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Dossier : 2003-990(IT)G

ENTRE :

ARTHUR ZINS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu du 14 au 16 septembre et les 15 et 16 novembre 2005, à Toronto (Ontario), devant

l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me John Grant

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1998 est accueilli, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et qu'il établisse une nouvelle cotisation de façon à ce que le montant de 43 614 $ soit inclus dans le revenu de l’appelant, et que celui‑ci soit passible des pénalités imposées en application du paragraphe 163(2) pour avoir omis de déclarer le montant de 43 614 $.

 

          Dépens adjugés à l’appelant à hauteur de 50 p. 100 du tarif de la Cour.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre 2005.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mars 2006.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2005CCI786

Date : 20051208

Dossier : 2003-990(IT)G

ENTRE :

ARTHUR ZINS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     Au cours des quatre derniers mois de l’année 1998, M. Arthur Zins s’est investi dans un stratagème de télémarketing. Il menait ses activités sous le couvert du Jewish Men’s Group. Il a éventuellement été reconnu coupable de fraude relativement à ces activités, et les fonds saisis par la police ont été distribués à des organismes caritatifs conformément à une ordonnance restitutoire. Le cas en l’espèce porte sur l’établissement du revenu net de M. Zins aux fins de l’impôt sur le revenu à la suite de ses activités de télémarketing illégales. Les questions en litige sont, plus particulièrement, les suivantes :

 

(i)      M. Zins peut‑il se prévaloir de l’alinéa 149(1)l) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») au motif que son stratagème était géré par un organisme sans but lucratif? Je conclus qu’il ne peut pas.

 

(ii)      À combien s’élevait le revenu brut que M. Zins tirait de son activité de télémarketing en 1998? Je conclus que son revenu brut était de 58 960 $.

 

(iii)     À combien s’élevaient les frais déductibles de M. Zins en 1998? Je conclus que ses frais s’élevaient en tout à 15 346 $, ce qui réduit son revenu net à 43 614 $.

 

(iv)     Le montant de la restitution de 38 272 $ qui a été versée en 2002 et en 2003 peut‑il être considéré comme une déduction dans la déclaration de M. Zins pour l’année 1998? Non, il n’a pas droit à une déduction pour l’année 1998 à l’égard de tels paiements ultérieurs.

 

(v)     M. Zins est‑il passible des pénalités imposées en application du paragraphe 163(2)? Oui, M. Zins est passible des pénalités imposées en application du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

Faits

 

[2]     En juin 1998, M. Zins a décroché un emploi à temps partiel chez Xentel (un organisme de collecte de fonds), lequel consistait à faire du démarchage téléphonique auprès du public pour financer les activités caritatives d’associations de policiers ou de sapeurs‑pompiers. M. Zins s’est étonné de l'empressement dont faisaient preuve les gens faisant des dons. En se fondant sur cette expérience, il a conçu un stratagème visant à s’investir dans un tel démarchage, selon toute apparence au nom d’un organisme auquel il était associé, le Jewish Men’s Group.

 

[3]     M. Zins a présenté des preuves des bonnes œuvres accomplies par le chapitre d’Oakville du Jewish Men’s Group avant qu'il ne déménage à Toronto, en 1997. M. Zins n’a pas présenté la moindre preuve de la structure, de la liste des membres ou des activités du chapitre de Toronto du Jewish Men’s Group au cours des années 1997 ou 1998. Il possédait un compte bancaire sous ce nom, mais il était le seul signataire autorisé.

 

[4]     Entre septembre et décembre 1998, M. Zins s’est lancé à son compte dans une entreprise de démarchage téléphonique. Il n’avait aucun arrangement avec une association de policiers ou de sapeurs‑pompiers, même s’il distribuait de la documentation sous le prétexte qu’il recueillait des fonds pour leurs activités caritatives. Son matériel publicitaire comprenait même un faux numéro d’enregistrement d’un organisme de bienfaisance. Le plan de M. Zins était de ne donner ces fonds à des œuvres de charité que dans les cas où les donateurs demandaient des reçus. Il faisait ces dons au nom du Jewish Men’s Group. Il conservait les autres dons afin d’élargir l’activité de collecte de fonds et de se constituer un revenu. Il a reconnu que son stratagème comportait un aspect non altruiste, bien qu’il l’ait justifié en alléguant que tout organisme de collecte de fonds prélève quelque chose pour ses efforts.

 

[5]     M. Zins a fait des appels sous divers faux noms. Il a déployé des efforts considérables dans la mise en œuvre de son activité de collecte de fonds. Il travaillait chez lui et dans un cybercafé, où il avait engagé deux frères d’âge scolaire pour remplir et timbrer des enveloppes, une personne possédant des connaissances en informatique afin de l’aider à générer des listes de donateurs par ordinateur, et deux autres personnes à temps partiel pour effectuer diverses tâches courantes. Les deux frères ont témoigné, corroborant le témoignage de M. Zins, et ils ont précisé qu’ils travaillaient deux ou trois fois par semaine, à raison d’une période variant entre trois et huit heures chaque fois. L’un des frères semblait se rappeler avoir gagné en moyenne 10 $ de l’heure.

 

[6]     M. Zins a décrit en détail le processus de l’appel initial, des rappels et des envois postaux. Il avait échafaudé plusieurs événements – un spectacle de magie, un match de football et une partie de hockey –, et il avait ouvert différents comptes de cases postales pour chacun de ces événements. Il a témoigné qu’une personne mettant en doute la légalité de son stratagème s’était adressée au responsable des cases postales. M. Zins croyait que Xentel était à l’origine de cette démarche. Il a entrepris d’ouvrir d’autres cases postales. Il a également ouvert une ligne téléphonique d’information distincte pour chacun des événements, dans chaque ville où un événement devait censément avoir lieu. À partir de Toronto, il a tenté d’étendre ses activités à Vancouver, à Winnipeg et à Ottawa. Il a élaboré et distribué des prospectus réclamant des dons de 29 $, de 49 $ ou de 69 $, selon le nombre d’enfants qui seraient parrainés, bien que les prospectus n’aient pas tous spécifié les montants de don proposés.

 

[7]     Une fois que M. Zins a commencé à recevoir des fonds, il a ouvert plusieurs comptes bancaires, en associant chaque compte à un événement. Il a ainsi ouvert les comptes suivants : (i) le compte no 319 à la Banque Toronto Dominion – associé au match de football bénéfice; (ii) le compte no 320 à la Banque Toronto Dominion – associé au spectacle de magie bénéfice; (iii)       le compte no 322 à la Banque Toronto Dominion – associé à la partie de hockey bénéfice. Peu de temps après, il a ouvert les comptes suivants : (iv) un compte au Canada Trust – associé au match de football bénéfice; (v) un compte au Canada Trust – associé au spectacle de magie bénéfice. Il se servait aussi d’un compte à la Banque royale qui avait été ouvert au nom du Jewish Men’s Group. M. Zins a également utilisé un compte à la CIBC au nom de sa mère, pour laquelle il pensait détenir une procuration, bien qu’il n’en ait donné aucune preuve. Il a déclaré avoir utilisé le compte au Canada Trust et le compte au nom de sa mère afin d’éviter de se faire prendre par Xentel. Il se préoccupait du fait que son ancien employeur était au courant de ses activités et qu’il menait une enquête. Par conséquent, M. Zins virait des fonds d’un compte à l’autre, ce qui comprenait notamment des retraits et des versements au compte de sa mère – le compte à la CIBC.

 

[8]     Les « dons » étaient faits surtout, mais non exclusivement, par chèque sous forme de petits montants. M. Zins a utilisé une partie des fonds à l’automne 1998 afin de se procurer des billets de spectacle (300 $), et aussi pour faire un don de 1 510 $ au nom du Jewish Men’s Group.

 

[9]     Le 14 décembre 1998, M. Zins a déposé 39 400 $ dans ses six comptes bancaires, 5 000 $ en espèces et le reste en chèques, les dépôts variant entre 3 600 $ et 10 000 $. M. Zins a présenté des chèques annulés qui attestaient un retrait de 20 800 $ au compte de sa mère à la CIBC. Il a également témoigné que tous les chèques déposés ce jour‑là avaient été retirés de ce compte.

 

[10]    Le 17 décembre 1998, le service de police régional de Peel a saisi les comptes et les fonds en espèces de M. Zins, à hauteur de 38 272 $. M. Zins a été accusé de fraude. La police a réclamé un rapport d’un juricomptable, lequel a été soumis le 23 octobre 2000 par M. Thomas Stacy de l’étude Hawley & Company LLP C.A. M. Stacy a limité son examen aux activités des trois comptes à la Banque Toronto Dominion, aux deux comptes au Canada Trust et au compte à la Banque royale. M. Stacy, qui a témoigné au procès, a conclu qu’au cours de la période de septembre à décembre 1998, M. Zins avait effectué les opérations suivantes : (i) des retraits en espèces totalisant 30 941 $, tirés du montant brut des dépôts; (ii) des dépôts s’élevant en tout à 119 789 $ dans les six comptes, dont une tranche de 52 370 $ consistait en des transferts inter‑comptes, ce qui laisse un montant de 67 419 $ en dépôts nets. M. Stacy a additionné les retraits en espèces au montant de 30 941 $ et les dépôts nets totalisant 67 419 $, pour conclure que le « montant net » que M. Zins avait gagné s’élevait à 98 360 $. Ce « montant net » incluait la somme de 39 400 $, que M. Zins avait déposée dans les comptes le 14 décembre 1998. M. Stacy n’a pas examiné l’activité liée au compte de la mère de M. Zins à la CIBC.

 

[11]    M. Zins a été déclaré coupable de fraude le 14 janvier 2002 relativement à son stratagème de télémarketing. Son appel a été rejeté le 25 mars 2002. On lui a ordonné d’effectuer une restitution au montant de 38 272 $, soit le montant saisi par les policiers. Ce montant global a été distribué à des œuvres de charité en 2002 et en 2003.

 

[12]    La vérificatrice de l’Agence du revenu du Canada (ARC) a témoigné qu’elle n’avait pas procédé à un examen indépendant des sommes que M. Zins avait reçues au cours de la période de septembre à décembre 1998, mais qu’elle s’était fondée uniquement sur le rapport de M. Stacy. De nouvelles cotisations ont été établies à l’égard de M. Zins le 5 juillet 2002. Le ministre a inclus le montant de 98 360 $ dans le revenu de M. Zins et lui a imposé une pénalité de 5 421.65 $. La nouvelle cotisation a été ratifiée le 3 décembre 2002.

 

Analyse

 

(a)      M. Zins peut‑il se prévaloir de l’alinéa 149(1)l) de la Loi au motif que son stratagème était géré par un organisme sans but lucratif?

 

[13]    Non. Bien que je sois convaincu que M. Zins avait des liens avec un groupe connu sous le nom de Jewish Men’s Group, je ne suis pas persuadé que cet organisme gérait ce stratagème lucratif en particulier. Et même si tel était le cas, je ne suis pas persuadé que le chapitre de Toronto du Jewish Men’s Group était un organisme sans but lucratif .

 

[14]    C’est M. Zins, et seulement M. Zins, qui a conçu et mis en œuvre cette activité de télémarketing. Le Jewish Men’s Group que M. Zins invoquait, et qu’il prétendait être un organisme sans but lucratif, était au mieux une couverture pour son stratagème personnel. En quelque sorte, cela donnait une certaine légitimité à M. Zins. En réalité, cela servait à atteindre un autre but. Même s’il utilisait un compte bancaire ouvert au nom du Jewish Men’s Group, ce n’était qu’un compte parmi d’autres et, de fait, ce qu’il avait en commun avec les autres comptes c’était que M. Zins en était le seul signataire autorisé. M. Zins a transmis des dons minimes à des œuvres de charité (environ 1 800 $) sous le nom du Jewish Men’s Group, mais compte tenu de l’objectif admis de M. Zins, qui était de tirer profit de ce stratagème, je conclus qu’il a simplement utilisé ce nom pour atteindre cet objectif. L’organisme, le Jewish Men’s Group, n’exploitait pas le stratagème de télémarketing.

 

[15]    Même si M. Zins m’avait convaincu qu’un organisme appelé le Jewish Men’s Group gérait le stratagème de télémarketing, il ne m’aurait pas persuadé que le Jewish Men’s Group était un organisme sans but lucratif. Bien qu’il m’ait soumis un élément de preuve des œuvres de bienfaisance du Jewish Men’s Group, cet élément de preuve avait trait au chapitre de Mississauga et à une époque antérieure à la période en question. M. Zins n’a fourni aucune preuve de la liste des membres (à part celle du chapitre de Mississauga), de la charte ou de la structure d’un organisme connu sous le nom de chapitre de Toronto du Jewish Men’s Group. Le seul élément de preuve que M. Zins a donné m’amène à conclure qu’il était le seul membre du chapitre de Toronto du Jewish Men’s Group. À ce titre, son objectif de rentabilité était celui du Jewish Men’s Group, et cet objectif en soi exclut la possibilité de considérer ce groupe comme un organisme sans but lucratif. M. Zins n’a fourni aucune preuve de l’existence du chapitre de Toronto du Jewish Men’s Group à titre d’organisme distinct, et à plus forte raison à titre d’organisme sans but lucratif .

 

(b)     À combien s’élevait le revenu brut que M. Zins tirait de ses activités de télémarketing en 1998?

 

[16]    Tout d’abord, je dois souligner qu’une fois que l’alinéa 149(1)l) est écarté, il ne fait pas de doute que M. Zins est imposable à l’égard du produit de son entreprise frauduleuse. M. Zins connaissait bien la loi sous ce rapport. L’intimée m’a renvoyé aux arrêts The Queen v. Fred E. Poyton[1] et Buckman c. Canada[2] afin d’étayer le principe voulant que les produits de la criminalité soient assujettis à l’impôt. Le litige ne porte que sur le montant en cause. Le ministre s’est fondé sur le rapport des juricomptables, et il a porté un montant de 98 360 $ au revenu de M. Zins. Ce dernier a allégué que cela est incorrect au point de départ, car le juricomptable, M. Stacy, a inclus dans ce montant plus de 40 000 $ en dépôts provenant de virements du compte de sa mère à la CIBC. M. Zins laisse entendre que, tout comme M. Stacy avait soustrait les transferts inter‑comptes effectués dans les six comptes qui avaient fait l’objet de son examen, il aurait dû également soustraire les transferts effectués du compte de sa mère aux six autres comptes. Selon le postulat de M. Zins, ces montants portés au compte de sa mère étaient des fonds qui avaient été virés des six autres comptes au départ, soit sous forme de retraits en espèces au moment du dépôt, soit lors de retraits distincts. De fait, en additionnant les montants du compte de la mère, M. Stacy a compté ces montants deux fois. Il est regrettable que M. Stacy n’ait pas examiné le compte de la mère. Dans la même veine, nonobstant le fait qu’il a tenté d’obtenir des documents, M. Zins n’a fourni aucun document relatif au compte à la CIBC attestant les dépôts qui y avaient été effectués, afin que l’on puisse retracer les fonds qui y ont été versés et en ont été retirés.

 

[17]    L’intimée prétend que la version de M. Zins, selon laquelle il aurait viré des fonds dans ce compte ou de ce compte à un autre afin d’éviter d’être dépisté par Xentel, n’est pas crédible. M. Zins n’a fourni aucune preuve corroborante. Cependant, sans vouloir être injuste envers M. Zins, sa façon d’envisager les choses est inhabituelle. Il a bien pu imaginer avoir des raisons valables de virer des fonds d’un compte à l’autre. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant sa motivation que l’obtention d’une preuve attestant la source des fonds qui se trouvaient dans le compte de sa mère.

 

[18]    D’après le rapport des juricomptables, il est clair que M. Zins a retiré au moins 30 000 $ en espèces au moment des dépôts dans les six comptes. Il a également retiré au moins une autre tranche de 35 000 $ en espèces non affectée à titre de transfert d’un compte à un autre. Comme nous le constaterons bientôt, ses dépenses étaient inférieures à 20 000 $, alors il y avait des fonds largement suffisants dans le compte de la mère pour effectuer les transferts aux autres comptes le 14 décembre. L’intimée fait valoir que des « dons » auraient pu être versés directement au compte de la mère, sans jamais avoir transité par les six autres comptes. Il n’y a aucune preuve de cela. Le modus operandi de M. Zins consistait à avoir des comptes distincts pour différents événements, et à déposer les « dons » dans le compte correspondant. Bien que les dépôts aient totalisé près de 44 000 $ dans le compte à la Banque royale au nom du Jewish Men’s Group, presque tous ces dépôts étaient des virements des autres comptes (y compris un montant de 10 000 $ provenant du compte de la mère). Si les sommes qui étaient versées au compte de la mère de M. Zins ne provenaient pas de ces six comptes, d’où provenaient‑elles? Par ailleurs, si l’argent retiré des six comptes n’a pas été versé au compte de la mère, les dépenses mises à part, où est‑il passé? Il n’y a aucune preuve attestant que M. Zins vivait dans l’opulence, loin de là. À moins qu’il ait caché de l’argent, l’explication de M. Zins est logique sur la question du montant : je n’ai aucune raison de croire qu’il aurait caché des fonds.

 

[19]    En quoi son explication, selon laquelle il aurait viré des fonds au compte de sa mère ou de ce compte à un autre, cadre‑t‑elle avec le montant global des dons? M. Zins a estimé que le don moyen était d’environ 29 $. En réalité ce chiffre n’a pas été contesté par le gendarme Stephen Ter Steege du service de police régional de Peel, ni par l’intimée. Les dons étaient faits par chèque et sous forme de montants peu élevés. Alors, combien de dons ont été faits? J’ai entendu des estimations variant entre 1 500 et 3 000. Aucune de ces estimations n’a été présentée avec certitude. La confusion découle peut‑être du contexte, dans lequel on a tenté surtout de déterminer le nombre d’envois postaux effectués par M. Zins (afin d’établir ses frais de papeterie et d’affranchissement). Les estimations de M. Zins à l’égard des envois postaux variaient entre 3 000 et 5 000. Toutefois, j’ai retenu de la preuve que les sollicitations ou les envois postaux n’occasionnaient pas tous un don. Le renvoi à 3 000 sollicitations ne signifie pas nécessairement que 3 000 dons ont été reçus. Je crois que M. Zins était plus près de la vérité dans sa première estimation de 1 530, mais il a suffisamment mis en doute cette estimation dans son témoignage ultérieur pour que je la trouve conservatrice. Avec une moyenne de 29 $ par don, 1 530 dons auraient rapporté 44 370 $ – même M. Zins ne laisse pas entendre qu’il aurait recueilli un montant aussi peu élevé. Cependant, le montant de 98 360 $ selon l'hypothèse de la Couronne suppose environ 3 400 dons, ce qui est plus élevé que l’ensemble de la preuve ne le laisse croire. La vérité se trouve entre les deux.

 

[20]    Je fais pencher la balance en faveur de M. Zins sur ce point. Cette question de l’établissement du produit brut s’apparente un peu à une évaluation de la valeur nette, mais l’ARC n’a pas mené une enquête détaillée sur les avoirs de M. Zins. Elle a simplement accepté le rapport des juricomptables, qui étaient mandatés aux fins d’une enquête criminelle relative à une accusation de fraude de plus de 5 000 $, et non aux fins d’une vérification fiscale. Le juricomptable n’a vérifié que les six comptes. Il n’y a jamais eu de vérification du compte de la mère, ni de la part de l’ARC, ni du juricomptable. Je conclus qu’un montant de 34 400 $ a été viré du compte de la mère aux six autres comptes le 14 décembre 1998. Selon la position de l’intimée, ce montant aurait consisté en des dons que M. Zins aurait déposés directement dans le compte de sa mère. Cela ne correspond pas au modus operandi de M. Zins, cela ne correspond pas au témoignage de M. Zins, et cela ne correspond pas au nombre de dons le plus probable.

 

[21]    Je conclus que le montant de 39 400 $ déposé dans les six comptes le 14 décembre 1998 comprenait des fonds qui avaient déjà transité par les six autres comptes. Il a été compté deux fois, et il devrait être déduit des dépôts, tout comme les autres transferts inter‑comptes ont été déduits par M. Stacy pour en arriver à ce total.

 

[22]    Je ne peux pas tirer la même conclusion à l’égard d’un dépôt en espèces de 2 000 $, qui a été effectué en octobre dans le compte au Canada Trust, étant donné que cela ne concorde pas non plus, dans le cadre de l’opération, avec la conclusion selon laquelle un nombre assez limité de dons étaient faits en espèces, d’autant plus que ce montant a été déposé en même temps que des dons faits par chèque.

 

[23]    Je conclus que le revenu brut devrait être réduit de 39 400 $, soit de 98 360 $ à 58 960 $.

 

Dépenses

 

[24]    À combien s’élevaient les frais déductibles de M. Zins en 1998 au titre du stratagème de télémarketing? Je passerai en revue, ci-dessous, les catégories de frais telles qu’elles ont été déterminées par les parties.

 

a)       Coût en main d’œuvre à l’égard des deux frères. À la suite du témoignage crédible des frères, je conclus qu’ils ont travaillé environ 17,5 heures par semaine pendant 12 semaines, à 10 $ de l’heure chacun. Leur rémunération s’élève par conséquent à 4 200 $.

 

b)      Coût en main d’œuvre relativement à Sean Shaw. Les parties ont convenu d’un montant de 1 060 $.

 

c)       Services informatiques pour le site web. Les parties ont convenu d’un montant de 925 $.

 

d)      Tâches courantes. Les parties ont convenu d’un montant de 180 $.

 

e)       Coût de 10 cases postales. Les parties ont convenu d’un montant de 540 $.

 

f)       Coût des envois postaux. Les parties ont convenu d’un montant de 576 $.

 

g)       Fournitures de bureau. Je les établis à 200 $.

 

h)       Lignes téléphoniques à domicile. M. Zins a présenté des registres des appels indiquant des frais de 1 100 $. Un montant d’environ 670 $ applicable à des appels interurbains, que j’accepte, était lié au stratagème. Je conclus que la moitié du solde de 430 $ est liée à l’usage personnel courant. Les frais téléphoniques s’élèvent donc à 895 $.

 

i)        Neuf lignes d’information téléphoniques. M. Zins a témoigné que les lignes coûtaient 15 $ par mois. L’intimée a reconnu qu’il y avait des frais. Je conclus que M. Zins a engagé des frais de 270 $ pour les lignes d’information.

 

j)        Envois postaux. La Couronne a convenu que les frais engagés étaient de 1,33 $ par envoi postal. Il y a eu un nombre considérable de témoignages sur cette question. Je conclus que M. Zins a prouvé qu’au moins 2 000 dons avaient été faits et que chacun avait nécessité un envoi postal. Bien qu’il puisse y en avoir eu davantage, la preuve a été tout simplement trop déroutante sur ce point pour déterminer le nombre exact avec certitude. Je limite par conséquent ces frais à ce qui est certain, c’est‑à‑dire 2 000 envois postaux à 1,33 $, ce qui fait 2 660 $ au total.

 

k)       Tâches courantes. M. Jack Dieleman a témoigné qu’il avait été payé environ 250 $.

 

l)        Loyer d’un appartement pour le bureau à domicile. L’intimée a convenu qu’il y avait des frais à ce titre. M. Zins a demandé à déduire 30 p. 100 de son loyer mensuel de 700 $ pendant quatre mois. Il exécutait une bonne partie de son travail au cybercafé, quoiqu’il utilisait passablement le téléphone à domicile. Je conclus qu’un usage de 20 p. 100 est plus approprié pour une période de trois mois seulement, ce qui correspond à des frais de 420 $.

 

m)      M. Zins a déduit des frais de véhicule, mais il n’a fourni aucun document à l’appui. En outre, le véhicule aurait servi surtout aux déplacements à destination et en provenance du café et, à l’occasion, à reconduire les frères chez eux. Aucuns frais ne sont justifiés.

 

n)       Frais alimentaires et frais d'utilisation des ordinateurs. Les trois employés qui ont témoigné ont reconnu que M. Zins leur achetait des collations et qu’il avait dû payer les frais d'utilisation des ordinateurs au cybercafé. L’intimée a convenu que des frais étaient justifiés. Je juge raisonnable que M. Zins ait engagé des frais de 300 $.

 

o)      Tâches courantes relatives à l’assistance par ordinateur au cybercafé. Cette personne n’a pas témoigné, mais le témoignage des autres employés a corroboré la position de M. Zins selon laquelle cette personne était à son emploi. La Couronne convient que des frais sont justifiés. M. Zins a estimé qu’il avait payé 150 $ par semaine pendant 14 semaines, mais il n’a produit aucune preuve de ce montant. Le témoignage de M. Zins m’a donné l’impression que cette personne n’avait travaillé que quelques heures par semaine. J’évalue également que le laps de temps en cause était une période de 12 semaines et non de 14. J’estime que cette personne a été rémunérée par M. Zins pour une soixantaine d’heures, à 15 $ de l’heure, ce qui donne 900 $ au total.

 

p)      Autres tâches courantes. Je conclus qu’il n’y a pas eu d’autres tâches courantes.

 

q)      Versements à des œuvres de charité effectués par M. Zins en vue de promouvoir son stratagème. Je conclus qu’il y avait des frais afférents à cette entreprise frauduleuse, qui s’élevaient en tout à 1 810 $.

 

r)       Frais de services bancaires. J’ai dégagé du rapport des juricomptables que ces frais s’élevaient à environ 160 $.

 

Le total des dépenses s’élève à 15 346 $, le revenu de M. Zins étant réduit de 58 960 $ à 43 614 $.

 

Restitution

 

[25]    Le montant de la restitution de 38 272 $, qui a été versée en 2002 et en 2003, peut‑il être considéré comme une charge à déduire dans la déclaration de M. Zins pour l’année 1998?

 

[26]    L’intimée allègue que, jusqu’au moment de l’ordonnance restitutoire, M. Zins ne s’est pas désisté d’un droit potentiel aux sommes d’argent saisies par la police en décembre 1998. L’ordonnance restitutoire ne pouvait pas s’appliquer rétroactivement, de manière à considérer les fonds saisis en 1998 comme une charge à déduire pour M. Zins. L’intimée a invoqué le commentaire suivant du juge Bowman dans la décision Svidal c. Canada[3] :

 

e)         Un des arguments les plus astucieux et intéressants avait trait aux conséquences, sur les années d'imposition 1984 et 1985 de l'appelant, de l'ordonnance d'indemnisation rendue par la Cour de l'Alberta en 1991, qui exigeait de l'appelant et de ses coaccusés qu'ils versent 10 075 735,55 $ à Coopers and Lybrand Limited.  Selon cette thèse, cette somme devrait être admise en déduction dans le calcul du revenu tiré par l'appelant de l'entreprise qualifiée de frauduleuse par la Couronne.  Si je comprends bien, l'argument est que l'obligation de rembourser les sommes a été fixée par l'ordonnance d'indemnisation rendue en 1991, mais que, comme elle se rapporte à l'entreprise exploitée en 1984 et 1985, elle devrait être admise en déduction pour ces années.

 

            La thèse soulève plus de problèmes que je ne suis prêt à en aborder en l'espèce.  Elle suppose que les revenus provenant de la criminalité doivent être calculés selon la méthode de la comptabilité d'exercice -- une prétention au sujet de laquelle aucune jurisprudence n'a été citée, ni n'a été entendu d'expert-comptable.  Elle suppose en outre que, dès qu'un crime est commis, il existe une responsabilité latente qui ne se concrétise que si l'accusé est condamné, après sa déclaration de culpabilité, à payer une indemnité ou à faire restitution.  Elle pose aussi, sous l'angle de l'intérêt public, la question de savoir si ces types de paiements devraient être admis en déduction. Comme il en a déjà été fait mention, l'appelant n'a fait aucun paiement en application de l'ordonnance d'indemnisation, et rien ne laisse présager qu'il en fera jamais.  L'argument n'est pas étranger à celui présenté sans succès dans l'arrêt The Queen v. Poynton, 72 D.T.C. 6329 (C.A. Ontario).

 

                       Aussi intéressante que puisse être une étude plus poussée de ces questions d'ordre théorique, il suffit de dire, pour trancher sur ce point, que l'ordonnance d'indemnisation a été rendue en 1991 et qu'elle ne peut avoir d'effet sur les revenus de 1984 et 1985 de l'appelant.  Notre régime fiscal ne permet pas la réouverture d'années antérieures de façon à tenir compte d'événements survenus au cours d'années postérieures, sauf dans les circonstances particulières mentionnées dans la Loi de l'impôt sur le revenu: voir l'affaire M.N.R. v. Benaby Realties Limited, 67 D.T.C. 5275.

 

[27]    De plus, dans l’arrêt McNeil c. Canada[4], la Cour d’appel fédérale a traité la question de la déductibilité d’une attribution de dommages‑intérêts ordonnée par un tribunal, et elle a jugé que le droit de déduire des dommages à titre de dépense naît au cours de l’année où l’attribution de dommages‑intérêts est versée, et non au cours de l’année pendant laquelle les événements donnant lieu aux dommages ont pu avoir lieu. On doit considérer quand la responsabilité a été établie et « s’est transformée en une obligation absolue et inconditionnelle ».

 

[28]    D’après ces décisions, je conclus que M. Zins n’est pas autorisé à déduire les montants saisis par la police en 1998. Il n’y avait à l’égard de M. Zins aucune obligation absolue et inconditionnelle de payer ces montants en 1998. D’accord, il a perdu le contrôle des fonds, mais selon le Code criminel[5], il est clair que les fonds saisis peuvent être remis à la personne qui a fait l'objet de la saisie dans des circonstances appropriées. M. Zins ne peut pas déduire, en 1998, le montant versé sous forme de restitution au cours des années ultérieures.

 

[29]    M. Zins a allégué qu’il gardait tout simplement les fonds en qualité de fiduciaire et que, par conséquent, il ne les a jamais vraiment possédés. Cette allégation n’est pas fondée. M. Zins a délibérément et méthodiquement demandé des fonds au public pour son propre avantage. Il n’y avait tout simplement aucun contrat de fiducie.

 

Pénalités

 

[30]    Le ministre a imposé des pénalités en application du paragraphe 163(2) de la Loi, dont le préambule se lit comme suit :

 

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, [...] ou y participe, y consent ou y acquiesce [...]

 

Il incombe à l’intimée de prouver que nous pouvons conclure à la négligence grave parce que M. Zins possédait les connaissances requises ou que les circonstances en attestent. La Cour d’appel fédérale a statué ce qui suit dans l’arrêt                              Venne c. La Reine[6] :

 

Quant à la possibilité d’une faute lourde, j’ai conclu, après hésitation, qu’elle n’a pas non plus été établie ici. La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. Je ne conclus pas à un tel degré de négligence en rapport avec les faux énoncés de revenus commerciaux. Certes, le contribuable n’a pas fait preuve de la prudence d’un homme raisonnable et, comme je l’ai déjà fait remarquer, il aurait au moins dû réviser ses déclarations de revenus avant de les signer. Ce faisant, un homme raisonnable, eu égard aux autres renseignements dont il disposait, aurait été amené à croire que quelque chose n’allait pas et aurait cherché à en savoir plus long auprès de son teneur de livres.

 

[31]    M. Zins n’a pas déclaré un dollar des sommes provenant de son stratagème de télémarketing. Il savait qu’il en tirait un bénéfice. À la mi‑décembre, il savait qu’il faisait l’objet d’une enquête criminelle. Le contribuable qui tire un profit d’une activité criminelle fait face à un dilemme intéressant : doit‑il déclarer ce revenu et courir le risque de dévoiler le stratagème aux autorités, ou omettre de déclarer ces profits dans sa déclaration et courir le risque que des pénalités lui soient imposées en vertu de la législation fiscale? M. Zins ne faisait pas face à une situation aussi difficile, étant donné qu’il savait, à la fin de l’année 1998, que la police avait découvert son stratagème. Il a allégué qu’en raison du fait que ses documents avaient été saisis, il était incapable de déclarer son revenu avec précision et que, par conséquent, il ne devrait pas être passible des pénalités en application du paragraphe 163(2). Cette excuse n’est pas convaincante. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’invoquer une déclaration de négligence grave, car je conclus que M. Zins a sciemment fait une omission de 43 614 $ dans sa déclaration pour l’année 1998, et qu’en conséquence il est sujet aux pénalités en application du paragraphe 163(2).

 

[32]    En conclusion, j’accueille l’appel et je renvoie l’affaire au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen et qu'il établisse une nouvelle cotisation aux motifs suivants :

 

(i)      le montant de 43 614 $ est correctement inclus dans le revenu de M. Zins pour l’année 1998;

 

(ii)      M. Zins est passible des pénalités en application du paragraphe 163(2) pour avoir omis de déclarer le montant de 43 314 $.

 

[33]    En ce qui concerne les dépens, je n’ai aucun doute, après avoir écouté M. Zins pendant une semaine, qu’il était surtout responsable du temps investi dans cette instance. Je suis également d’avis, cependant, que le ministre aurait pu étouffer cette affaire dans l’œuf s’il avait mené son enquête avec plus de diligence, plutôt que de se fier simplement sur le rapport des juricomptables. Il ne fait pas de doute que M. Zins n’était probablement pas le contribuable avec lequel il est le plus facile de faire affaire et certainement pas celui avec lequel il serait facile de conclure un accord. L’avocat de l’intimée, Me Grant, mérite des félicitations pour la façon dont il a mené son dossier face à cet appelant non représenté. Dans le cadre du présent appel, M. Zins a fait réduire sa cotisation de moitié au moins. Dans ces circonstances, je suis disposé à adjuger les dépens à M. Zins à hauteur de 50 p. 100 du tarif de la Cour.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre 2005.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mars 2006.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste



[1]           72 DTC 1972 (C.A. Ont.).

[2]           [1991] A.C.I. no 805 (C.C.I.).

[3]           [1994] A.C.I. no 1190 (C.C.I.).

[4]           [2000] 4 C.F. 132 (C.A.F.).

[5]           Voir l’article  490 du Code criminel.

[6]           C.F. 1re inst., no T-815-82, 9 avril 1984 (84 DTC 6247).

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