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Dossier : 2000-50(IT)G

ENTRE :

RONA INC.

(anciennement Groupe Rona Dismat inc.),

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 5 décembre 2002 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Patrick-James Blaine

Avocats de l'intimée :

Me Pierre Cossette

Me Antonia Paraherakis

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 1992 est admis, sans frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que le montant de la dépense que le ministre aurait dû refuser est de 34 000 $ et non pas de 36 380 $.


Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1993 à 1996 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mars 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.


Dossier : 2002-1888(IT)G

ENTRE :

RONA INC.

(anciennement Groupe Rona Dismat inc.),

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus le 5 décembre 2002 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Patrick-James Blaine

Avocats de l'intimée :

Me Pierre Cossette

Me Antonia Paraherakis

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JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1996 à 1998 sont rejetés.

L'intimée a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mars 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.


Référence : 2003CCI121

Date : 20030310

Dossiers : 2000-50(IT)G

2002-1888(IT)G

ENTRE :

RONA INC.

(anciennement Groupe Rona Dismat inc.),

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]      Rona inc. interjette appel de cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1992 à 1998 inclusivement. Dans le calcul du revenu de Rona, le ministre a refusé la déduction de frais d'honoraires versés à des avocats, à des comptables ou à des courtiers en valeurs mobilières. Les services fournis par ces professionnels avaient trait à des études concernant l'acquisition[1] d'actions de sociétés concurrentes, la participation dans des coentreprises pour l'établissement de magasins à grande surface, ou l'acquisition d'éléments d'actif. Rona soutient qu'il s'agit de dépenses courantes engagées dans le cadre normal de ses opérations alors que le ministre croit qu'il s'agit de dépenses en capital. Le ministre a par conséquent ajouté ces dépenses soit au coût d'acquisition des biens acquis par la suite ou au montant cumulatif des immobilisations admissibles de Rona. Il a, bien entendu, accordé la déduction prévue à l'alinéa 20(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi). La seule question en litige est de savoir si lesdites dépenses sont de nature courante ou si elles constituent plutôt des dépenses en capital[2].

Faits

Contexte factuel

[2]      Rona est une société canadienne exploitant sur le marché canadien une entreprise de vente et de distribution de produits de quincaillerie, de construction, de rénovation et d'horticulture. Durant la période pertinente, Rona vendait et distribuait ses produits par l'intermédiaire de trois types de magasin. Tout d'abord, il y avait des magasins affiliés appartenant à des marchands indépendants qui avaient l'obligation d'acheter plus de 90 % de leurs produits chez Rona. Il y avait aussi des magasins franchisés appartenant exclusivement à des marchands indépendants (ou à de tels marchands et à Rona conjointement). Ces magasins devaient acheter 100 % de leurs produits chez Rona et étaient assujettis à des conventions de concession commerciale plus strictes que celles liant les magasins qui étaient affiliés à Rona. Finalement, il existait des magasins « corporatifs » qui appartenaient à Rona ou à des filiales de Rona. En 1994, 85 % des actionnaires de Rona étaient des marchands affiliés, le reste des actionnaires étant des membres de la haute direction de Rona ou d'anciens marchands. Rona tirait ses revenus de la vente de ses produits à ces magasins et de « rabais-volume » consenties par ses fournisseurs. Le montant de ces ristournes variait en fonction du volume des produits achetés et pouvait représenter jusqu'à 20 % des revenus bruts de Rona.

[3]      Au milieu des années 1990, 90 % du chiffre d'affaires de Rona provenait du Québec et 10 % de l'Ontario. Pour faire face à l'arrivée de compétiteurs de grande taille comme l'entreprise américaine Home Depot, il était important pour Rona de devenir un intervenant dominant dans son marché et elle devait augmenter le nombre de ses points de vente. Son plan d'affaires durant la période pertinente était d'étendre de façon considérable son entreprise en augmentant non seulement au Québec, mais ailleurs au Canada, sa part du marché, notamment en poursuivant l'établissement de magasins à grande surface, le recrutement de magasins franchisés et affiliés ainsi que l'acquisition de magasins « corporatifs » , principalement à l'extérieur du Québec.

[4]      On verra plus loin de quelle façon s'est fait, en partie, ce développement au cours de la période pertinente, mais les résultats obtenus confirment le succès de la stratégie de Rona puisque sa part du marché au Québec est passée de 25 % en 1995 à 33 % en 2002, alors que sa part du marché canadien est passée de 4 % ou 5 % en 1995 à 11 % en 2002. Il est important de constater qu'il existait durant la période pertinente, et qu'il existe encore aujourd'hui, une grande fragmentation du marché des articles de quincaillerie, de rénovation et de jardinage. En 2001, les quatre principaux intervenants actifs sur le marché canadien avaient environ 49 % de ce marché. On estime que 5 000 exploitants indépendants se partageaient le reste du marché.

[5]      Le seul témoin entendu à l'audience, monsieur Claude Guévin, vice-président, finances et administration, chez Rona, a indiqué que lui et les cadres travaillant dans les bureaux administratifs de Rona consacraient de 50 % à 60 % de leurs activités au développement de l'entreprise et qu'une vingtaine d'employés[3] itinérants se consacraient uniquement à ce travail. Le travail de ces personnes comprenait essentiellement quatre activités importantes - dont l'importance pouvait varier d'un employé à l'autre - à savoir : 1) rendre plus efficace la gestion des magasins existants, 2) recruter de nouveaux magasins affiliés, 3) ouvrir de nouveaux magasins à grande surface et 4) faire l'acquisition pure et simple de sociétés concurrentes.

[6]      La stratégie suivie par Rona pour établir des magasins à grande surface a été d'intéresser un ou plusieurs marchands affiliés dans une coentreprise dans laquelle Rona pouvait détenir une participation de 30 % (à savoir des actions ordinaires avec droit de vote) et de financer en partie cette coentreprise en souscrivant des actions privilégiées relativement auxquelles des dividendes étaient versés. Les marchands affiliés investissant dans cette coentreprise avaient l'option d'acheter les actions détenues par Rona essentiellement à leur valeur comptable, si cet achat s'effectuait dans les deux ou trois premières années suivant l'acquisition d'une participation. Passé cette période, une prime s'ajoutait au prix d'achat de ces actions. De façon générale, selon monsieur Guévin, les participations de Rona ont été rachetées dans un délai de trois ans par ses coentrepreneurs. Dans certains cas, au lieu de former une nouvelle entité de coentreprise, Rona pouvait investir directement dans le capital-actions du marchand affilié afin de financer la construction du magasin à grande surface. Toutefois, la même option d'achat pouvait être levée par le marchand affilié en achetant la participation de Rona dans la société de ce marchand affilié.

[7]      Pour développer de nouveaux points de vente, Rona a, en plus de recourir aux services fournis par ses propres employés, retenu les services de professionnels externes, notamment des experts-comptables, des conseillers juridiques et des courtiers en valeurs mobilières. Leur travail consistait à effectuer une vérification diligente des entreprises que Rona envisageait d'acheter (ou de former), ou dans lesquelles elle pouvait prendre une participation. Durant les cinq années d'imposition pertinentes, Rona a envisagé douze opérations d'acquisition et a versé à ses professionnels des honoraires totalisant 957 133 $. Comme ce sont ces honoraires qui font l'objet du litige, je vais maintenant analyser la nature des services rendus par ces professionnels relativement à chacune des douze opérations en question.

Matco Ravary Inc.(Matco)

[8]      Au cours de son exercice 1994, Rona a versé des honoraires de 7 906 $ au cabinet d'avocats Lavery, De Billy et de 11 500 $ au cabinet de comptables Raymond Chabot Martin Paré (RCMP). À l'époque, Matco, une société ouverte, exploitait cinq magasins affiliés à Rona dans la région de Montréal (sans utiliser le nom de Rona). Dans son avis d'appel (dossier 2000-50(IT)G), Rona décrit ces honoraires de la façon suivante :

Ces honoraires ont été encourus dans le cadre de la vérification diligente effectuée lors de l'acquisition, par [Rona], des actions de Matco. Cette acquisition permettait l'implantation d'un nouveau point de vente de grande superficie. Suite à des difficultés financières rencontrées par [Matco], [Rona] a repris, le 30 juillet 1995, les éléments d'actif du magasin Rona l'Entrepôt [magasin à grande surface] situé à ville St-Laurent, détenus par [Matco] et ce, dans le but de maintenir le point de vente en question.

[9]      Comme monsieur Guévin n'a décrit dans son témoignage les services rendus par les professionnels en question qu'en des termes très généraux, il faut analyser les notes d'honoraires elles-mêmes pour obtenir une meilleure compréhension des services rendus. De plus, aucun des professionnels ayant rendu ces services n'est venu témoigner pour les décrire. Sur la note d'honoraires de Lavery, De Billy du 16 mars 1994, on indique que les services ont tous été rendus sur la période du 7 au 10 février 1994 et qu'ils comprenaient notamment « la vérification de divers contrats, livres des minutes et autres documents » aux bureaux de Matco, des vérifications auprès de la Commission des valeurs mobilières du Québec, de la Bourse de Montréal et des représentants de Matco, et la « rédaction du rapport de vérification diligente » le 10 février 1994. Dans sa note d'honoraires du 30 mars 1994, RCMP indique avoir dressé un plan de vérification diligente de Matco et avoir examiné les dossiers comptables de Matco préparés par Harel, Drouin et associés.

[10]     On a aussi déposé en preuve l'entente en date du 11 février 1994 portant sur la souscription d'actions du capital-actions de Matco par Rona. Les conditions de cette souscription ont été acceptées par Matco le même jour. Dans cette entente, Rona souscrivait un million deux cent mille actions ordinaires, représentant 26.54 % des actions « votantes et participantes » de Matco, pour un prix de 3 000 000 $. Cette entente de souscription ne prévoit pas d'option d'achat par Matco des actions détenues par Rona. Selon monsieur Guévin, il s'agit là d'une situation exceptionnelle, probablement due au fait que Matco était une société ouverte. Rona continue toujours à détenir ces actions de Matco.

François Lespérance Inc. (Groupe Lespérance)

[11]     Comme l'indique l'avis d'appel de Rona (dossier 2000-50(IT)G), les « honoraires ont été encourus dans le cadre de la vérification diligente et des négociations entourant la mise sur pied d'un Rona L'entrepôt en collaboration avec le Groupe Lespérance. » On visait à mettre en place un placement analogue à celui qu'on a réalisé avec Matco. L'argent investi dans le Groupe Lespérance devait servir à financer la construction d'un magasin à grande surface à Laval. Durant l'année d'imposition 1994, Rona a payé relativement à ce projet des honoraires de 11 900 $ à RCMP et de 54 823 $ à Lavery, De Billy.

[12]     La note d'honoraires de RCMP du 30 juin 1994 ne mentionne qu'une vérification diligente du Groupe Lespérance. Celle de Lavery, De Billy du 22 juillet 1994 décrit des services professionnels rendus pour la période du 20 mai au 13 juillet 1994 relativement à une souscription d'actions. Cette description contient les éléments suivants : vérification diligente des compagnies du Groupe Lespérance, notamment la révision des livres de procès-verbaux des compagnies du groupe, la révision de documents relatifs aux immeubles appartenant aux dites compagnies (titres de propriété, actes d'hypothèque, convention de sous-location, offres d'achat et de location), révision et résumé de divers contrats et engagements, vérification au bureau de la publicité des droits, révision de documents relatifs aux marques de commerce, analyse des conventions collectives et des contrats individuels de travail, vérification de l'existence de poursuites intentées par ou contre le Groupe Lespérance, évaluations environnementales relativement à certaines propriétés, et assistance et négociations en vue de la souscription d'actions du Groupe Lespérance, y compris la rédaction d'une convention visant à régir des engagements accessoires, d'un projet d'avis juridique et de projets de convention de dépôt.

[13]     Finalement, la maison de courtage en valeurs mobilières Burns Fry a établi le 22 août 1994 une note d'honoraires de 50 000 $ pour des services d'évaluation. Le montant dont le ministre a refusé la déduction est de 25 000 $ et ce montant correspond à celui qui, selon l'avis d'appel de Rona, se rapporte à « une médiation sur la valeur des actions dans le dossier Lespérance. » Aucune explication n'a été fournie sur cette réduction des honoraires pour l'évaluation. Toutefois, comme le projet d'acquisition a avorté parce que les négociations sur l'entente de concession commerciale qui devait régir l'exploitation du magasin à grande surface ont échoué, il est probable que ce fait explique - au moins en partie - ce résultat.

Groupe Sodisco

[14]     Le 8 décembre 1994, Rona acceptait une offre de Lévesque Beaubien Geoffrion Inc. (Lévesque Beaubien) de fournir ses services à titre de conseiller financier exclusif de Rona dans l'acquisition éventuelle d'une société dont le nom a été effacé de l'entente. Comme il s'agit selon toute vraisemblance du Groupe Sodisco, une société ouverte, il aurait fallu que Rona fasse une offre publique d'acquisition (OPA) d'actions. Les services de Lévesque Beaubien devaient être rendus en trois étapes. À la première, Lévesque Beaubien devait élaborer une stratégie d'acquisition, chercher, le cas échéant, des partenaires qui pourraient être intéressés à se joindre à Rona, effectuer une analyse financière préliminaire en vue d'établir une fourchette de valeurs et voir à la préparation d'un document d'information pour la négociation d'une entente d'acquisition avec ladite société ouverte. À la deuxième étape, Lévesque Beaubien allait coordonner les démarches auprès des actionnaires principaux ou du conseil d'administration afin de discuter de l'acquisition de cette société. À la troisième étape, dans le cadre de l'OPA, Lévesque Beaubien devait aider dans l'élaboration d'une stratégie de communication publique, dans la rédaction d'une circulaire d'offre publique, etc. De plus, Lévesque Beaubien devait assister dans la restructuration du capital de Rona en vue de lui permettre de devenir à terme une société ouverte.

[15]     L'entente énonçait des modalités concernant les honoraires de consultation de Lévesque Beaubien, honoraires dont 30 000 $ devaient être payables à la signature de l'entente et 30 000 $ le jour précédant le premier contact officiel avec le conseil d'administration. La première tranche de 30 000 $ a été facturée par Lévesque Beaubien le 13 novembre 1994 et la deuxième l'a été le 11 avril 1995. Monsieur Guévin a indiqué que l'opération en question avait échoué[4].

Réno-Dépôt Inc.

[16]     Au cours de l'automne 1995, Rona a retenu les services de professionnels pour acquérir soit les actions d'un compétiteur, Réno-Dépôt, qui détenait cinq magasins à grande surface, soit des éléments d'actif de cette société. En 1996, Rona a versé des honoraires de 204 350 $ à Ernst & Young, de 45 823 $ à Lavery De Billy, de 48 318 $ à Desjardins Ducharme et de 105 000 $ à Nesbitt Burns, pour un total de 403 491 $. La première note d'honoraires de Ernst & Young vise une période se terminant le 28 octobre 1995. Les deux autres notes de ce cabinet de comptables visent la période du 28 octobre 1995 jusqu'au 31 décembre 1995. Le montant facturé est supérieur au montant effectivement versé, compte tenu de l'échec du projet d'acquisition.

[17]     Les notes d'honoraires de Desjardins Ducharme visent la période débutant le 18 octobre 1995 et se terminant le 31 janvier 1996. Celles de Lavery, De Billy couvrent la période du 7 novembre 1995 au 26 février 1996. Contrairement aux notes d'honoraires de Ernst & Young, celles des conseillers juridiques fournissent une description détaillée des services rendus. Ces services portaient sur un projet d'acquisition et comprenaient notamment des discussions concernant un transfert d'actions (19 octobre 1995)[5], l'échéancier des transactions relatives à l'OPA et à la réorganisation de Rona et à la constitution d'une société de portefeuille pour regrouper les marchands membres, une vacation à la Commission des valeurs mobilières du Québec (13 novembre 1995), la rédaction d'un questionnaire relativement à la vérification environnementale (14 novembre 1995), l'étude des titres de propriété immobilière, une conversation relativement à la convention de concession commerciale, la préparation d'une demande de décision au préalable en matière de concurrence (15 novembre 1995), une rencontre avec les experts et les représentants des actionnaires de Réno-Dépôt (17 novembre 1995), une conversation relativement à la « structure corporative » aux fins de planification fiscale (27 novembre 1995), la planification fiscale relativement au régime d'épargne-actions du Québec (6 décembre 1995), la rédaction d'une lettre d'entente modifiée (11 décembre 1995), l'étude et la révision des documents relatifs au financement de la transaction préparés par Nesbitt Burns (13 décembre 1995), une conversation sur les communiqués de presse, l'examen de précédents concernant certains aspects de l'OPA (12 janvier 1996), la rédaction d'une clause d'exclusion à inclure dans le projet de lettre d'intention (22 janvier 1996), l'examen de la nouvelle structure proposée (31 janvier 1996). Le dernier service indiqué a été rendu le 26 février 1996 et, d'après la description, il s'agissait de discussions téléphoniques sur l'état des négociations avec l'autre partie et sur la date du dépôt du préavis.

[18]     Même si l'entente de service entre Nesbitt Burns et Rona est en date du 6 décembre 1995, elle révèle que du travail avait été effectué par ce courtier depuis le début novembre. Aux termes de cette entente de service, Nesbitt Burns s'engageait à fournir des services consistant, entre autres, à travailler avec Rona à l'analyse financière et l'évaluation de Réno-Dépôt, notamment par le choix de la fourchette à retenir pour la détermination du prix d'acquisition, à fournir des conseils sur les méthodes de financement, à assister dans la négociation et la rédaction de l'entente de blocage, à assister Rona dans la conduite de la vérification diligente, à préparer une circulaire d'OPA, et à former un groupe avec les membres des bourses canadiennes dans le but de solliciter l'acceptation de l'offre.

[19]     Comme pour le projet d'OPA visant Sodisco, l'OPA visant Réno-Dépôt n'a pas eu lieu et aucune explication de l'échec n'a été fournie.

Inovaco Ltée

[20]     Au début de l'année 1997, Rona voulait établir un magasin à grande surface dans la région de Gatineau. Pour atteindre cet objectif, elle a décidé d'investir dans le capital-actions de Inovaco, un de ses marchands affiliés, qui possédait un petit magasin dans cette région. Ce magasin (après avoir été démoli en partie) devait être converti en un magasin à grande surface. L'opération s'est réalisée et Rona a investi 3 000 000 $ dans le capital-actions de Inovaco, ce qui donnait à Rona une participation de 33 %. Une entente de concession commerciale a fait de Inovaco un franchisé de Rona. Inovaco avait aussi le droit d'acheter la participation de Rona, ce qu'elle a fait dans les deux ou trois années qui ont suivi la réalisation du projet.

[21]     Le contrôle de Rona sur ce franchisé s'exerce non seulement grâce à l'entente de concession commerciale d'une durée de vingt ans, mais aussi grâce à un bail de vingt ans accordé par Rona à Inovaco et portant sur le terrain sur lequel se trouve le magasin.

[22]     La note d'honoraires de RCMP faisant état d'un montant de 13 500 $ est en date du 25 avril 1997 alors que les notes d'honoraires de Desjardins Ducharme totalisant 11 422 $ sont en date du 11 mars 1997, du 7 avril 1997 et du 25 juin 1997. Les services de Desjardins Ducharme ont été rendus dans la période s'étalant du 6 février au 21 mai 1997. Les services décrits dans leurs notes d'honoraires se rapportent principalement à une vérification diligente concernant notamment le « statut corporatif » de Inovaco et des questions en matière de droit du travail, de droit immobilier et de droit environnemental. Il y est aussi question de clauses à être insérées dans la convention de souscription d'actions, d'une conversation « relativement à la convention de souscription d'actions et au libellé des déclarations et garanties pour les reproduire dans le bail » (19 mars 1997), de la « révision des résumés des documents reliés au financement avec Banque Nationale du Canada » (21 mars 1997), de l'étude de certificats de localisation (24 mars 1997), et d'une conversation relativement à la séance de négociations prévue pour la semaine suivante (3 avril 1997).

Beaver Lumber

[23]     Très peu d'éléments de preuve ont été produits durant l'audience relativement au projet d'acquisition de Beaver Lumber, une société exerçant ses activités principalement en Ontario. Monsieur Guévin a été incapable d'indiquer quel était le chiffre d'affaires de cette société. Toutefois, il est certain qu'il était plus élevé que 100 millions de dollars par année. Dans son avis d'appel (dossier 2002-1888(IT)G), Rona allègue qu'elle a versé, au cours de l'année 1998, 23 100 $ à Ernst & Young, 8 521,67 $ au consultant Paul R. Crocker, et 67 349 $ à la firme de courtage Société Générale (Canada) « dans le cadre du projet d'acquisition avorté de la chaîne Beaver Lumber. Ce projet aurait permis à [Rona] d'accroître sa part de marché en Ontario. » Comme seuls éléments de preuve documentaire, on trouve, en date du 14 mars 1997, une note d'honoraires de 25 000 $ de la Société Générale sans description de la nature des services rendus, ainsi que la note d'honoraires du 9 juin 1998 de Ernst & Young décrivant des services rendus entre le 1er et le 24 mai 1998 et faisant notamment état d'honoraires de 16 000 $ ayant trait au projet d'acquisition Beaver. À ce propos, mention est faite de rencontres à Toronto et à Montréal. La nature des services rendus n'y est pas décrite.

Revy Home Centres Inc. (Revy)

[24]     En 1998, Rona explorait la possibilité d'établir des magasins à grande surface dans l'Ouest avec le groupe Revy. Dans son avis d'appel (dossier 2002-1888(IT)G), Rona affirme avoir versé 8 400 $ à Ernst & Young et 70 000 $ à la Société Générale (Canada). On a produit en preuve une note d'honoraires du 5 février 1999 de la Société Générale pour des honoraires de 87 500 $ avec la seule mention qu'il s'agissait d'une « facture pour le projet BC » et avec une description de certains débours ayant trait à des frais de voyage, une des destinations étant Vancouver.

[25]     Parmi les notes d'honoraires de Ernst & Young, on en trouve une en date du 8 janvier 1999 dans laquelle on indique des honoraires de 2 500 $ relativement à plusieurs discussions avec la direction de Rona. On trouve dans celle du 2 décembre 1998, sous la rubrique « Revelstoke » , une mention d'honoraires de 5 500 $ pour la « préparation de la présentation à Revelstoke, plusieurs discussions avec la Société Générale [et la] présentation lors de la rencontre du 27 novembre » .

[26]     Monsieur Guévin s'est contenté d'indiquer que ce projet ne s'était jamais réalisé. Toutefois, trois ans plus tard, l'actionnaire de Revy a conclu à une entente pour vendre à Rona certains de ses magasins. Dans un prospectus en date du 25 octobre 2002 relativement à une nouvelle émission de 11 120 000 actions ordinaires de Rona pour 150 120 000 $, il est mentionné que cette dernière a acquis, le 6 juin 2001, la majeure partie de l'actif de Revy, soit cinquante et un magasins et trois centres de distribution dans cinq provinces (l'Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l'Alberta et la Colombie-Britannique), dont les ventes au détail totalisaient environ 816 millions de dollars par année.

Ferlac Inc.

[27]     Au cours de l'été 1998, Rona voulait établir deux magasins à grande surface dans la région d'Alma et de Jonquière. Des négociations ont été entreprises avec Ferlac, qui possédait cinq magasins affiliés au groupe Rona. Ce projet ne s'est pas réalisé tel qu'il avait été planifié. Rona a plutôt établi un magasin « corporatif » et a confié à Ferlac la gestion de ce magasin. Dans son avis d'appel (dossier 2002-1888(IT)G), Rona affirme avoir versé des honoraires de 20 700 $ à Ernst & Young et de 7 007 $ à Desjardins Ducharme dans le cadre d'un projet de prise de participation dans Ferlac. Parmi les pièces déposées en preuve, il y a un relevé d'honoraires d'Ernst & Young du 6 juillet 1998, indiquant des honoraires de 12 000 $ relativement au dossier Ferlac sans d'autre description que le fait qu'il s'agit d'honoraires pour la période du 25 mai au 27 juin 1998. Quant aux honoraires de Desjardins Ducharme, on trouve une note d'honoraires en date du 8 juillet 1998 décrivant des services rendus pour la période du 22 juin au 3 juillet 1998, essentiellement pour la « préparation et rédaction d'un projet de protocole d'entente ayant trait à l'acquisition d'une prise de participation par Rona inc. dans Ferlac inc. »

OPA envisagée à l'égard de Matco

[28]     Dans son avis d'appel (dossier 2002-1888(IT)G), Rona affirme avoir payé des honoraires de 57 960 $ à Ernst & Young et de 19 116 $ à Lavery, De Billy relativement à la possibilité d'effectuer une OPA visant Matco. Comme il a été mentionné plus haut, cette société possédait cinq magasins affiliés à Rona. Matco projetait de cesser de faire ses achats chez Rona et cette dernière, pour ne pas perdre ces cinq points de vente, a envisagé de prendre le contrôle de Matco. Matco ayant abandonné son projet d'acheter ses produits ailleurs, l'OPA n'a pas eu lieu. Comme notes d'honoraires, on trouve celle de Ernst & Young en date du 6 juillet 1998 pour la période du 25 mai au 27 juin 1998 indiquant des honoraires de 45 000 $, et celle de Lavery, De Billy du 19 juin 1998 visant la période du 25 mars au 9 juin 1998. Il ressort de l'analyse de cette dernière note d'honoraires qu'au départ les procureurs ont étudié la question de la cessation des relations d'affaires et qu'ils ont procédé à la rédaction d'un projet de mise en demeure. Par la suite, on semble avoir envisagé l'option d'une OPA d'actions suivie d'un accord de confidentialité.

Cashway Building Centre (Cashway)

[29]     Dans son avis d'appel (dossier 2002-1888(IT)G), Rona affirme avoir versé 5 513 $ au consultant Paul R. Crocker au cours de 1998 « dans le cadre de l'étude de la possibilité d'acquérir la chaîne Cashway Building Centre de façon à accroître sa part de marché en Ontario. Les négociations ont porté fruit et l'acquisition s'est conclue en 2000. » Cette chaîne possédait à cette époque soixante-six points de vente et un centre de distribution et avait un chiffre d'affaires d'environ 294 millions de dollars. À la même époque, Rona comptait quarante points de vente de marchands affiliés en Ontario. Dans sa note d'honoraires du 8 juin 1998 portant sur les semaines du 18 et 25 mai et du 1er juin 1998, monsieur Crocker décrit ses services comme ayant consisté dans la rédaction d'un rapport confidentiel sur un certain nombre de magasins Cashway.

Loyola Schmidt (Loyola)

[30]     Dans son avis d'appel (dossier 2002-1888(IT)G), Rona affirme avoir versé 15 575 $ à Ernst & Young « dans le cadre de l'analyse de l'entreprise Loyola Schmidt, magasin affichant la bannière "Rona Le Rénovateur", dans le but d'analyser la possibilité de convertir ce magasin en magasin Rona le Rénovateur Régional. Ainsi, [Rona] avait commandé un rapport d'opinion sur la juste valeur marchande de l'entreprise au 30 septembre 1998. » Dans sa note d'honoraires du 8 janvier 1999, Ernest & Young indique qu'elle a produit un « rapport d'opinion sur la juste valeur marchande au 30 septembre 1998 » et elle fait état de débours pour « une évaluation du terrain et des bâtisses Loyola Schmidt » . Il semble que le montant des honoraires ait été réduit par la suite. Il n'est pas clair si l'opération envisagée a eu lieu.

Groupe Lespérance

[31]     Dans son avis d'appel (dossier 2002-1888(IT)G), Rona affirme avoir versé une somme de 28 350 $ à Ernst & Young « dans le cadre de l'évaluation de l'entreprise Lespérance, une importante chaîne de magasin [sic] de la Rive-Nord de Montréal qui avait quitté le regroupement de [Rona] en 1995 et qui, en 1998, avait manifesté le désir de revenir au sein de celui-ci. Ainsi, [Rona] et Lespérance considérait [sic] la possibilité d'établir des projets de grande surface dans la région par le biais de "joint-ventures". » Le Groupe Lespérance avait un chiffre d'affaires d'environ 60 000 000 $ par année et une bonne notoriété. Par la suite, un contrat d'une durée de trois ou quatre ans est intervenu en 1998. Plus tard, en 2002, une convention de concession commerciale pour une période de dix ans a été signée.

Analyse

[32]     Les dispositions pertinentes pour ce qui est du règlement du litige soulevé par ces appels sont les alinéas 18(1)a) et 18(1)b) de la Loi, qui édictent ce qui suit :

ARTICLE 18 :            Exceptions d'ordre général.

            (1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) Restriction générale - les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

b) Dépense ou perte en capital - une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie; [...]

Le premier alinéa ne pose aucun problème puisque l'intimée ne soutient pas que les dépenses engagées par Rona l'ont été dans un but autre que celui de tirer un revenu d'une entreprise. Par contre, l'intimée soutient que l'alinéa 18(1)b) s'applique aux honoraires versés par Rona au cours de la période pertinente. Le règlement de ces appels soulève donc le problème classique de la distinction entre les dépenses à titre de revenu et les dépenses à titre de capital. Les tribunaux ont souvent été saisis de tels litiges et ont, à plusieurs reprises, énoncé les principes et les critères devant aider à les résoudre. On trouve dans la décision Oxford Shopping Centres Ltd. c. La Reine, [1980] 2 C.F. 89 (confirmée par la Cour d'appel fédérale, 81 DTC 5065) un excellent exposé des principes généraux pertinents et il convient de le reproduire ici. Voici ce que le juge en chef adjoint Thurlow écrit aux pages 96 à 100 :

Je passe maintenant aux critères qu'il convient de retenir pour résoudre la question.     Dans British Columbia Electric Railway Company Limited c. M.R.N.[6], le juge Abbott s'est réclamé en ces termes des anciennes dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui ne diffèrent pas sensiblement des dispositions pertinentes actuellement en vigueur:

[TRADUCTION] L'objectif essentiel présumé de toute entreprise commerciale étant la recherche d'un profit, toute dépense consentie « en vue de gagner ou de produire un revenu » s'inscrit dans le cadre de l'art. 12(1)a), qu'il s'agisse d'une dépense de revenu ou d'une dépense de capital.

Dès qu'il est acquis qu'une dépense donnée est engagée dans le but de gagner ou de produire un revenu, il faut ensuite, pour rechercher s'il y a assujettissement à l'impôt sur le revenu, déterminer si une telle dépense constitue une dépense de revenu ou une dépense de capital.    Les principes sous-jacents à une telle distinction reviennent à dire, en fait, que, le revenu aux fins de l'impôt étant calculé sur une base annuelle, une dépense de revenu est une dépense engagée dans le but de gagner le revenu au cours de l'année où elle a été consentie, et elle doit être déduite du revenu brut de l'année en question.    La majeure partie des dépenses en capital d'autre part, peut être amortie ou annulée [written off] en un certain nombre d'années, selon que l'actif pour lequel la dépense est consentie s'inscrit ou ne s'inscrit pas dans le cadre des règlements sur l'allocation du coût en capital prévus à l'art. 11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

. . .

Les principes généraux à appliquer pour déterminer si une dépense qui serait admissible en vertu de l'art. 12(1)a) est une dépense de capital, sont maintenant bien établis.    Comme le juge Kerwin (tel était alors son titre) l'a souligné dans Montreal Light, Heat & Power Consolidated c. Le ministre du Revenu national [[1942] R.C.S. 89, à la p. 105, [1942] 1 D.L.R. 596, [1942] C.T.C. 1, confirmé [1944] A.C. 126, [1944] 1 All E.R. 743, [1944] 3 D.L.R. 545], alors qu'il concluait à l'application du principe énoncé par le vicomte Cave dans British Insulated and Helsby Cables, Limited c. Atherton [[1926] A.C. 205, à la p. 214; 10 T.C. 155], le critère ordinaire pour déterminer si une dépense a été faite à titre de capital, est de savoir si elle l'a été « dans le but d'apporter un avantage pour le bénéfice durable de l'entreprise de l'appelante. »

Dix ans plus tard, dans M.R.N. c. Algoma Central Railway, le juge Fauteux (tel était alors son titre), parlant au nom de la Cour, a exposé la question de la manière suivante [aux pages 449 et 450]:

[TRADUCTION] Le Parlement ne définit pas les expressions « dépense ... de capital » ou « dépense à compte de capital » .    Comme il n'y a pas de critère législatif, appliquer ou non ces expressions à toutes dépenses particulières doit dépendre des circonstances propres à l'affaire.    Nous ne pensons pas qu'un critère unique permette d'élaborer cette définition et nous approuvons l'avis exprimé dans une décision récente du Conseil privé rendue par lord Pearce dans l'affaire B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia [[1966] A.C. 224].    En mentionnant la question de savoir si une dépense était de capital ou ordinaire, il déclarait à la page 264:

On ne peut pas trouver la solution du problème en appliquant un critère ou une description rigide. Elle doit découler de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un autre.    Une observation peut se détacher si nettement qu'elle domine d'autres indications plus vagues dans le sens contraire.    C'est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale.

Dans Canada Starch Co. Ltd. c. M.R.N., le président Jackett (tel était alors son titre), après avoir cité l'affaire Algoma, résume ainsi la distinction:

[TRADUCTION] Aux fins d'examen de la difficulté soulevée par le présent appel, j'estime utile de me référer aux commentaires sur « la distinction entre les dépenses et débours effectués à titre de revenu et ceux effectués à titre de capital » que fait le juge Dixon dans Sun Newspapers Ltd.et al. c. Fed. Com. of Taxation [(1938) 61 C.L.R. 337, à la p. 359] où il dit:

La distinction entre les dépenses à titre de capital et les dépenses à titre de revenu correspond à la distinction entre l'entité, la structure ou l'organisation commerciale établie en vue de réaliser des bénéfices et le mode de fonctionnement auquel elle a recours pour toucher des recettes régulières au moyen de dépenses régulières, la différence entre ces dépenses et ces recettes constituant les bénéfices ou les pertes de cette entité.

En d'autres termes, si je comprends bien, de façon générale:

a) d'une part, une dépense consentie en vue de l'acquisition ou de la création d'une entité, structure ou organisation commerciale, dans le but de gagner un profit ou en vue du développement d'une telle entité, structure ou organisation, constitue une dépense à compte de capital, et

b) d'autre part, une dépense consentie au cours de l'exploitation d'une entité, structure ou organisation lucrative constitue une dépense à compte de revenu.

L'application de ce critère à l'achat ou à la création des biens ordinaires qui constituent la structure commerciale telle que créée à l'origine ou une adjonction à celle-ci, ne présente aucune difficulté. Les installations et les machines sont des actifs immobilisés et l'argent versé à cet effet constitue une dépense à titre de capital, qu'il s'agisse:

a) d'argent versé en vue de l'établissement d'une nouvelle structure commerciale;

b) d'argent versé pour une adjonction à une structure commerciale déjà existante;

c) d'argent versé pour acheter une structure commerciale déjà existante.

Toutefois, il existe à mon avis, de ce point de vue, une différence de principe entre des biens tels que des installations et des machines, et un achalandage.    Dès qu'un achalandage existe, il peut être acheté, si l'on peut dire, et l'argent versé à cette fin sera normalement considéré comme l'ayant été « à titre de capital » . Toutefois, ce mode d'achat mis à part, j'estime qu'un achalandage ne peut être acheté qu'à titre d'élément accessoire à l'exploitation même d'une entreprise. L'argent n'est pas déboursé pour créer un achalandage; l'achalandage est la conséquence normale de l'exploitation d'une entreprise.    Par conséquent, l'argent est déboursé pour l'exploitation de l'entreprise:    il s'agit donc d'une dépense de revenu.

Dans l'affaire B.P. Australia, lord Pearce cite [à la page 261] comme [TRADUCTION] « guide utile à celui ou celle qui s'aventure dans ces régions » , les commentaires suivants formulés par le juge Dixon dans l'affaire Sun Newspapers Ltd. c. The Federal Commissioner of Taxation :

[TRADUCTION] À mon sens, il faut examiner trois aspects:    a) la nature de l'avantage recherché (son caractère permanent peut alors entrer en ligne de compte), b) son utilisation, son importance ou la façon d'en jouir (comme pour le critère précédent, la fréquence de l'emploi peut aussi entrer en ligne de compte) et c) les moyens adoptés pour l'obtenir.    Par exemple, des compensations ou des débours ont-ils été effectués périodiquement en contrepartie de l'utilisation ou de la jouissance et pour une durée proportionnée au paiement? Ou encore, existe-t-il une clause définitive ou un paiement final qui en garantit l'utilisation ou la jouissance future?

et

la dépense doit être considérée comme une dépense de revenu lorsque son objet la fait entrer dans la catégorie très générale des choses qui, somme toute, constituent la demande qu'il faut constamment satisfaire au moyen des revenus d'un commerce ou de ses capitaux mobiles et il n'est pas nécessaire que la réelle répétition de cette dépense se produise ou soit escomptée comme probable.

Lord Pearce cite aussi [à la page 262] le passage suivant tiré du jugement rendu par vicomte Radcliffe dans Commissioner of Taxes c. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd. :

[TRADUCTION] Là encore, les tribunaux ont insisté sur l'importance de distinguer entre les coûts afférents à la création, à l'achat ou à l'agrandissement de la structure permanente (qui ne signifie pas perpétuelle), dont le revenu doit être le produit ou le fruit, et le coût du revenu lui-même ou de l'exécution des opérations qui servent à le gagner.    Sans doute s'agit-il là de la distinction la plus claire que la loi par elle-même peut vraisemblablement apporter, mais la réalité de la distinction, il faut l'admettre, n'est pas des plus faciles à appliquer, car les régimes fiscaux des différents pays permettent d'imputer de plus en plus de catégories de dépenses de capital sur les bénéfices par voie de provisions pour amortissement et, ce faisant, reconnaissent qu'en tout état de cause, l'épuisement du capital fixe entre dans les frais d'exploitation.    Même alors, les opérations commerciales peuvent être d'une grande complexité et en vérité il est parfois difficile de tirer une ligne de démarcation et d'établir des distinctions subtiles entre les bénéfices qui sont réalisés « à même les » actifs et ceux qui le sont « sur » les actifs ou « avec » les actifs.

Plus loin, lord Pearce formule dans ses motifs le commentaire que le juge Fauteux (tel était alors son titre) a repris dans l'affaire Algoma.    Puis il poursuit en ces termes [à la page 264]:

[TRADUCTION] Bien que les dépenses de capital et les dépenses de revenu soient différentes et facilement identifiables lorsqu'il s'agit de cas évidents, la ligne de démarcation est souvent difficile à tracer dans les cas limites; et des considérations divergentes peuvent produire une situation où la réponse repose sur des questions d'importance et de degré.    Cette réponse :

dépend de l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial plutôt que de la classification juridique des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en cours de route:

Notes du juge Dixon dans l'arrêt Hallstroms Pty. Ltd. c. Federal Commissioner of Taxation [(1946) 72 C.L.R. 634, 648].    À chaque nouvelle cause, les parties utilisent dans leur argumentation des phrases appropriées qu'elles empruntent aux jugements antérieurs; mais ces phrases ne constituent pas le facteur décisif et n'ont pas une application illimitée.    Elles ne font que cristalliser les facteurs qui, dans un cas donné, peuvent faire pencher la balance après examen de tous les éléments.

Lord Pearce examine ensuite les trois aspects dont a parlé le juge Dixon dans l'affaire Sun Newspapers. Tout d'abord, la nature de l'avantage recherché, notamment son caractère permanent et sa fréquence, ainsi que la nature du besoin ayant suscité la recherche de cet avantage.    Sous cette rubrique, il examine en outre le critère servant à déterminer si la dépense fut faite à même le capital fixe ou mobile, ainsi que la manière dont il faut la traiter selon les principes ordinaires de comptabilité commerciale; il cherche également à déterminer si l'argent a été dépensé pour la structure dans laquelle les bénéfices devaient être gagnés. Puis il se penche sur le deuxième et le troisième aspect, c'est-à-dire l'utilisation projetée des bénéfices et le mode de paiement.

                                                                                      [Je souligne.]

[33]     Avant d'analyser les faits en l'espèce à la lumière de ces principes généraux, il est utile de rappeler certains commentaires plus précis et tout aussi pertinents faits dans des affaires ayant trait à des frais de marketing et de développement d'entreprise. En particulier, prenons les propos suivants tenus par mon collègue le juge Mogan dans l'affaire Graham Construction Engineering (1985) Ltd. c. Canada, [1997] A.C.I. no 343 (QL) (97 DTC 342, angl.), paragraphe 9 (DTC, page 345) :

Il ne fait aucun doute que certains frais (par exemple les frais de publicité) engagés pour permettre à une entreprise existante de prendre de l'expansion sont, à titre de dépenses courantes, déductibles dans le calcul du revenu. De même, certains autres frais engagés pour permettre à une entreprise de prendre de l'expansion (comme l'achat d'actions pour acquérir une nouvelle filiale qui exploite une entreprise semblable) sont des dépenses en capital et ne sont pas déductibles.

                                                          [Je souligne.]

[34]     Puis, il y a l'affirmation[7] du juge Dixon dans l'affaire Sun Newspapers Ltd.[8] selon laquelle les frais engagés pour acheter un compétiteur constituaient des dépenses de capital.

[35]     Finalement, il y a les propos de lord Pearce dans l'arrêt B.P. Australia concernant une somme forfaitaire versée par B.P. Australia à des détaillants pour financer les améliorations apportées aux stations de service. À la page 224, il écrit :

The third consideration suggested by DIXON, J. (55) namely the method of payment, does not point very clearly in either direction. An advance payment for a period is not unusual in many revenue matters (e.g., purchase of stock). These payments were not current payments made annually over the period of benefit, but on the other hand it was clear that they would have to be made again at intervals of a few years. In a durable company of this nature recurrent five yearly payments certainly cannot be said to have a "once for all" quality. Had the payments been for one or two years they would point towards revenue; had they been for twenty years they would point towards capital: but the actual period of time for which these particular payments were made, as in the consideration of the nature of the advantage (above), gives no indication which could outweigh the indications given by other considerations.

                                                                                      [Je souligne.]

[36]     Appliquons ces principes aux faits pertinents en l'espèce. Tout d'abord, déterminons quelle était la « nature de l'avantage recherché » par Rona. La preuve a révélé que Rona avait décidé d'augmenter sa part du marché en augmentant le nombre de ses points de vente dans le but de mieux résister et faire face à la nouvelle concurrence que représentait notamment la venue sur le marché canadien du géant américain Home Depot. Comme l'indique l'analyse de chacune des douze opérations ici en question envisagées par Rona, relativement auxquelles elle a versé des honoraires substantiels (957 133 $), la stratégie suivie par Rona comprenait trois scénarios distincts. Selon le premier, Rona favorisait la construction de magasins à grande surface devant appartenir à des marchands franchisés. À titre d'exemple, mentionnons les opérations avec Groupe Lespérance (1994 et 1998), Inovaco (1997), Revy (1998) et Loyola[9] (1998). Selon le deuxième, si le premier scénario s'avérait impraticable, Rona serait prête à acquérir elle-même, comme magasins « corporatifs » , ces grandes surfaces. Les opérations avec Matco (1994) et Ferlac (1998) illustrent bien ce scénario. Selon le troisième scénario, Rona pourrait augmenter le nombre de ses points de vente en acquérant tout simplement des compétiteurs. Comme exemples, mentionnons notamment les OPA ou simples acquisitions envisagées dans les cas de Sodisco, Réno-Dépôt, Beaver Lumber, Cashway et Matco. Ce scénario n'était pas nouveau. En effet, Rona avait acquis en 1988 la société Dismat Inc. et avait ainsi ajouté à son réseau 97 établissements de détail représentant un volume de ventes supplémentaire de 165 millions de dollars.

[37]     Quel que soit le scénario adopté, l'avantage recherché par la stratégie de croissance de Rona était l'augmentation durable de sa structure commerciale, soit son réseau de distribution. Le caractère permanent des opérations visées par le deuxième et le troisième scénarios est évident. Lorsque Rona a acquis en 1988 Dismat, qui exploitait 97 établissements de détail ayant un chiffre d'affaires de 165 millions de dollars, elle agrandissait de façon permanente sa structure commerciale. Il en a été de même lorsqu'elle a réussi l'acquisition de Cashway, qui exploitait soixante-six points de vente ayant un chiffre d'affaires d'environ 294 millions de dollars. Une fois les magasins Cashway (et Dismat) intégrés au réseau de distribution de Rona, cette dernière acquérait un nombre important de points de vente qui, en raison de leur fidélité au réseau de Rona, n'allaient pas entraîner de coûts additionnels. Les coûts d'acquisition initiaux étaient des dépenses définitives ( « once for all » ). Il ne sera plus nécessaire de payer d'autres honoraires pour l'acquisition de ces points de vente puisque, dorénavant, ils appartiennent directement ou indirectement, à Rona.

[38]     Comme le révèle l'analyse des douze opérations envisagées par Rona, il y a eu récurrence de dépenses pour l'acquisition de points de vente durant la période pertinente. Par contre, cette récurrence de dépenses semblables ne signifie pas que l'on doive les traiter comme des dépenses courantes puisque Rona s'était engagée dans un vaste programme d'acquisition. Le fait de s'engager dans une phase planifiée d'agrandissement de la structure commerciale, sur une longue période, par l'addition de nouveaux points de vente n'a pas pour effet de transformer une dépense de capital en une dépense à titre de revenu. Par exemple, si Rona avait simplement décidé d'acquérir vingt-cinq nouveaux magasins « corporatifs » à grande surface sur une période de dix ans, le coût d'achat de chacun de ces magasins aurait évidemment été considéré comme une dépense à titre de capital. Le fait que ces coûts se répètent deux ou trois fois par année ne change pas la nature des dépenses. Comme le notent les auteurs Hogg, Magee et Li dans leur ouvrage Principles of Canadian Income Tax Law[10] : « The expenditures laid out to purchase new machines, trucks, etc., are recurring [pour les grandes entreprises], but they are capital expenditures because each provides an enduring benefit to the business » . Ici, le coût d'acquisition des actions de Cashway (et de Dismat) représente manifestement une dépense de capital.

[39]     Les magasins à grande surface[11] acquis comme suite aux opérations effectuées avec Matco en 1994 et Ferlac en 1998 ont procuré aussi à Rona des avantages permanents évidents. Mes commentaires concernant l'achat de Cashway s'appliquent également à l'acquisition des magasins à grande surface eux-mêmes. Il est manifeste que le coût de l'acquisition de tels magasins constitue une dépense de capital.

[40]     Il faut bien reconnaître que l'avantage que procure l'addition de magasins franchisés au réseau de distribution de Rona n'a pas le même caractère permanent que l'avantage résultant de l'acquisition de compétiteurs ou de magasins « corporatifs » . Contrairement au droit de propriété sur les magasins « corporatifs » acquis par Rona (directement ou par l'intermédiaire de sociétés), les concessions commerciales ont une durée déterminée. Par contre, il s'agit généralement d'une longue durée. Ainsi, l'avantage économique recherché par Rona est en très grande partie le même que celui que lui procure l'acquisition de magasins « corporatifs » et il est raisonnable de croire que c'est un objectif qui pourra être atteint. En effet, en signant des contrats de concession commerciale et des baux de vingt ans, comme, la preuve le révèle, cela s'est fait dans le cas du magasin franchisé d'Inovaco situé à Gatineau, Rona acquiert le droit de compter ce franchisé comme client pour une période minimale de vingt ans. Comme le reconnaissait lord Pearce dans l'arrêt B.P. Australia Ltd., un tel terme « would point towards capital[12] » . De plus, étant la locatrice du terrain sur lequel est érigé le magasin à grande surface, Rona a raison d'espérer un renouvellement de la concession commerciale pour un autre terme. Une fois acquis les avantages de la concession commerciale et du bail, il ne sera plus nécessaire de payer des honoraires relativement à leur acquisition pendant le premier terme de vingt ans. Bien évidemment, d'autres honoraires pourraient avoir à être versés lors du renouvellement de ces contrats. La durée de l'avantage obtenu et le fait de ne pas avoir à engager d'autres frais avant vingt ans tendent à indiquer qu'il s'agit de dépenses de capital.

[41]     Même si dans le cas de l'opération avec le Groupe Lespérance en 1998, le terme initial n'était que de trois ou quatre ans, on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la relation contractuelle entre ce groupe et Rona dure plus longtemps. D'un « point de vue pratique et commercial » , je crois qu'il est raisonnable de croire qu'un marchand ne change pas de bannière comme il change de chemise. Il y a des coûts inhérents à des changements de bannière. D'ailleurs, dans les faits, les parties ont conclu par la suite un contrat de concession commerciale de dix ans. Faut-il ajouter que 85 % des actionnaires de Rona sont les marchands affiliés et que cela représente pour eux un autre incitatif à conserver la bannière Rona. Quoi qu'il en soit, la preuve ne révèle aucun caractère précaire ou aléatoire des relations contractuelles de Rona avec ses marchands affiliés ou franchisés.

[42]     De plus, il faut constater que l'avantage procuré par les contrats de concession commerciale est bien plus durable que celui qu'auraient pu procurer de nombreuses campagnes de marketing visant à attirer de nouveaux clients pour les produits de Rona. Il est bien clair que les campagnes de marketing ne peuvent assurer d'avantages durables et doivent nécessairement être récurrentes.

[43]     En conclusion, que le point de vente soit un magasin « corporatif » ou un magasin franchisé, l'avantage recherché qu'il était raisonnable d'atteindre était une adjonction durable à la structure commerciale de Rona.

[44]     Le fait que Rona n'a acquis une participation dans le capital-actions de Inovaco que pour une courte période n'est pas pertinent. Il s'agissait là essentiellement d'une forme de financement de la construction du magasin à grande surface; cela visait à obtenir un avantage à long terme, celui d'adjoindre au réseau de distribution de Rona, et ce, pour une longue durée, un nouveau point de vente important. Ce nouveau point de vente a agrandi la structure permanente de Rona.

[45]     Jusqu'à maintenant, l'analyse n'a porté presque exclusivement que sur les coûts directs de l'acquisition de magasins et de l'acquisition de compétiteurs et peu a été dit sur les honoraires. La raison est bien simple. La nature de ceux-ci dépend de l'objet des services qui ont été rendus. Si les honoraires ont trait à des opérations courantes, il s'agit de dépenses courantes. S'ils ont trait à l'agrandissement de la structure commerciale, il s'agit de dépenses de capital. Par exemple, si des honoraires sont versés pour des négociations relatives à une campagne de marketing, ces honoraires sont des dépenses courantes. Par contre, s'ils sont payés pour faire l'acquisition d'un compétiteur, ils représentent des dépenses de capital. Il fallait donc d'abord déterminer la nature des opérations effectuées par Rona afin de pouvoir qualifier la nature des services professionnels requis pour effectuer ces opérations. Ici, les services professionnels ont été retenus dans le cadre d'opérations visant à acquérir soit des magasins franchisés, soit des magasins « corporatifs » à être construits ou appartenant déjà à des compétiteurs. Ces services visaient à procurer à Rona un avantage « pour le bénéfice durable de [son] entreprise » . Les honoraires pour ces services représentent alors des dépenses de capital et les parties conviennent que celles-ci doivent être ajoutées au coût du bien acquis par Rona[13].

[46]     Par contre, certaines des opérations envisagées ont été un échec. Il n'y a pas de bien au coût duquel on peut ajouter les dépenses en question y afférentes. Devrait-on, dans ces circonstances, conclure que les dépenses engagées dans le cadre de ces opérations devraient être considérées comme des dépenses à titre de revenu? La réponse nous est fournie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Firestone c. Canada, [1987] 3 C.F. 200 (87 DTC 5237, angl.). Voici la façon dont le juge MacGuigan a présenté la question à la page 210 (DTC, 5241) :

   L'avocat de l'appelant a reconnu au cours du débat que les coûts de l'étude relative aux débouchés visant les quatre sociétés en exploitation qui ont été acquises constituaient des dépenses de capital, et il a établi clairement qu'ils avaient réellement été capitalisés en l'espèce [. . .] Toutefois, il a avancé que les coûts des études visant une cinquantaine d'autres découchés qui n'ont pas conduit à des acquisitions doivent plutôt être considérés comme des dépenses d'exploitation.

                                                          [Je souligne.]

[47]     À la même page, il a conclu de la façon suivante :

Il m'est impossible d'accepter cette prétention. Il me semble que toutes les dépenses visant les études de débouchés doivent être mises sur le même pied. Ces dépenses étaient du même type et avaient le même objet. En fait, elles s'inscrivaient toutes dans l'entreprise à capital-risque qui, ainsi que l'appelant l'a vigoureusement soutenu, se poursuit depuis 1969. Rien ne nous justifie de considérer les quelques études qui ont mené à des acquisitions différemment des nombreuses études qui n'ont pas eu ce résultat. Toutes s'inscrivaient au même titre dans le projet de l'appelant visant à réunir des actifs d'entreprises. Il fallait s'attendre-et c'était là le postulat de base de la méthode d'étude de l'appelant-à ce que certaines des possibilités explorées s'avèrent constituer de bons risques alors que d'autres se
révéleraient sans intérêt. À mon avis, le point de vue sensé adopté par l'appelant milite contre la distinction qu'il a tenté d'établir.

                                                                             [Je souligne.]

[48]     La même approche a été adoptée par le juge Decary dans l'affaire Brooke Bond Foods Ltd. c. La Reine, [1984] 1 C.F. 601, à la page 604.

Le fait de l'abandon de projet ne change pas la nature de la dépense qui demeure une somme déboursée à titre de capital.    Comme l'écrit le président Thorson de la Cour de l'Échiquier dans Siscoe Gold Mines Ltd. v. Minister of National Revenue, [1945] R.C.É. 257; 2 DTC 749, à la page [266 R.C.É.]:

[TRADUCTION] Le fait qu'on ait décidé d'abandonner l'option et de ne pas acheter les claims [miniers] ne peut changer le caractère des sommes dépensées.    Il s'agissait de pertes relatives à un capital-risque . . . Selon moi, il est évident qu'une dépense faite pour permettre à un contribuable de décider s'il doit acquérir ou non une valeur immobilisée constitue un débours ou un paiement à titre de capital . . . [14]

Le procureur de la demanderesse a invoqué les jugements de l'honorable juge en chef adjoint Noël dans Bowater Power Company Limited c. Le ministre du Revenu national, [1971] C.F. 421; 71 DTC 5469; [1971] C.T.C. 818 (1re inst.), et Pigott Investments Limited c. Sa Majesté la Reine, [1973] CTC 693; 73 DTC 5507 (C.F. 1re inst.).    Nous croyons respectueusement que les


faits dans ces deux affaires sont très différents de ceux de l'espèce.[15]

                                                                                      [Je souligne.]

[49]     Par conséquent, le fait que le projet de 1994 en vue de l'établissement d'un magasin en collaboration avec le Groupe Lespérance et les projets de 1998 en vue de l'établissement de magasins en collaboration avec Revy et peut-être avec Loyola ont échoué ne change pas la nature de la dépense qui aurait été autrement une dépense de capital. Avant 1972, ces dépenses de capital auraient été considérées comme des « nothings » . Depuis 1972, on ajoute ces dépenses au montant cumulatif des immobilisations admissibles.

[50]     Le même raisonnement s'applique à tous les projets d'acquisition de compétiteurs, notamment Sodisco en 1994, Réno-Dépôt en 1996 et Beaver Lumber en 1997. Je n'ai aucun doute que si ces opérations s'étaient réalisées, elles auraient constitué des opérations visant à agrandir la structure ou l'organisation commerciale de Rona. Toutes les dépenses pertinentes y afférentes auraient alors été ajoutées au coût d'acquisition des actions des entreprises en question.

[51]     L'OPA envisagée en 1998 à l'égard de Matco mérite des commentaires particuliers compte tenu de ses circonstances particulières. Il faut rappeler tout d'abord que le but premier était de garder Matco dans le réseau de distribution de Rona. Le fait que l'on ait songé à une OPA visant Matco révèle nettement que la relation contractuelle avec cette société constituait un élément d'actif important pour Rona. À mon avis, il s'agissait d'une mesure destinée à préserver la structure commerciale de Rona et, par conséquent, la dépense y afférente représente une dépense de capital. Je crois qu'il y a lieu d'appliquer le même raisonnement que celui adopté dans les affaires M.N.R. v. Dominion Natural Gas (1940), 1 DTC 499-133 et La Reine c. Jager Homes Ltd., Cour d'appel fédérale, A-792-83, 28 janveir 1988 (88 DTC 6119, angl.). Dans ce dernier arrêt, le juge Urie, au nom de la Cour d'appel fédérale, écrit ce qui suit à la page 17 (DTC, page 6124) :

[...] Pour reprendre les mots du juge Dixon dans l'affaire Sun Newspapers, précitée, « il s'agit en l'espèce d'une dépense importante et inhabituelle, engagée dans le but d'obtenir un avantage pour le bénéfice durable du commerce des appelantes ... » En d'autres termes, le paiement de frais juridiques a été fait afin de préserver l'entité, la structure ou l'organisation commerciale et non pas afin de tirer des profits de l'exploitation de telles entités commerciales.

                                                                                      [Je souligne.]

Finalement, ajoutons que, si l'OPA avait été effectuée et avait réussi, les honoraires auraient été ajoutés au coût d'acquisition des actions de Matco. Il n'y a donc pas lieu d'adopter un raisonnement différent simplement parce que le projet a été abandonné.

[52]     À mon avis, tous les honoraires versés par Rona pour acquérir de nouveaux points de vente constituent des dépenses de capital et ne peuvent être déduits à titre de dépenses courantes dans le calcul du revenu de Rona.

[53]     Pour tous ces motifs, l'appel de Rona à l'égard de l'année d'imposition 1992 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que le montant de la dépense que le ministre aurait dû refuser est de 34 000 $ et non pas de 36 380 $. Les appels à l'égard des années d'imposition 1993 à 1998 sont rejetés. L'intimée a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mars 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.


RÉFÉRENCE :

2003CCI121

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2000-50(IT)G; 2002-1888(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

RONA INC.

(anciennement Groupe Rona Dismat inc.)

et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE

5 décembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :

10 mars 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Patrick-James Blaine

Pour l'intimée :

Me Pierre Cossette

Me Antonia Paraherakis

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS:

Pour l'appelante :

Noms :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Patrick-James Blaine

Étude :

OGILVY RENAULT

Montréal (Québec)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Le procureur de Rona les a décrit comme des « études de la possibilité de faire l'acquisition » .

[2] Au début de l'audience, les procureurs des parties ont convenu qu'il n'y avait pas de litige sur le montant de ces honoraires. De plus, le procureur de l'intimée a confirmé que l'appel à l'égard de l'année 1992 devait être accueilli alors que le procureur de Rona a indiqué qu'il ne contestait plus le refus de la déduction d'une dépense de 11 167 $ engagée au cours de l'année 1996 pour la négociation d'une convention entre actionnaires et le refus de la déduction d'un montant de 6 501 $ relatif au rachat d'actions, dépense engagée au cours de l'année d'imposition 1998. En outre, Rona ne conteste plus le refus de la déduction pour 1994 d'honoraires de 2 106 $ reliés à une offre d'achat d'un terrain. Comme il n'y a pas de frais d'honoraires dont la déduction a été refusée pour l'année 1993, les seules années d'imposition faisant toujours l'objet d'un litige sont les années 1994 à 1998 (période pertinente).

[3] Le salaire de ces employés a été passé comme dépense courante et la déduction de cette dépense n'a pas été contestée par le ministre.

[4] Que ce soit à l'égard de ce projet ou des autres projets qui ont subi le même sort, peu ou point d'information n'a été fournie pour expliquer les raisons de l'avortement des projets et pour indiquer où en étaient les préparatifs lors de l'avortement. Le renseignement le plus précis qui a été fourni à l'audience est celui déjà mentionné relatif au projet d'acquisition du Groupe Lespérance.

[5] La date indiquée entre parenthèses correspond à la date à laquelle les services ont été rendus et ces services correspondent de façon générale à la description qui précède la date.

[6] Les notes ont été omises.

[7] Reproduite à la page 216 par le Conseil privé dans l'affaire B.P. Australia Ltd., [1965] 3 All E. R. 209.

[8] (1938), 61 C.L.R. 337.

[9] Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un Rona l'Entrepôt mais d'un Rona Le Régional, un magasin de taille moyenne.

[10] Quatrième édition, Toronto, Carswell, 2002, à la page 265.

[11] Dont le coût s'élève, selon toute vraisemblance, à au moins 3 000 000 $ puisque tel est le montant de l'investissement de Rona dans Matco en 1994 et dans Inovaco en 1997.

[12] Il faut noter que le commentaire de lord Pearce avait trait à la durée des paiements faits pour l'obtention de l'avantage et non, comme ici, à la durée de l'avantage lui-même. Toutefois, à mon avis, il est tout aussi approprié de l'appliquer ici.

[13] À l'appui de cette position, voir Sherritt Gordon Mines Ltd. v. MNR, 68 DTC 5180, 5195.

[14] Note omise.

[15] Le procureur de Rona a aussi invoqué la décision Bowater. Comme le juge Decary, je crois que les faits de l'affaire Bowater sont très différents de ceux de l'espèce. De plus, j'ajouterais les observations suivantes qu'a faites le juge Decary à la page 605 :

   Le traitement réservé aux dépenses de nature capital qui n'entrent pas dans le coût d'un bien dépréciable en vertu de la Loi a été considérablement modifié par les dispositions ajoutées à la Loi de l'impôt qui sont entrées en vigueur en 1972 [...] Sous l'ancienne Loi de telles dépenses étaient communément qualifiées de « nothings » en raison du fait qu'elles ne donnaient droit à aucune déduction dans le calcul du revenu.

À l'heure actuelle, certaines de ces dépenses de nature capital peuvent être déduites sous le régime régissant les « biens en immobilisations admissibles » .

Comme la décision Bowater a été rendue sous le régime de l'ancienne loi, je suis loin d'être convaincu qu'on adopterait le même raisonnement sous le régime actuel, qui permet l'amortissement des biens en immobilisation admissibles. Je partage le point de vue adopté par les auteurs Hogg, Magee et Li dans leur ouvrage précité, à la page 268 relativement aux décisions rendues dans les affaires Canada Starch Co. v. M.N.R., [1968] C.T.C. 466, 68 DTC 5329 et M.N.R. v. Kellogg Co. of Canada, [1943] C.T.C. 1, 2 DTC 601, lequel point de vue, à mon avis, s'applique également à l'affaire Bowater :

[...] It is possible that the Courts' reluctance to hold that the expenditures were capital in nature was related to the fact that if the expenditures were capital they could not be deducted at all. This was the position before 1972, because at that time most capital expenditures for intangibles were "nothings". The harshness of this result may well have influenced courts to lean in favour of treating expenditures for intangibles as current expenses.

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