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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2002-3511(IT)G

ENTRE :

TOM WILLIAMS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 13 octobre 2004, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Kim Hansen

Avocat de l'intimée :

Me Victor Caux

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que, dans le calcul de son revenu,
l'appelant peut déduire 76 864 $ pour 1997 et 75 029 $ pour 1998 en vertu des alinéas 8(1)h) et 8(1)i) de la Loi. Les dépens sont adjugés à l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d'octobre 2004.

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de décembre 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2004CCI706

Date : 20041021

Dossier : 2002-3511(IT)G

ENTRE :

TOM WILLIAMS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

[1]      Des sommes de 141 500 $ et de 165 960 $ ont été avancées à M. Tom Williams à l'égard de revenus de commissions en 1997 et en 1998, respectivement. Pour les années en cause, M. Williams soutient qu'il peut déduire certaines dépenses d'emploi s'élevant à 76 864 $ et à 75 029 $, respectivement. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a adopté la position selon laquelle les dépenses d'emploi en question ne peuvent pas être déduites en vertu des alinéas 8(1)i) ou 8(1)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) parce que les sommes n'ont pas été dépensées par M. Williams, mais plutôt par l'employeur de celui-ci. Subsidiairement, les parties ont envisagé l'application de l'alinéa 8(1)f), mais, pour les motifs suivants, je n'aurai pas à examiner cette disposition. Je conclus que les dépenses d'emploi peuvent être déduites.

[2]      Aucune preuve verbale n'a été présentée étant donné que les parties se sont appuyées sur le court exposé conjoint des faits suivant :

[TRADUCTION]

L'appelant et l'intimée, par l'entremise de leur avocat respectif, admettent les faits suivants pour les besoins de l'appel :

1.          Pendant toutes les périodes pertinentes en 1997 et en 1998, l'appelant, Tom Williams, travaillait pour la maison de courtage Whalen, Béliveau comme analyste principal de la technologie. Il n'y avait pas de contrat de travail écrit entre l'appelant et Whalen, Béliveau.

2.          L'appelant travaillait au bureau de Vancouver (Colombie-Britannique) de Whalen, Béliveau et faire les vérifications préalables et aider à réunir, à négocier et à vendre des placements importants en matière de haute technologie.

3.          Dans le cours de son travail, l'appelant était souvent appelé à voyager, surtout dans l'Est du Canada et des États-Unis et en Californie.

4.          Whalen, Béliveau et l'appelant ont décidé que ce dernier serait rémunéré à commission pour ses services. Whalen, Béliveau a convenu que l'appelant toucherait un quart de toute commission brute qu'elle recevrait sur toutes les ventes de titres dont l'appelant était responsable ou auxquelles il avait directement participé.

5.          Whalen, Béliveau a également convenu de faire des versements mensuels à l'appelant et de verser à celui-ci d'autres montants qu'il demandait de temps à autre, et ce, à titre d'avances appliquées en réduction de commissions que toucherait l'appelant. Whalen, Béliveau considérait les versements de ce genre et les autres avances comme étant des revenus d'emploi versés à l'appelant et, pour ces montants, fournissait à l'appelant des états de revenu d'emploi T4.

6.          L'appelant était responsable de ses propres frais de déplacement et de toute autre dépense d'emploi qu'il engageait pour gagner des commissions, y compris la rémunération versée à son adjoint aux ventes. L'appelant a dû engager toutes ces dépenses (les « dépenses d'emploi » ) pour pouvoir organiser et négocier des opérations pour Whalen, Béliveau. Le contrat de travail de l'appelant ne stipulait pas explicitement qu'il devait engager un adjoint aux ventes, mais, en pratique, il ne pouvait pas exercer ses fonctions sans adjoint.

7.          L'appelant n'a pas reçu d'allocation, n'a pas été remboursé de ses dépenses d'emploi et n'avait pas droit au remboursement de ses dépenses d'emploi par Whalen, Béliveau.

8.          Whalen, Béliveau a payé les dépenses d'emploi pour l'appelant, et les sommes qu'elle a versées pour ces dépenses étaient considérées comme étant des sommes qui lui étaient dues par l'appelant. Whalen, Béliveau prévoyait récupérer ces sommes en les déduisant des commissions futures de l'appelant.

9.          L'appelant a cessé de travailler pour Whalen, Béliveau en 1998. Aucune des opérations auxquelles l'appelant avait travaillé n'a été conclue. Whalen, Béliveau n'a donc jamais touché de commissions découlant des services de l'appelant, et aucune commission ou autre montant n'est devenu payable à l'appelant, sauf les versements mensuels et les autres sommes que Whalen, Béliveau fournissait à l'appelant à titre d'avances appliquées en réduction de commissions futures.

10.        Au moment où l'appelant a cessé de travailler pour Whalen, Béliveau, celle-ci lui a demandé de rembourser les avances qui lui avaient été consenties pour payer les dépenses d'emploi. Malgré cette demande, l'appelant n'a rien versé à Whalen, Béliveau pour rembourser les sommes qui lui avaient été avancées.

11.        L'appelant et l'intimée conviennent que les conditions prévues par les alinéas 8(1)f) et 8(1)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement à la déductibilité des dépenses d'emploi sont réunies, sauf que l'intimée prétend que :

a)          l'appelant n'a pas dépensé les dépenses d'emploi durant l'année ou que l'appelant a été remboursé des paiements faits ou avait droit au remboursement de ces paiements par son employeur, Whalen, Béliveau, parce que l'appelant n'a jamais remboursé à Whalen, Béliveau les sommes avancées pour payer les dépenses d'emploi;

b)          l'appelant ne peut pas non plus déduire les dépenses d'emploi en vertu de l'alinéa 8(1)f) parce qu'il n'a pas reçu de commissions au cours des années en cause; il a seulement reçu des sommes avancées à l'égard de commissions futures.

12.        Lorsqu'il a produit ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1997 et 1998, l'appelant a demandé que les dépenses d'emploi engagées en 1997 et en 1998 soient déduites de son revenu.

13.        Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant relativement à son année d'imposition 1997 au moyen d'un avis de nouvelle cotisation daté du 5 septembre 2001 et a établi une cotisation à l'égard de l'appelant relativement à son année d'imposition 1998 au moyen d'un avis de cotisation daté du 8 août 2001. L'appelant s'est vu refuser la déduction des dépenses d'emploi dans la nouvelle cotisation pour 1997 et dans la cotisation pour 1998.

14.        Voici les dépenses d'emploi en cause dans le présent appel auxquelles l'appelant aura droit si l'appel est admis :

Année

Frais de déplacement

Salaire de l'adjoint aux ventes

Total

1997

          64 864 $

       12 000 $

76 864 $

1998

          70 529 $

       4 500 $

75 029 $

15.        Aucune partie des dépenses d'emploi en cause dans le présent appel n'a été déclarée par l'appelant à titre de revenu ou n'a été incluse par ailleurs dans le revenu de l'appelant.

[3]      Les feuillets T4 pour les années d'imposition 1997 et 1998 sont les seuls autres éléments de preuve qui ont été présentés. Dans ces feuillets, les montants de 141 500 $ et de 165 960 $ sont indiqués comme étant des revenus de commission.

[4]      Voici ce qui est indiqué dans les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu :

8(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

f) lorsque le contribuable a été, au cours de l'année, employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur, et lorsque, à la fois :

(i) il était tenu, en vertu de son contrat, d'acquitter ses propres dépenses,

(ii) il était habituellement tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur,

(iii) sa rémunération consistait en tout ou en partie en commissions ou autres rétributions semblables fixées par rapport au volume des ventes effectuées ou aux contrats négociés,

(iv) il ne recevait pas, relativement à l'année d'imposition, une allocation pour frais de déplacement qui, en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v), n'était pas incluse dans le calcul de son revenu,

les sommes qu'il a dépensées au cours de l'année pour gagner le revenu provenant de son emploi (jusqu'à concurrence des commissions ou autres rétributions semblables fixées de la manière prévue au sous-alinéa (iii) et reçues par lui au cours de l'année) dans la mesure où ces sommes n'étaient pas :

(v) des dépenses, des pertes ou des remplacements de capital ou des paiements au titre du capital, exception faite du cas prévu à l'alinéa j),

(vi) des dépenses qui ne seraient pas, en vertu de l'alinéa 18(1)l), déductibles dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, si son emploi relevait d'une entreprise exploitée par lui;

(vii) des montants dont le paiement a entraîné la réduction du montant qui serait inclus par ailleurs dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année en application de l'alinéa 6(1)e);

[...]

h) lorsque le contribuable, au cours de l'année, à la fois :

(i) a été habituellement tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur ou à différents endroits,

(ii) a été tenu, en vertu de son contrat d'emploi, d'acquitter les frais de déplacement qu'il a engagés pour l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi,

les sommes qu'il a dépensées pendant l'année(sauf les frais afférents à un véhicule à moteur) pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi, sauf s'il a, selon le cas :

(iii) reçu une allocation pour frais de déplacement qui, par l'effet des sous-alinéas 6(1)b)(v), (vi) ou (vii), n'est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l'année,

(iv) demandé une déduction pour l'année en application des alinéas e), f) ou g);

(je souligne)

[...]

i) dans la mesure où il n'a pas été remboursé et n'a pas le droit d'être remboursé à cet égard, les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre :

(i)          [...]

(ii)         du loyer de bureau ou du salaire d'un adjoint ou remplaçant que le contrat d'emploi du cadre ou de l'employé l'obligeait à payer,

[5]      Monsieur Williams ne peut pas invoquer l'alinéa 8(1)h) s'il invoque l'alinéa 8(1)f). Maître Hansen, l'avocat de l'appelant, a donc commencé par présenter son argumentation en invoquant les alinéas 8(1)h) et 8(1)i)et n'invoque l'alinéa 8(1)f)que de façon subsidiaire.

[6]      Tout d'abord, pour ce qui est de l'alinéa 8(1)h), la seule question à régler est celle de savoir si les frais de déplacement étaient des « sommes [...] dépensées » par M. Williams.

[7]      Les deux parties ont abordé la question de la définition de « dépenser » en se reportant à des affaires canadiennes et britanniques[1] ainsi qu'au dictionnaire Black's Law Dictionary. À mon avis, le commentaire suivant auquel l'intimée s'est reportée, qui est tiré de la décision Oram, présente un intérêt particulier :

[TRADUCTION]

Il s'agit peut-être de la première impression que l'on a lorsque l'on entend le mot « dépense » , mais, pour moi, toute la série de mots, soit « dépense » , « dépensé » , « frais » , et ainsi de suite, dans un contexte fiscal, correspond premièrement à des dépenses faites en espèces et deuxièmement à des dépenses d'objets de valeur, c'est-à-dire à quelque chose qui fait diminuer le total de l'actif de la personne qui fait la dépense, [...]

[8]      L'intimée soutient que l'actif de M. Williams n'a toujours pas été diminué - l'appelant n'a rien dépensé. Il n'a que « contracté » une dette, plus précisément une dette envers son employeur, mais c'est son employeur qui a réellement versé les sommes.

[9]      L'appelant a adopté la position selon laquelle il n'y a pas de doute que des sommes ont été dépensées en 1997 et en 1998 et que c'est bien lui qui les a dépensées. La provenance des montants qu'a utilisés M. Williams pour faire ces dépenses est sans importance, que l'argent provienne de sa famille, de la banque ou de son employeur. Il reste que des décaissements de 64 864 $ et de 70 529 $ ont eu lieu en 1997 et en 1998, respectivement, à l'égard de voyages. L'appelant soutient qu'il ne s'agit pas d'une question de charges à payer qui n'ont pas encore été payées. La question est de savoir à qui appartenaient les sommes qui ont été dépensées.

[10]     L'intimée invoque l'affaire Ryan c. La Reine,[2] tranchée par le juge Mogan. Dans l'affaire en question, le Régime d'aide juridique de l'Ontario (RAJO) a payé les frais judiciaires de l'appelante, et celle-ci a plus tard essayé de déduire les frais judiciaires payés par le RAJO. Le juge Mogan a dit ce qui suit :

[9]         [...] Il a été payé par le Régime d'aide juridique de l'Ontario (le « RAJO » ). L'appelante déclare, cependant, qu'en vertu des conditions de son entente avec le RAJO, bien que ses frais judiciaires aient été payés par le régime, il est prévu que, si une personne obtient l'aide juridique et qu'elle possède un bien-fonds en Ontario, le RAJO peut grever ce bien-fonds d'un privilège pour le montant déboursé pour la personne. Apparemment, le montant déboursé par le RAJO est recouvrable de cette personne si le bien-fonds est vendu ou si le prêt hypothécaire relatif au bien-fonds fait l'objet d'un refinancement. L'appelante a dit que sa maison est grevée d'un privilège en faveur du RAJO et qu'elle prévoit conserver sa maison, mais que son prêt hypothécaire échoit en 2000. Elle s'attend à ce qu'elle ait à rembourser le régime dans le courant de cette année, lorsqu'elle renégociera son prêt hypothécaire.

[...]

[16]       L'appelante admet qu'elle n'a pas payé les frais judiciaires de 9 534 $. Ses frais judiciaires ont été payés par le RAJO. Il est clair qu'elle n'a payé aucun montant au sens de l'alinéa 18(1)a). La question qui se pose est celle de savoir si elle a contracté une dette. L'accès que l'appelante a pu avoir au Régime d'aide juridique de l'Ontario fait partie de ce que les Canadiens décrivent parfois comme le « filet social » . Le privilège enregistré contre la maison de l'appelante par le RAJO ne représente peut-être pas la preuve d'une dette absolue. Il représente peut-être seulement la preuve d'une créance conditionnelle qui dépend de la valeur de la maison au moment de sa vente.

[17]       Je pense que la situation diffère effectivement, et d'une façon importante, de celle qui existerait si l'appelante avait emprunté à la banque de l'argent pour payer ses frais judiciaires. Elle aurait alors une dette très concrète et immédiate envers la banque. [...]

[11]     Maître Caux, l'avocat de l'intimée, m'a fort correctement également renvoyé à l'affaire Nissim c. La Reine,[3] qui a été tranchée par le juge en chef adjoint Bowman et qui porte aussi sur la déductibilité des frais judiciaires dans les cas où c'est le RAJO qui les a payés. Le juge en chef adjoint Bowman a dit ce qui suit :

[22]       Me fondant sur la crédibilité évidente de l'appelante, je suis convaincu que les sommes déduites ont été engagées et effectivement payées. Une part importante des sommes déduites pour 1994 et 1995 avait été payée par le Régime d'aide juridique de l'Ontario, et l'appelante doit cet argent au régime, qui a fait enregistrer un privilège sur la maison de l'appelante au titre de cette dette.

[23]       Il était argué que l'appelante n'avait pas payé ces sommes. Je ne puis accepter cette prétention. L'appelante était tenue de payer les frais judiciaires. Le Régime d'aide juridique de l'Ontario les a payés pour elle et continue à en exiger le remboursement de l'appelante. La situation n'est pas très différente de ce qu'il en serait si l'appelante avait emprunté à la banque l'argent nécessaire pour payer les frais.

[12]     Le juge en chef adjoint Bowman a sûrement considéré la situation similaire comme étant un cas où un arrangement semblable à un emprunt bancaire avait été pris. Monsieur Williams avait-il une dette concrète et immédiate, pour reprendre l'expression du juge Mogan? Même s'ils ne sont pas précis, les faits entourant l'endettement de M. Williams sont clairs à bien des égards :

(i)       il était responsable de ses propres frais de déplacement;

(ii)       il n'a pas reçu d'allocation pour ses frais de déplacement;

(iii)      il n'a pas été remboursé de ses frais de déplacement et n'avait pas droit au remboursement de ces frais;

(iv)      Whalen, Béliveau a payé les frais pour M. Williams;

(v)      Whalen, Béliveau et M. Williams ont considéré les avances consenties comme étant une dette de M. Williams envers Whalen, Béliveau;

(vi)      Whalen, Béliveau s'attendait à récupérer les avances consenties à M. Williams en les déduisant des commissions futures de celui-ci;

(vii)     quand M. Williams a cessé de travailler pour Whalen, Béliveau, celle-ci lui a demandé de rembourser les sommes qui lui avaient été avancées.

Ces faits appuient la conclusion que M. Williams avait une dette concrète et immédiate envers Whalen, Béliveau chaque fois que des frais de déplacement étaient payés, ce qui veut dire qu'en réalité, c'était l'argent de M. Williams qui était dépensé.

[13]     Monsieur Williams et Whalen, Béliveau avaient conclu qu'étant donné que cette dernière contrôlait les sommes qui, selon les deux parties, seraient dues à M. Williams, M. Williams autorisait Whalen, Béliveau à dépenser les sommes qui lui revenaient avant même qu'elles soient reçues. Toutefois, la question ne s'arrête pas là : si Whalen, Béliveau ne doit pas de l'argent à M. Williams, elle peut tout simplement exiger que M. Williams paie ce qu'il doit, ce qu'elle a fait lorsque M. Williams a cessé de travailler pour elle. Je conclus qu'il ne s'agissait pas d'une dette éventuelle, mais plutôt d'une dette payable sur demande.

[14]     Pour déterminer qui a fait les dépenses, il faut examiner les rapports juridiques qui entrent en jeu plutôt que d'examiner la question de l'échange d'espèces ou de celle de savoir à qui appartenait la carte de crédit utilisée pour faire la dépense. Je vais me servir de l'exemple de l'achat d'un billet d'avion pour essayer de faire la lumière sur les rapports juridiques. Disons que M. Williams commande un billet d'avion de 1 000 $ auprès d'Air Canada. Il dit à Whalen, Béliveau qu'il a fait la commande, et Whalen, Béliveau lui donne un numéro de carte de crédit pour qu'il paie Air Canada ou communique directement avec Air Canada pour faire le paiement. Air Canada reçoit le paiement et envoie un billet d'avion à M. Williams. Conformément à l'entente selon laquelle il incombe à M. Williams de payer ses propres frais de déplacement, Whalen, Béliveau consigne ce montant de 1 000 $ comme étant une somme à recevoir de M. Williams. Monsieur Williams convient qu'il a une dette envers Whalen, Béliveau. Whalen, Béliveau exige que le paiement soit fait.

[15]     Quels sont les rapports juridiques? L'achat du billet constitue-t-il un contrat entre M. Williams et Air Canada ou entre Whalen, Béliveau et Air Canada? Est-ce que c'est M. Williams qui a donné à Whalen, Béliveau la consigne de payer Air Canada, ou est-ce que c'est Whalen, Béliveau qui a donné à Air Canada la consigne de remettre un billet d'avion à M. Williams? En fait, qui a conclu le contrat avec Air Canada? Malheureusement, j'ai très peu de preuves détaillées sur les modalités de ces contrats, mais je sais qu'il incombait à M. Williams de payer les frais de déplacement. Je sais aussi que c'est M. Williams qui a profité des déplacements en cause. Je conclus en définitive que c'est M. Williams qui a conclu le contrat avec Air Canada : selon le contrat, c'était à lui de faire le paiement, et le paiement a bien été fait.

[16]     Quel est le rapport juridique entre M. Williams et Whalen, Béliveau? Un rapport employeur-employé, bien sûr. En ce qui concerne les frais de déplacement, il y a également un rapport créancier-débiteur qui existe entre les deux parties, cependant. Sur demande, M. Williams devait rembourser Whalen, Béliveau du coût du billet d'Air Canada. Cette situation va au-delà d'une situation où un employeur consent une avance à un employé et récupère les sommes avancées en les déduisant des revenus futurs. La situation correspond plutôt à un cas où un prêt remboursable à vue a été consenti. Le fait que les fonds ou le crédit n'ont pas passé par M. Williams avant de se rendre à Air Canada n'a aucune incidence sur la nature de ce rapport. Je conclus que c'est M. Williams qui a fait ces paiements.

[17]     L'intimée craint que cette interprétation ridiculise en quelque sorte la question de la méthode de la comptabilité de caisse par rapport à la méthode de la comptabilité d'exercice, qui est une question fondamentale dans le cadre de la déduction des dépenses d'emploi. Je ne suis pas d'accord avec l'intimée sur ce point. L'élément critique est le moment où le paiement des dépenses a été fait. Les dépenses d'emploi ont été payées durant l'année en cause : la méthode de la comptabilité d'exercice n'entre pas en jeu. Sinon, la situation qui se produirait serait que les dépenses peuvent être déduites si la dette de M. Williams est payée au 31 décembre de l'année, mais ne peuvent pas être déduites si la dette est payée au 1er janvier de l'année suivante. Cette façon de voir la situation fait que la question du moment du paiement ne se rapporte pas au bon paiement. Elle fait que le moment pertinent est celui du paiement de la dette plutôt que celui du paiement de la dépense.

[18]     Monsieur Williams n'a toujours pas acquitté sa dette. Cette situation est visée par une disposition légale, plus particulièrement le paragraphe 6(15) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Selon ce paragraphe, si la dette de M. Williams est remise, le montant remis devient un avantage social imposable.

[19]     Je conclus qu'étant donné que Whalen, Béliveau a payé, au nom de M. Williams, les dépenses qu'il incombait à M. Williams de payer et que c'est M. Williams qui a engagé les dépenses, et que M. Williams avait une obligation immédiate et concrète de verser les montants à Whalen, Béliveau, les montants ont été dépensés par M. Williams afin d'avoir droit à la déduction visée par l'alinéa 8(1)h). Il s'agissait de ses dépenses, mais, dans les faits, il a dû emprunter de l'argent pour les payer.

[20]     Je me penche maintenant sur l'alinéa 8(1)i), qui porte sur le salaire versé à un adjoint. Pour des raisons semblables à celles que je viens de donner, je conclus que c'est bien M. Williams qui a fait le paiement. La seule question qu'il reste donc à déterminer est celle de savoir s'il était tenu de le faire conformément à son contrat de travail. L'intimée a invoqué les commentaires du juge Sarchuk dans la décision qu'il a rendue en 1985 dans l'affaire Slawson v. MNR[4], où il a dit ce qui suit :

En ce qui a trait d'abord au sous-alinéa 8(1)f)(i) (je paraphrase), certaines dépenses sont déductibles (par le contribuable) lorsqu'elles sont liées à la vente de biens pour l'employeur et que l'employé doit payer ses propres dépenses, selon les termes du contrat d'emploi. Une étude attentive de la preuve me force à conclure que l'appelant n'a pas établi qu'il devait payer certaines dépenses aux termes de son contrat d'emploi. Cela concerne autant les dépenses supplémentaires relatives aux clients institutionnels que les dépenses relatives aux clients au détail. Bien qu'on attendait de l'appelant qu'il fasse une grande partie des démarches qui l'ont mené à engager ces dépenses, je n'ai aucune preuve devant moi selon laquelle son contrat d'emploi l'obligeait à le faire. Il a prétendu qu'il aurait pu être congédié par l'un ou l'autre de ses employeurs s'il n'avait pas accompli ces tâches et supporté les frais qui s'y rattachaient. À mon avis, la preuve ne soutient pas cette affirmation. Je ne peux assimiler les attentes de l'employeur décrites par l'appelant et par M. Morgan à une obligation contractuelle imposée à l'appelant, que l'employeur aurait pu invoquer contre lui s'il y avait eu contravention de sa part.

Après l'affaire Slawson, la Section de première instance de la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont dû trancher des questions se rapportant au même sujet. Le résumé suivant fait par le juge Joyal dans l'affaire Gilling c. La Reine[5] fait connaître leur position :

L'appel dans l'affaire Verrier a été entendu le 20 février 1990 et un jugement cassant celui qui avait été rendu en première instance a été prononcé le 2 mars 1990 (A-1040-88). Au nom de la Cour, le juge d'appel Mahoney a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en droit dans son interprétation de l'alinéa 8(1)f). Il s'est fondé sur l'affaire Hoedel c. La Reine (1986), 86 D.T.C. 6535, où son confrère le juge d'appel Heald a déclaré que le fait pour un employé de ne pas exécuter une tâche, pouvant résulter en une évaluation défavorable par son employeur, pour plus ou moins que la fonction en question constitue une fonction de son emploi. Le juge d'appel Mahoney pouvait donc d'une manière semblable déclarer que le fait pour le vendeur de voitures de ne pas vendre suffisamment de voitures, pouvant donc entraîner le renvoi de ce dernier, était plus ou moins une preuve que le fait de s'absenter de la salle de montre pour mousser la clientèle constituait une condition d'emploi.

[...]

Dans les deux causes citées, la Cour d'appel a également reconnu qu'il n'est pas nécessaire que soit clairement énoncée dans un contrat de travail l'obligation explicite pour un employé d'acquitter ses propres dépenses ou d'exercer des fonctions ailleurs qu'au lieu de l'entreprise habituel. Après examen des antécédents de la relation et de toutes les circonstances générales, il se peut qu'un tribunal fasse appel au bon sens et conclue que ce sont en l'occurrence les conditions implicites qui s'appliquent.

[21]     Les parties ont reconnu que M. Williams ne pouvait pas exécuter les tâches de son emploi sans avoir d'adjoint aux ventes et qu'il incombait à M. Williams de rémunérer son adjoint aux ventes. Cette conclusion peut suffire pour conclure que l'embauche de l'adjoint était une clause implicite du contrat. Toutefois, l'alinéa 8(1)i) n'indique pas qu'il faut que l'embauche d'un adjoint soit une condition du contrat d'emploi, mais plutôt qu'il faut que le paiement du salaire d'un adjoint soit un élément « que le contrat d'emploi du cadre ou de l'employé l'obligeait à payer » . Je conclus, selon le libellé de l'exposé conjoint des faits, que M. Williams était responsable de cette dépense et que, selon le fait que Whalen, Béliveau a, dans les faits, prêté les fonds à M. Williams pour payer cette dépense, le contrat de travail exigeait bien que M. Williams paie lui-même tout adjoint à son emploi. Monsieur Williams a donc droit à la déduction visée par l'alinéa 8(1)i).

[22]     Pour ces motifs, j'admets les appels et je défère la question au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation en tenant compte du fait que M. Williams a droit à des déductions de 64 864 $ et de 70 529 $ pour 1997 et 1998, respectivement, selon l'alinéa 8(1)h) et à des déductions de 12 000 $ et de 4 500 $ pour 1997 et 1998, respectivement, selon l'alinéa 8(1)i). Les dépens sont adjugés à l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d'octobre 2004.

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de décembre 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :

2004CCI706

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-3511(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Tom Williams et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 13 octobre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Kim Hansen

Avocat de l'intimée :

Me Victor Caux

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me Kim Hansen

Cabinet :

Me Kim Hansen

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada Ottawa, Canada



[1]           Par exemple Gogolinski v. MNR, 64 D.T.C. 793, Oram (Inspector of Taxes) v. Johnson [1980] 2 All E.R. 1 (Chancery Division).

[2]           no 98-2488(IT)I, 3 février 2002, [2000] A.C.I. no 51 (C.C.I.).

[3]            no 97-2560(IT)I, 5 août 1998, [1999] 1 C.T.C. 2119 (C.C.I.).

[4]           no 83-77, 8 novembre 1984, 85 D.T.C. 63 (C.C.I.).

[5]           no T-375-85, 30 mars 1990, 90 D.T.C. 6274 (C.F. 1re inst.)

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