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Dossier : 2003-1654(IT)I

ENTRE :

JOSEPH THOMAS TOTH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 7 janvier 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Antonia Paraherakis

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JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de janvier 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d'avril 2004.

Liette Girard, traductrice


Référence : 2004CCI56

Date : 20040115

Dossier : 2003-1654(IT)I

ENTRE :

JOSEPH THOMAS TOTH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Le présent appel a été entendu en vertu de la procédure informelle. Il porte sur l'année d'imposition 1999. La question en litige est celle de savoir si un montant confisqué en vertu du Code criminel peut être déduit dans le calcul du revenu pour l'année 1999.

[2]      Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « ministre » ) s'est fondé pour refuser la déduction du montant saisi sont décrits aux paragraphes 2 et 5 de la Réponse à l'avis d'appel (la « réponse » ) :

          [traduction]

2.          À la suite de la cotisation initiale établie pour l'année d'imposition 1999, l'appelant a soumis au ministre du Revenu national (le « ministre » ) une demande de nouvelle cotisation pour permettre la réduction d'un montant de 30 000 $ du revenu d'entreprise net pour l'entreprise connue sous le nom de Crystal Star.

[...]

5.          Pour établir la cotisation, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)          Durant l'année d'imposition 1999, l'appelant a exploité une « agence de placement » connue sous le nom de Crystal Star.

b)          L'appelant a déclaré un revenu brut d'entreprise de 114 897,35 $ et un revenu net d'entreprise de 37 225 $.

c)          La réduction du revenu net d'entreprise demandé par l'appelant concernait des fonds saisis par le gouvernement du Québec à la suite d'une action en justice intentée contre l'entreprise exploitée par l'appelant.

[3]      L'appelant a témoigné. Il a raconté que l'agence de placement était une agence d'hôtesses. Les faits de l'espèce n'ont par ailleurs pas été contestés.

[4]      L'appelant a déposé, sous la cote A-1, une « Ordonnance de Blocage suivant les articles 462.33 et suivants du Code Criminel » . Le bien visé est l'article 5 de cette ordonnance. Cet article 5 est ainsi rédigé :

Toutes sommes d'argent et autres valeurs se trouvant contenues et/ou rattachées au compte portant le numéro 223-14 de la Banque Scotia, située au 3064, rue St-Charles à Kirkland, ledit compte étant enregistré au nom de Crystal Star Creation.

[5]      Cette ordonnance est datée du 16 février 2001.

[6]      L'appelant a déposé, sous la cote A-2, un jugement, daté du 29 mai 2003, rendu par le juge Michel Mercier, juge à la Cour du Québec. Dans ce jugement, il est intéressant de citer le paragraphe 12, une partie des paragraphes 55, 56, 57, 58, 66 et une partie de la conclusion finale (à la page 17 du jugement) :

[12]       Il est plus qu'évident que l'ordonnance de confiscation des produits de la criminalité comme ici, d'avoir vécu des fruits de la prostitution, (article 212), fait partie de la sentence à imposer. L'article 462.37(3) et (4) édicte que dans certains cas prévus, une amende doit être infligée et purgée après toute autre peine.

[55]       [...] Que leur reste-t-il?

[56]       La preuve est plutôt faible [...] puisqu'on n'a pas voulu faire la liste de ce que l'on a effectivement bloqué dans des comptes multiples contrôlés par les accusés.

[57]       La poursuite s'est contentée de fournir un projet d'ordonnance de confiscation en vertu des paragraphes 462.37.

[58]       Le Tribunal n'a pas de difficulté à confisquer les comptes de banque où la preuve révèle que ces comptes n'ont existé que pour déposer des argents du commerce illégal, et ce, peu importe le contenu.

[...]

[66]       Ces biens pour certains immeubles et meubles sont bien décrits; quant aux comptes de banque, la preuve ne révèle pas le contenu.

[...]

CONCLUSION FINALE

[...]

1)          AU CHAPITRE DES FRAIS JUDICIAIRES

ORDONNE que la somme de 30 000,00 $ soit payé [sic] dans les trente jours de ce jour à l'Étude Légale Grey et Casgrain, à prendre à même les premiers argents liquides des présentes confiscations ou à défaut lors de la liquidation des biens immeubles à charge du Procureur Général du Québec.

[...]

3)          AU CHAPITRE DE LA CONFISCATION DES BIENS

[...]

ORDONNE la confiscation de toutes sommes d'argent et autres valeurs se trouvant contenues et/ou rattachées aux comptes portant les numéros 36263-26, 00538-80, 01502-23, 00117-89 et 12476-89, 223-14, ce dernier compte étant enregistré au nom de Crystal Star Creation de la Banque Scotia, située au 3064, rue St-Charles, à Kirkland.

ORDONNE à la Banque Scotia, citée au paragraphe précédent de verser sans délai au Procureur Général du Québec toutes sommes confisquées audits comptes;

[...]

Pour éviter toute confusion, aucune suramende ne sera rajoutée;

Arguments

[7]      L'appelant a soutenu que lui refuser la déduction du montant des fonds confisqués dans le compte bancaire de l'entreprise revient à l'accuser deux fois de la même infraction. Il n'était pas juste de lui refuser la déduction de ce montant alors qu'il avait payé de l'impôt sur le revenu provenant de l'entreprise d'hôtesses.

[8]      L'avocate de l'intimée s'est reportée au paragraphe 462.37(1) du Code criminel qui est ainsi rédigé :

Confiscation des produits de la criminalité

462.37(1) [Confiscation lors de la déclaration de culpabilité] Sur demande du procureur général, le tribunal qui détermine la peine à infliger à un accusé coupable d'une infraction désignée - ou absous en vertu de l'article 730 à l'égard de cette infraction - est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 462.39 à 462.41, d'ordonner la confiscation au profit de Sa Majesté des biens dont il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu'ils constituent des produits de la criminalité obtenus en rapport avec cette infraction désignée; l'ordonnance prévoit qu'il est disposé de ces biens selon les instructions du procureur général ou autrement en conformité avec la loi.

[9]      Elle a également cité une décision de la Cour rendue dans l'affaire Neeb c. Canada, [1997] A.C.I. no 13 (Q.L.), le 9 janvier 1997. Elle a cité une partie du paragraphe 29 de cette décision :

2.     La saisie de l'argent. Indépendamment des considérations d'ordre public, il existe toutefois un autre motif permettant de rejeter la déduction. Il s'agit simplement d'une disposition de revenu, quoique involontaire, après qu'il a été gagné. Le principe est bien établi : Mersey Docks and Harbour Board v. Lucas, (1883) 8 App. Cas. 891, suivi dans Fourth Conservancy Board v. IRC, [1931] A.C. 540 et dans Woodward's Pension Society v. M.N.R., 59 D.T.C. 1253, à la p. 1261, conf. dans 62 D.T.C. 1002, à la p. 1004.

Analyse et conclusion

[10]     Nous devons examiner la première partie du paragraphe 29 susmentionné de la décision Neeb (précitée). Elle est ainsi rédigée :

29       La question du caractère inévitable n'est pas pertinente en l'espèce. M. Neeb a été pris et la marijuana et le haschisch ont été saisis. Je ne puis voir pourquoi le public canadien devrait subventionner la perte subie par un trafiquant de drogue qui a fait l'objet d'une confiscation, en lui permettant de déduire le coût de la drogue ainsi confisquée, même si ce coût avait été établi. Si l'intérêt public a un rôle à jouer dans les affaires de nature fiscale, il faut rejeter pareille demande.

[11]     Comme on peut le voir, la décision Neeb a tenu compte de la notion de l'intérêt public. Cette décision a été rendue avant que la Cour suprême du Canada rende l'arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 804, dans lequel elle a décidé que la notion d'intérêt public visant à empêcher un contribuable de déduire des amendes et des pénalités ne s'appliquait pas à la Loi de l'impôt sur le revenu.

[12]     Je cite les paragraphes 56, 64, 65, 66 et 69 de cet arrêt :

[56]       À cet égard, je note qu'il est bien établi, pour le calcul du revenu, que la déduction des dépenses engagées en vue de tirer un revenu provenant d'actes illégaux est permise. Par exemple, non seulement le revenu d'une personne qui vit des fruits de la prostitution est-il imposable, mais les dépenses engagées en vue de tirer ce revenu sont également déductibles : M.N.R. c. Eldridge, [1964] C.T.C. 545 (C. de l'É.). Voir aussi Espie Printing Co. c.Minister of National Revenue, [1960] R.C. de l'É. 422. Permettre à un contribuable de déduire des dépenses engagées pour commettre un acte criminel semble aller à l'encontre du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46; cependant, les autorités fiscales ne tiennent pas compte de la légalité d'une activité. Par conséquent, je suis d'avis que les mêmes principes doivent s'appliquer à la déduction des amendes encourues en vue de tirer un revenu, puisque l'interdiction de déduire des amendes et des pénalités est incompatible avec la pratique de permettre la déduction des dépenses engagées en vue de tirer un revenu illégal.

[64]       Ces dispositions de la Loi enlèvent aussi du poids à l'argument selon lequel la déduction d'amendes et de pénalités permettrait au contribuable de tirer profit de ses propres méfaits. On a souvent fait remonter ce type de raisonnement à une déclaration de Lord Atkin dans Beresford c.Royal Insurance Co., [1938] 2 All E.R. 602 (H.L.), à la p. 607 : [TRADUCTION] « la règle absolue est que les tribunaux ne reconnaîtront pas au criminel quelque bénéfice découlant de son crime » . Toutefois, comme le notent plusieurs commentateurs, l'affaire Beresford visait le paiement d'une indemnité d'assurance à la suite du suicide de la personne assurée, à une époque où le suicide était qualifié de crime odieux. Voir E. M. Krasa, « The Deductibility of Fines, Penalties, Damages, and Contract Termination Payments » (1990), 38 Can. Tax J. 1399, à la p. 1417, et Krishna, aux pp. 31 et 32. On ne peut donc donner une portée plus générale à l'observation de Lord Atkin compte tenu particulièrement du fait qu'il est clairement autorisé, comme je l'indique plus haut, de considérer des dépenses engagées dans le cadre d'activités illégales comme des dépenses déductibles.

[65]       De plus, puisque le Parlement a spécifiquement envisagé la déduction de dépenses liées à certaines activités énumérées à l'art. 67.5 de la Loi qui constituent des infractions en vertu du Code criminel, il n'y a pas lieu, selon moi, d'apporter judiciairement quelque modification à la question générale de la déductibilité des amendes et des pénalités. Le fait que la Loi n'est pas muette sur la question de la restriction des déductions de dépenses engagées dans le but de produire un revenu indiquent fortement que le Parlement y a effectivement prêté attention et que, dans les cas où il le souhaitait, il a expressément limité la déduction de dépenses ou de paiements d'amendes et de pénalités. Je suis aussi sceptique sur la possibilité que la déduction d'amendes et de pénalités entraîne un bénéfice ou un avantage pour le contribuable - en fait, elles ont pour objet de permettre le calcul du bénéfice du contribuable qui est alors assujetti à l'impôt.

(3) Conclusion au sujet de l'al. 18(1)a)

[66]       Je ne puis donc retenir l'argument selon lequel la déduction d'amendes et de pénalités devrait être refusée parce qu'elle serait contraire à l'ordre public. Tout d'abord et surtout, les amendes et les pénalités peuvent, à première vue, relever du libellé large et clair de l'al. 18(1)a). S'ils intervenaient au nom de l'ordre public, les tribunaux ne feraient que créer de l'incertitude quant à savoir quels principes suivre, ou s'il y a lieu de qualifier de dissuasive une amende ou une pénalité, ou encore si l'intention de l'organisme imposant l'amende était de la rendre déductible. De plus, la déduction d'amendes et de pénalités est compatible avec les objectifs de neutralité et d'équité de la politique fiscale. Même s'il est possible de dire que la déduction des amendes et des pénalités « dilue » l'impact de la sanction, selon moi cette conséquence ne crée pas une dissonance telle que notre Cour doive ignorer le sens ordinaire de l'al. 18(1)a) lorsque ce sens ordinaire s'harmonise avec le régime et l'objet de la Loi. Lorsque le Parlement a décidé d'interdire la déduction de dépenses qui seraient par ailleurs déductibles pour des motifs d'ordre public, il l'a fait de façon explicite.

[69]       Finalement, au par. 17, mon collègue fait observer que les amendes pénales ne sont pas, au sens juridique du terme, engagées en vue de tirer un revenu. Il est vrai que l'al. 18(1)a) permet expressément la déduction de dépenses engagées en vue de tirer un revenu de l'entreprise. Cependant, il est tout aussi vrai que si le contribuable ne peut démontrer que l'amende a en fait été encourue en vue de tirer un revenu, l'amende ou la pénalité ne peut alors être déduite et l'analyse s'arrête là. Il est envisageable qu'une infraction puisse être à ce point flagrante ou répugnante que l'amende imposée par la suite ne puisse se justifier comme ayant été encourue en vue de tirer un revenu. Cependant, une telle situation ne surviendrait que rarement et n'a pas besoin d'être examinée plus en détail dans le contexte du présent pourvoi, compte tenu plus particulièrement du fait que le Parlement pourrait lui-même choisir de délimiter ce type d'amendes ou pénalités comme il l'a fait pour les amendes prévues à la Loi de l'impôt sur le revenu. Une fois de plus, le Parlement pourrait fort bien vouloir réagir promptement et de façon générale afin d'interdire clairement et directement la déduction de toutes ces amendes et pénalités s'il le désirait.

Conclusion

[13]     Mon premier commentaire découlant de la lecture du jugement (pièce A-2) est que le montant exact laissé dans le compte bancaire de l'entreprise d'hôtesses au moment où le compte a été gelé n'est pas connu. Ce montant devrait être déterminé. On devrait également vérifier si ces sommes n'étaient pas celles utilisées pour payer les frais judiciaires mentionnés dans la partie « Au chapitre des frais judiciaires » de la « Conclusion finale » .

[14]     Mon deuxième commentaire est que le jugement (pièce A-2) mentionne précisément au paragraphe 12 que « l'ordonnance de confiscation [...] fait partie de la sentence à imposer » . Je dirais que la nature d'une confiscation, pour ce qui est de savoir s'il s'agit d'une amende ou d'une pénalité ou si elle a une nature semblable, reste à déterminer.

[15]     Mon troisième commentaire est que le montant a été confisqué en 2003. C'est au cours de cette année que la déduction devrait faire l'objet d'un traitement fiscal approprié et que l'on devrait déterminer si le contribuable a le droit de déduire le montant confisqué.

[16]     À la lumière de mon dernier commentaire, l'appel sera rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de janvier 2004.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d'avril 2004.

Liette Girard, traductrice

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