministre de s'appuyer sur les dispositions législatives qui procèdent du décret énonçant les critères qu'une personne doit respecter pour que son nom figure sur la liste des membres de la bande. La Cour ne peut donner suite à cette demande.

[103] Reste à examiner la question plus importante et plus épineuse de savoir s'il y a eu atteinte aux droits de l'appelant fondés sur la Charte et, dans l'affirmative, s'il existe une réparation convenable.

[104] L'avocat de l'intimée a soutenu qu'au fond, la Cour doit se demander si l'appelant était un Indien sous le régime de la Loi sur les Indiens pendant les années en cause. La Cour n'accepte pas cet argument. Manifestement, l'appelant n'était pas un membre de la bande puisque son nom ne se trouvait pas sur la liste définitive des membres de la bande et que, selon les critères prévus, il ne pouvait devenir membre de celle-ci. Toutefois, cela ne met pas fin à l'examen de la Cour. En effet, elle doit encore se demander s'il y a eu violation des droits qui sont garantis à l'appelant par la Charte et, le cas échéant, s'il existe une réparation convenable.

[105] La Cour est convaincue que l'appelant ne tente pas de faire invalider un texte législatif fédéral et qu'il n'était pas obligé de donner un avis en application de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale pour permettre à la Cour de se pencher sur son argument fondé sur la Charte. Elle est en outre persuadée que, si l'appelant souhaite qu'elle fasse abstraction de ce texte législatif, elle ne peut le faire. Elle souscrit d'ailleurs aux observations formulées par l'avocat de l'intimée voulant que, de toute manière, le fait de ne pas tenir compte de ce texte législatif n'aide en rien l'appelant. Cependant, la Cour n'est pas d'accord avec l'avocat de l'intimée lorsqu'il affirme que, pour accueillir la demande de l'appelant fondée sur l'article 15 de la Charte, le tribunal doit faire fi du décret. L'article 15 de la Charte n'exige pas que la Cour fasse abstraction d'un quelconque texte législatif pour pouvoir appliquer cette disposition, laquelle est rédigée de la façon suivante :

15.(1)    La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[106] Pour appliquer la Charte à la situation de fait dans laquelle se trouve l'appelant, la Cour doit lire cette disposition à la lumière du paragraphe 24(1), dont voici le texte :

24.(1)    Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[107] Rien n'oblige la Cour à invalider un quelconque texte législatif. La présente Cour a compétence en ce qui concerne la Loi de l'impôt sur le revenu et les cotisations établies en application de celle-ci. Il va sans dire qu'à la lumière des faits en l'espèce, la Cour est saisie des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'appelant pour les années en cause. Il s'agit essentiellement d'examiner la validité de ces cotisations, ce qui relève précisément de la compétence de la Cour canadienne de l'impôt.

[108] Cette question a justement été examinée dans la décision O'Neill Motors Limited v. Her Majesty the Queen[27]. La Cour a porté cette affaire à l'attention des deux avocats, lesquels ont eu l'occasion de faire des observations sur la pertinence de cette décision en l'espèce. L'avocat de l'appelant a soutenu que cette décision s'applique, en ce sens qu'on y accorde la réparation que la Cour estimait convenable eu égard aux circonstances. L'avocat de l'intimée a quant à lui avancé que cette décision n'aide pas l'appelant parce que ce dernier n'a pas précisé les divers éléments qui doivent être mis en preuve pour établir le bien-fondé de la demande, c.-à-d. qu'il a omis de préciser le fondement de la présumée violation, ce qui empêche l'intimée de répondre aux allégations.

[109] Dans la décision O'Neill Motors Limited, précitée, l'avocat du contribuable a demandé qu'il soit statué sur la question de droit suivante :

Est-il convenable et juste eu égard aux circonstances, d'annuler les cotisations d'impôt visées par ce renvoi en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés(la « Charte » )?

La Cour est saisie de la même question en l'espèce.

[110] Il est exact que, dans cette affaire, la question intéressait une perquisition et une saisie illégales aux termes de l'article 231.3 de la Loi et que la Cour devait se demander si ces actes constituaient une atteinte aux droits garantis au contribuable par l'article 8 de la Charte. Cependant, les principes demeurent les mêmes et ils s'appliquent en l'espèce.

[111] Dans la décision O'Neill, précitée, à la page 1491, le juge Bowman renvoie à la décision The Queen et al. v. Lagiorgia[28], où le juge Hugessen mentionne ce qui suit :

Le paragraphe 24(1) impose à la Cour l'obligation d'accorder réparation de la violation des droits garantis par la Charte. Bien que les mots

... la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances,

laissent certes place à l'exercice d'un vaste pouvoir discrétionnaire, nous estimons qu'il s'agit là du pouvoir de choisir le redressement et non de celui de le refuser entièrement.

Le juge Bowman a déclaré :

Je conclus que, eu égard aux circonstances, il est convenable et juste d'annuler les cotisations fondées sur les éléments de preuve illégalement obtenus. Voici mes motifs :

(1)         Le paragraphe 24(1) de la Charteconfère à un tribunal compétent un « vaste pouvoir discrétionnaire » , pour reprendre l'expression utilisée dans l'arrêt TheQueen et al. v. Lagiorgia, (ci-dessus). De même, dans l'arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, le juge McIntyre a dit ceci, à la p. 965 :

Quelle réparation peut-on obtenir lorsqu'il est fait droit à une demande fondée sur le par. 24(1) de la Charte? Là encore le par. 24(1) n'apporte pas de réponse. Il ne fait que prévoir que l'appelant peut obtenir la réparation que le tribunal estime « convenable et juste eu égard aux circonstances » . Il est difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu. Ce large pouvoir discrétionnaire n'est tout simplement pas réductible à une espèce de formule obligatoire d'application générale à tous les cas, et les tribunaux d'appel ne sont nullement autorisés à s'approprier ce large pouvoir discrétionnaire ni à en restreindre la portée.

[112] Il ajoute ce qui suit :

Ici, encore, je dois choisir une réparation convenable et juste. Il est certain que cette cour est un tribunal compétent. (Mills c. La Reine, (ci-dessus)).

La Cour, en application du paragraphe 24(1) de la Charte, a finalement annulé les cotisations visées.

[113] L'arrêt Schachterc. Canada[29] s'applique à la présente affaire. Il précise que le paragraphe 24(1) prévoit une réparation individuelle pour la personne dont les droits ont été violés lorsque le texte législatif ou la disposition législative en cause ne sont pas en soi inconstitutionnels, mais qu'un acte accompli en application de ce texte ou de cette disposition porte atteinte aux droits garantis par la Charte. C'est le cas en l'espèce.

[114] L'avocat de l'intimée a affirmé que l'arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada[30] n'aide pas l'appelant parce que les autorités avec lesquelles ce dernier a traité n'étaient pas habilitées à lier la Couronne. Or, la Cour est convaincue que cette assertion ne permet pas de répondre à la question posée. Il ne fait aucun doute que ces autorités ne pouvaient imposer au gouvernement l'obligation d'adopter une loi conformément aux engagements qu'elles avaient pris envers l'appelant ou n'importe qui d'autre, mais l'argument de l'appelant ne repose pas sur ce point. L'appelant soutient plutôt qu'il a été traité différemment d'autres personnes vivant sur la réserve et que les règles suivies pour décider que le nom d'autres personnes allait figurer à la liste des membres de la réserve n'ont pas été appliquées à son endroit. Le ministre a fixé des exigences plus rigoureuses pour décider que l'appelant et sa famille ne pouvaient être ajoutés à la liste des membres de la bande. C'est ce qui a donné lieu à de la discrimination et c'est sur cette violation de la Charte que l'appelant se fonde pour demander une réparation convenable.

[115] La Cour n'accepte pas les arguments avancés par l'avocat de l'intimée voulant que l'appelant n'ait pas précisé le fondement de la présumée atteinte à ses droits garantis par la Charte et que l'intimée se trouve dans l'impossibilité de répondre aux allégations d'une façon sensée.

[116] Dès le début, l'appelant a allégué que le ministre l'avait traité différemment des autres résidents de la réserve de Conne River et qu'il en avait subi des inconvénients considérables. L'appelant a témoigné à l'audience et a été contre-interrogé par l'intimée; aucune question ne lui a été posée sur ce point. L'appelant a présenté à la Cour des éléments de preuve suffisants pour la justifier de conclure qu'il faisait valoir que cette discrimination se fondait sur sa race et son origine nationale ou ethnique.

[117] Dans l'arrêt Law c. Canada, [1999] 1 R.C.S. 497, à la page 507, le juge Iacobucci mentionne :

L'article 15 de la Charte garantit à tous le droit à un traitement égal de la part de l'État, indépendamment de toute discrimination.

[118] Renvoyant à l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, en ce qui touche la bonne façon d'aborder le paragraphe 15(1), il a repris les observations formulées par le juge McIntyre, lequel a signalé qu'il serait inapproprié de tenter de restreindre l'analyse faite en vertu du paragraphe 15(1) à une « formule limitée et figée » . Il ajoute ce qui suit à la page 509 :

Conformément à la mise en garde du juge McIntyre dans Andrews, précité, je crois qu'il est logique de poser les principes fondamentaux qui sous-tendent le par. 15(1) en tant que lignes directrices à des fins d'analyse plutôt qu'en tant que critères stricts susceptibles d'êtres appliqués de façon automatique. L'analyse relative à l'égalité au sens de la Charte doit être faite en fonction de l'objet visé et du contexte. Les lignes directrices que j'expose plus loin sont précisément des points de référence conçus pour aider le tribunal à relever les facteurs contextuels pertinents dans le cadre d'une allégation de discrimination donnée et à évaluer l'effet de ces facteurs à la lumière de l'objet du par. 15(1).

[119] Tenant compte de ce qui précède, la Cour est convaincue, sur le fondement de la preuve présentée et des inférences raisonnables qu'elle peut en tirer, qu'il y a eu atteinte aux droits de l'appelant qui lui sont garantis par les articles 15 et 24 de la Charte. Il ressort sans équivoque de la preuve que d'autres personnes dont le nom figure sur la liste des membres de la bande ne satisfont pas aux critères fixés par le décret. Il est donc évident que l'appelant a été traité différemment de ces membres. Il est tout aussi évident, à la lumière de la preuve, qu'il a reçu un traitement différent parce qu'il avait offensé des fonctionnaires se trouvant dans une situation d'autorité au sein du ministère. La Cour est en outre persuadée que des personnes haut placées, y compris des ministres, ont assuré à l'appelant que les critères relatifs à l'appartenance à la bande seraient modifiés pour prévoir l'expression [TRADUCTION] « de descendance indienne » , et que l'appelant, comme il aurait respecté ces critères, aurait pu être inscrit sur la liste des membres de la bande, de la même façon qu'il se trouvait sur la liste initiale.

[120] Manifestement, l'appelant, dans ses tentatives pour organiser les diverses bandes de Terre-Neuve-et-Labrador et dans ses rapports avec des personnes occupant des postes importants au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a provoqué l'indignation de ces derniers. Ils ont donc souhaité lui régler son compte en trouvant un moyen quelconque de ne pas mettre son nom sur la liste de bande. De tout ce qui précède, la Cour peut conclure à la lumière de la preuve que l'appelant avait le droit de voir son nom consigné sur cette liste de bande. Son nom figurait sur la liste de bande initiale et on a en fin de compte libellé le décret de manière à empêcher qu'il soit traité de la même façon que tous les autres résidents « de descendance indienne » de la réserve de Conne River. Il s'agit d'une violation flagrante de ses droits fondés sur la Charte et il a droit à une réparation convenable.

[121] La Cour est convaincue que la réparation convenable en l'espèce consiste à annuler les cotisations établies pour les années 1994 et 1995.

[122] Les appels sont admis à cet égard et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il l'examine à nouveau et établisse de nouvelles cotisations compte tenu de la présente conclusion portant annulation des cotisations établies à l'égard de l'appelant pour les années 1994 et 1995. Cette ordonnance s'ajoute évidemment à celle déjà prononcée par la Cour quant au droit de l'appelant d'obtenir un état de compte, comme il est mentionné plus haut.

[123] De toute évidence, la présente décision ne mettra pas un terme à la situation peu satisfaisante dans laquelle se trouve l'appelant puisque la Cour ne peut ordonner que son nom soit ajouté à la liste des membres de la bande. La Loi sur les Indiens comporte une disposition permettant de rectifier cette erreur. L'appelant pourrait présenter une demande au registraire pour que son nom soit ajouté à cette liste, mais la Cour est convaincue qu'il ne s'agit peut-être pas d'un moyen pratique pour l'appelant à ce moment-ci, comme il a déjà été signalé dans les présents motifs du jugement. Il semble évident que le même problème se présentera de nouveau dans les années à venir : l'appelant pourrait faire l'objet d'une cotisation, produire une opposition, puis interjeter appel de la cotisation et les cotisations établies à son égard pourraient être annulées. L'appelant ne devrait pas avoir à se soumettre à tout ce processus chaque année. L'obliger à subir une telle situation constituerait une autre violation de ses droits garantis par la Charte.

[124] La Cour recommanderait que le ministre prenne un décret de remise en faveur de l'appelant pour toutes les années pendant lesquelles on aurait dû le considérer comme un membre de la bande et pendant lesquelles il aurait dû jouir des mêmes droits que ceux conférés à tous les autres membres de la bande.

[125] Il est intéressant de mentionner que le ministre avait initialement consenti à prendre un décret de remise, mais qu'il a par la suite changé d'idée. On peut présumer que la raison de ce revirement tient aux faits qui ont déjà été mis en preuve devant la Cour et que celle-ci a acceptés.

[126] La Cour se rend bien compte qu'elle n'a pas compétence pour ordonner au ministre de prendre cette mesure mais, eu égard aux circonstances, il lui semble que ce soit la seule voie raisonnable à suivre.

[127] En ce qui touche les dépens, la Cour admettrait normalement l'argument avancé par l'avocat de l'intimée mais, à la lumière de l'arrêt David Sherman c. Le ministre du Revenu national de la Cour d'appel fédérale, dossier A-387-02, 2004 CAF 29, il semble que ce ne soit pas le bon parti à prendre. Dans cette affaire, la Cour a refusé à l'appelant sa demande de dépens fondée sur son taux horaire habituel ou excédant le taux prévu par le tarif et a adjugé les dépens sur le fondement d'un « montant raisonnable » .

[128] La Cour paraît avoir souscrit à la thèse avancée par le greffier Roland de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Metzser c. Metzser, [2000] S.C.C.A. no 527, selon laquelle :

[...] le critère de « l'avocat raisonnablement compétent » [mentionné dans Bradshaw Construction Ltd. v. Bank of Nova Scotia (1991), 54 B.C.L.R. (2d) 309 (S.C.)] était impraticable lorsqu'il fallait évaluer les dépens spéciaux accordés à un plaideur qui n'était pas représenté par un avocat » , et que la seule approche raisonnable était de « les accorder selon le critère du quantum meruit » .

[129] La Cour estime que l'appelant, qui est avocat, a consacré du temps et des efforts à la préparation et à la présentation de sa demande. Il a droit à une certaine compensation, conformément aux principes énoncés dans l'arrêt Sherman, précité. Il ne serait pas approprié de renvoyer l'affaire pour taxation. La présente affaire se prête bien à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d'accorder une somme forfaitaire au titre des dépens. Des dépens de 2 000 $ sont donc adjugés à l'appelant.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2004.

« T. E. Margeson »

Juge Margeson

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2004CCI767

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2000-1401(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Michael Wetzel c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Gander (Terre-Neuve-et-Labrador)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 4 août 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable T. E. Margeson

DATE DU JUGEMENT :

Le 29 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocats de l'intimée :

Me Peter Leslie et Me Cecil Woon

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Cabinet :

Pour l'intimée :

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Pièce A-1, onglet 2, page 69 - lettre datée du 18 septembre 1984.

[2]           Pièce A-1, onglet 2, pages 68 et suivantes.

[3]           Pièce A-2, onglet 7, page 128.

[4]           Pièce A-2, onglets 8, 9 et 12.

[5]           Pièce A-1, onglet 1, page 93 - note de service datée du 27 mai 1985.

[6]           Cette note de service fait état de l'urgence liée à la préparation d'une note de service à l'intention du ministre (Crosby) et du sous-ministre et à la tenue d'une réunion d'un conseil des ministres à cette fin en vue d'obtenir l'appui du ministre.

[7]           Pièce A-1, onglet 1.

[8]           Pièce A-1, onglet 1, page 6.

[9]           Pièce A-1, onglet 1.

[10]          Pièce A-1, onglet 1, page 49-c.

[11]          Pièce A-1, onglet 1, page 93.

[12]          Pièce A-2, onglet 19.

[13]          Pièce A-1, onglet 2, document numéro 1.

[14]          Pièce A-1, onglet 2, document numéro 6.

[15]          Pièce A-2, onglet 1.

[16]          Pièce A-3, onglet 4.

[17]          Pièce A-2, onglet 2.

[18]          Pièce A-3, onglet 2.

[19]          Pièce A-1, onglet 8.

[20]          Pièce A-2, onglet 10.

[21]          Pièce A-2, onglet 11.

[22]          Pièce A-2, onglets 18 et 20.

[23]          Pièce R-2.

[24]          Woodward, Jack. Native Law, Toronto, Thomson Carswell, 1990, page 18.

[25]          Re Jock, [1980] 2 C.N.L.R. 75 (C. cté. Ont.).

[26]          L.R., chapitre 1-6, alinéa 81(1)a) et article 87.

[27]          96 DTC 1486.

[28]          87 DTC 5245, page 5246.

[29]          [1992] 2 R.C.S. 679.

[30]          [2002] 2 R.C.S. 816.

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