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Dossier : 2002-4897(IT)I

ENTRE :

RICHARD SOBON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 18 décembre 2003 à Kelowna (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge L. M. Little

Comparutions

Avocat de l'appelant :

Me Joseph L. Deuling

Avocate de l'intimée :

Me Stacey Michael Repas

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JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 sont rejetés sans dépens conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 22e jour de juin 2004.

« L. M. Little »

Juge Little

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de septembre 2004.

Sylvie Sabourin, traductrice


Référence : 2004CCI2

Date : 20040622

Dossier : 2002-4897(IT)I

ENTRE :

RICHARD SOBON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Little

A.       FAITS

[1]      En 1980, l'appelant était employé par la Canadian Pacific Railway( « CPR » ).

[2]      Pendant les années en question, l'appelant était employé par la CPR en qualité de chef de chantier et il travaillait dans le bureau de la CPR de Vancouver.

[3]      En 1982, l'appelant a acheté une exploitation agricole (l' « exploitation » ) de 10,2 acres pour 113 500 $. L'exploitation était située près de Vernon, en Colombie-Britannique. Elle comportait une maison et plusieurs bâtiments.

[4]      L'appelant se rendait en voiture de l'exploitation à son lieu de travail à la CPR chaque dimanche soir et travaillait pendant quatre jours à raison de 10 heures par jour. Il rentrait généralement à l'exploitation le jeudi soir. Le lieu de travail à la CPR se situait sur la ligne principale de la CPR quelque part entre Vancouver et Field, en Colombie-Britannique.

[5]      À partir de 1992, l'appelant a fait des recherches pour savoir s'il était faisable d'élever des autruches dans le cadre d'une entreprise commerciale. L'appelant a témoigné qu'il était devenu membre de la Ostrich Association of British Columbia et il a discuté de divers aspects de la production d'autruches avec les membres de l'association.

[6]      L'appelant a dépensé entre 20 000 $ et 25 000 $ pour réparer les bâtiments de l'exploitation et pour construire des enclos qui permettaient d'y élever des autruches.

[7]      En 1992, l'appelant a acheté sept autruches femelles et deux mâles.

[8]      Environ 25 p. 100 des oeufs pondus par les femelles appartenant à l'appelant étaient fertiles et l'appelant a élevé un certain nombre de petits.

[9]      Pendant les années indiquées, l'appelant avait le nombre d'autruches suivant dans son exploitation :

Mâle

Femelle

Petits

1996

2

7

30

1997

2

6

30

1998

2

6

30

[10]     L'appelant vendait de la viande et des oeufs d'autruche, des autruches reproductrices et du cuir d'autruche.

[11]     Lors du contre-interrogatoire, l'appelant a témoigné que la viande d'autruche n'était pas inspectée par les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture fédéral. Il a déclaré que, pour vendre la viande d'autruche dans certains restaurants de la Colombie-Britannique, elle doit être inspectée par les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture. L'appelant a déclaré qu'il vendait principalement la viande d'autruche et d'autres produits de la ferme à des collègues.

[12]     En 1992, en Colombie-Britannique, la reproduction et l'élevage d'autruches étaient relativement nouveaux. L'appelant a témoigné que, lorsqu'il avait lancé son commerce d'autruches en 1992, le prix d'une autruche reproductrice sur le marché avait augmenté considérablement par rapport à celui des années précédentes.

[13]     L'appelant a également témoigné qu'en 1997 et 1998, certains des éleveurs d'autruche de la Colombie-Britannique avaient commencé à inonder le marché avec la viande d'autruche, ce qui s'est traduit par une diminution de la valeur de la viande d'autruche sur le marché.

[14]     L'appelant a également témoigné que Vernon a été le théâtre d'un problème lié au E. coli en 1998 et que c'était une autre raison qui avait fait tomber le prix de la viande d'autruche sur le marché.

[15]     Lors du contre-interrogatoire mené par l'avocate de l'intimée l'appelant a déclaré qu'en 1997 et 1998, l'exploitation était équipée pour élever entre 100 et 120 oiseaux. Cependant, il a convenu que le marché de la viande d'autruche n'était pas suffisamment solide à ce moment-là pour absorber une telle quantité d'autruches. Il a également convenu qu'il ne produisait que ce qu'il pouvait vendre sur le marché.

[16]     Lorsqu'il a calculé son revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998, l'appelant a déduit les pertes agricoles suivantes :

Pertes agricoles déduites

Année d'imposition 1997

30 634,12 $

Année d'imposition 1998

35 624,66 $

[17]     Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a permis à l'appelant de demander les pertes agricoles restreintes de la façon suivante :

Année d'imposition 1997

8 750 $

Année d'imposition 1998

8 750 $

B.       QUESTION

[18]     L'appelant a-t-il le droit de demander les pertes agricoles s'élevant à 30 634,12 $ et 35 624,66 $ dans le cadre de la détermination de son revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998? (Remarque : l'avis d'appel de l'appelant faisait état de la question des pertes agricoles ainsi que d'un certain nombre de dépenses rejetées. Au début de l'audience, les parties ont convenu que la seule question dont était saisie la Cour était le traitement des pertes agricoles pour les années 1997 et 1998.

C.       ANALYSE

[19]     Le ministre a conclu que l'appelant n'avait pas le droit de déduire les pertes agricoles excédant 8 750 $ par année pour les années d'imposition 1997 et 1998.

[20]     À partir de 1992, le revenu brut et le revenu net produits par l'exploitation de l'appelant étaient les suivants :

Années

Revenu brut

Total des pertes agricoles

Pertes agricoles demandées

Pertes agricoles accordées

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1 525 $

-

-

732

-

7 339

8 169

-

18 164

16 041

9 037

35 446

30 634

35 624

7 020 $

18 164

8 750

5 768

8 750

30 634

35 624

-

-

-

-

-

8 750

8 750

Total

17 765 $

144 946 $

114 710 $

(Voir pièce R-4)

[21]     De 1999 à 2002 le revenu, les dépenses et les pertes agricoles de l'appelant peuvent être résumés comme suit :

Revenu agricole

Dépenses agricoles

Pertes agricoles

1999

13 760,30 $

42 477,60 $

28 717,30 $

2000

      6 604,97

    24 439,64

17 834,67

2001

      3 664,85

    19 909,53

16 244,68

2002

      5 324,47

    15 880,95

10 556,48_

Total

    29 354,59 $

102 707,72 $

73 353,13 $

(Voir pièce A-7)

[22]     De 1996 à 2002 l'appelant a reçu le salaire suivant, versé par la CPR :

Salaire

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

55 673

53 940

55 887

43 757

52 101,01

62 138,79

58 257,28 $

[23]     Il faut remarquer que l'appelant a subi une perte agricole totale s'élevant à 218 299,13 $ (144 946 $ + 73 353,13 $) pour les années 1992 à 2002 et n'a perçu, pour les mêmes années, un revenu agricole ne s'élevant qu'à 47 119,59 $ (17 765 $ + 29 354,59 $). (Remarque : le revenu agricole pourrait être surestimé étant donné qu'en 1997, l'appelant a également perçu un revenu locatif lorsqu'il a loué une partie de la maison faisant partie de l'exploitation. En 1998, l'appelant a également déclaré un revenu généré par la vente de pieux supplémentaires.)

[24]     Le paragraphe 31(1) de la Loi limite les pertes agricoles qui peuvent être demandées lorsque le revenu d'un contribuable ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source.

[25]     Dans l'arrêt Moldowan c. La Reine[1], M. le juge Dickson (tel était alors son titre) a reconnu trois catégories d'agriculteurs.

1.        L'agriculteur à temps plein (il est exempté de la limite prévue par l'article 31 de la Loi et il peut déduire de ses autres revenus toutes les pertes subies par son exploitation).

2.        L'agriculteur qui exploite son exploitation agricole comme entreprise secondaire mais qui est également employé dans le cadre d'une autre entreprise ou exploite celle-ci. La limite prévue par l'article 31 s'applique à cet agriculteur.

3.        L'agriculteur pour lequel cette activité est un passe-temps. Les pertes agricoles qu'il subit ne sont pas déductibles de ses autres revenus.

[26]     Pour appliquer l'article 31, les tribunaux se sont servi des critères suivants :

          a)        temps consacré à l'exploitation agricole;

          b)       capital investi dans l'exploitation agricole;

          c)        profits réels ou potentiels générés par l'exploitation agricole.

L'appelant pourrait satisfaire aux critères prévus aux paragraphes a) et b) mais nous devons examiner attentivement les profits réels ou potentiels que l'appelant pourrait tirer de l'exploitation.

[27]     Dans l'arrêt La Reine c. Morrissey[2], la Cour d'appel fédérale a soutenu que les profits réels ou potentiels doivent être démontrés afin d'obtenir gain de cause en vertu de l'article 31. M. le juge Mahoney a déclaré à la page 5084 :

   Selon une bonne application du test proposé dans l'arrêt Moldowan, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on considère improbable la rentabilité de l'entreprise agricole en dépit du temps et des capitaux que le contribuable peut et veut bien lui consacrer, la conclusion à tirer selon le fardeau de la preuve en matière civile doit être que l'agriculture n'est pas une source principale de revenu pour l'agriculteur en question. Pour constituer un revenu dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce qui est reçu doit être de l'argent ou quelque chose de convertible en argent. Sans rentabilité réelle ou possible, l'agriculture ne peut être une source principale du revenu du contribuable même si la concession qu'il s'adonnait à l'agriculture avec une expectative raisonnable de profit équivaut à une concession que la preuve peut ne pas confirmer, à savoir que l'agriculture constitue au moins une source de revenu pour le contribuable.

   J'ai énoncé, justement je l'espère et assez longuement sans doute, le fondement de la plaidoirie de l'intimé fondée sur la politique gouvernementale et selon laquelle le test énoncé dans l'arrêt Moldowan devrait être appliqué comme il l'a été par le juge de première instance pour que soit atteint le but recherché par le Parlement. Je n'aurais pas fait cet énoncé si je n'avais pas été persuadé que les intentions du gouvernement communiquées au Parlement en 1951 et en 1952 peuvent en effet ne pas avoir été réalisées. Le Parlement a décidé de faire une distinction entre les gentlemen-farmers et les agriculteurs en fonction de leur source de revenu. Il peut ne pas avoir entendu traiter les contribuables tels que l'intimé comme il avait l'intention de traiter les gentlemen-farmers, ni refuser à ces derniers tout dégrèvement. Il pourrait y avoir lieu à une mesure corrective, mais on ne m'a toutefois pas convaincu que le test énoncé dans l'arrêt Moldowan est suffisamment élastique pour permettre aux tribunaux d'appliquer cette mesure. Ces derniers doivent interpréter ce qu'a dit le Parlement, ce qui n'est pas nécessairement ce qu'il peut avoir eu l'intention de dire.

   J'accueillerais l'appel avec dépens, j'annulerais le jugement de la Section de première instance et je rejetterais l'action de l'intimé avec dépens.

[28]     J'ai également renvoyé à un certain nombre d'autres décisions, y compris La Reine c. Roney[3] et La Reine c. Poirier[4].

[29]     Dans cette situation, l'appelant a subi des pertes agricoles s'élevant à environ 218 000 $ entre 1992 à 2002 et il n'a perçu que 47 119,59 $ à titre de revenu généré par l'exploitation.

[30]     L'appelant n'a jamais réalisé de profit au cours des 10 années pendant lesquelles il élevait des autruches dans l'exploitation.

[31]     En outre, les commentaires de l'appelant indiquent clairement que l'exploitation n'aurait jamais pu générer de profits telle qu'elle était exploitée.

[32]     À la lumière de l'analyse de l'ensemble des faits pertinents, j'ai conclu qu'il ne pouvait être déclaré que la principale source de revenu de l'appelant en 1997 et en 1998 provenait de l'exploitation agricole ou d'une combinaison d'activités agricoles et d'autres sources de revenu. L'appelant n'a, par conséquent, pas droit de demander les pertes agricoles qu'il a cherché à déduire dans le cadre de la détermination de son revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998.

[33]     L'appel est rejeté sans dépens.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 22e jour de juin 2004.

« L. M. Little »

Juge Little

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de septembre 2004.

Sylvie Sabourin, traductrice



[1] [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213)

[2] [1988] 2 C.F. 418 (89 DTC 5080)

[3] C.A.F., no A-1086-88, 11 mars 1991 (91 DTC 5148)

[4] C.A.F., no A-132-86, 25 mars 1992 (92 DTC 6335)

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