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Dossier : 2002-4463(GST)I

ENTRE :

JACQUES PATRY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 27 mai 2003 à Shawinigan (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Louis Cliche

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 14 septembre 2001, portant le numéro 02306001, relativement à la taxe sur les produits et services, pour la période du 1er avril 1997 au 31 décembre 2000,est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de juillet 2003.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2003CCI475

Date : 20030731

Dossier : 2002-4463(GST)I

ENTRE :

JACQUES PATRY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel résultant d'un avis de cotisation relative à la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) en date du 14 septembre 2001 pour la période allant du 1er avril 1997 au 31 décembre 2000.

[2]      La question en litige est essentiellement de déterminer si la cotisation à l'origine de l'appel est bien fondée ou non.

[3]      Dès le départ, l'appelant a reconnu que la cotisation à l'origine de l'appel a été établie conformément aux dispositions de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ).

[4]      Il conteste essentiellement le droit de cotiser de l'intimée à cause des circonstances et faits qu'il a décrits comme particuliers à son dossier. En d'autres termes, l'appelant soutient que les calculs effectués étaient irréprochables et correspondent aux données disponibles.

[5]      D'une part, il prétend qu'il n'était pas cotisable du fait que ses revenus de loyer totalisaient un montant inférieur à la limite établie de 30 000 $; d'autre part, il soutient avoir suivi à la lettre les instructions d'un vérificateur fiscal ce qui, selon lui, le mettait à l'abri de toute éventuelle cotisation.

[6]      Avocat de profession, l'appelant, lors de la période visée par la cotisation, pratiquait le droit de façon traditionnelle à une place d'affaires située dans un immeuble qui lui appartenait. L'immeuble en question regroupait des locaux qu'il louait à d'autres professionnels. Comme les seuls revenus de locations totalisaient un montant annuel inférieur à 30 000 $, l'appelant a soutenu que les revenus en question n'étaient pas cotisables et cela, bien qu'il s'agissait de revenus intégrés à ses revenus découlant de sa pratique professionnelle.

[7]      Bien que l'appelant ait soutenu que les revenus locatifs n'étaient pas cotisables, il a réclamé les crédits sur les intrants (les « CTI » ) au niveau des dépenses inhérentes à ces mêmes revenus, créant ainsi une équivoque qu'il n'a pas cru bon expliquer ou justifier.

[8]      Il a également fait valoir qu'il avait fait l'objet de plusieurs vérifications relatives à ses revenus tant par l'Agence des douanes et du revenu du Canada que par le Ministère du Revenu du Québec.

[9]      Lors de l'une de ces vérifications, dont il n'a pas fait la preuve du moment, certains vérificateurs lui ont prodigué des conseils quant à la façon de comptabiliser ses revenus et dépenses; selon l'appelant, il aurait mis en application les recommandations suggérées et aurait respecté intégralement les conseils prodigués d'où il conclut qu'il ne peut être cotisé puisqu'il a respecté et obtempéré aux directives des vérificateurs fiscaux.

[10]     Il soumet qu'il s'agit là d'une fin de non-recevoir basée sur la théorie de l'expectative légitime. Selon l'appelant, les différentes directives qu'il a respectées le plaçaient à l'abri de toute éventuelle cotisation.

[11]     Les conseils, recommandations ou suggestions que certains vérificateurs ont pu lui faire pour améliorer sa comptabilité qualifiée de partiellement déficiente n'ont fait l'objet d'aucune preuve. D'autre part, même si l'appelant avait soumis cette preuve, je ne crois pas que de telles recommandations ou suggestions aient été génératrices de quelque droit pour l'appelant pour le futur.

[12]     En effet, l'appelant a dû, au fil des ans, se soumettre à différentes vérifications dans le cadre des opérations qui généraient ses revenus déclarés. Selon l'appelant, ces vérifications s'étaient généralement soldées à son avantage.

[13]     La comptabilité de l'appelant n'étant sans doute pas idéale, il était normal et usuel que les vérificateurs fassent un certain nombre de suggestions ou recommandations.

[14]     Il s'agissait là de simples conseils; l'appelant aurait tout simplement pu les ignorer et ce, sans conséquence aucune; l'appelant a choisi de s'y soumettre et de mettre en pratique les recommandations. Il voudrait se voir récompensé pour sa soumission en ajoutant qu'il s'agit là du fondement de la théorie de l'expectative légitime qu'il invoque.

[15]     Le rôle et la mission des vérificateurs fiscaux sont de vérifier et analyser si la personne qui fait l'objet de la vérification a correctement assumé les obligations qui découlent de la Loi et de ses Règlements. Ils n'ont ni le droit ni le pouvoir d'accorder d'immunité pour le futur.

[16]     Au soutien de ses prétentions, l'appelant s'est très souvent référé à la théorie de l'expectative légitime en se référant au Traité de Claudine Roy sur ce sujet : « Les Éditions Yvon Blais Inc. 1993 » et un article paru dans la revue du Barreau soit « L'expectative légitime après l'arrêt Mont-Sinaï » rédigé par la même auteure, Claudine Roy [Revue du Barreau, automne 2001, tome 61, p. 537].

[17]     L'appelant a plaidé qu'en vertu de la dite théorie, son appel devrait être accueilli. Il n'a pas expliqué en quoi et pourquoi; il a essentiellement affirmé et répété s'être conformé aux instructions des vérificateurs non pas responsables de son dossier de TPS, mais de son dossier fiscal dans le cadre de ses activités professionnelles d'avocat.

[18]     La théorie de l'expectative légitime est un sujet complexe dont l'application est non moins simple. Les remarques introductives à l'article de l'auteure Claudine Roy, dans la revue du Barreau en témoigne :

DROIT ADMINISTRATIF, Christine ROY

L'expectative légitime après l'arrêt Mont-Sinaï

                        Depuis quelques années déjà, la doctrine et la jurisprudence divergent quant à la protection qui doit être accordée aux expectatives légitimes créées chez le citoyen par l'Administration publique : protection procédurale ou protection substantielle ?

                        En réalité, la problématique est plus complexe : l'Administration publique peut soit promettre à un citoyen qu'il sera entendu, soit lui promettre un résultat précis (la délivrance d'un permis par exemple). Dans un cas comme dans l'autre, la violation de la promesse peut donner lieu à une protection procédurale, c'est à-dire le droit d'obtenir le résultat précis escompté.

                        La valse en cours entre la théorie de l'expectative légitime, la préclusion promissoire ( « promissory estoppel » ), l'abus de pouvoir, la décision déraisonnable ou l'épuisement de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire illustre bien le malaise certain du droit public qui n'a pas encore réussi à résoudre de façon satisfaisante le conflit opposant, d'une part, le citoyen à qui une promesse a été faite ou qui s'attend à une conduite spécifique de l'Administration en raison de son comportement passé et, d'autre part, la nécessaire flexibilité de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'Administration publique.

...

[19]     Pour profiter de l'un des quelconques bénéfices de la théorie de l'expectative légitime, il est essentiel d'établir d'une manière non équivoque l'existence d'une promesse ou d'une pratique antérieure ayant pu raisonnablement créer certaines attentes réalistes.

[20]     En l'espèce, l'appelant n'a nullement fait une telle preuve; il s'est essentiellement limité à exprimer sa propre interprétation de faits qui à leur face même n'avaient rien d'une promesse. L'appelant voudrait que le Tribunal conclut que les recommandations et suggestions faites dans le cadre d'une vérification fiscale soient considérées comme une garantie le mettant à l'abri de toute cotisation du fait d'avoir mis en pratique les dites recommandations.

[21]     Il est d'abord important de rappeler que les recommandations ont été faites par des vérificateurs fiscaux dont le travail n'avait rien à voir avec la Loi sur la taxe d'accise, relativement à la taxe sur les produits et services. D'ailleurs, même si les recommandations avaient été proposées par les vérificateurs de TPS, cela aurait été sans effet quant aux obligations futures de l'appelant.

[22]     Nous évoluons dans une société où les citoyens doivent s'autocotiser en conformité avec la Loi et ses Règlements prévus par le législateur. Tout citoyen peut faire l'objet d'une vérification à tout moment. La vérification et le contrôle sont généralement conduits selon les règles de l'art en la matière. Une multitude de conclusions peuvent surgir. Les échanges, conseils, recommandations visent essentiellement l'amélioration pour le futur quant à la transparence et cohérence dans l'éventualité d'une nouvelle vérification. La mise en application des recommandations ou le respect des normes et règles comptables pertinentes ne créent aucunement d'immunité pour le futur.

[23]     D'une part, l'interprétation que l'appelant fait de la théorie de l'expectative légitime est erronée; d'autre part, il n'a fait aucune preuve de l'existence des fondements essentiels à l'applicabilité d'une telle théorie, à savoir une réelle promesse faite par l'administration publique, un manquement grave aux règles de justice naturelle, une attente raisonnable et justifiée d'un certain résultat.

[24]     D'ailleurs, l'appelant a été très peu explicite, voire même évasif sur les motifs et en quoi la théorie de l'expectative devait s'appliquer. Il a affirmé et soutenu que le bien-fondé de son appel reposait sur cette théorie et s'est référé aux écrits de l'auteure Claudine Roy sans aucune précision et sans identifier les extraits pertinents.

[25]     Il m'apparaît opportun de reproduire un extrait du traité de l'auteure, Claudine Roy, « La théorie de l'expectative légitime en droit administratif » p. 63.

2.          L'OBJET DE L'EXPECTATIVE LÉGITIME ET SA PROTECTION

            Une fois reconnue la création d'une expectative et sa légitimité, il faut se demander quel est l'objet de cette expectative. La personne concernée a une expectative de quoi ? A-t-elle une expectative d'être entendue par l'autorité publique pour faire valoir des arguments justifiant une prise de décision plutôt qu'une autre, ou a-t-elle l'expectative d'obtenir un bénéfice quelconque (permis, visa, etc.) ? Si l'on opte pour cette dernière proposition, quel remède cette personne peut-elle obtenir des tribunaux: le droit d'être entendue par l'autorité publique ou peut-elle aller jusqu'à réclamer des tribunaux la réalisation de l'expectative ? Pourrait-on, par exemple, forcer l'autorité à respecter une promesse qu'elle a faite ?

            La nette majorité de la doctrine et de la jurisprudence semble pencher en faveur d'une protection procédurale. Pourtant, un courant minoritaire plus récent y voit parfois plus; dans certaines circonstances, il pourrait être approprié d'accorder à titre de remède, la réalisation de l'expectative créée par le détenteur ou la détentrice du pouvoir discrétionnaire. On voit resurgir ici un débat similaire à celui entourant l'étendue du devoir d'agir équitablement.

[26]     En l'espèce, l'appelant n'a bénéficié d'aucune promesse. Il n'a pas été privé ou limité dans l'expression de ses droits fondamentaux.

[27]     Il a fait l'objet d'une cotisation établie conformément aux dispositions de la Loi selon sa propre admission. Il a contesté le bien-fondé de la cotisation au moyen du présent appel. Il a eu l'opportunité de se faire entendre et de soumettre une preuve à l'appui de ses prétentions.

[28]     Il a choisi d'avoir recours à la théorie sans en comprendre les exigences et sans expliquer la corrélation avec son dossier.

[29]     Les faits étaient très simples, l'appelant était inscrit aux fins de l'application de la TPS. En qualité d'inscrit, il agissait comme mandataire du ministre du Revenu national avec obligation de percevoir et de remettre la TPS applicable à l'égard des fournitures taxables fournies.

[30]     Il louait des espaces dans un immeuble à bureau lui appartenant. Il fournissait également plusieurs services dont notamment, le service de photocopie, l'entretien ménager, l'électricité, le téléphone, le secrétariat et le stationnement à ses locataires d'espaces. Les biens et services fournis constituaient des fournitures taxables. L'appelant n'a ni perçu ni remis la TPS applicable sur la valeur de la contrepartie des biens et services fournis à ses locataires.

[31]     Les alinéas j), k), m) et n) du paragraphe 9 de la Réponse à l'avis d'appel se lisent comme suit :

j)           au cours de la période en litige, l'appelant a réclamé la totalité des taxes payées ou payables se rapportant à l'immeuble à titre de crédits de taxe sur les intrants (CTI) alors qu'il ne pouvait en réclamer que 75 % et partant, l'écart de 25 % fut cotisé entre ses mains;

k)          l'appelant a réclamé 100 % des frais de sa ligne téléphonique personnelle à titre de CTI mais le vérificateur les a réduits à 25% puisque l'appelant ne s'est servi de sa ligne à titre d'affaires que lorsque le télécopieur du bureau était en opération;

l)           quant aux CTI réclamés relativement aux frais de représentation, ces derniers ont été acceptés dans une proportion de 50 %;

m)         l'appelant tient une comptabilité qu'on peut qualifier de sommaire;

n)          l'appelant croyait à tort qu'il pouvait séparer ses diverses sources de revenus afin de pouvoir se qualifier comme « petit fournisseur » ;

[32]     L'appelant n'a soumis aucune preuve pertinente au soutien du bien-fondé de son appel. Il a essentiellement affirmé et répété qu'en vertu de la théorie de l'expectative légitime, son appel devait être accueilli.

[33]     Rien dans la preuve soumise ne justifie l'application de cette théorie. Étant inscrit aux fins de l'application de la TPS, l'appelant avait l'obligation de percevoir et remettre la TPS sur les produits et services qu'il vendait. Il ne l'a pas fait. Son appel doit donc être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de juillet 2003.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2003CCI475

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-4463(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jacques Patry et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Shawinigan (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 27 mai 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 31 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Pour l'intimée :

Me Louis Cliche

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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