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Dossier : 2002-1406(IT)I

ENTRE :

JOHN M. LOO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Appels entendus le 16 décembre 2002 à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge L. M. Little

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Max Weder

Avocat de l'intimée :

Me R. Scott McDougall

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JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1999 et 2000 sont rejetés, sans dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique) ce 4e jour d'avril 2003.

« L. M. Little »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2004.

Ingrid B. Miranda, traductrice


Référence : 2003CCI198

Date : 20030404

Dossier : 2002-1406(IT)I

ENTRE :

JOHN M. LOO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Little

A.       FAITS

[1]      L'appelant occupe la fonction d'avocat au Bureau régional de Vancouver du ministère de la Justice ( « Justice » ).

[2]      L'appelant et environ 55 autres avocats employés au Bureau régional de Vancouver ont entamé une poursuite en justice devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique à l'encontre du Procureur général du Canada (la « poursuite » ).

[3]      Dans la poursuite, l'appelant et les autres 55 avocats du Bureau régional de Vancouver du ministère de la Justice soutiennent qu'ils sont en droit de recevoir le même niveau de salaire ou de traitements de la part du gouvernement fédéral, que les avocats employés au Bureau régional de Toronto du ministère de la Justice.

[4]      La déclaration déposée par l'appelant et ses collègues demande aussi des dommages-intérêts et des dépens.

[5]      Le commencement de l'audition de la poursuite est prévu pour le 15 mars 2004. (Quatre semaines sont réservées pour ce procès.)

[6]      L'appelant et ses collègues ont retenu les services des avocats Jim Aldridge et Richard Sugden pour les représenter dans le cadre de la poursuite.

[7]      Dans les années d'imposition 1999 et 2000, l'appelant a payé la fraction des frais de poursuite qui lui revenait. L'appelant a payé les frais juridiques suivants :

1999

3 140,00 $

2000

1 104,00 $

[8]      Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1999 et 2000, l'appelant a déduit les sommes de 3 140 $ et de 1 104 $, respectivement.

[9]      Au moyen d'un Avis de nouvelle cotisation émise le 19 mars 2001, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 1999 de l'appelant, et les frais juridiques de 3 140 $ ont été rejetés.

[10]     Au moyen d'un avis de nouvelle cotisation émise le 3 janvier 2002, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 2000 de l'appelant, et les frais juridiques de 1 104 $ ont été rejetés.

B.       QUESTION EN LITIGE

[11]     La question en litige est de savoir si l'appelant est en droit de déduire les frais juridiques de 3 140 $ et de 1 104 $.

C.       ANALYSE

[12]     L'alinéa 8(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) énonce ainsi :

8(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

b)        Frais judiciaires d'un employé - Les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu'il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci;

[13]     L'alinéa 8(1)b) de la Loi a été modifié par l'adoption de L.C. 1990, ch. 39, art. 2, applicable à tous les montants payés après 1989. Auparavant, l'alinéa 8(1)b) était formulé ainsi :

b) les sommes payées par le contribuable dans l'année à titre de frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par lui en recouvrement du traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou son ancien employeur;

Selon le libellé de la disposition en vigueur avant l'adoption de la modification de 1990, les frais judiciaires n'étaient déductibles que si le contribuable avait eu gain de cause dans la poursuite entamée contre son employeur (Je souligne.).

[14]     L'interprétation actuelle adoptée par la Cour de l'impôt à l'égard de cette disposition est le résultat d'une longue évolution qui peut être observée en comparant plusieurs décisions judiciaires récentes portant sur le libellé actuel de l'alinéa 8(1)b).

[15]     Examinons d'abord ces deux décisions pertinentes : Turner-Lienaux c. Canada, C.A.F., no A-683-96, 5 mai 1997 (97 DTC 5294) et Basque c. Canada, [1998] A.C.I. no 898 (C.C.I.).

[16]     Dans l'affaire Turner-Lienaux, la Cour d'appel fédérale a décidé que le juge Margeson de la Cour de l'impôt ne s'est pas trompé en statuant qu'un salaire ne peut être « dû » à un contribuable qui n'a pas effectué le travail. Dans l'affaire Turner-Lienaux c. La Reine, C.C.I., nos 95-1978(IT)I, 95-4024(IT)I, 2 août 1996 (97 DTC 261) au niveau de la Cour de l'impôt, le juge Margeson a dit à la page 264 :

Notre cour a quelque difficulté à conclure qu'un traitement ou « salaire » est « dû » à une personne si cette dernière n'a pas accompli le travail ou n'a pas occupé le poste exigeant le versement du traitement ou salaire.

[17]     Dans l'affaire Basque, le juge Tardif de la Cour de l'impôt a décidé que, tant que le contribuable n'a pas résolu les questions litigieuses afférentes à sa poursuite contre son employeur, il n'est pas admissible aux déductions prévues à l'alinéa 8(1)b).

[18]     Le deuxième courant jurisprudentiel suit les décisions dans les affaires Fortin c. Canada, [2001] A.C.I. no 420 (C.C.I.), et Ananthan c. Canada,C.C.I., no 2000-831(IT)I, 30 mars 2001 ([2001] 2 C.T.C. 2658). Dans l'arrêt Fortin, le juge Dussault de la Cour de l'impôt fait une analyse détaillée de l'alinéa 8(1)b), ainsi que des interprétations proposées dans le Bulletin d'interprétation IT 99 R5 et dans les arrêts Turner-Lienaux et Basque. Le juge Dussault écrit ainsi aux paragraphes 21 et 22 :

[21]       Il me paraît assez évident, dans une action pour recouvrer le traitement ou le salaire dû par un employeur ou un ancien employeur, que l'on doive d'abord démontrer que les services pour lesquels on prétend avoir droit au traitement ou au salaire, ont été rendus. Ceci étant, il est clair que l'alinéa 8(1)b) n'est plus limité, dans sa version applicable après 1989, aux frais judiciaires ou extrajudiciaires qui sont encourus pour recouvrer des montants qui sont dus à titre de traitement ou salaire par un employeur ou un ancien employeur. Les mots « ou pour établir un droit à ceux-ci » que l'on retrouve maintenant à l'alinéa 8(1)b) de la Loi méritent quelques commentaires. La préposition « pour » placée devant un infinitif signifie « en vue de » ou « afin de » . Bien que je n'aie pas à décider de la question aux fins du présent litige, à mon avis, l'expression « pour établir » ne signifie aucunement qu'un contribuable doive établir ou réussir à faire établir son droit à un traitement ou à un salaire pour avoir droit à une déduction en vertu de l'alinéa 8(1)b) contrairement à ce qui est indiqué au paragraphe 23 du Bulletin d'interprétation, IT 99 R5, « Frais judiciaires et comptables » , 11 décembre 1995. À ce paragraphe, on peut lire :

Si le contribuable n'a pas gain de cause devant le tribunal ou ne réussit pas autrement à établir qu'un montant lui est dû, il ne peut déduire ces dépenses. Toutefois, en vertu de cet alinéa, une déduction est possible même si le contribuable n'a pas encore recouvré le montant qui lui est dû.

[22]       J'ajouterai simplement que le texte même de l'alinéa 8(1)b) ne m'apparaît pas comporter la condition énoncée à la première phrase du paragraphe 23. De plus, l'alinéa 8(1)b) ne limite pas la déduction des frais judiciaires ou extrajudiciaires au montant du traitement ou du salaire inclus dans le revenu de l'année contrairement à l'alinéa 60o.1) [...]

Dans l'affaire Sheila Ananthan c. La Reine, le juge Teskey de la Cour de l'impôt déclare à la page 2659 :

[...] je crois que le ministre a tout à fait tort de soutenir qu'il importe peu que l'appelante doive attendre on ne sait jusqu'à quand de savoir si elle a gain de cause ou non, et qu'elle aura droit à une déduction à ce moment-là. Je crois que le bulletin d'interprétation est erroné.

Le juge Teskey a accueilli l'appel de l'appelante dans l'affaire Ananthan.

[19]     Si on considère que le deuxième courant jurisprudentiel mentionné ci-dessus est récent et que, dans la décision Fortin, le juge Dussault examine attentivement le premier courant jurisprudentiel, la tendance interprétative actuelle de l'alinéa 8(1)b) de la Loi par la Cour de l'impôt veut qu'il ne soit pas nécessaire que le contribuable ait eu gain de cause dans la poursuite de justice pour être admissible à la déduction pour frais juridiques.

[20]     Comme mentionné plus haut, la poursuite entamée par l'appelant et ses collègues contre leur employeur est encore en instance. L'analyse des décisions judiciaires mentionnées ci-dessus montre que la continuation de la poursuite de l'appelant ne doit pas faire obstacle à l'admissibilité de la déduction prévue à l'alinéa 8(1)b) de la Loi. Cependant, j'estime qu'il est nécessaire d'examiner à titre préalable le caractère de la poursuite intentée contre l'employeur, pour décider si l'ordonnance sollicitée par l'appelant et ses collègues porte sur « le traitement ou salaire qui [leur] est dû » par leur employeur.

[21]     Pour nous guider, nous pouvons nous baser sur des exemples portant sur ce qui est considéré dû ou sur ce qui ne l'est pas. Dans des cas portant sur une promotion au travail, où le contribuable poursuivait son employeur parce qu'il estimait qu'on n'aurait pas dû lui refuser une promotion, les tribunaux ont décidé que le traitement n'était pas dû, parce que les prestations liées au nouveau poste n'avaient jamais été rendues. Ceci contraste avec les affaires de congédiement injustifié où le contribuable demande des arrérages de salaire et souhaite être réintégré. Dans ces cas-là, l'employeur doit un salaire au contribuable qui était en droit de travailler et de recevoir son salaire mais en a été illégalement empêché par son employeur. En sus, l'employeur doit aussi du salaire au contribuable qui désire récupérer des heures supplémentaires ouvrées.

[22]     Je crois que le présent appel se distingue de la jurisprudence précitée. En l'espèce, l'appelant et ses collègues soutiennent qu'on leur doit un salaire équivalent au salaire perçu par les avocats du Bureau régional de Toronto du ministère de la Justice.

[23]     Je suis de l'avis que le salaire réclamé par l'appelant dans sa poursuite en justice ne peut pas être considéré comme « dû » à l'appelant. Bien que ce dernier effectue le même type de travail qu'un avocat de Justice à Toronto, on ne « doit » pas de salaire à l'appelant parce les avocats du Bureau régional de Vancouver ont négocié un salaire annuel et ont été payés en fonction de leur contrat. Une augmentation n'est pas « due » à un groupe de personnes simplement parce qu'un autre groupe a reçu une augmentation de salaire. L'obtention d'une augmentation par d'autres avocats peut être un argument lors de la négociation d'une augmentation.

[24]     Pour aboutir à cette conclusion, je me suis aussi inspiré de Jazairi c. Canada, C.A.F., no A-782-99, 21 février 2001 (2001 DTC 5163), dans lequel la Cour d'appel fédérale a statué que l'on ne devait pas à l'appelant un salaire plus élevé, même s'il faisait le même travail qu'un professeur, parce que le niveau des salaires dépendait du rang et non pas des tâches accomplies. Si l'on applique l'arrêt Jazairi à l'instance, on conclut que l'appelant et ses collègues peuvent penser qu'ils méritent le même salaire que les avocats de Justice à Toronto parce qu'ils accomplissent le même type de travail ou de tâches, mais l'augmentation accordée aux avocats de Toronto peut être due à de nombreuses autres raisons que les fonctions que ceux-ci exercent. Par exemple il est possible qu'en 1990, le coût de la vie à Toronto ait été très supérieur ou que la charge de travail des avocats de Toronto ait été très supérieure. De plus, il peut avoir été impossible pour Justice de recruter des avocats compétents à Toronto en l'absence d'une augmentation de salaire.

[25]     L'appel est rejeté, sans dépens.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique) ce 4e jour d'avril 2003.

« L. M. Little »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2004.

Ingrid B. Miranda, traductrice

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