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Dossier : 2002-2995(CPP)

ENTRE :

WRAY AGENCIES LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Wray Agencies Ltd. (2002-2994(EI)) le 12 mars 2003 à Saskatoon (Saskatchewan)

Devant : L'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocate de l'appelante :

Me Catherine A. Sloan

Violet Paradis (stagiaire en droit)

Avocat de l'intimé :

Me Lyle Bouvier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 27e jour de juin 2003.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2004.

Louise-Marie LeBlanc, traductrice


Dossier : 2002-2994(EI)

ENTRE :

WRAY AGENCIES LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Wray Agencies Ltd. (2002-2995(CPP)) le 12 mars 2003 à Saskatoon (Saskatchewan)

Devant : L'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocate de l'appelante :

Me Catherine A. Sloan

Violet Paradis (stagiaire en droit)

Avocat de l'intimé :

Me Lyle Bouvier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 27e jour de juin 2003.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2004.

Louise-Marie LeBlanc, traductrice


Référence : 2003CCI428

Date : 20030727

Dossiers : 2002-2994(EI)

2002-2995(CPP)

ENTRE :

WRAY AGENCIES LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant ROWE, C.C.I

[1]      L'appelant interjette appel à l'encontre de deux décisions du ministre du Revenu national (le « ministre » ) datées du 22 avril 2002. Le ministre a établi que l'emploi de William Skene (le travailleur) qui travaillait pour Wray Agencies Ltd. (Agencies ou payeuse) du 7 juillet au 2 septembre 2000 et du 6 juillet au 20 septembre 2001 constituait un emploi assurable parce que M. Skene avait été embauché aux termes d'un contrat de louage de services conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). Le ministre a également rendu une décision quant aux dispositions pertinentes du Régime de pensions du Canada (le « Régime » ) selon laquelle il a reconnu que l'emploi de M. Skene ouvrait droit à pension aux termes d'un contrat de louage de services avec Agencies. Toutefois, la décision prise en vertu du Régime ne couvre que la période allant du 6 juillet au 20 septembre 2001.

[2]      Les avocats ont accepté que les deux appels soient entendus sur preuve commune.

[3]      Scott Wray a témoigné qu'il est le président de Wray Agencies Ltd., une entreprise exploitée à Moose Jaw, en Saskatchewan. L'unique entreprise de l'appelante vise la vente d'assurance-récolte contre la grêle aux agriculteurs des provinces des Prairies. Auparavant, M. Wray travaillait pour une autre entreprise du secteur de l'assurance contre la grêle jusqu'à ce que Agencies soit établie en 1983. M. Wray a expliqué que lorsque le détenteur d'une police présente une réclamation, le directeur de Agencies consulte une liste d'experts en sinistre, en choisit un et communique avec cette personne, en général à son domicile, afin de savoir si elle veut accepter la tâche assignée. M. Wray a déclaré que M. Skene avait communiqué avec Agencies afin de s'informer si l'on avait du travail pour lui étant donné que Co-Op Insurance, l'autre compagnie pour laquelle il réglait des dossiers, ne pouvait pas lui fournir assez de travail. M. Wray a déclaré qu'il avait rencontré M. Skene et qu'ils avaient discuté de la question de la rémunération quotidienne et du remboursement par Agencies de toute dépense engagée en matière d'hébergement, de repas, d'utilisation d'un véhicule et d'autres frais liés à l'accomplissement du travail assigné. Il n'y a pas de contrat écrit entre Agencies et M. Skene. M. Wray a déclaré ne pas se souvenir si M. Skene avait travaillé pour Co-Op Insurance après avoir commencé à travailler pour Agencies, mais il ajoute que l'entente entre Agences et M. Skene permettait à ce dernier d'accepter du travail offert par d'autres entreprises. M. Wray a fait référence à une liasse de documents, la pièce A-1, contenant des feuilles intitulées « Pièce justificative de dépenses de l'expert en sinistre » ainsi que des photocopies de chèques émis par l'appelante à l'intention de M. Skene au cours de l'année 2000. Une liasse de documents semblable, la pièce A-2, faisait référence aux services de règlement fournis par M. Skene en 2001. M. Wray a déclaré que parfois, M. Skene travaillait avec un autre expert en sinistre, selon la culture à examiner en vue de déterminer l'ampleur des dégâts. À certaines occasions, M. Skene consultait un expert en sinistre ayant plus d'expérience et travaillant habituellement dans la même région géographique qui pourrait lui donner conseils et directives. M. Wray a déclaré que le document intitulé « Demande d'indemnité pour règlement des dommages causés par la grêle » , la pièce A-3, constituait le document usuel adopté par l'industrie de l'assurance-récolte contre la grêle, sauf pour quelques petites différences dans le format. Lorsqu'un titulaire de police présentait un Avis de sinistre à l'appelante, on commençait à préparer les documents nécessaires et on envoyait un expert en sinistre sur les lieux où la récolte avait été endommagée. En général, dans l'industrie, on essaie d'organiser l'horaire d'un expert en sinistre afin d'optimiser son efficacité dans une région géographique précise. M. Wray a déclaré qu'il y avait des régions dans les Prairies où Agencies n'avait vendu aucune police, mais il y avait également des occasions où des agriculteurs avaient choisi plus d'une compagnie pour assurer leur récolte contre les dommages pouvant se produire pendant la saison de croissance. M. Wray a déclaré que pendant les années d'exploitation de Agencies, on n'avait jamais établi de contrat de travail avec un expert en sinistre d'assurance-récolte et qu'aucun expert en sinistre n'avait été congédié. M. Wray a déclaré que l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) avait fait parvenir une décision, la pièce A-4, datée du 29 novembre 2001, informant Agencies que l'emploi de M. Skene constituait un emploi assurable et ouvrant droit à pension. On a fait parvenir un avis au ministre, la pièce A-5, et, au cours de ce processus, le travailleur a répondu à un questionnaire, la pièce A-6, dans un document distinct déposé sous la cote A-7. Le ministre a confirmé la décision antérieure dans une lettre, la pièce A-8, mais n'a pas examiné la période allant du 7 juillet au 2 septembre 2000 lorsqu'il a décidé qu'il s'agissait d'un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime. M. Wray a déclaré qu'il est l'agent général de gestion pour Palliser Insurance Corporation et qu'il était responsable de l'émission des chèques aux titulaires de police aux fins de règlement des dommages. Les chèques étaient tirés d'un compte en fiducie dans lequel on déposait les primes d'assurance provenant de la vente de polices d'assurance contre la grêle.

[4]      Au cours du contre-interrogatoire, Scott Wray a déclaré qu'on versait à chaque expert en sinistre le taux de compensation normal établi au sein de l'industrie pour l'utilisation de son propre véhicule, soit 0,37 $ le kilomètre. Lorsqu'il fallait utiliser les services d'un expert en sinistre plus chevronné dans le domaine des récoltes, M. Wray a déclaré que M. Skene n'avait pas à engager de frais pour ces services parce que, comme c'était le cas pour d'autres experts, on reconnaissait que bien qu'il puisse avoir une vaste expérience générale, il ne serait peut-être pas en mesure d'évaluer les dommages touchant un certain type de récolte. M. Wray a déclaré qu'on versait à M. Skene une rémunération quotidienne et que ses dépenses connexes étaient payées pour assister à la conférence annuelle des experts en sinistre sur les dommages causés par la grêle.

[5]      Au cours du réinterrogatoire, M. Wray a déclaré que ni M. Skene ni aucun autre expert en sinistre fournissant des services à Agencies n'était obligé d'assister à cette conférence, mais s'ils décidaient de le faire, ils pouvaient facturer Agencies pour une journée au taux habituel ou comme d'autres l'avaient déjà fait, envoyer une facture pour une demi-journée.

[6]      L'avocate de l'appelante a fait valoir que le travailleur avait été compensé pour ses connaissances, ses compétences et le temps consacré au règlement des réclamations pour des dommages causés par la grêle. Étant donné qu'il ne fait aucun doute que M. Skene et l'appelante avaient fondé leur relation de travail sur le fait que le travailleur était un entrepreneur indépendant, l'avocate a indiqué que la preuve ne présentait aucun facteur pouvant minimiser la validité de leur intention. L'avocate a fait référence au témoignage de Scott Wray dans lequel il a expliqué clairement que M. Skene, un expert en sinistre chevronné, pouvait travailler pour d'autres parties. L'avocate a soutenu que M. Skene n'avait pas besoin de beaucoup d'outils pour accomplir son travail et, même s'il recevait une rémunération quotidienne de l'appelante, il était en mesure de gérer son propre horaire de façon plus efficace, ce qui lui permettait d'obtenir des revenus supplémentaires. En ce qui concerne les frais pour services fournis, l'appelante remboursait à M. Skene et à d'autres experts en sinistre les frais d'hébergement et de repas et accordait un montant fixe le kilomètre pour l'utilisation du véhicule personnel. Par conséquent, l'avocate a reconnu que cette entente réduisait le risque de perte, mais elle a soutenu que dans le contexte de l'ensemble de la relation de travail dans la présente affaire, cet aspect constituait une condition normale du contrat conclu entre les deux parties.

[7]      L'avocat de l'intimé a soumis qu'il était clair que le poste d'expert en dommages causés aux cultures est peu commun dans l'industrie des dommages causés aux récoltes par la grêle. Selon les conditions de la relation de travail, M. Skene ne risquait pour ainsi dire aucune perte puisque toutes ses dépenses étaient remboursées et qu'il recevait pour ses services une rémunération quotidienne établie par l'appelante. En résumé, l'avocat a indiqué que la preuve ne montrait pas que l'appelante exploitait une entreprise commerciale pendant la période pertinente.

[8]      La Cour suprême du Canada, dans un arrêt récent, 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 - (Sagaz), se penchait sur une question de responsabilité du fait d'autrui et, dans l'analyse de diverses questions pertinentes, la Cour a également dû se pencher sur la question de savoir ce qui constitue un entrepreneur indépendant. Le jugement de la Cour a été rendu par le juge Major, qui a étudié l'évolution de la jurisprudence en ce qui concerne l'importance qu'elle accorde à la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant en rapport avec la responsabilité du fait d'autrui. Après avoir cité les motifs du juge d'appel MacGuigan dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 ([1986] 2 C.T.C. 200) et le renvoi qu'il y fait au critère d'organisation de lord Denning, ainsi que la synthèse du juge Cooke dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, le juge Major, aux paragraphes 45 à 48 inclusivement de ses motifs, a déclaré ceci :

Enfin, un critère se rapportant à l'entreprise elle-même est apparu. Flannigan, [...] [ « Enterprise control: The servant-independent contractor distinction » (1987), 37 U.T.L.J. 25, à la page 29] « critère de l'entreprise » selon lequel l'employeur doit être tenu responsable du fait d'autrui pour les raisons suivantes : (1) il contrôle les activités du travailleur, (2) il est en mesure de réduire les risques de perte, (3) il tire profit des activités du travailleur, (4) le coût véritable d'un bien ou d'un service devrait être assumé par l'entreprise qui l'offre. Pour Flannigan, chaque justification a trait à la régulation du risque pris par l'employeur, et le contrôle est donc toujours l'élément crucial puisque c'est la capacité de contrôler l'entreprise qui permet à l'employeur de prendre des risques. Le juge La Forest a lui aussi formulé un « critère du risque de l'entreprise » dans l'opinion dissidente qu'il a exposée relativement au pourvoi incident dans l'arrêt London Drugs. Il a écrit, à la p. 339, que « [l]a responsabilité du fait d'autrui a pour fonction plus générale de transférer à l'entreprise elle-même les risques créés [sic] par l'activité à laquelle se livrent ses mandataires » .

À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l'arrêt Stevenson Jordan, [...] ([1952] 1 The Times L.R. 101)] qu'il peut être impossible d'établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [TRADUCTION] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d'apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416). Je partage en outre l'opinion du juge MacGuigan lorsqu'il affirme -- en citant Atiyah, [...] [Vicarious Liability in the Law of Torts, Londres, Butterworths, 1967], p. 38, dans l'arrêt Wiebe Door, p. 563 -- qu'il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

[traduction] [N]ous doutons fortement qu'il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d'identifier les contrats de louage de services [...] La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

[9]      J'analyserai maintenant les faits en fonction des critères énoncés par le juge Major dans l'arrêt Sagaz.

Degré de contrôle

[10]     Le travailleur était déjà un expert en assurance-récolte lorsqu'il a communiqué avec l'appelante dans le but d'obtenir des contrats d'évaluation. Plutôt que de lui assigner simplement un dossier particulier d'évaluation des dommages à la récolte, M. Scott Wray ou quelqu'un d'autre de Agencies a communiqué avec lui et lui a demandé de se charger de un ou de plusieurs contrats d'évaluation généralement regroupés dans un secteur géographique établi. Une fois sur les lieux, il devait évaluer les dommages. Il pouvait utiliser ses propres compétences et son expérience pour en arriver à une conclusion quant à l'ampleur des dégâts causés par la grêle. S'il ne connaissait pas le produit récolté à examiner, il pouvait communiquer avec Agencies et profiter des services gratuits d'un autre expert en sinistre qui se rendait à la ferme du titulaire de la police afin d'évaluer la situation et de lui donner plus tard son opinion. Il arrivait souvent que M. Skene prépare le formulaire de demande d'indemnité, la pièce A-3, par mesure de courtoisie puisque ce document devait être rempli avant que l'agriculteur ne puisse recevoir un paiement de l'assureur. Même la participation à la conférence annuelle de l'industrie était volontaire, et si M. Skene ou tout autre expert en sinistre décidait de participer aux séances liées à l'évaluation de cultures endommagées, ils pouvaient facturer Agencies soit pour une demi-journée ou pour une journée complète selon le taux établi. Dans certaines hypothèses présentées aux sous-paragraphes 13h) à 13k) inclusivement de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ), le ministre reconnaît que M. Skene pouvait établir son propre horaire de travail, il n'avait pas de compte à rendre à l'appelante, il pouvait accepter ou refuser le travail que cette dernière lui offrait et il pouvait travailler pour d'autres compagnies d'assurances lorsque l'appelante n'avait pas de contrat d'évaluation à lui offrir. L'appelante a reconnu que pendant la période de formation, M. Skene était accompagné et supervisé par un expert en sinistre principal. Cependant, on n'a fourni aucun élément de preuve quant à la durée de ladite période en 2000, mais le fait que M. Skene possédait déjà de l'expérience dans le domaine laisse supposer que cette période a été relativement courte, mais aussi que la formation visait surtout la méthode à suivre pour remplir les documents utilisés par Agencies dans le traitement des réclamations.

Fourniture d'outillage et engagement d'assistants

[11]     Comme nous l'avons déjà indiqué, si le travailleur avait besoin d'aide afin d'évaluer certains dommages, il n'avait pas à engager de dépense à cet effet. Agencies communiquait plutôt avec un autre expert en sinistre et l'envoyait aider M. Skene à formuler une conclusion de façon adéquate en ce qui concerne l'ampleur des dégâts. L'équipement requis pour accomplir la tâche consistait en des crayons, du papier, une planchette à pince et un véhicule en vue de visiter les différentes entreprises agricoles dont les cultures avaient été endommagées. L'appelante fournissait à M. Skene un manuel que devaient utiliser les experts en sinistre afin de calculer le montant des pertes en récolte. L'appelante fournissait également à M. Skene des feuilles de travail ainsi qu'un porte-documents. En autant que la qualité des services d'évaluation était adéquate, M. Skene pouvait engager quelqu'un d'autre pour l'aider à accomplir ses tâches et aurait été responsable du paiement de ces services dans des circonstances autres que celle susmentionnée plus tôt, bien qu'il n'ait jamais eu recours à cette option pendant la période pertinente. Il est reconnu que M. Skene avait rempli le questionnaire non signé, la pièce A-7, dans lequel on indiquait qu'il était responsable des réparations nécessaires à son véhicule et qu'il s'était acheté des vêtements qui convenaient à toutes les conditions climatiques.

Étendue des risques financiers et responsabilité des mises de fonds et de la gestion

[12]     Le travailleur dans les appels en l'espèce acceptait chaque contrat d'évaluation en sachant qu'il serait rémunéré à un taux quotidien de 130 $ en 2000 et de 140 $ en 2001. L'appelante lui remboursait toute dépense liée au travail et lui versait une indemnité pour l'utilisation de son véhicule fondée sur le kilométrage parcouru. Comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimé, plutôt que d'essayer d'établir une structure tarifaire variable fondée sur l'emplacement de la propriété à inspecter, on remboursait aux experts en sinistre leurs frais de déplacement, y compris le temps consacré à la conduite du véhicule. M. Skene gérait son propre temps et possédait les installations de bureau à domicile minimales nécessaires pour travailler de façon adéquate.

Occasion de profit dans l'exécution de ses tâches

[13]     Le travailleur recevait une rémunération quotidienne fixe et n'avait pas à engager d'autres dépenses. La possibilité de produire d'autres revenus était fondée sur la volonté d'accepter plus de travail et/ou l'efficacité avec laquelle il effectuait les tâches d'évaluation de façon à ce qu'au cours d'une courte saison de travail, il puisse régler plus de réclamations. La plupart des professionnels ou des fournisseurs de services rémunérés à l'acte effectuent des tâches moyennant un taux fixe et le remboursement des dépenses pertinentes. Parfois, le taux est établi par le fournisseur du service et le client est libre d'accepter ou de refuser le taux. Dans d'autres circonstances, la rémunération peut être établie dans le cadre d'une négociation, mais dans un bon nombre de cas, un niveau de gouvernement ou une grande corporation au sein de l'industrie établit simplement un montant fixe pour un certain service et procède à un appel d'offres auprès de personnes prêtes à effectuer le travail à ce tarif. Avant d'accepter le travail, une personne aura effectué les calculs nécessaires pour savoir si la rémunération offerte suffit pour couvrir les frais d'exploitation directs et indirects d'une entreprise.

[14]     Dans l'affaire Canadian Fitness and Lifestyle Research Institute v. M.N.R., [1990] T.C.J. No. 1020, le juge Mogan de la C.C.I. a examiné le statut des travailleurs fournissant des services à un organisme sans but lucratif financé principalement par le gouvernement fédéral. L'appelante dans cette affaire avait engagé 82 évaluateurs de la condition physique pour une période d'environ deux mois en vue de mener une étude sur la condition physique d'un groupe de Canadiens présélectionnés, et avait conclu des ententes avec les travailleurs selon lesquelles ces derniers étaient des entrepreneurs indépendants. Aux pages 6 à 8 de ses motifs, le juge Mogan s'est exprimé en ces termes :

                   [traduction]

                        Dans les circonstances susmentionnées, je dois décider si les évaluateurs de la condition physique étaient des employés de l'appelante ou des entrepreneurs indépendants. Dans la décision Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.N.R., C.A.F., no A-531-87, 15 janvier 1988 (88 DTC 6099), la Cour d'appel fédérale a confirmé que la décision faisant autorité à ce sujet est celle prise par cette Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). Dans l'arrêt Wiebe Door, on fait référence à une décision antérieure dans laquelle lord Wright décrivait un critère composé de quatre éléments, soit (1) le contrôle, (2) la propriété des outils de travail, (3) la chance de profit et (4) le risque de perte. À la page 5029, le juge MacGuigan s'est exprimé en ces termes :

[...] Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci-dessus « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » , et ce, même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

Lorsque j'examine l'étude menée par l'appelante en 1988 en mettant l'accent sur « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » , je conclus que les évaluateurs de la condition physique étaient des entrepreneurs indépendants et non des employés. En ce qui concerne les deux premiers éléments du critère, je conclus que l'appelante était propriétaire de l'équipement (c.-à-d. des outils de travail), mais qu'elle n'avait pratiquement aucun contrôle sur les évaluateurs de la condition physique. Étant donné que l'étude de 1988 était menée à l'échelle nationale, tous les évaluateurs devaient utiliser l'équipement normalisé afin d'assurer l'exactitude statistique. On donnait aux évaluateurs un minimum de directives : communiquer avec les familles choisies et fixer un rendez-vous avec elle, s'assurer que le questionnaire était rempli, effectuer les contrôles physiques si, selon l'évaluateur, la personne en était capable, terminer tous les contrôles en deux mois et garder contact avec le superviseur régional aux fins de renseignements. Les évaluateurs étaient plus ou moins libres de suivre ces directives. Le superviseur régional n'avait aucun contrôle sur les évaluateurs, mais il savait lorsque certains évaluateurs n'effectuaient pas les contrôles requis.

En ce qui concerne les éléments trois et quatre du critère, je conclus qu'il y avait peu de chance de profit ou de risque de perte de nature financière parce que les évaluateurs de la condition physique recevaient un paiement proportionnel à la quinzaine pendant la période de deux mois de l'étude et que tous leurs frais de déplacement étaient remboursés. Même si un évaluateur de la condition physique, en acceptant cet engagement, ne pouvait pas tirer un profit ou subir une perte de nature financière, il était possible de regrouper des rendez-vous et, en menant l'étude auprès de deux ou trois familles au cours d'une journée donnée, une équipe d'évaluateurs pouvait se libérer pendant d'autres journées et recevoir quand même la rémunération quotidienne de 96,15 $ pour avoir travaillé un peu ou pas du tout. Autrement dit, une équipe d'évaluateurs pouvait travailler fort, terminer le contrat plus tôt et continuer de recevoir la rémunération quotidienne pour le reste de la période de deux mois. Ce genre de circonstances laisse prévoir des avantages différents que celles de la production du travail à la pièce.

L'ensemble des circonstances de l'étude menée en 1988 laissait à chaque évaluateur de la condition physique le choix de maintenir, pendant la période de deux mois de l'étude, tout emploi occupé ou toute entreprise lancée avant d'accepter cet emploi d'évaluateur de la condition physique. La période de formation ne durait qu'une semaine et le compte rendu qu'une journée. Aucun horaire de travail n'était établi. En fait, étant donné que l'étude était menée au sein de la famille, la preuve montre que la plupart des rencontres avaient lieu en soirée ou la fin de semaine contrairement aux heures normales de travail d'une semaine de cinq jours.

Il importe de souligner que les trois évaluateurs de la condition physique qui ont témoigné dans le cadre de l'audience avaient tous maintenu leur emploi ou leurs engagements commerciaux pendant la période de deux mois où ils menaient également l'étude en 1988. Un autre facteur important est que chaque évaluateur était responsable des coûts liés aux quatre conditions préalables à l'emploi, soit obtenir une police d'assurance responsabilité civile de la vie privée, être ECCP ou EECP, détenir une attestation de compétences en RCR et avoir une police d'assurance automobile commerciale. Dans le cadre d'une relation employeur-employé ordinaire, on aurait cru que l'employeur serait responsable d'une police d'assurance ou des deux. À mon avis, il n'y a pas de relation employeur-employé entre l'appelante et les 82 évaluateurs de la condition physique. L'appel est rejeté.

[15]     Dans l'affaire Ariana Appraisals Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1994] A.C.I. no 303, le juge Teskey de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que bien que l'évaluatrice de biens immobiliers ait pu avoir besoin de la supervision périodique d'un évaluateur accrédité dans le cadre de son programme d'étude, elle était une entrepreneure indépendante parce qu'elle travaillait à partir de chez elle, elle utilisait son propre équipement, elle établissait ses heures de travail et facturait l'entreprise pour les évaluations effectuées. De plus, elle était libre de travailler également pour d'autres entreprises.

[16]     Dans le questionnaire, la pièce A-7, à la question de savoir s'il se considérait être un employé ou un travailleur autonome lorsqu'il travaillait pour Agencies, M. Skene a répondu en ces termes :

                   [traduction]

Je me considérais un travailleur autonome, je pouvais décider de mes heures de travail, je pouvais travailler pour d'autres entreprises, je pouvais décider de travailler ou de prendre un congé et je fournissais mes propres outils de travail.

[17]     Dans l'affaire Ministre du Revenu national c. Emily Standing, [1992] A.C.F. no 890, le juge d'appel Stone s'est exprimé en ces termes :

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. [...]

[18]     Dans l'affaire Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (2002 DTC 6853), la Cour d'appel fédérale - après l'arrêt Sagaz - a examiné l'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt sur le revenu d'un ingénieur en mécanique se spécialisant dans l'industrie de l'aérospatiale. On a soulevé la question de savoir si cet appelant était un employé de Canadair ou un entrepreneur indépendant. L'analyse des différents facteurs dont il fallait tenir compte pour trancher cette question était fondée sur des articles pertinents du Code civil du Québec en plus de la jurisprudence applicable jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l'affaire Sagaz, précitée. Aux fins des présents appels, l'aspect intéressant de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wolf vise l'importance qu'on doit accorder à l'intention des parties au moment où ils définissent leur relation de travail. Ce point est important dans le sens que l'opposition inhérente aux paroles du juge d'appel Stone dans la décision Standing, précitée, a permis de rappeler aux parties qu'elles ne peuvent pas simplement donner un nom à leur relation de travail et s'attendre à ce qu'on s'y tienne à moins que l'ensemble du contexte ne le permette. Avant de conclure que la relation de travail entre l'ingénieur et Canadair constituait une relation d'entrepreneur indépendant, la juge d'appel Desjardins a présenté, au paragraphe 93, ses motifs du jugement rédigés en ces termes :

Tant le travail de Canadair que celui de l'appelant étaient intégrés au sens qu'ils visaient la même activité et le même objectif, à savoir la certification des aéronefs. Toutefois, compte tenu du fait que le facteur d'intégration doit être pris dans la perspective de l'employé, il est clair que cette intégration était incomplète. L'appelant était chez Canadair pour fournir une aide temporaire dans un champ limité d'expertise, à savoir le sien. Lorsque l'on répond à la question « à qui est l'entreprise? » , de ce point de vue là, l'entreprise de l'appelant est indépendante. Une fois le projet de Canadair terminé, l'appelant était éjecté en quelque sorte de son travail. Il devait en chercher un autre sur le marché et ne pouvait pas demeurer à Canadair à moins qu'un autre projet n'ait commencé.

[19]     Le juge d'appel Décary, souscrivant aux résultats, a commenté ses motifs exprimés de la façon suivante au paragraphe 115 :

Dès le départ, je voudrais citer le tout premier paragraphe d'un article écrit par Alain Gaucher ( « A Worker's Status as Employee or Independent Contractor » dans Report of Proceedings of the Fifty First Tax Conference, 1999 Conference Report de l'Association canadienne d'études fiscales, page 33.1) :

[traduction] Dans une économie canadienne en perpétuel changement, la pertinence juridique du statut du travailleur à titre d'entrepreneur indépendant ou d'employé demeure importante. Les questions qui concernent le statut juridique auront un intérêt de plus en plus grand à mesure que les employeurs continueront à recourir à des pratiques d'embauche qui favorisent les entrepreneurs indépendants et qu'un plus grand nombre de personnes pourront entrer ou revenir dans la population active à titre d'entrepreneurs indépendants.

[20]     Aux paragraphes 117 à 120 inclusivement, le juge d'appel Décary s'est exprimé en ces termes :

Le critère consiste donc à se demander, en examinant l'ensemble de la relation entre les parties, s'il y a contrôle d'un côté et subordination de l'autre. Je dirai, avec le plus grand respect, que les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l'essence d'une relation contractuelle, à savoir l'intention des parties. L'article 1425 du Code civil du Québec établit le principe selon lequel « on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés » . L'article 1426 du Code civil du Québec poursuit en disant : « [o]n tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages » .

Nous sommes en présence ici d'un type de travailleur qui a choisi d'offrir ses services à titre d'entrepreneur indépendant et non pas d'employé et d'un type d'entreprise qui choisit des entrepreneurs indépendants au lieu de prendre des employés. Le travailleur sacrifie délibérément sa sécurité d'emploi en échange de la liberté ([traduction] « le salaire était beaucoup plus élevé, il n'y avait pas de sécurité d'emploi, pas d'avantages sociaux comme ceux que touche l'employé, par exemple l'assurance-maladie, la retraite, des choses de ce genre » , témoignage de M. Wolf, Dossier d'appel, vol. 2, page 24). La société qui embauchait utilise délibérément des entrepreneurs indépendants pour effectuer un certain travail à un certain moment ([traduction] « Le salaire est plus élevé avec une sécurité d'emploi moindre, parce que les consultants sont engagés pour combler les besoins lorsque l'emploi local ou la charge de travail sont anormalement élevés, ou quand l'entreprise ne veut pas engager d'autres employés et les mettre à pied ensuite. Ils engageront des consultants parce qu'ils peuvent mettre fin à leur contrat en tout temps sans avoir de responsabilités à leur égard » ibid., page 26). La société qui embauche ne traite pas ses consultants, dans son exploitation quotidienne, de la même manière qu'elle traite ses employés (voir paragraphe 68 des motifs de Mme le juge Desjardins). Toute la relation de travail commence et se maintient selon le principe voulant qu'il n'y a pas de contrôle ou de subordination.

Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu'ils désirent. Personne n'a laissé entendre que M. Wolf, Canadair ou Kirk-Mayer ne sont pas ce qu'ils disent être ou qu'ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu'un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu'il est exécuté comme tel, l'intention commune des parties est claire et l'examen devrait s'arrêter là. Si ce n'était pas suffisant, il suffit d'ajouter qu'en l'espèce, les circonstances dans lesquelles le contrat a été formé, l'interprétation que lui ont donnée les parties et l'usage dans l'industrie aérospatiale conduisent tous à conclure que M. Wolf n'est pas dans une position de subordination et que Canadair n'est pas dans une position de contrôle. La « question centrale » a été définie par le juge Major dans l'affaire Sagaz comme étant : « si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte » . Il est clair, à mon avis, que M. Wolf a exécuté des services professionnels à titre de personne qui travaillait pour son propre compte.

De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l'embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n'est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l'on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d'emploi, le peu d'égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité.

[21]     Dans son bref jugement, le juge d'appel Noël, souscrivant aussi aux résultats, a examiné la question de l'intention des parties et ses motifs sont ainsi formulés :

J'accueillerais aussi l'appel. À mon avis, il s'agit d'un cas où la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids. Je reconnais que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n'est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l'autre direction. Mais, dans une issue serrée comme en l'espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l'intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

Mon évaluation des critères juridiques applicables aux faits de l'espèce est essentiellement la même que celle de mes collègues. J'estime que leur évaluation du critère de contrôle, du critère d'intégration et de la propriété des outils n'est pas concluante, ni dans un sens ni dans l'autre. En ce qui concerne le risque financier, je conviens avec mes collègues que l'appelant, en contrepartie d'un salaire plus élevé, avait renoncé à bon nombre des prestations qui étaient hatibuellement dévolues à l'employé, y compris la sécurité d'emploi. Toutefois, je conviens avec la juge de la Cour de l'impôt que l'appelant était payé pour ses heures travaillées, quels que soient les résultats atteints, et qu'en ce sens, il ne supportait pas plus de risques qu'un employé ordinaire. Mon évaluation de l'ensemble de la relation entre les parties ne n'amène pas à une conclusion claire et c'est pourquoi, selon moi, il faut examiner la façon dont les parties voyaient leur relation.

Ce n'est pas un cas où les parties qualifiaient leur relation d'une façon telle que cela leur procure un avantage fiscal. Aucune manoeuvre frauduleuse ou aucun maquillage de quelque sorte n'est allégué. Il s'ensuit que la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l'emporter à moins qu'elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur relation. À cet égard, la preuve, lorsqu'elle est évaluée à la lumière des critères juridiques pertinents, est pour le moins neutre. Comme les parties ont estimé qu'elles se trouvaient dans une relation d'entrepreneur indépendant et qu'elles ont agi d'une façon conforme à cette relation, je n'estime pas que la juge de la Cour de l'impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente (à comparer avec l'affaire Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.), à la page 170).

[22]     Il est clair qu'une nouvelle tendance s'installe au milieu de la jurisprudence traditionnelle en ce qui concerne la méthode d'analyse des circonstances utilisée pour déterminer la catégorie de la relation de travail. Par conséquent, on a examiné de nouveau l'ancienne relation employeur-employé, fondée en bonne partie sur les préceptes du lien entre le commettant et le préposé, l'objectif était de faire face aux réalités d'un nouveau marché du travail et d'accepter le nouveau profil des travailleurs d'aujourd'hui qui ont appris à s'adapter aux demandes imprévues en services spécialisés, souvent, à court terme, selon les nouvelles règles d'engagement applicables à un marché du travail mondial très compétitif.

[23]     Dans les présents appels, il faut se rappeler que Agencies vend des polices d'assurance contre les dommages causés aux récoltes par la grêle. Heureusement, la saison de la grêle est courte et, pendant certaines saisons de croissance, il ne tombera pas beaucoup de grêlons ou il n'en tombera pas du tout sur la plupart des récoltes assurées par l'entreprise d'assurance pour laquelle Agencies vend les polices. Comme l'a indiqué M. Wray dans son témoignage, il y a certaines régions des provinces des Prairies où Agencies peut ne pas vendre de polices d'assurance au cours d'une année. De plus, si les récoltes des agriculteurs détenteurs d'une police d'assurance de l'appelante ne subissent aucun dommage, cette dernière n'aura pas besoin des services d'un évaluateur comme M. Skene. Agencies mène des affaires de plus grande envergure et plus complexes que l'évaluation des dommages subis par les récoltes, et elle est exploitée à l'année. Par conséquent, la relation de travail entre l'industrie de l'assurance contre les dommages causés par la grêle et ses évaluateurs, qui peuvent accepter ou refuser les dossiers d'évaluation assignés pendant une courte période de l'été, ne correspond pas à la relation employeur-employé traditionnelle. Dans les présents appels, la situation de M. Skene n'était pas comme celle d'un pompier qui travaille dans un aéroport et qui n'aura peut-être jamais à éteindre un incendie sur la piste, mais qui doit être au travail chaque jour en uniforme et prêt à faire son travail en cas de problème. Entre-temps, il y a des centaines de choses à faire pour se tenir prêt à répondre à une situation d'urgence. Au contraire, M. Skene n'aurait pas été obligé d'accepter un dossier qu'aurait pu lui assigner Agencies par téléphone. S'il acceptait un contrat d'évaluation, il pouvait travailler sept jours par semaine, y compris certaines soirées. Il décidait s'il voulait se rendre dans certaines autres régions de la Saskatchewan ou dans les provinces voisines et il était libre de prendre ses propres rendez-vous avec les agriculteurs. Il établissait son propre horaire et pouvait même informer l'appelante qu'il n'accepterait pas de contrat pendant une certaine période. Au début de la saison de croissance, le tarif quotidien fixe pour les services d'évaluation était établi par Agencies, et M. Skene était libre de l'accepter ou non. En 2001, le taux de rémunération quotidien avait augmenté à 140 $ comparativement à 130 $ l'année précédente.

[24]     Je reviens à la question - la question principale soulevée dans le jugement du juge Major dans l'affaire Sagaz, précitée - à savoir si la personne fournissant les services le fait en tant qu'entrepreneur à son propre compte. Rien n'indique que M. Skene n'était pas prêt et capable de fournir ses services ou qu'il n'était pas décidé et satisfait de le faire dans ces circonstances. Il n'y a aucune incongruité flagrante dans l'ensemble des circonstances de la relation de travail analysée qui permette de mettre en doute la légitimité de la description de la relation fournie par le travailleur et l'appelante dans les appels qui nous occupent. Tous les aspects des différentes entreprises commerciales ne peuvent pas correspondre au modèle traditionnel. Dans ces circonstances, lorsque les indices habituels sont ambigus et ne permettent pas d'établir clairement le statut du travailleur, il faut examiner l'ensemble de sa situation et, ayant examiné le contexte dans lequel les services étaient fournis, y compris la reconnaissance de tout aspect particulier de l'activité, de l'entreprise ou de l'industrie visée, alors, dans le cadre de toute analyse ultérieure de leur relation de travail, il faudrait accorder l'importance à l'intention des parties, pourvu que l'exécution ultérieure soit cohérente avec leur intention exprimée à l'origine.

[25]     Dans les présents appels, la preuve appuie la suggestion selon laquelle il y deux entreprises, l'une exploitée dans un sens beaucoup plus large par Agencies, et l'autre exploitée par M. Skene qui fournissait ses services à titre d'évaluateur de dommages aux récoltes qualifié et qui connaissait les procédures de traitement des documents particuliers utilisés par Agencies et l'assureur en vue de traiter une réclamation pour dommages causés à la récolte. (Consulter Precision Gutters Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2002] A.C.F. no 771.

[26]     Les deux appels sont accueillis. Chaque décision du ministre datée du 22 avril 2002, rendue conformément à la Loi et au Régime, respectivement, sera modifiée et indiquera :

-         que William Skene n'occupait pas un emploi assurable lorsqu'il travaillait pour Wray Agencies Ltd. pendant les périodes allant du 7 juillet 2000 au 2 septembre 2000 et du 6 juillet 2001 au 20 septembre 2001 parce qu'il fournissait ses services à titre d'entrepreneur indépendant;

-         que William Skene n'occupait pas un emploi ouvrant droit à pension lorsqu'il travaillait pour Wray Agencies Ltd. pendant la période allant du 6 juillet 2001 au 20 septembre 2001 parce qu'il fournissait ses services à titre d'entrepreneur indépendant.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 27e jour de juin 2003.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2004.

Louise-Marie LeBlanc, traductrice

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