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Référence : 2005CCI330

Date : 20051011

Dossier : 2003-1031(IT)G

ENTRE :

CHRISTIAN VINCENT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience le 24 mars 2005

à Montréal (Québec) et modifiés pour plus de clarté et de précision.)

Le juge Archambault

[1]      Monsieur Christian Vincent interjette appel de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 (période pertinente). Il conteste l'ajout, par le ministre, de revenus non déclarés de 35 000 $ à l'égard de chacune des années d'imposition pertinentes. Il a été reconnu au début de l'audience par la procureure de l'intimée que les nouvelles cotisations avaient été établies au-delà de la période normale de nouvelle cotisation. De plus, le ministre a imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[2]      Pour établir ses cotisations, le ministre a tenu pour acquis certains faits qui sont énoncés au paragraphe 24 de la Réponse à l'avis d'appel :

a)          Le 5 janvier 1970, l'appelant a commencé à travailler pour le payeur Howmet Cercast (Canada) Inc.;

b)          Au cours des années, l'appelant a occupé divers postes : outilleur, superviseur et superviseur d'atelier;

c)          En 1994, il a accepté un poste de directeur des sous-contrats et a occupé ce poste jusqu'à son congédiement le 10 août 1998;

d)          Le poste de directeur des sous-contrats consistait à trouver des fournisseurs pour fabriquer des pièces coulées et des outilleurs afin de fabriquer l'outillage;

e)          L'appelant était rémunéré environ 75 000 $ par année au cours des années 1995, 1996 à 1997 à titre de directeur des sous-contrats;

f)           L'appelant parallèlement à son poste, pendant les années 1995, 1996 et 1997, a fait de la conception de dessins industriels ou d'outillage (ci-après « dessins industriels » ) pour des fournisseurs;

g)          L'appelant a été rémunéré par ces fournisseurs pour les dessins industriels effectués;

h)          Les fournisseurs ont toujours payé comptant pour les dessins industriels effectués par l'appelant;

i)           Les sommes reçues pour les dessins industriels n'ont pas été déclarés [sic] aux autorités fiscales;

j)           L'appelant a avoué sous serment au commissaire des normes du travail, Michel Denis, avoir reçu entre 30 000 $ et 40 000 $ par année de 1995 à 1997 pour des dessins industriels effectués pour des fournisseurs du payeur;

k)          L'admission devant la Commission des normes du travail constitue un aveu extrajudiciaire devant la Cour canadienne de l'impôt;

l)           Les changements apportés aux déclarations de revenus pour les années 1995, 1996 et 1997 font suite à une décision rendue par la Commission des normes du travail suite à la plainte déposée par l'appelant pour congédiement illégal;

m)         Dans la décision rendue par le commissaire des normes du travail, Michel Denis, celui-ci mentionne que :

« [l'appelant] affirme qu'il a reçu, pour de tels travaux [dessins industriels], de 30 000 $ à 40 000 $ par année pour les années 1995 à 1997; ceci de l'ensemble des fournisseurs. [...] Le plaignant déclare que ces derniers revenus n'étaient pas déclarés à l'impôt, qu'ils étaient l'objet d'une entente verbale et ne constituaient pas un passe-temps. Plus tard, il dira qu'il a toujours été payé comptant parce que son salaire était assez élevé et pour éviter les taxes qui sont la seule chose qu'il [sic], l'empêche de dormir. »

n)          La section de la vérification à l'Agence des douanes et du revenu du Canada a cotisé la moyenne des montants mentionnés comme non-déclarés [sic] devant le commissaire des normes du travail, soit 35 000 $ par année pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997;

o)          Les revenus non déclarés pour les années 1995 à 1997 s'établissent comme suit :

1995

1996

1997

Revenus bruts déclarés

      73 293 $

    74 131 $

     73 425 $

Revenus bruts non déclarés

       35 000 $

   35 000 $

35 000 $

Revenus total

     108 293 $

109 131 $

108 425 $

REER

        5, 400 $

    10 800 $

12 460 $

Pension alimentaire

      21 996 $

   23 400 $

23 400 $

Total des déductions

      27 396 $

   34 200 $

35 860 $

Revenu imposable révisé

       80 897 $

   74 931 $

72 565 $

p)          En omettant ainsi de déclarer des revenus de 35 000 $, 35 000 $ et 35 000 $ pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, l'appelante [sic] a fait sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenus fédérales produites pour les années d'imposition en litige, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, d'où il résulte que l'impôt qu'il aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans les déclarations de revenus fédérales déposées pour ces années en litige était inférieur au montant à payer pour ces années-là;

q)          Par suite de l'omission de déclarer la totalité de ses revenus pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, le Ministre lui a imposé lors de l'émission des avis de cotisation du 27 mai 2002, le paiement d'une pénalité de 4 321 $ pour l'année d'imposition 1995, de 4 200 $ pour l'année d'imposition 1996 et 4 153 $ pour l'année d'imposition 1997, conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après, la « Loi » );

r)           Lors de la production de ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, l'appelante [sic] ayant fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, le Ministre a émis les avis de nouvelle cotisation du 27 mai 2002 pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[3]      Dans sa réplique, monsieur Vincent a admis les faits énoncés aux alinéas 24 a), b), e), f), g) et h). Compte tenu de la preuve qui a été présentée devant moi ou compte tenu du fait qu'aucune preuve contraire n'a été présentée par monsieur Vincent, sont tenus pour avérés les faits énoncés aux alinéas 24 c) (avec la modification de monsieur Vincent selon laquelle il avait accepté le poste à la fin de l'année 1994), d), i), j), k), l), m), n) et o). En ce qui a trait aux alinéas 24 p) à r), il s'agit de faits à l'égard desquels le ministre avait le fardeau de la preuve et je réserve mes commentaires sur cette question pour mon analyse, faite plus loin.

[4]      Le témoignage de monsieur Vincent et la preuve documentaire qui a été présentée lors de son interrogatoire mené par la procureure de l'intimée ont révélé des faits additionnels. Tout d'abord, on a produit sous la cote I-1 la transcription du témoignage qu'avait donné monsieur Vincent devant un commissaire du travail dans le cadre de la plainte qu'il avait faite, en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail, en vue d'obtenir la réintégration dans son poste chez Howmet Cercast Canada Inc. à la suite de son congédiement survenu en août 1998. Lors de ce témoignage, on lui avait demandé de « donner un ordre de grandeur de ce [qu'il avait] facturé [pour de prétendus services de dessin industriel] à monsieur Inchausti, président d'Inviplax » [1]. Monsieur Vincent avait répondu : « Je ne pourrais pas. D'ailleurs, je n'ai jamais facturé. [...] Je vous l'ai dit, ça a toujours été payé comptant. » Cette réponse n'a pas été jugée satisfaisante par le commissaire du travail:

Q          [...] C'était un milliard (1 000 000 000) par année, un million (1 000 000) par année, cent mille (100 000), dix piastres (10 $) par année, cent piastres (100 $), mille piastres (1 000)?

[Monsieur Vincent]

[...]

R           O.K. Alors on va dire moins de cinquante mille dollars (50 000 $) par année, mais pas seulement de cet individu-là, de monsieur Enrique, d'autres individus aussi.

[...]

Q          [...] vous dites moins de cinquante mille dollars (50 000 $) par année pour tout le monde.

R           Oui. Ça pouvait être dix mille (10 000) comme ça pouvait être, cette année-là, ça s'annonçait très bon d'ailleurs puisqu'en six (6) mois, j'aurais pu faire trente mille dollars (30 000 $).

MICHEL DENIS, Commissaire :

Q          Mais quand vous dites moins de cinquante mille (50 000), mais comme ordre de grandeur environ trente (30) à quarante mille (40 000) par année que vous faisiez. C'est ma compréhension.

R           Oui.

Q          Est-ce que [je] me trompe?

R           Non, ce serait assez réaliste[2].

[Je souligne.]

[5]      Un peu plus loin, au cours du même interrogatoire, monsieur Vincent a donné les réponses suivantes[3] :

MICHEL DENIS, Commissaire :

Q          Donc, depuis quatre-vingt quinze (95), vous avez fait à chaque année, c'est ça?

R           Oui. On peut même dire depuis quatre-vingt treize (93) (inaudible).

Me JACQUES ROUSSE

PROCUREUR DE L'INTIMÉE

Q          Et vous avez été payé comment par lui?

R           Toujours comptant. J'ai toujours fait ça comptant. Pourquoi? Parce que mon salaire était assez élevé. Je ne le déclare pas. Pourquoi je serais pénalisé avec les taxes? C'est la seule chose que je me reproche qui m'empêche de dormir. Autrement le reste ne m'empêche pas de dormir, vous pouvez en être sûr, maître.

Q          Avez-vous reçu des sommes d'argent pour d'autre chose que du travail que vous avez fait de la part de...

R          Non. Non. J'ai seulement reçu des sommes d'argent pour le travail que j'ai fait chez moi, comme je vous l'ai répété plusieurs fois. [...]

[Je souligne.]

[6]      Dans sa décision, le commissaire du travail a fourni l'exposé des faits suivant aux paragraphes 67 à 70[4] :

[67]       Le plaignant n'a jamais informé l'intimé qu'il faisait du travail pour des fournisseurs. Il justifie son comportement par le fait que l'intimé n'avait pas donné suite au contrat qu'il avait avec le précédent propriétaire, contrat prévoyant, d'une part, l'exclusivité des services du plaignant et, d'autre part, l'octroi au plaignant d'un bonus annuel important et d'une auto, et qu'il se sentait alors libre de disposer à sa guise de ses temps libres.

[68]       Il mentionne qu'Inviplax, un des fournisseurs précités, lui a remis des sommes d'argent comptant pour des travaux de dessin, entre autres. Il précise que le coût de trois de ces travaux, à l'intérieur des six premiers mois de 1998, se montait à environ 30 000 $.

[69]       Il affirme qu'il a reçu, pour de tels travaux, de 30 000 $ à 40 000 $ par année pour les années 1995 à 1997, ceci de l'ensemble des fournisseurs.

[70]       Le plaignant déclare que ces derniers revenus n'étaient pas déclarés à l'impôt, qu'ils étaient l'objet d'une entente verbale et constituaient un passe-temps. Plus tard, il dira qu'il a toujours été payé comptant parce que son salaire était assez élevé et pour éviter les taxes qui sont la seule chose qui l'empêche de dormir.

[Je souligne.]

[7]      Monsieur Vincent a aussi révélé lors de son témoignage qu'il avait fait l'objet d'une dénonciation relative à la réception de commissions secrètes versées par des fournisseurs de son employeur. Après une longue saga judiciaire, monsieur Vincent a été reconnu coupable relativement à quatre chefs d'accusation à l'issue d'un procès devant jury en Cour supérieure du Québec. Le premier chef concernait le versement de commissions secrètes par une société appelée Sobacor inc. Le montant de ces commissions était de 80 000 $ pour la période de 1995 à 1997. Le deuxième chef se rapportait aussi à des commissions secrètes, mais il n'y avait aucun montant de mentionné. Le troisième concernait des commissions secrètes de 20 000 $ payées par la société Arnoldi Tool & Die Inc. et le quatrième avait trait à des commissions secrètes de 10 000 $ versées par la société Usinages Altec. Cela représentait en tout au moins 110 000 $ de commissions secrètes.

[8]      Monsieur Vincent a indiqué qu'il n'avait pas interjeté appel de la décision de la Cour supérieure au motif que la peine qu'on lui avait imposée ne l'obligeait pas à faire de la prison. La Cour supérieure l'avait condamné à une peine d'un an avec sursis, avec obligation de service communautaire.

[9]      De la plaidoirie de monsieur Vincent, tout comme de son témoignage, il ressort clairement qu'il ne conteste pas le fait qu'il a reçu des sommes d'argent qu'il n'a pas déclarées dans son revenu, et qu'il pourrait être assujetti à des pénalités en vertu de la Loi. Il conteste fondamentalement le montant visé par chacune des cotisations, à savoir le montant de 35 000 $. Ce montant de 35 000 $, comme on l'a vu plus haut, a été tenu pour acquis par le ministre et représentait une moyenne correspondant au montant que monsieur Vincent avait, devant le commissaire du travail, reconnu avoir reçu, à savoir un montant annuel qui allait de trente à quarante mille dollars pour des services rendus.

[10]     Lors du témoignage de monsieur Vincent devant moi, il est aussi ressorti qu'il avait adopté comme position, au procès criminel, que les commissions secrètes constituaient des honoraires versés pour des services rendus. Il a toutefois reconnu que les personnes qui auraient versé ces honoraires niaient avoir reçu tout service de monsieur Vincent.

[11]     Pour déclarer ses revenus pour la période pertinente, monsieur Vincent avait retenu les services d'une société de préparation de déclarations de revenus, mais il n'avait pas divulgué à celle-ci les sommes reçues soit à titre de commissions secrètes, soit à titre d'honoraires pour de prétendus services de dessin. De plus, il a reconnu qu'il ne s'était pas informé auprès de la société en question pour savoir quelles pouvaient être ses obligations quant à la divulgation et à la déclaration de ces revenus. Monsieur Vincent a justifié sa conduite en arguant qu'il n'avait pas reçu de feuillet T4 des personnes qui lui avaient versé les sommes en question et que, par conséquent, il croyait ne pas être tenu de déclarer ces revenus.

[12]     La preuve a révélé également que monsieur Vincent n'avait pas fait de démarche auprès des autorités fiscales pour s'enquérir de son obligation de déclarer les sommes reçues soit comme commissions secrètes ou comme rémunération pour ses services de dessin industriel. Les seules démarches que monsieur Vincent a entreprises étaient subséquentes à la production de ses déclarations de revenus pour la période pertinente. En fait, la seule démarche auprès des autorités fiscales a été effectuée à la suite de la réception en juillet 1999 de ce que monsieur Vincent a qualifié de faux feuillets de renseignements T4.

Analyse

[13]     Tout d'abord, il est important de mentionner, compte tenu du fait que les cotisations ont été établies au-delà de la période normale de cotisation, que le ministre ne pouvait les établir que s'il démontrait - comme cela est requis à l'alinéa 152(4)a) de la Loi - que le contribuable avait fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou avait commis quelque fraude en produisant sa déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la Loi. Or, il a été clairement reconnu dans la jurisprudence que le moment pertinent pour déterminer si une personne a fait, dans une déclaration de revenus, une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire doit être celui où la déclaration a été produite.

[14]     Dans Succession de feu Cléophas Saint-Aubin c. R., 2003 CarswellNat 2624, 2003 CCI 608, 2003 DTC 1085, j'ai cité la décision Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (QL), ainsi que la décision Nesbitt c. Canada., [1996] A.C.F. no 1470 (QL). Dans cette dernière décision, le juge Strayer, de la Cour d'appel fédérale, disait ce qui suit au paragraphe 8 :

[...] C'est au moment où la déclaration est produite que l'on peut déterminer s'il y a eu ou non présentation erronée de faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que toute nouvelle cotisation ultérieure.

[Je souligne.]

Le juge a même ajouté, toujours au paragraphe 8, que :

[...] Cela demeure une présentation erronée de fait même si le ministre pourrait relever ou relève effectivement l'erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs.

[15]     Ici, le ministre avait aussi le fardeau de démontrer les faits justifiant l'imposition d'une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Cette pénalité s'applique à toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenus.

[16]     Dans l'affaire Venne, on a également décrit le fardeau qu'a le ministre d'établir les faits pertinents pour justifier l'imposition d'une pénalité. Notamment, cette affaire est citée par le juge Isaac, de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Findlay c. Canada, [2000] A.C.F. no 731 (QL); est cité en particulier le passage suivant, qui traite de la faute lourde dont il est question au paragraphe 163(2) de la Loi :

[...] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi.

[17]     En résumé, l'intimée a le fardeau de faire la preuve de l'existence des éléments nécessaires pour établir ses cotisations au-delà de la période normale de cotisation et pour justifier les pénalités imposées.

[18]     Si le ministre réussit dans cette tâche, monsieur Vincent a, quant à lui, le fardeau de la preuve relativement au montant des cotisations. Plusieurs décisions ont appliqué ce principe, dont celle, citée par la procureure de l'intimée, dans l'affaire Jencik c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., 2003-1836(IT)I, 20 avril 2004, [2004] T.C.J. No. 202 (QL), 2004 CCI 295. Au paragraphe 11, le juge Bonner écrit :

La règle bien connue qui impose au contribuable le fardeau de prouver le caractère erroné des constatations ou des hypothèses de faits, ou des cotisations, ne s'applique pas dans le cas des appels interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations pour des années frappées de prescription, à moins que le ministre n'établisse préalablement des faits justifiant sa nouvelle cotisation.

[Je souligne.]

[19]     Il s'agit maintenant d'analyser la preuve à la lumière de ces principes. Une bonne partie de cette preuve a été faite grâce aux aveux judiciaires et extrajudiciaires de monsieur Vincent.

[20]     À ma connaissance, la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt et les Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) ne traitent pas de la question de l'aveu. Vu le silence de cette loi et de ces règles, il faut s'en remettre à l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada, qui édicte ce qui suit :

40 Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exercées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une autre pièce, s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois fédérales.

[21]     Comme l'appel de monsieur Vincent a été exercé au Québec, il faut s'en remettre aux règles de preuve du Code civil du Québec (C.c.Q.), en particulier celles relatives aux moyens de preuve, notamment l'aveu. L'article 2850 C.c.Q. définit l'aveu comme étant la reconnaissance d'un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre son auteur. Selon l'article 2851, « [l]'aveu peut être exprès ou implicite. » L'article 2852 C.c.Q. édicte : « L'aveu fait par une partie au litige [...] fait preuve contre elle, s'il est fait au cours de l'instance où il est invoqué. [...] La force probante de tout autre aveu est laissée à l'appréciation du tribunal. »

[22]     La doctrine et la jurisprudence distinguent entre l'aveu judiciaire et l'aveu extrajudiciaire. Tombe dans la première catégorie l'aveu fait en cours d'instance, soit, en l'espèce, la reconnaissance par monsieur Vincent qu'il reçu des sommes qu'il n'a pas déclarées dans ses revenus. L'aveu qui a été fait devant le commissaire du travail constitue un aveu extrajudiciaire. L'aveu judiciaire fait devant moi constitue une preuve probante. En ce qui a trait à l'aveu extrajudiciaire effectué devant le commissaire du travail, il s'agit d'un aveu dont la force probante est laissée à mon appréciation.

[23]     Il est utile de citer le commentaire suivant que fait le professeur Léo Ducharme dans son Précis de la preuve, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 1996, aux par. 703 et 704, commentaire d'ailleurs cité avec approbation par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Rhéaume c. Economical, Cie d'assurance, [1999] J.Q. no 5796 (QL) au paragraphe 15 :

[...] L'article 2852 C.c.Q. établit en effet une distinction très nette entre la force probante de l'aveu judiciaire et celle de l'aveu extrajudiciaire. [...]

[...] Un tribunal ne devrait pas cependant pouvoir écarter l'aveu extrajudiciaire d'une partie sans raison valable, vu la présomption de vérité qui s'attache à toute déclaration par laquelle une personne reconnaît un fait contraire à ses intérêts. Il est normal, dans ces conditions, que celui qui a fait une déclaration de ce genre, ait à démontrer pourquoi le tribunal ne devrait pas y ajouter foi.

[Je souligne.]

[24]     Monsieur Vincent a contesté l'admissibilité de son aveu extrajudiciaire en se fondant sur différents motifs. Premièrement, il a cité l'article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), qui dit :

Chacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf les poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires.

[Je souligne.]

[25]     À mon avis, cet article n'est pas applicable ici puisqu'il s'agit de déterminer si la cotisation établie par le ministre est valide. L'établissement d'une cotisation de l'impôt dû par un contribuable ne constitue pas un acte d'incrimination d'un contribuable; il s'agit uniquement de déterminer quelle est sa dette fiscale envers le ministre du Revenu national.C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle est arrivé mon collègue le juge Bédard dans l'affaire Bisaillon c. Canada, 2005 CCI 17, [2005] A.C.I. no 13 (QL), lorsqu'il a conclu que les pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi ne constituent pas une véritable conséquence pénale au sens de l'article 11 de la Charte. L'alinéa 11a) édicte : « Tout inculpé a le droit : a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche; [...] » .

[26]     On voit ainsi que les articles 11 et 13 sont des dispositions qui visent à protéger des droits vitaux des Canadiens, comme le droit décrit à l'article 7 de la Charte, soit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, et celui décrit à l'article 9 qui édicte que « chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires. »

[27]     Lorsqu'il s'agit d'une cotisation d'impôt, il n'est pas question d'atteinte à la liberté; il s'agit uniquement de déterminer si une personne a une dette fiscale envers les autorités fiscales.

[28]     Monsieur Vincent a aussi invoqué l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada, qui édicte :

(1)         Nul témoin n'est exempté de répondre à une question pour le motif que la réponse à cette question pourrait tendre à l'incriminer, ou pourrait tendre à établir sa responsabilité dans une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que ce soit.

(2)         Lorsque, relativement à une question, un témoin s'oppose à répondre pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer ou tendre à établir sa responsabilité dans une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que ce soit, [...] alors [...] sa réponse ne peut être invoquée et n'est pas admissible en preuve contre lui dans une instruction ou procédure pénale [...].

[29]     Je crois que plusieurs motifs peuvent fonder le rejet de cet argument de monsieur Vincent. Je me contenterai de mentionner le plus évident : pour que la preuve de l'aveu qu'a fait monsieur Vincent devant le commissaire du travail soit inadmissible, il aurait fallu que, lors de l'interrogatoire qui s'est déroulé devant ce commissaire, monsieur Vincent se soit opposé à répondre.Or, monsieur Vincent a reconnu devant moi ne s'être jamais opposé à répondre à la question dont a résulté l'aveu, comme le révèle d'ailleurs la lecture des passages pertinents de la transcription de son témoignage (pièce I-1).

[30]     En conclusion, l'aveu extrajudiciaire qui a été fait devant le commissaire du travail constitue un moyen de preuve admissible devant cette cour, et je conclus qu'il est, en plus, probant compte tenu du contexte dans lequel il a été fourni et compte tenu de la preuve que j'ai entendue lors de l'audience.

[31]     La façon dont je vois les événements qui sont survenus durant la période pertinente est la suivante. Les sommes qui, d'après monsieur Vincent, étaient de la rémunération pour des services de dessin industriel constituaient, selon toute vraisemblance, des commissions secrètes qu'il a reçues, et le fait qu'il a été trouvé coupable par un jury relativement à quatre chefs d'accusation selon lesquels il aurait reçu des commissions secrètes, dont le total s'élevait à un minimum de 110 000 $, constitue un élément de preuve supplémentaire permettant de conclure qu'il a reçu des sommes qu'il n'a pas déclarées dans ses revenus.

[32]     Selon la prépondérance de la preuve, compte tenu en partie de l'aveu de monsieur Vincent qu'il a reçu durant la période pertinente des sommes s'élevant à au moins 105 000 $, soit le montant des cotisations établies par le ministre, il ressort clairement du témoignage de monsieur Vincent non seulement qu'il n'a pas déclaré ces sommes, mais également qu'il savait qu'il devait les déclarer : « C'est la seule chose que je me reproche qui m'empêche de dormir. » À mon avis, son explication qu'il n'avait pas reçu de T4 ne constitue qu'une simple excuse de sa part qui, à mon avis, ne peut pas être retenue ici. La preuve dans cet appel m'apparaît beaucoup plus claire que celle présentée dans bien d'autres appels entendus par cette cour.

[33]     De ma conclusion que monsieur Vincent n'a pas déclaré de façon volontaire ses revenus il découle que l'une des conditions nécessaires à l'application de la pénalité est remplie : il a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé dans sa déclaration. Si ce n'est pas par omission volontaire qu'il l'a fait, c'est certainement dans des circonstances équivalant à faute lourde, à savoir une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi.

[34]     La preuve du montant du revenu non déclaré donnant lieu aux pénalités, soit 35 000 $ pour chacune des années en cause, a été faite de deux façons. Il y a l'aveu extrajudiciaire par lequel monsieur Vincent a reconnu avoir gagné en moyenne, durant la période pertinente, entre trente et quarante mille dollars de revenus supplémentaires. Il y a de plus le fait qu'un jury l'a reconnu coupable hors de tout doute raisonnable d'avoir reçu des commissions secrètes s'élevant à 110 000 $. Or, la preuve hors de tout doute raisonnable est une norme de preuve bien plus élevée que celle qui est exigée devant cette cour. Le montant établi par le ministre dans ses cotisations est inférieur de 5 000 $ au montant visé par les chefs d'accusation. Il m'apparaît tout à fait clair, selon la prépondérance des probabilités, que les sommes établies dans les cotisations constituent des revenus gagnés dans chacune des années d'imposition visées par ces cotisations.

[35]     Vu ma conclusion que monsieur Vincent a de façon volontaire omis de déclarer 35 000 $ par année, les pénalités sont tout à fait justifiées. Bien évidemment, le ministre pouvait en conséquence établir des cotisations au-delà de la période normale de nouvelle cotisation parce qu'il y a eu une présentation erronée des faits qui a été faite par négligence, inattention ou omission volontaire. Toutes les conditions sont donc réunies pour permettre l'établissement des cotisations. La conduite adoptée par monsieur Vincent lors de la préparation et de la production des déclarations de revenus est suffisante pour justifier l'établissement de cotisations au-delà de la période normale de nouvelle cotisation.

[36]     Le principal motif de monsieur Vincent pour interjeter appel devant cette cour était non pas de nier le fait qu'il n'avait pas déclaré tous ses revenus, mais de s'attaquer au montant des cotisations établies par le ministre. Il a prétendu qu'il incombait au vérificateur d'aller questionner les fournisseurs pour déterminer quel était le véritable montant qui lui avait été versé. Toutefois, comme on l'a vu plus haut, la jurisprudence a de façon continue et régulière décidé que cette tâche revient au contribuable. C'est au contribuable de démolir les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir le montant d'impôt fixé dans la cotisation. Or, l'un des faits tenus pour acquis par le ministre était que monsieur Vincent avait gagné 35 000 $ de revenus supplémentaires par année. C'est monsieur Vincent qui devait faire la preuve que ce montant était erroné. Puisqu'il n'a pas produit une preuve contraire démolissant le fait en question, et ce comme il l'a reconnu, parce qu'il n'a gardé aucun document comptable pouvant établir le montant précis du revenu additionnel gagné dans chacune des années pertinentes, monsieur Vincent n'a pas démontré que les cotisations du ministre étaient erronées.

[37]     Pour ces motifs, les appels de monsieur Vincent à l'égard des années d'imposition 1995, 1996 et 1997 sont rejetés, avec dépens en faveur du ministre.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'octobre, 2005.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :

2005CCI330

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1031(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

CHRISTIAN VINCENT ET LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 24 mars 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :

le 31 mars 2005

DÉCISION RENDUE

ORALEMENT :

le 24 mars 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :

le 11 octobre 2005

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Pour l'intimée :

Me Julie David

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Page 88 de la transcription.

[2]           Ibid., pp. 89-90.

[3]           Ibid., pp. 156-157.

[4]           Voir pièce I-2.

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