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Dossiers : 2000-1668(IT)I

2001-1728(IT)I

ENTRE :

GUILLAUME ST-SAUVEUR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus le 22 avril 2003 et jugement rendu le 24 avril 2003

à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Représentante de l'appelant :

Lyse Marthe St-Sauveur

Avocate de l'intimée :

Marie-Aimée Cantin

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JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 sont rejetés, selon les motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


Référence : 2003CCI325

Date : 20030509

Dossiers : 2000-1668(IT)I

2001-1728(IT)I

ENTRE :

GUILLAUME ST-SAUVEUR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]      Il s'agit d'appels par voie de la procédure informelle concernant les années d'imposition 1997 et 1998.

[2]      La question en litige est de savoir si l'article 122.5 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) contrevient à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ).

[3]      Cet article prévoit selon la définition de « particulier admissible » au paragraphe 122.5(1) de la Loi qu'il faut être marié, avoir un conjoint de fait, être père ou mère d'un enfant ou avoir au moins dix-neuf ans pour être éligible au crédit pour la taxe sur les produits et services ( « TPS » ).

[4]      L'appelant est né le 18 juillet 1980. À la fin des années 1997 et 1998, l'appelant n'avait pas 19 ans, il n'était pas marié, n'avait pas de conjoint de fait et n'avait pas d'enfants.

[5]      Les moyens invoqués par l'appelant dans ses avis d'appel sont exprimés à l'article 18 pour l'année 1997 et l'article 15 pour l'année 1998, comme suit :

...

18.        Son application a l'effet préjudiciable de priver systématiquement un groupe imposant de jeunes, de moins de 19 ans émancipé de fait ou de droit, travailleurs ou autres ne demeurant plus chez leurs parents, d'un crédit accordé aux autres citoyens, à faibles revenus, pour pallier l'effet défavorable d'une taxe imposée à tous.

...

15.        La Loi fiscale en cause, à l'effet préjudiciable de priver systématiquement, l'ensemble des personnes âgées entre 18 et 19 ans, d'un crédit compensatoire accordé aux autres citoyens canadiens, pour la taxe sur les produits et services, imposée à tous.

[6]      L'appelant n'était pas présent. Madame Lyse Marthe St-Sauveur, sa mère, le représentait.

[7]      Deux fonctionnaires du gouvernement provincial travaillant pour Les Centres de la Jeunesse et de la Famille Batshaw ( « Centre de la Jeunesse » ) ont témoigné. Il s'agit de madame Anita SySavane, déléguée à la protection de la jeunesse et monsieur Alan Cobb, agent au programme Support Link Independant Living Program.

[8]      Madame SySavane a relaté qu'en 1997, alors que l'appelant avait 17 ans, c'était le Centre de la Jeunesse qui payait son loyer directement au locateur (pièce A-1). La mère devait payer une contribution directement au Centre de Batshaw (pièce A-2). Une exonération totale ou partielle de cette contribution pouvait être demandée. Il n'y a pas eu de preuve s'il y a eu une telle demande et s'il n'y en a pas eu, quel a été le traitement fiscal des contributions par la mère de l'appelant. La pièce A-4 montre qu'en 1997, c'est le Centre de la Jeunesse qui payait les différents déboursés requis par le Collège Dawson où l'appelant étudiait.

[9]      Le but principal du témoignage de ces deux personnes était de faire état que leurs services et leur rôle se terminaient quand les jeunes adultes avaient atteint l'âge de 18 ans et que bien des jeunes étaient sans soutien parental.

Les arguments des parties

[10]     La représentante de l'appelant s'est référée à la décision de la Cour d'appel fédérale Lister c. Canada, [1994] A.C.F. no 1051 (Q.L.). Cette décision avait toutefois confirmé la constitutionnalité de l'article 122.5 de la Loi à l'égard de deux enfants vivant chez leurs parents. Ces enfants étaient âgés de 13 et 19 ans et tiraient un revenu modeste de diverses sources.

[11]     La représentante de l'appelant fait valoir que c'est parce que les appelants en cette affaire vivaient chez leurs parents et n'avaient pas fait suffisamment de preuve de préjudice souffert que leur appel a été rejeté. Elle considère donc que cette décision peut être distinguée du fait que dans la présente affaire l'appelant n'habitait pas chez ses parents. Elle se réfère aux propos du juge Heald, juge minoritaire dans la décision Lister (supra) :

4.          Passons maintenant de la situation des requérants à celle d'autres adolescents, non mariés eux non plus, mais ne vivant pas chez leurs parents. Là, encore, le dossier ne comporte guère de preuves, et aucune preuve, notamment, sur la question de savoir si ces adolescents ne formeraient pas, dans l'optique du paragraphe 15(1), un groupe historiquement désavantagé. Dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la page 1332, le juge Wilson affirme:

À mon avis, la constatation d'une discrimination nécessitera le plus souvent, mais peut-être pas toujours, de rechercher le désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée.

La recherche de ce « désavantage existant » exige que l'on produise des preuves bien plus fournies que celles qui ont été versées au dossier de cette affaire. Pour trancher les présentes demandes en fonction de l'état actuel du dossier, il faudrait faire complètement abstraction des faits. Ainsi que l'a relevé mon collègue, une telle démarche a été jugée inacceptable

[12]     La représentante de l'appelant fait valoir que dans la présente affaire, la preuve a été faite que l'appelant ne vivait plus avec sa mère dans les deux années en cause, n'était pas à la charge de sa mère et que la Direction de la protection de la jeunesse ( « DPJ » ) ne s'occupe plus des jeunes qui ont atteint l'âge de 18 ans. Elle trouve injuste que ni la jeune personne qui n'habite plus avec ses parents et qui n'est pas à leur charge, ni les parents de cette jeune personne émancipée ne peuvent réclamer le crédit d'impôt pour la TPS.

[13]     L'avocate de l'intimée s'est elle aussi référée à la décision Lister (supra), notamment aux paragraphes 29 à 31 de la décision majoritaire et je cite :

29.        Appliquant ces principes en l'espèce, je ne saurais dire -- le dossier ne contenant d'ailleurs aucun élément permettant de l'affirmer -- que les enfants, non mariés, de moins de 19 ans appartiennent à un groupe dont la « plainte » pour reprendre les paroles utilisées dans l'arrêt Swain par le juge en chef Lamer, « correspond à l'objectif général de l'art. 15, c'est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne » .

30.        Je pourrais ajouter qu'il n'appartient pas à notre Cour de se livrer à des conjectures sur ce problème des stéréotypes, des désavantages historiques ou des préjugés politiques ou sociaux. C'est au demandeur qu'il appartient, au regard de l'article 5, de déposer les preuves permettant de démontrer l'existence de ce type de situation. Le fait que les requérants n'y parviennent pas suffira à voir rejeter leur demande. Ainsi qu'en a décidé le juge Cory dans l'arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, à la p. 366 :

Un contexte factuel est d'une importance fondamentale dans le présent pourvoi. On ne prétend pas que c'est l'objet visé par la loi qui viole la Charte, mais ses conséquences. Si les conséquences préjudiciables ne sont pas établies, il ne peut y avoir de violation de la Charte ni même de cause. Le fondement factuel n'est donc pas une simple formalité qui peut être ignorée et, bien au contraire, son absence est fatale à la thèse présentée par les appelants.

31.        D'ailleurs, lorsqu'on examine le contexte plus général afin de voir si la différence de traitement instituée par la disposition en cause entraîne effectivement une discrimination au sens de l'article 15, on se retrouve dans un environnement social, politique, juridique, budgétaire et économique complexe où, dans l'intérêt de l'État, le législateur tente de prélever des revenus afin de financer l'activité du gouvernement, tout en s'employant à atteindre l'équité entre les contribuables et à mettre en oeuvre des politiques budgétaires et sociales qui n'ont rien à voir avec le prélèvement de revenus

[14]     L'avocate de l'intimée fait donc valoir que la décision Lister (supra) a consacré la constitutionnalité de l'article 122.5 de la Loi dans toutes ses situations à l'égard du jeune de moins de 19 ans, vivant chez ses parents comme celui vivant de ses propres moyens et que de plus, l'absence de l'appelant ne permet pas de juger s'il a été dans une situation inégale et désavantageuse.

Conclusion et analyse

[15]     Je me réfère donc d'abord à une décision récente de la Cour suprême du Canada dans Gosselin c. Québec, [2002] A.C.S. no 85 (Q.L.), rendue le 19 décembre 2002. Cette décision concernait l'aide sociale différente pour les personnes de moins de trente ans dans le système du bien-être social du Québec. Je cite la juge McLaughlin qui explique la façon de procéder pour établir une violation à l'article 15 de la Charte :

17.        Pour établir une violation du par. 15(1), la demanderesse doit, selon la norme de preuve en matière civile, démontrer que (1) par son objet ou ses effets, la règle de droit contestée la traite différemment d'autrui, (2) ce traitement différent est fondé sur un ou plusieurs motifs énumérés ou analogues, et (3) l'objet ou les effets de la règle de droit sont discriminatoires en ce que celle-ci porte atteinte à la dignité humaine ou traite certaines personnes comme si elles étaient moins dignes d'être reconnues pour l'un ou l'autre des motifs énumérés ou analogues...

25.        ... il faut procéder à un examen contextuel afin d'établir si une distinction entre en conflit avec l'objet du par. 15(1)... la question à trancher est celle de savoir « si une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur estimerait que la mesure législative imposant une différence de traitement a pour effet de porter atteinte à sa dignité » compte tenu des traits, de l'histoire et de la situation de la personne ou du groupe en cause...

[16]     Voici maintenant son appréciation du groupe des jeunes adultes :

33.        En règle générale, mais aussi selon la preuve et notre conception de la société, il ne semble pas vraiment que, en tant que groupe, les jeunes adultes soient particulièrement vulnérables ou sous-estimés. Il n'y a aucune raison de penser que les personnes âgées de 18 à 30 ans au Québec sont ou étaient particulièrement vulnérables aux préjugés négatifs. Aucune preuve en ce sens n'a été présentée, et je suis incapable de prendre connaissance d'office d'une telle proposition contraire au sens commun...

[17]     Les cours ont plusieurs fois indiqué que toute différence de traitement n'est pas discriminatoire. Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la p. 168, le juge McIntyre déclare :

Ce ne sont pas toutes les distinctions ou différences de traitement devant la loi qui portent atteinte aux garanties d'égalité de l'art. 15 de la Charte. Il est certes évident que les législatures peuvent et, pour gouverner efficacement, doivent traiter des individus ou des groupes différents de façon différentes.

[18]     Les cours ont aussi indiqué que l'aspect contextuel doit être clairement expliqué et décrit. C'est aux appelants qu'il appartient de démontrer qu'on a enfreint les droits que leur garantit le paragraphe 15(1). L'appelant devait démontrer qu'il appartenait à une minorité discrète et isolée qui est victime de stéréotypes, a toujours été défavorisée ou est exposée aux pressions politiques et sociales, ainsi que l'envisage l'article 15.

[19]     L'appelant n'étant pas présent il n'a donc pas témoigné pour expliquer en quoi la disposition est discriminatoire à son égard. Ainsi que l'a dit le juge Heald ci-dessus (paragraphe 11 de ces motifs) on ne peut trancher de telles affaires en faisant abstraction des faits.

[20]     Par ailleurs, il n'y a pas eu de la part de l'intimée une explication à savoir pourquoi le législateur a choisi l'âge de 19 ans pour avoir droit au crédit d'impôt remboursable pour la taxe sur les produits et services. Selon la décision dans Lister (supra), cela semble fonder sur une appréciation de l'âge où un jeune quitte ou est susceptible de quitter le giron familial.

[21]     Il faut comprendre ainsi que l'on dit les juges dans l'affaire Lister (supra), que le crédit d'impôt remboursable pour la TPS est une mesure sociale et non fiscale et que cette mesure fait partie du plan gouvernemental d'aide sociale. La représentante de l'appelant a insisté sur le fait que l'action de la DPJ cessait à partir de l'âge de 18 ans. Le rôle de la DPJ peut cesser à cet âge mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a aucune protection sociale qui entre alors en jeu.

[22]     De toute façon, je suis liée par la décision de la Cour d'appel fédérale dans Lister (supra). La décision de la majorité n'a pas fait de distinction entre les jeunes de 19 ans vivant chez leurs parents et ceux vivant de leurs propres moyens. Elle a considéré que le crédit était une mesure sociale qui avait été élaborée après des études minutieuses et que la mesure n'avait pas d'intention discriminatoire.

[23]     L'appelant n'a pas non plus démontré qu'il appartenait à une minorité discrète et isolée, victime de stéréotypes. La décision de la Cour suprême du Canada dans Gosselin (supra), ne va sûrement pas dans ce sens.

[24]     Le point soulevé par la représentante de l'appelant n'est pas sans mérite. Il pourrait être soumis aux autorités législatives, mais je dois conclure que sur le plan de la constitutionnalité l'article 122.5 ne viole pas l'article 15 de la Charte.

[25]     Les appels sont en conséquence rejetés.

Signé à Ottawa, Canada ce 9e jour de mai 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


RÉFÉRENCE :

2003CCI325

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2000-1668(IT)I

2001-1728(IT)I

INTITULÉ DES CAUSES :

Guillaume St-Sauveur et la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 22 avril 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 9 mai 2003

COMPARUTIONS :

Représentante de l'appelant :

Lise Marthe St-Sauveur

Avocate de l'intimée :

Marie-Aimée Cantin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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