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Dossier : 2003‑1899(IT)G

ENTRE :

NEVIO CIMOLAI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 6 septembre 2005, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Devant : L’honorable juge Gerald J. Rip

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocate de l’intimée :

Me Susan Wong

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté contre la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2001 est accueilli, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que l’appelant a le droit de déduire la somme de 48 319,61 $ dans le calcul de son revenu.

 

          Les deux parties devront, dans un délai de 30 jours, présenter des observations écrites sur les dépens.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de novembre 2005.

 

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de mars 2009.

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


 

 

 

Référence : 2005CCI767

Date : 20051125

Dossier : 2003‑1899(IT)G

ENTRE :

NEVIO CIMOLAI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Rip

 

[1]   Nevio Cimolai fait appel d’une cotisation d’impôt sur le revenu pour 2001, dans laquelle il s’est vu refuser une déduction de 74 866 $ pour des frais judiciaires que, selon son avis d’appel modifié, il avait engagés pour établir un droit ou salaire que lui devait son employeur, ou pour obtenir réparation d’un préjudice subi dans le cours normal des activités d’une entreprise.

 

[2]   L’appelant est un médecin qui a obtenu son diplôme à l’Université de l’Alberta en 1981 et qui a ensuite accompli, en vue d’une pratique de médecine générale à Edmonton, deux années de formation post‑universitaire à l’Hôpital général d’Edmonton et à l’Université de l’Alberta. Il a entrepris d’autres études en vue d’une accréditation en microbiologie, puis a achevé sa spécialisation en 1986. Durant la période allant de 1983 à 1985, le Dr Cimolai était médecin généraliste à temps partiel en Ontario. Après un stage de recherche à Calgary, il a commencé de travailler à l’Hôpital pour enfants de la Colombie‑Britannique, à Vancouver, en 1987. Simultanément, il fut nommé enseignant clinique à l’Université de la Colombie‑Britannique (« U.C.‑B. »). Il a gravi les échelons de la profession au cours de la décennie suivante et, en 1999, il était professeur titulaire au Département de pathologie et de médecine de laboratoire de l’U.C.‑B.; il a obtenu sa permanence à cette université en 1994.

 

[3]   Si je comprends bien le témoignage du Dr Cimolai, il était rémunéré à la fois par l’hôpital et par l’U.C.‑B., l’université assumant 15 p. 100 de son salaire, l’hôpital assumant le reste. L’hôpital envoyait une facture au Régime des services médicaux de la Colombie‑Britannique, selon un barème de rémunération à l’acte. Encore une fois, si je comprends bien l’entente conclue entre l’appelant et l’hôpital, l’hôpital lui versait un salaire et, en échange, il cédait à l’hôpital toutes les sommes auxquelles il aurait eu droit pour les services facturés au Régime des services médicaux. Il affirme que l’hôpital recevait pour ses services facturés au Régime des services médicaux des sommes supérieures au salaire qu’il recevait de l’hôpital.

 

[4]     En septembre 2001, le Dr Cimolai fut suspendu sans rémunération à la suite, dit‑il, de l’issue d’une plainte de harcèlement déposée au sein de l’hôpital. Il n’a pas été licencié, mais l’hôpital a cessé de lui verser son salaire. Il a aussi déclaré que l’hôpital a continué d’utiliser jusqu’au début de 2002 son numéro de facturation pour se faire payer par le Régime des services médicaux.

 

[5]     Le Dr Cimolai a témoigné que, après sa suspension de l’hôpital, il est devenu médecin généraliste et a commencé d’envoyer des factures au Régime des services médicaux en décembre 2001.

 

[6]     Le Dr Cimolai a dit que, en 2001, il continuait d’exploiter une entreprise de publication d’ouvrages médicaux, entreprise qu’il avait démarrée auparavant. Il a reçu en 2001 un revenu tiré de l’entreprise.

 

[7]     L’appelant reconnaît, dans son avis d’appel modifié, qu’il était un employé de l’hôpital et de l’U.C.‑B. Il dit aussi qu’il était un travailleur autonome, ce que nie l’intimée.

 

[8]     Un peu avant 2001, les collègues de l’appelant à l’hôpital ont déposé une série de plaintes contre le Dr Cimolai, qui en fut informé au début de 2001. Le ministre a présumé que les plaintes avaient été examinées par un « comité d’appréciation des actes médicaux » établi par le Comité consultatif médical de l’hôpital, et que l’appelant avait été autorisé à présenter oralement des observations au comité en question. L’appelant nie qu’il ait été autorisé à présenter oralement des conclusions car le président du comité [traduction] « ne voulait entendre que le comité concernant la réparation imposée ». Il affirme que le comité d’appréciation des actes médicaux avait été [traduction] « établi » par plusieurs personnes qui ne faisaient pas nécessairement partie du Comité consultatif médical. L’appelant affirme que le processus contrevenait au principe de justice naturelle. Le conseil d’administration de l’hôpital a accepté les recommandations du Comité consultatif médical, à savoir : la conduite du Dr Cimolai constituait un harcèlement, le Dr Cimolai devait être immédiatement mis en congé sans solde, et il devait se soumettre à une « évaluation comportementale complète ».

 

[9]     L’appelant a déposé auprès de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, en vertu de la Judicial Review Procedure Act de la C.‑B., une requête pour que soit rendue une ordonnance annulant à la fois le rapport qui avait conduit à sa suspension, et la suspension elle‑même (ci‑après la « requête »). La requête a été rejetée, la Cour suprême de la C.‑B. estimant qu’il appartenait à l’appelant d’en appeler au Comité d’appel de l’hôpital. L’intimée admet maintenant que les frais judiciaires de 48 319,61 $ se rapportant à la requête sont déductibles en vertu de l’alinéa 8(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et elle consent à ce que soit rendu un jugement autorisant l’appelant à déduire la somme de 48 319,61 $ dans le calcul de son revenu pour 2001.

 

[10]    Le Dr Cimolai a aussi déposé une déclaration devant la Cour suprême de la C.‑B. le 10 avril 2000, suivie en janvier 2001 d’une déclaration modifiée (ci‑après la « déclaration »), dans laquelle il demande réparation sous forme de dommages‑intérêts, pour complot et intervention injustifiée, à huit professionnels qui travaillaient avec lui à l’hôpital. Ce qui est aujourd’hui en cause, ce sont les frais judiciaires de 26 556,53 $ qu’il a engagés relativement à l’action décrite dans la déclaration.

 

[11]    Il ne m’est pas nécessaire de revoir dans les présents motifs les faits qui ont conduit à la suspension du Dr Cimolai et à l’action qu’il a engagée contre ses collègues. Les faits sont exposés en détail dans les motifs du jugement rendu par le juge Holmes, de la Cour suprême de la C.‑B., Cimolai v. Hall, 2005 BCSC 31, (2005) BCJ No. 81.

 

[12]    L’unique point que je dois décider est celui de savoir si le Dr Cimolai peut validement déduire de son revenu les frais judiciaires supportés au regard de l’action engagée par lui contre ses anciens collègues. Selon lui, les frais judiciaires ont été engagés dans le dessein d’établir son droit au salaire que lui devait son employeur ou d’obtenir réparation d’un préjudice subi dans le cours normal des activités d’une entreprise.

 

[13]    La relation entre le Dr Cimolai et l’hôpital était une relation employeur‑employé. Les frais judiciaires qui sont encore en cause se rapportent à un litige entre le Dr Cimolai et ses anciens collègues, dont aucun n’était son employeur. L’hôpital n’était pas partie au litige. L’action était une action en dommages‑intérêts découlant d’une [traduction] « diffamation de la part d’autres employés de l’hôpital ». J’ai du mal à voir en quoi l’action peut être interprétée comme une action visant l’établissement d’un droit ou salaire dû par l’hôpital.

 

[14]      Le Dr Cimolai a fait valoir que, du seul fait qu’il a une désignation professionnelle, il exploite une entreprise. Cependant, même si en 2001 il était effectivement membre de la profession médicale et était soumis à un barème de rémunération à l’acte, le revenu qu’il recevait de l’hôpital était un revenu d’emploi.

 

[15]    Le Dr Cimolai a fait valoir que les frais judiciaires engagés dans le litige qui l’opposait à ses anciens collègues visaient à préserver sa capacité de gagner un revenu; plus précisément, la prétendue diffamation dont s’étaient rendus coupables ses collègues avait terni sa réputation professionnelle, diminué sa capacité d’exercer sa profession et donc réduit sa capacité de gagner un revenu. Selon lui, la décision St‑Germain v. M.N.R.[1] et la définition du terme « entreprise »[2], dans le paragraphe 248(1) de la Loi, permettent d’affirmer que son statut professionnel, c’est‑à‑dire sa profession de médecin, est une « entreprise ».

 

[16]    Fort de cet argument, il a invoqué ensuite un passage des motifs prononcés par le juge en chef adjoint Bowman (son titre à l’époque) dans la décision Blagdon v. The Queen[3], où l’on peut lire ce qui suit :

 

Si les revenus qu’il a obtenus comme capitaine de navire avaient été des revenus d’entreprise, il semble probable qu’il aurait pu déduire ces dépenses[4].

 

[17]    La décision Blagdon, d’affirmer l’appelant, est un précédent qui confirme que ses frais judiciaires sont déductibles; plus précisément, ses frais judiciaires étaient déductibles parce que son revenu était tiré d’une entreprise, c’est‑à‑dire de sa profession de médecin. Il a aussi invoqué le Bulletin d’interprétation IT‑99R5[5], publié par l’Agence des douanes et du revenu du Canada, ainsi que d’autres précédents, au soutien de la proposition selon laquelle les frais judiciaires engagés relativement à une action (civile) en dommages‑intérêts découlant du cours normal des activités d’une entreprise sont généralement déductibles.

 

[18]    Dans la décision Blagdon, le juge Bowman a conclu que les frais judiciaires engagés pour préserver le brevet de capitaine de l’appelant, et par conséquent pour protéger son emploi et son statut professionnel, n’étaient pas déductibles en tant que dépenses liées à un emploi. La non‑déductibilité de ces frais judiciaires a été explicitée très clairement par la Cour d’appel fédérale. La juge Sharlow, s’exprimant pour la Cour d’appel fédérale, écrivait ce qui suit :

 

Le capitaine Blagdon soutient qu’il n’a participé aux deux instances [il s’agissait d’une enquête de Transports Canada destinée à examiner des allégations d’incompétence, ainsi que d’une action en congédiement injustifié à l’encontre d’un ancien employeur] que pour protéger ou restaurer sa réputation de capitaine de bateau compétent, et donc pour sauvegarder ses compétences professionnelles et ses chances de continuer à gagner sa vie comme capitaine de bateau.

Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’alinéa 8(1)b) n’autorise pas le capitaine Blagdon à déduire ses frais judiciaires, parce qu’il n’a pas pu être établi dans le cadre de ces instances qu’un traitement ou un salaire lui était dû et donc qu’un traitement ou un salaire serait recouvré parce que dû. L’avocat du capitaine Blagdon a fait valoir que cette façon d’interpréter l’alinéa 8(1)b) était trop étroite et qu’il fallait plutôt l’interpréter de façon à autoriser une déduction des frais judiciaires engagés pour protéger le droit d’une personne à conserver son moyen de subsistance.

Nous sommes tous d’avis que le juge de la Cour de l’impôt a bien interprété l’alinéa 8(1)b). Nous n’acceptons pas que le libellé de l’alinéa 8(1)b) puisse raisonnablement être interprété de la façon proposée par l’avocat du capitaine Blagdon. Nous pouvons comprendre que, pour les personnes dans la situation du capitaine Blagdon et pour des considérations de principe, il pourrait être justifié de faciliter l’admissibilité à une déduction des frais judiciaires, mais cette question relève du Parlement et non des tribunaux[6].

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]    La Cour d’appel fédérale a résolument rejeté l’idée selon laquelle le paragraphe 8(1) de la Loi devrait être interprété d’une manière libérale pour permettre la déduction de frais judiciaires engagés dans le dessein de sauvegarder les qualifications professionnelles d’un contribuable ou ses chances de continuer à gagner sa vie en tirant un revenu d’un emploi lié à une profession.

 

[20]    La Cour d’appel a fait sienne la conclusion du juge en chef adjoint Bowman selon laquelle, pour que des frais judiciaires soient déductibles en tant que dépenses liées à un emploi, ils doivent se rapporter à des poursuites qui ont été engagées pour établir le droit à un salaire ou traitement qui est dû à un employé, et qui pourraient conduire au recouvrement du salaire ou traitement dû (par opposition à des dommages‑intérêts).

 

[21]    Le passage de la décision Blagdon qui est cité par l’appelant ne donne aucun poids à ses arguments. Ce à quoi faisait plutôt référence le juge en chef adjoint Bowman dans la décision Blagdon, c’était que, si M. Blagdon avait tiré un revenu d’une entreprise, plutôt que d’un emploi, ses frais judiciaires auraient pu être déductibles en tant que dépenses générales engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise conformément à l’alinéa 18(1)a) de la Loi. C’était là également la conclusion tirée dans la décision St‑Germain.

[22]    La décision Blagdon ne permet nullement d’affirmer que, lorsque le revenu est généré dans l’exercice d’une « profession », il sera considéré comme étant généré dans le cadre de l’exploitation d’une « entreprise » et les dépenses seront donc susceptibles d’être visées par la déduction prévue à l’alinéa 8(1)a) de la Loi. On devrait plutôt dire que la décision Blagdon va sans aucun doute à l’encontre de la position de l’appelant : les frais judiciaires engagés par l’appelant pour préserver sa réputation professionnelle ou ses chances de continuer à tirer un revenu d’un emploi lié à la profession médicale ne sont pas déductibles en vertu de l’alinéa 8(1)a) de la Loi.

[23]    Le Dr Cimolai a fait valoir que le Bulletin d’interprétation IT‑99R5 (le « Bulletin ») a valeur de politique gouvernementale et l’autorise à déduire les frais judiciaires qu’il a engagés dans l’exercice de sa profession, c’est‑à‑dire dans l’exploitation de son entreprise.

[24]    L’appelant a cité le paragraphe 4 du Bulletin :

En général, les frais juridiques engagés à des fins de poursuite ou de défense dans le cas de la plupart des délits, contrats et autres réclamations de droit civil dans le cours habituel de l’exploitation d’une entreprise sont déductibles.

Ce passage du Bulletin est cité hors contexte. Le Bulletin parle d’abord de la déductibilité générale des frais juridiques :

1. Sauf lorsqu’il y a une disposition précise prévue dans la Loi concernant les frais juridiques et comptables, comme les alinéas 8(1)b) ou 60o.1) (voir les numéros 22 à 27 ci‑dessous), ces frais ne sont déductibles que dans la mesure où :

a)   ils sont engagés en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien; […]

 

[25]    D’après ce qui précède, il est évident que le Bulletin fait ressortir l’alinéa 8(1)b) de la Loi, invoqué par l’appelant, en tant qu’exception particulière au principe de la déductibilité générale des frais juridiques. Le Bulletin explique cette exception lorsque, sous la rubrique intitulée « Recouvrement d’un traitement ou d’un salaire », il précise ce qui suit :

 

22. L’alinéa 8(1)b) prévoit la déduction, dans le calcul du revenu tiré d’une charge ou d’un emploi, des frais juridiques qu’un contribuable paie au cours de l’année en vue de recouvrer un traitement ou un salaire ou d’établir son droit à un traitement ou à un salaire que lui doit son employeur ou son ancien employeur. […]

 

23. Une déduction, en vertu de l’alinéa 8(1)b), n’est permise qu’à l’égard d’un montant « dû » par un employeur ou un ancien employeur.

 

[26]    Le Bulletin fait une distinction entre la déductibilité des frais judiciaires dans le calcul du revenu tiré d’un emploi, et la déductibilité des frais juridiques dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise. Il souligne aussi la distinction entre revenu tiré d’une entreprise et revenu tiré d’un emploi :

 

7. Selon l’alinéa 60o), tous les contribuables, y compris les personnes qui déclarent un revenu de source autre qu’une entreprise ou un bien (p. ex. une rémunération ou des gains en capital), peuvent déduire les honoraires ou les frais engagés et payés pour obtenir des conseils et de l’aide pour préparer, présenter ou poursuivre une opposition ou un appel relatif à : […]

 

[27]    Le Dr Cimolai donne trop d’importance à une politique gouvernementale qui autorise la déduction générale des frais juridiques afférents à une action civile lorsque ces frais sont engagés dans le dessein de tirer un revenu d’une entreprise. Une telle politique fait manifestement la distinction entre la déductibilité générale de frais juridiques engagés dans le contexte du revenu tiré d’une entreprise, par opposition à la déductibilité restreinte de frais judiciaires engagés dans le contexte du revenu tiré d’un emploi. Le Bulletin explique que les frais judiciaires sont déductibles, selon l’alinéa 8(1)b) de la Loi, dans le calcul du revenu tiré d’un emploi, mais uniquement lorsqu’ils sont engagés par le contribuable pour établir son droit à un traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur (ou son ancien employeur).

 

[28]    L’appelant a engagé une action civile contre d’anciens collègues de travail, d’autres employés; les poursuites n’ont pas été introduites « pour établir un droit » ou « traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ». Les frais judiciaires de l’appelant ne sont donc pas déductibles dans le calcul de son revenu d’emploi selon la politique exposée dans le Bulletin.

 

[29]    Le Dr Cimolai a invoqué plusieurs précédents qui selon lui l’autorisent à dire que les médecins exploitent une entreprise, de par leur profession, et que les frais judiciaires engagés pour préserver la réputation d’un médecin, dans le contexte d’une telle « entreprise », sont déductibles. Une distinction peut être établie entre toutes ces affaires et l’appel dont il s’agit ici : Gordon v. M.N.R., 40 Tax A.B.C. 105; Ferguson v. M.N.R., 34 Tax A.B.C. 137, et St‑Germain, précitée.

 

[30]    Les décisions Noble v. R.[7] et Leduc v. R.[8] traitent toutes deux de la déductibilité de frais juridiques qui sont engagés dans le dessein de tirer un revenu d’une entreprise. Il était admis dans ces deux précédents que les appelants tiraient un revenu de la profession juridique. Cependant, dans l’affaire Noble, les frais juridiques ont été jugés déductibles, tandis que dans l’affaire Leduc, ils ne l’ont pas été.

 

[31]    Dans l’affaire Noble, les frais juridiques avaient été engagés par l’avocat appelant, qui s’était adressé à un avocat indépendant pour qu’il le conseille sur la manière de communiquer des renseignements concernant un client aux autorités fiscales. Le juge Sobier a jugé que les frais d’avocat étaient déductibles puisqu’ils étaient nécessaires pour prévenir un conflit d’intérêts, conflit qui pouvait empêcher l’appelant de fournir ses services juridiques et donc l’empêcher de tirer un revenu de son entreprise. Les frais juridiques ont donc été jugés déductibles conformément à l’alinéa 18(1)a) de la Loi puisque l’appelant les avait engagés en vue de tirer un revenu de son cabinet d’avocats.

 

[32]    Les faits de l’affaire Leduc sont très différents de ceux de l’affaire Noble. Dans l’affaire Leduc, l’avocat appelant avait engagé des frais d’avocat de 140 000 $ pour se défendre d’accusations multiples comprenant plusieurs chefs d’exploitation sexuelle, un chef de contacts sexuels et un chef d’offre de services sexuels moyennant rétribution. Après le dépôt des accusations en question, le contribuable avait reçu du Barreau du Haut‑Canada une lettre où l’on pouvait lire notamment que, si le contribuable devait être reconnu coupable desdites accusations, le Barreau déciderait alors de l’opportunité d’introduire contre lui des poursuites pour manquement professionnel.

 

[33]    L’appelant avait fait valoir que les frais d’avocat étaient déductibles de son revenu tiré d’une entreprise, puisque, s’il ne se défendait pas contre les accusations dont il faisait l’objet et s’il était reconnu coupable, il perdrait alors son permis l’autorisant à exercer la profession d’avocat.

 

[34]    La juge Lamarre, de la Cour canadienne de l’impôt, a rejeté ce raisonnement. Selon elle, même si le contribuable n’avait pas exercé ses activités professionnelles, il aurait quand même payé les frais d’avocat pour se défendre contre les accusations, et les frais n’étaient donc pas déductibles conformément à l’alinéa 18(1)h) de la Loi, puisqu’il s’agissait de dépenses personnelles. La juge Lamarre s’est exprimée ainsi :

 

Le fait qu’une déclaration de culpabilité éventuelle puisse avoir des incidences sur les activités professionnelles de l’appelant dans l’avenir est à mon avis purement hypothétique et conjectural à ce stade et, quoi qu’il en soit, trop éloigné pour justifier la déduction des frais juridiques dans l’année d’imposition en cause conformément à l’alinéa 18(1)a) de la LIR[9].

 

[35]    La juge Lamarre a aussi rejeté l’idée que l’une des fins poursuivies lorsque ces frais juridiques avaient été engagés était de permettre au contribuable de tirer un revenu (d’une entreprise).

 

[36]    Ces précédents sont conciliables puisque les frais juridiques, dans l’affaire Noble, étaient manifestement rattachés à la capacité de l’appelant de tirer un revenu de son client, tandis que, dans l’affaire Leduc, les frais engagés par le contribuable étaient destinés à préserver un droit futur d’exercer la profession d’avocat. En outre, s’agissant du présent appel, le Dr Cimolai n’a pas engagé les frais judiciaires pour tirer un revenu d’une entreprise ou d’un emploi, ni d’une autre manière.

 

[37]    Le Dr Cimolai n’a pas le droit de déduire les frais judiciaires engagés au regard de la poursuite décrite dans la déclaration. Il n’exploitait pas une entreprise ni ne tirait un revenu d’une entreprise du seul fait de sa désignation professionnelle. Il était un employé de l’hôpital et de l’U.C.‑B. et il gagnait dans ces établissements un revenu tiré de son emploi.

 

[38]    Les frais judiciaires se rapportant à la déclaration n’ont pas été engagés par l’appelant pour recouvrer un traitement ou salaire qui lui était dû par un employeur, ou pour établir un droit à ceux‑ci, ainsi que le requiert l’alinéa 8(1)b) de la Loi. Le Dr Cimolai avait engagé la poursuite pour obtenir réparation de ses collègues, et non pour recouvrer un traitement ou salaire d’un employeur.

 

[39]    L’appel est accueilli à seule fin d’autoriser le Dr Cimolai à déduire la somme de 48 319,61 $ dans le calcul de son revenu pour l’année 2001.

 

[40]    On ne m’a pas précisé à quelle étape de l’instance la Couronne a consenti à la déduction de la somme de 48 319,61 $ se rapportant à l’action engagée contre l’hôpital, ni à quelle étape elle en a informé le Dr Cimolai. Les parties présenteront donc des observations écrites sur les dépens, dans un délai de 30 jours.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de novembre 2005.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de mars 2009.

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI767

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :     2003‑1899(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Nevio Cimolai et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 6 septembre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Gerald J. Rip

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 25 novembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocate de l’intimée :

Me Susan Wong

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 



[1] (1982), [1983] C.T.C. 2038, 83 D.T.C. 36 (C.R.I.) [« St‑Germain »].

[2] La définition est la suivante : « entreprise » Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l’application de l’alinéa 18(2)c), de l’article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l’alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi […] Les derniers mots « à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi » semblent indiquer clairement qu’une profession peut être une entreprise, mais qu’une entreprise ne comprend pas une charge ou un emploi; c’est‑à‑dire que, lorsqu’une profession est un emploi, elle n’est pas une entreprise – et, lorsqu’une profession n’est pas un emploi, elle est une entreprise.

[3] [2003] 4 C.T.C. 107, 2003 D.T.C. 5491 (C.A.F.); confirmant [2002] 2 C.T.C. 2332, 2003 D.T.C. 804 (C.C.I. [procédure informelle]) [la décision citée est celle de la C.C.I.).

[4] Précitée, paragraphe 21.

[5] Le Bulletin d’interprétation IT‑99R5, émis le 14 décembre 2000, est intitulé « Frais juridiques et comptables [Consolidé] ».

[6] Blagdon, précitée, note 3, référence [2003] C.T.C. 107, 2003 D.T.C. 5491 (C.A.F.), paragraphes 3 à 5.

[7] [1998] 1 CTC 2979, (C.C.I.) [procédure informelle]).

[8] (2004), [2005] 1 CTC 2858, 2005 DTC 250 (C.C.I. [procédure générale]).

[9] Précitée, paragraphe 25.

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