Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2003-1339(EI)

ENTRE :

MONIQUE DOLBEC,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 28 novembre 2003 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 13e jour d'avril 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence : 2004CCI232

Date : 20040413

Dossier : 2003-1339(EI)

ENTRE :

MONIQUE DOLBEC,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie

[1]      Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 28 novembre 2003.

[2]      Il s'agit d'un appel pour déterminer si l'appelante a exercé un emploi assurable durant les périodes en litige, soit du 7 septembre 1998 au 5 mars 1999, du 27 septembre 1999 au 31 mars 2000, du 4 septembre 2000 au 23 mars 2001 et du 1er octobre 2001 au 5 avril 2002, alors qu'elle était au service de Ferme Chevro Inc., le payeur, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[3]      Le 20 mars 2003, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a informé l'appelante de sa décision selon laquelle cet emploi, pour les périodes en litige, n'était pas assurable parce qu'un contrat de travail semblable n'aurait pas été conclu s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre elle et le payeur.

[4]      À l'audition, l'avocate de l'intimé a présenté une requête visant à obtenir la permission de déposer une Réponse modifiée à l'avis d'appel. Cette requête a été accordée par la Cour.

[5]      En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, lesquelles ont été admises ou niées par l'appelante :

a)          le payeur a été constitué en société le 31 janvier 1994; (admis)

b)          l'actionnaire unique du payeur était Roger Masson; (admis)

c)          l'appelante est la conjointe de Roger Masson depuis environ 10 ans; (admis)

d)          le payeur exploitait une ferme laitière (70 têtes de bétail incluant les taures et les génisses et 36 vaches laitières) et céréalière (orge); (admis)

e)          la ferme était en exploitation à l'année longue mais la période la plus active était la saison estivale; (admis)

f)           depuis 1993, l'appelante travaillait pour le payeur comme aide agricole; (admis)

g)          les tâches de l'appelante consistaient à s'occuper de la routine de la ferme, à nourrir les animaux, à faire la traite des vaches, à nettoyer l'étable, à s'occuper de la comptabilité, à faire les commissions et à préparer les repas des employés occasionnels; (admis)

h)          selon l'appelante, elle travaillait du lundi au vendredi alors qu'en réalité elle travaillait tous les jours de la semaine; (nié)

i)           durant les périodes en litige, l'appelante était toujours inscrite au journal des salaires du payeur pour 40 heures de travail par semaine, soit 8 heures par jour du lundi au vendredi; (admis)

j)           en 1998, le payeur rémunérait l'appelante 250 $ par semaine, en 1999 et 2000, 270 $ par semaine et en 2001 et 2002, 300 $ par semaine; (admis)

k)          au journal des salaires du payeur, il n'y avait aucun employé pour les périodes du 15 février 1998 au 30 mai 1998, du 7 mars 1999 au 7 mai 1999, du 2 avril 2000 au 17 juin 2000, du 25 mars 2001 au 28 avril 2001; (admis)

l)           une ferme de 70 têtes nécessitait 2 employés à l'année longue; (nié)

m)         le 13 septembre 2002, le payeur déclarait à un représentant de l'intimé qu'il n'avait pas les moyens de payer 2 salaires en même temps; (nié)

n)          les périodes prétendues de travail de l'appelante ne correspondaient pas avec les périodes les plus actives du payeur; (nié)

o)          le 5 mars 1999, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelante qui indiquait comme premier jour de travail le 7 septembre 1998 et comme dernier jour de travail le 5 mars 1999, comme nombre d'heures assurables, 992 heures et comme rémunération assurable totale 7 020,00 $; (admis)

p)          le 31 mars 2000, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelante qui indiquait comme premier jour de travail le 27 septembre 1999 et comme dernier jour de travail le 31 mars 2000, comme nombre d'heures assurables, 1 050 heures et comme rémunération assurable totale 7 290,00 $; (admis)

q)          le 22 mars 2001, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelante qui indiquait comme premier jour de travail le 4 septembre 2000 et comme dernier jour de travail le 23 mars 2001, comme nombre d'heures assurables, 1 104 heures et comme rémunération assurable totale 8 190,00 $; (admis)

r)           le 5 avril 2002, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelante qui indiquait comme premier jour de travail le 1 octobre 2001 et comme dernier jour de travail le 5 avril 2002, comme nombre d'heures assurables, 1 080 heures et comme rémunération assurable totale 8 100,00 $; (admis)

s)          l'appelante rendait des services au payeur pendant ses périodes de prétendues mises à pied; (nié)

t)           les relevés d'emploi de l'appelante ne sont pas conformes à la réalité ni quant aux heures travaillées et ni quant aux périodes réelles de travail de l'appelante. (nié)

[6]      Le Ministre a, de plus, invoqué les faits suivants énoncés au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel, lesquels ont également été admis ou niés par l'appelante :

6.          À ce stade-ci des procédures, le Ministre invoque les faits suivants :

a)          la durée officielle du travail de l'appelante pour chacune des années en litige aurait été plus longue n'eut été son arrangement avec le payeur; (nié)

b)          le versement du salaire et la durée de l'emploi de l'appelante sont fonction des périodes de chômage; (nié)

c)          le fait que l'appelante ne soit pas payée durant ses périodes de chômage lui a permis de bénéficier de pleines prestations d'assurance-emploi; (nié)

d)          en 2001 jusqu'en avril 2002, les périodes de travail et de chômage de l'appelante et d'un autre travailleur, Simon Marcotte, s'alternent; (nié)

e)          sur le relevé d'emploi de Simon Marcotte daté le 28 septembre 2001, il est mentionné que la raison de la mise à pied est le manque de travail; (admis)

f)           pourtant, l'appelante apparaît au livre de paye le 1er octobre suivant; (admis)

[7]      La preuve a établi que la ferme du payeur était exploitée à l'année. La période la plus active de l'année, en ce qui concerne les travaux à l'extérieur, était le temps des foins et, pour cette période, le payeur embauchait un étudiant. Le travail exécuté durant la période estivale étant plus exigeant physiquement, le payeur pouvait embaucher deux ou trois étudiants pour une durée d'environ une semaine à 15 jours. Pour sa part, l'appelante est capable de faire le travail exécuté durant la saison hivernale.

[8]      L'appelante travaille à la ferme depuis 1992. Sa période de travail débutait habituellement en septembre pour se terminer en mars ou avril. Ses fonctions consistaient à s'occuper de la laiterie, c'est-à-dire préparer les trayeuses, laver, nettoyer et préparer le « bolting » ; il y a certaines normes d'hygiène à respecter, dont faire boire les veaux, traire les vaches, les laver et leur donner du foin, bref, l'ouvrage de routine dans une ferme. En après-midi, quatre ou cinq fois par semaine, l'appelante s'occupait de la comptabilité, c'est-à-dire démêler les factures et les mettre en ordre pour le payeur. Elle s'occupait des animaux avec Roger Masson; elle l'aidait au même titre que les autres employés et elle a toujours été traitée de la même façon et reçu le même salaire que les autres. Parmi ses tâches, elle pouvait, en après-midi, travailler dans la maison pour mettre en conserve les récoltes du jardin pour usage personnel.

[9]      Le début de la période de travail de l'appelante dépendait des besoins de la ferme, mais particulièrement de la période de vêlage qui s'échelonnait de septembre à mars, environ. Il s'agit de la période intense pour les travaux de la ferme à l'intérieur pour ce qui concerne la ferme laitière et l'élevage.

[10]     En 2001 et 2002, la rémunération de l'appelante était de 300 $ par semaine pour 40 heures de travail; elle était payée par chèque libellé à son nom et signé par Roger Masson. Pour fixer sa rémunération, le payeur se basait sur le salaire minimum et en ajoutait un peu plus. L'appelante recevait le même salaire que les autres employés. Durant les années 1998, 1999 et 2000, la rémunération hebdomadaire de l'appelante était de 250 $, 270 $ et 270 $ respectivement.

[11]     L'appelante travaillait du lundi au vendredi de 6 h 00 à 19 h 00 et ses heures étaient fixées par les besoins de la ferme; ses heures n'étaient pas consignées nulle part, mais le payeur inscrivait 8 heures par jour - 40 heures par semaine - dans le registre.

[12]     Le payeur supervisait et approuvait le travail; il indiquait le travail à faire. Il fallait faire des compromis puisque personne de travaille de la même manière.

[13]     Tous les outils, installations, équipements et habits de travail étaient fournis par le payeur. L'appelante n'avait à encourir aucune dépense dans l'exercice de ses fonctions et ne partageait aucune chance de profit ni risque de perte avec le payeur. L'appelante ne travaillait pas les samedis et les dimanches. Lorsque la période de vêlage était terminée, soit vers le mois de mars ou avril, la plus grosse partie du travail à l'intérieur était terminée et Roger Masson exécutait alors le travail seul. Puisqu'il était seul à exécuter les tâches sur la ferme, certaines d'entre elles n'étaient pas faites même s'il commençait à travailler plus tôt le matin.

[14]     Après la période de vêlage, au printemps, c'est le temps de préparer la saison de la culture des céréales, autre vocation de cette ferme. C'est la période de fin printemps et été qui inclut le temps des récoltes et des foins; c'est le travail robuste à l'extérieur lequel est considéré trop dur pour une femme. Pendant cette période, l'appelante prépare les repas à la maison, s'occupe du jardinage, du gazon et fait les courses.

[15]     Parmi les tâches de l'appelante, cette dernière s'occupait de la tonte des animaux qui se faisait une fois par année, soit au cours de l'hiver. Cette tâche requiert la présence de deux personnes et, à l'occasion, prend quelques heures à être exécutée. L'appelante s'occupait également du nettoyage de la chambre à lait, c'est-à-dire nettoyer l'évier, les quatre trayeuses, le « bolting » , les tuyaux, les murs, etc.

[16]     Il a été précisé par l'appelante et le payeur que les travaux de la ferme diminuaient à l'arrivée du printemps en raison du fait que la période de vêlage était terminée et que les animaux étaient envoyés au pâturage. Il a été établi que les travaux de l'appelante n'étaient pas affectés par la température puisqu'ils étaient exécutés exclusivement à l'intérieur des bâtiments.

[17]     Le Ministre a prétendu que l'appelante travaillait en dehors des périodes en litige, en particulier pendant la période estivale et s'est appuyé sur une déclaration faite par un des travailleurs, Simon Marcotte, qui a déclaré qu'à l'occasion l'appelante venait les aider un peu quand il y avait un surplus de travail, mais il n'a pas été en mesure de quantifier le travail de l'appelante. Il a précisé et je cite : « ça dépend, elle pouvait avoir à faire des commissions pour la ferme ou pour elle, comme tout le monde » .

[18]     Cependant, un autre travailleur, David Grondin, a déclaré que l'appelante ne travaillait pas avec eux, qu'elle ne s'occupait pas de la ferme pendant l'été. Il a précisé qu'elle ne travaillait pas, mais dit qu'il ne s'en occupait pas.

[19]     Le Ministre a examiné tous les documents fournis par le payeur, dont les relevés de compte émis par l'institution financière et a dû conclure que l'appelante a vraiment été rémunérée pour son travail, et ce, de façon régulière. En outre, les chèques de paye de l'appelante ont été encaissés dans un délai normal, soit le jour même de leur émission ou quelques jours après.

[20]     La preuve a révélé que l'appelante a bel et bien travaillé sur la ferme tout au long de sa période d'emploi, qu'elle travaillait environ 40 heures par semaine et que son salaire était établi en fonction d'une moyenne de 40 heures, que les périodes en litige se situaient à l'intérieur de la période active hivernale de la ferme dans sa vocation de production laitière et d'élevage et qu'elle recevait un salaire conforme aux normes applicables. Ce salaire lui était versé de façon régulière et elle encaissait ses chèques de paye sur réception.

[21]     La preuve a établi qu'il y avait toujours deux employés à la ferme sauf pendant deux périodes : la première à partir du moment où l'appelante cessait de travailler au printemps et l'embauche d'employés pendant l'été, c'est-à-dire les étudiants pour les gros travaux de récolte, et la période de la mise à pied des employés d'été, à l'automne, jusqu'au retour au travail de l'appelante. La preuve a établi que ces périodes représentaient, en 1998, trois mois et demi et en 1999, deux mois.

[22]     Pour rendre sa décision, le Ministre s'est appuyé sur les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) et les paragraphes 5(3) et 93(3) de la Loi.

[23]     Le paragraphe 5(1) de la Loi se lit en partie comme suit :

            5(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[24]     Les paragraphes 5(2) et 5(3) de la Loi sont libellés en partie comme suit :

(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

[...]

            (3)         Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a)          la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b)          l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[25]     Le paragraphe 93(3) de la Loi se lit comme suit :

            Le ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées.

[26]     Le Ministre soutient que l'appelante n'occupait pas un emploi assurable puisque, pendant les périodes en litige, elle n'était pas liée au payeur par un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi précité. Par ailleurs, il fait valoir qu'il n'est pas raisonnable de conclure, selon l'alinéa 5(3)b) que, compte tenu de la rétribution versée, des modalités d'emploi ainsi que de la durée, la nature et l'importance du travail accompli, l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[27]     L'appelante demande à la Cour d'annuler la décision du Ministre, ce à quoi elle a droit dans certaines conditions. Celles-ci sont énumérées dans les extraits de la Loi précités tels qu'interprétés par la jurisprudence. Les extraits puisés dans les arrêts suivants précisent les conditions selon lesquelles la Cour peut intervenir pour accorder le recours demandé par l'appelante.

[28]     À cet égard, il convient de souligner l'importance, dans cet exercice, de considérer les principes établis dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187 (C.A.), et, en particulier les extraits suivants :

[31]       L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, J.C.A., expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

[...]

[37]       [...] La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[...]

[43]       Le sous-alinéa 3(2)c)(ii) précise que, pour décider si le salarié et l'intimée auraient conclu entre eux un contrat louage de services à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance, le ministre doit tenir compte « de toutes les circonstances » , notamment la rétribution versée au salarié, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli. En l'espèce, le juge suppléant de la Cour de l'impôt a conclu que l'intimée avait réfuté au moins deux des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé au sujet des modalités d'emploi du salarié.

[...]

[50]       [...] En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un vice qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la balance des probabilités. [...]

[29]     Analysons donc l'emploi de l'appelante selon l'alinéa 5(2)i) de la Loi.

Rémunération

[30]     L'appelante recevait son salaire régulièrement et ses chèques, elle les encaissait aussitôt. Elle était payée selon les normes applicables et recevait le même traitement que les autres employés. Elle ne recevait pas le 4 pour cent de vacances comme les autres employés. Par contre, ce montant de vacances non versé venait réduire la dette qu'elle avait avec le payeur. Il a été établi que l'appelante exécutait certaines tâches pendant l'été, mais cela était minime, selon la preuve, et tout à fait normal dans une entreprise agricole familiale. La Cour d'appel fédérale s'est penchée sur des faits semblables dans l'arrêt Théberge c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 464 et elle a statué ce qui suit :

            Ce que fait un prestataire en dehors de la période pendant laquelle il exerce un emploi que le ministre reconnaît être un emploi assurable peut être pertinent aux fins, par exemple, de vérifier son état de chômage, de calculer le montant de ses prestations ou d'établir sa période de chômage. Aux fins, toutefois, de l'application de l'exclusion prévue à l'alinéa 3(2)c) de la Loi, ce que fait le prestataire en dehors de sa période d'emploi sera de peu de pertinence lorsqu'il n'est pas allégué, comme en l'espèce, que le salaire versé pendant la période d'emploi tenait compte du travail accompli en dehors de cette période, que le demandeur avait inclus dans les heures consacrées à son emploi assurable des heures de travail qu'il avait effectuées en dehors de la période ou encore que du travail accompli en dehors de sa période d'emploi avait été inclus dans le travail accompli pendant sa période d'emploi. Il me paraît aller de soi, ce que confirme la preuve, que dans le cas d'entreprises familiales consacrées à du travail saisonnier, le peu de travail qu'il reste à faire en dehors de la période active est généralement fait, sans rémunération, par les membres de la famille. Exclure un emploi saisonnier, dans une entreprise familiale agricole, au motif que la traite des vaches continue à l'année, c'est à toutes fins utiles priver d'assurance-chômage les membres de la famille qui se qualifient en travaillant pendant la période active et c'est ignorer les deux caractéristiques principales d'une telle entreprise, soit son caractère familial et son caractère saisonnier.

            Un prestataire n'a pas à demeurer complètement inactif pendant qu'il reçoit des prestations. Aux termes de l'article 10 de la Loi, des prestations sont payables pour chaque « semaine de chômage » comprise dans la période de prestations et une « semaine de chômage » est une semaine pendant laquelle il n'effectue pas une semaine entière de travail. Aux termes du paragraphe 15(2) de la Loi, un prestataire peut recevoir une rémunération pour une partie d'une semaine de chômage et cette rémunération ne sera déduite de ses prestations que si elle dépasse vingt-cinq pour cent du taux de ses prestations hebdomadaires. Il est par ailleurs acquis que le travail véritablement bénévole n'affecte pas l'état de chômage d'un prestataire (Bérubé c. Canada (Emploi et Immigration), (1990) 124 N.R. 354 (C.A.F.)). [...]

Modalités d'emploi

[31]     Monique Dolbec, l'appelante, a appris son métier du payeur lui-même, Roger Masson. C'est lui qui lui a montré le travail. La journée de travail de l'appelante débutait avec la première traite à 6 h 00 pour se terminer vers 18 h 30 ou 19 h 00. Ses tâches de travail sont entrecoupées. Elle retournait nourrir les animaux; il y avait aussi la tonte des animaux qui est faite sur une période de deux mois à deux mois et demi et qui requiert pendant quelques heures à la fois périodiquement. Également, elle s'occupait de démêler les factures.

[32]     Selon le registre des salaires, elle était au travail huit heures par jour du lundi au vendredi pour un total de 40 heures par semaine. Le Ministre prétend que les horaires de travail sur une ferme sont tributaires de la température, des saisons, des animaux, etc. Cette constatation s'applique dans le cas de fermes où les travaux sont à l'extérieur. Pour ce qui concerne les tâches de l'appelante, ce n'était pas son cas. Son travail n'était pas tributaire de la température ni des saisons puisqu'elle travaillait toujours, à tous les ans, à partir de septembre jusqu'à mars, environ. Les constatations du Ministre à cet effet sont applicables pour ce qui concerne les employés d'été qui s'afféraient à la production céréalière et aux récoltes. Pour ce qui concerne les fins de semaine, la preuve a clairement établi que c'est le payeur lui-même, monsieur Masson, qui s'occupait des tâches habituelles de l'appelante.

[33]     De l'avis de cette Cour, la détermination du Ministre concernant les modalités d'emploi de l'appelante ne sont pas exactes.

Durée

[34]     Il a été établi que le payeur exploitait une ferme à l'année et que les travaux de l'appelante commençaient en septembre pour se terminer en mars ou avril. Ceci a fait dire au Ministre que l'appelante reprenait le travail en septembre quand la plupart des fermiers mettaient à pied leurs employés, au début de l'automne, parce que c'est une période plus tranquille. Ceci, cependant, va à l'encontre de la preuve selon laquelle l'appelante était engagée pour des tâches spécifiques qui portaient sur la vocation de la ferme laitière et d'élevage, incluant la période de vêlage et de l'élevage des veaux, à l'intérieur jusqu'au printemps, car c'est alors que la ferme du payeur était la plus active dans ce domaine.

[35]     De l'avis de cette Cour, le Ministre a été mal informé et sa décision ultime dans le cas de l'appelante est sans fondement.

[36]     Le Ministre a pris pour acquis que la période la plus active du payeur était la période estivale. Il est vrai que cette période représente la saison des semailles et des récoltes où les travaux sont durs, au-delà des forces habituelles d'une femme, mais de s'en tenir à ces considérations, en l'espèce, est d'ignorer la preuve présentée portant sur la période active de la ferme dans le domaine de l'élevage et de la production laitière de l'autre saison.

Nature et importance du travail accompli

[37]     Le travail de l'appelante est directement relié aux activités du payeur.

[38]     La preuve a révélé que sur la ferme du payeur il y a autant de travail l'hiver que l'été en raison des animaux qui sont à l'intérieur et, en conséquence, exigent beaucoup plus de soins. Il ne faut pas oublier non plus les tâches reliées au vêlage et à l'élevage des veaux. Ce travail est peut-être moins dur physiquement que celui qu'exige les récoltes, mais il est aussi important et exigeant.

[39]     D'ailleurs, l'agent des appels a dû avouer dans son témoignage que le ministère n'avait pas mis autant d'importance sur l'aspect de l'élevage et du vêlage en saison hivernale à la ferme du payeur.

[40]     Après avoir conclu cet exercice en révision de la décision du Ministre, cette Cour est d'avis que le Ministre a tiré sa conclusion à tort. À mon avis, il a été mal informé sur l'importance du travail de l'appelante à la ferme du payeur pendant les périodes en litige, donc il n'a pas tenu compte de toutes les circonstances entourant les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli. En outre, il a accordé trop d'importance aux tâches accomplies par l'appelante en dehors des périodes et donc n'a pas apprécié comme il le fallait ces quelques tâches faites par l'appelante dans le contexte de l'entreprise agricole familiale, tel que prescrit par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Théberge, précité.

[41]     La tâche de cette Cour dans l'exercice qui lui est confié selon la Loi doit être accomplie selon les directives énoncées par la jurisprudence. La Cour d'appel fédérale en a statué les termes dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878, de la façon suivante :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire.    L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés.    Et la détermination du ministre n'est pas sans appel.    La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés.    La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre: c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre.    Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable.

[42]     En regard de ce qui précède et à la lumière de l'arrêt Légaré, précité, cette Cour doit conclure, après vérification des faits supposés ou retenus par le Ministre, que ceux-ci n'ont pas été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus et, conséquemment, la conclusion dont le Ministre était convaincu ne paraît pas raisonnable.

[43]     Cette Cour est d'avis que l'emploi exercé par l'appelante pendant les périodes en litige est assurable.

[44]     L'appel est accueilli et la décision rendue par le Ministre est annulée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 13e jour d'avril 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :

2004CCI232

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1339(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Monique Dolbec et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 28 novembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie,

juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 avril 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Jérôme Carrier

Pour l'intimé :

Me Stéphanie Côté

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Jérôme Carrier

Étude :

Rochon, Belzile, Carrier, Auger

Québec (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.