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2001-4016(IT)G

ENTRE :

PATRICIA A. HAMILTON,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appels entendus les 9, 10 et 11 mars 2005, à Toronto (Ontario).

 

Par : L’honorable juge E.A. Bowie

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocat de l’intimée :

Me Brent Cuddy

 

 

JUGEMENT

 

Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations d’impôt établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

          Chaque partie assume ses propres frais.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 21e jour de septembre 2005.

 

 

 

« E.A Bowie »

Juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de février 2008.

 

Maurice Audet, réviseur

 


 

 

 

Référence : 2005CCI625

Date : 20050921

Dossier : 2001-4016(IT)G

 

ENTRE :

 

PATRICIA A. HAMILTON,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bowie

 

[1]     Mme Hamilton appelle des nouvelles cotisations d’impôt établies à son égard pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997. Elle est avocate depuis plus de 20 ans et s’occupe principalement d’affaires relatives au droit de la famille, au droit pénal et au droit successoral. Son travail a trait principalement, mais certes pas uniquement, à des clients bénéficiaires de l’aide juridique. Comme toute personne travaillant à son compte, elle était tenue, en application de l’article 150 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), de produire des déclarations annuelles sur le formulaire prescrit, d’y déclarer son revenu de l’année précédente et d’y calculer l’impôt à payer. Elle a omis de le faire pour chacune des trois années visées par les appels. Par conséquent, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une cotisation arbitraire à son égard pour chacune de ces années, comme le lui permet le paragraphe 152(7) de la Loi dans de telles circonstances. En plus de l’impôt, le ministre a établi des intérêts et des pénalités pour omission de production des déclarations.

 

[2]     Les paragraphes 5, 6 et 7 de la réponse à l’avis d’appel exposent les points en litige relatifs aux cotisations visées par les appels.

 

          [traduction]

 

5.         Au moyen d’avis de cotisation datés du 26 juillet 1999, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi des cotisations d’impôt à l’égard de l’appelante pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi.

 

6.         Pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997, le ministre a établi à l’égard de l’appelante des cotisations d’impôt de 20 890,98 $, de 23 883,88 $ et de 13 235,09 $, respectivement, plus les intérêts et les pénalités pour production tardive applicables.

 

7.         Pour établir les cotisations à l’égard de l’appelante, le ministre s’est notamment fondé sur les hypothèses suivantes :

 

a)                  tous les faits admis et énoncés ci‑dessus;

 

b)         l’appelante était tenue de présenter au ministre ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997, au plus tard le 30 avril 1996, le 30 avril 1997 et le 30 avril 1998, respectivement;

 

c)         l’appelante n’a pas produit ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 de la manière et dans les délais prévus au paragraphe 150(1) de la Loi;

 

d)         au cours des années d’imposition 1995, 1996 et 1997, l’appelante a eu un revenu de profession libérale net de 63 342 $ pour chacune des années d’imposition, lequel a été inclus dans le calcul des cotisations sous la rubrique autres revenus;

 

e)         au cours des années d’imposition 1995 et 1996, l’appelante a eu un revenu d’un REER de la Compagnie d'assurance-vie Sun Life du Canada et reçu des feuillets T4-RSP de 24 444 $ et de 34 000 $, respectivement;

 

f)          en ce qui concerne les années d’imposition 1995, 1996 et 1997, l’appelante a eu droit au montant personnel de base de 6 456 $ chaque année dans le calcul des crédits d’impôt non remboursables;

 

g)         en ce qui concerne les années d’imposition 1995 et 1996, un montant de 2 444 $ et de 3 400 $, respectivement, a été accordé à l’appelante, pour l’impôt retenu et versé au ministre, dans le calcul du total de ses crédits d’impôt pour les années en litige;

 

h)         dans le calcul de son revenu imposable ou dans le calcul de son impôt à payer à l’égard des années d’imposition 1995, 1996 et 1997, l’appelante n’a pas le droit de déduire d’autres montants que ceux accordés par le ministre;

 

i)          dans le calcul de son revenu ou dans le calcul de son impôt à payer pour les années en litige, l’appelante n’a pas présenté d’autres reçus ou documents à l’appui de déductions autres que celles déjà accordées par le ministre;

 

j)          le ministre a établi à juste titre des intérêts à l’égard de l’appelante pour l’impôt qu’elle a omis de payer au moment où elle devait le faire pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997, conformément au taux d’intérêt prescrit par le paragraphe 161(1) de la Loi;

 

k)         le ministre a établi à juste titre les pénalités pour production tardive à l’égard de l’appelante en application de l’article 162 de la Loi pour les années en litige.

 

Selon la preuve, l’hypothèse du ministre selon laquelle le revenu de profession libérale net gagné par l’appelante pour chacune des années était de 63 342 $ est fondée sur le revenu de profession libérale brut qu’elle a déclaré pour l’année 1994 (dernière année pour laquelle elle avait produit une déclaration), moins 10 p. 100 pour les dépenses. Bien entendu, cette méthode ne permet d’établir qu’une cotisation arbitraire, mais, comme on le verra plus loin, le ministre n’avait pas vraiment le choix, étant donné le peu de renseignements disponibles. Non seulement l’appelante n’a pas produit de déclarations pour les années en question, mais elle n’a pas, non plus, été capable de produire des livres de facturation appropriés. Il n’est pas contesté que, pendant la période visée par les cotisations, le revenu de l’appelante était composé des bénéfices réalisés par son cabinet d’avocat et de certains montants qu’elle avait retirés d’un régime enregistré d’épargne‑retraite (REER). Au cours de l’audience, l’appelante et l’avocat de l’intimée sont parvenus à une entente en ce qui concerne les retraits du REER ainsi que la plupart des dépenses du cabinet d’avocat. J’examinerai tout d’abord la question de la détermination du revenu brut tiré du cabinet d’avocat par l’appelante pour chacune des années visées par les appels. Puis, je me pencherai sur la question des dépenses qui peuvent être déduites pour chacune des années. Finalement, je me pencherai sur l’allégation de l’appelante selon laquelle certaines pièces produites au cours de l’instruction devraient faire l’objet d’une ordonnance visant à protéger la confidentialité des renseignements qu’elles contiennent.

 

[3]     L’appelante a témoigné et a appelé deux personnes à témoigner. Le premier témoin était un agent financier d’Aide juridique Ontario, qui a été assigné à comparaître pour produire un sommaire des paiements qu’Aide juridique Ontario a versés à l’appelante en 1995, en 1996 et en 1997. Ce document, qui est devenu la pièce A‑1, fait état des montants de tous les paiements versés à l’appelante ainsi que des dates approximatives auxquelles les paiements ont été faits, et ce, pendant les trois années visées par les appels. Le témoin n’a toutefois pas été capable de fournir quelque information que ce soit quant aux dates où les factures ayant donné lieu aux paiements avaient été présentées à Aide juridique Ontario. Il a indiqué dans son témoignage qu’au milieu des années 1990, Aide juridique Ontario avait des lignes directrices pour le paiement, lesquelles prévoyaient que tous les comptes devaient être payés au plus tard dans les 60 jours suivant la réception de la facture. Toutefois, il y avait parfois des retards importants, pouvant aller jusqu’à un an, dans les pires cas. Cet élément de preuve ne me permet pas de déterminer le revenu de l’appelante selon la comptabilité d’exercice. De plus, il ne comporte rien du tout au sujet du revenu tiré par l’appelante des services offerts aux clients qui n’avaient pas droit à l’aide juridique.

 

[4]     M. Frank Altman a indiqué dans son témoignage qu’il avait été le comptable de l’appelante pendant quelques années avant 1995. On ne lui a pas demandé, et il n’a pas expliqué, pourquoi il n’avait pas établi de déclarations de revenus pour l’appelante, ni pour cette année‑là, ni pour les deux suivantes, dans le cours normal des choses. Il a toutefois établi en novembre 2004, peu de temps avant l’audience, un grand livre général portant sur les trois années visées par les appels, des balances de vérification pour les périodes visées et des déclarations de revenus pour chacune des trois années. Les documents ont été établis en vue de respecter une ordonnance interlocutoire de la présente Cour. M. Altman a procédé à l’établissement des documents au moyen des renseignements et documents que l’appelante lui avait fournis à cette fin. Il s’agissait de ses relevés bancaires, de son livret de dépôt et de ses pièces justificatives de petite caisse. Elle ne lui avait pas fourni de journal des honoraires parce que, apparemment, elle n’en avait pas. De plus, les documents bancaires qu’elle lui avait fournis ne comportaient rien du tout concernant les trois premiers mois de 1995. M. Altman a établi les trois déclarations que j’ai mentionnées, sans aucun doute du mieux qu’il pouvait, à partir de ces renseignements tout à fait insuffisants. Il a indiqué dans son témoignage qu’il pouvait déterminer le revenu d’honoraires de l’appelante pour les périodes visées en additionnant les dépôts effectués dans son compte bancaire et en soustrayant de ces dépôts les montants appropriés pour la taxe sur les produits et services et les sorties de fonds, tout en ne tenant pas compte des dépôts ayant un caractère de capital, comme les avances de la banque et les retraits du REER. Il a ainsi obtenu les montants suivants pour le revenu d’honoraires brut, les dépenses et le revenu net de l’appelante relativement à son cabinet d’avocat :

 

[traduction]

 

      Honoraires

   Dépenses

Revenu net

 

1995

32 915 $

34 062 $

(1 147 $)

1996

62 392 $

48 025 $

14 367 $

1997

74 916 $

54 295$

20 621 $

 

[5]     Il me semble évident que les calculs effectués pour obtenir le revenu d’honoraires brut de l’appelante ne sont tout simplement pas valables, et M. Altman aurait dû s’en rendre compte. Il a tout au plus effectué ces calculs pour essayer d’obtenir le revenu de l’appelante chaque année selon la comptabilité de caisse. M. Altman a admis au cours de son témoignage en interrogation principale que le calcul du revenu aurait dû être effectué au moyen de la comptabilité d’exercice, puis faire l’objet d’un rajustement pour tenir compte du travail en cours de l’appelante. Quand l’appelante lui a demandé au cours du témoignage en interrogation principale s’il avait procédé de cette manière, voici ce qu’il a répondu :

 

[traduction]

 

R.           J’ai en effet procédé de cette façon, mais je n’ai rien documenté. Lorsque j’ai effectué les calculs pour les trois années visées, plusieurs années plus tard, selon la méthode que vous avez utilisée pour facturer et recevoir les honoraires, j’ai en fait décidé que, dans votre cas, si je prenais les honoraires facturés sans avoir d’états d’honoraires adéquats… ni de grand livre, étant donné que je n’étais pas au courant de toutes les sommes non perçues ou non facturées, la façon la plus équitable de déterminer le revenu que vous avez gagné au cours de ces années serait de consigner le revenu en fonction de l’encaissement des sommes.

 

M. Altman s’est mis dans une situation impossible quand il a accepté d’entreprendre cette tâche sans avoir les renseignements nécessaires pour l’accomplir comme il se doit. Il a essayé de justifier les résultats qu’il avait obtenus en indiquant dans son témoignage que la seule façon équitable d’évaluer le revenu de l’appelante était d’utiliser la méthode de la comptabilité de caisse. Je ne suis pas tout à fait certain s’il a dit cela en raison du délai considérable qu’il pouvait y avoir entre la présentation du compte et le paiement de celui‑ci par Aide juridique, ou en raison de l’absence de la plupart des renseignements nécessaires dont il aurait eu besoin pour tirer une conclusion appropriée. Bien entendu, quoi qu’il en soit, il avait tout simplement tort. La Loi prévoit certaines règles pour le calcul du revenu, et il faut les observer, même si cela entraîne une dérogation à la présentation du revenu la plus juste : voir l’arrêt Canderel Ltd. c. Canada[1]. On ne peut pas non plus justifier une dérogation aux exigences de la Loi en disant qu’il ne serait pas juste d’exiger le respect de la loi par le contribuable parce qu’il n’a pas tenu les dossiers nécessaires pour être en mesure de le faire. L’exigence énoncée à l’alinéa 12(1)b) de la Loi[2] est claire et sans équivoque. Je ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant que l’appelante a déjà eu recours à la méthode de la comptabilité d’exercice pour comptabiliser son revenu, ou bien qu’il a été admis qu’elle l’ait fait. Elle devait donc inclure tous les honoraires facturés, qu’ils aient été payés ou non, dans le calcul de son revenu pour l’année.

 

[6]     En réponse à une question que je lui ai posée, l’appelante a indiqué dans son témoignage qu’elle estimait que les déclarations établies pour elle par M. Altman peu de temps avant l’instruction indiquaient de façon exacte le revenu qu’elle avait gagné pour chacune des années en question. Elle n’a toutefois pas indiqué clairement dans son témoignage pourquoi elle était convaincue de cela. Il est évident qu’elle a fait cette affirmation sans avoir vraiment réfléchi à la question. Si elle l’avait fait, elle aurait su que les documents bancaires qu’elle avait fournis à M. Altman n’en comportaient aucun pour les trois premiers mois de 1995 et que, sans ces documents, M. Altman n’avait pas pu calculer son revenu de façon exacte. Je n’ai pas, non plus, entendu l’appelante affirmer clairement quoi que ce soit indiquant que tous ses revenus étaient déposés dans son compte bancaire. Rien dans la preuve n’indique que ce n’était pas le cas, mais, compte tenu du fait que l’appelante avait la charge de prouver que son revenu était inférieur aux montants indiqués dans les cotisations, cela semble pourtant être une grave omission.

 

[7]     À ce stade‑ci, je dois me pencher sur l’argument de l’appelante concernant le fardeau de la preuve. Ses observations écrites comportent l’allégation suivante :

 

            [traduction]

 

MANQUE DE FONDEMENT DES ÉLÉMENTS DE PREUVE MENTIONNÉS DANS LA RÉPONSE DE L’INTIMÉE

 

L’intimée a présenté une réponse dans le cadre de cette procédure, mais elle n’a pas prouvé les faits sur lesquels elle s’est fondée et qui figurent aux paragraphes 5, 6 et 7 de la réponse.

 

Le seul témoin de l’intimée a indiqué à la Cour que l’intimée avait établi des cotisations d’impôt à l’égard de l’appelante pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 en fonction de son année d’imposition 1994. L’appelante a indiqué à la Cour qu’elle n’avait pas vu les avis de cotisation que le ministre avait donnés à l’appelante pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997, ni la déclaration de revenus de 1994 de l’appelante. L’intimée n’a pas fourni d’avis de demande d’admission à l’égard de la déclaration de revenus de l’appelante pour l’année d’imposition 1994. Le témoin de l’intimée n’a pas fourni d’avis de demande d’admission pour tous les avis de cotisation que le ministre est censé avoir établis à l’égard de l’appelante pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi pour l’impôt à payer. Par conséquent, les déclarations de fait énoncées dans la réponse de l’intimée aux paragraphes 5, 6 et 7 n’ont jamais été prouvées devant la Cour. La Cour n’a tout simplement été saisie d’aucun élément de preuve concernant les cotisations, quoique dans la réponse à l’avis d’appel il semble y avoir une limite maximale pour ce qui est du montant de l’obligation fiscale établie pour l’appelante.

 

Bien sûr, il est bien établi que la loi prévoit exactement le contraire, pour une très bonne raison. Dans l’arrêt Anderson Logging c. La Reine[3], le juge Duff (tel était alors son titre), s'exprimant pour l'ensemble de la Cour suprême du Canada, a dit ce qui suit :

 

Premièrement, en ce qui a trait au débat sur la question du fardeau de la preuve. Si, dans le cadre d'un appel devant le juge de la Cour de révision, il semble, d'après les faits véridiques, que l'application de la loi pertinente soulève des doutes, il semblerait, en principe, que le ministère public doive être débouté. Ce serait la conséquence nécessaire du principe selon lequel les lois imposant un fardeau de preuve au sujet ont, en vertu d'une pratique bien enracinée, été interprétés et appliqués. Mais en ce qui a trait à l'enquête sur les faits, l'appelant se trouve dans la même position que tout autre appelant. Il doit démontrer que la cotisation contestée n'aurait jamais dû être établie; c'est‑à‑dire qu'il doit faire la preuve de faits qui permettent d'affirmer que la cotisation n'était pas autorisée par la loi fiscale ou qui jettent un tel doute sur la question qu'en vertu des principes auxquels il a été fait allusion, la responsabilité de l'appelant ne peut être retenue. Naturellement, les faits véridiques peuvent être prouvés au moyen d'éléments de preuve directe ou d'inférences probables. L'appelant peut présenter des faits pour établir une prétention prima facie qui demeure incontestée; mais pour déterminer si une telle preuve a été établie, il est important de ne pas oublier, si tel est le cas, que les faits sont jusqu'à un certain point, sinon exclusivement, du domaine de la connaissance de l'appelant; bien que pour des raisons évidentes, il convienne de ne pas trop insister sur cette dernière question.

 

La loi n’a pas changé depuis ce temps‑là, et ce principe a en réalité été repris plusieurs fois par la Cour suprême du Canada[4]. Il s’agit certes d’un cas où seule l’appelante devrait avoir connaissance des faits, si elle avait seulement tenu les documents comptables appropriés, comme l’exige l’article 165 de la Loi. Il incombait à l’appelante de réfuter les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’était fondé pour établir les cotisations, selon la prépondérance des probabilités. Elle ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve, car elle n’a pas été capable de présenter des éléments de preuve dignes de foi concernant le total des honoraires qu’elle avait facturés au cours de ces trois années.

 

[8]     Mme Hamilton a allégué qu’un montant facturé au régime d’aide juridique ne doit être inclus dans le revenu qu’après avoir été réglé, étant donné qu’un compte pour services fournis en vertu de la Loi sur l’aide juridique[5] de l’Ontario ne peut être payé qu’après avoir été réglé par un liquidateur des comptes juridiques. Cette allégation n’est d’aucune utilité pour l’appelante pour deux raisons. Tout d’abord, il est évident que les lois provinciales ne l’emportent pas sur la disposition déterminative figurant à l’alinéa 12(1)b). Ensuite, je ne dispose d’aucun élément de preuve qui pourrait me permettre de déterminer, et ce pour n’importe quelle période, lesquels des comptes que l’appelante a présentés au régime d’aide juridique ont été réglés. Du point de vue du fond, cet argument n’est tout simplement qu’une autre façon de soutenir que l’appelante devrait avoir le droit de calculer son revenu selon la comptabilité de caisse, malgré les termes clairs de l’alinéa 12(1)b).

 

[9]     Je constate également que presque aucun élément de preuve n’a été présenté concernant les comptes pour lesquels l’appelante a fourni des services à des clients qui ne bénéficiaient pas de l’aide juridique. Même si je tiens pour acquis que tous les montants payés par ces clients ont été déposés dans le compte bancaire de l’appelante, rien dans la preuve ne me permettrait de calculer le revenu que l’appelante a tiré de ces clients, sauf si j’utilise la méthode de la comptabilité de caisse. En plus d’avoir toutes les lacunes susmentionnées dans ses documents, l’appelante a admis lors du contre-interrogatoire qu’à la fin de chacune des années visées par les appels, elle avait en cours du travail qui n’a jamais été évalué et ajouté à son revenu, comme l’exige l’article 34 de la Loi, sauf si le choix prévu est exercé dans la déclaration de revenus. Rien dans la preuve n’indique qu’elle ait jamais fait le choix prévu dans cet article.

 

[10]    Je conclus donc que l’appelante a tiré un revenu brut de 70 380 $ de ses honoraires pour chacune des trois années visées. Il s’agit du revenu de profession libérale net supposé par le ministre, après la déduction de 10 p. 100, pour chacune des années en question. Il serait certes préférable que je puisse être en mesure de tirer une conclusion de fait raisonnable qui soit fondée sur la preuve, plutôt que d’accepter les hypothèses non réfutées du ministre. Il a été dit qu’il est très facile pour l’appelant de réfuter les hypothèses du ministre, mais, en l’espèce, la preuve de l’appelante ne permet d’en réfuter aucune.

 

[11]    Cependant, l’affaire ne se termine pas ici. Il ressort de la preuve, et des concessions faites par l’avocat de l’intimée au cours de l’audience, que les cotisations devraient être diminuées pour refléter un pourcentage de dépenses supérieur au 10 p. 100 admis par le ministre. Sous réserve de certaines questions particulières que j’aborderai un peu plus loin, les parties ont convenu des dépenses suivantes :

 

1995  -        34 836,80 $

1996  -        42 693,20 $

1997  -        48 427,10 $

 

Les parties ne se sont pas entendues au sujet des dépenses suivantes : les taxes d’affaires et les intérêts sur emprunts. Pour 1995, l’appelante demande la déduction de montants additionnels de 1 572 $ au titre de la taxe d’affaires et de 1 611 $ au titre d’intérêts sur emprunts. Pour 1996, elle a déduit 2 735 $ au titre de la taxe d’affaires et 1 486 $ au titre d’intérêts sur emprunts. Pour 1997, elle a déduit 1 640 $ au titre de la taxe d’affaires et 1 276 $ au titre d’intérêts sur emprunts.

 

[12]    Les montants convenus qui sont indiqués ci‑dessus ne comprennent pas de taxe d’affaires. La preuve comporte de nombreux chèques payés qui permettent d’établir que l’appelante a effectué des paiements de taxe d’affaires au cours de chacune des années visées par les appels. Selon ce que veut le bon sens, elle a dû engager des dépenses pour payer la taxe d’affaires chaque année. Il est toutefois difficile d’établir le montant exact qui est attribuable à chacune des années. Cela aurait été assez facile à prouver si seulement l’appelante avait tenu les documents appropriés et avait été en mesure de les produire lors de l’instruction de l’affaire. Un document aussi simple qu’une facture de taxe aurait suffit. Normalement, les chèques payés suffiraient, mais, en l’espèce, la perception avait été confiée à un huissier, et la preuve n’est pas claire en ce qui concerne la période à laquelle chacun des chèques se rapporte. Je considère que 1 500 $ est l’estimation la plus juste que je peux faire concernant les taxes d’affaires pour chacune des années. La preuve renfermait également un chèque payé de 1 000 $, daté du 1er mars 1996, que l’appelante avait fait au nom de son propriétaire et sur lequel il était indiqué que le paiement avait été fait pour des taxes d’affaires supplémentaires. La preuve indiquait qu’à peu près en même temps que ces années d’imposition, la municipalité avait changé le régime fiscal des entreprises de façon à ce que la taxe soit réclamée aux propriétaires dans le loyer de leurs locataires. La preuve dont je dispose ne me permet pas de tirer quelque conclusion que ce soit en ce qui concerne l’exercice auquel se rapporte ce paiement de 1 000 $, ce qui m’empêche d’en tenir compte.

 

[13]    Les montants de dépenses convenus, qui sont énoncés ci‑dessus, comportent des montants de 1 068 $ pour 1996 et de 916 $ pour 1997, au titre d’intérêts sur emprunts. L’appelante dit qu’elle a le droit de déduire des montants supplémentaires de 1 486 $ et de 1 276 $, respectivement, au titre d’intérêts sur emprunts pour ces deux années. Encore une fois, le problème de l’appelante se situe au niveau de la tenue de livres. Au lieu d’avoir deux comptes chèques, elle avait un seul compte pour ses opérations commerciales et personnelles. Elle avait une marge de crédit dont elle se servait de temps en temps. Elle soutient que toutes les sommes empruntées étaient pour des fins professionnelles, mais je ne suis pas convaincu qu’il en était ainsi. Comme l’a souligné le juge en chef Dickson dans The Queen v. Bronfman Trust[6], si un contribuable mélange des fonds utilisés à différentes fins et que seulement une partie de ces fonds donne droit à une déduction d’intérêts, aucun déduction n’est permise, sauf si le contribuable peut s’acquitter du fardeau d’établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin admissible. L’appelante n’a fait aucun effort pour établir les fins auxquelles avaient servi les fonds empruntés. Compte tenu de la preuve dont je dispose, elle n’a droit à aucune déduction pour intérêts. Elle bénéficie toutefois de la concession faite par l’avocat de l’intimée au cours de l’audience.

 

[14]    Dans sa plaidoirie, l’appelante s’est fermement opposée au témoignage du témoin Hilda Anyison, répartitrice de l’impôt de l’Agence du revenu du Canada. Ce n’était pas Mme Anyison qui avait établi les cotisations visées par les appels. Ce n’était pas elle non plus qui avait vérifié les documents de l’appelante. En fait, personne n’a vérifié les documents de l’appelante, parce qu’elle n’a pas produit ni déclaration ni documents. Quand l’appelante a fourni à l’avocat de l’intimée les déclarations et les balances de vérification établies par M. Altman ainsi que d’autres documents financiers, peu de temps avant l’instruction, l’avocat a demandé à Mme Anyison d’essayer de rapprocher les revenus indiqués dans les déclarations avec les informations fournies dans les autres documents produits. Elle a été incapable de le faire. Étant donné l’état des documents de l’appelante, cela ne m’étonne pas. L’avocat n’a pas demandé à Mme Anyison de faire une estimation du revenu de l’appelante pour les années en litige, et elle n’a pas prétendu l’avoir fait. Son témoignage n’a pas été vraiment utile, mais ce n’est pas de sa faute.

 

[15]    Je conclus que l’appelante a gagné le revenu de profession libérale net suivant pour les trois années :

 

                                                    1995                    1996                       1997

 

Revenu d’honoraires brut                   70 380 $                70 380 $                70 380 $

Dépenses                                  36 337 $                44 193 $                49 927 $

Revenu net                               34 043 $                26 187 $                20 453 $

 

À ces montants, il faut ajouter les retraits d’un REER, dont les montants ne sont pas contestés. Les pénalités pour production tardive ont été imposées à juste titre. Au cours de l’instruction, l’appelante a admis qu’elle n’avait pas produit de déclaration de revenus pour les années 1995, 1996 et 1997. Les appels sont accueillis, et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux présents motifs de jugement, ainsi que pour rajustement du montant des pénalités découlant des réductions du revenu imposé.

 

[16]    L’appelante a demandé que je rende une ordonnance de confidentialité à l’égard des pièces présentées à l’instruction sur lesquelles figurent les noms de ses anciens clients et de ses clients actuels. Ces renseignements sont protégés par le privilège du secret professionnel qui lie l’avocat à son client. Même si c’est l’appelante qui a entraîné la divulgation, le privilège est octroyé aux clients, et je n’ai aucune raison de croire qu’ils ont renoncé au privilège. Si le jugement que j’ai rendu n’est pas porté en appel, toutes les pièces seront rendues aux parties qui les ont présentées, à l’expiration du délai d’appel. Si le jugement est porté en appel, le greffier enverra toutes les pièces au greffier de la Cour d’appel fédérale. Si quelqu’un demande à voir les pièces entre‑temps, il m’enverra la demande et je donnerai des directives pour empêcher la divulgation du nom du client de l’appelante.

 

[17]    Les deux parties ont demandé les dépens. Chacune a obtenu partiellement gain de cause. L’instruction a duré trois jours, puis des observations écrites ont été présentées. Cette affaire n’aurait jamais dû faire l’objet d’une instruction. Si l’appelante avait tenu les documents comptables exigés par la Loi et si elle les avait fournis au ministre en temps voulu, il n’y aurait pas eu de litige. Si le ministre avait accordé les dépenses de l’appelante dans la cotisation arbitraire en se fondant sur les dépenses qu’elle avait engagées pour l’année 1994 au lieu d’accorder seulement 10 p. 100 du revenu brut présumé pour chacune des années, le montant des dépenses aurait probablement été beaucoup plus près du montant que j’ai établi. La façon dont l’appelante a mené les appels, lors des étapes interlocutoires et de l’instruction, ne l’honore pas. Elle ne s’est acquittée de son obligation de produire les documents que la veille de l’instruction, même si elle en avait reçu l’ordre. Elle s’est présentée une demi‑heure en retard la première journée de l’instruction, et elle n’était pas bien préparée. Il s’agit d’un cas où les parties doivent assumer leurs propres dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de septembre 2005.

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de février 2008.

 

Maurice Audet, réviseur

 


 

 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI625

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-4016(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Patricia A. Hamilton c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 9, 10 et 11 mars 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 septembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante:

L’appelante elle-même

 

Avocat de l’intimée :

Me Brent Cuddy

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

S/O

 

Cabinet :

S/O

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           [1998] 1 R.C.S. 147.

[2]           12(1)    Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

            […]

b)         les sommes à recevoir par le contribuable au titre de la vente de biens ou de la fourniture de services au cours de l'année, dans le cours des activités d'une entreprise, même si les sommes, en tout ou en partie, ne sont dues qu'au cours d'une année postérieure, sauf dans le cas où la méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du revenu tiré de son entreprise et acceptée pour l'application de la présente partie ne l'oblige pas à inclure dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition les sommes à recevoir qui n'ont pas été effectivement reçues au cours de l'année; pour l'application du présent alinéa, une somme est réputée à recevoir pour services rendus dans le cours des activités de l'entreprise à compter du premier en date des jours suivants :

(i)         le jour où a été remis le compte à l'égard des services,

(ii)        le jour où aurait été remis ce compte si la remise n'avait pas subi un retard indu;

[3]           [1925] R.C.S. 45, à la page 50.

[4]           Johnston c. M.R.N., [1948] R.C.S. 486; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, juge L’Heureux-Dubé, aux paragraphes 91 à 98.

[5]           L.R.O. 1980, ch. 234, remplacée depuis par la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique, L.O. 1998, ch. 26.

[6]           87 DTC 5059, à la page 5064.

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