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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2001-3463(IT)G

ENTRE :

SUPER WEST HOMES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 21 avril 2004 à Toronto (Ontario).

Devant : M. le juge J.E. Hershfield

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Warren J.A. Mitchell, c.r.

Me Matthew G. Williams

Avocat de l'intimée :

Me Eric Noble

JUGEMENT

          L'appel à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est rejeté, avec dépens, pour les motifs ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 2004.

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2004CCI328

Date : 20040623

Dossier : 2001-3463(IT)G

ENTRE :

SUPER WEST HOMES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield

[1]      Il s'agit d'un appel à l'encontre d'une nouvelle cotisation par laquelle le ministre du Revenu national a refusé qu'une perte en capital nette reportée soit prise en compte dans le calcul du revenu imposable de l'appelante pour 1999. Une perte en capital déductible de 1 648 974 $ avait été déclarée pour l'année 1998, et le montant total de cette perte avait été reporté à 1999 à titre de perte en capital nette suivant l'article 111 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2]      La perte en capital déductible qui a été reportée découlait d'une créance due à l'appelante par 628774 Ontario Inc. ( « Ontario Inc. » ). La créance devait permettre à cette dernière de financer un investissement dans un projet de centre de congrès conçu et exploité par une société en commandite dont elle était le commandité. Lorsque la créance s'est révélée irrécouvrable en 1998, l'appelante a fait un choix pour que l'alinéa 50(1)a) de la Loi s'applique, de sorte qu'elle est réputée avoir disposé de la créance pour un produit nul en 1998. L'intimée ne conteste pas le fait que la créance est devenue irrécouvrable au cours de cette année. En fait, les parties ont reconnu que la seule question en litige dans le présent appel était de savoir si la créance avait été contractée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien conformément au sous-alinéa 40(2)g)(ii).

[3]      Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi prévoit que la perte résultant de la disposition d'une créance est nulle, « sauf si la créance [...] a été acquis[e] par le contribuable en vue de tirer un revenu [...] d'une entreprise ou d'un bien » .

[4]      L'appelante soutient que la créance était un prêt portant intérêt qu'elle a consenti à Ontario Inc. Une convention de prêt a été produite à l'audience. À première vue, celle-ci semble avoir été signée en septembre 1989, lorsque des fonds ont été avancés pour la première fois. La convention prévoit que des sommes seront prêtées par l'appelante à Ontario Inc., jusqu'à un maximum de 5 000 000 $; ces sommes sont remboursables sur demande et portent intérêt à un taux annuel de 12 p. 100, auquel s'ajoute un droit d'usage équivalant à la moitié des frais de gestion gagnés par Ontario Inc. Celle-ci avait droit chaque année à des frais de gestion équivalant au plus élevé des montants suivants : 100 000 $ ou le total de 2 p. 100 des revenus bruts et de 10 p. 100 du bénéfice net. Au total, l'appelante a avancé la somme de 2 198 632 $ à Ontario Inc.

[5]      L'intimée prétendait que les circonstances entourant l'apparition de la convention de prêt, ajoutées aux nombreux éléments de preuve démontrant que celle-ci n'avait pas pris effet avant que l'appelante fasse le choix visé au paragraphe 50(1), soulevaient de tels doutes quant à son existence à l'époque pertinente qu'il était justifié de conclure que l'appelante n'avait pas réussi à établir que le prêt avait été fait en vertu de cette convention à l'origine. La convention de prêt n'a fait surface qu'après que le choix visé au paragraphe 50(1) a été fait. Ses clauses n'ont jamais pris effet. Pendant des années, le prêt était inscrit dans les livres comptables comme un prêt ne portant pas intérêt. Aucun paiement, que ce soit au titre du capital ou des intérêts, n'a été effectué sur la créance. L'intimée soutient subsidiairement que, même si la convention de prêt existait en 1989, l'appelante n'a pas réussi à prouver, comme elle devait le faire, que cette convention devait avoir des effets juridiques au moment où les fonds ont été avancés. Si l'appelante n'est pas en mesure de démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, que la convention de prêt était destinée à avoir des conséquences juridiques, il ne sera pas établi que la créance en cause en l'espèce a été contractée en vue de gagner un revenu.

[6]      Pour répondre à la thèse de l'intimée et à sa description de la preuve, l'appelante s'est appuyée sur le contexte historique du prêt et sur ses transactions. Elle a présenté deux témoins qui ont attesté la réalité de ce contexte historique : Frank Carinci, l'un de ses dirigeants, et Rolf Fiege, l'avocat de la famille Carinci. Ceux-ci ont confirmé l'existence de la convention de prêt à l'époque pertinente. Frank Carinci, qui a signé la convention pour le compte des deux parties, a également confirmé l'intention de celles-ci d'être liées par la convention.

[7]      La preuve de l'appelante peut facilement être séparée en deux parties : les éléments de preuve relatifs à la création et à l'apparition tardive de la convention de prêt et ceux ayant trait à l'explication contextuelle des erreurs de comptabilité et d'inscription concernant le fait que le prêt portait intérêt. Je traiterai d'abord des éléments de preuve relatifs à la création et à l'apparition tardive de la convention de prêt.

[8]      Me Fiege a indiqué dans son témoignage qu'il avait transmis un projet de convention de prêt à Dominic Carinci après avoir eu une discussion avec lui en juillet 1989, ou vers cette date, sur la nécessité de régler un problème soulevé par le frère de M. Carinci, Frank. Ce dernier était préoccupé par le fait que l'appelante appartenait en parts égales aux deux frères, mais que la participation dans le projet de centre de congrès était indirectement détenue par sept fiducies familiales : les trois septièmes pour le compte de ses enfants et les quatre septièmes pour le compte des enfants de Dominic[1]. Me Fiege a préparé un projet de convention de prêt devant prévoir des intérêts afin de régler le problème soulevé par Frank Carinci, à savoir que les fonds auxquels il avait indirectement droit bénéficiaient de manière disproportionnée à la famille de son frère Dominic. Les deux témoins ont précisé que ce problème avait revêtu une très grande importance dès le début du projet de centre de congrès.

[9]      Me Fiege a déclaré dans son témoignage qu'il avait rédigé le projet de convention de prêt sur du papier qui n'était plus utilisé. L'appelante insiste fortement sur ce point car il permet de savoir à quel moment le projet de convention a été transmis. Me Fiege a ainsi pu affirmer dans son témoignage que le papier utilisé confirmait que le projet de convention de prêt avait été envoyé à Dominic Carinci le 23 juillet 1989, comme il se le rappelait. Il y a lieu de mentionner également que la convention de prêt qui a été signée est celle qui a été envoyée par Me Fiege à Dominic Carinci et qui était écrite sur le papier qui n'est plus utilisé aujourd'hui. Me Fiege a indiqué dans son témoignage que ce document original, qui proposait différentes clauses sur les intérêts, ne devait constituer qu'un projet et avait pour seul but de décrire les clauses pouvant figurer dans une convention de prêt. Aucun des frères ne lui a parlé de la conclusion d'une convention de prêt jusqu'à ce que des questions de vérification surgissent à la suite de la déduction de la perte relative à la créance irrécouvrable reportée en 1999.

[10]     Frank Carinci a déclaré dans son témoignage qu'après avoir pris connaissance du projet de convention envoyé par son frère Dominic il avait rayé l'une des clauses de rechange relatives aux intérêts, avait apporté une autre modification - reportant de trois ans le paiement des intérêts[2] - et avait signé la convention en qualité de signataire autorisé de l'emprunteur et du prêteur[3]. Il a affirmé avec beaucoup d'assurance qu'il avait signé la convention à la date indiquée sur celle-ci, avant de la renvoyer à son frère Dominic dans le but qu'elle régisse les modalités du prêt. Il s'agissait d'un projet à long terme, et les fonds appartenant indirectement aux deux frères en parts égales devaient porter intérêt de façon à réduire le bénéfice disproportionné auquel avait droit la famille de Dominic Carinci.

[11]     Il semble que la convention de prêt ait alors été placée dans un dossier « divers » dans le bureau de Dominic Carinci et qu'elle n'ait réapparu que lorsque des questions de vérification concernant la déduction de la perte reportée en 1999 ont surgi. La déduction de la perte en 1998 n'était pas fondée sur le fait que le prêt portait intérêt en soi, même si les états financiers accompagnant la déclaration de revenu pour 1998 indiquaient pour la première fois que certains prêts consentis à des parties liées portaient intérêt. Le comptable a estimé que le prêt constituait une source de revenu parce qu'il augmentait le revenu que l'appelante pouvait tirer d'autres biens connexes. Cet argument permettant de prétendre que la perte n'était pas visée au sous-alinéa 40(2)g)(ii) a semble-t-il été abandonné lorsque la convention de prêt a refait surface pendant la vérification de l'année 1999. Bien que l'apparition de la convention de prêt à ce moment soulève des doutes, l'avocat de l'appelante fait valoir que la raison justifiant que le prêt portât des intérêts dès le début des avances est incontestable sur le fond. Il ajoute que, pour arriver à une conclusion différente, il faudrait que je considère soit que l'avocat a participé à un plan visant à antidater la convention de prêt et a conservé du papier vieux d'une dizaine d'années à cette fin, soit que la convention a été conservée pendant une dizaine d'années sans être signée, probablement dans l'attente qu'elle doive l'être un jour. L'avocat de l'appelante laisse entendre qu'aucune de ces conclusions n'est justifiée.

[12]     Je traiterai maintenant de la preuve relative à l'explication contextuelle des erreurs de comptabilité et d'inscription ayant trait au fait que le prêt portait intérêt.

[13]     Les projets de promotion immobilière que l'appelante avait l'habitude de financer étaient des projets à court terme entrepris par des sociétés liées à des fins de revente et appartenaient indirectement en parts égales aux deux frères, Dominic et Frank. Il a été indiqué précédemment que l'appelante appartenait également en parts égales aux deux frères, à tout le moins jusqu'au décès de Dominic Carinci en 1994. L'appelante n'avait apparemment pas l'habitude d'exiger des intérêts sur les prêts consentis à des sociétés liées parce qu'il n'était pas nécessaire de le faire. Ces prêts étaient donc inscrits et traités comme des prêts ne portant pas intérêt. Les comptables ne sachant rien de la convention de prêt et de ses modalités, le prêt en cause en l'espèce a, à tort, été traité comme tous les autres prêts consentis à des sociétés liées[4]. On me demande instamment de reconnaître que les parties ont signé la convention de prêt en 1989 avec l'intention d'être liées par elle si j'admets qu'une raison crédible justifiait que le prêt portât intérêt. Les contradictions d'ordre comptable doivent alors être considérées comme des erreurs. Les documents contenant des erreurs ne devraient pas constituer une preuve que la convention de prêt n'existait pas à l'époque et ne prévoyait pas ce qu'on a prétendu.

[14]     Je pourrais maintenant examiner la preuve et les arguments sur lesquels s'appuie l'intimée, lesquels sont suffisants pour que je statue sur l'appel, mais les circonstances entourant le prêt appellent d'autres commentaires.

[15]     Le projet de centre de congrès a été entrepris en 1989 sur des terrains détenus par les sept fiducies familiales établies en faveur des sept enfants de Frank et de Dominic Carinci. Les terrains ont été loués à une société en commandite constituée aux fins de la réalisation de ce nouveau projet. Il a été mentionné précédemment qu'Ontario Inc., qui appartenait aux sept fiducies familiales, était le commandité de la société en commandite, laquelle appartenait aussi aux sept fiducies familiales, en parts égales. Il n'y avait pas d'autres associés.

[16]     Le contrat de société en commandite de janvier 1989 établit les apports de capitaux initiaux qui produisaient des intérêts de 18 p. 100 par année. À titre de commanditaire, chaque fiducie familiale a versé à l'origine un capital de 200 000 $ à la société en commandite, alors que l'apport de capitaux initial d'Ontario Inc., le commandité, a été de 3 500 $, auxquels s'ajoutaient 99 000 $ sous la forme d'un transfert d'actifs à la société en commandite. Or, les comptes de capital avaient considérablement changé en 1992. En effet, il ressort de la version du contrat de société en commandite modifiée et reformulée en janvier 1992 (attestant une réorganisation de celle-ci) que le compte de capital d'Ontario Inc. à l'époque dépassait 4 000 000 $ et que ceux de chacune des fiducies familiales étaient seulement de 68 000 $. Me Fiege a déclaré dans son témoignage que l'augmentation du compte de capital d'Ontario Inc. était attribuable en partie au traitement comptable réservé aux avances faites par cette société à la société en commandite. En d'autres termes, il a laissé entendre que les avances faites par Ontario Inc. (qui étaient financées par les prêts consentis par l'appelante) avaient été capitalisées[5].

[17]     Le contrat de société en commandite prévoyait que les profits et les pertes devaient être répartis de la façon suivante : 0,25 p. 100 au commandité (Ontario Inc.) et 14,25 p. 100 à chaque fiducie familiale. Une telle répartition était soi-disant conforme aux participations, lesquelles incluaient les apports de capitaux selon la définition. L'augmentation des comptes de capital d'Ontario Inc. dont il a été question précédemment peut expliquer l'attribution d'une plus grande partie des pertes de la société en commandite à Ontario Inc., mais aucune preuve directe n'a été produite relativement aux modifications apportées à la répartition des profits et des pertes prévue par le contrat de société en commandite avant la réorganisation de celle-ci en 1992. Me Fiege a cependant indiqué dans son témoignage - et les pièces l'ont confirmé - que les pertes attribuées à Ontario Inc. pour l'exercice 1992 (qui a pris fin avant la réorganisation de janvier 1992) ont été attribuées à un nouveau commandité apparu lors de la réorganisation. Les pertes attribuées totalisaient 1 800 000 $, un montant apparemment plus élevé que la proportion de 0,25 p. 100 qu'Ontario Inc. devait se voir attribuer à l'origine. Une telle attribution des pertes aurait réduit le compte de capital d'Ontario Inc. En outre, des avances transférées à Ontario Inc. par des parties liées dans le cadre de la réorganisation de 1992 auraient aussi réduit le compte de capital de celle-ci[6]. Tout autre montant figurant au crédit du compte de capital d'Ontario Inc. a été réduit d'un intérêt de 0,25 p. 100 à la suite de la réorganisation de la société en commandite; cet intérêt a été transféré contre une contrepartie nominale au nouveau commandité.

[18]     Je souligne que la réorganisation de janvier 1992 était nécessaire à cause des difficultés financières de la société en commandite[7]. La construction du centre de congrès, qui comprenait une salle de réception et devait inclure un complexe hôtelier, ne se déroulait pas comme prévu et, dans la mesure où il était opérationnel, le centre ne rapportait rien. La réorganisation de 1992 a facilité la venue d'un nouvel investisseur sans lien de dépendance. Cet investisseur a exigé que les terrains loués par les fiducies familiales à la société en commandite soient transférés à cette dernière. Il a avancé 2 200 000 $ à la société pour financer l'acquisition des terrains. De plus, des parts additionnelles dans la société en commandite ont été émises à l'intention du nouvel investisseur contre une contrepartie nominale, avec le résultat que celui-ci possédait la moitié des parts existantes dans la société en commandite. Quant à l'autre moitié, elle était toujours détenue par les sept fiducies familiales. Un nouveau commandité a fait son entrée dans la société; ses actionnaires étaient le nouvel investisseur, dans une proportion de 50 p. 100, et les deux frères, Frank et Dominic, dans une proportion de 25 p. 100 chacun. Ontario Inc. a perdu sa participation dans la société en commandite ainsi que son rôle en matière de gestion, lequel était assumé par le nouveau commandité suivant les mêmes modalités[8].

[19]     En juin 1997, le nouvel investisseur a acquis au prix de 2 200 000 $ toutes les parts dans la société en commandite qui étaient détenues par les fiducies familiales. Ainsi, du début de 1992 au milieu de 1997, la valeur du droit sur l'actif de la société en commandite appartenant pour moitié aux fiducies familiales a augmenté de 2 200 000 $. Il y a lieu de noter que cette augmentation était celle qui avait été prévue lors de la conception initiale du projet. En d'autres termes, la structure initiale établit un gel en faveur des fiducies familiales dans des proportions égales à leurs parts dans la société en commandite pour lesquelles elles ont versé les mêmes montants d'argent et dans les proportions dans lesquelles elles étaient propriétaires des terrains loués à la société en commandite. On pourrait prétendre que le « succès » du gel est attribuable en partie aux avances de fonds faites par l'appelante, sans que celle-ci n'exige de garantie, en vue de la réalisation d'un projet dont la plus-value était destinée aux fiducies familiales. Je ne veux pas dire qu'il y a eu un tour de passe-passe ou une planification fiscale irrégulière en ce qui concerne le gel, mais, dans les faits, ce qui est arrivé (abstraction faite des commentaires qui pourraient être formulés sur la réorganisation de 1992), c'est que l'investissement de l'appelante a été perdu et que les bénéficiaires du gel en ont ensuite tiré profit avec le temps[9]. Ainsi, non seulement les familles des deux frères ont tiré un bénéfice disproportionné de la valeur représentée par l' « utilisation » des fonds avancés par l'appelante (c'est-à-dire les intérêts sur le capital avancé), mais elles ont aussi fini par bénéficier de manière disproportionnée du capital avancé. Cela ne semble pas avoir préoccupé Frank Carinci en 1992 car, même si un tel résultat était prévisible, rien n'a été fait à l'époque pour le contrer. Le fait que le capital du prêt consenti par l'appelante n'a pas été protégé semble indiquer qu'il n'était pas aussi important de maintenir la proportionnalité des parts des deux frères qu'on a essayé de le faire croire à l'audience - en tous cas, pas aussi important que d'atteindre les objectifs du gel[10]. On ne peut pas me demander de considérer que la raison pour laquelle le prêt portait intérêt était très importante alors qu'on ne s'est aucunement préoccupé du capital du prêt.

[20]     Cela m'amène à parler de certains des facteurs sur lesquels l'intimée s'est appuyée avec succès pour prétendre que l'appelante ne s'est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait relativement à la question en litige en l'espèce.

[21]     L'élément le plus problématique de la thèse de l'appelante est le fait qu'elle n'a jamais reçu de paiement en vertu de la convention de prêt, même lorsqu'il était clair que des sommes devaient lui être payées. La société en commandite a versé des frais de gestion à Ontario Inc. en 1993. En réponse aux engagements pris lors de l'interrogatoire préalable, l'avocat de l'appelante a confirmé qu'un paiement d'environ 43 000 $ avait été fait en 1993 au titre des frais de gestion gagnés par Ontario Inc., alors que celle-ci était toujours partie à la convention de gestion conclue avec la société en commandite. Aucune partie de ce montant n'a jamais été transférée à l'appelante malgré ce que prévoyait expressément la convention de prêt. Le report des paiements d'intérêt sur le prêt prévu par la convention de prêt avait pris fin en 1993. Malgré cela, aucun intérêt ou droit d'usage n'a été payé. Si l'intérêt sur le prêt avait pour but d'équilibrer les parts des deux familles et si cet équilibre était très important pour Frank Carinci, le fait que ces clauses ont été ignorées ou oubliées met en péril la logique de l'argumentation de l'avocat de l'appelante. On ne peut me demander de considérer que la raison pour laquelle le prêt portait intérêt était très importante si on a pu aussi rapidement et facilement l'oublier ou l'ignorer sans explication.

[22]     Le fait que les livres comptables ont toujours montré que les prêts étaient sans intérêt pose également problème. Je ne suis pas convaincu que je peux ne pas tenir compte de telles incohérences pour le motif qu'elles résultent d'erreurs. Les remarques qui suivent portent sur ce point.

[23]     Frank Carinci a indiqué dans son témoignage que ses fonctions avaient trait à la construction. Il travaillait sur le chantier alors que son frère, Dominic, s'occupait surtout de la gestion, notamment de toutes les questions administratives, juridiques et comptables. Frank Carinci a déclaré qu'en ce qui concerne les documents juridiques et comptables il se fiait entièrement à son frère et, après le décès de celui-ci, aux comptables et aux avocats. Il a pourtant été le seul à apporter des modifications manuscrites au projet de convention de prêt qu'il a été le seul à signer. Le but qu'il visait en faisant ces changements sans en discuter avec quiconque semble inhabituel. Cela ne lui ressemblait pas de prendre unilatéralement des engagements contraignants et définitifs et de signer une convention de prêt complexe.

[24]     Frank Carinci a souligné plusieurs fois au cours de son témoignage l'importance de la convention de prêt et le fait qu'elle avait permis de régler un problème. Pourtant, il n'y a pas donné suite. Même après le décès de son frère, il n'a pas parlé de la convention de prêt à ses comptables ou à ses avocats. Il n'a pas consulté de comptables afin de confirmer le montant du prêt et de s'assurer que des intérêts s'accumulaient en conformité avec la convention[11]. Ces incohérences indiquent qu'il était peu probable que, signée ou non, la convention de prêt ait été envoyée à Dominic Carinci pour qu'elle prenne effet et lie les parties. Une telle intention se serait sûrement manifestée d'une façon ou d'une autre. En plaçant la convention dans un dossier obscur et en l'ignorant, Dominic Carinci, qui travaillait régulièrement avec son avocat et son comptable, ne semble pas l'avoir considérée comme une réponse définitive ou efficace aux préoccupations de son frère Frank. Au contraire, son attitude indique que la convention a été mise en veilleuse, peu importe qu'elle ait été signée ou non.

[25]     Les incohérences documentaires étayant la thèse de l'appelante sont décrites brièvement ci-dessous.

[26]     Un mois après la signature de la convention de prêt, Frank Carinci a signé une résolution des administrateurs de l'appelante approuvant les états financiers. Des résolutions similaires ont été signées chaque année par la suite, jusqu'en 1997 inclusivement. Dans tous les états approuvés, les avances faites à des parties liées et les prêts consentis à des sociétés affiliées étaient décrits comme ne portant pas intérêt. Toutes les déclarations de revenu pour les années 1989 à 1997 incluaient les états financiers approuvés. La preuve indique que, bien qu'il ne soit devenu un dirigeant de l'appelante qu'en 1994[12], Dominic Carinci a toujours été responsable des questions comptables avant son décès. Il savait donc que les états financiers indiquaient que la créance ne portait pas intérêt contrairement à ce que stipulait la convention de prêt. Cette constatation ne renforce pas la prétention voulant que tous ces états étaient erronés. Au contraire, cela démontre que la convention n'était pas destinée à prendre effet, même si elle était signée. Il ressort de la preuve que la convention devait être prise en compte ultérieurement et prendre effet d'une manière qui solutionnerait le mieux le problème soulevé par Frank Carinci dans les circonstances. Par exemple, lorsqu'il a fallu renflouer le projet et que Frank et Dominic Carinci sont devenus actionnaires du nouveau commandité, la convention n'était apparemment plus nécessaire. Il semble donc probable que la convention signée en 1989 - je crois Frank Carinci sur parole à ce sujet[13] - était, selon toute vraisemblance, effectivement assujettie à une condition préalable implicite qui ne s'est jamais réalisée : la convention ne serait utilisée que si le problème soulevé par Frank Carinci ne pouvait pas être réglé autrement dans les circonstances. Je ne peux que supposer que les frères Carinci ne se sont pas préoccupés de savoir si la convention de prêt était respectée pour la simple raison que celle-ci n'était pas destinée à l'être jusqu'à ce que la créance se révèle irrécouvrable. L'affirmation de l'appelante selon laquelle les parties avaient l'intention d'obliger Ontario Inc. à payer un intérêt sur le prêt ou de tirer un revenu de celui-ci au moment où il a été consenti ou, dans les faits, par la suite, n'a aucun fondement. La thèse subsidiaire de l'intimée qui est exposée au paragraphe 5 des présents motifs est celle qui doit être retenue à mon avis, compte tenu des faits que j'ai constatés.

[27]     Par conséquent, l'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 2004.

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


RÉFÉRENCE :

2004CCI328

NUMÉRO DU DOSSIER

DE LA COUR :

2001-3463(IT)G

INTITULÉ :

Super West Homes Inc. c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 21 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

M. le juge J.E. Hershfield

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 juin 2004

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Warren J.A. Mitchell, c.r.

Me Matthew G. Williams

Avocat de l'intimée :

Me Eric Noble

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Noms :

Me Warren J.A. Mitchell

Me Matthew G. Williams

Cabinet :

Thorsteinssons, Toronto

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Dominic ayant quatre enfants et Frank, seulement trois.

[2] Le projet prévoyait un délai d'un an.

[3] Frank Carinci était le seul signataire autorisé de l'appelante à l'époque. Il en était le président, le secrétaire et l'administrateur jusqu'en juillet 1994, lorsqu'il a été remplacé par son frère Dominic au poste de président et d'administrateur. Il en était cependant le secrétaire à toutes les époques pertinentes. Les deux frères étaient les signataires autorisés d'Ontario Inc.

[4] Aucune preuve corroborant cette pratique n'a été présentée. La situation peut sans doute varier en fonction de la structure d'entreprise, mais cette question n'a pas été abordée à l'audience. Il n'a pas été possible de retrouver le comptable chargé des livres à l'époque des premières inscriptions afin qu'il témoigne, et les conseillers comptables actuels n'ont pas été appelés à témoigner.

[5] Aucune autre raison n'a été donnée pour expliquer pourquoi le compte de capital d'Ontario Inc. dépassait 4 000 000 $. Un examen des pièces porte à croire que des activités et des avoirs de la société en commandite n'ayant rien à voir avec le projet de centre de congrès ont été financés par des avances de 2 091 385 $ provenant de parties liées. Rien dans la preuve n'indiquait que ces avances provenaient en totalité ou en partie d'Ontario Inc. ou que l'une des parties liées était l'appelante. Il n'y avait pas non plus de preuve de profits ou de capitalisation des intérêts accumulés sur les apports de capitaux.

[6] Comme il a été mentionné précédemment, rien dans la preuve ne permet de connaître l'origine de ces avances. Celles-ci venaient-elles de l'appelante ou d'autres parties appartenant en parts égales à Frank et à Dominic Carinci? Le cas échéant (il semble, règle générale, que les fonds versés à des parties liées provenaient de sources dont Frank et Dominic Carinci étaient les propriétaires bénéficiaires en parts égales), les avances auraient dû porter intérêt (selon Frank Carinci). Rien dans la preuve n'indiquait si ces avances portaient intérêt ou non.

[7] Personne n'a laissé entendre que les participations (du commandité ou des commanditaires) dans la société en commandite avaient une valeur quelconque au moment de la réorganisation, même si les commanditaires ont conservé un intérêt économique important dans le projet sans apporter de nouveaux capitaux. Le commandité sortant s'est fait créditer des avances provenant de parties liées, probablement en versant une contrepartie, mais il a perdu la valeur fiscale des pertes ayant été attribuées et, contrairement aux commanditaires, il n'avait plus aucun intérêt reflétant son investissement dans le projet.

[8] Aucune raison n'a été donnée pour expliquer pourquoi les frères ont acquis une participation dans le nouveau commandité plutôt que dans les fiducies propriétaires des actions d'Ontario Inc. (l'ancien commandité). Le nouvel investisseur ne voulait peut-être pas faire affaire avec les fiducies, mais la participation directe et indirecte totale de la famille Carinci dans la société en commandite et celle du nouvel investisseur représentaient chacune 50 p. 100 (la famille détenait toujours une participation de 50 p. 100 dans le projet). En faisant des frères les actionnaires du nouveau commandité, la réorganisation a cependant eu pour effet de faire en sorte que les frais de gestion versés au commandité bénéficiaient indirectement aux deux frères et non aux fiducies familiales. Les frères Carinci avaient ainsi indirectement droit au droit d'usage devant être payé à l'appelante suivant la convention de prêt après la réorganisation de janvier 1992.

[9] La valeur des contributions des commanditaires ayant évidemment été perdue également avant l'arrivée du nouvel investisseur, une partie de l'augmentation réalisée entre 1992 et 1997 pourrait constituer simplement un recouvrement de l'investissement des commanditaires. Cependant, l'augmentation dont ont bénéficié les fiducies familiales s'est accélérée à ce moment par rapport aux contributions antérieures des frères. Bien que je reconnaisse que la famille dans l'ensemble a pu perdre de l'argent dans le projet et a payé de l'impôt sur les gains réalisés par les fiducies familiales, ce résultat (qui laisse croire que le gel a été couronné de « succès » du point de vue de l'impôt sur le revenu) est un risque associé au projet tel qu'il a été mis en oeuvre. Il ne fait aucun doute en l'espèce qu'il y avait à chaque étape du projet des incidences fiscales considérables à prendre en compte. Les concepteurs d'un projet qui comptent sur l'application rigoureuse des dispositions de la Loi pour obtenir un résultat particulier ne peuvent s'élever contre une telle application si un résultat moins favorable en découle.

[10] Cela montre peut-être que la mise en oeuvre de plans fiscaux sophistiqués met souvent en conflit des objectifs concurrents. L'atteinte de tels objectifs exige souvent des compromis ou, lorsque des familles sont en cause, une approche attentiste consistant à placer un accord préliminaire dans un tiroir et à attendre de voir comment les choses se passent.

[11] Selon une note inscrite sur la convention de prêt par Frank Carinci, le montant du prêt devait être confirmé avec les comptables. Or, Frank Carinci n'a jamais consulté de comptables à ce sujet, alors qu'il aurait dû le faire s'il voulait s'assurer que des intérêts s'accumulaient sur un prêt dont le montant avait finalement été déterminé en 1992 et qui n'est devenu irrécouvrable qu'en 1998.

[12] Dominic Carinci a été l'administrateur et le président de l'appelante de juillet 1994 à son décès, en octobre 1994. Après son décès, une certaine Rose Carinci l'a remplacé. Frank Carinci a continué d'être le secrétaire de l'appelante.

[13] Je n'ai aucune raison de soupçonner Me Fiege d'avoir participé à un plan visant à antidater des documents. Au contraire, son témoignage était franc et crédible. Ce témoignage n'a cependant pas permis de déterminer si la convention avait été signée à la date à laquelle on prétendait qu'elle l'avait été. Me Fiege a admis ne pas savoir ce qui s'est passé après qu'il a envoyé la convention à Dominic Carinci pour que celui-ci l'examine. Il est possible que le document n'ait pas été signé alors et ait été laissé de côté pendant quelque temps, ce qui n'est pas rare dans le cadre d'affaires familiales. Cela n'a rien à voir avec les conséquences sur le plan fiscal d'une telle façon de faire. Ma conclusion selon laquelle on ne peut considérer que la convention de prêt a pris effet explique facilement, cependant, toutes les incohérences constatées en l'espèce. En conséquence, j'accepte la partie du témoignage de Frank Carinci portant sur la date de la signature de la convention de prêt. Il n'y a donc aucun motif raisonnable de penser qu'il existait un plan visant à antidater des documents.

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