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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 2005-868(EI)

ENTRE :

STRIDER HEADWORTH,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 5 août 2005 à Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

Par : l’honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

l’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

John M.L. Gibb-Carsley

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté aux termes du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national concernant l’appel porté devant lui en vertu de l’article 91 de cette Loi est confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2005.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Référence : 2005CCI722

Date : 20051104

Dossier : 2005-868(EI)

ENTRE :

STRIDER HEADWORTH,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]     La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si les services fournis par Strider Headworth à ABCO Building Maintenance Ltd. (ABCO) ont été rendus à titre d’employé ou à titre d’entrepreneur indépendant au cours de la période allant du 1er septembre 2003 au 13 mai 2004. L’appelant prétend qu’il était un employé d’ABCO, tandis que le ministre du Revenu national (le ministre) soutient que l’appelant était un entrepreneur indépendant et qu’il n’occupait pas un emploi assurable aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. M. Headworth a témoigné, tout comme l’a fait Julio Godoy d’ABCO. La demande originale de M. Godoy visant à obtenir la qualité d’intervenant n’a pas été déposée comme il se doit auprès de notre Cour. M. Godoy a comparu comme témoin de l’intimé.

 

[2]     Le ministre s’est fondé sur les faits suivants énoncés dans la réponse à l’avis d’appel :

 

a)         ABCO fournit à contrat des services de conciergerie et de nettoyage à des entreprises commerciales;

 

b)         l’appelant a conclu un contrat avec ABCO pour fournir des services de conciergerie et de nettoyage (« services ») aux clients d’ABCO;

 

c)         l’appelant a fourni les services aux clients d’ABCO, notamment Galaxy Cinema, des magasins 7-11, un magasin Canadian Tire et Toys ‘R’ Us (les « clients »);

 

d)         ABCO a payé l’appelant selon un taux fixe pour les services fournis dans les locaux de chaque client;

 

e)         l’appelant a négocié un taux horaire fixe en sus du montant prévu par son contrat avec ABCO, pour le temps d’attente dans le cadre du contrat au magasin 7-11 de Port Alberni attribuable aux retards causés par la construction de routes;

 

f)          l’appelant a facturé séparément à ABCO le travail effectué pour chaque client;

 

g)         sur ses factures, l’appelant a facturé à ABCO la taxe sur les produits et services (TPS);

 

h)         l’appelant a facturé à ABCO une partie de ses dépenses en essence et en fournitures, TPS comprise;

 

i)          l’appelant et ABCO ont tous les deux fourni une partie des fournitures, du matériel et de l’équipement utilisés par l’appelant pour fournir les services;

 

j)          l’appelant a engagé une équipe de personnes pour obtenir de l’aide dans le cadre de la prestation des services;

 

k)         ABCO n’a pas établi d’horaire de travail précis et n’exigeait pas de l’appelant qu’il suive un tel horaire;

 

l)          l’appelant était tenu de signer son nom au moment d’entrer dans les locaux d’affaires des clients et d’en sortir, en raison des exigences des clients en matière de sécurité;

 

m)        l’appelant travaillait à son compte lorsqu’il a fourni les services au cours de la période visée.

 

[3]     La position de l’appelant est la suivante : aucun contrat n’a été conclu et il ne fournissait aucun matériel ni aucun équipement. Il était en fait étudiant à temps plein et était prêt à travailler la nuit pour des raisons financières. Il n’exploitait pas Strider’s Building and Grounds lorsqu’il était à l’emploi d’ABCO. Des sources externes, soit ABCO soit les lieux de travail, lui fournissaient l’équipement et le matériel pour effectuer le travail. ABCO exerçait un contrôle et exigeait un compte rendu de son temps passé sur les lieux de travail, en plus de choisir directement ses heures de travail aux magasins 7-11 et de choisir indirectement l’heure et le lieu de son travail sur d’autres sites. ABCO supervisait et formait l’appelant au besoin, en fonction de la nature du travail effectué, et se fondait sur ses clients pour se tenir au courant des fautes commises par l’appelant. ABCO surveillait et disciplinait les travailleurs, tant en envoyant des plaintes par courriel qu’en faisant terminer ou refaire leur travail par d’autres travailleurs, et en réduisant leurs heures rémunérées ou leur charge de travail future en conséquence. ABCO a réglé une question concernant le salaire dû à l’appelant par l’intermédiaire de l’Employment Standards Branch du Ministry of Skills Development and Labour; pour sa part, l’appelant a effectué du travail que des employés d’ABCO avaient fait par le passé.

[4]     Je suis d’avis qu’ABCO s’occupe du nettoyage de plusieurs immeubles dans l’Ouest canadien et qu’elle a de nombreux employés. Elle est exploitée sous d’autres dénominations sociales, notamment El-Gaucho et J&B. Son siège social est situé à Mill Bay, en Colombie-Britannique. L’appelant a répondu à une annonce d’ABCO, laquelle cherchait à engager un nettoyeur, puisqu’il avait de l’expérience dans le nettoyage commercial. Il assumait la responsabilité de nettoyer les immeubles et engageait ses propres travailleurs à cette fin. Ses heures de travail et les aires à nettoyer étaient pour la plupart dictées par les gérants d’immeubles et lui étaient communiquées par ABCO. De plus, la plupart des immeubles fournissaient les solvants de dégraissage et les petits outils nécessaires.

[5]     L’appelant a été congédié par ABCO par voie de lettre datée du 14 mai 2004 et se lisant en partie comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

Strider Headworth

Nanaimo (C.-B.)

 

Cher Strider,

 

La présente vaut résiliation de tous les contrats entre vous et ABCO Building Maintenance Ltd., J&B Services et El Gaucho Enterprises Inc. à compter de la date ci-haut mentionnée.

 

Les motifs de résiliation sont les suivants :

 

1.         Canadian Tire – le site était RÉPUGNANT. Notre équipe de trois personnes a pris 17 heures et demie à nettoyer le magasin […]

 

Dans le reste de la lettre, il était expliqué de façon très détaillée pourquoi l’appelant était congédié.

 

[6]     Par suite du congédiement, l’appelant et son épouse, Debbie Headworth, ont présenté à la mi-2004 une demande à l’Employment Standards Branch en Colombie-Britannique, pour recouvrer le salaire qui, selon eux, leur était dû par ABCO. Le 13 août 2004, l’appelant et Debbie ont convenu avec l’ABCO des faits suivants :

 

[TRADUCTION]

 

Les parties confirment qu’elles s’entendent sur le(s) fait(s) suivant(s) concernant les questions en litige :

 

·        Strider Headworth a été engagé par la société le 1er septembre 2003.

·        Strider Headworth a révisé et présenté le contrat sous le nom de Strider’s Building & Ground Services. Le contrat n’a pas été signé par la société.

·        Debbie Headworth n’a pas conclu de contrat avec la société.

·        En janvier 2004, ABCO a demandé à Strider Headworth de lui fournir les noms des travailleurs qu’il emmènerait avec lui pour que ceux-ci l’aident relativement à des comptes d’ABCO.

·        ABCO a fourni une fourgonnette dans le cadre du contrat des magasins 7-11.

·        Strider Headworth a assuré ses propres moyens de transport dans le cadre de tous les autres contrats.

·        Les parties ne s’entendent pas sur l’identité de la partie qui a fourni les outils pour les contrats.

·        Strider Headworth envoyait une facture à ABCO à chaque mois, TPS comprise.

·        ABCO versait un montant fixe à Strider Headworth pour chaque contrat (sauf dans le cas de Galaxy, où il facturait ses services à la société selon un taux horaire).

·        Strider Headworth a été congédié par la société le 15 mai 2004.

·         

Le 7 octobre 2004, les parties ont signé un règlement qui se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

 

L’employeur convient de verser à Strider Headworth la somme de 1 000 $ en règlement de sa revendication salariale. Il [sic] employeur émettra trois chèques postdatés : un chèque de 334 $ postdaté du 20 octobre 2004 et deux chèques de 333 $ chacun postdatés du 19 novembre et du 20 décembre 2004. Ces chèques seront envoyés au ministère du Travail, au 6475, Metral Drive, à Nanaimo, et seront émis au nom de Strider Headworth.

Bien que le règlement conclu n’ait aucun effet sur ma décision, je ne vois aucune raison de ne pas tenir compte des faits convenus.

 

[7]     L’appelant et l’intimé ont présenté de longues observations écrites et se sont tous les deux fondés sur l’application des critères couramment mentionnés du contrôle, de la propriété des outils, de la possibilité de profit ou du risque de perte et de l’intégration, énoncés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national[1]. La Cour suprême du Canada a également approuvé ces critères dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[2]. Le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour, a reformulé les critères comme suit aux paragraphes 47 et 48 :

 

47        Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

 

48        Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

J’appliquerai les critères ci-haut aux faits en l’espèce.

 

Contrôle

[8]     ABCO devait nettoyer les locaux de ses clients, d’habitude la nuit et suivant certaines spécifications. ABCO choisissait les immeubles à nettoyer et le moment du nettoyage. Il semble que l’apport d’ABCO et celui de l’appelant quant à la façon d’effectuer le nettoyage aient été égaux. L’appelant était libre d’engager son épouse et d’autres membres de sa famille pour qu’ils lui donnent un coup de main, sans grande intervention de la part d’ABCO. Toutefois, ABCO devait être informée de l’identité des travailleurs avant que ceux-ci ne pénètrent dans les divers immeubles. ABCO ne permettait pas à l’appelant de parler aux gestionnaires des travaux ou aux employés. L’appelant ne pouvait communiquer qu’avec ABCO. Quelquefois, ABCO fournissait des instructions sur des feuilles de travail. La plupart du temps, ABCO n’était pas présente sur les lieux de travail. Elle supervisait le nettoyage par courriel et au moyen d’appels téléphoniques. M. Godoy a admis que les employés salariés ne faisaient guère l’objet d’une supervision directe sur les lieux de travail et que l’on se fondait plutôt sur les plaintes déposées par les clients. L’appelant faisait l’objet d’une supervision similaire. Je conclus que le critère du contrôle penche en faveur de la position du ministre.

 

Propriété des outils

[9]     Il est évident que les compétences professionnelles et en nettoyage du travailleur constituent l’outil principal. L’appelant ne fournissait que quelques petits outils. Une fois, il a utilisé sa propre fourgonnette, ainsi que des articles tels qu’un seau et des chiffons. Cependant, le plus souvent, les accessoires et l’équipement de nettoyage se trouvaient sur le site. S’il n’y avait pas d’équipement sur le site, ABCO fournissait le nécessaire, ainsi qu’une fourgonnette servant à transporter son équipement lourd, comme les appareils de nettoyage pour plancher ou tapis et les aspirateurs. Le critère de la propriété des outils n’est pas concluant.

 

Possibilité de profit et risque de perte

[10]    Quel risque financier, s’il en est, a été assumé par l’appelant? On peut évidemment répondre qu’il n’était pas payé s’il prenait des journées de congé et ne travaillait pas, ou qu’une retenue était imposée si le travail était inadéquat. J’accepte la preuve de l’appelant selon laquelle ABCO payait ce qu’elle voulait, quand elle le voulait. ABCO contrôlait étroitement les cordons de la bourse. Tel que mentionné ci-haut, l’appelant a été en mesure d’imposer un règlement financier en présentant sa demande à l’Employment Standards Branch. L’appelant assumait évidemment un risque de profit et de perte. Le présent critère penche en faveur du ministre.

 

[11]    Dans l’arrêt Sagaz, le juge Major a déclaré que la question clé est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Autrement dit, à qui appartenait l’entreprise? Pour répondre à la question, le ministre s’est fondé sur la conclusion selon laquelle l’appelant avait signé un contrat d’entreprise. Tel que mentionné ci-haut, dans un énoncé des faits devant l’Employment Standards Branch, les parties ont convenu que le contrat révisé par l’appelant n’a jamais été signé par ABCO. Il n’y a jamais eu de contrat « d’entreprise » obligatoire : le formulaire a tout d’abord été préparé et signé par ABCO, pour être ensuite révisé et signé par l’appelant, mais il n’a pas été signé de nouveau par ABCO. Voilà qui renforce et appuie la position du ministre : l’appelant n’était payé qu’après avoir présenté des factures, lesquelles comprenaient la TPS (pièce R-4). De plus, l’appelant engageait ses propres travailleurs et se servait de l’expression [TRADUCTION] « notre compagnie » pour se décrire et décrire les travailleurs. Il est évident qu’en agissant ainsi, l’appelant se présentait comme un entrepreneur indépendant. Par ailleurs, l’appelant n’était pas supervisé lorsqu’il travaillait. Cela est partiellement vrai, parce qu’il était parfois supervisé. L’appelant a demandé une augmentation pour [TRADUCTION] « améliorer sa rentabilité et ses résultats ». Là encore, il s’agit du langage d’un entrepreneur indépendant.

 

[12]    Quant à la position de l’appelant, pour répondre à la question « À qui appartenait l’entreprise? », je conclus que l’appelant s’est servi d’un langage démontrant qu’il était indépendant et qu’il a facturé la TPS sur ses factures. Il a déclaré qu’ABCO contrôlait strictement son travail pour s’assurer que celui-ci était effectué de la façon dont ABCO l’entendait. Bien sûr, le résultat du travail était contrôlé parce que les clients d’ABCO se plaignaient s’ils n’étaient pas satisfaits. Tel que mentionné ci-haut, ABCO a congédié l’appelant à la suite d’une plainte.

 

[13]    Je ne suis pas lié par le règlement et les faits convenus devant l’Employment Standards Branch. Toutefois, il faut les prendre en considération. Bien que l’Employment Standards Branch n’ait pas formellement tiré de conclusion de fait, je ne suis pas disposé à m’avancer sur ce qu’elle aurait pu ordonner s’il n’y avait pas eu de règlement avant la médiation.

 

[14]    Que nous reste-t-il? Selon l’argument le plus important du ministre, l’appelant se présentait, à tout le moins de temps à autre, comme un entrepreneur indépendant. Plus important encore, il facturait à ABCO des montants forfaitaires représentant notamment le travail de ses propres travailleurs, en plus de facturer la TPS. Il engageait et supervisait ses propres travailleurs. Compte tenu de tous les facteurs, je conclus que l’appelant avait une entreprise de nettoyage et qu’il agissait davantage comme un entrepreneur indépendant que comme un employé. En revanche, ABCO avait des travailleurs qui étaient manifestement des employés et qui se trouvaient sur sa liste de paye, avec les retenues habituelles. Je crois qu’ils agissaient comme remplaçants à la demande d’ABCO, selon les besoins.

 


[15]    Pour les motifs énoncés ci-haut, l’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2005.

 

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mars 2006.

 

 

 

 

Éric Vovan, traducteur

 

 

 


 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI722

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-868(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Strider Headworth et le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

5 août 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

l’honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :

4 novembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

l’appelant lui-même

 

Avocat de l’intimé :

John M.L. Gibb-Carsley

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

s.o.

 

Étude :

s.o.

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           87 DTC 5025.

[2]           [2001] 2 R.C.S. 983.

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